Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Balasoupramanien à Marguerite Audoux

Auteur(s) : Balasoupramanien

Description
Remerciements pour De la ville au moulin - Mort de son père - "Lointains souvenirs" - Propos sur l'argent - Projet de traduction en tamoul
Texte

15, rue de la Marine
Pondichéry

15 – 6 – 26.

Chère Madame,

Je suis certain que vous ne me tiendrez pas rigueur du long retard avec lequel je réponds à l'envoi si aimable de votre livre et de votre gentille lettre[1] quand vous saurez qu'une série de malheurs s'est abattue sur ma famille.
Mon père a été brutalement arraché à notre affection par une mort soudaine et inattendue ; lui parti, mille difficultés pécuniaires et autres ont surgi de toutes parts – Le bonheur, pour tout dire, s'est envolé de notre toit et notre horizon s'est assombri… J'ai là, devant moi, chère Madame, vos « Lointains souvenirs »[2] - Ils ne sont guère roses, ceux-là, non plus !…. Quand j'ai pu, à l'aide des articles que vous m'avez envoyés, reconstituer quelque peu, avec mon imagination aidée de mon cœur, votre passé si douloureux et votre présent encore si sombre, quelle profonde sympathie m'a soudain enchaîné à vous ! Ah ! comme alors j'ai regretté d'être ce que je suis : un malheureux tout comme vous. Si j'étais riche…. Vraiment, madame, comme je me suis senti triste en lisant dans votre lettre ces mots qui, je vous le jure, m'ont poigné [sic] le cœur : « Je vous prie de ne pas oublier que je suis pauvre » Ah ! cette maudite richesse !
Quant à votre roman[3], il est si beau et pourrait si bien se vendre ici, traduit en tamoul, que je ne voudrais point le donner, pour une petite somme d'argent, à un éditeur quelconque. J'ai l'ambition de vouloir [sic] l'éditer par moi-même[4] et pour avoir l'argent nécessaire pour le faire, je compte en mettre un peu de côté en traduisant et en vendant d'abord des romans-ciné[5]
Alors, si le livre « réussit », comme il y a beaucoup à croire, vous pouvez compter absolument sur moi, chère Madame, pour avoir une bonne part du profit. Et ce sera fait, je vous assure, au bout d'un ou de deux ans ! Je termine, chère Madame, ma lettre, en m'excusant de sa sécheresse et de son allure toute prosaïque, et en vous priant de voir toujours en moi un de vos admirateurs le plus fervent et le plus dévoué.

Balasoupramanien[6]

P. S. Voudriez-vous avoir la bonté de m'envoyer quelques mots en réponse à cette lettre, afin que je sois sûr qu'elle[7] vous est bien parvenue.

B.

[1] Envoi non retrouvé
[2] Article de la romancière paru dans Le Soir du 25 mars 1926. Il s'agit de l'évocation de l'arrivée à la ferme de Berrué (« J'avais treize ans, j'arrivais d'une grande ville, et comme mon voyage s'était effectué de nuit, il me semblait avoir été transportée pendant mon sommeil sur une terre étrangère. ». Marguerite Audoux évoque son ennui, en dépit d'un petit berger qui la hèle, mais à qui elle ne répond pas, car la fermière lui a recommandé de ne jamais parler à personne. Le jeune homme interviendra pourtant le jour où la fillette tombe dans un fossé plein de vase. On lave la robe, et on la met à sécher, mais elle est mangée par une vache, d'où l'hilarité générale lorsque la bergère revient à la ferme.
[3] De la ville au moulin
[4] Ce projet ne se réalisera pas.
[5] Ce qui doit représenter le summum de la modernité et de la rentabilité : il faudrait porter cette lettre à la connaissance d'Alain Rey, qui voit la naissance de ce néologisme en 1929 (Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaires Le Robert, 1992, tome 2, p. 1823).
[6] Orthographié avec un ou deux s, selon la fantaisie du rédacteur
[7] Le pronom est suivi d'un est barré.
Lieu(x) évoqué(s)Pondichéry
État génétiqueVoir la note 7 de la partie TEXTE

Géolocalisation

Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 03/05/2024