Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Ferdinand Douche à Marguerite Audoux

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

DescriptionDemande de révision par un lecteur de ses deux manuscrits
Texte

Paris, le 28 janvier 1920[1]

Madame Marguerite Audoux,

Je vous prie d'excuser la grande hardiesse que je prends en vous adressant cette missive.
J'ai lu autrefois votre livre exquis Marie‑Claire (volume que je conserve précieusement dans la bibliothèque de notre fille) et je suis aujourd'hui avec intérêt votre gracieuse histoire L'Atelier de Marie‑Claire[2].
Puisque j'admire votre talent et que je sais l'apprécier, voulez‑vous me permettre de vous exposer brièvement le rêve que j'ai conçu ?
Pendant la guerre, à temps perdu, j'ai écrit deux œuvres : Âmes de jeunes filles et Le Livre d'Hélène[3] (Le livre blanc et le livre rose).
La 1ère de ces œuvres écrite sous forme de journal contient le récit de la vie d'un aventurier qui cherche à connaître une pieuse et courageuse jeune fille et à réaliser ainsi l'idéal de son enfance. À force de persévérance il devient un intellectuel et à force de volonté il arrive à comprendre le but de sa vie. La jeune fille qu'il a choisie reste son amie au sens le plus pur et le plus élevé du mot et l'aventurier préfère rester célibataire plutôt que d'imposer à son amie une union où le cœur ne trouve pas de place.
La 2e œuvre, sous forme de journal elle aussi, contient le récit d'une vie de jeune fille. L'âme très sensible de l'héroïne souffre de ne pas avoir l'affection d'une mère réaliste et après diverses péripéties, hélène, plusieurs fois demandée en mariage, préfère élever deux petits orphelins : une fillette et un garçonnet, recueillis par le monsieur dont elle est la secrétaire et qui est l'oncle et le tuteur des enfants. Il y a encore le Livre bleu contenant l'histoire des enfants, mais il est à faire.
Ces deux œuvres ont besoin d'être mises au point et le texte débarrassé de toutes les phrases inutiles qui le rendent touffu. Je ne puis me charger de ce travail, accaparé en entier comme je le suis par les préoccupations de me faire une situation. Je ne cherche pas à mettre mon nom en vedette et d'avance, je tiens essentiellement, si mes ouvrages ont une valeur littéraire,[4] à ce que mon nom reste anonyme et je laisserai à ma collaboratrice l'honneur de la notoriété qui pourrait en résulter.
La seule chose que je demanderai, s'il doit y avoir de l'impression de ces œuvres un bénéfice matériel, c'est que la part de bénéfice qui me reviendra soit attribué à l'œuvre des « Maisons claires[5] » de Madame Yvonne Sarcey des Annales[6]. J'ai eu pendant les hostilités une petite filleule de guerre, Viviane Lefèvre, donnée par cette œuvre, et la vue de la gentille petite fée à qui j'avais pu faire du bien tout en ignorant sa gracile personne m'a donné l'idée d'écrire en faveur de ses petites compagnes, déshéritées d'affection.
Si l'exposé que je viens de faire pouvait vous intéresser et que vous consentiez à mettre votre cœur, votre talent et votre plume, pour rendre mes œuvres viables, au[7] service des petites « Filles Claires » de cousine Yvonne, je vous en serais profondément reconnaissant, pour Elles et pour moi.
Je suis à votre entière disposition pour toutes les références et les renseignements complémentaires que vous pourriez exiger avant d'entrer en pourparlers et s'il ne vous était pas possible[8] de donner suite à ma demande, veuillez excuser mon importunité, ma main n'est guidée en cela que par une intention toute de désintéressement.
Veuillez agréer, Madame, l'assurance de mes sentiments les plus respectueux.

Douche Ferdinand
303, rue St‑Jacques, Paris – 5e arr.


[1] Cette lettre, qui s'inscrit dans le courrier des lecteurs, est envoyée et reçue le même jour.
[2] Ferdinand Douche suit donc le roman dans la prépublication de L'Excelsior (du 21 décembre 1919 au 3 février 1920).
[3] Entre Le et Livre, on trouve un (Jours) barré.
N. B. : Les manuscrits de Ferdinand Douche n'ont jamais été édités.
[4] La virgule est surmontée d'un point d'interrogation.
[5] Le principe de cette œuvre apparaît dans la suite de la lettre.
[6] Fille du critique dramatique Francisque Sarcey, Yvonne Sarcey anime avec son mari, Adolphe Brisson (1860‑1925), critique dramatique du Temps de 1903 à 1922, l'Université des Annales et la fameuse revue hebdomadaire, Les Annales politiques et littéraires (fondée en 1883 par le propre père d'Adolphe, Jules Brisson). Leur fils, Pierre Brisson deviendra à son tour critique dramatique au Temps (de 1921 à 1934), puis directeur des Annales en 1925, et enfin directeur général du Figaro, de 1934 à sa mort en 1964.
Notons qu'Yvonne se prénomme en réalité Madeleine, mais qu'à partir de 1902, elle signe une rubrique durable, « Les conseils de la cousine » sous le pseudonyme de « Cousine Yvonne ». Voir Martin (Marc), « La revue et son lectorat : l'exemple des Annales politiques et littéraires », in La Belle époque des revues. 1880‑1914, éditions de l'IMEC (Institut Mémoires de l'édition contemporaine), 2002, p. 69‑81.
[7] Le au est précédé d'un et barré.
[8] Mot ajouté dans l'interligne supérieur


État génétiqueVoir les notes 3, 4, 7 et 8 de la partie TEXTE

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 03/05/2024