Texte intégral : 1540c [Denis Janot] La châtelaine de Vergi

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TitreTexte intégral : 1540c [Denis Janot] La châtelaine de Vergi

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Analyse thématique

Thème(s) abordé(s)

Amour interdit
Honneur
Infidélité
Jalousie
Loyauté
Mort tragique

Analyse du ou des thème(s)L'articulation de ces thèmes est assurée par les interventions directes des différents personnages de l'histoire. Tout commence par une déclaration amoureuse du Chevalier à la Dame du vergier, nièce du Duc. Conscients du danger qu'ils courent si leur amour est connu des autres, les deux amants se promettent de garder inviolable leur secret amoureux. L'honneur de la noble Dame se mesure ici à la préservation de ce secret. Présenté comme un homme galant et beau, le Chevalier découvre au même moment qu'il est aimé par la Duchesse. Très loyal au Duc, le Chevalier rejette catégoriquement les avances de la Duchesse :"Jesus m'en gard le filz de Marie". Ce refus du Chevalier qui sonne comme une humiliation de la Duchesse marque un tournant décisif dans le balancement du récit vers le tragique. Convoqué par le Duc après les accusations orchestrées de la Duchesse, le Chevalier, pour se défendre et prouver son innocence, se voit obligé de rompre la promesse de son amour secret avec la Dame du vergier. Jalouse de la complicité amoureuse entre le Chevalier et la Dame, la Duchesse finit par souffler à celle-ci le secret qu'elle tenait de son mari. S'en suivent les scènes tragiques des morts de la Dame et du Chevalier. Personnage clef dans la déviation de l'histoire vers le tragique, la Duchesse apparaît comme le point focal à partir duquel on peut voir la mise en relation des différents thèmes. Cette histoire peut être considérée comme une reprise des topoï de la littérature narrative en ce sens qu'elle revèle un fort enjeu intertextuel (voir la nouvelle 70 de l'Heptaméron).
(analyse rédigée par Amadou Coulibaly, Master UHA 2020-2021)

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Collection Exemplaire : 1559 Vincent Sertenas Heptaméron Arsenal

Texte : 1559 Vincent Sertenas Heptaméron N70 a pour alternative ce document

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Transcription du texte

Transcription

La complainte et louenge que faict le Chevalier de sa Dame Chastellaine du Verger.

[illustration]

Entré suis en melencollye

D'amours & de leur doulce vie,

Car jamais en nulle saison

Ne veis que gens ayans raison,

Comme Dames & Chevaliers

Jolys Clers, & beaux Escuyers,

Fillettes moult bien gracieuses, (A 2 r°)

Et Pucellettes amoureuses

Remplis de responces, & beaulx ditz

Par eulx ne sont point nulz lais ditz

En eulx est toute courtoisie,

Toute doulceur sans villennie

En ...

Transcripteur.riceTranscription élaborée par les étudiants du Master de Lettres-CLE de l'UHA 2020-2021

Chargé.e de la révision

Carli, Vittoria (2023)
Première révision effectuée par Anne Réach-Ngô (Juin 2021)
Transcription relue par les étudiants du Master de Lettres-CLE de l'UHA 2020-2021

Analyse de la nouvelle

Analyse des personnages-types

La dame
Le chevalier
Le seigneur

Analyse des personnagesDivers personnages sont dépeints, à commencer par le narrateur, instance poétique apparaissant au début du récit à la première personne du singulier. Il introduit l’histoire de la Dame du Verger et du Chevalier, les personnages principaux, en citant son expérience amoureuse. Il s’inscrit dans la lignée de poètes médiévaux tel Gace Brulé qui énonce son désespoir face à une dame sans merci. Il invoque ainsi son aimée lointaine à qui il ne peut exprimer son amour.

La narration débute suite à ce prélude créant un parallèle entre la relation amoureuse du narrateur et celle des héros. Tout d’abord, le Chevalier se retrouve, face à la Dame du Verger, dans la même position que les poètes cités : il lui avoue son amour, mais elle refuse d’être son amie. Le concept topique de la fin’amors se dessine alors. Cet amour courtois met en scène une relation vassalique entre un chevalier et la dame qu’il aime et sert. Celle-ci est définie par sa distance physique ou morale : pour la rejoindre et obtenir son cœur, son aimé doit réaliser mille exploits. Ici, elle s’éloigne moralement de lui, craignant qu’en acceptant de devenir son amie, il aille conter leur lien à tous, nuisant alors à sa vertu, qualité typique de la femme dans le cadre de la fin’amors. Les caractéristiques des amoureux sont mélioratives : leur beauté est physique comme morale.

Finalement, la Dame lui accorde son amour, à condition qu’il ne dise mot de leur engagement : telle est son épreuve, qu’il accepte. Or, une autre relation vassalique, non moins topique, et témoignant des relations sociales d’antan se dessine : celle qui unit un seigneur à ses sujets (deux conseillers du duc sont mis en scène, l’un en faveur du chevalier, l’autre non). Le loyal Chevalier est ainsi au service du Duc, l’oncle de sa dame. Ces deux relations vassaliques se heurtent à cause du mensonge éhonté et vengeur de la Duchesse suite au rejet du Chevalier qu’elle aime. Le Duc astreint alors son vassal à dévoiler l’identité de sa Dame. L’issue de cet aveu est aussi tragique que la fin de Tristan et Yseult, les héros se tuant.

Dans un schéma actantiel, les amants figureraient les héros, leur quête étant l’amour parfait mais inaccessible. Le Duc, ainsi que le premier conseiller et le messager qui lie les personnages et pourrait être une manifestation du poète, incarneraient les adjuvants. Le second Conseiller et la Duchesse, femme fourbe et jalouse topique tentant de briser la relation amoureuse des héros (et y parvenant ici), seraient les opposants.

Lieu(x) du récit

Cour
Jardin
Verger

Analyse des lieux du récitTout d'abord, le Vergier occupe une place importante dans l'histoire depuis son apparition même dans le titre. Le jardin occupe une place importante dans le récit car c'est l'endroit où la Châtelaine imagine le stratagème pour faire savoir au Chevalier qu'elle est seule en sortant son petit chien. Le jardin est alors un espace de tension qui deviendra plus tard une tragédie. Son niveau symbolique est celui de l'espace idéal, d'un locus amoenus, où la Châtelaine peut laisser agir librement son désir, même s'il ne se réalise pas au final. Le jardin met également en évidence la présence des arbres qui contribuent à cacher les amoureux et à souligner le caractère secret de leur rencontre. En effet, c'est derrière un arbre que le Duc se cache pour obtenir la preuve de la fidélité de sa femme et c'est cet élément de l'espace qui lui permet d'être le regard qui entre dans l'espace d'intimité des amants secrets. La cour, en revanche, est l'espace du public, où le Chevalier et la Châtelaine doivent garder leur passion secrète. C'est aussi l'espace où se déroule la fête dont la Châtelaine sort pour mourir dans sa chambre. En ce sens, la cour et la chambre sont opposées comme les lieux publics et privés où se déroule la tragédie. Le changement de lieu structure le récit car l'espace est le symbole du privé et du secret, mais aussi du public.

Formulation explicite d'une moraleLe court synopsis, en vue de la captatio benevolentiae, au tout début du texte, introduit d’avance la morale courtoise du récit de la Chastelaine. L’auteure pose ainsi d’emblée la problématique topique des romans de chevalerie entre le bon ménage 'd’amour et d’épée'. L’utilisation de la voix passive « fut continuée » pour désigner « comment » « leur Amour » évolue au fil du récit suggère l’exposition d’obstacles, qui iront dans le sens de la morale ou de la leçon que le lecteur sera grée de tirer. Même si la locution « jusques à la mort » donne un avant goût aux principes et règles morales exposés dans le récit, le lecteur n’est cependant pas laissé pour compte lors de sa lecture. La tradition médiévale des genres liés au récit demande aux auteurs, en début de texte, l’expression d’une glose guidant la lecture dans le sens voulu de l’histoire. De ce fait, la morale est exposée avant le récit, qui prend alors la valeur d’exemplum. La morale d’exposition au texte se fait au présent de l’indicatif, ce qui tend à montrer l’universalité de la condition idéalisée des amants. Deux moralités ressortent cependant de l’histoire. L’une topique, consiste à voir dans la mort des personnages le moyen, tout comme Tristan et Yseult, de vivre leur amour, sans embûches, car « Tant qu’il convient par desconfort / Aux vrays Amants de souffrir la mort. ». Ainsi la loyauté entre amants est mise en avant, sur le schéma de la fin’amor, et à l’égal de la relation vassasilique du Duc et du Chevalier. D’autre part, la morale insiste sur le langage de la jalousie et ses « ennuys » : « Par jalousie & male bouche ». Le quiproquos du dialogue de la Duchesse et du Chevalier fait l’essentiel de l’action dramatique du récit, dont la mort des protagoniste vient souligner la point culminant de la catastrophe. La morale se tourne alors vers le vice envieux de la jalousie éprouvée par la Duchesse, ce qui la conduit à sa perte : « Elle en mourra comme tristesse. »
(analyse rédigée par Ennio Porrazzo, Master UHA 2020-2021)

Présence d'éléments descriptifsIl y a plusieurs procédés descriptifs tels que la comparaison, l'information chiffrée, l'énumération, les exemples ou la définition.
(analyse rédigée par Hanna Amboorallee, Master UHA 2020-2021)

Analyse de l'extrait

Modalité(s) du tragiqueL'enjeu tragique de la Châtelaine de Vergy est intrinsèque à sa tessiture textuelle de grande densité dramatique. Le poème commence par affirmer que le secret absolu est la condition imposée aux "fins amants" pour qu'ils puissent jouir de leur bonheur et éviter des détours. Cette déclaration conditionnelle et l'évocation d'un secret - la relation cachée que le Chevalier courtois entretient avec la Duchesse, une félonie - sont des stratégies pour créer une tension narrative qui monte à partir du moment où la Duchesse, en voyant ses avances plus directes au Chevalier réprimées, le quitte et jure de se venger. Le tragique a lieu enfin sous la forme du dilemme. Le Chevalier est placé devant une alternative, un choix difficile entre deux possibilités de même danger : être exilé et perdre son amie - et, par conséquent, sa raison de vivre et sa joie - ou avouer ses torts et passer pour déloyal aux yeux de son seigneur, le Duc. C'est à partir de cette appréhension morale de la décision que le tragique se construit et s'exprime effectivement dans le récit. Cela est fait à partir de la mobilisation de quatre ressources : (1) l'utilisation de mots issus des champs lexicaux autour de la mort et de la souffrance (même dans les scènes où ces thèmes ne sont pas centraux) ; (2) les figures de répétition qui permettent de reprendre le vocabulaire du tragique et d'accentuer ainsi son sens et sa force poétique ; (3) l'antithèse, qui souligne des mots ou des phrases afin de faire des jeux littéraires entre le désir et son empêchement, la joie et la souffrance, la vie et la mort ; (4) l'interrogation poétique, récurrente dans la chanson courtoise, qui donne à la narrative une allure révérencielle. Des ressources stylistiques tirées de la littérature courtoise, mais avec des tournures originales, permettent au tragique ainsi construit de s'exprimer. Les rimes, les constructions syntaxiques et les choix lexicaux servent également à donner des rythmes différents aux 958 octosyllabes, ce qui génère à son tour des effets de sens. Le sommet de cette construction textuelle est la technique de la description dans la scène de mort de Châtelaine, qui coupe le souffle du lecteur en lui imposant un rythme haletant. Cette mort, causée par le désespoir de l'amour, le chagrin et le deuil qui pèsent sur son corps, a son dernier cri d'adieu transposé en mots écrits ; c'est elle qui clôt le récit, dans une évocation du tragique qui est présent à tous ses niveaux de construction du sens.
(analyse rédigée par Barbara Diniz Goncalvez, Master UHA 2020-2021)

Informations sur la notice

Responsable de la noticeRéach-Ngô, Anne (enseignante responsable du travail conduit par les étudiants du Master de Lettres-CLE de l'UHA année 2020-2021)

ÉditeurÉquipe Tragiques Inventions, Magda Campanini (Univ. Ca' Foscari-Venezia), Anne Réach-Ngô (UHA, IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Mentions légalesFiche : Équipe Tragiques Inventions, Madga Campanini (Université Ca' Foscari), Anne Réach-Ngô (UHA, IUF) ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

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Notice créée par Anne Réach-Ngô Notice créée le 16/04/2021 Dernière modification le 24/05/2023