[1554_Par_Gort] 126 Or suis je doncq’ demeuré le vaincueur

Présentation générale du poème

Titre de la pièceRencontre de deux Amants, par S. R.

Incipit non moderniséOr suis je doncq’ demeuré le vaincueur

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Formatin-16

Imprimeur-libraireDu Gort, Robert

Date1554

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Transcription du poème

Texte

{E7v}Or suis je doncq’ demeuré le vaincueur

Apres avoir contre le chaste coeur
De ma deesse assaye maints alarmes
Douteusement mes souciz pleurs, & larmes,
Que contre moy Venus trop courousseée
(Pour mon amour aux Muses adressée)
Avoit brassez y ont fait tel effort,
Que j’ay vaincu mon avantureux sort :
Car tout ainsi que l’eau, peu vertueuse,
Par trait de temps la roche dure, & creuse,
J’ay par mes pleurs amolly la durté
Du jeune cueur aymant virginité.
Et toutes fois ne vous estonnez pas
S’en me voyant si pres de mon trespas
Pour me sauver en fin elle a soufferte
D’un peu d’honneur je ne scay quelle perte :
Sans point de doute on n’avoit esperance
Que de ma mort n’eust este l’assurance
De trouver fin a mon mal miserable
Mais quelle fin sa grace pitoyable.

Lors me faisoient les maulx que j’endurois

Trouver meilleur le bien que j’esperois
Comme la faim crue par la demeure,
Fait ressembler la viande meilleure.
J’ay ce pendant un enfant qui m’appelle,
Je dy l’enfant c’est Mercure fidelle,
Lequel me dit : Amy trop langoureux
Vien accomplir ton désir amoureux.
{E8r}M’amye estoit au secret cabinet
D’un tresplaisant & riche jardinet,
Trop mieux remply de graces, & douceurs,
Que le verger des Hesperides sœurs.
La leurs chez verdz courboient de tous costez
Les Saux branchuz, par bon ordre plantez,
Qui estendoient leurs umbres verdoyantes
Comme en un champ les pavillons & tentes.
Le vif ruisseau d’une fontaine clere,
Et le long fil d’une grosse riviere,
Qui plus qu’argent en coulant reluisoient
Des deux costez la closture en faisoient,
Non long de la au joly verd bocage
Diz mil oyseaux de chanter faisoient rage,
Si qu’ilz sembloit accorder leurs chansons
Aux cleres eaux & leurs argentins sons.
Les joyeux chants des accordans oyseaux,
Et le doux bruit des murmurans ruisseaux
Mamies avoient de se coucher contrainte
Sus l’herbe fraische & diversement painte.
Quand je la vy en ce point estendue
Et a sommeil par sa doulceur rendue
Contente fut (car je ne povois mieux)
Tant seulement de repaistre mes yeux.
Or pris je doncq’ en sa beauté pasture,
Et au plaisant ouvrage de nature
Qui la dedans produisoit tant de fleurs,
Faisant mes yeux d’infinies couleurs.
{E8v}Puis tant d’oyseaux de chanter s’eforcoient
Que de leurs sons tout le lieu remplissoient,
Car il sembloit que chascun volust faire
Chose qui peult au nouveau juge plaire.
Brief, tout ainsi qu’en l’Arabie eureuse,
Tout estoit plein d’odeur délicieuse
Tant y avoit de belles viollettes
En tous endroitz & de choses doucettes
En tout cela grand plaisir y avoit,
Mais un plaisir qui chacun jour se void.

O combien plus de joye me donna

Quand le somme il m’amye habandonna :
Je vouldrois bien a chascun départir
La volupté que j’y ay peu sentir,
Mais mon esprit ravi lors de plaisance
A peine en peult avoir la souvenance.
Et ce récit a ma langue est a faire
Laquelle encor ne scauroit satisfaire
A exprimer l’heur qu’elle savoura
Et comment doncq’ le bien d’aultruy dira.
N’imphes icy vueillez doncq’ accourir
Pour ma mémoire au besoing secourir :
Car quand ce bien ainsi se departoit
Parmy les eaux mainte herbe nous portoit.
Ce qui avint, certes (Dames) vous vistes,
Peult estre aussi que non tout : mais si fistes
Vous vistes tout, au moins tout : ce que honte
Nous a permis & en scavez le conte.
{F1r}Qand [[Quand]] le sommeil eust delaissé m’amye
D’une voix foible, & quasi endormie,
Incontinent elle s’escrie ainsi :
Helas amy que n’estes vous icy ?
Car pres de soy alors ne me cuidoit
Et plaignant ses deux bras estendoit
Que je receu, & sa force esgarée
Luy fut par moy rendue, & restaurée.
Adoncq’ ses yeulx qu’a ouvrir commenca
Si vivement, vers moy elle adressa,
Que la vigueur & constance des miens
Ne peult souffrir la grand lueur des siens
Si que mes yeulx de sa veue empeschez
Dedans les siens demeurerent fichez.
Ou sont ceulx la qui estonnez ne fussent
De tant de bien, si veu comme moy l’eussent ?
Ouvrant adoncq’ sa tant aymée bouche
Est ce bien vous, dist elle, que je touche ?
Est ce bien vous mon seul bien, & désir,
Qu’en ce doulx jour j’embrasse a mon plaisir ?
Et de ce pas, chanta de sa facon
Une allegante & bien belle chanson,
Qu’aucunesfoys a part elle chantoit,
Quand par amours tristement lamentoit.
Cruelle peur de faulx bruitz mal semez,
Pourquoy noz biens en plaisirs consommez
Empesches tu ? Amour de tout vaincueur
Vaincra il point ta mortelle rigueur ?
{F1v}Si fera si, c’est un trop puissant dieu
Or donne donc a sa puissance lieu
Crainte abusant du fol peuple les yeulx,
Car il ne fault mener la guerre aux dieux.
Voilà le sens que sa chanson portoit
Que de tel son & grâce elle chantoit,
Que faict au bord de sa rivière un Cygne
Lequel sa mort, en chantant, predestine.
Au plaisant son de l’angelique vois
Firent silence, & fontaines, & boys
De la au tour : & le semblable firent
Incontinent les Nymphes qui louyrent.
L’oyant chanter, mes oreilles levay
Mais aussi tost estonne me trouvay
Qui tournera, toutesfoys a merveilles
Que tant de biens estonnoient mes oreilles.
Ce temps pendant que la belle attendois
Et de sa bouche a peu pres dependois
De descouvrir son blanc sein fut contrainte
Par la chaleur, dont elle fut atainte.
Pas n’eust si tost descouvert sa poictrine
Que l’on eust dit un odeur tresdivine
D’encens, de myrrhe, & de celeste basme
Yssu du sain que desnua ma dame.
S’en moy y eut lors de sens quelque reste
Il fut perdu par cest odeur celeste.
Et en est il encor un qui s’estonne
Qu’un si grand heu eust ravy ma personne ?
{F2r}Lors je la prens, & l’embrasse a mon ayse,
Et de son gre, doulcement je la baise :
Mais noz baisers receuz, & presentez,
Estoient confitz en mille voluptez.
O quel plaisir de recueillir, & prendre
L’heureuse fleur de ceste alcine tendre,
Qu’en respirant la bouche gracieuse
Faict departir d’une dame amoureuse.
Tout aussi tost de moy furent absens
Par ce plaisir, le surplus de mes sens :
Et ne doibt on en rien trouver estrange
Que tant de biens ayent de moy faict change.
Or ce pendant que noz bouches vermeilles
Conjointes sont de voluptez pareilles
S’entrebaisans, & confondans ensemble
Les deux espritz, que le corps desassemble.
Je sens, hélas : hélas soubdainement
Mes membres pris, je ne scay quellement
D’une fureur secrette, & incongneue,
Et qui jamais ne m’estoit advenue.
Telle fureur (ainsi comme je croy)
Sentoit aussi m’amye comme moy,
Laquelle en foy tant de doulce force eust
Que doulcement la surprit & deceut :
Mais quelque embusche, & secrette surprise
Vous adressa, pourquoy feustes vous prise.
Pensez-vous bien que j’eusse peu avoir
Assez d’esprit, lors pour vous decepvoir ?
{F2v}Si par dessus les baisers non contez
J’ay pris de vous le point dont vous doutez :
Ce n’est pas moy, car trop estois surpris,
Ce n’est pas moy, c’est amour qui la pris :
Pardonnez doncq’ au Dieu qui les ravit
Ou a celuy que sa fureur suyvit :
Car vous scavez que vous plus qu’autre chose
De ma fureur alors fustes la cause.
Je baisois doncq’ m’amye doulcement,
Et elle moy, avant finablement
Que noz deux corps, alliez de tous poinctz
Furent ensemble, à leur grand desplaisir joinctz :
Si qu’en estans mes membres desireux
Uniz aux siens, se sentoient bien eureux.
Les siens aussi de rencontres pareilles
S’esjouyssoient, & plaisoient à merveilles.
Que pensez vous que devint lors mon ame ?
Elle cerchoit pour entrer à ma dame
Quelque sentier, & tant estoit surprise
Que long temps fut sus mes lebvres assise.
De sens aucun, retenue n’estoit,
Et sa prison liberté luy prestoit :
Parquoy soubdain à son plaisir alla,
Et vers ma dame, & son ame volla.
Vrays amoureux, je dy vous, en effect
Qui savourez de l’amour l’heur parfaict.
Vous scavez bien, & ceulx pouvez scavoir
Combien de joye elles peuvent avoir :
{F3r}Car s’ainsi est que deux corps assemblez
Recoyvent tant de plaisirs redoublez.
Combien prendront de joye, & volupté,
Les deux espritz conjointz en liberté.
Je croy pour vray que les Dieux, & deesses,
Sentent au ciel de pareilles liesses :
Et leur Nectar, & Ambrosie aussi
N’est aultre cas que ce plaisir icy,
D’aulcun soucy jamais ne se trister,
Mais toute joye en soymesme porter :
Tout ce qui est estimer ce seul bien
Et le surplus, sans cela, n’estre rien.
S’esbahit on si par mortelle guerre
Au feu & sang, on void parmy la terre
Se travailler meintz corps, & bons espritz,
Pour parvenir a si grand & hault pris.
Amour adonc veu ce ravissement
Usa de grace à nous également,
Et ne voulut que nostre grand plaisance
Finist au jour propre de sa naissance :
Car par amour, mon ame, de la sienne
Estoit ravie, & elle de la mienne
Sans point doubter d’elle, chascune alors
Eust delaissé son inutile corps.
Tost eust Amour esveillez, & remis
Noz sens, quasi yvres, & endormis :
Car chascune ame en ce point rencontrée
Il commanda en son corps faire entrée.
{F3v}En son corps doncq alors entra chascune
Qui luy sembla prison fort importune.
Tant luy estoit plaisante la maniere
De l’assemblée, en la fureur premiere.
L’œil desiroit ceste amyable face,
L’oreille aussi ce chant de bonne grace :
Et les nazeaux ce basme soubhaitoient,
Bouches, & bras, l’un l’autre regretoient :
La couleur blanche estoit noire a mes yeulx
Tout plaisant son me sembloit envieux.
Toutes odeurs me sentoient toute ordure,
Tous doux amer, la chose molle dure.
Finablement ce que mon corps aymoit
Au paravant, & mon cueur estimoit
Fut tout autant hay, & desprisé,
Comme il estoit desiré, & prisé :
Qui n’eust alors enduré grand tourment
De voir perir le fruit en un moment
De ses labeurs : mais qu’est ce qui pourroit
Plaire a un cueur, qui si fasché seroit :
Soucy, travail, pleur, & dueil infiny
Vous avez tout commencé, & finy :
Que par malheur ne soit un jour deffaict,
Ainsi void on qu’il n’est heur si parfaict.
Voyla la joye, & le plaisir humain,
C’est le lien que la mortelle main
Traine tousjours le long de ceste vie
A tristes maulx, & douleurs asservie.

Forme poétiqueDistiques

Emplacement du poème

Rang dans le recueiln° 126

Section au sein de laquelle le poème prend place[[ELEGIES.]]

FoliotationE7r, E7v, E8r, E8v, F1r, F1v, F2r, F2v, F3r, F3v

Présentation typo-iconographiqueIllustration

Informations sur la notice

Contributeur(s)Réach-Ngô, Anne

ÉditeurÉquipe Joyeuses inventions ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Mentions légales

Fiche : Équipe Joyeuses inventions ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Image(s) : Source gallica.bnf.fr / BnF

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Notice créée par Équipe Joyeuses Inventions Notice créée le 22/06/2017 Dernière modification le 04/11/2021