Lettre de Marguerite Audoux à Antoine Lelièvre
Auteur(s) : Audoux, Marguerite
DescriptionHuguette et Jacques Lelièvre - Paul d'Aubuisson - 8e mille et réception de L'Atelier de Marie-Claire - Lettre d'Émile Fabre - Rouché
Texte
18 juillet 1920[1]
Les Sables‑d'Olonne (Vendée)
Rue des Bains, 4
Mon bien cher ami,
Je suis ici depuis le commencement du mois et votre lettre[2] m'y a rejointe le 6 seulement. Ce n'est pas pour m'excuser de vous répondre si tard. Cela ne peut pas s'excuser, et j'aime mieux vous dire que je suis un cochon, tout de suite, pour que vous ayez envie de rire et que vous me pardonniez.
Qu'elle est mignonne, votre Huguette, avec ses réflexions innocentes, et quelle bonne petite camarade elle doit être déjà pour ses parents ! Soyez sûr que dès que Jacques[3] saura distinguer les visages, ce sera toujours vers celui d'Huguette qu'il louchera.
Je suis ici avec mon fils[4], le médecin m'ayant recommandé expressément la mer pour lui. Il s'en paye, le gosse ! Si ses os ne deviennent pas durs à ce régime, je donne ma démission.
La mer m'a toujours été salutaire à moi aussi, et déjà j'en ressens les bienfaits. J'en retire une force nerveuse qui me manque souvent à Paris. C'est si bon de se sentir fort au moral !
Pour L'Atelier, je ne sais pas trop où j'en suis. Le 8e mille était en vente à mon départ. Les articles d'inconnus ont été plutôt bons, à part un ou deux grincheux qui ne trouvaient même rien à reprocher au bouquin, et qui s'en prenaient seulement à la protégée de Mirbeau.
J'ai reçu d'assez bonnes lettres. Entre autres, une d'Émile Fabre, de la Comédie française[5]. Je ne sais pas jusqu'à quel point il est connaisseur. Autour de moi on le dit gros dans les choses d'art, mais comme réclame, il me semble qu'il est assez bien placé pour me faire vendre pas mal de bouquins. Je n'ai eu garde d'oublier non plus[6] ce brave Rouché[7]. Vous voyez que je prends de l'esprit en vieillissant. Dame, la vie est difficile et il s'agit d'assurer la pâtée de chaque jour, pour deux personnes.
Je ne resterai sans doute pas rue des Bains. Le propriétaire de ma logeuse emploie tous les moyens en son pouvoir pour la flanquer hors de sa maison le 24 de ce mois. Il est dans son droit, et il a la loi pour lui. C'est dommage, car la petite maison n'est pas désagréable, et le gosse y a ses aises.
Au revoir, mon cher ami. Un bon baiser pour vous quatre.
Marguerite Audoux
[1] Lettre parvenue le 21
[2] Lettre non retrouvée
[3] Le second, qui est né le 27 juin
[4] Paul d'Aubuisson
[5] Lettre 269
[6] plus se trouve au‑dessus d'un mot rayé illisible.
[7] Jacques Rouché
Lieu(x) évoqué(s)Les Sables d'Olonne
État génétiqueVoir la note 6 de la partie TEXTE