Carte postale de Valery Larbaud et Arnold Bennett à Marguerite Audoux
Auteur(s) : Larbaud, Valery ; Bennett, Arnold
Arnold Bennett (1867-1931) est un romancier anglais dont Larbaud entreprend la traduction d'une des nouvelles, The Matador of the Five Towns. C'est également le préfacier de la traduction anglaise de Marie‑Claire par John Raphaël (voir infra). Arnold Bennett devient célèbre en 1908 pour son roman The Old Wives' Tale. Influencé par Zola et Goncourt, il participe à la vie littéraire française (dîners de La Plume, réceptions du Mercure, …). Son réalisme teinté de compassion humaine le rapproche de Charles‑Louis Philippe, qu'il n'eut pourtant pas le temps de connaître, mais dont il entendit parler par son ami Cipa Godebski, lequel avait des attaches avec La Revue blanche. C'est très probablement Léon‑Paul Fargue qui fit connaître Marguerite Audoux à Arnold Bennett. C'est lui, en tout cas, qui donne force détails à l'écrivain anglais pour la rédaction de la préface de Marie‑Claire, d'après ce qu'on apprend dans le journal de Bennett en date du 6 janvier 1911.- Carte postale amicale
Préface de l'édition anglaise de Marie‑claire« Les origines de ce livre sont assez singulières et assez intéressantes pour être contées en détail. Elles remontent à dix ans environs, lorsque l'auteur, après les aventures d'une existence campagnarde décrites dans les pages qui suivent, s'est définitivement installée à Paris comme couturière d'atelier. À Paris comme ailleurs, la vie d'une ouvrière d'atelier est très dure ; cela signifie onze heures par jour en général d'une attention soutenue, six journées pleines par semaine, à une demi‑couronne par jour. Mais déjà la vue mauvaise de Marguerite Audoux lui donnait de l'inquiétude et désorganisait son travail, si bien que le soir, elle était souvent moins fatiguée que ne l'est généralement une couturière. Elle eut besoin d'une distraction qu'elle trouva quand, réalisant un désir de vieille date, elle se mit à écrire. Elle écrivit, non pas parce qu'elle ne put trouver rien d'autre à faire, mais parce que l'heure en était venue. Qu'elle ait toujours aimé lire, certains des incidents rapportés en ce livre en témoignent clairement ; les occasions qu'elle en eut avaient cependant été réduites. Alors, simplement, pour essayer, et sans régularité peut‑être, elle se mit à noter les souvenirs de sa jeunesse.Vers ce moment, par l'intermédiaire de l'un d'entre eux, et par l'un de ces hasards de la destinée qui, dans la vie professionnelle d'une cité, apportent une trop rare diversion, elle fit connaissance avec un groupe de jeunes littérateurs dont le plus important peut‑être était le regretté Charles‑Louis Philippe, l'auteur de Bubu de Montparnasse et d'autres romans qui jouissaient d'un authentique crédit auprès d'une élite capable de distinguer entre la littérature et sa contrefaçon. Ce groupe d'amis se réunissait habituellement chez Philippe. Il se composait d'un certain nombre d'écrivains de talent, parmi lesquels il convient que je nomme MM. Iehl (l'auteur de Cauët), Francis Jourdain, Paul [sic] Fargue, Larbaud, Chanvin, Marcel Ray et Régis Gignoux (le critique littéraire et dramatique). Marguerite Audoux ne fut pas saluée comme un prodige littéraire. Personne, à la vérité, n'avait idée qu'elle écrivait. Elle apparut, parée des seuls mérites de sa personne et elle prit place auprès d'autres femmes qui étaient, comme elle, sans prétentions littéraires. J'ai su par l'un des intimes du groupe qu'elle fit sur eux une impression profonde. Et, il est hors de doute que ses amis ont pour le moins autant d'enthousiasme pour sa personne que pour le livre qu'elle a écrit. Elle avait un peu plus de trente ans, elle était très jolie, elle avait une voix agréable. Le charme de ses manières posées, sa sensibilité profonde et limpide, la tendresse qu'elle témoignait à la nature humaine, conquirent de noble façon le groupe tout entier. La couturière d'atelier reçut la véritable estime de tout ce que la gent masculine comptait d'esprits brillants à Paris.Ainsi appréciée et admirée, elle se sentit naturellement encouragée à parler un peu d'elle. Un soir, elle avoua qu'elle avait elle aussi essayé d'écrire. Un autre soir, elle apporta quelques feuilles manuscrites, le brouillon des premiers chapitres de Marie‑Claire##, qu'elle lut à haute voix. Elle lisait très bien, m'a‑t‑on dit. L'accueil fut enthousiaste. On s'imagine la surprise avec laquelle ces jeunes gens, extasiés, virent apparaître un talent aussi resplendissant. Il faut qu'elle continue à écrire son livre, mais entre‑temps, qu'elle donne des nouvelles, des esquisses aux quotidiens ! Que le public sache ses dons sur‑le‑champ ! Elle suivit le conseil donné d'aussi pressante façon et plusieurs membres du groupe (en particulier Régis Gignoux et Marcel Ray) s'occupèrent de placer esquisses et nouvelles. Marcel Ray y consacra des jours entiers, obtenant même d'être mis spécialement en congé à cette intention. Il en résulta que plusieurs nouvelles et esquisses parurent dans Le Matin, dans Paris‑Journal (respectivement le moins et le plus littéraire des journaux du matin à Paris) et en d'autres organes. Ces nouvelles et ces esquisses, soit dit en passant, furent recueillies en un petit volume[1] peu de temps avant Marie‑Claire sans attirer la moindre espèce d'attention.Pendant ce temps, l'autre plus important ouvrage progressait lentement et à la longue parvenait à son terme. Il avait fallu six ans pour en venir à bout. Jamais Marguerite Audoux ne s'est ni hâtée, ni surmenée et, bien qu'elle eût recommencé plusieurs fois de nombreux passages, jamais elle n'apporta à ses révisions ce soin méticuleux dont l'excès a causé la perte de tant de novices ardemment entrés en France dans la carrière des lettres. La banale expression « écrit dans le sang et dans les larmes » ne saurait d'aucune manière s'appliquer ici. Une sagesse naturelle n'a cessé de protéger Marguerite Audoux contre les excès dangereux. En préfaçant l'édition originale, M. Octave Mirbeau# fait remarquer fort à propos que Philippe et ses amis s'abstinrent, pendant les lectures à haute voix et la durée de la composition de l'ouvrage, de donner à l'auteur des conseils qui fussent d'ordre strictement littéraire. Avec leur perspicacité d'artistes, ils comprirent que son talent était de ceux dont il ne fallait aucunement se mêler.Or, des bruits coururent à Paris prétendant qu'elle avait non seulement reçu des conseils, mais que ses admirateurs l'avaient efficacement aidée. Ces bruits sont plus que faux, ils sont stupides[2].Chaque paragraphe de l'ouvrage porte, à ne pas s'y méprendre, la marque inimitable d'une seule personnalité. Et parmi les amis de Marguerite Audoux, même les mieux doués, il n'en est aucun à qui il eût été possible de composer un seul des passages considérés comme au‑dessus des pouvoirs d'une couturière d'atelier. L'œuvre entière, chaque partie de l'œuvre est le travail fait seul sans maître, de son auteur. On ne saurait trop clairement, ni avec trop d'assurance le proclamer. Sans doute fallut‑il, en relisant les épreuves, corriger impitoyablement les fautes d'orthographe ; mais, cette impitoyable correction de l'orthographe est une expérience connue de presque toutes les femmes qui écrivent, voire de quelques hommes.Le livre terminé, il fallut procéder au lancement. C'est à dessein que je me sers du terme « lancement ». Bien qu'à l'origine, Marguerite Audoux n'eût aucunement songé à le publier, ses amis étaient fermement décidés, non seulement à le publier, mais à donner à sa publication, le maximum d'éclat. Un grand nom était nécessaire pour que l'entreprise réussît, un nom qui, tout en jouissant de la sympathie des artistes, s'imposerait à la foule. Francis Jourdain connaissait Octave Mirbeau. Octave Mirbeau, en vertu de ses enthousiasmes ardents dans le domaine artistique et moral, de sa notoire générosité, de son immense renommée, était naturellement l'homme tout désigné. Francis Jourdain alla trouver Octave Mirbeau, lui offrit la faveur de lancer Marie‑Claire sur le marché littéraire de Paris. Octave Mirbeau accepta et se mit à l'œuvre de la façon dont il use en tout ce qu'il entreprend : c'est‑à‑dire en jetant feu et flammes. Pendant quelque temps, Octave Mirbeau ne vécut pour rien d'autre que pour Marie‑Claire, et le résultat a été en grande partie son œuvre. Marie‑Claire fut finalement lancée en beauté. La voie avait été préparée avec une remarquable habileté dans le monde de la presse, et ce fut, dès le début, un succès extrêmement brillant. L'ouvrage accomplit une marche triomphante dans une des « grandes revues » où il apparut périodiquement et, quelques semaines après sa publication en volume, trente mille exemplaires avaient été vendus. La vente se continue plus active que jamais. Marguerite Audoux vit exactement comme elle vivait auparavant. Elle écrit un nouveau chapitre de son autobiographie sous ce même pseudonyme, et il n'est apparemment point de raison pour que ce chapitre nouveau ne soit pas supérieur encore au précédent.Telle est l'histoire de ce livre[3].Je n'ai pas à faire la critique de l'ouvrage et dirai seulement ceci : c'est en son genre, je pense, un ouvrage d'une valeur remarquable (la seconde partie, en particulier, est d'une remarquable beauté), mais il faut l'accepter pour ce qu'il est. Il ne tend nullement à étaler ces artifices de construction et d'imagination dont ne saurait se dispenser tout grand chef‑d'œuvre de l'art impersonnel. Ce n'est pas un roman. C'est l'expression exquise d'un tempérament. C'est une rencontre divine.Arnold Bennett »La traduction de cette préface, rédigée pour l'édition anglaise de 1911 (le roman est traduit par John Raphaël) est due à François Talva, alors Secrétaire général du Bulletin des Amis de Charles‑Louis Philippe. Elle a paru dans le Cahier n° 12, 7 juillet 1963 (centenaire de la naissance de la romancière), p. 3‑5, avec un titre de François Talva qui reproduit l'avant‑dernier paragraphe, « Telle est l'histoire de Marie‑Claire ». Signalons que dans le Bulletin n° 26 de décembre 1968 (p. 50‑51), le même François Talva traduit un autre texte d'Arnold Bennett, « Marguerite Audoux », in Books and Persons being comments on a past epoch (1908‑1911), Chatto & Windus, London, 1917, p. 305‑310. Ce texte, publié auparavant dans la revue New Age du 2 mars 1911, est le récit de la visite que fit Marguerite Audoux au domicile parisien du romancier anglais (qui avait quatre ans de moins qu'elle).[1] Le Chaland de la Reine[2] Sur les réactions similaires d'André Gide (face aux insinuations de la famille de Charles‑Louis‑Philippe) et d'Alain‑Fournier (par rapport aux rumeurs qui couraient au sein du jury de la Vie heureuse), voir, p. 185, les notes 8 et 9 de la lettre 78
[Thorenc, 26 mars 1912]
Salut du pays de la neige !
Valery
Saluts de votre préfacier[1], chère madame.
Arnold Bennett [2]
[1] Voir supra la préface de Bennett pour l'édition anglaise de Marie-Claire dans la partie "DESCRIPTION"
[2] Larbaud et Bennett se rencontrent à Cannes et excursionnent ensemble.
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