Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux au Dr Augustin Dubois

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

Description

Henri Dejoulx (dans Marie-Claire, Henri Deslois), dont s’éprend Marguerite Audoux lorsqu’elle est placée dans une ferme de Sologne, a une sœur aînée, Charlotte Dejoulx, qui épouse émile Dubois, notaire à Argent-sur-Sauldre puis à Saint-Viâtre. Leur fils aîné deviendra le docteur Augustin Dubois (23 août 1874, Argent-sur-Sauldre – 8 décembre 1948), qui exercera à Lamotte-Beuvron de 1906 à sa mort subite, et à qui est adressée la présente lettre. Singulièrement, la rencontre entre le médecin et la romancière vient davantage du succès de Marie-Claire que d’une recherche biographique qu’eût menée Augustin Dubois, qui « est un homme lettré ayant écrit quelques plaquettes historiques ou ethnologiques. S’intéressant aux auteurs qui chantent la Sologne, il est en relation avec quelques écrivains bien oubliés aujourd’hui, dont Roger sausset et Lucien Jullemier, mais aussi Marguerite Audoux, dont le renom n’est plus à affirmer. Augustin Dubois lui rend visite à Paris quand elle est au sommet de sa réputation, et de cette rencontre naît une lettre dans laquelle la romancière se dévoile avec une réelle sincérité dans son style littéraire à la simplicité inimitable. » [Heude (Bernard), Marguerite Audoux et la Sologne. Lettre autographe inédite au docteur Augustin Dubois. Lointains souvenirs et diverses dédicaces, in la Sologne et son passé (Bulletin du Groupe de Recherches Archéologiques et Historiques de SOLOGNE), n° 62, janvier-mars 2015, p. 13-26]

À cette lettre sont joints la reproduction d’un article de Marguerite Audoux extrait du journal Paris-Soir du jeudi 25 mars 1926, Lointains souvenirs (la romancière a ajouté au-dessus du titre : « Histoire vraie ») et Une Petite Histoire de Sologne dont nous reproduisons le texte :

« Comme récompense de la peine que vous allez prendre, voici une petite histoire de Sologne.

C’était fête à Pierrefitte ce dimanche-là, et votre mère, la bonne Charlotte aux beaux yeux francs, aux cheveux brillants et bouclés, avait eu la gentillesse de m’emmener à cette fête en même temps que sa mère, mais aussitôt arrivée elle s’aperçoit qu’elle a oublié un vêtement indispensable à l’un de ses enfants. J’offre de courir à Villeneuve le chercher, mais même en courant, à l’aller comme au retour, je ne serais pas revenue à temps. Charlotte, alors, a une idée. Prenez la voiture, me dit-elle. Je ne savais pas conduire, et Henriette assurait que je jetterais la jument dans le fossé si on me la confiait. Mais Charlotte, ses yeux dans les miens, me dit avec cette bonne humeur qui lui était coutumière : mais si, voyons, vous saurez bien conduire. Et puis la jument connaît bien le chemin, elle ira toute seule.

Oui, la jument connaissait le chemin, mais tout de suite elle prit la gauche, de sorte que les voitures rencontrées s’écartaient de mauvaise grâce, tandis que l’on me criait : ta droite, ta droite. J’ignorais qu’il y eût une droite et une gauche pour les voitures et je me creusai la tête pour savoir ce que voulaient dire ces gens. Au retour, lorsque je le demandais à Charlotte, elle eut un beau sourire avant de me répondre. »
Texte

9 janvier

Écoutez, bon Docteur Dubois, il faut absolument que vous me nommiez ceux des vôtres qui sont sur la carte que vous m’avez envoyée. Ils y sont tous si petits que je n’ose mettre un nom sur aucun d’eux. Cette carte, je la regarde souvent, et à cause d’elle je ne pense plus qu’à la Sologne.

Du domaine de Berruet [Berrué] je garde un souvenir de mystère, d’espace et de silence, mais de Villeneuve je garde surtout le souvenir d’Henri, qui s’est fait tout de suite l’ami de cette drôle de petite servante qui regardait toujours au-delà de sa besogne. C’est lui qui a dirigé mes premières lectures en me faisant connaître les grands écrivains. J’imagine que les sapins devaient se réjouir d’entendre son rire lorsque je posais des questions saugrenues. Un jour, ce grand secret s’est échappé des sapinières et le violent orage qui s’en est suivi a tout détruit.

Étonnez-vous, après cela, que l’oubli ne soit jamais venu. Bien des faits cependant commençaient à glisser de ma mémoire, mais votre venue ici a été comme une drague dans ma vie de ce temps-là.

S’il vous arrive jamais de monter encore jusqu’à mon pigeonnier, je pense que j’aurais beaucoup de questions à vous poser.

Excusez cela, voulez-vous ? et croyez-moi votre bien cordiale

Marguerite Audoux

Lieu(x) évoqué(s)Berrué
Notice créée par Richard Walter Notice créée le 25/04/2024 Dernière modification le 03/05/2024