Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Émile Guillaumin

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

Description
  • Dans son aimable missive du 9 septembre 1994, où il nous joint copie des six lettres d'Émile Guillaumin, David Roe nous renseigne ainsi :

    « Les archives Émile Guillaumin conservent cinq lettres de la romancière, ou plus exactement, trois lettres de deux ou trois pages[1], deux cartes postales[2] et une carte de visite non datée. Les lettres de Guillaumin semblent perdues.
    Si les lettres, datées entre 1920 et 1922, semblent fixer les rapports entre les deux écrivains du peuple fermement dans l'après‑guerre, deux des cartes témoignent d'un contact épistolaire bien antérieur.
    On sait d'après le livre de Guillaumin sur Philippe[3] que celui‑ci avant sa mort lui avait parlé de Marguerite et ses premiers écrits. En juin 1910, Guillaumin évoquait assez longuement pour Charles Bruneau[4] sa lecture de Marie‑Claire, qui venait de paraître en feuilleton dans La Grande Revue, à laquelle lui aussi collabora. Il trouvait la troisième partie «un peu moins naturelle» que les autres, et louait surtout, dans la forme, «cette façon d'évoquer les choses sans les dire tout à fait.» Il disait avoir connu «depuis longtemps certains épisodes de l'œuvre par le pauvre Charles‑Louis Philippe», mais s'étonnait un peu de ses «grandes qualités de conteuse», ayant vu chez Mme Philippe une lettre d'elle «quelconque et bourrée de fautes d'orthographe[5]». »
    [1] Lettres 278, 286 et 291
    [2] Lettres 174 et 333
    [3] Guillaumin, Émile, Charles‑Louis Philippe, mon ami, Grasset, 1942
    [4] Voir Cent dix‑neuf Lettres d'émile Guillaumin (dont 73 inédites) (1894‑1951), éditées par Roger Mathé, Klincksieck, 1969, p. 86‑89 (lettre 27, du 22 juin 1910, de Guillaumin à Charles Bruneau).
    [5] Ibid., p. 88.


  • Gaston Depresle - Refus d'être l'objet d'anthologies
  • Gaston Depresle, dont il est question dans cette lettre, trouvera finalement un éditeur : les éditions « Aujourd'hui », pour son Anthologie des écrivains ouvriers qui paraît en 1925, et dans laquelle… Marguerite Audoux figure en première place. Mais curieusement, à propos de la rencontre de la future romancière avec ses confrères du Groupe de Carnetin dans la crémerie de la rue Saint‑Louis‑en‑l'Isle, seul Charles‑Louis Philippe est mentionné. Le début de la vie de la romancière est tout aussi fantaisiste (elle naîtrait dans le Nivernais et grandirait dans une ferme de la région…).Tout l'article est à l'avenant. Guillaumin rédige un compte rendu de l'ouvrage, « Des Mains rugueuses qui savent tenir la plume », dans Le Quotidien du 24 mars 1925. Outre Marguerite Audoux, Guillaumin cite notamment Antonin Dusserre… [Voir Cent dix‑neuf Lettres d'émile Guillaumin (dont 73 inédites) – (1894‑1951), éditées par Roger Mathé, Klincksieck, 1969, p. 172].

    Hugues Lapaire, dans ses Portraits berrichons, évoque Depresle (« un pauvre homme de lettres, à moitié fou, qu'elle avait pris en pitié) dans le chapitre consacré à Marguerite Audoux :
    « ‑ Que voulez‑vous, me dit‑elle. La mort de sa femme l'avait plongé dans le désespoir et rendu ainsi ! Lorsqu'il possédait un peu d'argent, il le donnait ou le jetait dans la rue, sans se rendre compte de ses actes, si bien qu'il ne lui restait plus rien pour manger… Un jour, je reçois d'un éditeur une Anthologie des écrivains ouvriers. Le premier nom que je vois en ouvrant le livre, c'est le mien ! Et l'article était signé du pauvre camarade en question. Il s'était souvenu sans doute qu'un soir de détresse, arrivant à l'improviste chez moi et mourant de faim, je lui avais vite préparé une bonne poêlée de frites, car il m'avait représentée dans cette Anthologie comme une « marchande de frites » !
    » Evidemment, ce n'est pas déshonorant, fit‑elle avec une petite moue délicieuse, mais j'eusse préféré qu'il me laissât mon véritable métier ! Pauvre malheureux ! ajouta‑t‑elle après être restée un instant rêveuse : savoir ce qu'il est devenu ? »
    [Lapaire (hugues), Portraits berrichons, Radot, 1927, p. 227].
    Dans son Anthologie, en effet, Depresle présente Marguerite Audoux comme étant « [l]a sagesse même et pas du tout gendelettre ; une brave femme tout court, dont les frites sont aussi bonnes que les conseils. » [Depresle (Gaston), Anthologie des écrivains ouvriers, p. 9].
Texte

[S. l.] 18 novembre 1920

Cher Monsieur Guillaumin,

Je serais bien désolée de ne pas vous répondre, alors que Monsieur Depresle[1] m'a obligée de lui répondre trois fois pour lui dire la même chose.
Il n'est pas le premier qui ait l'idée d'une anthologie de manuels [sic], car si j'ai[2] bonne mémoire, c'est au moins la quatrième demande de ce genre que je reçois depuis un an. Naturellement, j'ai toujours refusé. Il est bien évident que si j'accepte pour l'un il faut que j'accepte pour tous, et Dieu sait où cela s'arrêtera !
Je n'ai rien à dire contre votre compatriote qui vaut peut‑être mieux que beaucoup, ainsi que vous le croyez. Mais je suis déconcertée par ces gens qui vous intiment l'ordre de leur envoyer immédiatement tous vos bouquins, plus ceci, plus cela, et encore ceci, et encore cela, et puis encore autre chose, moyennant quoi ils seront assez aimables de vous fourrer dans leur antho[logie].
Ma santé est mauvaise, très mauvaise. Et aussi, je suis lasse, cher Monsieur Guillaumin, affreusement lasse de cette curiosité intense qui s'attache à mon passé et à mon présent et qui, sous prétexte d'œuvres littéraires indispensables, fouille ma vie privée et ne me laisse pas de répit.
J'admire votre modestie, de vous effacer ainsi devant moi, et de prétendre que l'antho[logie] de votre compatriote perdra de sa valeur si je n'y figure pas[3]. Pour en revenir à votre compatriote, je suis persuadée qu'il n'aura pas de peine à trouver un éditeur car il me paraît ne pas connaître d'obstacles pour arriver à son but[4].
Non, certes, le bon Philippe ne m'eût pas déconseillé cette[5] collaboration[6], mais il ne me l'eût pas conseillée non plus, sachant combien j'ai besoin de tranquillité et de recueillement pour mener à bien mon travail.
Ne m'en veuillez pas, cher Monsieur Guillaumin, car je vous assure que je regrette très sincèrement de ne pas vous donner satisfaction.
Bien cordialement à vous.

Marguerite Audoux

[1] Gaston Depresle prépare une Anthologie des écrivains ouvriers.
[2] aie a été corrigé.
[3] Les lettres de Guillaumin à Marguerite Audoux semblent perdues.
[4] votre compatriote est écrit, dans l'interligne, au‑dessus d'un lui barré.
[5] cette est écrit en surcharge au‑dessus de une.
[6] Tel était sans doute l'un des arguments de Guillaumin pour persuader la romancière d'accéder à la demande de Depresle.

État génétiqueVoir les notes 2, 4 et 5 de la partie TEXTE
Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 03/05/2024