Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Jean Viollis à Marguerite Audoux

Auteur(s) : Viollis, Jean

Description
  • Critique laudative de L'Atelier de Marie-Claire
  • Jean Viollis (1877-1932) est le pseudonyme d'Henri Ardenne de Tizac. Né dans une famille issue de la noblesse du Rouergue, il monte à Paris après avoir entrepris des études de droit et de lettres. C'est là qu'il entre, en 1902, dans la fonction publique, comme chef‑adjoint du cabinet de Joseph Chomié, ministre de l'Instruction Publique et des Beaux‑Arts. En 1905, il est nommé conservateur au Musée d'art asiatique Cernuschi. Il est deux fois en lice pour le Goncourt. La première fois, en 1908, il échoue de peu, présenté par Jules Renard pour Monsieur le Principal (cinq voix sur dix au deuxième tour, mais la voix du Président l'emporte et c'est Miomandre qui est lauréat). La seconde fois, en 1913, il est tout de suite éliminé, avant une lutte interminable entre Léon Werth et Alain-Fournier. (C'est un outsider proposé par Lucien Descaves, Marc Elder, qui l'emporte au onzième tour avec Le Peuple de la mer).
    Notons que Jean Viollis est un ami de longue date de l'auteur de Bubu de Montparnasse. Son nom apparaît parfois dans les lettres de Charles‑Louis Philippe à Emma Mc Kenty. Viollis a donné un article sur Philippe dans Vers et Prose, n° 20, mars 1910, p. 44‑48.
    Sur Jean Viollis, voir le P.S. de la lettre 71

    Andrée Viollis (1870‑1950), née Andrée Jacquet de la Verryère, seconde épouse du précédent, a donc pris comme pseudonyme (et nom de famille) celui‑là même de son mari. Journaliste célèbre de l'époque, elle est plusieurs fois aux côtés de Léon Werth dans ses luttes antifascistes et anticolonialistes : il a écrit Cochinchine en 1926 ; elle écrit Indochine SOS en 1935. Elle y dénonce notamment la torture arbitraire exercée par des légionnaires. Andrée Viollis conclut son avant‑propos en écrivant : « On m'a [...] reproché de faire œuvre antifrançaise en publiant au grand jour les erreurs et les scandales dont l'Indochine est le théâtre. Je viens de dire les hésitations et les scrupules qui m'ont longtemps retenue. Si cependant on persiste encore à estimer que c'est desservir la France que de servir la vérité, j'accepte volontiers le blâme. » Elle rédige aussi des articles sur notre romancière : « Marguerite Audoux conte la merveilleuse histoire de Marie‑Claire », in Les Nouvelles littéraires, 1926 ; et « Marguerite Audoux », in Le Petit Parisien, 21 janvier 1929.
    Voir Renoult, Anne, Andrée Viollis, une femme journaliste, Presses de l'Université d'Angers, 2004 [Prix Mnémosyne 2003]

Texte


Musée Cernuschi
7, avenue Velasquez
523.31[1]

[Paris] 26 mai 1920[2]

Chère Madame, dès que j'ai eu votre livre[3] j'ai commencé de le lire ; je ne l'ai plus quitté. Comment, Madame ? Vous avez eu un succès, un grand succès. Et vous ne l'avez pas exploité aussitôt ? Que dis‑je ? Ayant laissé passer les années, vous donnez un nouveau livre, aussi sobre, aussi discret, d'un art aussi simple et profond, enfin un livre « où il ne se passe rien », ‑ rien que la vie même, douce et amère, triste et gaie, mais toujours quotidienne, hélas, c'est‑à‑dire sans grands sommets ni précipices ‑. Madame, il faut que vous soyez vraiment une nature singulière, il faut que vous ayez la vraie vocation de souffrir, de sentir, d'aimer et d'écrire. Prenez garde, on vous l'a pardonnée une fois : nos juges de lettres vous absoudront‑ils d'y persévérer ? Elle les condamne[4] trop. Mais vous aurez le témoignage de lecteurs qui lisent tout simplement. Il me semble, vous qui avez si finement l'ouïe du cœur, que vous savez entendre lorsqu'un autre cœur bat comme a battu le vôtre ; lorsqu'une de vos pages mouille des yeux, c'est autant une larme de reconnaissance que d'émotion, et il y a ainsi bien des hommages muets, secrets et d'autant plus doux qui vont vers vous. Agréez le mien, Madame ; en somme, il est égoïste ; je vous remercie de m'avoir ôté pour quelques instants à cette sécheresse qui est notre plus grande souffrance. Dans un moment où la plupart des livres appellent le feu, je garde les vôtres comme réconfort et comme secours. J'y trouve force, douceur et profit, je vous le dis comme littérateur et comme homme.
Je signifie nous ; ma femme[5] pense et sent comme moi Veuillez accepter comme venant aussi d'elle ce que je vous dis, et croire, chère Madame, à notre commune, étroite et tout affectueuse sympathie.

Jean Viollis

[1] En‑tête imprimé en noir sur le papier pelure
[2] Lettre parvenue le jour même
[3] L'Atelier de Marie‑Claire (paru, pour mémoire, au début du mois)
[4] D'abord écrit condamnent. La finale a été biffée.
[5] Andrée Viollis
État génétiqueVoir la note 4 de la partie TEXTE

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 03/05/2024