LE MOTIF DU "CŒUR MANGÉ" : UN TOPOS LITTÉRAIRE LARGEMENT EXPLOITÉ

La littérature est riche en topoï littéraires : il s’agit de motifs, schémas, situations qui – au fil du temps – sont repris fréquemment dans des textes d’auteurs différents, en prenant les formes les plus variées, tout en gardant des constantes.

Un topos littéraire qui a eu beaucoup de succès au fil des siècles est celui du “cœur mangé”. Malgré les variantes – parfois substantielles – avec lesquelles les différents auteurs ont apporté leur touche personnelle à ce motif, on peut identifier une récurrence thématique et une répétition de constantes, qui rendent le corpus des textes concernant le “cœur mangé” assez homogène. Il est donc possible de parler de “récriture”, pour désigner les transformations et les modifications qui donnent une vision différente d’un même topos, d’un même schéma ou d’un texte déjà écrit et/ou déjà paru sur le marché littéraire. 

Généralement, à la base de ce motif il y a un triangle amoureux, formé par le mari – trompé, jaloux et vindicatif –, la femme adultère et l’amant. Le développement le plus courant de ce topos est celui qui voit la femme manger – à son insu – le cœur de son amant, ce dernier ayant été tué par le mari. Après avoir découvert la vérité, la femme se tue ou se laisse mourir. 

Ce qui est d’emblée évident est que le motif du “cœur mangé” repose, à son tour, sur certains thèmes-clés qui, ensemble, concourent à augmenter l’aspect dramatique et le caractère tragique du texte : il s’agit d’un crescendo de tension, qui trouve son apogée dans le repas tragique, moment exemplaire du sacrifice suprême. Jalousie, adultère, vengeance ainsi qu'amour sacrificiel et dévotion réciproque de la dame et de son amant sont tous des thèmes particuliers, s’inscrivant à l’intérieur d’un même macro-motif : celui du “cœur mangé”.

Nous voudrions montrer, à travers un échantillon de textes emblématiques, que le motif du “cœur mangé” dans la littérature a été, au fil des siècles, un motif récurrent. Nous nous servirons de tableaux, de vignettes et d’illustrations représentant ce topos afin de montrer comment l’art et la littérature peuvent mutuellement s’influencer : l’art – avec ses formes graphiques – est parfois l'interprète du monde littéraire, en en donnant une nouvelle clé de lecture. Au fil du temps, les peintres ont souvent trouvé leur source d’inspiration dans les nouvelles, les romans, les poésies : les résultats de ce mélange de champs artistiques sont des relations et des correspondances très étroites, où la limite entre le monde littéraire et le monde artistique a tendance à s'estomper. 

Il est d’emblée nécessaire de souligner que les images ici présentes se divisent en deux catégories : d’une part les vignettes extraites de livres imprimés, d’autre part les tableaux. Dans les deux cas, il s’agit bien sûr d’images qui véhiculent un message, qui relatent graphiquement une histoire, qui reprennent – comme dans le cas du “cœur mangé” – un motif littéraire à succès. Contrairement aux tableaux, cependant, les vignettes accompagnent toujours le texte : elles jouent un rôle fonctionnel précis, elles clarifient et expliquent les ambiguïtés du récit, ainsi qu’elles complètent, enrichissent et embellissent le livre où elles figurent. Les tableaux, par contre, n’accompagnent pas un texte : bien que souvent la référence à une histoire, à une nouvelle, à un récit soit évidente, ces images ne naissent pas en complément d’un écrit, mais elles sont le fruit d’une réinterprétation – sous forme picturale – d’une thématique, d’un topos, d’une scène tirée du monde littéraire. 

BIBLIOGRAPHIE

  •  Abraham A. Moles, « L'image et le texte », in Communication et langages, n°38, 1978. p. 17-29. Disponible sur persee.fr. Consulté le 11 juin 2020.
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  •  Mariella Di Maio, Le coeur mangé : histoire d'un thème littéraire du moyen âge au XIXe siècle, Paris, Presses Sorbonne, 2005.
  • Jean-Jacques Vincensini, « Figure de l'imaginaire et figure du discours. Le motif du "Coeur Mangé" dans la narration médiévale», in Le « cuer » au Moyen Âge : Réalité et Senefiance, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 1991, p. 439-459. Disponible sur books.openedition.org. Consulté le 28 mai 2020.

Rédaction de la présentation : Erica Vianello