Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Pierre Villeray à Marguerite Audoux

Auteur(s) : Villeray, Pierre

Description
  • Critique laudative de De la ville au moulin
  • Nous ne possédons de renseignements particuliers ni sur ce lecteur, ni sur les liens qui ont poussé la romancière à lui envoyer son troisième roman.
Texte
Bormes (Var). Maison Haraut
Le 13 mai [1928]

Madame,

Je viens de lire De la ville au moulin que vous avez eu la gentillesse de m'envoyer et ce roman profond et délicieux m'a fait tant de plaisir que je ne sais trop comment vous exprimer ma reconnaissance. Dans ces temps prétendus nouveaux où l'art hésite entre tant de formules et se flatte par ses excès d'être original, c'est une vraie joie de se désaltérer à une source fraîche, de sentir battre, entre vos pages, un cœur sincère et de retrouver cette vérité humaine qui ne s'exprime que par la douleur. Car votre livre est bien le livre de la douleur. Depuis l'heure tragique où votre Annette Beaubois, victime touchante d'une discussion entre ses parents, s'est vue couchée sur un lit d'hôpital jusqu'au moment où brisée par la vie, mais vaillante encore, avec cette merveilleuse force d'espoir qui ne l'a jamais abandonnée, elle retrouve Valère Chatellier – c'est tout un poëme frémissant qui se déroule, illustré de figures exquises, singulièrement vivantes d'où se détachent surtout l'oncle meunier, Manine – la petite Reine et le bon Firmin. Et ces portraits sont tracés sans exagération, avec une bonne foi qui vous étreint – et si intimement mêlés à votre atmosphère de prés, de bois qu'on en respire – avec eux – ces parfums rustiques. Vous réalisez, madame, ce tour de force d'être à la fois naturaliste et idéaliste. À travers votre roman, comme à travers votre Marie-Claire, le peuple est beau – beau par cette grandeur même qui vient de sa simplicité -. Valère ivre nous fait horreur, mais nous le plaignons et cette pitié touche à l'indulgence. Mais il faudrait noter les mille détails qui m'ont ému, pour vous exprimer une impression que je me sens bien maladroit à vous faire connaître. Encore une fois, merci, madame, du grand plaisir que vous m'avez procuré et croyez, je vous prie, à ma bien respectueuse admiration et à mes sentiments de dévouée et fidèle confraternité.

Pierre Villeray

P. S. J'ai écrit à Monsieur Franc-Nohain[1] pour lui demander de parler de votre livre. J'espère qu'il le fera et dans les termes que je souhaite. Ce ne sera, d'ailleurs, que rendre justice à votre grand talent.

[1] Le fabuliste et fantaisiste Franc‑Nohain (1873‑1934), père de Jean Nohain, de son vrai nom Maurice‑Etienne Legrand, écrit également des articles de presse. Nous n'en avons trouvé aucun sur Marguerite Audoux.

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 14/03/2025