Archives Marguerite Audoux

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Lettre autographe d'André Gide à Marguerite Audoux

Auteur(s) : Gide, André

DescriptionPréparation du numéro spécial de la NRF du 15 février 1910 consacré à Charles-Louis Philippe
Texte

Paris, le 28 décembre 1909[1]

Chère Madame,
L'adresse de Marcel Ray, s'il vous plaît ‑ que vous trouverez dans le petit carnet noir[2].
Je dois lui écrire en hâte ‑ au sujet des lettres et de l'article qu'il nous avait promis pour le No consacré à la mémoire de notre ami[3].
J'ai écrit à Guérin pour qu'il nous autorise à reproduire le portrait[4].
Avez‑vous retrouvé d'autres papiers hier soir ? ‑ Il me tardait de vous laisser seule avec Jourdain, dans ce pauvre appartement sans âme, et que nos paroles, nos gestes, notre présence trop nombreuse, profanaient.
Croyez bien que vous n'en aurez pas souffert plus que moi ‑ et pardonnez‑nous cette visite nécessaire.
A bientôt je l'espère ; dès que je vous ai vue il m'a semblé que je vous connaissais depuis longtemps.
Croyez à ma sympathie profonde[5].

André Gide


[1] Lettre parvenue le jour même.

[2] Le carnet d'adresses de Charles‑Louis Philippe (qui se trouve actuellement à la Médiathèque Valery-Larbaud de Vichy)

[3] Il s'agit du numéro spécial de la NRF du 15 février 1910 consacré à Charles‑Louis Philippe, où Marcel Ray écrira effectivement un article, « L'enfance et la jeunesse de Charles‑Louis Philippe » (p. 169‑194), dans lequel il cite une partie de la correspondance que l'auteur de Bubu lui a adressée, ainsi que d'autres lettres de Philippe à ses parents et à Giraudoux.

[4] Celui qui figurera effectivement au début du numéro spécial de la NRF. Pour plus de précisions sur ce portrait, voir la notice conacrée à Charles Guérin.

[5] On verra comment cette sympathie se révèle mitigée et éphémère, notamment à l'occasion de « l'affaire Bachelin », relative à la réédition de La Mère et l'Enfant de Charles‑Louis Philippe.

Notes
  • À propos de Charles Guérin (1875-1939) :
    à ne pas confondre avec son homonyme et contemporain, le poète né en 1873 et mort prématurément en 1907. Celui dont il s'agit dans cette correspondance est le peintre né à Sens le 21 février 1875 et mort à Paris le 19 mars 1939. C'est l'un des deux portraits qu'il a réalisés de Charles‑Louis Philippe[1] qui est reproduit en regard du court texte liminaire de Claudel (écrit le jour de Noël 1909, quatre jours après le décès de Philippe) dans le numéro spécial du 15 février 1910 de la NRF. Ce portrait est d'ailleurs signalé dans le Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs d'

    É. Bénézit (Gründ, édition de 1976, tome cinquième, p. 269). Guérin est élève de Gustave Moreau, admirateur de Cézanne et précurseur du fauvisme, sans pour autant suivre ses anciens camarades au bout de leur aventure picturale. En effet, tout en étant intéressé par l'avant‑garde et s'insurgeant contre l'académisme, Charles Guérin conserve néanmoins une facture traditionnelle, celle d'un portraitiste à la fois réaliste et romantique. Il accepta sa réputation de « peintre littéraire », et même de « jammiste », influencé par les poèmes de Francis Jammes, mais aussi par Verlaine et Colette, qu'il illustra. Le portait de Philippe, dont il était l'ami, s'inscrit donc dans cette tendance.


    [1] Le portrait reproduit est celui du tableau où les teintes bleues dominent, et où Philippe, vu de trois quarts, a les yeux fermés. après avoir appartenu à Charles Chanvin, il est ensuite passé par les mains du †Docteur Pajault. L'autre tableau, où Charles‑Louis Philippe est de face, les yeux ouverts, se trouve au Musée d'Art Moderne de Paris.

  • Rappelons, pour bien comprendre les lettres qui y font allusion, ce que fut « l'affaire Bachelin » (qui mettra plus ou moins un terme à la sympathie de Gide pour Marguerite Audoux, affirmée à la fin de cette lettre) :
    Un article que Marcel Ray fait paraître dans la NRF du 1er août 1911 nous instruit sur les vicissitudes éditoriales relatives à La Mère et l'Enfant de Charles‑Louis Philippe, dans lesquelles le germaniste joue un rôle non négligeable. Ce livre est écrit en 1898‑1899. La version primitive contient dix chapitres qui, assez rapidement, se trouvent réduits à huit. Une nouvelle révision, toujours avec la collaboration de Marcel Ray, aboutit à la suppression de tous les chapitres impairs. C'est cette version courte qui paraît aux éditions de La Plume en 1900. En 1911, lorsque les collaborateurs de la NRF envisagent de rééditer le roman, ils disposent donc de deux versions : celle qui a été éditée, et la version longue.
    La réédition qui est en chantier va vivement irriter le groupe de Carnetin pour deux raisons : ce qu'il considère comme la mise en avant intempestive de Bachelin, qui participe à l'établissement du texte ; et le manquement au respect des volontés de Philippe. C'est la lettre (118) que Marguerite Audoux envoie à André Gide qui semble mettre le feu aux poudres. Le premier des deux griefs y est clairement exposé, non sans précipitation et maladresse.
    Contre le groupe, Bachelin, Gide, et à sa suite la NRF, semblent faire bloc. Gide joue, comme il aime le montrer, son rôle d'arbitre. Le 20 mai 1911, il écrit à Bachelin :
    « Recommandation amicale de garder tout votre calme dans ces stupides potins autour de La Mère et l'Enfant, et surtout de crainte d'échauffer la querelle, que j'apaise de mon mieux [...]. [1] »
    Le second point de la querelle, nous l'avons dit, est pour les amis du groupe un sentiment de trahison vis‑à‑vis de Charles‑Louis Philippe. Les solutions proposées varient d'ailleurs d'un membre à l'autre. Tandis qu'un certain nombre (Marguerite Audoux, Gignoux, Werth) ne semblent prêts à accepter qu'une publication en appendice des pages écartées, Marcel Ray, quant à lui, serait favorable à une véritable édition savante, avec notes, et à tirage limité, tandis qu'on rééditerait parallèlement le texte réduit de La Plume avec un tirage beaucoup plus important. Larbaud, à l'inverse de la position d'universitaire de Ray, approuve la publication d'une version augmentée et à grand tirage, mais sans appareil critique. Tout cela est, selon lui, "étranger à la littérature". Larbaud souhaite aussi, dans le même esprit, que Gide renonce à la préface et aux appendices dont il voulait se charger[2]. C'est Larbaud qui va finalement imposer son point de vue puisque, à l'issue d'une réunion chez Gignoux, il est décidé pour contenter la majorité, et contrairement à ce que pense Ray, de faire deux éditions conjointes de La Mère et l'Enfant, l'une réduite à un tirage limité, conforme au texte de 1900, et l'autre complète, sans notes, et précédée d'une notice non signée. Apparemment, l'affaire est ainsi sagement résolue.
    Tout au long de ce conflit, tout en se proposant de calmer le jeu, une fois de plus André Gide ne peut totalement cacher son irritation. C'est ce qui apparaît dès la réception de la lettre (118) de Marguerite Audoux qui va entraîner deux réponses, la première à Bachelin, la seconde à la couturière (lettre 119). La lettre du 18 mai 1911 à Bachelin contient ce passage :
    « Ce matin, lettre de M[arguerite] Audoux m'apprenant qu'on dit que nous nous proposons de substituer votre nom à celui de Philippe sur la couverture du 1er livre ! De ces absurdités ne retenons que ceci : nous avons des ennemis que la moindre incorrection, la moindre coquille réjouira. Veillons donc à ce que le texte soit impeccablement correct, ‑ comme déjà nous eussions fait sans l'aide de leur animosité. [3] »
    "Nous avons des ennemis"... Les forces en présence ne sauraient être mieux définies! La lettre 119 que, le lendemain, il expédie à Marguerite Audoux ne peut apparaître que comme la marque supplémentaire d'une sympathie plutôt froide, sinon glacée. Marie-Claire est déjà loin, et... toute proche la rupture entre Marguerite et Michel, pour lequel on sait que Gide aura la préférence. Le ton de la réponse immédiate de Gide (lettre 119) souligne déjà cette distance.
    Jacques Copeau fait chorus puisqu'il écrit le 22 mai 1911 à Gide : "Très bien votre réponse à Audoux. Mais sa lettre suit si stupidement la question !" [4].
    Mais le principal intéressé, le "copiste" incriminé, va être encore bien plus virulent que la maison d'édition. Le procès d'intention dont Bachelin a été l'objet, son caractère et son goût pour la polémique vont le faire sortir de ses gonds. Le 21 mai au matin, il écrit à Gide :
    « Quant au crétinisme humain, c'est q[uel]q[ue] c[hose] de prodigieux. Également au reçu de votre lettre vendredi, j'en ai écrit une, salée, à M[argueri]te Audoux[5]. J'ai reçu sa réponse hier soir[6]. Et de cette même plumée d'encre, je vais lui riposter de nouveau[7]. Je ne peux pas admettre que des jaloux et des imbéciles m'embêtent.[8] »
    La dernière lettre de Marguerite Audoux mentionnée par Bachelin est une double tentative, pour se justifier et apaiser le destinataire. Mais elle intervient malheureusement trop tard dans cette querelle, et cette argumentation ne fait qu'irriter davantage le bouillant correspondant.
    [D'après notre thèse, tome premier, p. 361‑368].

    [1] Henri Bachelin, Correspondances avec André Gide et Romain Rolland, édition établie, présentée et annotée par Bernard Duchatelet avec la collaboration d'Alain Mercier, Centre d'étude des Correspondances, CNRS (UPR 422), Faculté des Lettres, Brest, 1994, p. 105. [C'est André Gide qui souligne].

    [2] Voir, sur la position et l'intervention de Larbaud, sa correspondance avec Gide (édition de Françoise Lioure, Gallimard, Cahiers André Gide n° 14, 1989), notamment sa lettre de Chelsea du jeudi 25 mai 1911, p. 81‑84.

    Voir aussi, dans la Correspondance GideCopeau, la note 1 de la lettre 382 du 27 mai 1911 (Cahiers André Gide numéro 12, Gallimard, 1987-1988, p. 496). C'est dans cette lettre que Gide se range à l'avis de Larbaud : "Je trouve que le petit père Larbaud parle d'or", écrit‑il à Copeau. (Ibid.)

    [3] Henri Bachelin, Correspondances avec André Gide et Romain Rolland, Op. cit., p. 102‑103.

    [4] Correspondance A. Gide ‑ J. Copeau, Cahiers André Gide n°12, p. 489 (double adressé à Copeau).

    [Il s'agit d'un P.‑S.].

    La lettre de Copeau commence ainsi :

    " La lettre de Marguerite Audoux dépasse en absurdité tout ce que la conversation avec Werth m'avait fait pressentir. "Chacun crie sans rien savoir de précis". C'est bien cela. Des potins. "

    (Ibid., p. 492).

    [5] Lettre non retrouvée.

    [6] Lettre 120

    [7] Lettre 122

    [8] Henri Bachelin, Correspondances avec André Gide et Romain Rolland, Op. cit., p. 107. [C'est Bachelin qui souligne].

Lieu(x) évoqué(s)Paris

Lettres échangées


Collection Correspondants

Cette lettre a comme auteur :
GIDE, André

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 03/05/2024