Transcription
Texte de la lettre
26 mars 1901
Cher et e excellent maître,
Je reçois ce matin de chez Fasquelle le carton que je joins immédiatement au volume de « La vérité en marche », dont vous avez eu l’extrême bonté de m’envoyer un exemplaire avec quelques mots qui m’ont ému profondément. Je veux vous en parler depuis lors. Je l’ai parcouru tout de suite, presque lu en entier. Je l’ai surtout revécu. Je suis sorti de cette lecture avec une admiration ardente pour vous et avec une haute tristesse. Comme vous aviez vu tout de suite que, dans l’Affaire, il ne s’agissait de rien moins que de cette grande affaire qu’est la France. Vous dites que c’est le romancier qui a d’abord été séduit chez vous. Si cela est vrai, c’est donc que la conscience de ce romancier est aussi puissante que son génie. C’est l’homme, c’est le patriote, c’est le penseur qui ont vibré chez vous à la fois, qui se sont révoltés. Et quelle pureté souveraine dans votre vision, dans votre vouloir du juste et du vrai! Qeul magnifique et splendide désintéressement! Quel cristal [?], puisque vous appliquez le mot [?] à Scheurer, que toute votre attitude! Je vous ai vu, je vous ai serré la main dans les grands jours ; c’est là ma gloire et ma tristesse. Oui, je suis triste, non pas pour vous seulement, je suis triste pour ce pauvre et trop aimé pays. Je crains bien que nous ne voyions bien bas décidément, puisque l’on ne vous dresse pas un piédestal à vous qui eutes au moment voulu le geste héroïque et sauveur. Il s’agit bien de cela. Non seulement on n’a pas fait justice ; on a étouffé toute possibilité de la faire. Ah ! que nous sommes malades! Et aveugles et sots! Pour vos amis, pour ceux qui vous aiment et vous comprennent, votre isolement est grand et beau. Je sais bien, et vous savez aussi ce que dira l’histoire. Mais que voulez vous? J’ eusse désiré que son jugement se fît moins attendre. Je voudrais vous voir aux yeux de tous, aux yeux de ce malheureux peuple que l’on adore toujours, ce que vous êtes : le grand Français et le grand homme. Au moins pouvez vous être animé que pour nous - et déjà nous sommes légion - votre culte vit profondément dans nos âmes. Et vous savez peut-être – sans que je vous l’aie dit bien souvent! – l’admiration et l’amour que j’ai pour vous.
Je vous envoie un petit tirage à part - suite d’une conversation que nous avons eue en Angleterre! Il s’agit de la pièce cette fois. Mêmes erreurs, mêmes égarements, mêmes crimes que quelques uns de ceux que nous avons vus, même acharnement à paralyser les forces vives d’un pays qui peur grandir par la pensée. Je vous ai dit la part que j’ai prise à ces luttes. Vous en retrouverez un écho dans ces quelques pages. Je suis poète grec et citoyen français. Voilà comment j’ai pu combiner deux devoirs.
Nous ne venons pas le jeudi soir rue de Bruxelles, parce que nous ne sortons pas du tout cet hiver, pas du tout. Nous avons refusé chez tous nos amis. Des considérations de travail et de santé m’ont obligé pour un temps à ce cénobitique. Je tenais à vous le dire, car je n’avais pas eu le temps de vous en parler la dernière fois que je vous ai rencontré rue de Chateaudun.
Vôtre, toujours tout vôtre
Jean Psichari
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