Triton et Néréïde
Triton et Néréïde
Planche VIII, 1627, Triton et Néréïde, détail.
Le groupe formé par Triton et Néréïde ne se trouve pas dans les illustrations lyonnaises de Cartari-Conti. Mais on la repère en 1615 dans un médaillon qui orne la gravure de Galatée (Le vere e nove imagini de gli dei delli antichi, Padoue, P. P. Tozzi) :
Plus qu'un dieu unique, dans le chapitre de Neptune, Cartari évoque les Tritons, d'étranges créatures marines. L'attribut essentiel des Tritons suivant Cartari est une trompe marine, que Rabel ne représente pas plus que sa source iconographique :
"Davantage il luy baille une trompe retortillee faite d’une coquille de mer, laquelle portent aussi tousjours les Tritons. Ceux cy mis par les anciens entre les Dieux de la mer, & accompagnent Neptune quasi tousjours : lequel ils estimoient estre pere de Triton, & l’avoir engendré de ne sçay quelle Amphitride, comme aussi ils ont dit que Triton estoit le trompette de ce grand Roy des eaux, suivant ce qu’en dit Virgile descrivant sa figure ainsi :
Celuy estoit porté d’un Triton effroyable,
Lequel va estonnant la mer espouventable
Du son d’une coquille : & cestui se monstroit
Du noüant tout velu jusqu’au front, & portoit
Le visage d’un homme, & au dessoubs il porte
La forme d’un Dauphin, murmurant de tell’sorte,
Que l’onde dessoubs luy alloit reboüillonnant,
Et la mer apres luy on voyoit flottelant.
[...] Les fables dient que les Tritons sont les trompettes & heraux de la mer : & pource portent ils à la main la coquille retortillee, avec laquelle ils font un terrible son. […] Et estoient ces animaux, qu’il me semble plustost devoir estre nommez Tritons, que Dieux, ou hommes : en forme humaine dés le ventre en haut, & finissoient en forme de poisson tirans au bas."
(Cartari, 1610, p. 315-316)
Plus loin, Cartari fait des Tritons de véritables chimères en suivant Pausanias :
"Quand Pausanias escrit du pays de Boëtie, il depeint ainsi les Tritons. Ils ont les crins semblables au bassinet d’eau, ou grenoüillette aquatique, quant à la couleur, mais l’un poil ne se peut discerner d’avec l’autre, & sont tissus ensemble, comme des fueilles de persil, & le corps est tout couuert d’escaille menue, aspre & dure : ils ont les nageoires, ou aisles soubs les oreilles, le nez d’homme, la bouche beaucoup plus large qu’un homme, les dents comme les Pantheres, & les yeux de couleur verdoyantes. Les doigts des mains, & les ongles, sont comme le dos des coquilles, & ont en la poitrine & au ventre, comme les Dauphins, aucunes aisles en lieu de pieds."
(Cartari, 1610, p. 319-320)
Les Néréïdes sont tout aussi étonnantes et monstrueuses. Leur description passe par le récit d'une expérience donnée pour vraie :
"Le mesme Alexandre adiouste encor que il avoit ouy affermer à Theodore Gaza, d’auoir veu estant au Peloponese vne Nereide qui avoit esté iettee sur le bord de la mer, par vne grande tempeste. Elle estoit belle de face, ayant forme humaine : mais couuerte despuis le col en bas toute d’escailles dures, iusques au nombril, & aux cuisses, lesquelles se ioignans ensemble, commençoient à se former à la semblance d’vn poisson, ou d’vne Locste marine."
(Cartari, 1610, p. 317)
La description d'un temple de Neptune par Platon donne enfin à Cartari l'occasion d'associer au dieu Tritons et Néréïdes :
"Combien donques dy-ie, que dans la mer y a d’autres monstres, à moy pourtant ne convient parler de tous : mais seulement d’aucuns qui furent mis par les anciens au nombre des Dieux, où adjoustés en la compagnie d’iceux : comme furent les Nymphes de la mer, & les Tritons desquels j’ay desja fait mention, d’autant que ceux-cy accompagnoient Neptune. Quant aux Nereides, Platon escrit qu’elles estoient cent en nombre, assises chacune sur un Dauphin, quand il desseigne ce grand et merveilleux temple, lequel estoit par les Atlantiques consacré à ce Dieu [Neptune], qui demeuroit là sus un chariot, tenant auec la main les brides des chevaux aislés, & estoit si grand, qu’il touchoit de la teste le toict ou couvert du temple, combien qu’il fut fort haut."
(Cartari, 1610, p. 328)
De son côté, Conti consacre un chapitre à Triton, au sein duquel les éléments descriptifs évoqués par Cartari sont présents (VIII, 4) :
"Ovide au 1. des Metamorph. le fait trompette de l’Ocean & de Neptun, descrivant par mesme moyen la forme de sa trompette :
Il appelle Triton, qui de naïfve pourpre,
Emmi les eaux nageant, ses espaules empourpre :
Et sa conque bruyant luy commande inspirer,
Sous le ban de laquelle il face retirer,
En donnant le signal, la course impeteuse
Des eaux en leur canal. Sa trompe tortueuse
Il prend en bas estroitte, en haut s’eslargissant,
Et du milieu des flots s’en va l’air emplissant
D’un son, don retentit la plage Orientale,
Et s’estendant ferit la plage Occidentale.
La partie superieure de son corps jusqu’au nombril avoit figure d’homme ; & le bas finissant en queuë de Dauphin. Davantage il avoit les deux pieds de devant, de cheval, & une grand-double queuë en forme de Croissant, selon le tesmoignage d’Apollonius au quatriesme liure des Argonauchers :
Le dessus de son corps, sa teste, ses espaules,
Ses costez ressembloient aux habitans des poles.
Mais d’un monstre marin par le bas luy pendoit
Une queuë à fourchons, laquelle se sendoit
En deux comme feroient les cornes de la Lune ;
Ses ailerons picquans divisoient de Neptune
Les flots en deux costez—
[...] Neantmoins Ovide en l’epistre de Dido le qualifie comme ayant accoustumé d’estre porté sur un chariot attellé de chevaux bleus :
Les vents cherront tantost, l’onde se calmera,Triton ses bleus chevaux en mer proumenera."
(Mythologie, 1627, p. 847-848)
La Mythologie développe ensuite une description très proche du second portrait brossé par Cartari :
"Ceux qui ont voulu exprimer plus diligemment la figure des Tritons, ont dit que les Tritons avoient la chevelure ressemblant à de l’asche sauvage, & le reste du corps couvert de petites escailles, aussi dures qu’une lime ; les ouyes un peu plus basses que les oreilles ; les nareaux comme un homme, mais la bouche un peu plus fenduë ; les dents semblables à celles des Pantheres ; les yeux pers ; les mains, ongles & doigts semblables à la coquille des escailles ; les nageoires sous le ventre & sous l’estomach, comme on les void aux Dauphins. " (Mythologie, 1627, p. 849-850 - lire la suite)
Les Néréïdes font l'objet d'un chapitre propre, qu'elles partagent avec Nérée :
"[E]lles avoient selon le dire des Poëtes, une perruque verde ; & suivant cet avis Horace au 3. des Carmes dit ainsi :
Nous irons chantant tour à tour
Le Dieu Neptun & la verte criniere
Des Nymphes du marin sejour.
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