CORREZ

CORREZ - Édition des lettres internationales adressées à Émile Zola


Lettre de Jean Psichari à Émile Zola du 8 mai 1899

Auteur(s) : Psichari, Jean

Transcription

Texte de la lettre

8 mai 1899

Paris

 

                Cher Maître,

               Je vous envoie dès aujourd’hui La Croyante. Je ne la mets pas encore en vente, le moment n’étant pas bon. Mais j’ai hâte de vous faire connaître, quoique hélas ! exprimés imparfaitement, les sentiments qui m’ont dicté la dédicace.

                Je dis que le moment n’est pas bon. C’est au point de vue éditeur que je parle. Car il est au contraire excellent en tout le reste et la victoire aujourd’hui me parait chose sûre. Je crois d’autre part que nous ne saurons pas tout avec l’arrêt et que les révélations suivront, d’autant plus efficaces qu’elles tomberont sur un public tour préparé, tout mûri par l’arrêt. Vous savez sans doute que nous devions en avoir un petit lot récemment, palpitant de nouveauté et d’imprévu. Le gouvernement l’a su si bien qu’il a mis son fusil… en bandoulière. C’est là ce qui pour moi explique son changement d’attitude. En ce qui touche la date des débats suprêmes, des renseignements contradictoires circulent. Il semble bien qu’ils ne viendront pas avant le 29 mai ou le 2 juin. Je ne crois pas au renvoi, sans avoir du reste aucune information précise à cet égard. Mais le renvoi ne paraît guerre possible. Retour singulier des choses d’ici-bas. Ce serait aujourd’hui trop beau pour nous. Ils feront donc leur possible pour atténuer la victoire et surtout pour éviter la débâcle que serait pour eux la comparution devant un conseil de guerre des témoins à charge qui seront tous des accusés. Ce serait beau la confusion des criminels, leur flétrissure devant l’innocent. Mais ces grands spectacles ne sont possibles qu’avec une grande vertu. Et c’est de vertu que nous manquons. Je ne déplorerais pas outre mesure la révision sans renvoi, c’est-à-dire la cassation pure et simple. L’ennemi est subtil et retors ; ils auraient le temps de bien des canailleries entre l’arrêt et le conseil de guerre, sans parler du retour.

           Il m’est revenu, quoi que je me méfie des informations cueillies sur passage, que dans votre grand cœur et dans votre haute pensée vous incliniez maintenant à l’indulgence et au pardon. Je dis que je me méfie des informations, uniquement parce que je connais pas les termes de la lettre à laquelle je fais allusion et non point parce que cette bonté et cette élévation puissent surprendre de votre part. Mais il sera difficile aux criminels d’échapper. Et ce ne serait pas justice. Je vous avoue qu’on ce qui me concerne la Mémoire ancestrale agite ses fouets à travers tout mon sang. Si les misérables ne sont pas punis, demain ils recommenceront – comme ils ont recommencé pour n’avoir pas été punis des crimes anciens, comme Bazaine, le boulangisme et le Panama ont recommencé. La bonne harmonie des choses, l’ordre même de l’univers ne commandent-ils pas le châtiment or je dirais même les représailles ? Cela est extraordinaire de voir comme à l’heure qu’il est encore les perfidies, les mensonges, les ignominies vont leur train. Ils en ont trop fait et ils en font trop.

            C’est vous, cher Maître, c’est bien vous qui avez été l’origine du grand mouvement de justice qui se fait, plus encore : vous aurez été l’origine du grand mouvement social qui se prépare. Cela doit vous consoler de bien d’amertumes ; cela doit vous faire aimer votre exil. Votre lettre est une date, un point de départ, une époque. Ah ! vous pouvez dire qu’en dehors de votre œuvre vous avez pris vos précautions contre le temps. Vous êtes infailliblement immortel et votre nom seul est de l’histoire. Grand écrivain et grand homme, dans toute la largeur des sons que ce nom d’homme comporte. Je me faisais ces réflexions là-bas, en vous quittant à la gare où vous m’aviez accompagné. Je voyais bien ce qu’il y avait à ce moment de tristesse dans votre adieu au voyageur qui rentrait en France. Dans l’émotion intense que j’[ ?] je me ramènerais en songeant à l’immensité de votre acte, à votre entrée en possession de l’avenir.

            Je vous serre avec effusion les deux mains. Sachez moi toujours vôtre, très vôtre.

Jean Psichari

PS : Si La Croyante paraît après l’arrêt, je ferai naturellement un carton pour la dédicace. Ce ne sera plus pendant l’exil ; ça devra être forcément après.

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Psichari, Jean, Lettre de Jean Psichari à Émile Zola du 8 mai 1899 , 1899-05-08. Édition des lettres internationales adressées à Émile Zola. 
Centre d'Étude sur Zola et le Naturalisme & Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle)..
Consulté le 25/04/2024 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/CorrespondanceZola/items/show/6802

Notice créée par Athina Markopoulou Notice créée le 05/02/2019 Dernière modification le 25/08/2020