Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Antoine Lelièvre

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

Description
Sur la mort de la mère de Lelièvre et celle de Suzanne - Les trois petits-neveux
Texte

[Paris,] le 3 juin 1928[1]

Mon bien cher ami,

Sans la grande lettre bordée de noir[2], peut-être bien que je ne vous aurais pas écrit encore. Ce n'est pas faute, pourtant, de penser à vous, je vous assure, et il m'arrive très souvent de vous revoir ici avec la gentille Lette et les deux mignons[3]. Toujours je voulais vous écrire et toujours j'avais une bonne raison pour ne pas le faire. Je suis tellement occupée ! Et de plus, je n'avais pas des choses bien gaies à vous apprendre. Depuis la mort de ma nièce, en juillet 1926[4], j'ai eu mille et mille tourments avec les deux enfants qu'elle me laissait à élever, l'un de quatorze ans et l'autre de neuf ans[5]. J'ai cru que je n'y arriverais pas, car mon premier adoptif gagnait alors juste pour lui. Et maintenant qu'il pourrait venir un peu en aide à ses petits frères, il est au régiment. « Nous finirons bien par nous en sortir », me dit le cadet qui est intelligent et tout plein courageux. C'est égal ! J'espérais une vieillesse un peu moins tourmentée. Mais tant pis ! Il s'agit seulement de tenir[6].
J'aimerais savoir comment vous vous tirez d'affaire de votre côté. Est-ce que la mort de votre mère changera quelque chose à votre genre de vie ?
Je pense bien que vous avez une grande peine en ce moment car on se sépare difficilement des siens, même s'ils sont très âgés. Mais si cela peut atténuer votre chagrin, écoutez ce qu'a dit mon plus petit, pendant que je lisais tout haut la lettre noire : « Tu dis que ton ami doit avoir de la peine, mais aussi, il a gardé sa maman longtemps, lui ! »
Au revoir, mon très cher ami. Embrassez pour moi votre femme et les enfants, et croyez toujours à ma très sincère affection.

Marguerite Audoux

[1] Lettre parvenue à destination le 5
[2] Comme il apparaît dans la suite de la lettre, Antoine Lelièvre vient de perdre sa mère.
[3] Huguette et Jacques
[4] Yvonne est décédée le 24 juillet 1926 à la Salpêtrière.
[5] Les deux frères cadets de Paul (déjà élevé par la romancière) : Roger (né le 19 avril 1912) et Maurice (né le 6 août 1917).
[6] Le séjour estival en Vendée sera écourté, comme en témoigne une lettre du 7 juillet 1928, écrite par la romancière, de la rue Léopold‑Robert, à Madame Guillemin, qui lui loue une maison sur l'île et à qui elle n'annonce qu'« une quinzaine à Fromentine ». (Fonds d'Aubuisson).
Lieu(x) évoqué(s)Paris

Géolocalisation

Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 14/03/2025