Toulouse
Allée Lafayette 8 bis
[Début février 1912]
Mon cher Valery,
Comment vas‑tu et où en es‑tu de ta tristesse ? Je m'ennuie un peu de ne pas recevoir de tes nouvelles. Francis m'avait parlé de toi il y a quelque temps et il semblait croire que tu n'étais pas très gai. Qu'as‑tu, mon vieux Valery ? Est‑ce tout simplement l'ennui d'habiter Vichy, ou est‑ce que quelque chose te turlupine le ciboulot ? écris‑moi.
Je compte rentrer à Paris le 12 au plus tard. Michel fait le projet d'y venir passer une huitaine de jours si cela lui est possible car il est toujours très embêté du côté de Villemur[1].
Je passerai sans doute le reste du mois rue Léopold[2], et après je ne sais ce que je ferai. Cela dépendra de Michel.
Mon travail marche tout doucement. Je perds beaucoup de temps car je suis tout de suite fatiguée.
Le temps a été merveilleux ici tout l'hiver, et je regrette bien que tu ne sois pas venu habiter dans ma baraque. Depuis trois jours le froid est venu, mais le soleil est si joyeux qu'il vous fait oublier que le vent vous pique le nez. Tout à l'heure je suis sortie. Les Toulousaines se renfrognaient dans leurs fourrures, et les beaux Toulousains marchaient crânement.
As‑tu appris que Francis avait envoyé trente dessins[3] pour l'exposition que Marcel[4] veut tenter à Berlin[5] de ses tableaux
[6], et que sur les trente dessins[7], 25 ont disparu du domicile des Ray[8]. Cela a bien fait rire ce brave Francis. Il a reconnu son Marcel des temps passés[9].
Sais‑tu ce qu'ils vont devenir et s'ils ont une situation en vue[10] ? J'ai su par Michel, qui le tenait de Rouart, que Marcel avait fini sa thèse[11].
Tiens, voilà que je ne sais même pas comment s'écrit ce mot, et ici, je n'ai pas de dictionnaire.
Au revoir, mon bien cher Valery. Je t'embrasse bien affectueusement.
Marguerite
[1] Il s'agit de la ville où habite Marie Duran, la «fiancée» de Michel Yell.
[2] Rue Léopold‑Robert, le lieu d'habitation de la romancière
[3] Le mot est suivi de à Marcel et. Il s'agit de Marcel Ray.
[4] Marcel est ajouté dans l'interligne supérieur.
[5] Voir l'annexe (1), p. 647
[6] des tableaux de Francis a été transformé en de ses tableaux par biffures et surcharge de ses dans l'interligne supérieur.
[7] Le mot a été ajouté dans l'interligne supérieur.
[8] Voir l'annexe (2), p. 647.
[9] C'est‑à‑dire le légendaire distrait que Francis Jourdain se plaît à décrire (voir la note 175 de la lettre 128)
[10] Le ils renvoie à l'évidence aux Ray. Pour les vicissitudes de la carrière de Marcel Ray, voir la note 190 de la lettre 131
[11] Thèse d'état sur Jacob Boehme (la thèse secondaire étant consacrée à Liliencron)