CORREZ

CORREZ - Édition des lettres internationales adressées à Émile Zola


Lettre de Jean Psichari à Émile Zola du 17 janvier 1898

Auteur(s) : Psichari, Jean

Transcription

Texte de la lettre

17 janvier, 1898

 

Mon cher maître,

     

Vous êtes entouré de conseils trop éclairés et vous êtes vous-même de trop bon conseil pour que mon avis vaille quelque chose. Mais enfin voici ce que je crains. Ils vont encore essayer de leur système de l’année dernière dans les affaires grecques : le système du coton et du silence. Ils laisseront le temps passer, l’émotion s’user, ils trouveront moyen de faire traîner les poursuites et surtout le procès. Le président du Conseil se fera peut-être interpeller. Il répondra que nous traversons un moment grave, qu’il convient de laisser les esprits se calmer (tactique déjà suivie), que l’armée a besoin de toute sa force morale, que le devoir du ministère est d’éviter toutes complications internationales possibles et qu’en un pareil moment il faut se taire. Vote de confiance etc. Peut-être iront-ils jusqu’à promettre la révision. Or, la révision, avant la Cour d’Assises, est un leurre. Et tout, tout sera leurre toujours, sans le procès. Je vous dis cela, parce que pas plus tard qu’aujourd’hui j’ai surpris chez un homme éclairé l’opinion suivante : «Pourvu qu’ils ne nous amènent pas la guerre. Nous n’allons pas, n’est-ce pas ? être obligés de dévoiler à l’ennemi tout notre système de renseignements ». Ainsi s’exprime un antirévisionniste. Mais voyez quelle prise cela peut avoir sur le public !  Moi, je suis persuadé qu’ils sont capables de nous menacer même d’une guerre, car, pour se sauver, ils n’ont qu’un moyen, c’est de tout perdre. Je me demande donc s’il convient de les laisser s’endormir et si, le moment venu, un cri de vous : J’attends, ne bouleverserait pas fort à propos leurs beaux petits projets.  Il est certain que rien ne peut les épouvanter plus que la Cour d’assises. Et je le comprends.

Moi, je suis exaspéré : l’aveu cynique, dans les journaux ministériels, de l’état où se trouve le martyre de l’Île du Diable, fût-il le plus noir des criminels, est chose à bouleverser l’âme.

                                                                                                                Vôtre, toujours vôtre,

                                                                                                                                Jean Psichari

Ne me répondez pas : vous avez mieux à faire.

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Notice créée par Athina Markopoulou Notice créée le 05/02/2019 Dernière modification le 25/08/2020