Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Collection : 1839 ( 12 octobre - 11 novembre) (1839 : De la Chambre à l'Ambassade)

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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310 Du Val-Richer, Mercredi 6 nov. 1839
7 heures et demie

Depuis quelques jours, je vois avec bonheur croître le chiffre de notre correspondance. Il touche à son apogée. Il se reposera là bien longtemps.
Les journaux que j’ai repris attentivement hier, ne parlent d’aucun accident dans la mer du Nord. La traversée n'est pas longue. Je compte que vous me donnerez au premier jour des nouvelles d'Alexandre. Je ne veux vous retrouver ni triste, ni malade. Il y a pourtant des choses qui finissent. Je vous retrouverai avec vos affaires arrangées. Pas aussi bien que je voudrais, tant s’en faut, mais enfin arrangées. Vous souvenez-vous combien de fois vous m'avez dit qu'elles ne s’arrangeraient pas ? J’ai été aussi bien inquiet. Il arrive deux choses. Tout ne tourne pas aussi mal qu’on l'imaginait. On se résigne à une grande partie du mal. Il faut accepter ces termes-moyens de la vie. Le repos est à ce prix. Il n’y faut jamais réduire son âme. Ce serait là de la décadence. Il y a une vraie consolation à planer, au dedans, bien au dessus de ce qui se passe et de ce qu’on accepte au dehors.
Ma mère a encore été souffrante hier. Je crains l’hiver. Elle a heureusement une grande force intérieure. Je ne connais personne de plus inaccessible à l’abattement. Dans sa longue vie, je l'ai vue souvent au désespoir, pas un moment abattue. C’est un puissant moyen de résistance même à la maladie. Je crois au moins autant à l'influence du moral sur le physique que du physique sur le moral.

10 heures
Les premières lignes de votre lettre me désolaient. Je n'y comprenais rien. La distribution a donc tardé à Paris. Enfin bientôt, nous ne courrons plus ni l’un ni l’autre aucune chance d'inquiétude, c’est- à-dire de cette inquiétude là. Adieu. J’ai trois lettres d'affaires à écrire par le facteur qui attend ; des lettres de départ autour de moi. Oui à huit jours. Adieu. Adieu
Je persiste sur D. Carlos. La mise en liberté immédiate eût mieux valu en effet. Mais celle-là aussi n’était pas possible. La Chambre est convoquée, pour le 23 déc. Les Pairs sont nommés. M. Rossi en est. Mais vous savez tout cela. C'est ennuyeux de ne pas savoir et faire toutes choses ensemble. Nous y touchons.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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308 Paris le 6 Novembre 1839, J’ai dîné hier chez les Appony, plus tard j’ai été chez Madame de Boigne. Elle est maintenant fixée ici. Rien ne m’a paru plus ridicule que la demi-heure que j’y ai passé. Il y avait M. de Sainte Beuve (dis-je bien ?). Les premières deux minutes il causait à voix basse avec M. Rossi, lorsque le chancelier est entré. Madame de Boigne sans lui dire bonjour ni bonsoir lui montre M. de Sainte- Beuve, et lui dit qu'il soutient les Jansénistes, depuis cet instant je n’ai plus entendu que Pascal Arnaud, Nicole, avec un flux de phrases, de sentences d'un côté et de l’autre à tel point qu’il a été impossible de dire un mot ou d’avoir une idée. Un fond, j'avais bien envie de rire. C'était une véritable exhibition je crois que c’est comme cela que l’entendaient ces messieurs. M. Rossi m’a plu, il n’a pas ouvert la bouche. Je l'aimerais tout-à-fait s'il pouvait savoir qu'il a trouvé cela aussi ridicule que moi, mais j’en doute. Quant aux enterlocuteurs je n'ai jamais vu des airs plus satisfaits, et lorsque je suis partie, car je suis partie au beau milieu d’une discussion superbe, je suis persuadée qu'ils se seront dit que j’étais confondue, c'est bien voir cela, mais pas tout-à-fait comme ils l’entendent. Savez-vous que c'est bien français ! Ne vous fâchez pas, d’autant plus que vous n’auriez pas fait cela. Dieu me garde du salon de Madame de Boigne, franchement je ne le trouve pas poli. Je voudrais avoir à vous dire mieux, mais il me semble qu’il n’y a rien. Montrond est venu hier matin, il m’a dit qu’il n'était pas content du roi ; que le roi lui paraissait trop faible ; qu’après avoir tant dit qu’il donnerait à Don Carlos ses passeports, il lui avait dit hier qu’il fallait attendre ; qu’il n’avait pas l'air de savoir ce que les ministres font mettre dans le Moniteur, que pour lui Montrond il était outré de l’im pertinence de leur masfeste en réponse aux Débats. Enfin Montrond hier était non seulemet opposition au ministère, mais opponsition au Roi. Molé a vu avec le Roi un long entretien

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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312 Du Val Richer, jeudi soir 7 Novembre 1839
9 heures

Je pense que depuis plusieurs jours, je ne vous écris que de courtes lettres. Cela me déplaît. Au moment où je vous écris, la perspective de Mercredi soir m’apparaît et je m'arrête. Ma lettre m’ennuie. Quand elle est partie, sa brièveté me choque ; tout ce que j’aurais pu vous dire me revient à l’esprit. C’est une conversation qui me manque. C’est presque vous qui me manquez. Presque quasi. Vous dites que le cœur n’a pas d’esprit. Ce n’est pas vrai. Je ne connais rien qui en ait autant. Rien qui en donne autant. Quel est l'amoureux qui n’a pas d'esprit. M. de Sainte-Beuve en a, sans être amoureux ; mais du plus alambiqué, quintessencié, un peloton embrouillé qui se dévide dans un labyrinthe.
Je vous vois d'ici immobile, grave étonnée, regardant les interlocuteurs, et vous en allant. Vous avez raison. C’est un défaut Français de s'adonner tout entier à une idée, une fantaisie, une conversation, une personne et de ne plus faire attention à rien ni à qui que ce soit. Défaut aggravé de notre temps par les habitudes de coterie. Les habitués d'une coterie sont peu polis. Ils se voient tous les jours, et ne se gênent plus entre eux. Delà à ne se gêner pour personne, il n’y a pas loin. Puis, il y a un argot dans une coterie, & ceux qui le parlent oublient que tout le monde, n’est pas initié. M. le Chancelier, en sa qualité d’ancien parlementaire, se croit obligé d’être pour les Jansénistes d’aimer les Jansénistes. Il ne les connait, ni ne les aime. Rien ne ressemble moins à un Janséniste que cet esprit tout d’expédients, de billets du matin, de visites du soir, avisé, expérimenté, glissant beaucoup et ne tombant jamais. Pascal l’aurait mis dans ses Provinciales. Mais n'importe. Ses pères étaient Jansénistes. Il n'en entendra pas parler avec indifférence. Il ne cessera pas d’en parler. M. de Ste Beuve n’a pas les mêmes raisons de passion. Il a les raisons contraires, ce qui vaut tout autant. Il est, lui, un converti à l'amour du Jansénisme, un ancien libertin et incrédule qui s’est épris d’un enthousiasme littéraire pour austérité et la dévotion. Il a le zèle du novice comme M. le Chancelier, celui de l’hérédité. Vous qui n’avez ni l’un ni l'autre, vous ne vous êtes pas trouvée de la coterie. Après avoir concédé, il faut résister. Il y a des impolitesses nationales. Chaque pays a les siennes. Quand nous serons ensemble, je vous dirai celles que je trouve aux Anglais. Pour le moment, je ne parle de M. de Ste Beuve qu'à vous. Je n'en veux pas parler légèrement. Il écrit à mon sujet une espèce de brochure qui doit paraître cet hiver dans la Revue des deux mondes. On m'a dit cela.

Vendredi 7 heures et demie
Je me lève par un singulier effet de lumière. Le ciel est rouge comme au plus chaud soleil couchant du midi. Il fait froid. Le temps ne me fait plus rien. Il n'y a point et il n’y aura point de querelle sérieuse entre le Roi et son Cabinet. Ils se céderont toujours assez l’un à l'autre pour que le dissentiment n'aille jamais au delà de l'humeur. Et comme ils n’ont pas la prétention d'être amoureux l'un de l'autre entre eux l'humeur ne fait rien.

10 heures
Je ne me résigne pas à ces affaires de Péterbourg, à ces entraves de Paul, à ce renouvellement perpétuel de procédés inouïs. Il m’est venu de là depuis six mois, plus de vraie colère intérieure que d'aucune autre source depuis bien des années. Adieu. Adieu. Les jours s’écoulent. Trop lentement, mais ils s’écoulent. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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311 Du Val-Richer, jeudi 7 Novembre 1839
8 heures

On emballe autour de moi. Il part après demain, par le roulage des caisses de livres, d'effets, de fruits. C’est un vrai déménagement tous les ans. Mais celui-ci me plait.
Le Journal des Débats et le Moniteur sont en effet assez amusants. Et comme il arrive, ils ont tous deux raison. Ce qui me frappe aussi, c’est le Constitutionnel d'avant-hier mardi. Il est bien à la gauche. Depuis quelque temps Thiers avait paru chercher à se rapprocher du centre. Le voilà qui s'en éloigne fort. Je m’y attendais. Nous causerons de tout cela. J’ai perdu l’habitude de causer. Mais je la reprendrai avidement. Viendra-t-il beaucoup de vos Anglais, cet hiver à Paris ? Il me semble que non puisqu'ils partent pour l'Italie. A présent que vous voilà fixée à Paris, vous deviendrez une étape pour tout ce qui ira d’Angleterre sur le continent. Personne ne passera sans vous voir.
J’en suis fâché pour Bulwer. C'est peu aimable de la part de Lady Granville. Est-ce qu’ils ne l’ont pas vu, avec plaisir succéder à Aston ? Le leur a-t-on donné sans leur demander, si le choix leur convenait ?
Je comprends qu'on ait de l'humeur contre le Roi Guillaume. Mais en conscience, il ne doit rien aux trois Puissances. Elles lui ont donné de belles paroles et l’ont complètement abandonné en toute occasion. Politique à part, et ne fût-ce que par malice, il a bien fait. Il a bien fait aussi au fond. Il est rentré dans sa position naturelle. Il appartient, par toutes sortes de raisons à la politique occidentale. L'affaire de la Belgique, l’en avait seule éloigné. Et puis c’est la condition d’un peuple de négociants de rester étrangers aux querelles des trônes et des races, et de faire partout ses affaires. Du reste soyez sûre qu'avant de reconnaître il a consulté le Johannisberg.

10 heures
Mes lettres ont tort de vous arriver tard. Je ferai mieux moi-même. En attendant, je vous quitte pour donner les livres que je veux remporter. Vous avez bien raison de ne trouver aucun salon bon, ni personne aimable. Ne soyez bien que chez vous et avec moi. Adieu. Adieu dearest. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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314 Du Val-Richer Dimanche 10 Nov. 1839
8 heures

Vous n’avez pas d’idée de l'activité qui règne dans cette maison. Je plante un bois ; je fais un chemin. Je redresse des allées. Je sème des fleurs pour l’été prochain. Et mon factotum est encore dans son lit. Ce n'est rien de grave. Mais il ne sera sur pied et bon à quelque chose que lorsque je serai parti. J'admire quel air d’importance et d'entrain on peut mettre à des choses dont on se soucie si peu. Les soins et les agréments de la vie extérieure sont charmants dans le bonheur ; mais il n’y a pas moyen d'en faire le bonheur même. Je ne l’ai jamais cru, ni tenté.
A part son chagrin, le Chancelier doit avoir bien de l'humeur autant qu’il peut en avoir. On ne lui a pas envoyé une levée de Pairs bien éclatante. On a en pourtant bien de la peine à se mettre d'accord sur ces vingt noms. Le Roi a livré une grande bataille pour M. Viermet le plus ridicule des hommes de courage. Il ne l’a emporté que la veille du Moniteur, à 10 heures du soir. Enfin il l’a emporté, tandis que le Chancelier a été battu sur M. Etienne, dont il ne voulait pas. Que disent les Granville, que dit surtout Bulwer des Affaires d'Espagne ? L'Angleterre reste-t-elle là à la tête des radicaux ? Poursuivra-t-elle sa rivalité d'influence avec nous ? Je reprends intérêt à l’Espagne. J’ai recommencé depuis que je connais Zéa. En lui, pour la première fois, j’ai entrevu un homme au delà des Pyrénées. Evidemment, il y a là, dans ce moment quelque chose à faire. Bien difficile ; mais la difficulté dans la possibilité, il n’y a que cela qui vaille la peine qu’on y mette la main. Je ne comprends pas pourquoi vos caisses arrivées au Havre, ne sont pas depuis longtemps à Paris. Ce n’est qu'un ordre d'expédition à donner. Quelque grand serment que soit Rothschild, il peut faire cela, sans déroger.

9 heures et demie
Vous serez ce matin aussi contrarié que moi du jeudi au lieu du mercredi. Pas plus, je vous en réponds. Je ne vous dirai qu’une chose. Finissez avec vos fils. Il faut absolument qu’ils vous donnent, en échange du leur part du capital anglais, l’ordre à Bruxner de vous envoyer ce qui vous appartient. Je ne comprends pas comment ils ont pu l’empêcher, comment Bruxner, s'est laissé interdire par eux ce qu’il était de son devoir de vous envoyer sur le champ. Mais tout cela est si étrange, hommes, choses, procédés, pays que je ne compte sur rien et ne m'étonne de rien. Pourquoi ne chargeriez-vous pas Cumming de cela comme du reste ? Il en sait assez pour que cela de plus ou de moins ait bien peu d'importance. Mais sans aucun doute, ordre pour ordre, argent pour argent. Je suis affligé, blessé, irrité, humilié de tout cela. Adieu. Adieu. Au moins vous n'avez plus d'inquiétude. Adieu Dearest. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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311 Paris 9 novembre 1839. Samedi

Dieu merci il n'y aura plus ni jeudi, ni vendredi, ni samedi entre nous. Je vois passer les jours avec un plaisir extrême. Cependant je voudrais bien avoir le cœur tranquille sur Alexandre. Il ne faut entre Hambourg & Londres que 36 heures, et voici 10 jours ! car il a dû s'embarquer le 29 octobre ! Il me semble que vous êtes presque, aussi content que moi de mercredi le 13 ? Je vais le plus que je puis en promenade tous les jours au bois de Boulogne. C’est triste, seule, mais c’est de l'air. Je suis toujours rentrée pour 4 heures car c’est le seul moment où je vois du monde chez moi.

Onze heures. Voici une lettre d'Alexandre de Londres. Il y est heureusement arrivé. Sa lettre est froid, il est auprès de Paul. Il me dit qu’il ne peut pas fixer le moment de son arrivée ici, parce qu’il faut qu’il termine ces affaires à Londres. C’est donc de moi que cela dépend, et tout cela digne de ce que vous me direz. Il est clair par la lettre de Bruxner que mes fils l’empêche de me payer ce qui me revient. Je suis extrêmement irritée de cela, et je veux au moins qu’en recevant de moi le capital anglais je reçoive d'eux l’ordre à Bruxner de m'envoyer ce qui m’appartient. Mais voilà ce que je ne sais à qui confier. Mon frère comme de coutume ne se doute de rien et m’a écrit dans le temps que le banquier m’enverra l’argent où & quand je voudrai. Je vous assure que je suis 3 parfaitement sick de toutes ces affaires si je pouvais les remettre à quelqu’un ! Mais qui sera-ce quelqu’un ? Point de nouvelles du tout. J’ai vu du monde hier, mais je n'ai rien appris.
Adieu. Adieu. Je ne me porte par bien. J’attends mon Médem. God bless you.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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313 Du Val Richer Vendredi soir 8 Nov. 1839
9 heures

Je suis très contrariée. Je ne puis partir que le 13 au soir. Il me faut toute la voiture, et on ne peut me la donner toute entière que le 13. Le 12 elle est prise en partie. Je ne vous verrai que le jeudi soir 14 au lieu du Mercredi. J’étais si content d'avoir gagné un jour. Soyez bien contrariée aussi. C’est la moitié de mon chagrin et toute ma consolation.
Il faut que Génie vous soigne extrêmement car il s’excuse de vous négliger. Il m’écrit. " Depuis huit jours, je néglige un peu Madame le Princesse de Lieven. C'est que nous avons repris nos travaux à la cour. Je suis de Chambre trois jours de la semaine et obligé de travailler chez moi les autres jours, Seriez-vous assez bon pour expliquer cela à Madame de Lieven, afin qu'elle ne croie pas qu'il y a de ma faute ? Convenez que c’est une bonne et consciencieuse créature.
Je n’ai point et n'ai jamais eu d'inquiétude vraie sur nos rapports avec vous pour l'Orient. Encore une fois, nous sommes tous pacifiques. Et Pahlen reviendra le 10 décembre. Vous voyez bien que nous sommes au mieux. Vous me donnez le bulletin de toute la famille, Impériale, grands et petits, et je m’y intéresse. N’entendez-vous rien dire d'Afrique ? Au bout de toutes ces courses du Duc d'Orléans, de toutes ces enthousiasmes arabes, j'attends toujours des coups de fusil. Je n'en ai nulle envie. J’ai envie que ce jeune homme se conduise bien et réussisse. Parle-t-on, dans votre monde du voyage du Duc de Bordeaux en Italie ? Je vous fais des questions comme si je n'étais pas sur le point d’aller chercher les réponses. Que ce jour de plus me contrarie ?

Samedi 9 heures et demie
Je me lève. Je voudrais avoir quelque belle histoire à vous conter et à me conter pour charmer votre contrariété et la mienne. Je n’en ai point. J'ai pourtant reçu hier une lettre de Montevideo, (république nouvelle et chancelante, comme tant d'autres, entre le Brésil et Buenos Aires) d’un homme qui m’avait demandé un service, il y a quatre ans. Je le lui ai rendu il y a près de trois ans. Il l’a appris il y a plus d’un an, et il m'écrit avec passion pour m’en remercier mettant à ma disposition tout ce qu’il peut dans l’Amérique du sud, où il peut quelque chose. Je n'en ai que faire. Il ne peut m'envoyer le jour qu’on m'a pris.
Mes filles m'ont fait de la musique hier au soir leur musique. Pauline a beaucoup plus de dispositions qu’Henriette. Henriette a des doigts excellents, mais une intelligence plus active que ses nerfs ne sont susceptibles. Les impressions qu’elle reçoit ne lui suffisent pas ; il faut que son esprit agisse. Pauline est tout nerfs et impressions. Elle se fondrait à entendre de la musique comme la cire se fond au feu & la neige au soleil. L’une est aisément distraite l'autre aisément absorbée. L’une résonne, l'autre raisonne. Au fond, pour tout ce qui est vertu, caractère, jugement, elles sont parfaitement élevées. Il y manque deux choses l’une, que je suppléerai. L'autre je ne sais pas. Avec leur mère, rien n’eût manqué.

10 heures
Ne soyez pas souffrante, je vous en conjure. Je crains mille fois plus votre mauvaise santé que tout le reste. Je soignerai votre tristesse. Je soignerai votre ennui. Je ne puis rien pour votre santé, et de tous les sentiments, le plus amer est celui de l’impuissance dans l'affection. Adieu. Adieu. A jeudi seulement. Voilà un ennui. Ecrivez-moi jusqu'à mardi inclusivement. Je recevrai votre lettre mercredi avant de partir. Je vous écrirai encore Mercredi matin. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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309 Paris, vendredi le 8 Novembre 1839

Je ne suis pas bien, j’a passé. une très mauvaise nuit, mais voici votre déménage ment qui m'arrive et qui me donne de la bonne humeur. J'ai besoin de cela car du reste je suis triste, triste de Paul, inquiète d'Alexandre.
Madame de Boigne est venue hier me faire des excuses du jansénisme. Elle dit que c’était pour distraire le pauvre chancelier, elle parle mal du Ministère c.a.d. qu’elle ne leur donne pas une longue vie. C’est bien ce que dit tout le monde mais cela ne me parait pas avoir grande valeur ici. J’ai eu une lettre bouffonne de Lord Brougham, et une autre de Lady Clauricarde. Elle part toujours pour Pétersbourg & Lord Brougham arrive dans trois semaines. Il n’y a pas la moindre nouvelle, j’ai vu Appony qui ne savait rien. Je ne reçois pas encore le soir ; je ne sais pourquoi l'idée de recevoir m'ennuie profondément. La vie de garçon me plait encore dans huit jours je commencerai.
Mes caisses arrivées au Havre il y a quatre semaines. n’arrivent pas encore à Paris, les banquiers grands seigneurs ne sont pas commodes pour les petites choses. & sans ces petites chose je ne suis pas complète. Cela m’ennuie. Adieu, que de choses à vous dire, grandes et petites, & surtout douces. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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315 Du Val Richer. Lundi 11 Novembre 1839
7 heures et demie

Enfin, nous voilà dans la bonne semaine. Car je suis de ceux qui regardent le Dimanche comme le dernier jour de la semaine. Après demain, je serai en route vers vous. Et vers vous définitivement établie chez vous, en France chez moi. Quelle inextinguible soif du définitif dans notre âme ! Il nous fuit toujours et nous le poursuivons toujours. Sans qu'aucun mécompte parvienne à dissiper notre illusion et à lasser notre désir. N'est-ce pas c’est définitif ? Si je n'y croyais pas un peu, je ne jouirai de rien. Si j’en étais tout-à-fait sûr, tout serait ravissant. Dites-moi que c’est sûr. Me direz-vous, quand j’entrerai que vous vous portez bien ? Vous êtes certainement mieux que vous n'étiez en arrivant de Baden. Je n’ai personne à vous donner pour vos affaires. Et puis cela ne servirait à rien. Il faudrait bien qu’on vous en parlât quelque fois, et vous vous en occuperiez, vous vous en préoccuperiez tout autant qu’à présent. Au fait, elles vont finir. Vous tenez le dernier de ces ennuis. Une fois le capital de Londres, partagé votre argent venu de Pétersbourg et placé, vous n'aurez plus de débat à soutenir ni de question à résoudre. Vous ferez vos affaires toute seule, ou plutôt, elles se feront toutes seules. Voilà un coup de soleil charmant sur la vallée jaune et verte variée de toutes les nuances de l’automne. Il n'y a de charmant que la grande route.

10 heures
Si vous aviez la moindre expérience de ces choses là, vous sauriez qu’en province, on ne s'assure pas d’une voiture, le jour où on veut. J’ai eu tort de vous dire que je parlais le 12. Dès que je m’y suis décidé. J’aurais dû attendre que la voiture me fût assurée. Une autre fois, je serai plus réservé. Mais je ne veux pas vous rendre votre gronderie. Je suis un hypocrite, car la voilà rendue. Le droit est pour vous, sans nul doute, pour la vaisselle, et je suis d’avis du fait. Demandez sans hésiter, votre part immédiates, en nature, ou en argent. Ici cela ne ferait pas un pli, à Pétersbourg, je ne sais pas. Pourtant il me paraît impossible qu’on ne vous fasse pas droit. C’est inconcevable, inconcevable. Servez-vous du capital anglais. C’est votre arme, arme bien innocente à côté de celles qu'on emploie contre vous. Mais ici, j'espère qu’elle sera efficace. Je ne serai jamais assez étonné de tels procédés. Adieu. Vous avez fort contribué à rendre toutes mes paroles exactes. Vous m'apprendrez aussi à ne rien dire d'avance. Adieu, pourtant à jeudi. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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312 Paris, Dimanche le 10 Novembre 1839

Vous avez assurément le talent de me contrarier beaucoup. Il était facile de vous assurer de la voiture dès le jour où vous avez fixé votre départ. 24 heures est peu de chose peut-être et c’est beaucoup pour moi, beaucoup de deux manières. Pour mon plaisir, d'abord ; & puis pour mes affaires. Cette contrariété par dessous ma mauvaise journée d'hier fait quelque chose de complet comme tristesse. Aussi suis-je parfaitement triste. Rien ne va pour moi, tout va contre moi dans le monde, et c’est cette vérité visible en toute chose qui fait que la vie m’est insupportable.
Voici une nouvelle vexation de Pétersbourg un peu étrange et fort inattendue. Ma sœur me mande, par secrétaire, que mes fils ont décidé de ne partager ni me vendre la vaisselle, et d’attendre que l’un du trois ait besoin de la totalité pour indemniser les deux autres. Vous voyez bien la portée de cela ; on me refuse l'usage et l’usufruit. Car il est bien clair que je ne prendrai pas une vaisselle de 30 couverts et que je ne payerai pas 200 milles francs. C’est sur cela qu'il faut que je vous consulte. Moi, je suis décidée à ne pas admettre un arrangement aussi absurde. Je vais insister pour avoir et tout de suite, ma part en nature, ou ma part en argent. Et je suis décidée de plus à un point partager le capital anglais que ce point ne soit arrangé. C’est cela que je voulais vous soumettre. Attendre jeudi pour vous consulter & vendredi pour écrire c’est beaucoup trop long. Veuillez me répondre par écrit. Ici le droit est pour moi tout-à-fait. Je ne comprends ni ma sœur, ni mon frère, mais il n'y a rien de gâté je pense puisqu'en tout cas ce ne pouvait être qu’un arrangement provisoire. S’il en était autrement, j'en suis fâchée pour mon frère mais je n’accepterais pas la sanction qu’il y aurait donné. Je vous prie de m’écrire encore un mot sur ceci car ma lettre ne partira que mardi. Songez aussi au fait d’absurdité, qu'à moins d’être ambassadeur, les fortunes de mes fils ne sont pas de taille à avoir jamais besoin de cette vaisselle, Paul s’est mis hors de la carrière, & Alexandre n'arrivera à ce poste jamais. Ce n’est donc je le répète qu’une résolution de me contrarier, et c’est cela qui me révolte et m'irrite à un haut degré. J’ai eu une lettre de mon frère mais qui ne me dit rien, sinon qu'il sera impatient d’apprendre la conclusion de mes affaires, et que mes file désirent vivement être bien avec moi ! Paul s’y prend bien.
Pozzo est devenu tout-à-fait imbécile. Je m’étonne qu'on le montre encore. C'est humiliant. J'ai vu hier, Brignoles et quelques autres mais je ne sais rien absolument rien de nouveau. J'ai oublié de demander des nouvelles du Duc de Bordeaux. Adieu, vous voyez que mon humeur va mal ; ma santé va mal aussi. Adieu. je m’étais tant réjouie de mercredi ! J’apprendrai à ne me réjouir de rien. je m’épargnerai des désappointements. Je ne me réjouis donc pas de jeudi qui sait ce que sera jeudi. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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314 Paris Mardi 12 Novembre 1839 Midi

Voici donc ma dernière lettre, si c’est ma dernière lettre ! (vous voyez comme je crois difficilement au bonheur.) Je me sens fatiguée ce matin à faire des copies pour vous. Je me sens fatiguée à mille choses de désagréables. Il me semble difficile que les choses désagréables, aient la moindre chance de m’atteindre jeudi.
Le duc de Bordeaux n’a pas été reçu par le Pape. La Duchesse de Berry est allé voir le Saint Père pour solliciter une audience pour son fils. Il l'a absolument refusé parce que le passeport du jeune prince ne portait pas le visa du nonce à Vienne. La cour d'Autriche et la cour de Gorrie sont également fâchée de ceci. J'ai causé hier avec Miraflores il n’est pas sanguin pour les affaires de son pays. Il dit que la dissolution est décidée. Montrond est occupé de la candidature de Berryer à l’Académie. Thiers se donne beaucoup de mouvement pour lui. Il sera surement odieux. Le Roi est curieux de voir ce que sera son discours de réception.
Granville me donne des conseils dans mes affaires. Il veut que des questions directes sont adressées à Londres, et je le ferai. Cela ne doit pas traîner. Je me porte mal, ne vous attendez à rien d’autre qu'à ce que vous aurez laissé. Et tout au plus encore. mais attendez vous bien à ma joie car elle sera grande. Adieu. Adieu, ce dernier adieu est le seul bon de loin. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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313 Paris lundi le 11 novembre 1839

J'ai eu une longue lettre de Lady Cowper. Le prince Albert doit quitter l’Angleterre demain, mais personne ne doute que la reine ne l'épouse bientôt. On le trouve charmant. Ces chartistes n’inquiètent personne. L’Inde veut tout le monde en grand triomphe. Le ministère est très fort. Voilà Lady Cowper. Le prince Esterhazy que j’ai vu hier soir à son débotté dit autrement. Les Torys auront probablement la majorité dans la chambre. Et s'il y avait dissolution ils auraient une majorité de 70 voix. Le ministère est donc plus fragile que jamais. Mais l'Angleterre peut fort bien aller sans gouvernement tout est solide là. J'écris à Pétersbourg ; je ne puis pas attendre vos avis. Bulwer écrira à Cunning pour tacher officieusement d'éclaircir les deux points. Nous verrons. On ne parle pas du duc de Bordeaux si ce n’est pour confirmer ce que disent les journaux, que c’est un coup de tête que le duc & la duchesse d’Angoulême sont furieux, que le Pape est très embarrassé & & moi, je ne le croyais pas un homme ; il fait acte de volonté. C’est probablement une sottise, mais il n'y a pas de mal d'en faire à 19 ans. Cela ne peut pas vous inquiéter, il n’y a pas de quoi. Je suis fort pressée d'écriture, je vous montrerai jeudi tout ce que j'écris, que le ciel me tire enfin de toutes en désagréables affaires. Adieu. adieu. Je suis interrompue, tracassée, ennuyée. Adieu.
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