Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Antoine Lelièvre

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

Description


  • L'article joint est le suivant :


    « QUINZE ANS après
    ________
    Un nouveau livre de Marguerite Audoux
    Quinze ans déjà !...
    C'était au mois de novembre 1910, un mois avant l'attribution du Prix Goncourt. Un livre venait de paraître, qu'avait préfacé, d'enthousiasme, Octave Mirbeau.
    Mirbeau n'aimait à demi ni les hommes, ni les livres, ni la peinture, ni quoi que ce soit au monde. Un roman, Marie‑Claire par Mme Marguerite Audoux, l'avait ravi : il ne l'envoyait pas dire, il le disait lui‑même à tout venant.
    « Un chef‑d'œuvre ! Un miracle ! Une couturière pauvre et malade, amie de Charles‑Louis Philippe, a écrit pour elle, « pour amuser sa solitude », une histoire toute simple…, la sienne, si vous voulez… et c'est une chose admirable dont je ne puis parler que les larmes aux yeux… De cette femme du peuple qui gagne sa vie depuis l'âge de douze ans, un livre est sorti, comme un enfant râblé… La Grande Revue de M. Rouché a été son berceau… Le voilà en librairie… « Il doit » avoir le Prix Goncourt ! S'il ne l'obtenait pas, je donnerais ma démission[1] »
    Les circonstances empêchèrent Mirbeau de mettre sa menace à exécution. Marguerite Audoux n'eut pas le Prix Goncourt, mais elle eut celui de « La Vie Heureuse ».
    Mirbeau, bon juge, ne s'était pas trompé : le succès de Marie‑Claire fut considérable. On en vendit cent mille exemplaires, et Marguerite Audoux connut la célébrité.
    Comme elle n'était pas du tout femme de lettres, Marguerite Audoux ne retira qu'un médiocre profit de la publicité qui lui tombait du ciel, à travers le toit. L'encens ne la grisait pas. Elle se réjouissait surtout de l'aubaine parce que sa vue affaiblie allait bientôt lui interdire les travaux de couture dont elle vivait, entre sa machine et son mannequin. Elle pouvait enfin « souffler un peu… » Marie‑Claire représentait dix années de loisir, de moments perdus. Elle s'était raconté à elle‑même cette histoire sans apprêt. On égrène, comme un rosaire, la vie qu'on a eue…
    Orpheline dès l'enfance, elle avait été élevée dans un couvent jusqu'à l'âge de douze ans ; puis elle avait gardé les troupeaux dans une ferme solognote. À dix‑huit ans, elle avait quitté Bourges, où elle végétait, pour venir à Paris avec tout juste l'argent de son voyage. Elle avait travaillé un moment à la cartoucherie de Vincennes ; enfin elle s'était établie couturière en chambre à Paris. Elle avait connu Charles‑Louis Philippe à la crémerie. Ils s'étaient liés d'amitié. Elle lui avait soumis les premiers chapitres de Marie‑Claire, et il en avait corrigé en riant les fautes d'orthographe. C'était un autre ami, Francis Jourdain, qui avait communiqué le cahier à Mirbeau… Et voilà.
    Huit années passèrent… Le temps nécessaire pour donner une suite au livre des débuts et ce fut L'Atelier de Marie‑Claire. Encore un long intervalle, et j'apprenais dernièrement que Marguerite Audoux venait de terminer une nouvelle histoire qui lui avait tenu compagnie, comme disait Mirbeau, pendant plusieurs années. J'allai voir Marguerite Audoux et je lui demandai, pour les lecteurs du Journal, cette histoire.
    Je retrouvai l'hirondelle sous sa tuile, la même ; je retrouvai Marguerite Audoux telle que je l'avais connue, riche de conscience et de fierté, dans sa demeure pauvre et pure. On ne se doute pas, dans son voisinage, qu'elle est là‑haut, et l'auteur d'un chef‑d'œuvre… Elle garde encore, comme autrefois, de blancs moutons sous les étoiles ; mais de ces moutons‑là, elle ne doit compte à personne : elle est sa propre fermière.
    D'abord elle hésita :
    ‑ Vous n'y pensez pas ! C'est une histoire trop simple, trop unie, pour intéresser vos lecteurs sans nombre, avides de péripéties. Le feuilleton au jour le jour a des exigences que je n'ai pas envisagées…
    ‑ Qui vous dit que ce n'est pas cette simplicité exceptionnelle qui les séduira ? Le bruit d'une source n'est pas monotone à toutes les oreilles. On écoutera précisément, peut‑être, parce que vous murmurez…
    Elle se laissa convaincre, et c'est pourquoi nous avons la joie de publier : De la ville au moulin, où s'épanche un cœur altéré de sympathie pour tout ce qui vit, peine et souffre noblement. »
    [Descaves (Lucien), Le Journal, 19 janvier 1926]

    [1] Dans sa biographie (Un Cœur pur : Marguerite Audoux, Grasset, 1942, p. 130), Georges Reyer : ou bien a eu les mêmes sources que Descaves, ou bien s'est inspiré de cet article, en rendant plus virulents encore les propos comminatoires de Mirbeau.


  • Sur le titre du troisième roman - Eugène Fasquelle - La famille Lelièvre - Lucien Descaves - Paul d'Aubuisson - Ennuis oculaires
Texte


[Paris,] 19 janvier 1926[1]

Mon bien cher ami,

J'hésitais à vous écrire ces temps derniers parce que je n'étais pas sûre[2] de ce qui allait arriver à mon roman[3]. Cette fois ça y est. L'article que je vous envoie en fait foi[4]. Je n'ai pas pu garder le titre choisi depuis longtemps, Annette Beaubois, mais tant pis, celui qui le remplace n'est pas laid après tout. Et puis Le Journal est une réclame qui vaut la peine qu'on fasse quelques sacrifices.
Je n'ai pas encore averti Fasquelle. Si l'article lui tombe sous les yeux, il trouvera vite le chemin de la maison. Je suppose que le bouquin paraîtra en mai[5] et je compte que vous attendrez ce moment-là pour le lire car le feuilleton ne sera pas exact, c'est forcé.
Je voudrais vous savoir en bonne santé. Je voudrais vous savoir heureux au milieu de votre si gentille famille.
Vous savez comme j'enregistre facilement les visages. Je vous garde dans ma pensée tous quatre[6] plus sûrement, ou plutôt beaucoup plus fidèlement qu'une photographie. J'ai été si contente de vous[7] voir réunis dans ma maison. Lette toujours charmante et douce. Vous, avec un air de bon papa que je ne vous connaissais pas. Huguette délurée et fine et le bon Jacques placide et confiant.
Ici, rien n'est changé. Comme le dit si bien Descaves, j'ai repris une assez solide santé. C'est-à-dire que tous mes maux sont moindres et aussi beaucoup moins fréquents. De plus mon fils adoptif[8] me donne satisfaction par sa bonne conduite et les autres[9] sont bien portants.
Il n'y a plus que mes yeux qui me causent de la vraie misère. Ils sont chameaux comme tout.
Au revoir, mon très cher ami.
Je vous embrasse bien affectueusement tous quatre.

Marguerite Audoux

[1] Lettre envoyée le 20 et parvenue à destination le 21
[2] L'adjectif est ajouté dans l'interligne supérieur.
[3] Voir la note 1 de la lettre 305
[4] Descaves, Lucien, « QUINZE ANS après ‑ Un Nouveau Livre de Marguerite Audoux », in Le Journal, 19 janvier 1926. L'article de Descaves est découpé, qui relate la vie et les succès précédents, et les scrupules de la romancière pour la prépublication de De la ville au moulin dans Le Journal (« Vous n'y pensez pas ! C'est une histoire trop simple, trop unie, pour intéresser vos lecteurs sans nombre, avides de péripéties. Le feuilleton au jour le jour a des exigences que je n'ai pas envisagées… »). Une fois de plus le rédacteur livre un discours rapporté dont nous n'avons aucune preuve de l'exactitude absolue pour la totalité. D'ailleurs, n'écrit‑il pas dans ce même article que Marguerite Audoux quitte le couvent à douze ans (et non quatorze, comme c'est le cas) pour aller garder des troupeaux ? Voir la reproduction de cet article dans la partie DESCRIPTION
[5] Il paraîtra le 2 avril 1926.
[6] Les Lelièvre et leurs deux enfants, Huguette et Jacques
[7] Un second vous est rayé à la suite.
[8] Paul d'Aubuisson
[9] Roger et Maurice



Lieu(x) évoqué(s)Mayenne, Paris
État génétiqueVoir les notes 2 et 7 de la partie TEXTE

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 20/05/2022