[Saint‑Jean‑sur‑mer, mars 1911[1]]
Mon cher Valery,
Je suis contente de voir que vous êtes un peu sorti de votre Vichy[2]. Cela me donne la preuve que votre santé est meilleure et je commence à espérer que vous viendrez pour de bon à Paris. Vous serez gentil de me dire la date exacte de votre arrivée car je ferai mettre des rideaux aux fenêtres et nettoyer l'appartement afin que vous puissiez respirer un bon air exempt de poussières. Je serai heureuse de bavarder avec vous, vous n'en doutez pas, de tout ce qui s'est passé depuis votre départ. En attendant, je peux toujours vous dire que Jeanne[3] est enceinte pour de vrai cette fois. Si vous saviez comment je l'envie ! Mon vieux désir d'être mère me remonte parfois avec une violence terrible, et tous mes regrets s'amoncellent et font devant moi quelque chose de lourd qui me donne envie de pleurer[4].
Francis va bien et les enfants aussi ; il n'y a que la bonne Agathe qui ne soit pas très bien portante. Au fait, j'allais oublier de vous dire que la caisse de bonbons ne leur est parvenue que dimanche dernier. J'étais là, et vous pouvez croire que moi et Francis nous lui avons fait honneur. Agathe a dû nous l'ôter des mains, car sans cela je crois bien que nous aurions tout mangé – et encore, j'ai trouvé moyen d'en chiper une grosse poignée pendant qu'Agathe nous prenait la caisse de force. Ils étaient bien bons, vos bonbons, mon cher Valery, et je suis chargée de vous remercier pour toute la famille gourmande.
N'oubliez pas de m'écrire quelques jours avant votre arrivée et recevez, avec mes souhaits de bonne santé, un bon baiser affectueux.
Marguerite Audoux
[1] Lettre à l'évidence postérieure à la lettre 106, dans laquelle Marguerite Audoux évoque les cachotteries de Jeanne Gignoux, quant à un éventuel état intéressant. Il n'est pas absurde que la confirmation se fasse peu de temps après, d'autant que les deux lettres sont reliées par le voussoiement (fût‑il parfois discontinu de missive en missive, mais toutes les lettres postérieures useront du tu) et par des allusions qui s'enchaînent bien sur la santé de Larbaud. Autre lien thématique (également avec la lettre suivante à Larbaud) : les friandises envoyées par le vichyssois. Enfin, il ne fait nul doute, eu égard à la façon dont elle relate la liesse générale à réception de ces cadeaux, que Marguerite Audoux se trouve encore à Saint‑Jean.
[2] Voir la lettre 106
[3] Jeanne Gignoux
[4] Voir, dans Audoux, Marguerite, De la ville au moulin, Fasquelle, 1926, p. 200, les propos désabusés d'Annette Beaubois : « Le regret que j'ai de mon enfant s'augmente de la certitude de n'en plus jamais avoir. »