Votre recherche dans le corpus : 295 résultats dans 5377 notices du site.Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres (La correspondance croisée entre François Guizot et Dorothée de Lieven : 1836-1856)
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405. Londres, Lundi 7 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
405. Londres, Lundi 7 septembre 1840
6 heures
Je ne puis pas me rendormir. Je vous écris de mon lit hier en rentrant chez moi, j’ai essayé de travailler. Je n’ai pas réussi. Votre billet m’est arrivé. Que j’aime Guillet ! J’avais envie de le remercier. J’ai encore essayé de travailler. Pas mieux. J’ai pris le parti de sortir, de marcher. J’ai marché deux heures un quart, dans Regent’s Park dedans, à travers, autour. Je me suis arrêté devant trois prédicateurs. L’un prêchait contre le libre arbitre de l’homme. Un autre lisait, dans je ne sais quel voyage, une histoire de Missionnaire pour prouver à ses auditeurs qu’il était plus sage et plus sain de ne boire que de l’eau. Je n’ai pu entendre le troisième. J’ai passé devant une petite porte de Regent’s Park, où est la statue du duc de Kent. Je me suis arrêté. Personne ne parlait là ; mais moi, j’entendais, des choses charmantes Je suis rentré à 6 heures un quart. J’étais las très las. Je me suis endormi dans mon fauteuil, en face de ma fenêtre. Quand je me suis réveillé, j’ai aperçu la lune devant moi, une petite lune claire et douce. Vous l’aurez vue aussi, entre Dartford et Rochester.
A 9 heures et demie j’ai été à Holland house où j’ai mené Bourqueney. Lady Holland est toujours souffrante. Je lui ai remis votre billet. Elle ne voulait pas croire que vous fussiez partie. Il a fallu le lui répéter. Peu de monde. Luttrel, Alava, Moncorvo, Neumann. J’ai demandé à lady Holland quel jour elle voulait venir dîner chez moi en petit comité. Elle craint que sa santé ne le lui permette pas. Ils iront à Brighton pour un peu d’air de mer, mais pas longtemps. Je doute qu’ils y aillent, et je crois qu’ils viendront dîner chez moi la semaine prochaine. J’y dine demain (chez eux) avec lord John Russell. Les nouvelles d’Alexandrie les ont fort troublés. Lady Holland prend le trouble fort au sérieux. Lord Holland dit que le Pacha commence à lui plaire. Il le trouve spirituel et fier. J’étais rentré à onze heures et demie Je suis charmé que votre fils soit venu. Je l’espérais à peine. Et qu’il ait été bien. Puisqu’il a commencé, il continuera. Vous retrouverez quelque chose. Demandez-lui peu. Ne le blessez pas et ne vous blessez pas. Que je voudrais que votre relation redevint convenable et douce.
3 heures
Merci de Rochester comme de Guillet, vous étiez fatiguée. Mais n’est-ce pas que cela ne vous fatigue pas de m’écrire. Il ne fait pas si beau qu’hier ; mais bien doux et pas de vent. J’épie le vent ; je lui parle ; je le prie de se taire. Que de choses je dis et que les paroles qui sortent des lèvres sont peu de chose auprès de celles qui y meurent ? J’ai été obligé de sortir un moment et j’ai manqué George d’Harcourt qui est arrivé hier et repart ce soir. La maladie de son oncle l’a fait venir. Il a causé avec Bourqueney. Il est très frappé de la légèreté des esprits d’ici, qui ne se doutent de rien et se réveilleront un matin tout surpris de trouver le monde en feu et d’apprendre qu’ils y ont eux-mêmes mis le feu pendant leur sommeil. Il y a bien des manières d’être léger. Si tout ceci tourne mal, ce sera la faute des hommes. Les choses ne se portent point d’elles-mêmes à une telle explosion. L’aveuglement et le mismanagement auront leur fait. C’est une de mes raisons d’espérer. J’ai peine à croire que les méprises humaines puissent faire, à ce point violence, à la pente naturelle des choses. G. d’Harcourt dit du reste que, s’il y avait guerre, l’unanimité serait grande en France et qu’on verrait quelle conduite tiendraient les Carlistes eux-mêmes. J’essaie de causer avec vous. J’ai été ce matin savoir des nouvelles de la Princesse Auguste, pour voir Stafford house. Elle était assez tranquille ; mais elle s’affaiblit beaucoup. Adieu. Est-ce vraiment adieu ? J’ai le cœur bien serré. Adieu. Adieu.
6 heures
Je ne puis pas me rendormir. Je vous écris de mon lit hier en rentrant chez moi, j’ai essayé de travailler. Je n’ai pas réussi. Votre billet m’est arrivé. Que j’aime Guillet ! J’avais envie de le remercier. J’ai encore essayé de travailler. Pas mieux. J’ai pris le parti de sortir, de marcher. J’ai marché deux heures un quart, dans Regent’s Park dedans, à travers, autour. Je me suis arrêté devant trois prédicateurs. L’un prêchait contre le libre arbitre de l’homme. Un autre lisait, dans je ne sais quel voyage, une histoire de Missionnaire pour prouver à ses auditeurs qu’il était plus sage et plus sain de ne boire que de l’eau. Je n’ai pu entendre le troisième. J’ai passé devant une petite porte de Regent’s Park, où est la statue du duc de Kent. Je me suis arrêté. Personne ne parlait là ; mais moi, j’entendais, des choses charmantes Je suis rentré à 6 heures un quart. J’étais las très las. Je me suis endormi dans mon fauteuil, en face de ma fenêtre. Quand je me suis réveillé, j’ai aperçu la lune devant moi, une petite lune claire et douce. Vous l’aurez vue aussi, entre Dartford et Rochester.
A 9 heures et demie j’ai été à Holland house où j’ai mené Bourqueney. Lady Holland est toujours souffrante. Je lui ai remis votre billet. Elle ne voulait pas croire que vous fussiez partie. Il a fallu le lui répéter. Peu de monde. Luttrel, Alava, Moncorvo, Neumann. J’ai demandé à lady Holland quel jour elle voulait venir dîner chez moi en petit comité. Elle craint que sa santé ne le lui permette pas. Ils iront à Brighton pour un peu d’air de mer, mais pas longtemps. Je doute qu’ils y aillent, et je crois qu’ils viendront dîner chez moi la semaine prochaine. J’y dine demain (chez eux) avec lord John Russell. Les nouvelles d’Alexandrie les ont fort troublés. Lady Holland prend le trouble fort au sérieux. Lord Holland dit que le Pacha commence à lui plaire. Il le trouve spirituel et fier. J’étais rentré à onze heures et demie Je suis charmé que votre fils soit venu. Je l’espérais à peine. Et qu’il ait été bien. Puisqu’il a commencé, il continuera. Vous retrouverez quelque chose. Demandez-lui peu. Ne le blessez pas et ne vous blessez pas. Que je voudrais que votre relation redevint convenable et douce.
3 heures
Merci de Rochester comme de Guillet, vous étiez fatiguée. Mais n’est-ce pas que cela ne vous fatigue pas de m’écrire. Il ne fait pas si beau qu’hier ; mais bien doux et pas de vent. J’épie le vent ; je lui parle ; je le prie de se taire. Que de choses je dis et que les paroles qui sortent des lèvres sont peu de chose auprès de celles qui y meurent ? J’ai été obligé de sortir un moment et j’ai manqué George d’Harcourt qui est arrivé hier et repart ce soir. La maladie de son oncle l’a fait venir. Il a causé avec Bourqueney. Il est très frappé de la légèreté des esprits d’ici, qui ne se doutent de rien et se réveilleront un matin tout surpris de trouver le monde en feu et d’apprendre qu’ils y ont eux-mêmes mis le feu pendant leur sommeil. Il y a bien des manières d’être léger. Si tout ceci tourne mal, ce sera la faute des hommes. Les choses ne se portent point d’elles-mêmes à une telle explosion. L’aveuglement et le mismanagement auront leur fait. C’est une de mes raisons d’espérer. J’ai peine à croire que les méprises humaines puissent faire, à ce point violence, à la pente naturelle des choses. G. d’Harcourt dit du reste que, s’il y avait guerre, l’unanimité serait grande en France et qu’on verrait quelle conduite tiendraient les Carlistes eux-mêmes. J’essaie de causer avec vous. J’ai été ce matin savoir des nouvelles de la Princesse Auguste, pour voir Stafford house. Elle était assez tranquille ; mais elle s’affaiblit beaucoup. Adieu. Est-ce vraiment adieu ? J’ai le cœur bien serré. Adieu. Adieu.
406. Londres, Mardi 8 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
406. Londres, Mardi 5 sept 1840
6 heures et demie
Je crois que c’est une habitude que je prends. Je me réveille à 6 heures et ne me rendors plus. Il fait un temps admirable. Je regarde les arbres de mon square. J’ai un souffle qui remue les feuilles. C’est bien ce qu’il vous faut ; vous êtes aussi délicate qu’une feuille. Point de vent qui vous agite et du soleil qui vous plaise ; je ne ferais pas mieux, si je faisais le temps. Le courrier que j’ai fait partir hier soir m’a dit que la marée était ce matin à 5 heures. Il ne comprenait pas pourquoi je le lui demandais. Vous ne passerez pas, je pense par cette marée là, vous attendrez la seconde. J’ai employé doucement ma soirée d’hier. Seul dans ma chambre, de 5 heures et demie à onze heures, j’ai classé vos lettres par année, par mois, par lieu de séjour, chaque mois dans une grande enveloppe.
A onze heures j’ai eu Charles Greville qui revenait de Holland-House où il avait dîné avec Bourqueney On y était fort agité, fort troublé, comme à la Bourse, comme partout dans Londres hier, c’est-à-dire partout où l’on pense à ce qui se passe. Napier devant Beyrouth, sommant les Egyptiens d’évacuer la Syrie, le 14 août, deux jours avant que Riffat Bey eût notifié à Alexandrie, au Pacha les propositions de la Porte cela paraissait monstrueux, et très alarmant. Les Rothschild étaient inquiets au dernier point, inquiets au point de contremander une partie de chasse qu’ils avaient arrangée pour ce matin, ne voulant pas s’éloigner aujourd’hui de Londres. Mais vous en saurez, sur tout cela, plus que je ne puis vous en mander. Vous aurez le haut du pavé sur moi pour les nouvelles. Elles passeront par vous pour venir à moi. Il me semble que les ouvriers s’apaisent un peu. J’y regarde bien plus attentivement depuis hier. En soi ce n’est rien ; mais, c’est bien assez pour vous agiter. Quand quelque chose de ce genre vous préoccupera, faites venir tout de suite Génie ; il vous dira exactement ce qui en est. Et pour peu que vous en ayez besoin ou envie, M. de Rémusat. S’il peut vous être bon à quelque chose, il en sera charmé.
Moi, je le suis qu’il n’y ait plus rien que de convenable entre vous et Paul. Son voyage à Paris consolidera et améliorera. Il s’y plaira près de vous. Faites avec lui comme il faut faire avec les hommes en général ; attendre peu, et demander moins qu’on n’attend. Quelque douceur rentrera, dans votre relation redevenue convenable.
2 heures
Malgré le retard de ma lettre, je suis bien aise que vous soyez partie ce matin, par ce beau temps. Vous partiez au moment où j’ouvrais ma fenêtre où je saluais le soleil pour vous. Vous êtes depuis longtemps à Boulogne, peut-être déjà repartie pour Paris. Je le voudrais. C’est que la mer ne vous aurait pas fatiguée. Ma pensée vous suit partout. Dieu est bien heureux. Il est toujours à côté de ceux qu’il aime. Je garde ma fleur de Stafford-House morte comme vive. Dimmanche soir, je l’ai serrée dans mon portefeuille, à côté d’un petit sachet noir qui contient autre chose, encore plus précieux qu’elle. Le lierre ira là aussi, quand j’aurai bien joui de ce qu’il m’a apporté. J’écris beaucoup ce matin. Si je puis sortir à temps vous aurez aujourd’hui votre chêne. Sinon demain. Il n’y a point de petit plaisir. Je viens de revoir les Rothschild toujours très inquiets de ce que leur oncle écrit de Paris. Pourtant la partie de chasse se reprend demain. Inquiet ou non, il faut que la vie aille, et qu’on s’amuse. J’attends avec impatience votre impression sur Paris. J’ai presque autant de confiance dans votre jugement que dans autre chose ; presque.
4 heures
J’ai parcouru Regent’s Park, les jardins clos au bout de Portland Place. Pas un chène, ni jeune, ni vieux. Enfin j’en ai trouvé un dans le Regent’s park du public. Voici sa feuille. un peu passée. L’automne approche. Les feuilles passent ; mais tout ne passe pas comme elles, quoiqu’on en dise. C’est la prétention vulgaire que ce qui est rare ne soit pas possible. Il y a un plaisir profond à lui donner un démenti. Adieu. J’ai bien peur de n’avoir rien demain. A présent, je vous veux à Paris, bien reposée. Adieu. Adieu. Infiniment.
6 heures et demie
Je crois que c’est une habitude que je prends. Je me réveille à 6 heures et ne me rendors plus. Il fait un temps admirable. Je regarde les arbres de mon square. J’ai un souffle qui remue les feuilles. C’est bien ce qu’il vous faut ; vous êtes aussi délicate qu’une feuille. Point de vent qui vous agite et du soleil qui vous plaise ; je ne ferais pas mieux, si je faisais le temps. Le courrier que j’ai fait partir hier soir m’a dit que la marée était ce matin à 5 heures. Il ne comprenait pas pourquoi je le lui demandais. Vous ne passerez pas, je pense par cette marée là, vous attendrez la seconde. J’ai employé doucement ma soirée d’hier. Seul dans ma chambre, de 5 heures et demie à onze heures, j’ai classé vos lettres par année, par mois, par lieu de séjour, chaque mois dans une grande enveloppe.
A onze heures j’ai eu Charles Greville qui revenait de Holland-House où il avait dîné avec Bourqueney On y était fort agité, fort troublé, comme à la Bourse, comme partout dans Londres hier, c’est-à-dire partout où l’on pense à ce qui se passe. Napier devant Beyrouth, sommant les Egyptiens d’évacuer la Syrie, le 14 août, deux jours avant que Riffat Bey eût notifié à Alexandrie, au Pacha les propositions de la Porte cela paraissait monstrueux, et très alarmant. Les Rothschild étaient inquiets au dernier point, inquiets au point de contremander une partie de chasse qu’ils avaient arrangée pour ce matin, ne voulant pas s’éloigner aujourd’hui de Londres. Mais vous en saurez, sur tout cela, plus que je ne puis vous en mander. Vous aurez le haut du pavé sur moi pour les nouvelles. Elles passeront par vous pour venir à moi. Il me semble que les ouvriers s’apaisent un peu. J’y regarde bien plus attentivement depuis hier. En soi ce n’est rien ; mais, c’est bien assez pour vous agiter. Quand quelque chose de ce genre vous préoccupera, faites venir tout de suite Génie ; il vous dira exactement ce qui en est. Et pour peu que vous en ayez besoin ou envie, M. de Rémusat. S’il peut vous être bon à quelque chose, il en sera charmé.
Moi, je le suis qu’il n’y ait plus rien que de convenable entre vous et Paul. Son voyage à Paris consolidera et améliorera. Il s’y plaira près de vous. Faites avec lui comme il faut faire avec les hommes en général ; attendre peu, et demander moins qu’on n’attend. Quelque douceur rentrera, dans votre relation redevenue convenable.
2 heures
Malgré le retard de ma lettre, je suis bien aise que vous soyez partie ce matin, par ce beau temps. Vous partiez au moment où j’ouvrais ma fenêtre où je saluais le soleil pour vous. Vous êtes depuis longtemps à Boulogne, peut-être déjà repartie pour Paris. Je le voudrais. C’est que la mer ne vous aurait pas fatiguée. Ma pensée vous suit partout. Dieu est bien heureux. Il est toujours à côté de ceux qu’il aime. Je garde ma fleur de Stafford-House morte comme vive. Dimmanche soir, je l’ai serrée dans mon portefeuille, à côté d’un petit sachet noir qui contient autre chose, encore plus précieux qu’elle. Le lierre ira là aussi, quand j’aurai bien joui de ce qu’il m’a apporté. J’écris beaucoup ce matin. Si je puis sortir à temps vous aurez aujourd’hui votre chêne. Sinon demain. Il n’y a point de petit plaisir. Je viens de revoir les Rothschild toujours très inquiets de ce que leur oncle écrit de Paris. Pourtant la partie de chasse se reprend demain. Inquiet ou non, il faut que la vie aille, et qu’on s’amuse. J’attends avec impatience votre impression sur Paris. J’ai presque autant de confiance dans votre jugement que dans autre chose ; presque.
4 heures
J’ai parcouru Regent’s Park, les jardins clos au bout de Portland Place. Pas un chène, ni jeune, ni vieux. Enfin j’en ai trouvé un dans le Regent’s park du public. Voici sa feuille. un peu passée. L’automne approche. Les feuilles passent ; mais tout ne passe pas comme elles, quoiqu’on en dise. C’est la prétention vulgaire que ce qui est rare ne soit pas possible. Il y a un plaisir profond à lui donner un démenti. Adieu. J’ai bien peur de n’avoir rien demain. A présent, je vous veux à Paris, bien reposée. Adieu. Adieu. Infiniment.
407. Londres, Mercredi 9 [septembre] 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
407. Londres, Mercredi 9 [septembre] 1840
9 Heures
J’ai si mal dormi cette nuit que je me lève tard. Le sommeil m’a gagné ce matin. Je ne veux pas dire que je suis inquiet. Je ne le suis pas. Je ne le serais pas du tout, si vous ne rouliez pas vers Paris. J’en attends avec ardeur les nouvelles. Je ne peux pas me figurer un vrai désordre dans Paris, votre agitation, vos craintes, et moi absent. Que de choses on ne peut pas se figurer, et qui arrivent, et qu’on supporte ! C’est odieux à penser. Je suis parlaitement sûr qu’il n’y a point de danger dans Paris, point en général, point pour vous. Je pense que vous aurez appris l’émeute à Boulogne, et que vous vous serez arrêtée. Ce qui me prouve que l’émeute n’a pas de gravité, c’est qu’elle était fort locale, concentrée dans un quartier d’ouvriers. Il n’y a rien eu dans les quartiers politiques, où l’émeute politique à toujours logé. Ce que je vous dis-là, ne signifiera rien du tout pour vous quand vous le lirez. Mais je vous dis ce que je me dis à moi-mêmes. J’essaye en vain de me parler d’autre chose.
J’ai dîné hier à Holland-House, avec Lord John, dont j’ai été content très content. Il commence à entrevoir la gravité de la situation. Il convient qu’on s’est fort trompé, qu’on est déjà au troisième ou quatrième mécompte qu’on ne referait pas ce qu’on a fait si ce n’était pas fait. Mais comment faire? Il cherche et ne trouve pas. Mais il cherche. Et je sais que Lord Melbourne cherche aussi avec plus de care qu’il ne lui appartient. Je ne vois là rien de plus qu’une bonne disposition pour un moment qui peut venir. En attendant qu’il vienne ceci est bien grave. Voilà le traité en cours d’exécution. Et il s’exécute avant d’être non seulement ratifié, mais notifié au Pacha ; on l’attaque en Syrie avant de lui avoir dit qu’on lui demande de rendre la Syrie, quand on lui donne vingt jours, pour répondre à ce qu’on lui aura dit ! C’est là le premier incident. Il en viendra en foule. Et c’est sous ce feu-là, qu’il faut rester immobile jusqu’à ce que le moment se présente , soit pour nous d’agir, soit pour les autres to retrace their Steps ! C’est bien difficile. C’est pourtant la seule bonne conduite, bonne pour maintenir la paix si la paix peut être maintenue, comme j’y crois toujours, bonne si nous sommes obligés à la guerre. Car il faut que nous y soyons bien certainement, bien évidemment obligés, que nous la fassions pour notre compte, pour le compte de notre rang, de notre influence, de notre sureté en Europe, non pour le compte du Pacha et de la Syrie.
Je pense sans cesse à cela, sans cesse en seconde ligne. J’ai tort car tout se tient, la première et la seconde ligne. J’y pense avec cette passion qui pénètre certainement au fond des choses comme on regarde de sa barque à l’horizon, le point d’où peut venir la tempète. Je ne découvre pas autre chose à prévoir, autre chose à faire. Ma conviction sur les chances de l’avenir, sur la route à suivre, est de plus en plus forte. Mais que la barque où nous vivons est fragile, et que toute notre sagesse, toute notre force est peu de chose quand la mer est si grosse et le port si loin ! Je moralise ; j’ai recours à Dieu, je le prie. Je ne puis pas, je ne veux pas m’en défendre. J’ai le cœur trop plein, il s’agit d’intérêts trop chers, pour que les pensées et les ressources humaines me suffisent. Je vais à la sagesse qui sait tout, au pouvoir qui peut tout. Je lui demande d’intervenir.
Une heure
C’est Rothschild qui est intervenu pendant que j’écrivais. Croyez-vous qu’il prie Dieu pour la surété de son argent ? Je ne pense pas que cela soit jamais arrivé à personne. Grande lumière sur la valeur des choses.
Je n’espérais pas de lettre aujourd’hui. Merci mille fois. Vous êtes bien aimable. C’est presque une vertu d’être aimable. Cela me plaît que vous ayez passé par Calais. Je passe toujours par là. Rien de Paris sinon les journaux qui me prouvent que l’émeute n’a pas été grand chose. Le langage du Constitutionnel, sur la dépêche de Lord Palmerston et sur la situation en général est bon. Mais j’aurais dû avoir un courrier. Adieu. Serez-vous ce soir à Paris, ou demain seulement ? Adieu partout. Adieu toujours.
9 Heures
J’ai si mal dormi cette nuit que je me lève tard. Le sommeil m’a gagné ce matin. Je ne veux pas dire que je suis inquiet. Je ne le suis pas. Je ne le serais pas du tout, si vous ne rouliez pas vers Paris. J’en attends avec ardeur les nouvelles. Je ne peux pas me figurer un vrai désordre dans Paris, votre agitation, vos craintes, et moi absent. Que de choses on ne peut pas se figurer, et qui arrivent, et qu’on supporte ! C’est odieux à penser. Je suis parlaitement sûr qu’il n’y a point de danger dans Paris, point en général, point pour vous. Je pense que vous aurez appris l’émeute à Boulogne, et que vous vous serez arrêtée. Ce qui me prouve que l’émeute n’a pas de gravité, c’est qu’elle était fort locale, concentrée dans un quartier d’ouvriers. Il n’y a rien eu dans les quartiers politiques, où l’émeute politique à toujours logé. Ce que je vous dis-là, ne signifiera rien du tout pour vous quand vous le lirez. Mais je vous dis ce que je me dis à moi-mêmes. J’essaye en vain de me parler d’autre chose.
J’ai dîné hier à Holland-House, avec Lord John, dont j’ai été content très content. Il commence à entrevoir la gravité de la situation. Il convient qu’on s’est fort trompé, qu’on est déjà au troisième ou quatrième mécompte qu’on ne referait pas ce qu’on a fait si ce n’était pas fait. Mais comment faire? Il cherche et ne trouve pas. Mais il cherche. Et je sais que Lord Melbourne cherche aussi avec plus de care qu’il ne lui appartient. Je ne vois là rien de plus qu’une bonne disposition pour un moment qui peut venir. En attendant qu’il vienne ceci est bien grave. Voilà le traité en cours d’exécution. Et il s’exécute avant d’être non seulement ratifié, mais notifié au Pacha ; on l’attaque en Syrie avant de lui avoir dit qu’on lui demande de rendre la Syrie, quand on lui donne vingt jours, pour répondre à ce qu’on lui aura dit ! C’est là le premier incident. Il en viendra en foule. Et c’est sous ce feu-là, qu’il faut rester immobile jusqu’à ce que le moment se présente , soit pour nous d’agir, soit pour les autres to retrace their Steps ! C’est bien difficile. C’est pourtant la seule bonne conduite, bonne pour maintenir la paix si la paix peut être maintenue, comme j’y crois toujours, bonne si nous sommes obligés à la guerre. Car il faut que nous y soyons bien certainement, bien évidemment obligés, que nous la fassions pour notre compte, pour le compte de notre rang, de notre influence, de notre sureté en Europe, non pour le compte du Pacha et de la Syrie.
Je pense sans cesse à cela, sans cesse en seconde ligne. J’ai tort car tout se tient, la première et la seconde ligne. J’y pense avec cette passion qui pénètre certainement au fond des choses comme on regarde de sa barque à l’horizon, le point d’où peut venir la tempète. Je ne découvre pas autre chose à prévoir, autre chose à faire. Ma conviction sur les chances de l’avenir, sur la route à suivre, est de plus en plus forte. Mais que la barque où nous vivons est fragile, et que toute notre sagesse, toute notre force est peu de chose quand la mer est si grosse et le port si loin ! Je moralise ; j’ai recours à Dieu, je le prie. Je ne puis pas, je ne veux pas m’en défendre. J’ai le cœur trop plein, il s’agit d’intérêts trop chers, pour que les pensées et les ressources humaines me suffisent. Je vais à la sagesse qui sait tout, au pouvoir qui peut tout. Je lui demande d’intervenir.
Une heure
C’est Rothschild qui est intervenu pendant que j’écrivais. Croyez-vous qu’il prie Dieu pour la surété de son argent ? Je ne pense pas que cela soit jamais arrivé à personne. Grande lumière sur la valeur des choses.
Je n’espérais pas de lettre aujourd’hui. Merci mille fois. Vous êtes bien aimable. C’est presque une vertu d’être aimable. Cela me plaît que vous ayez passé par Calais. Je passe toujours par là. Rien de Paris sinon les journaux qui me prouvent que l’émeute n’a pas été grand chose. Le langage du Constitutionnel, sur la dépêche de Lord Palmerston et sur la situation en général est bon. Mais j’aurais dû avoir un courrier. Adieu. Serez-vous ce soir à Paris, ou demain seulement ? Adieu partout. Adieu toujours.
408. Londres, Mercredi 9 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
408. Londres, Mercredi 9 septembre 1840
6 heures et demie
J’ai fait ce matin quelques visites. J’ai vu notre amis Dedel, toujours très bon et très sensé. Je lui ai porté mes plaintes sur Napier n’ayant pu trouver dans Londres un ministre anglais à qui les adresser. J’avais passé chez Lord Clarendon le seul membre du Cabinet qui réside. Il n’y était pas. Il sort de chez moi, et je lui ai dit comme s’il avait été Lord Palmerston ou Lord Melbourne tout ce que Napier m’avait mis sur le cœur. Il n’y a pas de réponse à cela. Lord Palmerston lui-même n’en trouverait pas. La guerre commencée en Syrie deux jours avant qu’on ait demandé au Pâcha de rendre la Syrie ! Voilà bien les incidents et les subalternes. Je ne sais ce qu’on me dira quand il y aura quelqu’un pour me parler En attendant les journaux même les plus hostiles au Pacha, le Standard par exemple, se récrient contre une telle légèreté ou un tel manqué de foi. On verra ce que c’est que d’entreprendre à 7ou 800 lieues et par toutes sortes de mains une opération bien plus vaste, bien plus compliquée, bien plur longue que cette expédition de Belgique que nous avons eu tant de peine à conduire à bien, sous nos propres yeux et de nos propres mains.
Jeudi 6 heures et demie
Je m’éveille. Achevez. J’ai eu hier quelques personnes à dîner. Rien. Après dîner, j’ai joué au whist. Quelle décadence. C’est demain que je commence à rester chez moi le soir, mardi et vendredi. J’achète une seconde table de whist, des échecs. Je fais venir du Val-Richer mon tric-trac. On ne trouve pas un tric-trac dans Londres. Je n’aurai pas mes deux soirées par semaine à Holland house. Ils vont décidément à Brighton pour quinze jours. Cependant Lady Holland va mieux. Lord John est retourné à Windsor. La Reine ne voulait pas qu’il en sortit, même pour un jour. Pourtant quand elle a su que c’était pour dîner avec moi, elle a dit : " A la bonne heure. Je crois que la Reine a grande envie de la paix. Lord Clarendon est invité à Windsor pour vendredi, la première fois. Lord Holland n’y a pas encore été invité. On en a de l’humeur. On s’en prend à qui de droit.
Lord Tankerville a été opéré hier matin, avec plein succès, dit-on. On n’en sera tout-à -fait sûr que dans quelques jours. Dites-moi ce qu’il y a de réel dans le succès de l’opération sur les yeux de votre nièce. Je déteste la loucherie. Je penserais avec plaisir qu’on a trouvé un moyen de la chasser de ce monde. Je n’ai pas eu hier de lettre du Val. Richer. Je m’en prends aux désordres des ouvriers dans Paris. Je sais que le service des postes en a été un peu dérangé. J’attends encore plus impatiemment le courrier de ce matin. Je n’ai pas besoin d’un redoubement d’impatience. Qu’a donc été votre si mauvaise nuit à Douvres que vous ayez hésité à partir ? Il ne faut pas dire des choses pareilles, cela donne des pensées abominables. Au moins ne soyez pas malade loin.
Midi
Votre fatigue me préoccupe beaucoup. Je m’y attendais. Mais qu’importe ? Vous ne vous réposerez qu’à Paris. Tout y est tranquille. J’ai reçu ce matin une bonne lettre de Thiers. Il paraît que malgré Napier, les syriens n’ont pas envie de se faire égorger pour faire plaisir à Lord Palmerston. Tout optimiste que je suis, je ne le suis pas tant que d’autres. Je trouve qu’on est déjà bien engagé. Je crains toujours les coups fourrés et soudains. Pourtant il est sûr que jusqu’ici tous les mécomptes ont été d’un seul côté. Où aurez-vous couché hier ? A quelle heure arrivez-vous aujourd’hui à Paris ? Je me fais cent questions; et j’ai beau savoir que je ne trouverai pas la réponse; je recommence toujours. Adieu. Adieu. Adieu.
6 heures et demie
J’ai fait ce matin quelques visites. J’ai vu notre amis Dedel, toujours très bon et très sensé. Je lui ai porté mes plaintes sur Napier n’ayant pu trouver dans Londres un ministre anglais à qui les adresser. J’avais passé chez Lord Clarendon le seul membre du Cabinet qui réside. Il n’y était pas. Il sort de chez moi, et je lui ai dit comme s’il avait été Lord Palmerston ou Lord Melbourne tout ce que Napier m’avait mis sur le cœur. Il n’y a pas de réponse à cela. Lord Palmerston lui-même n’en trouverait pas. La guerre commencée en Syrie deux jours avant qu’on ait demandé au Pâcha de rendre la Syrie ! Voilà bien les incidents et les subalternes. Je ne sais ce qu’on me dira quand il y aura quelqu’un pour me parler En attendant les journaux même les plus hostiles au Pacha, le Standard par exemple, se récrient contre une telle légèreté ou un tel manqué de foi. On verra ce que c’est que d’entreprendre à 7ou 800 lieues et par toutes sortes de mains une opération bien plus vaste, bien plus compliquée, bien plur longue que cette expédition de Belgique que nous avons eu tant de peine à conduire à bien, sous nos propres yeux et de nos propres mains.
Jeudi 6 heures et demie
Je m’éveille. Achevez. J’ai eu hier quelques personnes à dîner. Rien. Après dîner, j’ai joué au whist. Quelle décadence. C’est demain que je commence à rester chez moi le soir, mardi et vendredi. J’achète une seconde table de whist, des échecs. Je fais venir du Val-Richer mon tric-trac. On ne trouve pas un tric-trac dans Londres. Je n’aurai pas mes deux soirées par semaine à Holland house. Ils vont décidément à Brighton pour quinze jours. Cependant Lady Holland va mieux. Lord John est retourné à Windsor. La Reine ne voulait pas qu’il en sortit, même pour un jour. Pourtant quand elle a su que c’était pour dîner avec moi, elle a dit : " A la bonne heure. Je crois que la Reine a grande envie de la paix. Lord Clarendon est invité à Windsor pour vendredi, la première fois. Lord Holland n’y a pas encore été invité. On en a de l’humeur. On s’en prend à qui de droit.
Lord Tankerville a été opéré hier matin, avec plein succès, dit-on. On n’en sera tout-à -fait sûr que dans quelques jours. Dites-moi ce qu’il y a de réel dans le succès de l’opération sur les yeux de votre nièce. Je déteste la loucherie. Je penserais avec plaisir qu’on a trouvé un moyen de la chasser de ce monde. Je n’ai pas eu hier de lettre du Val. Richer. Je m’en prends aux désordres des ouvriers dans Paris. Je sais que le service des postes en a été un peu dérangé. J’attends encore plus impatiemment le courrier de ce matin. Je n’ai pas besoin d’un redoubement d’impatience. Qu’a donc été votre si mauvaise nuit à Douvres que vous ayez hésité à partir ? Il ne faut pas dire des choses pareilles, cela donne des pensées abominables. Au moins ne soyez pas malade loin.
Midi
Votre fatigue me préoccupe beaucoup. Je m’y attendais. Mais qu’importe ? Vous ne vous réposerez qu’à Paris. Tout y est tranquille. J’ai reçu ce matin une bonne lettre de Thiers. Il paraît que malgré Napier, les syriens n’ont pas envie de se faire égorger pour faire plaisir à Lord Palmerston. Tout optimiste que je suis, je ne le suis pas tant que d’autres. Je trouve qu’on est déjà bien engagé. Je crains toujours les coups fourrés et soudains. Pourtant il est sûr que jusqu’ici tous les mécomptes ont été d’un seul côté. Où aurez-vous couché hier ? A quelle heure arrivez-vous aujourd’hui à Paris ? Je me fais cent questions; et j’ai beau savoir que je ne trouverai pas la réponse; je recommence toujours. Adieu. Adieu. Adieu.
409. Londres, Vendredi 11 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
409. Londres, Vendredi 11 septembre 1840
7 heures
Vraiment vous me manquez trop. J’ai travaillé hier tout le jour. Je viens de dormir toute la nuit. Dès que je cesse de travailler ou de dormir, je tombe dans le vide. C’était si charmant de vous voir deux fois le jour en réalite et tout le jour en perspective ! Par ma fenêtre de la table où j’écris en ce moment mes regards enfllent Duke-street jusqu’à Grosvenor-Square et Mount Street. C’était l’un de mes deux chemins, précisement la moitié du chemin entre Hertford house et Stafford house. Il n’y a plus de Stafford house ; il n’y a plus de chemin ; Hertford House est une grande maison sombre et froide dans un désert. Ne me croyez pas pourtant quand je vous dis que vous me manquez trop. Je ne le pense pas. C’est un lieu commun que je dis bêtement comme le dirait quelqu’un qui me regarderait. Quoi de plus naturel, quoi de plus juste que de sentir à ce point votre absence, l’absence d’une intimité comme la nôtre ? C’est tout au plus si j’en jouis assez vivement quand elle est là, si je la regrette assez profondément quand elle a disparu. Je vous ai dit souvent, jamais assez à quel point je trouve le monde médiocre, les affections, les esprits, les relations les conversations. Je n’en deviens point misanthrope ; je me résigne sans humeur. Mais quand je sors de là, quand j’entre dans cette autre sphére où tout me plaît, me convient, me suffit, me satisfait pleinement, c’est une joie inexprimable une joie fière et reconnaissante, c’est le cœur épanoui, l’esprit à l’aise, la vie libre ; c’est l’air pur du matin, le soleil du midi, le plein vent dans les voiles, c’est tout facile, doux, vrai, grand, harmonieux, au lieu de tout petit, gêné, factice, commun, incomplet. Non, vous ne me manquez pas trop et je dois bien au bonheur dont j’ai joui de sentir le vide que je sens. Nous retrouverons notre bonheur, n’est-ce pas ?
2 heures
Pas de lettre, d’aucun côté. Cela me déplaît fort. Ma meilleure chance, c’est que vous ayiez manqué l’heure de la poste dans la ville où vous aurez couché après Boulogne. J’espère bien souvent. que ce n’est rien de plus. Si vous étiez restée malade à Boulogne, vous m’auriez écrit ou fait écrire quatre lignes ; Lilburne, Henoage & Je n’admets pas d’embarras en pareil cas. Je veux être tranquille, c’est-à-dire savoir ce qui est. Abominable tranquillité peut-être. J’ai été hier a soir à Holland house. Rien que des Fox, lord et lady Holland, Miss Fox Charles Fox et Allen. Saviez-vous qu’Allen est le trère de lord Holland ? Lady Holland me trouve très aimable. Je lui suis beaucoup là en effet. Peut-être soupçonne-t-elle à qui elle le doit. Lord Holland a été invité à Windsor. Il y va aujourd’hui, pour deux jours. Ils partent Lundi pour Brighton, pour une semaine. Les ratifications turques sont arrivées hier. L’échange se fait aujourd’hui. On vient de rencontrer quatre voitures, se rendant in fiocchi chez Lord Palmerston. Au moment où je vous écris cela, on vient me dire de chez lord Palmerston, où j’avais envoyé. that he’s not in town. L’échange des ratifications n’a donc pas lieu aujourd’hui. Les Turcs n’en sont pas moins arrivés. Où allaient ces voitures in fiocchi ? Adieu. Il faut que je vive encore toute la journée, sur le petit papier d’hier. J’espère que demain m’en apportera de grand. Demain je vous saurai à Paris. Je n’admets pas le doute à cet égard. Adieu. Il y a dans l’adieu quelque chose d’immuable. Sa tristesse n’ôte rien à sa tendresse. Adieu.
7 heures
Vraiment vous me manquez trop. J’ai travaillé hier tout le jour. Je viens de dormir toute la nuit. Dès que je cesse de travailler ou de dormir, je tombe dans le vide. C’était si charmant de vous voir deux fois le jour en réalite et tout le jour en perspective ! Par ma fenêtre de la table où j’écris en ce moment mes regards enfllent Duke-street jusqu’à Grosvenor-Square et Mount Street. C’était l’un de mes deux chemins, précisement la moitié du chemin entre Hertford house et Stafford house. Il n’y a plus de Stafford house ; il n’y a plus de chemin ; Hertford House est une grande maison sombre et froide dans un désert. Ne me croyez pas pourtant quand je vous dis que vous me manquez trop. Je ne le pense pas. C’est un lieu commun que je dis bêtement comme le dirait quelqu’un qui me regarderait. Quoi de plus naturel, quoi de plus juste que de sentir à ce point votre absence, l’absence d’une intimité comme la nôtre ? C’est tout au plus si j’en jouis assez vivement quand elle est là, si je la regrette assez profondément quand elle a disparu. Je vous ai dit souvent, jamais assez à quel point je trouve le monde médiocre, les affections, les esprits, les relations les conversations. Je n’en deviens point misanthrope ; je me résigne sans humeur. Mais quand je sors de là, quand j’entre dans cette autre sphére où tout me plaît, me convient, me suffit, me satisfait pleinement, c’est une joie inexprimable une joie fière et reconnaissante, c’est le cœur épanoui, l’esprit à l’aise, la vie libre ; c’est l’air pur du matin, le soleil du midi, le plein vent dans les voiles, c’est tout facile, doux, vrai, grand, harmonieux, au lieu de tout petit, gêné, factice, commun, incomplet. Non, vous ne me manquez pas trop et je dois bien au bonheur dont j’ai joui de sentir le vide que je sens. Nous retrouverons notre bonheur, n’est-ce pas ?
2 heures
Pas de lettre, d’aucun côté. Cela me déplaît fort. Ma meilleure chance, c’est que vous ayiez manqué l’heure de la poste dans la ville où vous aurez couché après Boulogne. J’espère bien souvent. que ce n’est rien de plus. Si vous étiez restée malade à Boulogne, vous m’auriez écrit ou fait écrire quatre lignes ; Lilburne, Henoage & Je n’admets pas d’embarras en pareil cas. Je veux être tranquille, c’est-à-dire savoir ce qui est. Abominable tranquillité peut-être. J’ai été hier a soir à Holland house. Rien que des Fox, lord et lady Holland, Miss Fox Charles Fox et Allen. Saviez-vous qu’Allen est le trère de lord Holland ? Lady Holland me trouve très aimable. Je lui suis beaucoup là en effet. Peut-être soupçonne-t-elle à qui elle le doit. Lord Holland a été invité à Windsor. Il y va aujourd’hui, pour deux jours. Ils partent Lundi pour Brighton, pour une semaine. Les ratifications turques sont arrivées hier. L’échange se fait aujourd’hui. On vient de rencontrer quatre voitures, se rendant in fiocchi chez Lord Palmerston. Au moment où je vous écris cela, on vient me dire de chez lord Palmerston, où j’avais envoyé. that he’s not in town. L’échange des ratifications n’a donc pas lieu aujourd’hui. Les Turcs n’en sont pas moins arrivés. Où allaient ces voitures in fiocchi ? Adieu. Il faut que je vive encore toute la journée, sur le petit papier d’hier. J’espère que demain m’en apportera de grand. Demain je vous saurai à Paris. Je n’admets pas le doute à cet égard. Adieu. Il y a dans l’adieu quelque chose d’immuable. Sa tristesse n’ôte rien à sa tendresse. Adieu.
410. Londres, Samedi 12 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
410. Londres, Samedi 12 septembre 1840
10 heures
Voilà deux lettres, Poix et Beauvais. Que j’ai le cœur léger ! Je l’avais bien gros en m’éveillant. Je n’ai pas voulu écrire. Vous êtes fatiguée. Mais vous avez faim et la France vous plaît. J’aime que la France vous plaise ; et je ne suis pas jaloux de la France. Ni de l’Angleterre non plus. L’Angleterre a été charmante. Tout est charmant ce matin. Dieu m’a donné son pouvoir ; je fais le monde à mon image, sombre ou brillant, triste ou gai selon l’état de mon cœur. Demain, j’aurai de vos nouvelles de Paris. Et tous les jours. Et de longues lettres. Demain, je ne vous écrirai pas à mon grand regret. Je suis forcé d’envoyer un courrier aujourd’hui. Il fait beau. J’espère que vous serez entrée à Paris sous un beau soleil, que les fontaines sont pleines d’eau, les Tuileries encore vertes, que vous aurez regardé avec plaisir par votre fenêtre. Regardez. Est-ce que je n’arrive pas ? Ah, j’y suis toujours, sauf le bonheur.
Je parle beaucoup de Napier moi. J’en parle à tout le monde. Quelques uns me répondent comme je parle. Les autres, essayent de ne pas me répondre du tout.Les plus hardis sont embarrassés. Je n’ai pas encore pu joindre lord Palmerston. Toujours à Broadlands pendant qu’on traduit et copie les ratifications turques. Ni Lady Clanricard qui est à la campagne aussi, on n’a pas su me dire où. Elle revient Lundi. Les Palmerstoniens attendent avec passion les insurgés de Syrie, un pauvre petit insurgé ; on n’en demande pas beaucoup. Ils tardent bien. J’ai peur que tôt ou tard, il n’en vienne assez pour faire égorger ceux qui ne seront pas venus. Quels jouets que les hommes ! Il y a là, au fond de je ne sais quelle vallée au sommet de je ne sais quelle montagne du Liban, des maris, des femmes, des enfants qui s’aiment, qui s’amusent, et qui seront massacrés demain parce que Lord Palmerston en roulant, sur le railway de Londres à Southampton, se sera dit : " Il faut que la Syrie, s’insurge; j’ai besoin de l’insurrection de Syrie ; si la série ne s’insurge pas, I’m fool ! "
3 heures
Il me tombe aujourd’hui je ne sais combien de petites affaires, de l’argent à envoyer à Paris pour le railway de Rouen, des quittances à donner, le bail de ma maison, Earthope, Charles Greville. On m’a pris tout mon temps, depuis le déjeuner. Je me loue beaucoup de Charles Greville. C’est dommage qu’il soit si sourd. Il arrive de Windsor où le Conseil privé s’est tenu hier. Il part demain matin pour Doncaster. Moi, j’écris ce matin à Glasgow et à Edimbourg que je nirai pas. Il faut qu’absolument que je sois à Londres pour recevoir l’insur rection de Syrie, si elle arrive. Voilà des grouses d’Ellice. J’aimais mieux les premières. dit-on, les premiers ou les premières ? Je le demanderai à lord Holland qui est mon dictionnaire anglais. Je reçois un billet de ce pauvre comte de Björmtjerna qui devait venir dîner aujourd’hui avec moi. Il est depuis hier matin dans une taverne, à côté de Customs house, attendant le bateau de Hambourg qui porte sa femme et ses enfants, et qui n’arrive pas. Il y a eu une violente tempête mercredi et jeudi. J’ai grande pitié de lui. J’ai eu hier ma première soirée. Dedel, Vans de Weyer, Hummelauer, Moncorvo, Alava Schleinitz, des secrétaires. Ils ont joué au Whist, à l’écarté, aux échecs. Les sandwich excellentes. Je les leur voyais manger avec humeur. Longchamps, Longchamps ! Pas de nouvelles. Neumann était à Broadlands. Il en revient aujourd’hui pour dîner chez moi. Quoiqu’il n’y ait personne ici, il y a des commérages. On dit que j’ai dit que si nous faisions la guerre, ce ne serait pas sur le Rhin, mais sur le Pô que nous la ferions. L’Autriche s’en est émue. Je dis que je ne l’ai pas dit, mais que je n’entends pas dire que nous ne ferions pas la guerre sur le Pô, si nous la faisions.
Adieu. Vous partez pour le bois de Boulogne. Adieu là comme partout, Adieu.
10 heures
Voilà deux lettres, Poix et Beauvais. Que j’ai le cœur léger ! Je l’avais bien gros en m’éveillant. Je n’ai pas voulu écrire. Vous êtes fatiguée. Mais vous avez faim et la France vous plaît. J’aime que la France vous plaise ; et je ne suis pas jaloux de la France. Ni de l’Angleterre non plus. L’Angleterre a été charmante. Tout est charmant ce matin. Dieu m’a donné son pouvoir ; je fais le monde à mon image, sombre ou brillant, triste ou gai selon l’état de mon cœur. Demain, j’aurai de vos nouvelles de Paris. Et tous les jours. Et de longues lettres. Demain, je ne vous écrirai pas à mon grand regret. Je suis forcé d’envoyer un courrier aujourd’hui. Il fait beau. J’espère que vous serez entrée à Paris sous un beau soleil, que les fontaines sont pleines d’eau, les Tuileries encore vertes, que vous aurez regardé avec plaisir par votre fenêtre. Regardez. Est-ce que je n’arrive pas ? Ah, j’y suis toujours, sauf le bonheur.
Je parle beaucoup de Napier moi. J’en parle à tout le monde. Quelques uns me répondent comme je parle. Les autres, essayent de ne pas me répondre du tout.Les plus hardis sont embarrassés. Je n’ai pas encore pu joindre lord Palmerston. Toujours à Broadlands pendant qu’on traduit et copie les ratifications turques. Ni Lady Clanricard qui est à la campagne aussi, on n’a pas su me dire où. Elle revient Lundi. Les Palmerstoniens attendent avec passion les insurgés de Syrie, un pauvre petit insurgé ; on n’en demande pas beaucoup. Ils tardent bien. J’ai peur que tôt ou tard, il n’en vienne assez pour faire égorger ceux qui ne seront pas venus. Quels jouets que les hommes ! Il y a là, au fond de je ne sais quelle vallée au sommet de je ne sais quelle montagne du Liban, des maris, des femmes, des enfants qui s’aiment, qui s’amusent, et qui seront massacrés demain parce que Lord Palmerston en roulant, sur le railway de Londres à Southampton, se sera dit : " Il faut que la Syrie, s’insurge; j’ai besoin de l’insurrection de Syrie ; si la série ne s’insurge pas, I’m fool ! "
3 heures
Il me tombe aujourd’hui je ne sais combien de petites affaires, de l’argent à envoyer à Paris pour le railway de Rouen, des quittances à donner, le bail de ma maison, Earthope, Charles Greville. On m’a pris tout mon temps, depuis le déjeuner. Je me loue beaucoup de Charles Greville. C’est dommage qu’il soit si sourd. Il arrive de Windsor où le Conseil privé s’est tenu hier. Il part demain matin pour Doncaster. Moi, j’écris ce matin à Glasgow et à Edimbourg que je nirai pas. Il faut qu’absolument que je sois à Londres pour recevoir l’insur rection de Syrie, si elle arrive. Voilà des grouses d’Ellice. J’aimais mieux les premières. dit-on, les premiers ou les premières ? Je le demanderai à lord Holland qui est mon dictionnaire anglais. Je reçois un billet de ce pauvre comte de Björmtjerna qui devait venir dîner aujourd’hui avec moi. Il est depuis hier matin dans une taverne, à côté de Customs house, attendant le bateau de Hambourg qui porte sa femme et ses enfants, et qui n’arrive pas. Il y a eu une violente tempête mercredi et jeudi. J’ai grande pitié de lui. J’ai eu hier ma première soirée. Dedel, Vans de Weyer, Hummelauer, Moncorvo, Alava Schleinitz, des secrétaires. Ils ont joué au Whist, à l’écarté, aux échecs. Les sandwich excellentes. Je les leur voyais manger avec humeur. Longchamps, Longchamps ! Pas de nouvelles. Neumann était à Broadlands. Il en revient aujourd’hui pour dîner chez moi. Quoiqu’il n’y ait personne ici, il y a des commérages. On dit que j’ai dit que si nous faisions la guerre, ce ne serait pas sur le Rhin, mais sur le Pô que nous la ferions. L’Autriche s’en est émue. Je dis que je ne l’ai pas dit, mais que je n’entends pas dire que nous ne ferions pas la guerre sur le Pô, si nous la faisions.
Adieu. Vous partez pour le bois de Boulogne. Adieu là comme partout, Adieu.
411. Londres, Dimanche 13 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
411. Londres, Dimanche 13 Septembre 1840
4 heures et demie
Oui, Paris, vous plaira davantage. Paris vous plaira tout-à-fait, tout-à-fait, n’est-ce pas ? Puisque vous n’êtes plus où je suis, j’aime à vous savoir à Paris. Vous me direz, dans quelques jours comment vous y aurez réglé votre vie. Très probablement comme nous nous le sommes dit à Stafford. house. C’est égal ; vous me le redirez. J’aime bien les redites. Je reviens de Kenwoood, (est-ce Kenwood ou Caen-Wood, comme le dit mon Guide?) la villa de lord Mansfield. Le parc est bien beau, les alentours bien beaux. J’aurais voulu être seul. J’avais Bourqueney, Vandeul et Herbet. Ils disent qu’il faut que je me promène. Je n’avais pas encore été à Hamstead. Point de souvenirs donc là. Je crois que j’aime mieux les lieux où j’en ai. Je retournerai à West-hill Je ne sais pas pourquoi je dis : " Je crois que j’aime mieux ", j’en suis parfaitement sûr. Je n’ai trouvé Kenwood que beau. Si nous y avions été ensemble, je l’aurais trouvé charmant. Ensemble une seule fois.
Un homme de Holland house, m’a poursuivi à Kenwood pour m’apporter un billet de Lord Holland qui en revenu ce matin de Windrow et me prie d’aller diner aujourd’hui avec lui. J’irai. Ils partent toujours demain pour Brighton. Lady Holland dit qu’elle veut prendre là les eaux de Marienbad, contre la bile. Les Allemands se moquent d’elle. Ils disent qu’on ne prend pas, les eaux de Marienbad avec si peu de façons. Lord Palmerston m’a écrit de Broadlands qu’il revenait demain. Lady Palmerston avec lui, pour quatre ou cinq jours. Ils retourneront à Broadlands.
J’ai écrit décidément à Glasgow et à Edimbourg que je n’irais pas. Il n’y a pas moyen. Je ne puis courir le risque qu’une dépêche m’arrive 48 heures trop tard. On se préparait à me recevoir très bien à Glasgow, bruyamment peut-être. Raison de plus. La parole publique ne me serait pas commode en ce moment. Pour bien parler, il faudrait dire trop. Lundi 14, sept heures et demie Rien que Lord Clarendon et moi à Holland-house. Nous avons l’air de gens qui essayent de se consoler entre eux. Lord Holland plus vif que jamais et Lady Holland encore plus. J’y dine encore aujourd’hui. Ils ne partent pour Brighton que demain.
Rien de nouveau de Windsor, sinon que lord Melbourne dit à tout propos D... et Dev... ce qui fait beaucoup rire la Reine qui n’avait jamais entendu jurer avant lui. Il lui apprendra à jurer et à ne pas se soucier. Drôle d’éducation royale ! Du reste il (lord Melbourne) en souffrant, assez souffrant. Il dit qu’il ne peut ni manger ni dormir. Il rêve à la Syrie. Il y a de quoi. Après Napier, les quatre consuls. On est ici, surtout parmi les Diplomates continentaux, fort troublé de cette pièce qui amène les armées Européennes en Asie et promet la guerre universelle, la guerre à ontrance. Les uns la blâment, les autres la désavouent, les plus hardis, la nient. Neumann est presque de ceux-ci. Il n’a pas attendu que je lui en parlasse pour protester contre avec colère. Quand j’ai parlé des incidents et des subalternes, j’ai eu trop raison. La politique n’a pas tenu grand place hier soir dans notre quatuor. Lord Holland, était tout littéraire et Lady Holland toute mélancolique. Lord Holland m’a montré de ses vers, une longue pièce de vers ; devinez sur quoi sur le dictionnaire de Bayle :
In health or in sickness, as freedom or in jail
Give me one book, but let that book be Bayle.
Je ne suis pas sûr que ma mémoire soit parfaitement correcte ; mais voilà le trait. Bayle ne s’est jamais douté qu’il ferait une telle passion. Pour lady Holland, elle déplorait sa solitude, les longues heures de solitude de ses journées. Elle ne lit tant que parce qu’elle est tant seule ! Nous nous sommes récriés. Personne n’est moins seul qu’elle. Elle a persisté ; elle a parlé de l’isolement de la vieillesse de tous les amis qu’elle avait perdus : " Quand je me sens trop seule, quand la tristesse me gagne, je viens dans cette bibliothèque ; j’y rappelle tous ceux que j’y ai vus ; je remets Romilly sur cette chaise, Mackintosh ici, Horner là, tous mes amis, de bien aimables amis. " Elle était vraiment émue, et presque éloquente, with very few words. Je vous répète que c’est la femme de ce pays-ci qui a le plus d’esprit. Elle m’a répété les déclarations les plus tendres, et demandé de vos nouvelles. Lord Clarendon ne voulait pas croire que vous eussiez été malade. Elle a soutenu que vous l’aviez été, bien réellement.
3 heures
Voilà enfin une vraie lettre. Ne croyez pas que je me plaigne des autres. Votre exactitude, en courant la poste m’a été au cœur. A quelle heure, la plus matinale, peut-on venir chez vous vous remettre une lettre? J’ai en vue, un messager de plus, très bon, très prompt, mais disponible seulement avant 10 heures ou après 4. Peut-il aller avant 10 ? Quant à nos intermédiaires ici, réglez leurs jours, deux jours par semaine pour chacun, pour que je ne sois pas obligé d’envoyer chaque jour partout. Envoyez-moi votre règlement ; tels jours pour le n°1, tels pour le n° 2 && Je sais l’ordre des N°. A demain la conversation. Je retourne aujourd’hui dîner à Holland house. Ils ne partent que demain pour Brighton. Lord Palmerston m’écrit qu’il ne viendra à Londres que demain. Adieu. Adieu. Mille et un.
4 heures et demie
Oui, Paris, vous plaira davantage. Paris vous plaira tout-à-fait, tout-à-fait, n’est-ce pas ? Puisque vous n’êtes plus où je suis, j’aime à vous savoir à Paris. Vous me direz, dans quelques jours comment vous y aurez réglé votre vie. Très probablement comme nous nous le sommes dit à Stafford. house. C’est égal ; vous me le redirez. J’aime bien les redites. Je reviens de Kenwoood, (est-ce Kenwood ou Caen-Wood, comme le dit mon Guide?) la villa de lord Mansfield. Le parc est bien beau, les alentours bien beaux. J’aurais voulu être seul. J’avais Bourqueney, Vandeul et Herbet. Ils disent qu’il faut que je me promène. Je n’avais pas encore été à Hamstead. Point de souvenirs donc là. Je crois que j’aime mieux les lieux où j’en ai. Je retournerai à West-hill Je ne sais pas pourquoi je dis : " Je crois que j’aime mieux ", j’en suis parfaitement sûr. Je n’ai trouvé Kenwood que beau. Si nous y avions été ensemble, je l’aurais trouvé charmant. Ensemble une seule fois.
Un homme de Holland house, m’a poursuivi à Kenwood pour m’apporter un billet de Lord Holland qui en revenu ce matin de Windrow et me prie d’aller diner aujourd’hui avec lui. J’irai. Ils partent toujours demain pour Brighton. Lady Holland dit qu’elle veut prendre là les eaux de Marienbad, contre la bile. Les Allemands se moquent d’elle. Ils disent qu’on ne prend pas, les eaux de Marienbad avec si peu de façons. Lord Palmerston m’a écrit de Broadlands qu’il revenait demain. Lady Palmerston avec lui, pour quatre ou cinq jours. Ils retourneront à Broadlands.
J’ai écrit décidément à Glasgow et à Edimbourg que je n’irais pas. Il n’y a pas moyen. Je ne puis courir le risque qu’une dépêche m’arrive 48 heures trop tard. On se préparait à me recevoir très bien à Glasgow, bruyamment peut-être. Raison de plus. La parole publique ne me serait pas commode en ce moment. Pour bien parler, il faudrait dire trop. Lundi 14, sept heures et demie Rien que Lord Clarendon et moi à Holland-house. Nous avons l’air de gens qui essayent de se consoler entre eux. Lord Holland plus vif que jamais et Lady Holland encore plus. J’y dine encore aujourd’hui. Ils ne partent pour Brighton que demain.
Rien de nouveau de Windsor, sinon que lord Melbourne dit à tout propos D... et Dev... ce qui fait beaucoup rire la Reine qui n’avait jamais entendu jurer avant lui. Il lui apprendra à jurer et à ne pas se soucier. Drôle d’éducation royale ! Du reste il (lord Melbourne) en souffrant, assez souffrant. Il dit qu’il ne peut ni manger ni dormir. Il rêve à la Syrie. Il y a de quoi. Après Napier, les quatre consuls. On est ici, surtout parmi les Diplomates continentaux, fort troublé de cette pièce qui amène les armées Européennes en Asie et promet la guerre universelle, la guerre à ontrance. Les uns la blâment, les autres la désavouent, les plus hardis, la nient. Neumann est presque de ceux-ci. Il n’a pas attendu que je lui en parlasse pour protester contre avec colère. Quand j’ai parlé des incidents et des subalternes, j’ai eu trop raison. La politique n’a pas tenu grand place hier soir dans notre quatuor. Lord Holland, était tout littéraire et Lady Holland toute mélancolique. Lord Holland m’a montré de ses vers, une longue pièce de vers ; devinez sur quoi sur le dictionnaire de Bayle :
In health or in sickness, as freedom or in jail
Give me one book, but let that book be Bayle.
Je ne suis pas sûr que ma mémoire soit parfaitement correcte ; mais voilà le trait. Bayle ne s’est jamais douté qu’il ferait une telle passion. Pour lady Holland, elle déplorait sa solitude, les longues heures de solitude de ses journées. Elle ne lit tant que parce qu’elle est tant seule ! Nous nous sommes récriés. Personne n’est moins seul qu’elle. Elle a persisté ; elle a parlé de l’isolement de la vieillesse de tous les amis qu’elle avait perdus : " Quand je me sens trop seule, quand la tristesse me gagne, je viens dans cette bibliothèque ; j’y rappelle tous ceux que j’y ai vus ; je remets Romilly sur cette chaise, Mackintosh ici, Horner là, tous mes amis, de bien aimables amis. " Elle était vraiment émue, et presque éloquente, with very few words. Je vous répète que c’est la femme de ce pays-ci qui a le plus d’esprit. Elle m’a répété les déclarations les plus tendres, et demandé de vos nouvelles. Lord Clarendon ne voulait pas croire que vous eussiez été malade. Elle a soutenu que vous l’aviez été, bien réellement.
3 heures
Voilà enfin une vraie lettre. Ne croyez pas que je me plaigne des autres. Votre exactitude, en courant la poste m’a été au cœur. A quelle heure, la plus matinale, peut-on venir chez vous vous remettre une lettre? J’ai en vue, un messager de plus, très bon, très prompt, mais disponible seulement avant 10 heures ou après 4. Peut-il aller avant 10 ? Quant à nos intermédiaires ici, réglez leurs jours, deux jours par semaine pour chacun, pour que je ne sois pas obligé d’envoyer chaque jour partout. Envoyez-moi votre règlement ; tels jours pour le n°1, tels pour le n° 2 && Je sais l’ordre des N°. A demain la conversation. Je retourne aujourd’hui dîner à Holland house. Ils ne partent que demain pour Brighton. Lord Palmerston m’écrit qu’il ne viendra à Londres que demain. Adieu. Adieu. Mille et un.
412. Londres, Mardi 15 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
412. Londres, mardi 15 septembre 1840
7 heures et demie
Demay est parti avant-hier et doit être à Paris aujourd’hui selon sa promesse. Vous me direz si vous êtes contente de Valentin et de votre nouvelle, femme de chambre. Elle n’est pas jolie. Eugénie, vous a-t-elle quittée ! Que devient Chartolle ? Je suis bien questionneur ce matin. J’ai besoin de tout savoir. Encore une question. Avez-vous vu Chermside ? Je suis charmé que votre nièce soit charmante. A-t-elle assez d’esprit pour se plaire un peu avec vous ? Je suis très disposé à la trouver bien, sauf toujours la loucherie. J’y suis impitoyable. Je ne le suis que pour cela, quoiqu’on en dise.
Encore un assez agréable petit dîné hier à Holland house. Clarendon et Luttrel. Pas mal de conversation. Lord Holland et moi. Il est vraiment très aimable. Presque bouffon. Il s’est mis hier à contrefaire les hommes célèbres de son temps Sheridan, Graltan, Curran. Ce gros corps goutteux qui ne peut pas se remuer, cette grosse figure, ces gros sourcils de geolier, tout cela devenait souple, gai avec un air de moquerie fine et bienveillante. Lady Holland est plus souffrante. Pas de Brighton aujourd’hui et probablement pas du tout. Je vous raconte tout mon Holland house. C’est mon Angleterre en ce moment. Savez-vous, comment Lady Holland appelle les quatre consuls d’Alerandrie ? Les Proconsuls.
J’ai reçu une longue lettre de lord Grey. Il me prie de faire obtenir à Lady Durham, qui va passer l’hiver à Pau avec ses enfants, l’autorisation d’introduire, en France sa vaisselle. Vous savez que ce n’est pas facile. Il faut pourtant que j’y réussisse. Dites à Thiers, la première fois que vous le verrez, d’en dire un mot au Ministre des finances, de lui dire qu’il le faut.
Politiquement, voici tout Lord Gey. I rend in the papers, my only sources of information, with great anxiety and concern, the continued account ot the dangers, which threaten, the good understanding between this country and France. I cannot bring myself to believe that a rupture can ultimately take place between live countries which have mutually so strong an interest in preserving the relations of peace and amity. But I can not also be without great fears that à state of things may be produced in which some accident or mischance may decide a question which some wisdom and moderation would settle amicably. I feel confident that your feelings are not different from those which I have expressed, and if any thing could induce me again to talk part in public affairs, it would be the hope of being able to assist, in preventing dangers which are much greater than the value of all Syria, past, présent and to come.
Je ne sais pourquoi je vous copie tout cela, qui me prend mon papier et qu’il vous a peut-être écrit aussi. C’est pour la dernière phrase. Et surtout pour vous parler de tout.
3 heures
J’attends bien impatiemment que vous ne soyez plus si fatiguée, si faible. Il me semble que la vie que vous menez doit finir par vous reposer. Je n’en imagine pas de plus tranquille. Continuez à vous coucher de bonne heure. Le bavardage menteur et hostile de Mad. de Flahaut ne métonne pas du tout. Il me devient bien des bavardages. J’écoute tout et ne me préoccupe pas de grand chose. Je me sens très fort, fort comme l’Angleterre avec sa ceinture d’océan comme sera Paris quand son enceinte continue sera faite. Je crois fermement, après y avoir bien regardé, que, depuis mon arrivée à Londres, j’ai bien jugé et bien agi. Rien ne me manque en fait de preuves. Je me tiens et me tiendrai fort tranquille si jamais j’étais attaqué, ouvertement ou sourdement, je me défendrais bien. Et très sérieusement, car ces affaires-ci sont sérieuses. Adieu. Extrêmement comme vous dîtes. J’aime cet adieu-là.
7 heures et demie
Demay est parti avant-hier et doit être à Paris aujourd’hui selon sa promesse. Vous me direz si vous êtes contente de Valentin et de votre nouvelle, femme de chambre. Elle n’est pas jolie. Eugénie, vous a-t-elle quittée ! Que devient Chartolle ? Je suis bien questionneur ce matin. J’ai besoin de tout savoir. Encore une question. Avez-vous vu Chermside ? Je suis charmé que votre nièce soit charmante. A-t-elle assez d’esprit pour se plaire un peu avec vous ? Je suis très disposé à la trouver bien, sauf toujours la loucherie. J’y suis impitoyable. Je ne le suis que pour cela, quoiqu’on en dise.
Encore un assez agréable petit dîné hier à Holland house. Clarendon et Luttrel. Pas mal de conversation. Lord Holland et moi. Il est vraiment très aimable. Presque bouffon. Il s’est mis hier à contrefaire les hommes célèbres de son temps Sheridan, Graltan, Curran. Ce gros corps goutteux qui ne peut pas se remuer, cette grosse figure, ces gros sourcils de geolier, tout cela devenait souple, gai avec un air de moquerie fine et bienveillante. Lady Holland est plus souffrante. Pas de Brighton aujourd’hui et probablement pas du tout. Je vous raconte tout mon Holland house. C’est mon Angleterre en ce moment. Savez-vous, comment Lady Holland appelle les quatre consuls d’Alerandrie ? Les Proconsuls.
J’ai reçu une longue lettre de lord Grey. Il me prie de faire obtenir à Lady Durham, qui va passer l’hiver à Pau avec ses enfants, l’autorisation d’introduire, en France sa vaisselle. Vous savez que ce n’est pas facile. Il faut pourtant que j’y réussisse. Dites à Thiers, la première fois que vous le verrez, d’en dire un mot au Ministre des finances, de lui dire qu’il le faut.
Politiquement, voici tout Lord Gey. I rend in the papers, my only sources of information, with great anxiety and concern, the continued account ot the dangers, which threaten, the good understanding between this country and France. I cannot bring myself to believe that a rupture can ultimately take place between live countries which have mutually so strong an interest in preserving the relations of peace and amity. But I can not also be without great fears that à state of things may be produced in which some accident or mischance may decide a question which some wisdom and moderation would settle amicably. I feel confident that your feelings are not different from those which I have expressed, and if any thing could induce me again to talk part in public affairs, it would be the hope of being able to assist, in preventing dangers which are much greater than the value of all Syria, past, présent and to come.
Je ne sais pourquoi je vous copie tout cela, qui me prend mon papier et qu’il vous a peut-être écrit aussi. C’est pour la dernière phrase. Et surtout pour vous parler de tout.
3 heures
J’attends bien impatiemment que vous ne soyez plus si fatiguée, si faible. Il me semble que la vie que vous menez doit finir par vous reposer. Je n’en imagine pas de plus tranquille. Continuez à vous coucher de bonne heure. Le bavardage menteur et hostile de Mad. de Flahaut ne métonne pas du tout. Il me devient bien des bavardages. J’écoute tout et ne me préoccupe pas de grand chose. Je me sens très fort, fort comme l’Angleterre avec sa ceinture d’océan comme sera Paris quand son enceinte continue sera faite. Je crois fermement, après y avoir bien regardé, que, depuis mon arrivée à Londres, j’ai bien jugé et bien agi. Rien ne me manque en fait de preuves. Je me tiens et me tiendrai fort tranquille si jamais j’étais attaqué, ouvertement ou sourdement, je me défendrais bien. Et très sérieusement, car ces affaires-ci sont sérieuses. Adieu. Extrêmement comme vous dîtes. J’aime cet adieu-là.
413. Londres, Mercredi 16 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
413. Londres, Mercredi 16 septembre 1840
6 heures et demie
Je ne me suis pas conché à 9 heures, mais je me réveille de grand matin. Mes vendredi et mardi conviennent, je crois beaucoup aux diplomates. Ils y étaient tous hier sauf ce pauvre comte de Björnstjerna qui attendait encore hier matin le bateau de Hambourg et sa femme. Elle est enfin arrivée hier soir. Il me l’a fait dire par un petit comte de Mörner, joli jeune homme qui barbouille comme je n’ai jamais entendu personne barbouiller. Ils ont beaucoup joué, au Whist, et moi un peu. J’admirais, en remontant dans ma chambre, avec quelles choses et quelles paroles on peut remplir trois heures. Ils sont comme les vôtres, ils croient à la paix ; les uns d’une façon qui me plaît, les autres d’une façon qui me déplaît. Il y en avait là deux qui faisaient pitié à voir, pour leurs propres affaires, Alava et Moncorvo ; ne sachant pas s’ils étaient les ministres de quelqu’un ne recevant rien, ni nouvelles, ni argent, pas de nouvelles depuis bien des jours, pas d’argent depuis bien des mois. Ils jouaient tout de même au Whist. Lord Palmerston est revenu hier matin. Je l’ai vu à 5 heures et demie au moment où ils venaient d’échanger les ratifications. Les tables étaient encore là, les grands papiers, les bâtons de cire. Neumann, Schleinitz et Brünnow sont sortis devant moi de son Cabinet. Brünnow est très changé, et il a l’air consterné d’être si changé. Il a eu un quasi-choléra. J’ai passé une demi-heure avec Lord Palmerston très doux, ne voulant de querelle sur rien. Il m’a abandonné les consuls tout-à-fait Napier à moitié. Aux autres, il promet toujours un succès certain, prempt, pas le moindre vrai danger. Avec moi il n’argumente plus, il ne prédit plus. Nous avons l’air d’attendre tous deux que Dieu donne raison à l’un des deux. Il reste ici, pour quinze jours au moins. Lady Palmerston est revenue avec lui. Vous a-t-elle écrit ?
2 heures
Je n’ai rien encore ce matin. J’ai encore une chance. Je l’attends. Attendre, et attendre une chance, que cela me déplaît ! Quel ennui de ne pouvoir tout faire tout rondement ? Je suis aujourd’hui comme on était autour de vous samedi dernier, noir et inquiet. Je crains des malheurs et des fautes, les pires des malheurs, car elles en sont et elles en font. Je pense beaucoup dans ma solitude. J’entrevois dans la situation la plus périlleuse, une bonne conduite possible, très bonne, mais si difficile, si difficile ! Et puis, je ne sais pas bien l’état, l’état réel des esprits en France, ce qui est bien quelque chose dans la question. Mon instinct est que le bon parti ne veut pas la guerre. Et qu’il aurait la force de l’empêcher s’il en avait l’esprit et le courage. Je suis très perplexe. Mal double pour moi, car la perplexité, fort pénible en elle-même, est de plus contre ma nature. Je ne reste jamais longtemps perplexe. Je viens de répondre à lord Grey. 3 heures et demie Là voilà. Rien ne manque plus à ma journée de ce quelle peut avoir. Je suis moins noir qu’à 2 heures Je crois moins à la guerre, si elle venait, vous seriez malade, très malade. On est toujours à temps de se mieux porter si cela devient absolument nécessaire. Il faut commencer par être malade. Mais j’espère qu’il ne faudra pas. A présent que je vous ai vue comme je vous vois à présent, je vous quitte. J’envoie un courrier ce soir. Je vais à mes dépêches. Il fait froid aussi à Londres. J’ai du feu. En aurais-je à Paris ? Mad. de Tencin disait que la diversité de goût sur le froid, et le chaud avait brouillé plus de ménages que toute autre passion. Croyez-vous ? En tout cas, ne vous refroidissez pas. Adieu, adieu. J’ai une sottise sur le bout des lèvres. Adieu
6 heures et demie
Je ne me suis pas conché à 9 heures, mais je me réveille de grand matin. Mes vendredi et mardi conviennent, je crois beaucoup aux diplomates. Ils y étaient tous hier sauf ce pauvre comte de Björnstjerna qui attendait encore hier matin le bateau de Hambourg et sa femme. Elle est enfin arrivée hier soir. Il me l’a fait dire par un petit comte de Mörner, joli jeune homme qui barbouille comme je n’ai jamais entendu personne barbouiller. Ils ont beaucoup joué, au Whist, et moi un peu. J’admirais, en remontant dans ma chambre, avec quelles choses et quelles paroles on peut remplir trois heures. Ils sont comme les vôtres, ils croient à la paix ; les uns d’une façon qui me plaît, les autres d’une façon qui me déplaît. Il y en avait là deux qui faisaient pitié à voir, pour leurs propres affaires, Alava et Moncorvo ; ne sachant pas s’ils étaient les ministres de quelqu’un ne recevant rien, ni nouvelles, ni argent, pas de nouvelles depuis bien des jours, pas d’argent depuis bien des mois. Ils jouaient tout de même au Whist. Lord Palmerston est revenu hier matin. Je l’ai vu à 5 heures et demie au moment où ils venaient d’échanger les ratifications. Les tables étaient encore là, les grands papiers, les bâtons de cire. Neumann, Schleinitz et Brünnow sont sortis devant moi de son Cabinet. Brünnow est très changé, et il a l’air consterné d’être si changé. Il a eu un quasi-choléra. J’ai passé une demi-heure avec Lord Palmerston très doux, ne voulant de querelle sur rien. Il m’a abandonné les consuls tout-à-fait Napier à moitié. Aux autres, il promet toujours un succès certain, prempt, pas le moindre vrai danger. Avec moi il n’argumente plus, il ne prédit plus. Nous avons l’air d’attendre tous deux que Dieu donne raison à l’un des deux. Il reste ici, pour quinze jours au moins. Lady Palmerston est revenue avec lui. Vous a-t-elle écrit ?
2 heures
Je n’ai rien encore ce matin. J’ai encore une chance. Je l’attends. Attendre, et attendre une chance, que cela me déplaît ! Quel ennui de ne pouvoir tout faire tout rondement ? Je suis aujourd’hui comme on était autour de vous samedi dernier, noir et inquiet. Je crains des malheurs et des fautes, les pires des malheurs, car elles en sont et elles en font. Je pense beaucoup dans ma solitude. J’entrevois dans la situation la plus périlleuse, une bonne conduite possible, très bonne, mais si difficile, si difficile ! Et puis, je ne sais pas bien l’état, l’état réel des esprits en France, ce qui est bien quelque chose dans la question. Mon instinct est que le bon parti ne veut pas la guerre. Et qu’il aurait la force de l’empêcher s’il en avait l’esprit et le courage. Je suis très perplexe. Mal double pour moi, car la perplexité, fort pénible en elle-même, est de plus contre ma nature. Je ne reste jamais longtemps perplexe. Je viens de répondre à lord Grey. 3 heures et demie Là voilà. Rien ne manque plus à ma journée de ce quelle peut avoir. Je suis moins noir qu’à 2 heures Je crois moins à la guerre, si elle venait, vous seriez malade, très malade. On est toujours à temps de se mieux porter si cela devient absolument nécessaire. Il faut commencer par être malade. Mais j’espère qu’il ne faudra pas. A présent que je vous ai vue comme je vous vois à présent, je vous quitte. J’envoie un courrier ce soir. Je vais à mes dépêches. Il fait froid aussi à Londres. J’ai du feu. En aurais-je à Paris ? Mad. de Tencin disait que la diversité de goût sur le froid, et le chaud avait brouillé plus de ménages que toute autre passion. Croyez-vous ? En tout cas, ne vous refroidissez pas. Adieu, adieu. J’ai une sottise sur le bout des lèvres. Adieu
414. Londres, Jeudi 17 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
414. Londres, Jeudi 17 septembre 1840
sept heures et demie
Hier au soir à Holland house, Lord et lady Palmerston et lady Clanricard qui y avaient dîné. C’est un singulier spectacle que des gens d’esprit qui ne veulent pas parler de ce qui les occupe. Nous nous sommes extenués pendant deux heures à chercher des conversations. Nous en avons trouvé, beaucoup, de toutes sortes ; nous avons parcouru le monde et les siècles. Nous ne pouvions nous arrêter nulle part ; à peine un sujet abordé, nous le quittions. Evidemment notre pensée était ailleurs. Mais nous ne sommes jamais allés là où elle était. Je serais tenté de croire que Lord Palmerston n’est pas content. Je l’ai trouvé encore maigri, vieilli. J’espère que l’Orient ne lui donnera pas de gloire. Mais, à coup sûr, pas de jeunesse. Savez-vous qu’on dit que la Grèce pourrait bien faire la guerre à la Turquie? Elles sont très mal ; les relations des deux peuples ont presque cessé ; le ministre grec est sur le point de quitter Constantinople. Je serais charmé que cette Grèce, que vous avez faite, prit un rôle dans la question d’Orient. Pourvu que ce ne soit pas celui pour lequel vous l’aviez faite.
Lady Holland va mieux. Lady Clanricard part lundi, je ne sais pour où. J’irai la voir demain. Il me prend un scrupule. Lord Mahon à passé chez moi hier. Je recevrai peut-être une seconde invitation à aller passer vingt quatre heures chez eux à vingt milles de Londres. Je voudrais bien ne pas être impoli. Mais je ne veux être poli qu’avec votre permission. 24 heures. Voilà probablement un vif déplaisir. Les journaux anglais disent qu’ils n’ont par reçu leur exprès de Paris. La violence du vent aura empêché la traversée et pour les lettres, comme pour les journaux. On me dit qu’à cette époque vers l’équinoxe, on est quelquefois deux ou trois jours sans que rien puisse passer. Je ne me souviens pas que ce soit jamais arrivé. Il est vrai que je n’y regardais pas de si près. Pourtant j’ai déjà eu ici une équinoxe, en mars. Tout ce que je vous dis là n’avancera pas d’une heure l’arrivée du courrier et n’ôtera rien à mon impatience.
2 heures
La poste n’est pas venue en effet, et l’on doute qu’elle vienne aujourd’hui. Le nord-ouest qui soufflait hier fermait le port de Calais. Ce matin, tout est calme, excepté moi qui m’impatiente beaucoup plus que personne ne s’en doute. Vous récevrez, vous avez déjà reçu la visite, de mon joli médecin. Parlez-lui de votre santé. Permettez-lui d’y bien regarder de vous questionner. Il a de l’esprit, beaucoup de jugement et beaucoup de zèle. C’est quelque chose que le zèle passionné de la jeunesse. Cela vaut bien quelques fois, l’expérience indifférente de l’âge. Saviez-vous que lady Fanny vient d’écarter, le fils du duc de Richmond, lord March ? Elle le trouve trop enfant : " Je veux un mari qui me dise ce qu’il faut croire et ce qu’il faut faire, non pas un qui me le demande. " Ce n’est pas mal. Elle est toujours mal pour lord Palmerston toujours pressée d’aller chez sa soeur pour ne pas rester à Broadlands. Je vous dis tous les bavardages qu’on me dit. Je cherche à passer le temps.
4 heures
Je viens de faire deux visites, lady Palmerston et la princesse Auguste. Je vais souvent savoir des nouvelles de Stafford house, et de la Princesse Auguste. J’ai trouvé Lady Palmerston, très gracieuse. Elle sait plaire. Elle ne m’a point parlé de vous, mais vous êtes revenue deux ou trois fois dans la conversation d’anciennes petites histoires, une dame Russe qui, débarquant à Londres, vous avait priée de venir la voir at the black Bear, Custom’s house, je ne sais quoi encore ; rien, mais vous. Quel sentiment vous font éprouver les personnes qui savent plaire, et ne savent que plaire ? Dites-moi cela. Adieu. Je n’ai pas, le cœur à vous en dire davantage. Ou plutôt j’aurais le cœur à vous en dire trop. Adieu.
sept heures et demie
Hier au soir à Holland house, Lord et lady Palmerston et lady Clanricard qui y avaient dîné. C’est un singulier spectacle que des gens d’esprit qui ne veulent pas parler de ce qui les occupe. Nous nous sommes extenués pendant deux heures à chercher des conversations. Nous en avons trouvé, beaucoup, de toutes sortes ; nous avons parcouru le monde et les siècles. Nous ne pouvions nous arrêter nulle part ; à peine un sujet abordé, nous le quittions. Evidemment notre pensée était ailleurs. Mais nous ne sommes jamais allés là où elle était. Je serais tenté de croire que Lord Palmerston n’est pas content. Je l’ai trouvé encore maigri, vieilli. J’espère que l’Orient ne lui donnera pas de gloire. Mais, à coup sûr, pas de jeunesse. Savez-vous qu’on dit que la Grèce pourrait bien faire la guerre à la Turquie? Elles sont très mal ; les relations des deux peuples ont presque cessé ; le ministre grec est sur le point de quitter Constantinople. Je serais charmé que cette Grèce, que vous avez faite, prit un rôle dans la question d’Orient. Pourvu que ce ne soit pas celui pour lequel vous l’aviez faite.
Lady Holland va mieux. Lady Clanricard part lundi, je ne sais pour où. J’irai la voir demain. Il me prend un scrupule. Lord Mahon à passé chez moi hier. Je recevrai peut-être une seconde invitation à aller passer vingt quatre heures chez eux à vingt milles de Londres. Je voudrais bien ne pas être impoli. Mais je ne veux être poli qu’avec votre permission. 24 heures. Voilà probablement un vif déplaisir. Les journaux anglais disent qu’ils n’ont par reçu leur exprès de Paris. La violence du vent aura empêché la traversée et pour les lettres, comme pour les journaux. On me dit qu’à cette époque vers l’équinoxe, on est quelquefois deux ou trois jours sans que rien puisse passer. Je ne me souviens pas que ce soit jamais arrivé. Il est vrai que je n’y regardais pas de si près. Pourtant j’ai déjà eu ici une équinoxe, en mars. Tout ce que je vous dis là n’avancera pas d’une heure l’arrivée du courrier et n’ôtera rien à mon impatience.
2 heures
La poste n’est pas venue en effet, et l’on doute qu’elle vienne aujourd’hui. Le nord-ouest qui soufflait hier fermait le port de Calais. Ce matin, tout est calme, excepté moi qui m’impatiente beaucoup plus que personne ne s’en doute. Vous récevrez, vous avez déjà reçu la visite, de mon joli médecin. Parlez-lui de votre santé. Permettez-lui d’y bien regarder de vous questionner. Il a de l’esprit, beaucoup de jugement et beaucoup de zèle. C’est quelque chose que le zèle passionné de la jeunesse. Cela vaut bien quelques fois, l’expérience indifférente de l’âge. Saviez-vous que lady Fanny vient d’écarter, le fils du duc de Richmond, lord March ? Elle le trouve trop enfant : " Je veux un mari qui me dise ce qu’il faut croire et ce qu’il faut faire, non pas un qui me le demande. " Ce n’est pas mal. Elle est toujours mal pour lord Palmerston toujours pressée d’aller chez sa soeur pour ne pas rester à Broadlands. Je vous dis tous les bavardages qu’on me dit. Je cherche à passer le temps.
4 heures
Je viens de faire deux visites, lady Palmerston et la princesse Auguste. Je vais souvent savoir des nouvelles de Stafford house, et de la Princesse Auguste. J’ai trouvé Lady Palmerston, très gracieuse. Elle sait plaire. Elle ne m’a point parlé de vous, mais vous êtes revenue deux ou trois fois dans la conversation d’anciennes petites histoires, une dame Russe qui, débarquant à Londres, vous avait priée de venir la voir at the black Bear, Custom’s house, je ne sais quoi encore ; rien, mais vous. Quel sentiment vous font éprouver les personnes qui savent plaire, et ne savent que plaire ? Dites-moi cela. Adieu. Je n’ai pas, le cœur à vous en dire davantage. Ou plutôt j’aurais le cœur à vous en dire trop. Adieu.
415. Londres, Vendredi 18 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
415. Londres, Vendredi 18 septembre 1840
9 heures
J’attends mes deux lettres car j’en aurai deux aujourd’hui. J’ai eu mon courrier cette nuit. La tempète a été l’une des plus violentes qu’on ait vues. Notre steamer, sorti de Calais avant-hier fut obligé de rentrer. Hier il a mis sept heures pour aller à Douvres. Le port de Douvres est encombré. Et il faut, pour que mon cœur soit tranquille, qu’un petit chiffon de papier surmonté tout cela ! Les nouvelles sont à la paix. J’y ai toujours cru, j’y crois toujours. On a bien des incertitudes, dans l’esprit, comme il y a bien des vicissitudes, dans les événements. Pourtant au fond de la pensée, dans son cours habituel quelque chose domine conviction ou instinct. Pour moi, c’est la paix. Ici, on la désire évidemment de plus en plus. S’il y a quelque concession un peu embarrassante à faire, elle se fera à Alexandrie ou à Constantinople. Je devrais dire et au lieu d’ou. Le traité laisse avec grand soin, cette porte ouverte. Les bases d’arrangement entre le Sultan et le Pacha ne font point partie de la convention des quatre Puissances. C’est une annexe qui vient de la Porte seule et que la Porte peut modifier. Le Pacha de son côté ne me paraît point avoir jeté son bonnet par dessus les moulins. Il n’y a plus que des sages dans le monde. Je prends un singulier moment pour le dire. Pourtant je le crois.
En ma qualité de sage, je vais faire ma toilette pour occuper mon impatience. J’attends très dignement ce que je crains. Mais si on voyait avec quel tumulte intérieur j’attends ce que je désire, on ne me trouverait. pas si sage que je le dis. On aurait tort. La vraie sagesse consiste à ne s’émouvoir que selon l’importance des choses, et je suis bien sûr que j’ai raison dans l’importance que j’attache à celle qui m’émeut en ce moment. Décidément, je vais faire ma toilette.
Une heure
J’ai mes deux lettres, et il vous en a manqué une. Elle ne vous aura pas manqué. On vous l’aura remise plus tard. Je crois même qu’elle était longue, lundi. Je ne vous écris jamais aussi longuement que je le voudrais ! Ni vous non plus à moi. Certainement c’est absurde, absurde et intolérable. Je le sens mieux tous les jours. Mais vous avez tort dans votre égoïsme. Vous ne risquez, vous ne perdez jamais rien dans aucune situation. Partout, toujours mon regret, mon désir est le même. Ceux que j’aime le mieux, je les aime pour eux. Vous, je vous aime pour moi. Est-ce assez ?
Voilà donc la grande duchesse Marie cousine germaine de M. Demidoff. Cousine germaine par alliance. Les Bonaparte se remuent partout. Ici encore, pour tirer de prison leur Empereur Louis. C’est bien dommage que le sentiment du ridicule soit mort. Il aurait de quoi s’exercer. Mais de notre temps le ridicule s’est mêlé à la grandeur, à la tragédie, et cela le tue. J’ai fait comme vous hier au soir ; je me suis couché de bonne heure, à 10 heures et demie. Je n’étais pas sorti. J’avais joué au Whist. Je me fais pitié, pitié comme tristesse, pitié comme décadence. Des soirées si charmantes ! Bonheur à part, je ne puis souffrir de passer mon temps pour le passer, sans y rien recevoir cousine germaine de M. Demidoff. Cousine germaine par alliance. Les Bonaparte se remuent partout. Ici encore, pour tirer de prison leur Empereur Louis. C’est bien dommage que le sentiment du ridicule soit mort. Il aurait de quoi s’exercer. Mais de notre temps le ridicule s’est mêlé à la grandeur, à la tragédie, et cela le tue.
J’ai fait comme vous hier au soir ; je me suis couché de bonne heure, à 10 heures et demie Je n’étais pas sorti. J’avais joué au whist. Je me fais pitie, pitié comme tristesse, pitié comme décadence. Des soirées si charmantes ? bonheur à part, je ne puis souffrir de passer mon temps pour le passer, sans y rien recevoir, sans y rien mettre qui me satisfasse et qui me plaise. Le temps, ce trésor si grand, qui s’écoule si vite, le dépenser pour rien, avec personne ! Cela me choque. Je rentre dans ma chambre honteux, petit. Quand au contraire mon temps a été bien rempli, rempli au gré de mon âme, quand le chêne a bien ouvert ses feuilles, et bien joui du soleil, je me retire, je me couché, je m’endors content et fier, animé et reposé. Je dis adieu non sans regret, mais sans amertume à ces belles heures passées. C’est toujours triste de belles heures qui ne sont plus. Mais elles ont été belles ; elles ont eu leur part des dons de Dieu, des biens de la vie. Ce quelles deviennent, où elles vont en s’enfuyant, je ne le sais pas ; le passé comme l’avenir est un mystère, un sanctuaire où notre vue ne pénètre point. Mais quand la portion de nous-mêmes qui disparaît dans ce sanctuaire a été charmante, il en reste une ombre charmante qui ne nous quitte plus. Je l’avais près de moi chaque soir cette ombre d’un jour plein, d’un jour heureux. En le regrettant, j’en jouissais encore. Je ne regrette plus rien, et mes journées tombent derrière moi, sans que j’y pense, sans que je tourne une seule fois la tête pour y regarder.
3 heures et demie
Je vous ai quittée. Je vous désirais trop. Je ne vous reviens que pour vous dire adieu avant de sortir. Je vais faire deux ou trois visites. J’irai probablement voir lady Clanricard. Elle m’a dit qu’elle serait chez elle a cinq heures. Ce soir, j’aurai mes diplomates qui joueront au Whist. Lady Palmerston m’a dit que cela leur plaisait fort, mais que c’était bien dommage que je n’y eusse pas quelques femmes. Je ne trouve pas que ce soit dommage. Adieu. Adieu. Adieu, me plaît, mais ne me contente pas. Adieu.
9 heures
J’attends mes deux lettres car j’en aurai deux aujourd’hui. J’ai eu mon courrier cette nuit. La tempète a été l’une des plus violentes qu’on ait vues. Notre steamer, sorti de Calais avant-hier fut obligé de rentrer. Hier il a mis sept heures pour aller à Douvres. Le port de Douvres est encombré. Et il faut, pour que mon cœur soit tranquille, qu’un petit chiffon de papier surmonté tout cela ! Les nouvelles sont à la paix. J’y ai toujours cru, j’y crois toujours. On a bien des incertitudes, dans l’esprit, comme il y a bien des vicissitudes, dans les événements. Pourtant au fond de la pensée, dans son cours habituel quelque chose domine conviction ou instinct. Pour moi, c’est la paix. Ici, on la désire évidemment de plus en plus. S’il y a quelque concession un peu embarrassante à faire, elle se fera à Alexandrie ou à Constantinople. Je devrais dire et au lieu d’ou. Le traité laisse avec grand soin, cette porte ouverte. Les bases d’arrangement entre le Sultan et le Pacha ne font point partie de la convention des quatre Puissances. C’est une annexe qui vient de la Porte seule et que la Porte peut modifier. Le Pacha de son côté ne me paraît point avoir jeté son bonnet par dessus les moulins. Il n’y a plus que des sages dans le monde. Je prends un singulier moment pour le dire. Pourtant je le crois.
En ma qualité de sage, je vais faire ma toilette pour occuper mon impatience. J’attends très dignement ce que je crains. Mais si on voyait avec quel tumulte intérieur j’attends ce que je désire, on ne me trouverait. pas si sage que je le dis. On aurait tort. La vraie sagesse consiste à ne s’émouvoir que selon l’importance des choses, et je suis bien sûr que j’ai raison dans l’importance que j’attache à celle qui m’émeut en ce moment. Décidément, je vais faire ma toilette.
Une heure
J’ai mes deux lettres, et il vous en a manqué une. Elle ne vous aura pas manqué. On vous l’aura remise plus tard. Je crois même qu’elle était longue, lundi. Je ne vous écris jamais aussi longuement que je le voudrais ! Ni vous non plus à moi. Certainement c’est absurde, absurde et intolérable. Je le sens mieux tous les jours. Mais vous avez tort dans votre égoïsme. Vous ne risquez, vous ne perdez jamais rien dans aucune situation. Partout, toujours mon regret, mon désir est le même. Ceux que j’aime le mieux, je les aime pour eux. Vous, je vous aime pour moi. Est-ce assez ?
Voilà donc la grande duchesse Marie cousine germaine de M. Demidoff. Cousine germaine par alliance. Les Bonaparte se remuent partout. Ici encore, pour tirer de prison leur Empereur Louis. C’est bien dommage que le sentiment du ridicule soit mort. Il aurait de quoi s’exercer. Mais de notre temps le ridicule s’est mêlé à la grandeur, à la tragédie, et cela le tue. J’ai fait comme vous hier au soir ; je me suis couché de bonne heure, à 10 heures et demie. Je n’étais pas sorti. J’avais joué au Whist. Je me fais pitié, pitié comme tristesse, pitié comme décadence. Des soirées si charmantes ! Bonheur à part, je ne puis souffrir de passer mon temps pour le passer, sans y rien recevoir cousine germaine de M. Demidoff. Cousine germaine par alliance. Les Bonaparte se remuent partout. Ici encore, pour tirer de prison leur Empereur Louis. C’est bien dommage que le sentiment du ridicule soit mort. Il aurait de quoi s’exercer. Mais de notre temps le ridicule s’est mêlé à la grandeur, à la tragédie, et cela le tue.
J’ai fait comme vous hier au soir ; je me suis couché de bonne heure, à 10 heures et demie Je n’étais pas sorti. J’avais joué au whist. Je me fais pitie, pitié comme tristesse, pitié comme décadence. Des soirées si charmantes ? bonheur à part, je ne puis souffrir de passer mon temps pour le passer, sans y rien recevoir, sans y rien mettre qui me satisfasse et qui me plaise. Le temps, ce trésor si grand, qui s’écoule si vite, le dépenser pour rien, avec personne ! Cela me choque. Je rentre dans ma chambre honteux, petit. Quand au contraire mon temps a été bien rempli, rempli au gré de mon âme, quand le chêne a bien ouvert ses feuilles, et bien joui du soleil, je me retire, je me couché, je m’endors content et fier, animé et reposé. Je dis adieu non sans regret, mais sans amertume à ces belles heures passées. C’est toujours triste de belles heures qui ne sont plus. Mais elles ont été belles ; elles ont eu leur part des dons de Dieu, des biens de la vie. Ce quelles deviennent, où elles vont en s’enfuyant, je ne le sais pas ; le passé comme l’avenir est un mystère, un sanctuaire où notre vue ne pénètre point. Mais quand la portion de nous-mêmes qui disparaît dans ce sanctuaire a été charmante, il en reste une ombre charmante qui ne nous quitte plus. Je l’avais près de moi chaque soir cette ombre d’un jour plein, d’un jour heureux. En le regrettant, j’en jouissais encore. Je ne regrette plus rien, et mes journées tombent derrière moi, sans que j’y pense, sans que je tourne une seule fois la tête pour y regarder.
3 heures et demie
Je vous ai quittée. Je vous désirais trop. Je ne vous reviens que pour vous dire adieu avant de sortir. Je vais faire deux ou trois visites. J’irai probablement voir lady Clanricard. Elle m’a dit qu’elle serait chez elle a cinq heures. Ce soir, j’aurai mes diplomates qui joueront au Whist. Lady Palmerston m’a dit que cela leur plaisait fort, mais que c’était bien dommage que je n’y eusse pas quelques femmes. Je ne trouve pas que ce soit dommage. Adieu. Adieu. Adieu, me plaît, mais ne me contente pas. Adieu.
416. Londres, Samedi 19 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
416. Londres, samedi 19 septembre 1840
onze heures
J’en suis désolé ; mais vous n’aurez probablement aujourd’hui que quelques lignes. J’ai vu hier, tard, lord Palmerston ce qui me donne une dépêche à faire. J’ai reçu ce matin un courrier qui m’oblige à le revoir ; de là une autre dépêche. Ma journée sera pleine et très pleine. De pas grand chose peut-être, mais enfin pleine. J’en suis d’autant plus contrarié que c’est demain Dimanche. Vous serez bien sûre que ce n’est pas ma faute. J’ai maintenant la confiance que vous êtes toujours sûre. Toujours, n’est-ce pas ; et parfaitement sûre. Voilà le 425. Et la correspondance parfaitement réglée. Admettez, à partir de 9 heures deux nouveaux intermédiaires l’ancien petit copiste, et celui dont Génie vous a parlé. J’espère qu’il n’y aura plus de retard. Votre inquiétude me charme, à condition qu’elle restera dans votre cœur, et ne passera point dans vos entrailles. Voilà le déjeuner. Je sortirai après. Mais je reviendrai à temps pour vous dire adieu.
Midi et demi
Quelques mots avant de sortir. Merci de votre prudence, car je la prends pour moi. Mais je trouve le silence absolu un parti bien sévère, même chez les Flahaut. Vous ne direz jamais en y pensant, que ce que vous voudrez, et vous êtes bon juge de ce qu’il faut dire. Détendez-vous un peu. Ne vous brouillez point. Il y a de quoi se souvenir, pas de quoi se brouiller. Et puis, je ne veux pas que vous vous isoliez. Pas du tout dans l’intérêt de vos lettres ; je ne les aime jamais mieux que lorsqu’elles me parlent de nous et pas d’autre chose ; mais pour le petit amusement de votre vie. Vous savez que malgré tout ce quelle peut dire et faire, je trouve à Mad. de Flahaut des qualités réelles. Elle a un fond d’amitié sincère pour vous. Il faut respecter cela et en profiter.
Je ne vous ai pas parlé du traité imprimé parce qu’il ne m’a rien appris. Il a éclairci, non changé mes idées. Vous n’y faites certainement pas une grande figure. Le traité crée en Orient un avenir très obscur. Voilà ce qu’il a de grave. De gros nuages à l’Est, et un vieux barbare, et un Commodore Napier, et beaucoup de canons et d’hommes jetés sous les nuages, c’est beaucoup que cela pour une santé convalescente, comme celle de l’Europe. J’écrivais à Lord Grey et je ne me lasse pas de répéter : " La petite politique tue la grande. " Certainement Napier a eu grand tort, et le traité même lui donne tort. On en convient presque ici. Adieu. Adieu. Je sors.
onze heures
J’en suis désolé ; mais vous n’aurez probablement aujourd’hui que quelques lignes. J’ai vu hier, tard, lord Palmerston ce qui me donne une dépêche à faire. J’ai reçu ce matin un courrier qui m’oblige à le revoir ; de là une autre dépêche. Ma journée sera pleine et très pleine. De pas grand chose peut-être, mais enfin pleine. J’en suis d’autant plus contrarié que c’est demain Dimanche. Vous serez bien sûre que ce n’est pas ma faute. J’ai maintenant la confiance que vous êtes toujours sûre. Toujours, n’est-ce pas ; et parfaitement sûre. Voilà le 425. Et la correspondance parfaitement réglée. Admettez, à partir de 9 heures deux nouveaux intermédiaires l’ancien petit copiste, et celui dont Génie vous a parlé. J’espère qu’il n’y aura plus de retard. Votre inquiétude me charme, à condition qu’elle restera dans votre cœur, et ne passera point dans vos entrailles. Voilà le déjeuner. Je sortirai après. Mais je reviendrai à temps pour vous dire adieu.
Midi et demi
Quelques mots avant de sortir. Merci de votre prudence, car je la prends pour moi. Mais je trouve le silence absolu un parti bien sévère, même chez les Flahaut. Vous ne direz jamais en y pensant, que ce que vous voudrez, et vous êtes bon juge de ce qu’il faut dire. Détendez-vous un peu. Ne vous brouillez point. Il y a de quoi se souvenir, pas de quoi se brouiller. Et puis, je ne veux pas que vous vous isoliez. Pas du tout dans l’intérêt de vos lettres ; je ne les aime jamais mieux que lorsqu’elles me parlent de nous et pas d’autre chose ; mais pour le petit amusement de votre vie. Vous savez que malgré tout ce quelle peut dire et faire, je trouve à Mad. de Flahaut des qualités réelles. Elle a un fond d’amitié sincère pour vous. Il faut respecter cela et en profiter.
Je ne vous ai pas parlé du traité imprimé parce qu’il ne m’a rien appris. Il a éclairci, non changé mes idées. Vous n’y faites certainement pas une grande figure. Le traité crée en Orient un avenir très obscur. Voilà ce qu’il a de grave. De gros nuages à l’Est, et un vieux barbare, et un Commodore Napier, et beaucoup de canons et d’hommes jetés sous les nuages, c’est beaucoup que cela pour une santé convalescente, comme celle de l’Europe. J’écrivais à Lord Grey et je ne me lasse pas de répéter : " La petite politique tue la grande. " Certainement Napier a eu grand tort, et le traité même lui donne tort. On en convient presque ici. Adieu. Adieu. Je sors.
417. Londres, Dimanche 20 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
417. Londres, Dimanche 20 septembre 1840
une heure
J’arrive de la campagne. J’ai été dîner hier a Ember-Grave, près de Kingston chez M. Easthope. Ancienne promesse, deux fois violée, que je tenais à acquitter. Trois ou quatre membres des Communes et deux ou trois hommes d’esprit, un grand Tory, Sir Edward Sugden, des radicaux, tous raisonnables au fond, comme le Tory. Pensant tous de même, vivant très bien ensemble, mais très séparés. Nous avons beaucoup causé. Je mets en train. J’étais peu en train moi-même ; en sortant de table, je tombais de sommeil. Je n’avais pas dormi la nuit précédente. J’ai dormi là, dans un bien mauvais lit anglais, ces lits immenses, qui n’ont de bon, que leur grandeur. Que résultera-t-il des ouvertures de transaction faites à Alexandrie ? Très probablement, les Musulmans, laissés à eux-mêmes, en tireraient la paix. Mais les Chrétiens sont là. Y aura-t-il à Vienne et à Berlin, un peu de sagesse active ? On n’aura jamais là, à être sage, plus de profit et moins de danger. Je suis inquiet pourtant. Jamais la situation ne m’a paru plus grave que dans ce moment-ci. La solution, bonne ou mauvaise, peut être accomplie d’ici à un mois. Je sens profondément le mal de ne pas bien connaître, par moi-même, l’état des esprits en France. C’est un élément de la question, et de la conduite, qui me manque beaucoup. La poste n’arrive pas. J’étais arrivé moi, comptant bien la trouver, et heureux d’avance comme tous les jours. On me dit à présent qu’elle pourrait bien ne pas venir. Le vent a encore été mauvais hier, et le samedi la malle. Je décide plus aisément à ne pas passer. La malle ne pense pas à moi.
Vous êtes donc toujours bien fatiguée que vous vous couchiez toujours de si bonne heure. Cela me préoccupe extrêmement, vous dormez pas mal au moins. Car, si vous ne dormiez pas, vous ne pourriez pas, rester si longtemps dans votre lit. Je crois beaucoup, beaucoup au sommeil. Lundi une heure J’ai la lettre que je devais avoir hier mais pas celle de ce matin. J’en suis très contrarié. Pitoyable mot ! Vous me dîtes dans l’autre que vous êtes un peu malade. Il n’y a pas d’un peu pour moi quand je ne sais rien. La voilà. Retardée par la raison la plus insignifiante. Tout ce qui se passe dans une âme, en un quart d’heure, à propos de la raison la plus insignifiante ! Je suis heureux. Oui, heureux, quoi que vous me disiez que vous êtes souffrante et triste. Triste ! Je le crois bien.
M. de Clermont Tonnerre dit un jour à M. de Montlosier, à l’assemblée constituante :
" Vous vous mettez en colère.
- Moi, Monsieur ? Non, certes ; j’y suis toujours ! "
Merci de tout ce que vous me mandez. Je ne puis pas disserter aujourd’hui. J’ai un courrier à expédier Ce soir deux ou trois grandes lettres à écrire. Je vais faire fermer ma porte et travailler toute le matinée. Vous avez mille fois raison. M. de Metternich est mort. Peut-il ressusciter ? Je suis dans un profond, très profond accès d’impatience et d’humeur. Moi aussi, je crois que la France désire la paix et n’accepterait pas tout. C’est la disposition de l’Angleterre aussi si les deux pays ne viennent pas à bout de faire ce qu’ils désirent, ce sera par les deux plus sottes raisons qu’il puisse y avoir en ce monde, faute d’esprit et de courage. On ne comprend pas. On n’ose pas. Je vous dis que j’ai beaucoup d’humeur. Avoir de l’humeur tout seul, c’est presque aussi triste que de le joie tout seul. Il est vrai que de la joie tout seul, c’est impossible. J’ai le permis d’entrée pour la vaisselle et les effets de Lady Durham. Je vais l’envoyer à lord Grey. Je n’ai plus entendu parler de lord Mahon. Je n’irai, certainement pas chercher les tulipes. Je ne demande que la permission d’être poli avec elles, si elles viennent me chercher. Les pauvres tulipes ! C’est à présent la seule fleur que je n’aime pas avec passion. Je dîne aujourd’hui à Holland house. Après-demain chez Lady Palmerston. Adieu. Adieu. Comment peut-on se dire adieu ?
une heure
J’arrive de la campagne. J’ai été dîner hier a Ember-Grave, près de Kingston chez M. Easthope. Ancienne promesse, deux fois violée, que je tenais à acquitter. Trois ou quatre membres des Communes et deux ou trois hommes d’esprit, un grand Tory, Sir Edward Sugden, des radicaux, tous raisonnables au fond, comme le Tory. Pensant tous de même, vivant très bien ensemble, mais très séparés. Nous avons beaucoup causé. Je mets en train. J’étais peu en train moi-même ; en sortant de table, je tombais de sommeil. Je n’avais pas dormi la nuit précédente. J’ai dormi là, dans un bien mauvais lit anglais, ces lits immenses, qui n’ont de bon, que leur grandeur. Que résultera-t-il des ouvertures de transaction faites à Alexandrie ? Très probablement, les Musulmans, laissés à eux-mêmes, en tireraient la paix. Mais les Chrétiens sont là. Y aura-t-il à Vienne et à Berlin, un peu de sagesse active ? On n’aura jamais là, à être sage, plus de profit et moins de danger. Je suis inquiet pourtant. Jamais la situation ne m’a paru plus grave que dans ce moment-ci. La solution, bonne ou mauvaise, peut être accomplie d’ici à un mois. Je sens profondément le mal de ne pas bien connaître, par moi-même, l’état des esprits en France. C’est un élément de la question, et de la conduite, qui me manque beaucoup. La poste n’arrive pas. J’étais arrivé moi, comptant bien la trouver, et heureux d’avance comme tous les jours. On me dit à présent qu’elle pourrait bien ne pas venir. Le vent a encore été mauvais hier, et le samedi la malle. Je décide plus aisément à ne pas passer. La malle ne pense pas à moi.
Vous êtes donc toujours bien fatiguée que vous vous couchiez toujours de si bonne heure. Cela me préoccupe extrêmement, vous dormez pas mal au moins. Car, si vous ne dormiez pas, vous ne pourriez pas, rester si longtemps dans votre lit. Je crois beaucoup, beaucoup au sommeil. Lundi une heure J’ai la lettre que je devais avoir hier mais pas celle de ce matin. J’en suis très contrarié. Pitoyable mot ! Vous me dîtes dans l’autre que vous êtes un peu malade. Il n’y a pas d’un peu pour moi quand je ne sais rien. La voilà. Retardée par la raison la plus insignifiante. Tout ce qui se passe dans une âme, en un quart d’heure, à propos de la raison la plus insignifiante ! Je suis heureux. Oui, heureux, quoi que vous me disiez que vous êtes souffrante et triste. Triste ! Je le crois bien.
M. de Clermont Tonnerre dit un jour à M. de Montlosier, à l’assemblée constituante :
" Vous vous mettez en colère.
- Moi, Monsieur ? Non, certes ; j’y suis toujours ! "
Merci de tout ce que vous me mandez. Je ne puis pas disserter aujourd’hui. J’ai un courrier à expédier Ce soir deux ou trois grandes lettres à écrire. Je vais faire fermer ma porte et travailler toute le matinée. Vous avez mille fois raison. M. de Metternich est mort. Peut-il ressusciter ? Je suis dans un profond, très profond accès d’impatience et d’humeur. Moi aussi, je crois que la France désire la paix et n’accepterait pas tout. C’est la disposition de l’Angleterre aussi si les deux pays ne viennent pas à bout de faire ce qu’ils désirent, ce sera par les deux plus sottes raisons qu’il puisse y avoir en ce monde, faute d’esprit et de courage. On ne comprend pas. On n’ose pas. Je vous dis que j’ai beaucoup d’humeur. Avoir de l’humeur tout seul, c’est presque aussi triste que de le joie tout seul. Il est vrai que de la joie tout seul, c’est impossible. J’ai le permis d’entrée pour la vaisselle et les effets de Lady Durham. Je vais l’envoyer à lord Grey. Je n’ai plus entendu parler de lord Mahon. Je n’irai, certainement pas chercher les tulipes. Je ne demande que la permission d’être poli avec elles, si elles viennent me chercher. Les pauvres tulipes ! C’est à présent la seule fleur que je n’aime pas avec passion. Je dîne aujourd’hui à Holland house. Après-demain chez Lady Palmerston. Adieu. Adieu. Comment peut-on se dire adieu ?
418. Londres, Mardi 22 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
418. Londres, Mardi 22 septembre 1840
huit heures
Je ne puis souffrir de vous écrire à la hâte, comme ces jours-ci. A part même l’ennui d’une lettre courte, être avec vous et me presser de vous quitter, cela me choque. Je viens de me lever. Rien ne me presse. Je m’appartiens. Je vous appartiens. Je reviens à votre dernière phrase.
" Pourquoi suis- je si triste ? " Je vous connais comme à moi, une raison d’être triste qui suffit à beaucoup de tristesse. J’accepte celle-là, pour vous comme pour moi. Y en a-t-il quelque autre ? Répondez- moi à la question que vous me faites. Savez-vous ce que j’ai découvert samedi ? Qu’il m’était désagréable de quitter Londres. En roulant sur le chemin de fer, je ne comprenais pas, à la lettre, je ne comprenais pas pourquoi j’avais le cœur un peu serré. Je l’ai trouvé en y pensant, et cela m’a soulagé de le trouver. J’aime Londres. Londres ou Paris. Quand un sentiment possède le coeur, que de mouvement instinctifs, irréfléchis, obscurs, il y fait naître ! On est triste ou joyeux sans savoir pourquoi. Puis on comprend. N’y a-t-il pas bien des chansons qui ont dit ce que je dis-là ? Voi che sapete & & Les chansons ont raison.
Je suis très préoccupé des affaires. La phase où nous entrons et la manière dont nous y entrons ne me plaît pas. Je suis convainecu qu’en France, comme en Europe on désire la paix, et qu’en France comme en Europe, on n’accepterait franchement, on ne soutiendrait ardemment la guerre qu’autant qu’elle serait née d’elle- même, par un accident imprévu, par une nécessité soudaine inévitable. Il faut ne pas vouloir la guerre, même eût-on la prévoyance qu’elle viendra. Car si le monde, qui n’en veut pas, peut soupçonner qu’elle est venue par la volonté ou par la faute de quelqu’un, ce sera, pour celui-là un affaiblissement immense impossible à mésurer. Vous le savez ; j’ai toujours cru, je crois toujours la guerre évitable ; mais quand je croirais, le contraire, et tout en m’y préparant, je m’appliquerais sans relâche, sérieusement, sincèrement à l’éviter jusqu’au moment où elle viendrait tomber sur moi comme la foudre. Si l’incendie doit éclater, il faut que ce soit par le feu du ciel, non pas d’une main d’homme. Personne hier à Holland house. J’ai tort ; lord Jeffrey, qui arrive d’Edimbourg. Je persiste dans ma première impression ; l’homme le plus spirituel que j’aie vu ici. Un peu d’humeur, et de découragement dans l’esprit ce qui en ôte beaucoup, car cela donne l’air vieux, et la vieillesse ne va pas mieux à l’esprit qu’au corps. Je ne sais ce qui m’arrivera ; jusqu’à présent, l’âge, en m’apportant de l’expérience, m’a paru n’apporter que de la lumière et de la force. J’ai appris à mieux penser et à mieux agir, non à douter et à désespèrer. Un moment viendra, je le sais, où mon esprit conservât-il sa pleine santé, mon corps affaibli ne suffira plus à lui servir d’instrument. Je tâcherai de ne pas me faire illusion sur ce moment là.
Depuis quelques jours une singulière envie de dormir me prend tout de suite après dîner, presque à table. Beaucoup moins quand je dîne chez moi que chez les autres. Je soupçonne qu’on mange trop ici, même moi, et que la fatigue de mon estomac fait la lourdeur de ma tête. Une tempête affrense. La pluie bat mes vitres à les casser. Les arbres de mon square baissent la tête jusque sur la grille qui l’entoure. Je crains bien que ceci ne me coûte demain ma lettre. La poste ne passera pas aujourd’hui. Je vois par les journaux anglais qu’elle a passé hier. Ils ont leur exprès de Paris. Il faisait beau hier. La pluie a commencé le soir, quand je suis revenu de Holland house. une heure Cette irrégularité des lettres me désole autant pour vous que pour moi. Quand aurez-vous eu celle de Dimanche ? Quand c’est-à dire à quelle heure, car certainement vous l’aurez eue. Je regarde au vent ; je le trouve tombé. J’espère que ma lettre à moi, passera aujourd’hui et que je l’aurai demain. Pendant qu’on espère une transaction à Paris, j’y travaille ici de tout mon pouvoir. Travail difficile dans cette saison. Où saisir les gens pour les chauffer ? Et les rapports obscurs, contradictoires, embrouillent tout. On a dévié de cette grande idée qui présidait depuis dix ans à la conduite de l’Europe. Aucune question particulière ne vaut la guerre générale. Le mal est là. On n’a plus de boussole ! Et on a dévié pour la plus petite, la plus lointaine des questions, pour une question que bien peu d’années de patience devaient emporter. Je ramène sans relâche, devant tous les yeux, l’idée grande, l’idée simple qui a tout sauvé. C’est en son nom que je prêche la transaction. L’obstination est grande. Obstination d’aveugle, et d’aveugle piqué qu’on le soupçonne de ne pas voir. Je m’obstine aussi. Vous savez que je suis peu accessible, au découragement. Adieu. Je vous redemande, en finissant la réponse à votre question de samedi. Adieu. Adieu.
huit heures
Je ne puis souffrir de vous écrire à la hâte, comme ces jours-ci. A part même l’ennui d’une lettre courte, être avec vous et me presser de vous quitter, cela me choque. Je viens de me lever. Rien ne me presse. Je m’appartiens. Je vous appartiens. Je reviens à votre dernière phrase.
" Pourquoi suis- je si triste ? " Je vous connais comme à moi, une raison d’être triste qui suffit à beaucoup de tristesse. J’accepte celle-là, pour vous comme pour moi. Y en a-t-il quelque autre ? Répondez- moi à la question que vous me faites. Savez-vous ce que j’ai découvert samedi ? Qu’il m’était désagréable de quitter Londres. En roulant sur le chemin de fer, je ne comprenais pas, à la lettre, je ne comprenais pas pourquoi j’avais le cœur un peu serré. Je l’ai trouvé en y pensant, et cela m’a soulagé de le trouver. J’aime Londres. Londres ou Paris. Quand un sentiment possède le coeur, que de mouvement instinctifs, irréfléchis, obscurs, il y fait naître ! On est triste ou joyeux sans savoir pourquoi. Puis on comprend. N’y a-t-il pas bien des chansons qui ont dit ce que je dis-là ? Voi che sapete & & Les chansons ont raison.
Je suis très préoccupé des affaires. La phase où nous entrons et la manière dont nous y entrons ne me plaît pas. Je suis convainecu qu’en France, comme en Europe on désire la paix, et qu’en France comme en Europe, on n’accepterait franchement, on ne soutiendrait ardemment la guerre qu’autant qu’elle serait née d’elle- même, par un accident imprévu, par une nécessité soudaine inévitable. Il faut ne pas vouloir la guerre, même eût-on la prévoyance qu’elle viendra. Car si le monde, qui n’en veut pas, peut soupçonner qu’elle est venue par la volonté ou par la faute de quelqu’un, ce sera, pour celui-là un affaiblissement immense impossible à mésurer. Vous le savez ; j’ai toujours cru, je crois toujours la guerre évitable ; mais quand je croirais, le contraire, et tout en m’y préparant, je m’appliquerais sans relâche, sérieusement, sincèrement à l’éviter jusqu’au moment où elle viendrait tomber sur moi comme la foudre. Si l’incendie doit éclater, il faut que ce soit par le feu du ciel, non pas d’une main d’homme. Personne hier à Holland house. J’ai tort ; lord Jeffrey, qui arrive d’Edimbourg. Je persiste dans ma première impression ; l’homme le plus spirituel que j’aie vu ici. Un peu d’humeur, et de découragement dans l’esprit ce qui en ôte beaucoup, car cela donne l’air vieux, et la vieillesse ne va pas mieux à l’esprit qu’au corps. Je ne sais ce qui m’arrivera ; jusqu’à présent, l’âge, en m’apportant de l’expérience, m’a paru n’apporter que de la lumière et de la force. J’ai appris à mieux penser et à mieux agir, non à douter et à désespèrer. Un moment viendra, je le sais, où mon esprit conservât-il sa pleine santé, mon corps affaibli ne suffira plus à lui servir d’instrument. Je tâcherai de ne pas me faire illusion sur ce moment là.
Depuis quelques jours une singulière envie de dormir me prend tout de suite après dîner, presque à table. Beaucoup moins quand je dîne chez moi que chez les autres. Je soupçonne qu’on mange trop ici, même moi, et que la fatigue de mon estomac fait la lourdeur de ma tête. Une tempête affrense. La pluie bat mes vitres à les casser. Les arbres de mon square baissent la tête jusque sur la grille qui l’entoure. Je crains bien que ceci ne me coûte demain ma lettre. La poste ne passera pas aujourd’hui. Je vois par les journaux anglais qu’elle a passé hier. Ils ont leur exprès de Paris. Il faisait beau hier. La pluie a commencé le soir, quand je suis revenu de Holland house. une heure Cette irrégularité des lettres me désole autant pour vous que pour moi. Quand aurez-vous eu celle de Dimanche ? Quand c’est-à dire à quelle heure, car certainement vous l’aurez eue. Je regarde au vent ; je le trouve tombé. J’espère que ma lettre à moi, passera aujourd’hui et que je l’aurai demain. Pendant qu’on espère une transaction à Paris, j’y travaille ici de tout mon pouvoir. Travail difficile dans cette saison. Où saisir les gens pour les chauffer ? Et les rapports obscurs, contradictoires, embrouillent tout. On a dévié de cette grande idée qui présidait depuis dix ans à la conduite de l’Europe. Aucune question particulière ne vaut la guerre générale. Le mal est là. On n’a plus de boussole ! Et on a dévié pour la plus petite, la plus lointaine des questions, pour une question que bien peu d’années de patience devaient emporter. Je ramène sans relâche, devant tous les yeux, l’idée grande, l’idée simple qui a tout sauvé. C’est en son nom que je prêche la transaction. L’obstination est grande. Obstination d’aveugle, et d’aveugle piqué qu’on le soupçonne de ne pas voir. Je m’obstine aussi. Vous savez que je suis peu accessible, au découragement. Adieu. Je vous redemande, en finissant la réponse à votre question de samedi. Adieu. Adieu.
419. Londres, Mercredi 23 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
419. Londres, Mercredi 23 septembre 1840
7 heures et demie
Pardon d’avoir commencé par cette demi- feuille déchirée. Toujours la tempête. Je suis à écrire, dans mon lit depuis quatre heures du matin. J’écris quelques fois pour me rendre de ce que je pense, un compte bien complet, bien rigoureux. On pense si légèrement ! On fait tant de sottises pour avoir légèrement pensé ! Je trouve les esprits encore plus légers que les cœurs. C’est beaucoup. Mais que m’importe que les cœurs et les esprits soient légers ? Le seul cœur, le seul esprit dont j’aie besoin ne l’est pas. Il est loin de moi ; voilà son seul défaut. Je suis bien vivement ce défaut là. Je voudrais bien causer avec vous. Mon instinct m’a dit que l’affaire est dans sa crise ; crise au dedans, crise au dehors. Moi aussi, je suis condamné à la politique de l’isolement. Elle me déplaît fort. Me voilà tranquille sur la tempête. La malle a passé. Un courrier vient de m’arriver. Il ne m’apporte rien du tout qu’une lettre de cet honnête ministre des finances qui m’écrit : " Je suis bien aise de voir que les circonstances ne détournent pas lady Durham et beaucoup d’autres de venir jouir de notre beau climat, et j’espère que cette confiance ne sera pas trompée. " Je vais faire ma toilette en attendant d’autres lettres.
4 heures
J’ai encore écrit énormément depuis ce matin. Je voulais finir ce que j’avais commencé cette nuit. Vous aussi votre lettre est charmante. Laissez-moi juge de ce que vous méritez. C’est moi que cela regarde. Je vous ai dit bien des vérités, franches. Je peux bien vous dire à mon gré des vérités tendres. Ne dirait-on pas que mes vérités tendres ne seront pas franches ? Je vous aime chez moi. N’y ayez pas de sentiments mêlés. Tout est à vous, tout est à moi ; tout ce dont nous avons pu disposer, l’un et l’autre. Jamais don n’a été plus complet. Moi aussi, j’ai eu mes sentiments mêlés. A présent je ne les ai plus ; je ne les aurai plus jamais. Il me semble. Comment avez-vous trouvé mon portrait ? Votre dîner n’est donc pas autre que celui de Stafford house ? Est-ce faute d’appétit, ou de peur de fatiguer votre estomac? Je suis en général porté à croire qu’on mange trop. Le gâteau de semoule de Valentin vaut-il celui de Guillet ?
Voilà la princesse Augusta morte. Il faudra que j’aille passer sans prétexte devant Stafford house. Vous ne savez pas combien ces plaisirs-là s’usent peu pour moi. Je pourrais me donner le même tous les jours pendant des années. Mes plaisirs sont peu nombreux mais immenses, inépuisables. La transaction est sur le tapis. Elle aurait de bien meilleures chances, si le bruit ne s’était pas répandu ici que le Pacha allait céder tout-à-fait, et que c’est M. Valeski qui l’a empêché. Les adversaires de la transaction exploitent beaucoup cela. Cependant je travaille. On travaille. Il y aura un conseil de cabinet lundi. Certainement la transaction y est en grand majorité. Mais la majorité ne suffit pas. Il faut quelqu’un qui ait le courage de la prendre et de s’en servir contre la minorité.
Je dîne aujourd’hui chez Lord Palmerston. Je le pousserai vivement. Lady Palmerston m’a paru en effet avoir quelque envie de plus d’abandon. Je ne demande pas mieux. Je m’abandonnerai pourvu qu’on me cède. J’aurais vraiment aimé à me trouver de l’avis de lord Palmerston et agissant avec lui. Mais il veut tout, et moi je veux ma part. On me dit que c’est l’heure de la poste. Je trouve toutes les lettres trop courtes, celles que j’écris, celles que je reçois. Tout est trop court. Est-il vrai que vous ayez passé à Londres deux ans et demi ? J’ai peine à y croire. Quel charmant temps ! Un charmé si doux et si solennel ! Y aurait-il mieux ? N’est-ce pas, il y aura mieux ? Est-ce possible ? Oui, c’est possible. Adieu. Adieu. En attendant mieux.
7 heures et demie
Pardon d’avoir commencé par cette demi- feuille déchirée. Toujours la tempête. Je suis à écrire, dans mon lit depuis quatre heures du matin. J’écris quelques fois pour me rendre de ce que je pense, un compte bien complet, bien rigoureux. On pense si légèrement ! On fait tant de sottises pour avoir légèrement pensé ! Je trouve les esprits encore plus légers que les cœurs. C’est beaucoup. Mais que m’importe que les cœurs et les esprits soient légers ? Le seul cœur, le seul esprit dont j’aie besoin ne l’est pas. Il est loin de moi ; voilà son seul défaut. Je suis bien vivement ce défaut là. Je voudrais bien causer avec vous. Mon instinct m’a dit que l’affaire est dans sa crise ; crise au dedans, crise au dehors. Moi aussi, je suis condamné à la politique de l’isolement. Elle me déplaît fort. Me voilà tranquille sur la tempête. La malle a passé. Un courrier vient de m’arriver. Il ne m’apporte rien du tout qu’une lettre de cet honnête ministre des finances qui m’écrit : " Je suis bien aise de voir que les circonstances ne détournent pas lady Durham et beaucoup d’autres de venir jouir de notre beau climat, et j’espère que cette confiance ne sera pas trompée. " Je vais faire ma toilette en attendant d’autres lettres.
4 heures
J’ai encore écrit énormément depuis ce matin. Je voulais finir ce que j’avais commencé cette nuit. Vous aussi votre lettre est charmante. Laissez-moi juge de ce que vous méritez. C’est moi que cela regarde. Je vous ai dit bien des vérités, franches. Je peux bien vous dire à mon gré des vérités tendres. Ne dirait-on pas que mes vérités tendres ne seront pas franches ? Je vous aime chez moi. N’y ayez pas de sentiments mêlés. Tout est à vous, tout est à moi ; tout ce dont nous avons pu disposer, l’un et l’autre. Jamais don n’a été plus complet. Moi aussi, j’ai eu mes sentiments mêlés. A présent je ne les ai plus ; je ne les aurai plus jamais. Il me semble. Comment avez-vous trouvé mon portrait ? Votre dîner n’est donc pas autre que celui de Stafford house ? Est-ce faute d’appétit, ou de peur de fatiguer votre estomac? Je suis en général porté à croire qu’on mange trop. Le gâteau de semoule de Valentin vaut-il celui de Guillet ?
Voilà la princesse Augusta morte. Il faudra que j’aille passer sans prétexte devant Stafford house. Vous ne savez pas combien ces plaisirs-là s’usent peu pour moi. Je pourrais me donner le même tous les jours pendant des années. Mes plaisirs sont peu nombreux mais immenses, inépuisables. La transaction est sur le tapis. Elle aurait de bien meilleures chances, si le bruit ne s’était pas répandu ici que le Pacha allait céder tout-à-fait, et que c’est M. Valeski qui l’a empêché. Les adversaires de la transaction exploitent beaucoup cela. Cependant je travaille. On travaille. Il y aura un conseil de cabinet lundi. Certainement la transaction y est en grand majorité. Mais la majorité ne suffit pas. Il faut quelqu’un qui ait le courage de la prendre et de s’en servir contre la minorité.
Je dîne aujourd’hui chez Lord Palmerston. Je le pousserai vivement. Lady Palmerston m’a paru en effet avoir quelque envie de plus d’abandon. Je ne demande pas mieux. Je m’abandonnerai pourvu qu’on me cède. J’aurais vraiment aimé à me trouver de l’avis de lord Palmerston et agissant avec lui. Mais il veut tout, et moi je veux ma part. On me dit que c’est l’heure de la poste. Je trouve toutes les lettres trop courtes, celles que j’écris, celles que je reçois. Tout est trop court. Est-il vrai que vous ayez passé à Londres deux ans et demi ? J’ai peine à y croire. Quel charmant temps ! Un charmé si doux et si solennel ! Y aurait-il mieux ? N’est-ce pas, il y aura mieux ? Est-ce possible ? Oui, c’est possible. Adieu. Adieu. En attendant mieux.
420. Londres, Mercredi 23 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
420. Londres, Mercredi 23 septembre 1840
six heures et demie
Je vous quitte à peine et je vous reviens. Pourquoi se quitter jamais? Savez-vous que les trois quarts des chagrins qu’on a c’est qu’on le veut. bien ?
Il me semble que 22 s’accroche bien fort aux branches du Chêne. On me dit qu’il y a bien des gens qui voudraient l’y pendre. De loin, 48 a un peu l’air de s’accrocher à tout. Quoique 12 ne soit que le quart de 48, il se flatte bien d’être un chiffre plus fort, et il s’asseoirait volontiers aux pieds du chêne pour qu’il se prétât à l’usage qu’on voudrait faire de lui. Il lui ferait même probablement d’assez grandes concessions de terrain. Est-ce que la grande pensée n’a pas envoyé quelqu’une de ses feuilles à 83 qui aime tant les fleurs ? Si je ne me trompe il se fait en ce moment bien des calculs autour de 34. Le Mélèze serait curieux de savoir si on lui en veut toujours beaucoup de ne pas vouloir épouser 2 en secondes noces et si on espère que 14 refera un grand mariage. Je vous suis à peine revenu et il faut que je vous quitte pour m’habiller. Quand vous étiez ici, j’en voulais à à R. féminin. Depuis que vous n’y êtes plus, je la revois avec plaisir. Elle n’est pas la rose, mais.... Il est convenu que j’aime les redites.
Jeudi 9 heures
A dîner, Lady Clanricard, Lord Minto, M. et Mad. Van de Weyer, Alava, Pollon et Schleinitz, Lady Clanricard en grande coquetterie avec moi, coquetterie non seulement animée et spirituelle, mais presque douce et affectueuse, ce qui est moins dans sa nature. Un lieu banal de conversation, mœurs anglaises ; elle en faisait très bon marché. " Mais nous avons un seul avantage, l’intimité ; nous aimons l’intimité ; nous avons de l’intimité. " Je me suis récrié : " C’est précisément ce que vous n’avez pas. Je ne sais pas comment vous êtes dans vos ménages mais en sortant du ménage de la famille, vous tombez tout de suite dans le raout. Il faut à l’intimité un laisser-aller, un besoin de communication, de sympathie, d’épanchement, qui me semblent inconnus ici. "
Cela ne vaut pas la peine de vous être redit. Son langage était très bienveillant pour la France, pour la vie et la societé française. Point de politique du tout : " Je ne comprends pas comment fait-on Angleterre une femme de moyen-âge qui devient veuve et n’a plus de grande part au monde. Si cela m’arrive j’irai vivre ailleurs, en France peut-être. " Pas plus de politique avec Lord Palmerston qu’avec Lady Clanricard. Un peu avec Lord Minto. Triste de part et d’autre. L’idée de la guerre possible pénètre ici. Il y a huit jours, on n’y croyait pas encore du tout. Je persiste à n’y pas croire. Une transaction sortira de tous ces essais de transaction. Et j’y regarde avec une anxièté qui surmonte, je vous en réponds, ma disposition générale à l’optimisme. Lord et lady Palmerston très empressés pour moi.
Une heure
Vous avez très bien écrit à lady Palmerston Evidemment, évidemment, il est absurde, il est ridicule de faire courir à l’Europe, pour le motif qu’on allègue, les chances qu’on lui ferait courir en repoussant une transaction. " Il faut Beyrout et Damas au Sultan ! " Qui donc savait, qui pensait à savoir en Europe, il y a deux ans si Beyrout et Damas étaient au Sultan, ou au Pacha ? L’Europe, l’Europe saine grande, forte, belle, attachant ses destinées à la question de savoir si ces ruines pestiférées seront au pouvoir d’un vieillard près de mourir ou d’un enfant hors d’état de régner ? Dieu garde le monde de cette alliance : un petit esprit et un caractère fort ! Il n’y a pas de folie, pas de matheur qui n’en puisse sortir. Moi aussi, le memorandum du 24 août ne m’a pas satisfait, pour la forme du moins. Je l’aurais écrit autrement. C’est vraiment du guignon qu’il passe pour trop doctrinaire. On m’écrit ce matin que 31 a grand peur et fort peu d’envie de rentrer dans une si vive mêlée. Pourquoi n’écririez-vous pas à 2 que vous êtes de retour ? Savez vous ce que je soupçonne dans ce silence gardé envers vous par 2 et trois fois 2 ? Quelque misérable lâcheté, tenez pour certain que le langage de 90 à Paris, et celui de l’homme qui " mange avec autorité " à Londres sont très differents. Le mangeur n’est pas frondeur du tout. Adieu.
Vous ai-je dit aujourd’hui un mot autre que d’affaires ? Non, je crois. Pourtant j’ai bien autre chose dans le cœur Adieu, Selon mon cœur.
six heures et demie
Je vous quitte à peine et je vous reviens. Pourquoi se quitter jamais? Savez-vous que les trois quarts des chagrins qu’on a c’est qu’on le veut. bien ?
Il me semble que 22 s’accroche bien fort aux branches du Chêne. On me dit qu’il y a bien des gens qui voudraient l’y pendre. De loin, 48 a un peu l’air de s’accrocher à tout. Quoique 12 ne soit que le quart de 48, il se flatte bien d’être un chiffre plus fort, et il s’asseoirait volontiers aux pieds du chêne pour qu’il se prétât à l’usage qu’on voudrait faire de lui. Il lui ferait même probablement d’assez grandes concessions de terrain. Est-ce que la grande pensée n’a pas envoyé quelqu’une de ses feuilles à 83 qui aime tant les fleurs ? Si je ne me trompe il se fait en ce moment bien des calculs autour de 34. Le Mélèze serait curieux de savoir si on lui en veut toujours beaucoup de ne pas vouloir épouser 2 en secondes noces et si on espère que 14 refera un grand mariage. Je vous suis à peine revenu et il faut que je vous quitte pour m’habiller. Quand vous étiez ici, j’en voulais à à R. féminin. Depuis que vous n’y êtes plus, je la revois avec plaisir. Elle n’est pas la rose, mais.... Il est convenu que j’aime les redites.
Jeudi 9 heures
A dîner, Lady Clanricard, Lord Minto, M. et Mad. Van de Weyer, Alava, Pollon et Schleinitz, Lady Clanricard en grande coquetterie avec moi, coquetterie non seulement animée et spirituelle, mais presque douce et affectueuse, ce qui est moins dans sa nature. Un lieu banal de conversation, mœurs anglaises ; elle en faisait très bon marché. " Mais nous avons un seul avantage, l’intimité ; nous aimons l’intimité ; nous avons de l’intimité. " Je me suis récrié : " C’est précisément ce que vous n’avez pas. Je ne sais pas comment vous êtes dans vos ménages mais en sortant du ménage de la famille, vous tombez tout de suite dans le raout. Il faut à l’intimité un laisser-aller, un besoin de communication, de sympathie, d’épanchement, qui me semblent inconnus ici. "
Cela ne vaut pas la peine de vous être redit. Son langage était très bienveillant pour la France, pour la vie et la societé française. Point de politique du tout : " Je ne comprends pas comment fait-on Angleterre une femme de moyen-âge qui devient veuve et n’a plus de grande part au monde. Si cela m’arrive j’irai vivre ailleurs, en France peut-être. " Pas plus de politique avec Lord Palmerston qu’avec Lady Clanricard. Un peu avec Lord Minto. Triste de part et d’autre. L’idée de la guerre possible pénètre ici. Il y a huit jours, on n’y croyait pas encore du tout. Je persiste à n’y pas croire. Une transaction sortira de tous ces essais de transaction. Et j’y regarde avec une anxièté qui surmonte, je vous en réponds, ma disposition générale à l’optimisme. Lord et lady Palmerston très empressés pour moi.
Une heure
Vous avez très bien écrit à lady Palmerston Evidemment, évidemment, il est absurde, il est ridicule de faire courir à l’Europe, pour le motif qu’on allègue, les chances qu’on lui ferait courir en repoussant une transaction. " Il faut Beyrout et Damas au Sultan ! " Qui donc savait, qui pensait à savoir en Europe, il y a deux ans si Beyrout et Damas étaient au Sultan, ou au Pacha ? L’Europe, l’Europe saine grande, forte, belle, attachant ses destinées à la question de savoir si ces ruines pestiférées seront au pouvoir d’un vieillard près de mourir ou d’un enfant hors d’état de régner ? Dieu garde le monde de cette alliance : un petit esprit et un caractère fort ! Il n’y a pas de folie, pas de matheur qui n’en puisse sortir. Moi aussi, le memorandum du 24 août ne m’a pas satisfait, pour la forme du moins. Je l’aurais écrit autrement. C’est vraiment du guignon qu’il passe pour trop doctrinaire. On m’écrit ce matin que 31 a grand peur et fort peu d’envie de rentrer dans une si vive mêlée. Pourquoi n’écririez-vous pas à 2 que vous êtes de retour ? Savez vous ce que je soupçonne dans ce silence gardé envers vous par 2 et trois fois 2 ? Quelque misérable lâcheté, tenez pour certain que le langage de 90 à Paris, et celui de l’homme qui " mange avec autorité " à Londres sont très differents. Le mangeur n’est pas frondeur du tout. Adieu.
Vous ai-je dit aujourd’hui un mot autre que d’affaires ? Non, je crois. Pourtant j’ai bien autre chose dans le cœur Adieu, Selon mon cœur.
421. Londres, Vendredi 25 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
421. Londres Vendredi 25 septembre 1840
7 heures et demie
Vous voyez le travail de Paris et de Londres pour nous brouiller, Thiers et moi. L’animosité personnelle devient très vive ici. On se dit convaincu que Thiers veut la guerre. Je nie, je repousse très haut, très ferme. On persiste. On couvre sous cette conviction, sa propre obstination. Cela fait une situation de plus en plus périlleuse et délicate. Je dis périlleuse quoique le fond de ma pensée ne soit pas changé. Je ne crois pas à la guerre. Je n’y crois guère plus que je ne la veux. Je la trouverais absurde, comme un effet sans cause est absurde. Jamais je ne consentirai à voir dans Beyrouth et Damas une cause suffisante a un si immense effet. Et quoi que l’absurde, ne soit pas banni de ce monde, cependant il n’y est pas puissant à ce point. Mais quand on rase de si près le bord, il est impossible, même en ne croyant pas à la chute de ne pas avoir le sentiment du péril. Et puis les passions des hommes sont à elles seules une cause ; une cause qui dans un moment donné à propos d’un incident imprévu, peut tout emporter soudainement. C’est là le vrai danger ; celui que j’ai constamment mis, que je mets constamment sous les yeux des gens qui ont créé cette situation parce qu’ils n’ont pas voulu y croire. Ils commencent à y croire ; ils commencent à entrevoir la guerre comme possible ; et ne voulant pas s’en pendre à la situation qu’ils ont faite, ils s’en prennent à quelqu’un qui la veut, disent-ils, qui travaille sous main à l’amener. Et je passe mon temps à combattre leurs conjectures sur les intentions et leur sécurité sur la situation. Il y aura toujours un conseil de cabinet lundi, pour reparler de l’affaire Mais lord Lansdowne, lord Duncannon, lord Morpeth sont en Irlande et ne viendront pas. Et aucun de ceux qui viendront n’est encore arrivé, ni lord John Russell, ni lord Melbourne. Ils arriveront dimanche ou lundi, au moment même du conseil. Ils se réuniront sans y avoir pensé, sans en savoir et sans s’en être dit plus qu’ils n’ont encore fait. Ils en parleront une heure ou deux en hésitant beaucoup à se contredire les uns les autres. Ils croiront à peu près ce qu’ils se diront, pour ou pas être forcés de se contredire. Et voilà ce qui peut se cacher de légèreté sous les formes les plus froides et les plus sérieuses. Je n’en pousse pas moins de toutes mes forces à une transaction à une modification des propositions de la Porte au Pacha. Et après bien du temps perdu, il y a bien des chances pour que cela finisse ainsi. Je regarderais ces chances comme extrêmement probables si on croyait ici à une vraie résistance du Pacha. Mais on croit toujours qu’il cèdera.
Une heure
Il n’y a pas moyen, quand on prend le chemin de l’école, d’arriver de très bonne heure, ni toujours à la même heure. Le frêne croit que le petit F. dit vrai sur son compte. Les journaux sont pleins ce matin de mes dissentiments avec Thiers. Je suis de l’avis du Courrier français. Le jour où il y aurait entre Thiers et moi, un vrai dissentiment sur le but et la marche de la politique, nous devrions nous en avertir l’un l’autre. Et nous n’y manquerions certainement pas. Je regarde beaucoup à l’Espagne, et je n’en dis rien parce que je n’en pense rien. La modération sans force, l’anarchie sans force, la folle sans passion, le chaos parodié, quel pitoyable spectacle ! Je mintéresse à la Reine. Je lui trouve de l’esprit et du courage. soit quand elle résiste, soit quand elle cède. Je ne crois pas que, par lui-même, le pauvre pays sorte de son agonie. Mais il n’en mourra pas, et il peut y vivre longtemps sans danger pour personne. A mon avis, c’est l’Europe qui est coupable envers l’Espagne. Et coupable depuis 1833. Après la mort de Ferdinand 7 au premier moment la tutelle européenne proclamée et exercée aurait tout prévenu. On ne veut guères faire, le mal aujourd’hui. On ne sait pas faire le bien. Le bien pourrait se faire, mais à la condition d’être fait grandement. Et on s’effraie de tout ce qui exige de la grandeur. Il y a cinquante ans, l’orgueil des hommes allait à la démence ; ils se croyaient appelés à refaire le monde à la place de Dieu. Aujourd’hui, leur sagesse va jusqu’à l’inertie ; ils laissent Dieu chargé de tout. Voilà du bavardage doctrinaire Vrai pourtant.
Je viens de parcourir ces cinq pages d’écriture. Pas une tendre parole ! Est-ce possible ? Mes paroles vous plaisent. Quel plaisir auriez-vous donc si vous voyez, réellement voir ce qu’elle essayent de peindre ? Vous avez raison ; depuis que le monde existe on a beaucoup dit sur cela ; chacune des mille millions et milliards de créatures, qui ont passé sous notre soleil a élevé la voix et répété la même chose, avec son plus doux accent. Quimporte la répétition ? Tout sentiment vrai est nouveau. Tout ce qui sort réellement du fond du cœur est dit pour la première fois entendu pour la première fois. Et puis vous savez mon orgueil en ceci comme en tout, l’inégalité est immense, la varièté infinie ; les sentiments naturels, universels, que toute créature a connus et racontés à d’autres créatures, ils sont ce que les fait l’âme où ils résident ; toujours beaux et doux car Dieu les a créés tels à l’usage de tous ; mais incomparablement plus beaux, plus doux dans les élus de Dieu, car Dieu a des élus. Ne dites jamais, ne laissez jamais entrevoir ceci à personne, mon amie. Oui, j’ai la prétention de vous dire des choses qu’aucune voix d’homme n’a jamais dites et ne dira jamais qu’aucune oreille de femme n’a jamais entendues et n’entendra jamais. Et que sont les choses que je vous dis auprès de celles que je sens ?
Mon cœur est infiniment plus riche que mon langage, et mes émotions, en pensant à vous infiniment plus nouvelles, plus inouïes que mes paroles. Laissez donc ce papier et entrez dans mon cœur. Lisez ce que je ne vous écris pas. Entendez ce que je ne vous ai jamais dit. Adieu.
7 heures et demie
Vous voyez le travail de Paris et de Londres pour nous brouiller, Thiers et moi. L’animosité personnelle devient très vive ici. On se dit convaincu que Thiers veut la guerre. Je nie, je repousse très haut, très ferme. On persiste. On couvre sous cette conviction, sa propre obstination. Cela fait une situation de plus en plus périlleuse et délicate. Je dis périlleuse quoique le fond de ma pensée ne soit pas changé. Je ne crois pas à la guerre. Je n’y crois guère plus que je ne la veux. Je la trouverais absurde, comme un effet sans cause est absurde. Jamais je ne consentirai à voir dans Beyrouth et Damas une cause suffisante a un si immense effet. Et quoi que l’absurde, ne soit pas banni de ce monde, cependant il n’y est pas puissant à ce point. Mais quand on rase de si près le bord, il est impossible, même en ne croyant pas à la chute de ne pas avoir le sentiment du péril. Et puis les passions des hommes sont à elles seules une cause ; une cause qui dans un moment donné à propos d’un incident imprévu, peut tout emporter soudainement. C’est là le vrai danger ; celui que j’ai constamment mis, que je mets constamment sous les yeux des gens qui ont créé cette situation parce qu’ils n’ont pas voulu y croire. Ils commencent à y croire ; ils commencent à entrevoir la guerre comme possible ; et ne voulant pas s’en pendre à la situation qu’ils ont faite, ils s’en prennent à quelqu’un qui la veut, disent-ils, qui travaille sous main à l’amener. Et je passe mon temps à combattre leurs conjectures sur les intentions et leur sécurité sur la situation. Il y aura toujours un conseil de cabinet lundi, pour reparler de l’affaire Mais lord Lansdowne, lord Duncannon, lord Morpeth sont en Irlande et ne viendront pas. Et aucun de ceux qui viendront n’est encore arrivé, ni lord John Russell, ni lord Melbourne. Ils arriveront dimanche ou lundi, au moment même du conseil. Ils se réuniront sans y avoir pensé, sans en savoir et sans s’en être dit plus qu’ils n’ont encore fait. Ils en parleront une heure ou deux en hésitant beaucoup à se contredire les uns les autres. Ils croiront à peu près ce qu’ils se diront, pour ou pas être forcés de se contredire. Et voilà ce qui peut se cacher de légèreté sous les formes les plus froides et les plus sérieuses. Je n’en pousse pas moins de toutes mes forces à une transaction à une modification des propositions de la Porte au Pacha. Et après bien du temps perdu, il y a bien des chances pour que cela finisse ainsi. Je regarderais ces chances comme extrêmement probables si on croyait ici à une vraie résistance du Pacha. Mais on croit toujours qu’il cèdera.
Une heure
Il n’y a pas moyen, quand on prend le chemin de l’école, d’arriver de très bonne heure, ni toujours à la même heure. Le frêne croit que le petit F. dit vrai sur son compte. Les journaux sont pleins ce matin de mes dissentiments avec Thiers. Je suis de l’avis du Courrier français. Le jour où il y aurait entre Thiers et moi, un vrai dissentiment sur le but et la marche de la politique, nous devrions nous en avertir l’un l’autre. Et nous n’y manquerions certainement pas. Je regarde beaucoup à l’Espagne, et je n’en dis rien parce que je n’en pense rien. La modération sans force, l’anarchie sans force, la folle sans passion, le chaos parodié, quel pitoyable spectacle ! Je mintéresse à la Reine. Je lui trouve de l’esprit et du courage. soit quand elle résiste, soit quand elle cède. Je ne crois pas que, par lui-même, le pauvre pays sorte de son agonie. Mais il n’en mourra pas, et il peut y vivre longtemps sans danger pour personne. A mon avis, c’est l’Europe qui est coupable envers l’Espagne. Et coupable depuis 1833. Après la mort de Ferdinand 7 au premier moment la tutelle européenne proclamée et exercée aurait tout prévenu. On ne veut guères faire, le mal aujourd’hui. On ne sait pas faire le bien. Le bien pourrait se faire, mais à la condition d’être fait grandement. Et on s’effraie de tout ce qui exige de la grandeur. Il y a cinquante ans, l’orgueil des hommes allait à la démence ; ils se croyaient appelés à refaire le monde à la place de Dieu. Aujourd’hui, leur sagesse va jusqu’à l’inertie ; ils laissent Dieu chargé de tout. Voilà du bavardage doctrinaire Vrai pourtant.
Je viens de parcourir ces cinq pages d’écriture. Pas une tendre parole ! Est-ce possible ? Mes paroles vous plaisent. Quel plaisir auriez-vous donc si vous voyez, réellement voir ce qu’elle essayent de peindre ? Vous avez raison ; depuis que le monde existe on a beaucoup dit sur cela ; chacune des mille millions et milliards de créatures, qui ont passé sous notre soleil a élevé la voix et répété la même chose, avec son plus doux accent. Quimporte la répétition ? Tout sentiment vrai est nouveau. Tout ce qui sort réellement du fond du cœur est dit pour la première fois entendu pour la première fois. Et puis vous savez mon orgueil en ceci comme en tout, l’inégalité est immense, la varièté infinie ; les sentiments naturels, universels, que toute créature a connus et racontés à d’autres créatures, ils sont ce que les fait l’âme où ils résident ; toujours beaux et doux car Dieu les a créés tels à l’usage de tous ; mais incomparablement plus beaux, plus doux dans les élus de Dieu, car Dieu a des élus. Ne dites jamais, ne laissez jamais entrevoir ceci à personne, mon amie. Oui, j’ai la prétention de vous dire des choses qu’aucune voix d’homme n’a jamais dites et ne dira jamais qu’aucune oreille de femme n’a jamais entendues et n’entendra jamais. Et que sont les choses que je vous dis auprès de celles que je sens ?
Mon cœur est infiniment plus riche que mon langage, et mes émotions, en pensant à vous infiniment plus nouvelles, plus inouïes que mes paroles. Laissez donc ce papier et entrez dans mon cœur. Lisez ce que je ne vous écris pas. Entendez ce que je ne vous ai jamais dit. Adieu.
422. Londres, Vendredi 25 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
422. Londres, Vendredi 25 septembre 1840
6 heures
Dites-moi si l’anémone et le cidre attachent bien le même sens à tout-à-fait. Dites-moi oui sans plus. Je reviens de Regent’s Park. La même entrée, les mêmes tours, la même sortie. J’avais écrit depuis sept heures et demie jusqu’à 4 heures, sauf le déjeuner. Je n’en pouvais plus. La solitude ne m’est pas saine. J’en abuse. C’est la solitude de Londres, qui me frappe. En hiver au printemps, la foule anime un peu le silence. Les figures sont froides, mais elles se pressent. A présent pas plus de foule que de bruit. Tous les jours sont dimanche. Un grand combat se prépare entre le Dimanche et les railways. On colporte, on signe des pétitions pour que les railways soient immobiles le Dimanche. Ils sont décidés à se défendre. La question ira au Parlement. Le Cabinet sera un peu embarrassé. Le Dimanche a des amis dans son camp. Cependant, on croit qu’il prendra parti pour les railway.
Samedi 7 heures et demie
Les diplomates me sont arrivés hier soir pleins de paix. Mais elle leur venait d’où vient ordinairement la peste, d’Odessa. Lord Alvanley écrivait de là que tout était arrangé, que le Divan avait accepté les propositions du Pacha. Puis nous avons trouvé que c’était un bruit de bourse, déjà inséré dans le Globe. Les sources, les dates, les vraisemblances morales ôtent à ce bruit, toute valeur. Aujourd’hui ou demain nous aurons des nouvelles sérieuses de Syrie et d’Alexandrie.
Alava, Moncorvo, Schleinitz, Pollon, Van de weyer, Münchhausen, Lisboa et je ne sais combien de secrétaires. Je ne me laisserai point imposer les femmes. Tout en serait changé et gêné ? Leshommes sont là fort librement. On cause, on joue au Whist, à l’écarté, aux êchecs. Tous les journaux anglais et français sur une grande table ronde. Il n’y a rien a changer. On dit qu’Espartero va renvoyer la junte de Madrid et toutes les juntes. Qu’il restera président du Conseil, sans portefeuille et fera un ministère qui ressemblera à tous les autres. Que la nullité du ministère et du Président éclatera bientôt, et que la Reine sortira du défilé en y laissant sur le carreau tous ceux qui l’y ont poussée. Cela se pourrait. Mais au milieu de tous ces gens qui tombent, je cherche quelqu’un qui s’élève. Je ne vois pas. Il ne suffit pas pour gouverner d’user les hommes qui embarrassent. Quelques fois, il est vrai, on n’a rien de mieux à faire. Alors il faut se résigner à n’avoir rien de bien !
Je persiste dans mon jugement. Des maux alternatifs dans une anarchie impuissante. Grand exemple de ce que peuvent faire d’un pays les sottises absolutistes et les absurdités révolutionnaires. Depuis Philippe 2, elles possèdent l’Espagne. Une heure Adieu. L’adieu spécial que vous voulez ; et bien spécial ne ressemblant à aucun autre. Il le faut en vérité, car il y a là un mal qui résiste aux remèdes les plus héroïques. Un seul mot encore. Je n’ai plus entendu parler d’aucune tulipe. Et comme j’évite au lieu de chercher, je n’en entendrai point parler. Vous avez raison. Je ne puis pas m’éloigner. Et juse de cette raison là.
Je ne me plains pas. Soyez contente. Et soyons toujours aussi enfants, tous les deux. Mais ne maigrissez pas ; pour Dieu ne maigrissez pas ; point a cause de la maigreur, mais a cause de la santé. Pour moi, je vous promets de ne pas engraisser. Je vous tiens déjà parole car certainement, j’ai maigri depuis quinze jours. Mon anneau à failli glisser hier. Beaucoup de souci, beaucoup de travail, point. de repos, car point de bonheur. Je ne crois pas à la guerre. Je me le redis, je vous le redis, parce qu’en effet je n’y crois pas. Mais je suis aussi inquiet que si j’y croyais. L’intérêt est si grand que ma prévoyance est sans pouvoir sur ma disposition. Mes relations personnelles avec lord Palmerston sont toujours les mêmes, réellement bonnes. Je crois qu’il aurait vraiment envie d’être d’accord avec moi. Mais qu’importe. Nous verrons ce que rendra le conseil de lundi. Quelle puérilité que tout ce fracas des journaux les plus sérieux à propos de quelques phrases en l’air d’un journal obscur ! Je n’ai pas la moindre relation, avec l’Univers. Je n’ai rien dit, rien fait qui autorise, rien de semblable. Je n’ai pas écrit depuis je ne sais combin de temps à M. Dillon ni a personne qui pût abuser de mes paroles. Je suis réservé, très réservé, aussi réservé que je serais décidé s’il y avait lieu.
Je connais bien les difficultés de ma position. J’y pense sans cesse. C’est la chose à laquelle je pense le plus. Je ne me laisserai point engager au delà de ma propre idée. Ceci est trop grave pour qu’on s’y conduise autrement que selon sa propre idée. Mais je ne me séparerai pas sans motif très grave et je ne désavouerai rien de ce que j’ai accepté jusqu’à présent. Adieu. Adieu. Ne me dites pas que mes lettres sont courtes. Ce n’est pas vrai. Comment le seraient-elles? C’est tout mon plaisir. Adieu.
6 heures
Dites-moi si l’anémone et le cidre attachent bien le même sens à tout-à-fait. Dites-moi oui sans plus. Je reviens de Regent’s Park. La même entrée, les mêmes tours, la même sortie. J’avais écrit depuis sept heures et demie jusqu’à 4 heures, sauf le déjeuner. Je n’en pouvais plus. La solitude ne m’est pas saine. J’en abuse. C’est la solitude de Londres, qui me frappe. En hiver au printemps, la foule anime un peu le silence. Les figures sont froides, mais elles se pressent. A présent pas plus de foule que de bruit. Tous les jours sont dimanche. Un grand combat se prépare entre le Dimanche et les railways. On colporte, on signe des pétitions pour que les railways soient immobiles le Dimanche. Ils sont décidés à se défendre. La question ira au Parlement. Le Cabinet sera un peu embarrassé. Le Dimanche a des amis dans son camp. Cependant, on croit qu’il prendra parti pour les railway.
Samedi 7 heures et demie
Les diplomates me sont arrivés hier soir pleins de paix. Mais elle leur venait d’où vient ordinairement la peste, d’Odessa. Lord Alvanley écrivait de là que tout était arrangé, que le Divan avait accepté les propositions du Pacha. Puis nous avons trouvé que c’était un bruit de bourse, déjà inséré dans le Globe. Les sources, les dates, les vraisemblances morales ôtent à ce bruit, toute valeur. Aujourd’hui ou demain nous aurons des nouvelles sérieuses de Syrie et d’Alexandrie.
Alava, Moncorvo, Schleinitz, Pollon, Van de weyer, Münchhausen, Lisboa et je ne sais combien de secrétaires. Je ne me laisserai point imposer les femmes. Tout en serait changé et gêné ? Leshommes sont là fort librement. On cause, on joue au Whist, à l’écarté, aux êchecs. Tous les journaux anglais et français sur une grande table ronde. Il n’y a rien a changer. On dit qu’Espartero va renvoyer la junte de Madrid et toutes les juntes. Qu’il restera président du Conseil, sans portefeuille et fera un ministère qui ressemblera à tous les autres. Que la nullité du ministère et du Président éclatera bientôt, et que la Reine sortira du défilé en y laissant sur le carreau tous ceux qui l’y ont poussée. Cela se pourrait. Mais au milieu de tous ces gens qui tombent, je cherche quelqu’un qui s’élève. Je ne vois pas. Il ne suffit pas pour gouverner d’user les hommes qui embarrassent. Quelques fois, il est vrai, on n’a rien de mieux à faire. Alors il faut se résigner à n’avoir rien de bien !
Je persiste dans mon jugement. Des maux alternatifs dans une anarchie impuissante. Grand exemple de ce que peuvent faire d’un pays les sottises absolutistes et les absurdités révolutionnaires. Depuis Philippe 2, elles possèdent l’Espagne. Une heure Adieu. L’adieu spécial que vous voulez ; et bien spécial ne ressemblant à aucun autre. Il le faut en vérité, car il y a là un mal qui résiste aux remèdes les plus héroïques. Un seul mot encore. Je n’ai plus entendu parler d’aucune tulipe. Et comme j’évite au lieu de chercher, je n’en entendrai point parler. Vous avez raison. Je ne puis pas m’éloigner. Et juse de cette raison là.
Je ne me plains pas. Soyez contente. Et soyons toujours aussi enfants, tous les deux. Mais ne maigrissez pas ; pour Dieu ne maigrissez pas ; point a cause de la maigreur, mais a cause de la santé. Pour moi, je vous promets de ne pas engraisser. Je vous tiens déjà parole car certainement, j’ai maigri depuis quinze jours. Mon anneau à failli glisser hier. Beaucoup de souci, beaucoup de travail, point. de repos, car point de bonheur. Je ne crois pas à la guerre. Je me le redis, je vous le redis, parce qu’en effet je n’y crois pas. Mais je suis aussi inquiet que si j’y croyais. L’intérêt est si grand que ma prévoyance est sans pouvoir sur ma disposition. Mes relations personnelles avec lord Palmerston sont toujours les mêmes, réellement bonnes. Je crois qu’il aurait vraiment envie d’être d’accord avec moi. Mais qu’importe. Nous verrons ce que rendra le conseil de lundi. Quelle puérilité que tout ce fracas des journaux les plus sérieux à propos de quelques phrases en l’air d’un journal obscur ! Je n’ai pas la moindre relation, avec l’Univers. Je n’ai rien dit, rien fait qui autorise, rien de semblable. Je n’ai pas écrit depuis je ne sais combin de temps à M. Dillon ni a personne qui pût abuser de mes paroles. Je suis réservé, très réservé, aussi réservé que je serais décidé s’il y avait lieu.
Je connais bien les difficultés de ma position. J’y pense sans cesse. C’est la chose à laquelle je pense le plus. Je ne me laisserai point engager au delà de ma propre idée. Ceci est trop grave pour qu’on s’y conduise autrement que selon sa propre idée. Mais je ne me séparerai pas sans motif très grave et je ne désavouerai rien de ce que j’ai accepté jusqu’à présent. Adieu. Adieu. Ne me dites pas que mes lettres sont courtes. Ce n’est pas vrai. Comment le seraient-elles? C’est tout mon plaisir. Adieu.
423. Londres, Dimanche 27 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
423. Londres, Dimanche 27 septembre 1840 sept heures
Byng est venu me dire hier qu’il partait aujourd’hui pour l’Italie et qu’il vous verrait en passant par Paris. L’envie m’a pris de vous dire par lui, un adieu plus tendre que de coutume, bien tendre. Je voudrais bien. Mais rien ne contente ma volonté. Vous savez mon mépris pour les illusions. Hier quand l’idée m’en est venue, il me semblait que je serais charmé de vous dire un peu plus, que je vous dirais tant ! Me voici. Je suis dans mon lit. Bien seul. C’est Dimanche. Je n’entends rien. Si vous étiez là ! Vous n’y êtes pas. Et je suis triste ! Et c’est tout ce que je trouve à vous dire Dimanche est un beau jour un saint jour. Je l’aime. Rien ne rafraîchit l’âme comme de se placer ensemble sous l’œil, sous la main, sous la garde de Dieu. C’est de la sécurité, c’est de l’éternité pour l’affection et pour le bonheur. Vous avez le cœur pieux. J’ai été ravi le jour où je m’ens suis aperçu. Je ne vous ai jamais dit, s’en cela, tout ce que je voudrais. Il me semble, en ce moment, que je ne vous ai jamais rien dit. J’ai le cœur si plein de vous, si plein pour vous ! Si vous étiez là, près de moi, je vous prendrais dans mes bras, je vous presserais sur mon cœur. Point de paroles, ma bien aimée. Rien que mes lèvres sur les lèvres, mon cœur sur ton coeur.
Non, il n’y aura pas de guerre. J’ai beau être inquiet ; ma raison ne cède pas devant mon inquiétude. Plus la guerre paraît s’approcher, moins je la trouve probable. Et il me semble que tout le monde est comme moi. On y croit d’autant moins qu’on la craint d’avantage. En ceci encore, que de choses que je ne puis vous dire. Il n’y a pas moyen. L’absence est devenue bien plus amère, bien plus lourde qu’elle n’avait jamais été. Adieu donc, ma bien aimée. Un adieu tendre et triste. Pourtant mille fois plus tendre que triste ! Adieu.
Byng est venu me dire hier qu’il partait aujourd’hui pour l’Italie et qu’il vous verrait en passant par Paris. L’envie m’a pris de vous dire par lui, un adieu plus tendre que de coutume, bien tendre. Je voudrais bien. Mais rien ne contente ma volonté. Vous savez mon mépris pour les illusions. Hier quand l’idée m’en est venue, il me semblait que je serais charmé de vous dire un peu plus, que je vous dirais tant ! Me voici. Je suis dans mon lit. Bien seul. C’est Dimanche. Je n’entends rien. Si vous étiez là ! Vous n’y êtes pas. Et je suis triste ! Et c’est tout ce que je trouve à vous dire Dimanche est un beau jour un saint jour. Je l’aime. Rien ne rafraîchit l’âme comme de se placer ensemble sous l’œil, sous la main, sous la garde de Dieu. C’est de la sécurité, c’est de l’éternité pour l’affection et pour le bonheur. Vous avez le cœur pieux. J’ai été ravi le jour où je m’ens suis aperçu. Je ne vous ai jamais dit, s’en cela, tout ce que je voudrais. Il me semble, en ce moment, que je ne vous ai jamais rien dit. J’ai le cœur si plein de vous, si plein pour vous ! Si vous étiez là, près de moi, je vous prendrais dans mes bras, je vous presserais sur mon cœur. Point de paroles, ma bien aimée. Rien que mes lèvres sur les lèvres, mon cœur sur ton coeur.
Non, il n’y aura pas de guerre. J’ai beau être inquiet ; ma raison ne cède pas devant mon inquiétude. Plus la guerre paraît s’approcher, moins je la trouve probable. Et il me semble que tout le monde est comme moi. On y croit d’autant moins qu’on la craint d’avantage. En ceci encore, que de choses que je ne puis vous dire. Il n’y a pas moyen. L’absence est devenue bien plus amère, bien plus lourde qu’elle n’avait jamais été. Adieu donc, ma bien aimée. Un adieu tendre et triste. Pourtant mille fois plus tendre que triste ! Adieu.
423. bis Londres Dimanche 27 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
423 bis.Londres, Dimanche 27 septembre 1840 4 heures
Quelqu’un part aujourd’hui pour Calais. J’ai quelques minutes. Je vous les donne. Je vous en conjure ; ne soyez pas à ce ce point abattue, découragée. Ne désesperez pas de vous-même, de votre santé, de notre avenir. Jamais, jamais, ne me cachez votre disposition, quelle qu’elle soit ; dites-moi toujours tout, vos plus mauvais comme vos meilleurs moments. J’ai horreur des illusions. Je ne veux pas m’en repaître, même sur ce que j’ai de plus précieux au monde. Ce n’est pas du tout pour me les épargner à moi-même que je combats vos tristes, vos sinistres impressions. C’est parce que je suis sûr, sûr qu’elles sont mal fondées. Votre santé et habituellement bien délicate. Elle a été bien ébranlée par ce mouvement de bile. Mais au fond, elle est saine ; vous n’avez point d’organe malade. Vous supportez bien plus de fatigue qu’on ne le croirait possible quand on vous voit si abattue. Il y a dans votre corps quelque chose de l’élasticité, de la vitalité de votre âme. Ce qui vous rend charmante, vous fera vivre, vivre longtemps.
Dearest, si j’étais près de vous, je vous dirais, j’en suis sûr, des choses qui vous prouveraient que j’ai raison, qui vous feraient retrouver en vous la force qui y est. Car, on ne donne pas de force à qui n’en a pas la tendresse, la plus vive ne possède pas ce beau privilège. Mais vous me l’avez dit, je l’ai vu ; je puis vous animer et vous calmer en même temps ; je puis vous rendre du mouvement du repos. Je suis loin, bien loin, et je m’en désole, et j’en souffre autant que vous. Mais, laissez-moi conserver, exercer de loin un peu de mon pouvoir salutaire, rafraichissant, reconfortant. Que ces paroles, qui tombent de mon coeur sur le papier, aillent au vôtre et y raniment la confiance, l’espérance. L’absence serait aussi trop cruelle si elle nous enlevait tout, absolument tout empire, l’un sur l’autre, si elle nous mettait tout-à-fait hors d’état de nous faire, l’un à l’autre, aucun bien, de nous porter aucun secours. Cela ne se peut pas, cela ne sera pas. Vous vous laisserez soutenir encourager par moi, même absent. Et l’absence passera. Nous nous retrouverons. Je recommencerai à vous soutenir, à vous encourager, à vous animer, à vous calmer de près, bien près. Quel jour ! Quel mouvement et bonheur !
Adieu. Adieu. Mille adieux. Le bis du N° vous sera bientôt expliqué.
Quelqu’un part aujourd’hui pour Calais. J’ai quelques minutes. Je vous les donne. Je vous en conjure ; ne soyez pas à ce ce point abattue, découragée. Ne désesperez pas de vous-même, de votre santé, de notre avenir. Jamais, jamais, ne me cachez votre disposition, quelle qu’elle soit ; dites-moi toujours tout, vos plus mauvais comme vos meilleurs moments. J’ai horreur des illusions. Je ne veux pas m’en repaître, même sur ce que j’ai de plus précieux au monde. Ce n’est pas du tout pour me les épargner à moi-même que je combats vos tristes, vos sinistres impressions. C’est parce que je suis sûr, sûr qu’elles sont mal fondées. Votre santé et habituellement bien délicate. Elle a été bien ébranlée par ce mouvement de bile. Mais au fond, elle est saine ; vous n’avez point d’organe malade. Vous supportez bien plus de fatigue qu’on ne le croirait possible quand on vous voit si abattue. Il y a dans votre corps quelque chose de l’élasticité, de la vitalité de votre âme. Ce qui vous rend charmante, vous fera vivre, vivre longtemps.
Dearest, si j’étais près de vous, je vous dirais, j’en suis sûr, des choses qui vous prouveraient que j’ai raison, qui vous feraient retrouver en vous la force qui y est. Car, on ne donne pas de force à qui n’en a pas la tendresse, la plus vive ne possède pas ce beau privilège. Mais vous me l’avez dit, je l’ai vu ; je puis vous animer et vous calmer en même temps ; je puis vous rendre du mouvement du repos. Je suis loin, bien loin, et je m’en désole, et j’en souffre autant que vous. Mais, laissez-moi conserver, exercer de loin un peu de mon pouvoir salutaire, rafraichissant, reconfortant. Que ces paroles, qui tombent de mon coeur sur le papier, aillent au vôtre et y raniment la confiance, l’espérance. L’absence serait aussi trop cruelle si elle nous enlevait tout, absolument tout empire, l’un sur l’autre, si elle nous mettait tout-à-fait hors d’état de nous faire, l’un à l’autre, aucun bien, de nous porter aucun secours. Cela ne se peut pas, cela ne sera pas. Vous vous laisserez soutenir encourager par moi, même absent. Et l’absence passera. Nous nous retrouverons. Je recommencerai à vous soutenir, à vous encourager, à vous animer, à vous calmer de près, bien près. Quel jour ! Quel mouvement et bonheur !
Adieu. Adieu. Mille adieux. Le bis du N° vous sera bientôt expliqué.
424. Londres, Lundi 28 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
424. Londres, Lundi 28 septembre 1840
10 heures
Il n’est arrivé à personne de devenir louche après, cinquante ans. Et puis quand même. Je dis cela de tout, absolument.
M. de Flahaut est très soigneux, très caressant. Il vient tous les jours à l’Ambassade. Nous causons le soir à Holland house, very privately. Que sait-on ? Peut-être, si je voyais aujourd’hui Mad. de Flahaut, elle serait aimable pour moi. Je l’ai en idée. Bien du monde hier à Holland house. Lord Melbourne, lord John Russell, lord Normanby, lord Clarendon. Ceux-là y avaient dîné. Lord et lady Palmerston y sont venus le soir. J’ai causé avec lord Melbourne. Je suis arrivé de bonne heure et parti de bonne heure. On croit que lord Lansdowne et lord Morpeth arriveront ce matin pour le Conseil de cabinet. Lord Duncannon seul y manquera. J’ai été hier à Carlton-Terrace. Lord Palmerston n’étant pas rentré, je suis monté chez lady Palmerston. Nous avons parlé de vous. Pour la première fois, son accent m’a plu, vraiment plu. Il y avait de l’affection et un sentiment vif de ce que vous êtes. J’ai regretté de couper court à la conversation. Au bout de dix minutes, lord Palmerston est rentré. Je vous remercie de me dire ce que pense le duc de Noailles. Son jugement est excellent. Je regrette toujours que sa position ne soit pas aussi libre que son jugement.
Il a raison dans tout ce qu’il vous dit, excepté sur les firmans exécutoires, en Egypte et en Syrie. Je ne crois pas que le Pacha se préoccupe beaucoup de cet article là.
Une heure
Rien encore. Ces irrégularités ne vous sont pas plus intolérables qu’à moi. Qu’y faire ? Elles ne proviennent ni de vous, ni de moi. Et quand on se sort de plusieurs machines, machines humaines, il n’y a pas moyen de leur imposer à toutes une exactitude mathématique. Vous aurez une lettre demain que vous n’attendez pas. Je m’en réjouis comme si elle venait de vous à moi.
Croyez bien tout ce que je vous dis dans cette lettre là. J’y pense sans cesse. Ma conviction est profonde. De près, elle vous ferait du bien. Ah, pourquoi êtes-vous partie sitôt ? Votre fils n’arrive pas. De petites considérations de petites raisons nous ont décidés. Toutes les grandes, les vraies raisons étaient contre.
Lord Grey, est charmé de moi. Il me remercie avec effusion de ce que j’ai arrangé pour Lady Durham. Elle arrive à Londres ces jours-ci, et elle en repartira presque aussitôt. Lord Tankerville va très bien. Il a vu la main de son médecin. Lady Tankerville ne peut pas partir pour Paris, faute d’argent. Ses fonds étaient chez Hammersley. On parle beaucoup de cette affaire là. On ne sait pas si tout sera payé.
4 heures
Toujours rien. Je n’aurai rien aujourd’hui. Je comprends les retards, mais non pas le manque complet. De quoi voulez-vous que je vous parle ? Je penserai à autre chose. Il fait un temps affreux. Il tombe des torrents. Comme s’il n’y avait pas assez d’eau entre vous et moi. J’ai de bonnes nouvelles de mes enfants. Ils ont eu la jaunisse tous les trois. Elle est parfaitement passée pour mes deux filles. Guillaume en retient encore quelque chose. Ma mère est bien. Adieu. Adieu. De près, il n’y a point d’adieu triste. De loin, il peut y en avoir. Adieu. Elle arrive. Au moment où j’allais cacheter ceci. Le meilleur des adieux.
10 heures
Il n’est arrivé à personne de devenir louche après, cinquante ans. Et puis quand même. Je dis cela de tout, absolument.
M. de Flahaut est très soigneux, très caressant. Il vient tous les jours à l’Ambassade. Nous causons le soir à Holland house, very privately. Que sait-on ? Peut-être, si je voyais aujourd’hui Mad. de Flahaut, elle serait aimable pour moi. Je l’ai en idée. Bien du monde hier à Holland house. Lord Melbourne, lord John Russell, lord Normanby, lord Clarendon. Ceux-là y avaient dîné. Lord et lady Palmerston y sont venus le soir. J’ai causé avec lord Melbourne. Je suis arrivé de bonne heure et parti de bonne heure. On croit que lord Lansdowne et lord Morpeth arriveront ce matin pour le Conseil de cabinet. Lord Duncannon seul y manquera. J’ai été hier à Carlton-Terrace. Lord Palmerston n’étant pas rentré, je suis monté chez lady Palmerston. Nous avons parlé de vous. Pour la première fois, son accent m’a plu, vraiment plu. Il y avait de l’affection et un sentiment vif de ce que vous êtes. J’ai regretté de couper court à la conversation. Au bout de dix minutes, lord Palmerston est rentré. Je vous remercie de me dire ce que pense le duc de Noailles. Son jugement est excellent. Je regrette toujours que sa position ne soit pas aussi libre que son jugement.
Il a raison dans tout ce qu’il vous dit, excepté sur les firmans exécutoires, en Egypte et en Syrie. Je ne crois pas que le Pacha se préoccupe beaucoup de cet article là.
Une heure
Rien encore. Ces irrégularités ne vous sont pas plus intolérables qu’à moi. Qu’y faire ? Elles ne proviennent ni de vous, ni de moi. Et quand on se sort de plusieurs machines, machines humaines, il n’y a pas moyen de leur imposer à toutes une exactitude mathématique. Vous aurez une lettre demain que vous n’attendez pas. Je m’en réjouis comme si elle venait de vous à moi.
Croyez bien tout ce que je vous dis dans cette lettre là. J’y pense sans cesse. Ma conviction est profonde. De près, elle vous ferait du bien. Ah, pourquoi êtes-vous partie sitôt ? Votre fils n’arrive pas. De petites considérations de petites raisons nous ont décidés. Toutes les grandes, les vraies raisons étaient contre.
Lord Grey, est charmé de moi. Il me remercie avec effusion de ce que j’ai arrangé pour Lady Durham. Elle arrive à Londres ces jours-ci, et elle en repartira presque aussitôt. Lord Tankerville va très bien. Il a vu la main de son médecin. Lady Tankerville ne peut pas partir pour Paris, faute d’argent. Ses fonds étaient chez Hammersley. On parle beaucoup de cette affaire là. On ne sait pas si tout sera payé.
4 heures
Toujours rien. Je n’aurai rien aujourd’hui. Je comprends les retards, mais non pas le manque complet. De quoi voulez-vous que je vous parle ? Je penserai à autre chose. Il fait un temps affreux. Il tombe des torrents. Comme s’il n’y avait pas assez d’eau entre vous et moi. J’ai de bonnes nouvelles de mes enfants. Ils ont eu la jaunisse tous les trois. Elle est parfaitement passée pour mes deux filles. Guillaume en retient encore quelque chose. Ma mère est bien. Adieu. Adieu. De près, il n’y a point d’adieu triste. De loin, il peut y en avoir. Adieu. Elle arrive. Au moment où j’allais cacheter ceci. Le meilleur des adieux.
425. Londres, Mardi 29 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
425. Londres, mardi 29 septembre 1840
8 heures
Je ne vous ai pas écrit hier à mon gré. Vous dîtes que vous ne vivez que pour mes lettres. Que ne puis-je tout mettre dans mes lettres, tout ! Je ne les ferme jamais sans un sentiment triste. J’aurais tant à vous donner et je vous envoie si peu ! Non seulement si peu de ma tendresse, mais de ce qui occupe mon esprit et remplit mon temps. Nous nous le sommes dit cent fois, nous avons bien mieux fait, nous l’avons éprouvé ; rien n’est si charmant que cette entière, continuelle, minutieuse communauté de tout ce qu’on pense, sent, sait, apprend ; cette complète abolition de toute solitude, de toute réticence de tout silence, de toute gêne ; la parfaite vérité, la parfaite liberté, la parfaite union. La vie alors n’a pas un incident, la journée n’a pas un moment qui ne soit précieux et doux. Les plus petites choses ont l’importance des grandes ; les plus grandes ont le charme des petites. Une espérance agréable se mêle à tout. Tout aboutit à un plaisir. Qu’est-ce qu’une lettre pour tenir la place d’un tel bonheur ?
Je vous ferai une confidence. Ma vue, je ne veux pas dire encore s’affaiblit, mais s’alonge. Je ne vois plus aussi également bien à toutes les distances. Par instinct, pour obtenir la même netteté, je place mon livre ou mon papier un peu plus loin de mes yeux. Vous voyez bien que nous sommes du même âge.
J’ai aujourd’hui Flahaut à dîner, avec quelques diplomates. Dedel et Neumann sont encore à Tamworth, c’est-à-dire à Drayton-castle, chez Peel. Mon c’est-à dire est fort déplacé ; vous savez cela très bien. Vous ai-je dit que Neumann était mauvais dans tout ceci, sottement mauvais, commère, vulgairement moqueur, pédantesquement léger ? C’est sa faute sans doute, car je ne comprendrais pas qu’il eût pour instruction de nuire à la transaction et à la paix. Le successeur de Hummelauer, le Baron de Keller, a assez bonne mine, l’air intelligent de la tenue. Pas très instruit par exemple ; voici de sa science, un échantillon qui m’a bien surpris. Il m’a dit l’autre jour que Frédéric le grand était mort l’année d’avant la naissance de Napoléon, vingt ans avant la révolution française, en 1768. Je n’ajoute rien. Je me suis un peu récrié. Il s’est troublé un peu, mais il a persisté, et je me suis tu. Ne racontez pas trop cela. Le bruit en reviendrait à ce pauvre homme, et il m’en voudrait. Il dîne aujourd’hui chez moi
Le conseil d’hier a été tenu mais la discussion ajournée à jeudi. Lord Lansddown, lord Morpeth et lord Duncannen n’étaint pas arrivés. On veut qu’ils y soient. Il pleut toujours. Je n’ai pas mis hier le nez hors de chez moi. J’ai joué au Whist, le soir. Je ne saurais vous dire combien cet emploi de mon temps me choque, je dirais presque m’humilie. Et quand je ne m’en ennuie pas, je n’en suis que plus humilié. 4 heures J’ai été à Holland house après-déjeuner. On a bien tort de ne pas aller se promener là plus souvent. C’est charmant. Voilà donc déjà l’amiral Stopford attaqué. C’est un modéré. Napier lui- même est sur le point de l’être. Il fera, tous les coup de tête qu’on voudra. Il aime les coups. Mais sa correspondance ne plaît point. Il parle trop bien du Pacha et trop des difficultés de l’entreprise. Il faudra faire lord Ponsonby amiral, général d’armée. Il n’y a que lui pour instrument comme pour autour à tout ceci Dedel est revenu. J’ai trouvé sa carte en revenant de Holland house. Je le verrai probablement ce soir. Lady Holland va mieux. Elle n’a pas voulu que je vous le dise, il y a deux jours. Cela porte malheurs dit-elle. Ils finiront par aller passer une semaine à Brighton. Elle se persuade que cela lui sera bon, à elle contre la bile, à lord Holland contre un rhume. J’admire cette disposition à croire selon sa fantaisie du moment.
Ne prenez pas cela pour une pierre dans votre iardin. Je n’ai point de pierre pour vous, et votre jardin est le mien. Mais il est vrai que je m’étonne souvent de votre extrême promptitude à prendre sur votre santé une idée une persuasion, une résolution. Et en m’en étonnant, je la deplore. Et certainement si j’étais toujours près de vous, je la combattrais. Pour la santé comme pour toute chose, il faut de l’observation, de l’esprit de suite, un peu de méfiance de soi-même, un peu de patience. Les complaisants, les flatteurs ne valent pas mieux au corps qu’à l’âme. Je vous prêche. Pas autant que je voudrais bien s’en faut. Il y a bien des choses que je ne vous dis pas parce que, pour les dire avec fruit, il faut les dire tout le jour, toujours ce qui est plus que tout le jour. Et je ne me résigne point à ne pas vous les dire, surtout quand elles touchent votre santé.
Adieu. Adieu devant ma gravure mais sans la regarder en lui toumant le dos. Adieu. Quel adieu !
8 heures
Je ne vous ai pas écrit hier à mon gré. Vous dîtes que vous ne vivez que pour mes lettres. Que ne puis-je tout mettre dans mes lettres, tout ! Je ne les ferme jamais sans un sentiment triste. J’aurais tant à vous donner et je vous envoie si peu ! Non seulement si peu de ma tendresse, mais de ce qui occupe mon esprit et remplit mon temps. Nous nous le sommes dit cent fois, nous avons bien mieux fait, nous l’avons éprouvé ; rien n’est si charmant que cette entière, continuelle, minutieuse communauté de tout ce qu’on pense, sent, sait, apprend ; cette complète abolition de toute solitude, de toute réticence de tout silence, de toute gêne ; la parfaite vérité, la parfaite liberté, la parfaite union. La vie alors n’a pas un incident, la journée n’a pas un moment qui ne soit précieux et doux. Les plus petites choses ont l’importance des grandes ; les plus grandes ont le charme des petites. Une espérance agréable se mêle à tout. Tout aboutit à un plaisir. Qu’est-ce qu’une lettre pour tenir la place d’un tel bonheur ?
Je vous ferai une confidence. Ma vue, je ne veux pas dire encore s’affaiblit, mais s’alonge. Je ne vois plus aussi également bien à toutes les distances. Par instinct, pour obtenir la même netteté, je place mon livre ou mon papier un peu plus loin de mes yeux. Vous voyez bien que nous sommes du même âge.
J’ai aujourd’hui Flahaut à dîner, avec quelques diplomates. Dedel et Neumann sont encore à Tamworth, c’est-à-dire à Drayton-castle, chez Peel. Mon c’est-à dire est fort déplacé ; vous savez cela très bien. Vous ai-je dit que Neumann était mauvais dans tout ceci, sottement mauvais, commère, vulgairement moqueur, pédantesquement léger ? C’est sa faute sans doute, car je ne comprendrais pas qu’il eût pour instruction de nuire à la transaction et à la paix. Le successeur de Hummelauer, le Baron de Keller, a assez bonne mine, l’air intelligent de la tenue. Pas très instruit par exemple ; voici de sa science, un échantillon qui m’a bien surpris. Il m’a dit l’autre jour que Frédéric le grand était mort l’année d’avant la naissance de Napoléon, vingt ans avant la révolution française, en 1768. Je n’ajoute rien. Je me suis un peu récrié. Il s’est troublé un peu, mais il a persisté, et je me suis tu. Ne racontez pas trop cela. Le bruit en reviendrait à ce pauvre homme, et il m’en voudrait. Il dîne aujourd’hui chez moi
Le conseil d’hier a été tenu mais la discussion ajournée à jeudi. Lord Lansddown, lord Morpeth et lord Duncannen n’étaint pas arrivés. On veut qu’ils y soient. Il pleut toujours. Je n’ai pas mis hier le nez hors de chez moi. J’ai joué au Whist, le soir. Je ne saurais vous dire combien cet emploi de mon temps me choque, je dirais presque m’humilie. Et quand je ne m’en ennuie pas, je n’en suis que plus humilié. 4 heures J’ai été à Holland house après-déjeuner. On a bien tort de ne pas aller se promener là plus souvent. C’est charmant. Voilà donc déjà l’amiral Stopford attaqué. C’est un modéré. Napier lui- même est sur le point de l’être. Il fera, tous les coup de tête qu’on voudra. Il aime les coups. Mais sa correspondance ne plaît point. Il parle trop bien du Pacha et trop des difficultés de l’entreprise. Il faudra faire lord Ponsonby amiral, général d’armée. Il n’y a que lui pour instrument comme pour autour à tout ceci Dedel est revenu. J’ai trouvé sa carte en revenant de Holland house. Je le verrai probablement ce soir. Lady Holland va mieux. Elle n’a pas voulu que je vous le dise, il y a deux jours. Cela porte malheurs dit-elle. Ils finiront par aller passer une semaine à Brighton. Elle se persuade que cela lui sera bon, à elle contre la bile, à lord Holland contre un rhume. J’admire cette disposition à croire selon sa fantaisie du moment.
Ne prenez pas cela pour une pierre dans votre iardin. Je n’ai point de pierre pour vous, et votre jardin est le mien. Mais il est vrai que je m’étonne souvent de votre extrême promptitude à prendre sur votre santé une idée une persuasion, une résolution. Et en m’en étonnant, je la deplore. Et certainement si j’étais toujours près de vous, je la combattrais. Pour la santé comme pour toute chose, il faut de l’observation, de l’esprit de suite, un peu de méfiance de soi-même, un peu de patience. Les complaisants, les flatteurs ne valent pas mieux au corps qu’à l’âme. Je vous prêche. Pas autant que je voudrais bien s’en faut. Il y a bien des choses que je ne vous dis pas parce que, pour les dire avec fruit, il faut les dire tout le jour, toujours ce qui est plus que tout le jour. Et je ne me résigne point à ne pas vous les dire, surtout quand elles touchent votre santé.
Adieu. Adieu devant ma gravure mais sans la regarder en lui toumant le dos. Adieu. Quel adieu !
426. Londres, Mercredi 30 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
426. Londres, Mercredi 30 septembre 1840
Une heure
Je n’ai pas eu un moment à moi depuis que je suis levé des ennuyeux et des utiles. Je vois beaucoup de monde depuis quelques jours. Je cause beaucoup. Hier soir j’avais un rout. Et je voudrais bien causer davantage. Si je pouvais passer ma vie pendant quinze jours avec trois ou quatre hommes, avec deux hommes, je ne puis m’empêcher de croire que je persuaderais, que je ferais trouver des moyens de sortir d’embarras, car on se sent dans l’embarras et on a envie d’en sortir. Et selon moi, il y a moyen, sans humiliation pour personne. C’est là le problème. Mais comment en fournir la solution, quelques minutes et avec quelques paroles, à des gens qui ne la trouvent pas eux-mêmes ? qui ne trouvent rien eux-mêmes ?
J’ai rarement vu, si peu d’invention avec tant de bonne volonté. J’ai déjà brusqué bien des choses ces jours-ci troublé bien des indolences, dérangé bien des habitudes. Je continue. Mais les événements continuent aussi, et je crains qu’ils n’aillent plus vite que moi. Je persiste pourtant. Je ne crois pas à la guerre. J’entends à la guerre volontairement choisie et engagée. C’est trop fou. Quant à la guerre forcée, la guerre venue par hasard, commencée sans dessein, c’est celle-la que je redoute. Et c’est de cette crainte là que je m’arme pour pousser à une transaction. Personne n’a de réponse à cela. Je suis convaincu que Flahaut écrira très bien d’ici, c’est-à-dire qu’il voudra avoir écrit très bien. Je suis bien pour lui. Il est fort inquiet, Point belliqueux lui-même.
Le 436 est charmant, la dernière moitié. Je suis désolé de ce jour vide. Je prends mille précautions ; je donne mille instructions. Il n’y a pas moyen de pourvoir à tout. Il n’y a pas moyen d’inspirer aux tiers, mon désir d’arriver, votre désir de recevoir. Personne personne au monde n’a la mesure de ce désir, de ce plaisir. Je n’ai rien à pardonner. Je n’ai pas été fâché du tout. Mon Adieu qui ne ressemble à nul autre, c’est qu’il est plus, non pas autre. Voilà comment j’ai interprète votre special. Jurez que vous ne retomberez pas, et puis retombez tant que vous voudrez. Je ne puis plus prendre vos chutes au sérieux. C’est impossible que vous les preniez vous-même au sérieux. Il y a des régions où le soleil ne se couche plus, où tout est toujours parfaitement clair. Nous y sommes arrivés vous et moi. Nous y sommes établis. Tout-à-fait, c’est tout-à-fait. Et votre oui, c’est tout-à-fait oui. Je le lis de votre main. Je me le redis de ma propre voix, pour l’entendre comme si vous me le disiez. Oui, oui.
3 heures
Je trouve que, pour une personne d’autant d’esprit et d’expérience vous vous laissez trop prendre à deux choses, à la comédie du langage, aux vicissitudes de la situation. On ment immensément ; on change de mensonge tous les jours ; on est doux, on est aigre, on croit à la paix ; à la guerre, selon l’intérêt, la manœuvre, la fantaisie du moment. Intérêt bien petit, manœuvre, fantaisie bien passagère, mais qui n’en fait pas moins dire blanc aujourd’hui noir demain. Et la situation elle-même flotte beaucoup ; elle va en haut, en bas, à droite, à gauche. Il ne faut pas laisser baletter son propre esprit selon le bavardage des hommes et ces ondulations des choses. Il y a un fond de vérité, une pente réelle et définitive des évènements. C’est là ce qu’il faut jeter l’ancre, et s’y tenir, et assister de là au mensonge des paroles et à la fluctuation des incidents quotidiens. Je suppose qu’au fond je vous prêche là assez sottement, et que vous me tenez au courant de tout ce qu’on vous dit, bien plutôt que vous n’y croyez vous-même. Pourtant retenez, je vous prie, quelque chose de mon sermon. Vous vous laissez trop affecter par le petit va-et-vient des conversations et des nouvelles. Et votre disposition à vous, triste ou gaie, confiante ou abattue, a pour moi tant d’importance que dans tout ce que vous me mandez la première chose que je vois et qui m’intéresse, cest l’impression que vous en avez reçue. J’ai de bonnes nouvelles du duc de Broglie. Inquiet, mais pensant sur toutes choses, tout-à-fait comme moi. Cela m’importe toujours, et surtout en ce moment. Adieu. Adieu.
Une heure
Je n’ai pas eu un moment à moi depuis que je suis levé des ennuyeux et des utiles. Je vois beaucoup de monde depuis quelques jours. Je cause beaucoup. Hier soir j’avais un rout. Et je voudrais bien causer davantage. Si je pouvais passer ma vie pendant quinze jours avec trois ou quatre hommes, avec deux hommes, je ne puis m’empêcher de croire que je persuaderais, que je ferais trouver des moyens de sortir d’embarras, car on se sent dans l’embarras et on a envie d’en sortir. Et selon moi, il y a moyen, sans humiliation pour personne. C’est là le problème. Mais comment en fournir la solution, quelques minutes et avec quelques paroles, à des gens qui ne la trouvent pas eux-mêmes ? qui ne trouvent rien eux-mêmes ?
J’ai rarement vu, si peu d’invention avec tant de bonne volonté. J’ai déjà brusqué bien des choses ces jours-ci troublé bien des indolences, dérangé bien des habitudes. Je continue. Mais les événements continuent aussi, et je crains qu’ils n’aillent plus vite que moi. Je persiste pourtant. Je ne crois pas à la guerre. J’entends à la guerre volontairement choisie et engagée. C’est trop fou. Quant à la guerre forcée, la guerre venue par hasard, commencée sans dessein, c’est celle-la que je redoute. Et c’est de cette crainte là que je m’arme pour pousser à une transaction. Personne n’a de réponse à cela. Je suis convaincu que Flahaut écrira très bien d’ici, c’est-à-dire qu’il voudra avoir écrit très bien. Je suis bien pour lui. Il est fort inquiet, Point belliqueux lui-même.
Le 436 est charmant, la dernière moitié. Je suis désolé de ce jour vide. Je prends mille précautions ; je donne mille instructions. Il n’y a pas moyen de pourvoir à tout. Il n’y a pas moyen d’inspirer aux tiers, mon désir d’arriver, votre désir de recevoir. Personne personne au monde n’a la mesure de ce désir, de ce plaisir. Je n’ai rien à pardonner. Je n’ai pas été fâché du tout. Mon Adieu qui ne ressemble à nul autre, c’est qu’il est plus, non pas autre. Voilà comment j’ai interprète votre special. Jurez que vous ne retomberez pas, et puis retombez tant que vous voudrez. Je ne puis plus prendre vos chutes au sérieux. C’est impossible que vous les preniez vous-même au sérieux. Il y a des régions où le soleil ne se couche plus, où tout est toujours parfaitement clair. Nous y sommes arrivés vous et moi. Nous y sommes établis. Tout-à-fait, c’est tout-à-fait. Et votre oui, c’est tout-à-fait oui. Je le lis de votre main. Je me le redis de ma propre voix, pour l’entendre comme si vous me le disiez. Oui, oui.
3 heures
Je trouve que, pour une personne d’autant d’esprit et d’expérience vous vous laissez trop prendre à deux choses, à la comédie du langage, aux vicissitudes de la situation. On ment immensément ; on change de mensonge tous les jours ; on est doux, on est aigre, on croit à la paix ; à la guerre, selon l’intérêt, la manœuvre, la fantaisie du moment. Intérêt bien petit, manœuvre, fantaisie bien passagère, mais qui n’en fait pas moins dire blanc aujourd’hui noir demain. Et la situation elle-même flotte beaucoup ; elle va en haut, en bas, à droite, à gauche. Il ne faut pas laisser baletter son propre esprit selon le bavardage des hommes et ces ondulations des choses. Il y a un fond de vérité, une pente réelle et définitive des évènements. C’est là ce qu’il faut jeter l’ancre, et s’y tenir, et assister de là au mensonge des paroles et à la fluctuation des incidents quotidiens. Je suppose qu’au fond je vous prêche là assez sottement, et que vous me tenez au courant de tout ce qu’on vous dit, bien plutôt que vous n’y croyez vous-même. Pourtant retenez, je vous prie, quelque chose de mon sermon. Vous vous laissez trop affecter par le petit va-et-vient des conversations et des nouvelles. Et votre disposition à vous, triste ou gaie, confiante ou abattue, a pour moi tant d’importance que dans tout ce que vous me mandez la première chose que je vois et qui m’intéresse, cest l’impression que vous en avez reçue. J’ai de bonnes nouvelles du duc de Broglie. Inquiet, mais pensant sur toutes choses, tout-à-fait comme moi. Cela m’importe toujours, et surtout en ce moment. Adieu. Adieu.
427. Londres, Jeudi 1er octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
427. Londres, jeudi 1 Octobre 1840
8 heures
Voilà, le 1er octobre le mois nous a fait de belles promesses. Les tiendra-t-il ! Quand serai-je libre ? Vous voyez bien que je ne le suis pas. Jamais je n’ai été plus avant dans l’affaire, et l’affaire plus avant dans sa crise. Pendant qu’on fait effort ici pour une transaction, on fait effort en Orient pour une prompte exécution. D’ici à quinze jours trois semaines, l’un ou l’autre effort aura atteint un résultat. Votre vie a été comme la mienne, bien engagée dans les affaires publiques, et vous en avez le goût comme moi. Ne vous est-il pas bien souvent arrivé de porter cette chaîne avec une fatigue pleine d’impatience, et de désirer ardemment une vie toute domestique toute simple, parfaitement libre, et calme, s’il y a du calme et de la liberté en ce monde. C’est un lieu commun, bien commun ce que je dis-là, mais par moments bien exactement vrai, bien passionnément senti. Je dis par moments pour ne pas donner à ma vie passée et probablement future, un démenti ridicule, car, si je m’en croyais aujourd’hui, je croirais à la parfaite, à la constante vérité du lieu commun. Et comme vous me croirez contre toutes les apparences, je vous dirai à vous, que pour moi le bonheur domestique est le vrai, le seul bonheur, le bonheur de mon goût, la vie de mon choix, si on choisissait sa vie. Mais on appartient à sa vocation bien plus qu’a soi-même. On obéit à son caractère bien plus qu’à son goût. Je me suis porté, je me porte aux affaires publiques, comme l’eau coule, comme la flamme monte. Quand je vois, l’occasion, quand l’événement m’appelle, je ne délibère pas, je ne choisis pas, je vais à mon poste. Il y a bien de l’orgueil dans ce que je vous dis là, et en même temps, je vous assure, bien de l’humilité. Nous sommes des instruments entre les mains d’une Puissance supérieure qui nous emploie selon ou contre notre goût, à l’usage pour lequel elle nous a faits.
J’ai dîné hier à Holland house. Lord Lansdowne, lord Morpeth, lord John Russell. Les deux premiers arrivent pour le conseil d’aujourd’hui. Ils viennent de loin, et fort contre leur gré. Je suis fâché de ne pas connaitre davantage lord Morpeth. Il me plait. Il a l’air d’un cœur simple, droit et haut. J’étais en train de pénétrer dans l’intérieur de cette famille là quand la mort de Lady Burlington est venue fermer les portes. Je les ai pourtant franchies bien souvent depuis ces portes de Stafford house, et avec quel plaisir !
2 heures
437 en aussi bon que long. Merci de vos détails. Ils m’importent beaucoup. Il n’est pas vrai qu’on s’échauffe ici contre la France. C’est un langage convenu. Je crois plutôt que les idées de transaction, le désir d’une transaction sont en progrès dans le public. Petit progrès pourtant, car le public y pense peu. Il n’y a ici point d’opinion claire, forte, qui impose au gouvernement la paix ou la guerre. Il sera bien responsable de ce qu’il fera, car il fera ce qu’il voudra. La question est entre les mains des hommes qui gouvernent. Leur esprit, ou leurs passions en décideront. Quant à la France, personne n’est plus convaincu que moi, par les raisons que vous me dites et par d’autres encore, qu’elle ne doit point provoquer à la guerre, prendre l’initiative de la guerre. Une politique défensive, une position défensive, c’est ce qui nous convient. Mais défensive pour notre dignité comme pour notre sûreté.
Or il peut se passer en Orient, par suite de la situation qu’on y a faite des événements, des actes qui compromettent notre dignité, et par suite notre sûreté. Nous ne devrions pas les accepter. Nous nous préparons non pour accomplir des desseins, mais pour faire face à des chances. Voilà mon abus, et mon langage. On le croit, si je ne me trompe, sincère et sérieux. Je ne m’étonne pas de l’attitude des légitimistes. Ce qu’il y a de plus incurable dans les partis, c’est l’infatuation de l’espérance. Bien pure infatuation, Soyez en sûre. Je ne me promènerai pas aujourd’hui, pas même seul. Il fait froid et sombre. J’aime mieux rester chez moi, à écrire ou à rêver.
Adieu. Je suppose que vous saurez aujourd’hui le secret du bis. Adieu. Adieu.
8 heures
Voilà, le 1er octobre le mois nous a fait de belles promesses. Les tiendra-t-il ! Quand serai-je libre ? Vous voyez bien que je ne le suis pas. Jamais je n’ai été plus avant dans l’affaire, et l’affaire plus avant dans sa crise. Pendant qu’on fait effort ici pour une transaction, on fait effort en Orient pour une prompte exécution. D’ici à quinze jours trois semaines, l’un ou l’autre effort aura atteint un résultat. Votre vie a été comme la mienne, bien engagée dans les affaires publiques, et vous en avez le goût comme moi. Ne vous est-il pas bien souvent arrivé de porter cette chaîne avec une fatigue pleine d’impatience, et de désirer ardemment une vie toute domestique toute simple, parfaitement libre, et calme, s’il y a du calme et de la liberté en ce monde. C’est un lieu commun, bien commun ce que je dis-là, mais par moments bien exactement vrai, bien passionnément senti. Je dis par moments pour ne pas donner à ma vie passée et probablement future, un démenti ridicule, car, si je m’en croyais aujourd’hui, je croirais à la parfaite, à la constante vérité du lieu commun. Et comme vous me croirez contre toutes les apparences, je vous dirai à vous, que pour moi le bonheur domestique est le vrai, le seul bonheur, le bonheur de mon goût, la vie de mon choix, si on choisissait sa vie. Mais on appartient à sa vocation bien plus qu’a soi-même. On obéit à son caractère bien plus qu’à son goût. Je me suis porté, je me porte aux affaires publiques, comme l’eau coule, comme la flamme monte. Quand je vois, l’occasion, quand l’événement m’appelle, je ne délibère pas, je ne choisis pas, je vais à mon poste. Il y a bien de l’orgueil dans ce que je vous dis là, et en même temps, je vous assure, bien de l’humilité. Nous sommes des instruments entre les mains d’une Puissance supérieure qui nous emploie selon ou contre notre goût, à l’usage pour lequel elle nous a faits.
J’ai dîné hier à Holland house. Lord Lansdowne, lord Morpeth, lord John Russell. Les deux premiers arrivent pour le conseil d’aujourd’hui. Ils viennent de loin, et fort contre leur gré. Je suis fâché de ne pas connaitre davantage lord Morpeth. Il me plait. Il a l’air d’un cœur simple, droit et haut. J’étais en train de pénétrer dans l’intérieur de cette famille là quand la mort de Lady Burlington est venue fermer les portes. Je les ai pourtant franchies bien souvent depuis ces portes de Stafford house, et avec quel plaisir !
2 heures
437 en aussi bon que long. Merci de vos détails. Ils m’importent beaucoup. Il n’est pas vrai qu’on s’échauffe ici contre la France. C’est un langage convenu. Je crois plutôt que les idées de transaction, le désir d’une transaction sont en progrès dans le public. Petit progrès pourtant, car le public y pense peu. Il n’y a ici point d’opinion claire, forte, qui impose au gouvernement la paix ou la guerre. Il sera bien responsable de ce qu’il fera, car il fera ce qu’il voudra. La question est entre les mains des hommes qui gouvernent. Leur esprit, ou leurs passions en décideront. Quant à la France, personne n’est plus convaincu que moi, par les raisons que vous me dites et par d’autres encore, qu’elle ne doit point provoquer à la guerre, prendre l’initiative de la guerre. Une politique défensive, une position défensive, c’est ce qui nous convient. Mais défensive pour notre dignité comme pour notre sûreté.
Or il peut se passer en Orient, par suite de la situation qu’on y a faite des événements, des actes qui compromettent notre dignité, et par suite notre sûreté. Nous ne devrions pas les accepter. Nous nous préparons non pour accomplir des desseins, mais pour faire face à des chances. Voilà mon abus, et mon langage. On le croit, si je ne me trompe, sincère et sérieux. Je ne m’étonne pas de l’attitude des légitimistes. Ce qu’il y a de plus incurable dans les partis, c’est l’infatuation de l’espérance. Bien pure infatuation, Soyez en sûre. Je ne me promènerai pas aujourd’hui, pas même seul. Il fait froid et sombre. J’aime mieux rester chez moi, à écrire ou à rêver.
Adieu. Je suppose que vous saurez aujourd’hui le secret du bis. Adieu. Adieu.
428. Londres, Vendredi 2 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
428. Londres, 2 octobre 1840, Vendredi,
8 heures J’ai oublié de vous dire hier que j’avais été à Chiswick, avant hier mercredi. J’y ai passé deux heures, me promenant avec mon ambassade. J’aurais mieux aimé être seul. Dans le commun de la vie, à dîner après dîner, je suis bien aise d’avoir du monde, n’importe qui. Il y a des heures pour lesquelles tout est bon. Mais dans un beau lieu, par un beau temps, quand ce qui m’entoure me remue l’esprit ou le cœur, il me faut le bonheur ou la solitude. Chiswick est une maison déplacée. Les prétentions italiennes sans la Brenta ; le soleil sans toute cette nature brillante et chaude qui anime et embellit la plus petite architecture. Et au bas de l’escalier dans un coin, une grande et pauvre statue de Palladio assis qui a l’air de s’ennuyer et de grelotter. Il n’y a du joli que dans le midi. Le Nord ne peut prétendre qu’au beau. Je reproche à Chiswick de prétendre au joli. Au dedans comme au dehors. C’est trop petit, trop orné.
Les femmes de la Provence se bariolent de rubans de toutes couleurs, de bijoux d’or, d’argent, de pierres de toute espèce. Cela va à leur petite taille lègère, à la vivacité de leurs mouvements, à leur gentillesse d’esprit et de corps. Lady Clanricard était l’autre jour à Holland house, toute enveloppée de mousseline blanche avec une seule pierre au milieu du front. Elle était très belle. Les maisons sont comme les personnes. Chacune selon son climat. Il y a, dans Chiswick, des trèsors de peinture. J’ai beaucoup regardé les tableaux, la plupart d’Italie aussi ; point évidemment sous un autre ciel, pour une autre lumière ; mais beaux partout. Des Papes admirables.
Le parc, voilà l’Angleterre. Que j’aurais pu m’y promener avec délices ! Je n’ai vu nulle part, même ici de tels gazons ; si épais, si fins. C’est du velours qui pousse. Ce serait un meilleur lit que les lits anglais. La serre est charmante. Je crois qu’à tout prendre j’aime mieux Kenwood. C’est plus simple et plus grand.
Lady Holland m’a raconté que M. Canning malade lui ayant dit qu’il allait à Chiswick
" N’allez pas là. Si j’étais votre femme, je ne vous laisserais pas aller là.
- Pourquoi donc ?
- M. Fox y est mort. "
M. Canning sourit. Et une heure après, en quittant Holland house, il revint à Lady Holland, tout bas : " Ne parlez de cela à personne ; on s’en troublerait. "
2 heures
Ne me demandez pas de ne pas m’inquiéter. Résignez-vous à me savoir inquiet, car je ne me résignerai pas à vous savoir malade. Quand nous nous sommes pris for better and for worse, l’inquiétude était dans les worse. Il faut l’accepter et la subir. Inquiet de loin !
Vous avez vu mon petit médecin. Vous ne lui avez pas dit un mot de votre santé. Je ne veux pas vous gronder aujourd’hui. Qui sait si ma hier que j’avais et lettre en arrivant ne vous trouvera pas encoré malade ? Je ne veux vous envoyer que de douces, les plus douces paroles. Mais, je vous en conjure, pensez-un peu à mon inquiétude. Faîtes quelque chose pour ma sécurité. Je me sers de ce mot en tremblant. Il n’y a point de sécurité. Et pourtant il m’en faut. J’en veux avoir sur vous. Ce n’est pas vivre qu’être inquiét pour vous. J’espère que Chemside a raison, que c’est un Cold. Je vous ai vu cela. Vous aviez des crampes dans la région du cœur et de la poitrine. J’aurai des nouvelles demain, bonnes, n’est-ce pas? Il y a eu un second conseil hier. Il y en aura peut-être encore un ce matin. Demain, conseil à Claremont. Mais celui-ci est insignifiant. Les autres le seront peut-être aussi.
Je n’ai jamais été plus actif dans le présent, plus incertain sur l’avenir. Il faut que je vous quitte. J’ai beaucoup à écrire le pour le courrier de ce soir. Adieu. Adieu, comme le 30. Le 30 vous êtiez bien souffrante. Et pourtant quel beau jour ! Mais il n’y a point de beau jour de loin si vous êtes souffrante. Ils sont déjà bien peu beaux quand même vous vous portez bien. Adieu Adieu.
8 heures J’ai oublié de vous dire hier que j’avais été à Chiswick, avant hier mercredi. J’y ai passé deux heures, me promenant avec mon ambassade. J’aurais mieux aimé être seul. Dans le commun de la vie, à dîner après dîner, je suis bien aise d’avoir du monde, n’importe qui. Il y a des heures pour lesquelles tout est bon. Mais dans un beau lieu, par un beau temps, quand ce qui m’entoure me remue l’esprit ou le cœur, il me faut le bonheur ou la solitude. Chiswick est une maison déplacée. Les prétentions italiennes sans la Brenta ; le soleil sans toute cette nature brillante et chaude qui anime et embellit la plus petite architecture. Et au bas de l’escalier dans un coin, une grande et pauvre statue de Palladio assis qui a l’air de s’ennuyer et de grelotter. Il n’y a du joli que dans le midi. Le Nord ne peut prétendre qu’au beau. Je reproche à Chiswick de prétendre au joli. Au dedans comme au dehors. C’est trop petit, trop orné.
Les femmes de la Provence se bariolent de rubans de toutes couleurs, de bijoux d’or, d’argent, de pierres de toute espèce. Cela va à leur petite taille lègère, à la vivacité de leurs mouvements, à leur gentillesse d’esprit et de corps. Lady Clanricard était l’autre jour à Holland house, toute enveloppée de mousseline blanche avec une seule pierre au milieu du front. Elle était très belle. Les maisons sont comme les personnes. Chacune selon son climat. Il y a, dans Chiswick, des trèsors de peinture. J’ai beaucoup regardé les tableaux, la plupart d’Italie aussi ; point évidemment sous un autre ciel, pour une autre lumière ; mais beaux partout. Des Papes admirables.
Le parc, voilà l’Angleterre. Que j’aurais pu m’y promener avec délices ! Je n’ai vu nulle part, même ici de tels gazons ; si épais, si fins. C’est du velours qui pousse. Ce serait un meilleur lit que les lits anglais. La serre est charmante. Je crois qu’à tout prendre j’aime mieux Kenwood. C’est plus simple et plus grand.
Lady Holland m’a raconté que M. Canning malade lui ayant dit qu’il allait à Chiswick
" N’allez pas là. Si j’étais votre femme, je ne vous laisserais pas aller là.
- Pourquoi donc ?
- M. Fox y est mort. "
M. Canning sourit. Et une heure après, en quittant Holland house, il revint à Lady Holland, tout bas : " Ne parlez de cela à personne ; on s’en troublerait. "
2 heures
Ne me demandez pas de ne pas m’inquiéter. Résignez-vous à me savoir inquiet, car je ne me résignerai pas à vous savoir malade. Quand nous nous sommes pris for better and for worse, l’inquiétude était dans les worse. Il faut l’accepter et la subir. Inquiet de loin !
Vous avez vu mon petit médecin. Vous ne lui avez pas dit un mot de votre santé. Je ne veux pas vous gronder aujourd’hui. Qui sait si ma hier que j’avais et lettre en arrivant ne vous trouvera pas encoré malade ? Je ne veux vous envoyer que de douces, les plus douces paroles. Mais, je vous en conjure, pensez-un peu à mon inquiétude. Faîtes quelque chose pour ma sécurité. Je me sers de ce mot en tremblant. Il n’y a point de sécurité. Et pourtant il m’en faut. J’en veux avoir sur vous. Ce n’est pas vivre qu’être inquiét pour vous. J’espère que Chemside a raison, que c’est un Cold. Je vous ai vu cela. Vous aviez des crampes dans la région du cœur et de la poitrine. J’aurai des nouvelles demain, bonnes, n’est-ce pas? Il y a eu un second conseil hier. Il y en aura peut-être encore un ce matin. Demain, conseil à Claremont. Mais celui-ci est insignifiant. Les autres le seront peut-être aussi.
Je n’ai jamais été plus actif dans le présent, plus incertain sur l’avenir. Il faut que je vous quitte. J’ai beaucoup à écrire le pour le courrier de ce soir. Adieu. Adieu, comme le 30. Le 30 vous êtiez bien souffrante. Et pourtant quel beau jour ! Mais il n’y a point de beau jour de loin si vous êtes souffrante. Ils sont déjà bien peu beaux quand même vous vous portez bien. Adieu Adieu.
429. Londres, Samedi 3 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
429. Londres, Samedi 3 octobre 1840
9 heures
J’attends tous les jours votre lettre avec une vive impatience. Mais aujourd’hui ! Et mon impatience de tous les jours est une impatience de plaisir d’espérance. J’espère bien qu’aujourd’hui aussi j’aurai un immense plaisir. Vous me direz que vous êtes mieux, que ce n’est rien. Que de trouble dans l’âme sous la surface tranquille et monotone de la vie ? J’avais du monde hier soir. J’ai joué au Whist, j’ai causé ; je crois que j’ai ri.
Je faisais cas du Roi de Hollande. Je l’aime. Il a eu deux fois raison, en renonçant à sa volonté, il y a trois mois en la reprenant aujourd’hui. Que dira son peuple ? Son fils est bien loin de le valoir.
Une heure
Me voilà, tranquille ; comme on peut l’être pas inquiet enfin. C’est du bonheur. Comme on en a de loin. S’il était possible. d’avoir plusieurs lettres par jour? Je veux que vous ne mouriez de rien, surtout pas d’impatience et d’inquiétude à cause de ma prudence. Il y a encore eu Conseil hier. Trois dans une semaine, et dans cette saison. Cela seul est quelque chose. Pas de résultat actuel, précis. Un parti de la paix et de l’amitié avec la France, plus nombreux, plus fort, plus déclaré, appuyé par quelques uns ou quelqu’un des hommes, les plus importants du cabinet, ayant soutenu et fait reconnaître la nécessité de saisir, de chercher toutes les occasions de se rapprocher, de transiger. La politique contraire entravée, un peu intimidée. Des choses qu’on regardait comme résolues, remises en question. C’est cela ; ni plus, ni moins.
Je persiste à ne pas croire à la guerre. Je crois à une situation toujours critique, rasant toujours le bord. Pour le moment, la question est en Syrie. Si le Pacha cède ou succombe vite, l’affaire sera finie. Si la résistance en sérieuse et prolongée, la question reviendra en occident, et il y aura transaction. Le Cabinet sort de ces trois conseils profondement agité, divisé, méfiant de part et d’autre, travaillant à se paralyser les uns les autres, ce ne voulant pas de disloquer. Je ne vous répète pas que ceci est entre nous. C’est bien convenu. Il ne m’étonne pas. L’amour pur du mensonge. Mentir sans nécessité et sans succès. Je suis toujours surpris cependant qu’on puisse tant manquer d’esprit en en ayant tant. Ce n’est pas le seul exemple. 14 a raison d’avoir de l’humeur contre 74. Et 2 aussi a raison d’attaquer, le maréchal Soult encore plus que Thiers. Il pressent bien le danger futur. Je viens de lire Berryer. J’en pense comme vous. Il n’y a de bon que ce que vous m’indiquez. Mais cela est beau. J’aime vos impressions si vives dans votre jugement si sûr à coup sûr, M. Molé n’a pas pu être content. Savez-vous ce qui manque à Berryer ? Du sérieux. Il se joue, et cela se sent. Au premier moment cela réussit ; les hommes trouvent bon qu’on leur plaise sans leur rien demander, sans leur demander de croire ou d’agir. A la longue cela décrie. On va le soir, et quelquefois, au spectacle. On ne s’accommode pas du spectacle, même du meilleur, tous les jours et tout le jour. La vie et ses affaires sont sérieuses. Il y faut des personnes, non des acteurs et le public lui-même à ce sentiment , on y revient bientôt. Il ne vient pas de flotte russe. L’Empereur a seulement ordonné qu’elle se mettrait en état de venir. C’est du moins ce qu’on dit ici, et ce qu’on croit, et ce qu’on veut.
Je suis bien aise que Sébastiani soit maréchal. Il n’en aura peut-être pas moins d’humeur contre moi. Mais j’aurai le droit de le trouver mauvais. Quand le Cabinet s’est formé, j’ai fortement insisté auprès de mes amis pour qu’ils le fissent maréchal à la première occasion, et ils me l’ont promis. Depuis que je suis ici, le Roi m’a fait demander d’écrire dans ce sens à le M. de Rémusat, et je l’ai fait. J’aime que justice soit rendu aux bons services. Sébastiani, en a rendu de grands de 1830 à 1832. Je croyais que vous auriez le bis avant-hier. Vous l’aurez eu hier. Je voudrais bien que vous l’eussiez plus souvent. J’ai le cœur bien plus gros depuis le 30, et tout ceci est bien plus insuffisant. Adieu même est insuffisant. Je le prends, mais je ne m’en contente pas. Adieu
9 heures
J’attends tous les jours votre lettre avec une vive impatience. Mais aujourd’hui ! Et mon impatience de tous les jours est une impatience de plaisir d’espérance. J’espère bien qu’aujourd’hui aussi j’aurai un immense plaisir. Vous me direz que vous êtes mieux, que ce n’est rien. Que de trouble dans l’âme sous la surface tranquille et monotone de la vie ? J’avais du monde hier soir. J’ai joué au Whist, j’ai causé ; je crois que j’ai ri.
Je faisais cas du Roi de Hollande. Je l’aime. Il a eu deux fois raison, en renonçant à sa volonté, il y a trois mois en la reprenant aujourd’hui. Que dira son peuple ? Son fils est bien loin de le valoir.
Une heure
Me voilà, tranquille ; comme on peut l’être pas inquiet enfin. C’est du bonheur. Comme on en a de loin. S’il était possible. d’avoir plusieurs lettres par jour? Je veux que vous ne mouriez de rien, surtout pas d’impatience et d’inquiétude à cause de ma prudence. Il y a encore eu Conseil hier. Trois dans une semaine, et dans cette saison. Cela seul est quelque chose. Pas de résultat actuel, précis. Un parti de la paix et de l’amitié avec la France, plus nombreux, plus fort, plus déclaré, appuyé par quelques uns ou quelqu’un des hommes, les plus importants du cabinet, ayant soutenu et fait reconnaître la nécessité de saisir, de chercher toutes les occasions de se rapprocher, de transiger. La politique contraire entravée, un peu intimidée. Des choses qu’on regardait comme résolues, remises en question. C’est cela ; ni plus, ni moins.
Je persiste à ne pas croire à la guerre. Je crois à une situation toujours critique, rasant toujours le bord. Pour le moment, la question est en Syrie. Si le Pacha cède ou succombe vite, l’affaire sera finie. Si la résistance en sérieuse et prolongée, la question reviendra en occident, et il y aura transaction. Le Cabinet sort de ces trois conseils profondement agité, divisé, méfiant de part et d’autre, travaillant à se paralyser les uns les autres, ce ne voulant pas de disloquer. Je ne vous répète pas que ceci est entre nous. C’est bien convenu. Il ne m’étonne pas. L’amour pur du mensonge. Mentir sans nécessité et sans succès. Je suis toujours surpris cependant qu’on puisse tant manquer d’esprit en en ayant tant. Ce n’est pas le seul exemple. 14 a raison d’avoir de l’humeur contre 74. Et 2 aussi a raison d’attaquer, le maréchal Soult encore plus que Thiers. Il pressent bien le danger futur. Je viens de lire Berryer. J’en pense comme vous. Il n’y a de bon que ce que vous m’indiquez. Mais cela est beau. J’aime vos impressions si vives dans votre jugement si sûr à coup sûr, M. Molé n’a pas pu être content. Savez-vous ce qui manque à Berryer ? Du sérieux. Il se joue, et cela se sent. Au premier moment cela réussit ; les hommes trouvent bon qu’on leur plaise sans leur rien demander, sans leur demander de croire ou d’agir. A la longue cela décrie. On va le soir, et quelquefois, au spectacle. On ne s’accommode pas du spectacle, même du meilleur, tous les jours et tout le jour. La vie et ses affaires sont sérieuses. Il y faut des personnes, non des acteurs et le public lui-même à ce sentiment , on y revient bientôt. Il ne vient pas de flotte russe. L’Empereur a seulement ordonné qu’elle se mettrait en état de venir. C’est du moins ce qu’on dit ici, et ce qu’on croit, et ce qu’on veut.
Je suis bien aise que Sébastiani soit maréchal. Il n’en aura peut-être pas moins d’humeur contre moi. Mais j’aurai le droit de le trouver mauvais. Quand le Cabinet s’est formé, j’ai fortement insisté auprès de mes amis pour qu’ils le fissent maréchal à la première occasion, et ils me l’ont promis. Depuis que je suis ici, le Roi m’a fait demander d’écrire dans ce sens à le M. de Rémusat, et je l’ai fait. J’aime que justice soit rendu aux bons services. Sébastiani, en a rendu de grands de 1830 à 1832. Je croyais que vous auriez le bis avant-hier. Vous l’aurez eu hier. Je voudrais bien que vous l’eussiez plus souvent. J’ai le cœur bien plus gros depuis le 30, et tout ceci est bien plus insuffisant. Adieu même est insuffisant. Je le prends, mais je ne m’en contente pas. Adieu
430. Londres, Dimanche 4 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
430. Londres, Dimanche 4 octobre 1840
Une heure
Nous voilà dans la crise. On dit cela à chaque incident, mais celui-ci est gros surtout par l’effet qu’il doit faire à Paris. Ici on est inquiet. Pas autant que je le voudrais ; pas autant qu’il le faudrait pour qu’on fût sage. On ne croit pas à la guerre. On a le sentiment de sa propre sincérité dans le désir de la paix et dans l’absence de toute intention hostile envers la France. On n’a pas le sentiment de l’état des esprits en France de leurs impressions si vives, de leurs résolutions si soudaines, si on avait prévu, il y a trois mois une telle explosion en France, je suis convaincu qu’on n’aurait pas conclu le traité du 15 juillet. Je l’ai annoncé, répété, rabâché. Mais la prévoyance est ce qui se communique le moins. Et quand on n’a pas prévu, on ne veut pas voir.
Ma situation ici ne me plaît pas. J’ai beaucoup à attendre et peu à faire. On est à merveille pour moi, même ceux qui ne sont pas de mon avis et ne s’y rendent point. Un moment peut venir où je profiterai de cette bonne disposition ; le moment où, ne réussissant pas, en Syrie par les premiers moyens, employés et ne se souciant pas d’aller plus loin, on sentira, la nécessité d’une transaction. J’attends et je prépare ce moment là, quand viendra-t-il ?
On parle de la convocation de nos chambres. Celle du Parlement suivrait aussitôt. Mais, pour moi comme pour le public ce ne sont là que des bruits. C’est maintenant à Paris que se font les événements. Au moins vous me donnez de bonnes nouvelles de vous. Comment s’y est-on pris pour vous écorcher l’épaule ? Il faut que votre femme de chambre ait la main bien lourde. A quoi lui sert donc d’être laide ?
Lundi 2 heures
Trouvez donc un Byng qui vienne à Londres et que je puisse aimer aussi. Je n’ai point de nouvelles ce matin. La convocation des Chambres ! Je crois bien. Politiquement, je la désire. Je sais bien les entraînements publics, la tribune ; mais je sais aussi les entraînements cachés, insensibles, les journaux, les commérages.
Après tout, depuis dix ans, j’ai toujours vu dans les grandes occasions, les chambres favorables au bon parti ; à la raison, au vrai intérêt du pays, et lui prêtant une force qu’il ne pouvait puiser ailleurs. C’est avec les chambres que nous avons lutté contre l’entrainement révolutionnaire, contre les fatuités anonymes de la presse, contre la politique de café. Nous sommes sur le point de rentrer dans la situation de 1831. Avec plus de péril peut-être, et moins d’excuse. Je sais que, pour que les Chambres se rallient à la raison, et la soutiennent, il faut la leur montrer, la tenir constamment sous leurs yeux, la vouloir fermement soi-même et leur en inspirer la confiance. J’espère que cette lumière et cette volonté ne manqueraient pas plus aujourd’hui qu’en 1831, et que si la raison devait succomber ce ne serait pas sans s’être montrée et défendue.
J’ai reçu une longue lettre du duc de Broglie, très judicieuse, et qui me fait croire qu’on ne fera rien de précipité. Vous avez bien raison ; 20 n’a pas de l’esprit tout à fait ; et quand les grands moments approchent ce qu’il en a se trouble et chancelle. Il peut alors se laisser aveugler et entraîner comme un enfant. De son côté 62, très courageux contre le danger, est très timide contre la responsabilité. Il a naturellement beaucoup indépendance et de dignité, peu de pouvoir. Le frêne a beau chercher ; il n’apprendra pas de là ce qu’il aurait, besoin de savoir. Je suis très préoccupé du frêne. Il est très décidé ; mais il ne voudrait pas se tromper sur le moment où doit se placer sa résolution. Deux choses font le succès d’une conduite, son mérite et son à propos. On ne devine pas l’à propos. Il faut le voir. Je voudrais que ma vue s’alongeât plus encore. Je prêterais mes yeux au frêne. Bien décidément j’envie le cottage, j’aime le cottage. Et parlerions-nous quelquefois de tout cela ? J’ai peur que oui. On n’abdique pas sa nature. On ne se fait pas petit, même pour être heureux. Je voudrais pourtant bien être heureux. Qu’est-ce qui vaut une heure de bonheur ? Et quel bonheur ! C’est bien là l’orgueil humain. Je préfère infiniment le bonheur à tout. Je n’aime, à vrai dire, que le bonheur. Mais pour le bonheur, dans un cottage comme dans un palais, je veux à côté de moi, à moi, un grand coeur, un grand esprit, un grand goût, l’intimité d’une grande pensée. Je ne puis pas être heureux à moins, pas cinq minutes. Mais je serais si heureux ? Adieu. Adieu.
Une heure
Nous voilà dans la crise. On dit cela à chaque incident, mais celui-ci est gros surtout par l’effet qu’il doit faire à Paris. Ici on est inquiet. Pas autant que je le voudrais ; pas autant qu’il le faudrait pour qu’on fût sage. On ne croit pas à la guerre. On a le sentiment de sa propre sincérité dans le désir de la paix et dans l’absence de toute intention hostile envers la France. On n’a pas le sentiment de l’état des esprits en France de leurs impressions si vives, de leurs résolutions si soudaines, si on avait prévu, il y a trois mois une telle explosion en France, je suis convaincu qu’on n’aurait pas conclu le traité du 15 juillet. Je l’ai annoncé, répété, rabâché. Mais la prévoyance est ce qui se communique le moins. Et quand on n’a pas prévu, on ne veut pas voir.
Ma situation ici ne me plaît pas. J’ai beaucoup à attendre et peu à faire. On est à merveille pour moi, même ceux qui ne sont pas de mon avis et ne s’y rendent point. Un moment peut venir où je profiterai de cette bonne disposition ; le moment où, ne réussissant pas, en Syrie par les premiers moyens, employés et ne se souciant pas d’aller plus loin, on sentira, la nécessité d’une transaction. J’attends et je prépare ce moment là, quand viendra-t-il ?
On parle de la convocation de nos chambres. Celle du Parlement suivrait aussitôt. Mais, pour moi comme pour le public ce ne sont là que des bruits. C’est maintenant à Paris que se font les événements. Au moins vous me donnez de bonnes nouvelles de vous. Comment s’y est-on pris pour vous écorcher l’épaule ? Il faut que votre femme de chambre ait la main bien lourde. A quoi lui sert donc d’être laide ?
Lundi 2 heures
Trouvez donc un Byng qui vienne à Londres et que je puisse aimer aussi. Je n’ai point de nouvelles ce matin. La convocation des Chambres ! Je crois bien. Politiquement, je la désire. Je sais bien les entraînements publics, la tribune ; mais je sais aussi les entraînements cachés, insensibles, les journaux, les commérages.
Après tout, depuis dix ans, j’ai toujours vu dans les grandes occasions, les chambres favorables au bon parti ; à la raison, au vrai intérêt du pays, et lui prêtant une force qu’il ne pouvait puiser ailleurs. C’est avec les chambres que nous avons lutté contre l’entrainement révolutionnaire, contre les fatuités anonymes de la presse, contre la politique de café. Nous sommes sur le point de rentrer dans la situation de 1831. Avec plus de péril peut-être, et moins d’excuse. Je sais que, pour que les Chambres se rallient à la raison, et la soutiennent, il faut la leur montrer, la tenir constamment sous leurs yeux, la vouloir fermement soi-même et leur en inspirer la confiance. J’espère que cette lumière et cette volonté ne manqueraient pas plus aujourd’hui qu’en 1831, et que si la raison devait succomber ce ne serait pas sans s’être montrée et défendue.
J’ai reçu une longue lettre du duc de Broglie, très judicieuse, et qui me fait croire qu’on ne fera rien de précipité. Vous avez bien raison ; 20 n’a pas de l’esprit tout à fait ; et quand les grands moments approchent ce qu’il en a se trouble et chancelle. Il peut alors se laisser aveugler et entraîner comme un enfant. De son côté 62, très courageux contre le danger, est très timide contre la responsabilité. Il a naturellement beaucoup indépendance et de dignité, peu de pouvoir. Le frêne a beau chercher ; il n’apprendra pas de là ce qu’il aurait, besoin de savoir. Je suis très préoccupé du frêne. Il est très décidé ; mais il ne voudrait pas se tromper sur le moment où doit se placer sa résolution. Deux choses font le succès d’une conduite, son mérite et son à propos. On ne devine pas l’à propos. Il faut le voir. Je voudrais que ma vue s’alongeât plus encore. Je prêterais mes yeux au frêne. Bien décidément j’envie le cottage, j’aime le cottage. Et parlerions-nous quelquefois de tout cela ? J’ai peur que oui. On n’abdique pas sa nature. On ne se fait pas petit, même pour être heureux. Je voudrais pourtant bien être heureux. Qu’est-ce qui vaut une heure de bonheur ? Et quel bonheur ! C’est bien là l’orgueil humain. Je préfère infiniment le bonheur à tout. Je n’aime, à vrai dire, que le bonheur. Mais pour le bonheur, dans un cottage comme dans un palais, je veux à côté de moi, à moi, un grand coeur, un grand esprit, un grand goût, l’intimité d’une grande pensée. Je ne puis pas être heureux à moins, pas cinq minutes. Mais je serais si heureux ? Adieu. Adieu.
431. Londres, Mardi 6 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
431. Londres, Mardi 6 octobre 1840
sept heures et demie
Moi aussi je suis très agité. Tout absolument, tout est engagé, pour moi dans cette question. Mes plus chers intérêts personnels. Les plus grands intérêts politiques de mon pays, et de moi dans mon pays. Et tout cela se décide sans moi, loin de moi, en Syrie par le canon de Napier, à Paris par les conseils d’un Cabinet qui n’est pas le mien.
Ma raison persiste dans sa confiance. Je ne crois pas à la guerre. Mais mon âme est pleine de trouble. Je n’ai jamais été si agité. On se promet ici un succès prompt. On se promet que ce qui s’est passé à Beyrouth se passera, non à Alexandrie, on ne le tentera pas là, mais sur toute la côte de Syrie, à Sidon, à Tripoli, à St Jean d’Acre. On se promet. que, cela fait, le Pacha cédera et qu’on s’arrangera. On est bien léger bien présomptueux bien aveugle. Mais tout le monde l’est. On agit au hasard. On parle au hasard. Vraiment les affaires des hommes sont étrangement faites. S’ils étaient capables de le voir, ils ne le souffriraient certainement pas. Quand on n’est pas content de la politique on fait de la morale.
Hier soir à Holland house. J’étais mécontent, de mauvaise humeur. Je l’ai montré. Ce pauvre lord Holland était troublé, interdit. Il n’est pas fait pour être affligé, seulement contrarié. Il voudrait tout le monde toujours doux, aimable, content. Lady Holland a l’âme plus forte. Elle était extrêmement blessée d’un article de l’Examiner, qui a mis Holland house, en scène. Elle connait l’auteur. Elle l’a bien traité. Je lui conseille, à l’auteur, de ne pas se trouver sur son chemin. Je suis fort en scène aussi dans cet article, très convenablement pour moi, Français. Je gouverne d’un côté les vieux Whigs par Holland house de l’autre les radicaux. J’agite l’intérieur du cabinet. Du reste, l’article n’est pas si mauvais qu’il en veut avoir l’air. Au fond, il conseille une transaction.
Lord et lady Shelburne, Charles Greville, Sir Hussey Vivian, un ou deux inconnus. Lady Clanricard n’est pas à Londres. Lady Shelburne attendait avec quelque impatience que je me fisse présenter à elle. Elle a dit à lady Holland : " J’ai vu bien souvent M. Guizot à Paris, mais je n’étais rien alors. Il ne me connait pas. "
Je me suis fait présenter à présent qu’elle est quelque chose. Lord Shelburne aurait mieux fait d’insister pour Emilie. Elle était là, à côté. Décidément, dit lady Holland, ils partent après-demain pour Brighton. Leurs logements y sont arrêtés. Pour huit jours. Huit jours d’air nouveau et d’eau de Marienbad.
2 heures
Ne me grondez pas, je vous en prie, ne me grondez pas de ma réserve. Elle me déplaît bien autant qu’à vous. Mais soyez sûre que j’ai raison. Dans une situation très difficile, très délicate, il ne faut pas mettre contre soi, ne fût-elle que d’un sur mille, la chance d’une lettre perdue, d’une lettre ouverte, d’un mot échappé. Vous entrevoyez, mais vous ne savez pas à quelles difficultés, à quelles personnes je suis peut-être sur le point d’avoir affaire. Je n’en frémis pas. Je mentirais si je disais que j’en frémis. Mais si cela arrive, ce sera bien grave. Il ne faudra pas faire une faute et on en ferai; pas perdre une force, et on en perdra. Vous en savez sans doute, à l’heure qu’il est bien plus que moi. Mais l’article du Constitutionnel de dimanche me paraît bien clair. C’est la guerre ou la retraite.
J’attends demain. Demain m’apportera certainement quelque chose. Je viens de me promener. Toujours Regent’s Park. Je ne m’en lasse pas. Personne du tout. Un air doux et calme. La nature parfaitement étrangère selon son usage aux agitations des hommes. J’étais plus occupé qu’agité en marchant sans bruit dans ces allées tranquilles. La paix ou la guerre quelle question toujours ! Quelle question aujourd’hui ! Que de questions, et lesquelles, dans celle-là ! J’ai un avis. Je n’ai que cela. Est-ce assez ? Je veux voir Lucia de Lammermoor avec vous. Je ne crois pas que le mois d’octobre se passe sans que nous nous voyions. Adieu. Adieu en attendant.
sept heures et demie
Moi aussi je suis très agité. Tout absolument, tout est engagé, pour moi dans cette question. Mes plus chers intérêts personnels. Les plus grands intérêts politiques de mon pays, et de moi dans mon pays. Et tout cela se décide sans moi, loin de moi, en Syrie par le canon de Napier, à Paris par les conseils d’un Cabinet qui n’est pas le mien.
Ma raison persiste dans sa confiance. Je ne crois pas à la guerre. Mais mon âme est pleine de trouble. Je n’ai jamais été si agité. On se promet ici un succès prompt. On se promet que ce qui s’est passé à Beyrouth se passera, non à Alexandrie, on ne le tentera pas là, mais sur toute la côte de Syrie, à Sidon, à Tripoli, à St Jean d’Acre. On se promet. que, cela fait, le Pacha cédera et qu’on s’arrangera. On est bien léger bien présomptueux bien aveugle. Mais tout le monde l’est. On agit au hasard. On parle au hasard. Vraiment les affaires des hommes sont étrangement faites. S’ils étaient capables de le voir, ils ne le souffriraient certainement pas. Quand on n’est pas content de la politique on fait de la morale.
Hier soir à Holland house. J’étais mécontent, de mauvaise humeur. Je l’ai montré. Ce pauvre lord Holland était troublé, interdit. Il n’est pas fait pour être affligé, seulement contrarié. Il voudrait tout le monde toujours doux, aimable, content. Lady Holland a l’âme plus forte. Elle était extrêmement blessée d’un article de l’Examiner, qui a mis Holland house, en scène. Elle connait l’auteur. Elle l’a bien traité. Je lui conseille, à l’auteur, de ne pas se trouver sur son chemin. Je suis fort en scène aussi dans cet article, très convenablement pour moi, Français. Je gouverne d’un côté les vieux Whigs par Holland house de l’autre les radicaux. J’agite l’intérieur du cabinet. Du reste, l’article n’est pas si mauvais qu’il en veut avoir l’air. Au fond, il conseille une transaction.
Lord et lady Shelburne, Charles Greville, Sir Hussey Vivian, un ou deux inconnus. Lady Clanricard n’est pas à Londres. Lady Shelburne attendait avec quelque impatience que je me fisse présenter à elle. Elle a dit à lady Holland : " J’ai vu bien souvent M. Guizot à Paris, mais je n’étais rien alors. Il ne me connait pas. "
Je me suis fait présenter à présent qu’elle est quelque chose. Lord Shelburne aurait mieux fait d’insister pour Emilie. Elle était là, à côté. Décidément, dit lady Holland, ils partent après-demain pour Brighton. Leurs logements y sont arrêtés. Pour huit jours. Huit jours d’air nouveau et d’eau de Marienbad.
2 heures
Ne me grondez pas, je vous en prie, ne me grondez pas de ma réserve. Elle me déplaît bien autant qu’à vous. Mais soyez sûre que j’ai raison. Dans une situation très difficile, très délicate, il ne faut pas mettre contre soi, ne fût-elle que d’un sur mille, la chance d’une lettre perdue, d’une lettre ouverte, d’un mot échappé. Vous entrevoyez, mais vous ne savez pas à quelles difficultés, à quelles personnes je suis peut-être sur le point d’avoir affaire. Je n’en frémis pas. Je mentirais si je disais que j’en frémis. Mais si cela arrive, ce sera bien grave. Il ne faudra pas faire une faute et on en ferai; pas perdre une force, et on en perdra. Vous en savez sans doute, à l’heure qu’il est bien plus que moi. Mais l’article du Constitutionnel de dimanche me paraît bien clair. C’est la guerre ou la retraite.
J’attends demain. Demain m’apportera certainement quelque chose. Je viens de me promener. Toujours Regent’s Park. Je ne m’en lasse pas. Personne du tout. Un air doux et calme. La nature parfaitement étrangère selon son usage aux agitations des hommes. J’étais plus occupé qu’agité en marchant sans bruit dans ces allées tranquilles. La paix ou la guerre quelle question toujours ! Quelle question aujourd’hui ! Que de questions, et lesquelles, dans celle-là ! J’ai un avis. Je n’ai que cela. Est-ce assez ? Je veux voir Lucia de Lammermoor avec vous. Je ne crois pas que le mois d’octobre se passe sans que nous nous voyions. Adieu. Adieu en attendant.
432. Londres, Mercredi 7 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
432. Londres, Mercredi 7 Octobre 1840,
9 heures
Voici une lettre d’Ellice. Il me l’a envoyée ouverte en m’engageant à la lire. Il a vraiment de l’esprit et plus d’intelligence continentale et française que presque tous ici. Il a compris, dès l’origine, que, par le chemin où l’on entrait, on en viendrait où nous en sommes. Si tout le monde, avait prévu aussi clair, tout le monde aurait agi autrement. Le vice radical de cette situation, c’est qu’elle n’était pas du tout nécessaire. Aucun grand événement, aucun grand motif européen n’y a conduit. Il y avait, dans un coin de l’Asie, entre un vieux Pacha et un Sultan mourant, une querelle qui laissée à elle-même, serait morte avec eux sans trouble un moment l’Europe. On en a fait une chance de guerre générale. Pourquoi ? Pour satisfaire la passion de lord Ponsomby contre le Pacha et les rêves de Lord Palmerston pour la résurrection de l’Empire Ottoman.
Voilà un courrier. Il ne m’apporte rien, rien du tout. J’en conclus qu’on patauge encore. Le mot est bien à l’image du fait. Je ne veux pas me dire, à moi-même, à quel point je suis impatient. Je vais faire ma toilette, en attendant la poste. 2 heures Certainement non. Jamais trop de feuillets, jamais assez. Vos lettres, c’est mon pain, mon délicieux pain quotidien. J’ai faim avant. Quand elles sont courtes, j’ai faim après. Quand elles sont longues, je suis nourri, point rassasié. Oui nous sommes parfaitement Ninojlubtn, et je sais parfaitement ce que cela veut dire. C’est un mot charmant. Et qui serait encore plus charmant de près que de loin.
La crise de Paris me paraît vive. Je rabâche, car je suis sûr qu’elle est moins vive qu’elle ne paraît. Comme au fond du cœur, presque personne n’a envie de la guerre, pas même les trois quarts de ceux qui la demandent à si grands cris, il est impossible que le fond du cœur n’influe pas sur la réalité de la conduite. On paie les autres d’apparences, et de paroles ; on ne s’en paie pas tout-à-fait aussi aisément soi-même. Cependant un moment peut venir où l’on l’enivre de tant de paroles et si bruyantes. Je n’irai pas avec les gens ivres. La guerre peut sortir de cette situation, et c’est son immense mal. Si elle en sort inopinément, forcément il faudra bien l’accepter, et l’accepter galamment. Mais je crois qu’on peut empêcher qu’elle n’en sorte, et qu’il y faut travailler ardemment. Et toute politique qui poussera, ou se laissera pousser à la guerre ne m’aura pas pour complice.
Probablement, je vous ai déjà dit cela bien des fois. Je rabâche, car je suis très convaincu. Je suis sûr que Thiers se défend contre le vent qui souffle autour de lui si le vent l’emportait, ce ne serait pas une raison pour se laisser emporter soi-même, et pour laisser tout emporter. Il y a encore de la folie révolutionnaire de la folie militaire dans mon pays ; mais aujourd’hui dans cette folie même, il y a plus d’écume que de venin. Et on trouvera toujours, dans le bon sens honnête de pays un point d’appui pour résister. Je pense aujourd’hui, comme en 1831, que pour une guerre juste, inévitable, défensive, la France est très forte, et que l’Europe serait bientôt divisée. Il faut donc que la guerre si elle doit éclater, soit ramenée à ce caractère, et contenue dans ces limites. Et à ces conditions, je suis porté à croire qu’elle n’éclatera pas. Car, malgré la faute très grave que l’Europe a commise en laissant se former, en formant de ses mains, un tel orage pour un si misérable motif, je crois encore au bon sens de l’Europe, et je suis persuadé qu’en Europe comme en France, la bonne politique trouverait de l’appui. Du reste le très fidèle m’écrit ce matin que la bourrasque de dimanche est un peu calmée et que les choses vont moins vite.
Ici, il y a certainement un peu d’inquiétude réelle et un désir sincère de jeter de baume sur les plaies de celte situation, en même temps qu’un parti pris d’exécuter ce qu’on a entrepris, et de ne pas faire acte de faiblesse. On est plus léger avant qu’après. On ne veut pas avoir été léger en paraître intimidé. Mais on n’est pas sans sérieuse appréhension et on a grande hâte d’atteindre le terme du défilé pour se montrer au bout. un peu plus accommodant qu’à l’entrée. Les Ministres se sont dispersés de nouveau. Mais je ne crois pas que lord John Russell, s’éloigne désormais de Londres. J’espère que Berryer et les siens n’espéreront pas trop. Les étrangers, et l’Ancien Régime, la coalition et la contre-révolution, ce sont les deux spectres du pays ; leur vice le pousse à la folie. Adieu. Je ne méprise rien. Je ne me lasse de rien. Je désire tout. Je ne peux me contenter que de tout. Mais j’aime et je goûte toujours avec le même plaisir les moindres portions de ce tout ravissant. Adieu donc aussi tendrement que le jour où adieu fut inventé.
9 heures
Voici une lettre d’Ellice. Il me l’a envoyée ouverte en m’engageant à la lire. Il a vraiment de l’esprit et plus d’intelligence continentale et française que presque tous ici. Il a compris, dès l’origine, que, par le chemin où l’on entrait, on en viendrait où nous en sommes. Si tout le monde, avait prévu aussi clair, tout le monde aurait agi autrement. Le vice radical de cette situation, c’est qu’elle n’était pas du tout nécessaire. Aucun grand événement, aucun grand motif européen n’y a conduit. Il y avait, dans un coin de l’Asie, entre un vieux Pacha et un Sultan mourant, une querelle qui laissée à elle-même, serait morte avec eux sans trouble un moment l’Europe. On en a fait une chance de guerre générale. Pourquoi ? Pour satisfaire la passion de lord Ponsomby contre le Pacha et les rêves de Lord Palmerston pour la résurrection de l’Empire Ottoman.
Voilà un courrier. Il ne m’apporte rien, rien du tout. J’en conclus qu’on patauge encore. Le mot est bien à l’image du fait. Je ne veux pas me dire, à moi-même, à quel point je suis impatient. Je vais faire ma toilette, en attendant la poste. 2 heures Certainement non. Jamais trop de feuillets, jamais assez. Vos lettres, c’est mon pain, mon délicieux pain quotidien. J’ai faim avant. Quand elles sont courtes, j’ai faim après. Quand elles sont longues, je suis nourri, point rassasié. Oui nous sommes parfaitement Ninojlubtn, et je sais parfaitement ce que cela veut dire. C’est un mot charmant. Et qui serait encore plus charmant de près que de loin.
La crise de Paris me paraît vive. Je rabâche, car je suis sûr qu’elle est moins vive qu’elle ne paraît. Comme au fond du cœur, presque personne n’a envie de la guerre, pas même les trois quarts de ceux qui la demandent à si grands cris, il est impossible que le fond du cœur n’influe pas sur la réalité de la conduite. On paie les autres d’apparences, et de paroles ; on ne s’en paie pas tout-à-fait aussi aisément soi-même. Cependant un moment peut venir où l’on l’enivre de tant de paroles et si bruyantes. Je n’irai pas avec les gens ivres. La guerre peut sortir de cette situation, et c’est son immense mal. Si elle en sort inopinément, forcément il faudra bien l’accepter, et l’accepter galamment. Mais je crois qu’on peut empêcher qu’elle n’en sorte, et qu’il y faut travailler ardemment. Et toute politique qui poussera, ou se laissera pousser à la guerre ne m’aura pas pour complice.
Probablement, je vous ai déjà dit cela bien des fois. Je rabâche, car je suis très convaincu. Je suis sûr que Thiers se défend contre le vent qui souffle autour de lui si le vent l’emportait, ce ne serait pas une raison pour se laisser emporter soi-même, et pour laisser tout emporter. Il y a encore de la folie révolutionnaire de la folie militaire dans mon pays ; mais aujourd’hui dans cette folie même, il y a plus d’écume que de venin. Et on trouvera toujours, dans le bon sens honnête de pays un point d’appui pour résister. Je pense aujourd’hui, comme en 1831, que pour une guerre juste, inévitable, défensive, la France est très forte, et que l’Europe serait bientôt divisée. Il faut donc que la guerre si elle doit éclater, soit ramenée à ce caractère, et contenue dans ces limites. Et à ces conditions, je suis porté à croire qu’elle n’éclatera pas. Car, malgré la faute très grave que l’Europe a commise en laissant se former, en formant de ses mains, un tel orage pour un si misérable motif, je crois encore au bon sens de l’Europe, et je suis persuadé qu’en Europe comme en France, la bonne politique trouverait de l’appui. Du reste le très fidèle m’écrit ce matin que la bourrasque de dimanche est un peu calmée et que les choses vont moins vite.
Ici, il y a certainement un peu d’inquiétude réelle et un désir sincère de jeter de baume sur les plaies de celte situation, en même temps qu’un parti pris d’exécuter ce qu’on a entrepris, et de ne pas faire acte de faiblesse. On est plus léger avant qu’après. On ne veut pas avoir été léger en paraître intimidé. Mais on n’est pas sans sérieuse appréhension et on a grande hâte d’atteindre le terme du défilé pour se montrer au bout. un peu plus accommodant qu’à l’entrée. Les Ministres se sont dispersés de nouveau. Mais je ne crois pas que lord John Russell, s’éloigne désormais de Londres. J’espère que Berryer et les siens n’espéreront pas trop. Les étrangers, et l’Ancien Régime, la coalition et la contre-révolution, ce sont les deux spectres du pays ; leur vice le pousse à la folie. Adieu. Je ne méprise rien. Je ne me lasse de rien. Je désire tout. Je ne peux me contenter que de tout. Mais j’aime et je goûte toujours avec le même plaisir les moindres portions de ce tout ravissant. Adieu donc aussi tendrement que le jour où adieu fut inventé.
433. Londres, Jeudi 8 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
433. Londres, Jeudi 2 octobre 1840
9 heures
Mardi est votre mauvais jour. Jeudi est mon jour médiocre. Le mardi, vous m’écrivez plus brièvement ; vous n’avez pas en m’écrivant, le sentiment d’espérance ou de satisfaction qui anime et prolonge l’entretien. Comme nous regardons à tout ! Il n’y a rien de petit pour nous et entre nous. Je dis nous ; vous avez bien raison, tout est pareil entre nous ; nous n’avons rien à nous demander. Nous nous savons. Décidément les Holland partent aujourd’hui pour Brighton. J’ai été leur faire mes adieux hier au soir. Pour huit ou dix jours. Je dis décidément parce qu’on le disait. Ils pourraient bien être encore retenus ou bientôt rappelés. Il y aura peut-être un nouveau conseil de Cabinet après-demain samedi ou lundi. La gravité de la situation se fait sentir et je la fais valoir. On cherche sérieusement un moyen de calmer la France et de se rapprocher. Les plus raides eux-mêmes le cherchent. Il faut le trouver pendant que le traité s’exécute. Il faut se rapprocher au bruit du canon qui vient frapper les cœurs en France, sinon les corps. C’est difficile. Cependant, pourvu qu’on ne fasse pas de folie à Paris, je crois toujours qu’on finira par là. Moi aussi, j’attends la convocation des Chambres. Il faut au moins vingt jours de délai. Cela porte aux premiers jours de Novembre. Du reste, officiellement je n’en sais absolument rien.
C’est le peintre qui n’a pas voulu que je le regardasse. Car, pour vous regarder vous ; il aurait fallu le regarder lui, et tout le monde, et de la même manière. Il a dit qu’il valait mieux ne regarder personne et penser à quelque chose. Moi, je dis à quelqu’un. Pour être vrai cependant, je crois que c’est à quelque chose que pense mon portrait. Grand défaut de ressemblance. Hier soir en revenant de Holland house, j’ai été passer une demi-heure chez Mad. de Björstierna, soirée invitée. Tout ce qu’il y a ici de diplomates grands ou petits, et quatre ou cinq Anglais. J’ai joué au Whist. M. de Brünnow est toujours assez malade, et vraiment très changé. Je l’ai rencontré, il y a trois jours comme je faisais à pied ; le tour de Hyde park, ce tour que nous avons fait souvent le soir en calèche. Il se promenait aussi à pied. Il s’est joint à moi, avec un grand empressement et n’a pas voulu me quitter qu’il ne m’ait reconduit jusqu’à ma porte. On m’écrit que M. de Tatischeff à Vienne, M. de Meyendorff à Berlin, et même vos plus petits agents, dans les plus petits endroits sont remarquablement polis et soigneux depuis un mois avec les agents français, beaucoup plus qu’avant. En savez-vous quelque chose ? Et qu’est-ce que cela veut dire, si cela veut dire quelque chose, ce que je ne crois pas ?
Lord Melbourne est venu hier à Londres. Mais il n’a pas que dîner à Holland house. Il est retenu chez lui par un fort lumbago.
2 heures
Je reviens de Regent’s park. Je marchais dans Portland Place, les yeux baissés. Je les lève et je vois devant moi, assez loin une femme en noir, grande mince, un chapeau blanc, un petit voile, un mantelet de velours noir. Elle a paru me voir au même moment et doubler le pas. Le cœur m’a battu, mais battu ! Comme le sang vous monte au visage. On parle de l’influence du physique sur le moral. Et du moral, sur le physique, qu’en dire ? Pendant quelques minutes, toute ma personne s’est ressentie de cette idée, cette chimère, qui m’avait traversé l’esprit un quart de seconde. Vous avez très bien fait d’écrire à Paul. Vous le pouviez très convenablement après la façon dont vous vous étiez séparés, et dès lors vous le deviez, car vous devez ne laisser jamais échapper une occasion de lui fournir un moyen de revenir de ses torts. J’avais espéré que votre dernière entrevue, amènerait quelque chose d’un peu mieux que le simple décorum extérieur. Je crains bien qu’il ne veuille que cela. S’il vient à Paris, il faudra lui donner ce qu’il veut, et toutes les fois que vous le pourrez avec dignité, lui laisser entrevoir que, s’il voulait, il pourrait avoir davantage. Une humeur très égale, une douceur un peu triste, mais calme et persévérante, finiront peut-être par réveiller dans ce cœur là quelques uns des sentiments qui devraient y être. Comment ne m’aviez-vous pas dit que vous lui aviez écrit ? Le Chêne et le cèdre sont également sages. Ils écrivent, l’un et l’autre, très rarement à 21, et toujours avec une réserve prévoyante. Ce serait une triste et curieuse histoire que celle des rapports du hêtre avec 99, et qui ferait pénétrer bien avant dans les plus fins et plus profonds replis du cœur humain. Les mêmes passions, les mêmes faiblesses qui dominent sans pudeur comme sans combat, dans les natures grossières et basses, pénètrent souvent, par de très longs détours et après, des transformations infinies, dans les natures hautes et délicates. C’est là, dit-on de quoi dégoûter des hommes. Je ne le trouve pas. J’ai rencontré bien des coeurs légers, mais aussi des cœurs fidèles. J’ai vu tomber bien des gens ; j’en ai vu qui sont restés debout. Un seul bel exemple compense et efface presque à mes yeux, des milliers d’exemples tristes. Et là même où le mal se glisse, tout le bien ne périt pas. L’âme peut accueillir de mauvais et petits sentiments, et pourtant rester noble encore.
L’expérience de la vie m’a appris à beaucoup dédaigner et à rester juste. Je suis devenu plus exigeant à part moi, et plus indulgent dans presque toutes mes relations. Je me donne bien moins et je pardonne bien davantage. Et puis pour croire à la lumière, et pour en jouir, je n’ai pas besoin qu’il y ait au ciel des millions d’étoiles ; mon soleil me suffit. J’ai vu plusieurs personnes ce matin. Il me semble que l’inquiétude est réelle ici et va croissant. Hier soir chez Mad. de Björstierna, Neumann me disait, avec quelque componction, que certainement, si l’on avait prévu tout cela, on aurait fait autrement. Easthope sort d’ici, très inquiet, et répétant qu’il faut qu’on fasse quelque chose pour calmer la France. Nous verrons. Cette situation ne peut plus se prolonger beaucoup. Adieu. Que je passerais doucement de longues heures à causer avec vous ! Et les interruptions mille fois plus douces encore que les causeries. Adieu Adieu.
9 heures
Mardi est votre mauvais jour. Jeudi est mon jour médiocre. Le mardi, vous m’écrivez plus brièvement ; vous n’avez pas en m’écrivant, le sentiment d’espérance ou de satisfaction qui anime et prolonge l’entretien. Comme nous regardons à tout ! Il n’y a rien de petit pour nous et entre nous. Je dis nous ; vous avez bien raison, tout est pareil entre nous ; nous n’avons rien à nous demander. Nous nous savons. Décidément les Holland partent aujourd’hui pour Brighton. J’ai été leur faire mes adieux hier au soir. Pour huit ou dix jours. Je dis décidément parce qu’on le disait. Ils pourraient bien être encore retenus ou bientôt rappelés. Il y aura peut-être un nouveau conseil de Cabinet après-demain samedi ou lundi. La gravité de la situation se fait sentir et je la fais valoir. On cherche sérieusement un moyen de calmer la France et de se rapprocher. Les plus raides eux-mêmes le cherchent. Il faut le trouver pendant que le traité s’exécute. Il faut se rapprocher au bruit du canon qui vient frapper les cœurs en France, sinon les corps. C’est difficile. Cependant, pourvu qu’on ne fasse pas de folie à Paris, je crois toujours qu’on finira par là. Moi aussi, j’attends la convocation des Chambres. Il faut au moins vingt jours de délai. Cela porte aux premiers jours de Novembre. Du reste, officiellement je n’en sais absolument rien.
C’est le peintre qui n’a pas voulu que je le regardasse. Car, pour vous regarder vous ; il aurait fallu le regarder lui, et tout le monde, et de la même manière. Il a dit qu’il valait mieux ne regarder personne et penser à quelque chose. Moi, je dis à quelqu’un. Pour être vrai cependant, je crois que c’est à quelque chose que pense mon portrait. Grand défaut de ressemblance. Hier soir en revenant de Holland house, j’ai été passer une demi-heure chez Mad. de Björstierna, soirée invitée. Tout ce qu’il y a ici de diplomates grands ou petits, et quatre ou cinq Anglais. J’ai joué au Whist. M. de Brünnow est toujours assez malade, et vraiment très changé. Je l’ai rencontré, il y a trois jours comme je faisais à pied ; le tour de Hyde park, ce tour que nous avons fait souvent le soir en calèche. Il se promenait aussi à pied. Il s’est joint à moi, avec un grand empressement et n’a pas voulu me quitter qu’il ne m’ait reconduit jusqu’à ma porte. On m’écrit que M. de Tatischeff à Vienne, M. de Meyendorff à Berlin, et même vos plus petits agents, dans les plus petits endroits sont remarquablement polis et soigneux depuis un mois avec les agents français, beaucoup plus qu’avant. En savez-vous quelque chose ? Et qu’est-ce que cela veut dire, si cela veut dire quelque chose, ce que je ne crois pas ?
Lord Melbourne est venu hier à Londres. Mais il n’a pas que dîner à Holland house. Il est retenu chez lui par un fort lumbago.
2 heures
Je reviens de Regent’s park. Je marchais dans Portland Place, les yeux baissés. Je les lève et je vois devant moi, assez loin une femme en noir, grande mince, un chapeau blanc, un petit voile, un mantelet de velours noir. Elle a paru me voir au même moment et doubler le pas. Le cœur m’a battu, mais battu ! Comme le sang vous monte au visage. On parle de l’influence du physique sur le moral. Et du moral, sur le physique, qu’en dire ? Pendant quelques minutes, toute ma personne s’est ressentie de cette idée, cette chimère, qui m’avait traversé l’esprit un quart de seconde. Vous avez très bien fait d’écrire à Paul. Vous le pouviez très convenablement après la façon dont vous vous étiez séparés, et dès lors vous le deviez, car vous devez ne laisser jamais échapper une occasion de lui fournir un moyen de revenir de ses torts. J’avais espéré que votre dernière entrevue, amènerait quelque chose d’un peu mieux que le simple décorum extérieur. Je crains bien qu’il ne veuille que cela. S’il vient à Paris, il faudra lui donner ce qu’il veut, et toutes les fois que vous le pourrez avec dignité, lui laisser entrevoir que, s’il voulait, il pourrait avoir davantage. Une humeur très égale, une douceur un peu triste, mais calme et persévérante, finiront peut-être par réveiller dans ce cœur là quelques uns des sentiments qui devraient y être. Comment ne m’aviez-vous pas dit que vous lui aviez écrit ? Le Chêne et le cèdre sont également sages. Ils écrivent, l’un et l’autre, très rarement à 21, et toujours avec une réserve prévoyante. Ce serait une triste et curieuse histoire que celle des rapports du hêtre avec 99, et qui ferait pénétrer bien avant dans les plus fins et plus profonds replis du cœur humain. Les mêmes passions, les mêmes faiblesses qui dominent sans pudeur comme sans combat, dans les natures grossières et basses, pénètrent souvent, par de très longs détours et après, des transformations infinies, dans les natures hautes et délicates. C’est là, dit-on de quoi dégoûter des hommes. Je ne le trouve pas. J’ai rencontré bien des coeurs légers, mais aussi des cœurs fidèles. J’ai vu tomber bien des gens ; j’en ai vu qui sont restés debout. Un seul bel exemple compense et efface presque à mes yeux, des milliers d’exemples tristes. Et là même où le mal se glisse, tout le bien ne périt pas. L’âme peut accueillir de mauvais et petits sentiments, et pourtant rester noble encore.
L’expérience de la vie m’a appris à beaucoup dédaigner et à rester juste. Je suis devenu plus exigeant à part moi, et plus indulgent dans presque toutes mes relations. Je me donne bien moins et je pardonne bien davantage. Et puis pour croire à la lumière, et pour en jouir, je n’ai pas besoin qu’il y ait au ciel des millions d’étoiles ; mon soleil me suffit. J’ai vu plusieurs personnes ce matin. Il me semble que l’inquiétude est réelle ici et va croissant. Hier soir chez Mad. de Björstierna, Neumann me disait, avec quelque componction, que certainement, si l’on avait prévu tout cela, on aurait fait autrement. Easthope sort d’ici, très inquiet, et répétant qu’il faut qu’on fasse quelque chose pour calmer la France. Nous verrons. Cette situation ne peut plus se prolonger beaucoup. Adieu. Que je passerais doucement de longues heures à causer avec vous ! Et les interruptions mille fois plus douces encore que les causeries. Adieu Adieu.
434. Londres, Vendredi 9 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
434. Londres, Vendredi 9 octobre 1840
9 heures
Je ne veux dire à personne, pas même à vous, pas même à moi. même, de quelle impatience je suis dévoré. J’attendais un courrier ce matin. Il ne vient pas. Je vois dans les journaux anglais que les Chambres sont convoquées, pour le 28 octobre. Dans vingt jours ! Et d’ici là, que se passera-t-il ? Que va-t-on m’envoyer, me donner à dire, à faire ici ? Je persiste à croire à la paix très décidément. Il faudra encore bien des méprises pour amener la guerre. J’espère qu’il n’y en aura pas assez, de part ni d’autre. Dans vingt jours enfin. J’ai le cœur et l’esprit pleins, pleins ! Quel moment que l’ouverture des Chambres si tout est encore en suspens ! Vous vous porterez bien, n’est-ce pas ? Je n’aurai pas à m’inquiêter sur vous ? Je vous quitte. Je ne puis pas parler.
3 heures
Ma disposition est toujours la même. Je veux pourtant vous parler. On est inquiet ici. Je ne veux pas dire très inquiet. On n’est jamais très inquiet. On est très brave et très en sureté. C’est heureux d’être une grande nation avec l’Océan pour enceinte continue. Mais on redoute réellement, sinon les périls du moins les maux de la guerre. Et puis, on n’a nul goût pour une rupture avec la France ; on tient vraiment à vivre en paix et en amitié avec la France. Cela est profitable et cela a bon air. Les deux grands pays civilisés ; two gentlemen-countries. Et puis encore, au fond du cœur, on aurait honte d’une guerre si peu motivée, amenée uniquement parce qu’on ne l’aurait pas prévue, parce qu’on ne l’aurait pas crue possible. Car si on l’avait crue possible, on n’aurait certainement pas fait ce qui peut l’amener. Voilà la disposition au vrai. Je ne puis pas ne pas croire qu’on peut encore en tirer parti et sortir de cet abominable défilé. Mais, dans les actes et les paroles, la nuance est délicate et indispensable à saisir. En même temps qu’on a envie d’éviter la guerre et de s’accommoder, on est fier surceptible même. Pour rien au monde, on ne voudrait avoir, l’air de céder à la menace. On est, à cet égard, d’une préoccupation presque maladive. Ma principale inquiétude de ce moment est là. De part et d’autre, on a la peau d’une sensibilité prodigieuse. Il y faut des mains de velours. Mains rares, surtout après tant de révolutions, et de guerres.
Avoir raison au fond, et raison dans la forme, c’est beaucoup exiger. Ce sont des moments bien périlleux que ceux auxquels la perfection seule suffit. Et qui sait si la perfection même suffirait ? Je passe ma journée, en alternatives d’inquiétude et d’espérance, situation fort contraire à ma nature qui est portée à conclure, non à flotter et quand elle a conclu, à marcher ferme selon sa conclusion. Par mon instinct je dirai plus par mon expérience, j’ai confiance, grande confiance dans le courage au service du bon sens. Mais l’épreuve peut être bien rude. Et encore je ne vois les obstacles que de loin.
Je désire beaucoup, en me rendant à la session, pouvoir aller prendre ma mère et mes enfans au Val-Richer et les ramener avec moi à Paris. Je respirerais deux ou trois jours l’air de la campagne. Je ferais ce que vous me conseillez et j’arriverais un peu reposé. Car j’arriverai. C’est encore une chose dont je ne peux pas parler. Je n’ai point de petite nouvelle à vous mander. Je me trompe. M. de Brünnow, vient de m’écrire pour me prier d’aller après-demain prendre du thé et jouer au Whist à Ashburnham house. Je ne suis encore entré qu’une fois dans cette maison Ià, et certes pas avec indifférence. Unir à ce point dans le présent et étrangers, dans le passé, cela ne vous semble-t-il pas impossible ? Le comte de Noé est venu me voir il y a deux jours, m’apportant la nouvelle que Mad. Sébastiani était morte, morte à Richmond, au Star and Garter. C’est Mad. Bathiany qui est morte là. Voilà l’ordonnance de convocation, des chambres dans la seconde édition du Morning Post. C’est bien pour le 28. Adieu. Adieu.
9 heures
Je ne veux dire à personne, pas même à vous, pas même à moi. même, de quelle impatience je suis dévoré. J’attendais un courrier ce matin. Il ne vient pas. Je vois dans les journaux anglais que les Chambres sont convoquées, pour le 28 octobre. Dans vingt jours ! Et d’ici là, que se passera-t-il ? Que va-t-on m’envoyer, me donner à dire, à faire ici ? Je persiste à croire à la paix très décidément. Il faudra encore bien des méprises pour amener la guerre. J’espère qu’il n’y en aura pas assez, de part ni d’autre. Dans vingt jours enfin. J’ai le cœur et l’esprit pleins, pleins ! Quel moment que l’ouverture des Chambres si tout est encore en suspens ! Vous vous porterez bien, n’est-ce pas ? Je n’aurai pas à m’inquiêter sur vous ? Je vous quitte. Je ne puis pas parler.
3 heures
Ma disposition est toujours la même. Je veux pourtant vous parler. On est inquiet ici. Je ne veux pas dire très inquiet. On n’est jamais très inquiet. On est très brave et très en sureté. C’est heureux d’être une grande nation avec l’Océan pour enceinte continue. Mais on redoute réellement, sinon les périls du moins les maux de la guerre. Et puis, on n’a nul goût pour une rupture avec la France ; on tient vraiment à vivre en paix et en amitié avec la France. Cela est profitable et cela a bon air. Les deux grands pays civilisés ; two gentlemen-countries. Et puis encore, au fond du cœur, on aurait honte d’une guerre si peu motivée, amenée uniquement parce qu’on ne l’aurait pas prévue, parce qu’on ne l’aurait pas crue possible. Car si on l’avait crue possible, on n’aurait certainement pas fait ce qui peut l’amener. Voilà la disposition au vrai. Je ne puis pas ne pas croire qu’on peut encore en tirer parti et sortir de cet abominable défilé. Mais, dans les actes et les paroles, la nuance est délicate et indispensable à saisir. En même temps qu’on a envie d’éviter la guerre et de s’accommoder, on est fier surceptible même. Pour rien au monde, on ne voudrait avoir, l’air de céder à la menace. On est, à cet égard, d’une préoccupation presque maladive. Ma principale inquiétude de ce moment est là. De part et d’autre, on a la peau d’une sensibilité prodigieuse. Il y faut des mains de velours. Mains rares, surtout après tant de révolutions, et de guerres.
Avoir raison au fond, et raison dans la forme, c’est beaucoup exiger. Ce sont des moments bien périlleux que ceux auxquels la perfection seule suffit. Et qui sait si la perfection même suffirait ? Je passe ma journée, en alternatives d’inquiétude et d’espérance, situation fort contraire à ma nature qui est portée à conclure, non à flotter et quand elle a conclu, à marcher ferme selon sa conclusion. Par mon instinct je dirai plus par mon expérience, j’ai confiance, grande confiance dans le courage au service du bon sens. Mais l’épreuve peut être bien rude. Et encore je ne vois les obstacles que de loin.
Je désire beaucoup, en me rendant à la session, pouvoir aller prendre ma mère et mes enfans au Val-Richer et les ramener avec moi à Paris. Je respirerais deux ou trois jours l’air de la campagne. Je ferais ce que vous me conseillez et j’arriverais un peu reposé. Car j’arriverai. C’est encore une chose dont je ne peux pas parler. Je n’ai point de petite nouvelle à vous mander. Je me trompe. M. de Brünnow, vient de m’écrire pour me prier d’aller après-demain prendre du thé et jouer au Whist à Ashburnham house. Je ne suis encore entré qu’une fois dans cette maison Ià, et certes pas avec indifférence. Unir à ce point dans le présent et étrangers, dans le passé, cela ne vous semble-t-il pas impossible ? Le comte de Noé est venu me voir il y a deux jours, m’apportant la nouvelle que Mad. Sébastiani était morte, morte à Richmond, au Star and Garter. C’est Mad. Bathiany qui est morte là. Voilà l’ordonnance de convocation, des chambres dans la seconde édition du Morning Post. C’est bien pour le 28. Adieu. Adieu.
435. Londres, Samedi 10 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
435. Londres, Samedi 10 octobre 1840
8 heures
Il est impossible que je n’aie pas un courrier ce matin. Il m’apportera sans doute la note qui a dû être adoptée dans le conseil de Mercredi. Si elle est rédigée avec mesure et habileté, elle peut ouvrir la porte à un arrangement, car on cherche une porte. Si elle a un caractère de défi et d’intimidation, elle aggravera le mal, car c’est sur ce point que, dans ce moment, les imaginations ici sont excitées et susceptibles. Il y a un an, on se promettait tout haut to bully in la France. Aujourd’hui, ce qu’on craint, c’est d’avoir l’air lo be bullied in par la France.
Que les hommes ont peu d’esprit ! S’ils voyaient les choses, s’ils se voyaient eux-mêmes comme ils sont réellement que de querelles tomberaient avec les méprises ! J’espère que la note sera bien. Je suis certainement très perplexe, mais perplexe sur les événements, pas du tout sur moi- même. Je n’ai pas la moindre hésitation de jugement et de conduite. Mon avis est arrêté, mon chemin tracé, mon parti pris. Jamais ma devise ne m’a paru plus vraie et plus commode. Un brouillard, ce matin comme je n’en ai pas encore vu à Londres. J’aperçois à peine la grille de ma cour. Un brouillard, d’un blanc jaune fade. Un petit soleil rouge-pâle, collé sur le ciel comme un pain à cacheter. Je ne sais comment les gens s’en tirent dans les rues.
A Paris on parle encore, on s’appelle, on s’avertit. Ici toujours le silence dans la foule et le mouvement. Comme je ne vois rien, de même je n’entends personne. Je suppose qu’on se heurte beaucoup et qu’on reprend son chemin, sans se rien dire. Il faut que la vie sociale soit une bien bonne chose pour se maintenir si forte et si active entre des gens qui y prennent si peu de peine et si peu de plaisir. Hier soir Neumann, Pollon, Moncorvo, Celto, Van de Weyer, Schleinitz. Et parmi les petits, s’il y a des grands, tous les secrétaires et attachés de l’Autriche. Koller Esterhazy, Lebzeltern, avec une intention marquée d’empressement.
Ce soir à Ashburnham house, j’engagerai M. de Brünnow à venir. Je ne l’avais pas encore fait. Dedel est venu le matin. Nous avons beaucoup causé. Il regrette son vieux Roi. moi, je trouve sa proclamation (au Roi) admirable. Grave simple et résolue. On n’a jamais abdiqué plus galamment : " Je suis fatigué. Et puis la façon dont on me demande à présent de gouverner ne me convient pas. J’ai consenti à ce qu’on désirait. Mais pour le pratiquer, il faudrait changer mes habitudes. Je suis trop vieux. " On dit qu’il n’épousera pas Melle d’Outremont ; qu’après un voyage à Berlin, il reviendra vivre à Harlem, dans un joli pavillon qui lui appartient. On donne pour preuve du non-mariage, qu’il garde auprès de lui toutes les dames de la feue Reine. Moi, je parie pour le mariage.
Une heure
J’ai eu mon courrier et cette note dont je crois que le résultat, sera pacifique. J’ai écrit sur le champ à lord Palmerston pour lui demander à le voir avant le conseil. Il doit revenir ce matin de Penshänger. Cette absence perpétuelle n’est pas commode. Oui certainement je serai à Paris au début de la session. L’adresse ne peut pas se discuter sans moi. J’ai besoin d’y être, pour mon compte autant. qu’on a besoin que j’y sois pour le compte de la discussion. Je vous ai dit hier mon projet, quelques jours au Val-Richer, puis Paris. Paris ! Je vis depuis le 6 septembre, dans une cruelle anxiété sur le moment où j’irai à Paris.
Vous avez raison ; on devrait ne jamais accepter la moindre illusion. Mais cela ne se peut pas. On ne s’avoue jamais, sur ce qu’on désire ardemment toutes les difficultés, tous les doutes. Je dis les doutes parce que c’est là le vrai. Quand nous nous sommes séparés, le moment possible de mon retour à Paris était douteux, et nous aurions dû nous le dire. Mais nous ne nous serions pas arrêtés dans le doute. Nous aurions tenu le mal pour certain, et nous ne voulions pas. Ne dites rien, je vous prie sur M. O. Barrot. A part moi, je suis très décidé. Mais je ne sais pas à quel moment je placerai la publicité de ma décision, ni quel degré de publicité je lui donnerai. Si le Cabinet doit tomber, je veux être absolument étranger à sa chute aux revers qui amèneront sa chute. Bien rester dans ma ligne à moi, et m’y trouver bien debout si les événements viennent m’y chercher voilà à quoi je m’applique. Je ne veux pas faire les événements qui pourraient venir m’y chercher, ni qu’on puisse seulement supposer que j’ai voulu les faire. Vous avez très bien répondu à Mad.12
Adieu. Adieu. Je tourne le dos à ma gravure. J’en suis même de loin, à l’autre bout du Cabinet. Adieu. Adieu.
8 heures
Il est impossible que je n’aie pas un courrier ce matin. Il m’apportera sans doute la note qui a dû être adoptée dans le conseil de Mercredi. Si elle est rédigée avec mesure et habileté, elle peut ouvrir la porte à un arrangement, car on cherche une porte. Si elle a un caractère de défi et d’intimidation, elle aggravera le mal, car c’est sur ce point que, dans ce moment, les imaginations ici sont excitées et susceptibles. Il y a un an, on se promettait tout haut to bully in la France. Aujourd’hui, ce qu’on craint, c’est d’avoir l’air lo be bullied in par la France.
Que les hommes ont peu d’esprit ! S’ils voyaient les choses, s’ils se voyaient eux-mêmes comme ils sont réellement que de querelles tomberaient avec les méprises ! J’espère que la note sera bien. Je suis certainement très perplexe, mais perplexe sur les événements, pas du tout sur moi- même. Je n’ai pas la moindre hésitation de jugement et de conduite. Mon avis est arrêté, mon chemin tracé, mon parti pris. Jamais ma devise ne m’a paru plus vraie et plus commode. Un brouillard, ce matin comme je n’en ai pas encore vu à Londres. J’aperçois à peine la grille de ma cour. Un brouillard, d’un blanc jaune fade. Un petit soleil rouge-pâle, collé sur le ciel comme un pain à cacheter. Je ne sais comment les gens s’en tirent dans les rues.
A Paris on parle encore, on s’appelle, on s’avertit. Ici toujours le silence dans la foule et le mouvement. Comme je ne vois rien, de même je n’entends personne. Je suppose qu’on se heurte beaucoup et qu’on reprend son chemin, sans se rien dire. Il faut que la vie sociale soit une bien bonne chose pour se maintenir si forte et si active entre des gens qui y prennent si peu de peine et si peu de plaisir. Hier soir Neumann, Pollon, Moncorvo, Celto, Van de Weyer, Schleinitz. Et parmi les petits, s’il y a des grands, tous les secrétaires et attachés de l’Autriche. Koller Esterhazy, Lebzeltern, avec une intention marquée d’empressement.
Ce soir à Ashburnham house, j’engagerai M. de Brünnow à venir. Je ne l’avais pas encore fait. Dedel est venu le matin. Nous avons beaucoup causé. Il regrette son vieux Roi. moi, je trouve sa proclamation (au Roi) admirable. Grave simple et résolue. On n’a jamais abdiqué plus galamment : " Je suis fatigué. Et puis la façon dont on me demande à présent de gouverner ne me convient pas. J’ai consenti à ce qu’on désirait. Mais pour le pratiquer, il faudrait changer mes habitudes. Je suis trop vieux. " On dit qu’il n’épousera pas Melle d’Outremont ; qu’après un voyage à Berlin, il reviendra vivre à Harlem, dans un joli pavillon qui lui appartient. On donne pour preuve du non-mariage, qu’il garde auprès de lui toutes les dames de la feue Reine. Moi, je parie pour le mariage.
Une heure
J’ai eu mon courrier et cette note dont je crois que le résultat, sera pacifique. J’ai écrit sur le champ à lord Palmerston pour lui demander à le voir avant le conseil. Il doit revenir ce matin de Penshänger. Cette absence perpétuelle n’est pas commode. Oui certainement je serai à Paris au début de la session. L’adresse ne peut pas se discuter sans moi. J’ai besoin d’y être, pour mon compte autant. qu’on a besoin que j’y sois pour le compte de la discussion. Je vous ai dit hier mon projet, quelques jours au Val-Richer, puis Paris. Paris ! Je vis depuis le 6 septembre, dans une cruelle anxiété sur le moment où j’irai à Paris.
Vous avez raison ; on devrait ne jamais accepter la moindre illusion. Mais cela ne se peut pas. On ne s’avoue jamais, sur ce qu’on désire ardemment toutes les difficultés, tous les doutes. Je dis les doutes parce que c’est là le vrai. Quand nous nous sommes séparés, le moment possible de mon retour à Paris était douteux, et nous aurions dû nous le dire. Mais nous ne nous serions pas arrêtés dans le doute. Nous aurions tenu le mal pour certain, et nous ne voulions pas. Ne dites rien, je vous prie sur M. O. Barrot. A part moi, je suis très décidé. Mais je ne sais pas à quel moment je placerai la publicité de ma décision, ni quel degré de publicité je lui donnerai. Si le Cabinet doit tomber, je veux être absolument étranger à sa chute aux revers qui amèneront sa chute. Bien rester dans ma ligne à moi, et m’y trouver bien debout si les événements viennent m’y chercher voilà à quoi je m’applique. Je ne veux pas faire les événements qui pourraient venir m’y chercher, ni qu’on puisse seulement supposer que j’ai voulu les faire. Vous avez très bien répondu à Mad.12
Adieu. Adieu. Je tourne le dos à ma gravure. J’en suis même de loin, à l’autre bout du Cabinet. Adieu. Adieu.
436. Londres, Dimanche 11 oct. 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
436. Londres, Dimanche 11 octobre 1840
5 heures
Une occasion pour Calais. J’aime à vous donner ces plaisirs inattendus. Jusqu’à ce que viennent les plaisirs attendus, tous les jours à heure fixe. C’est un grand bonheur et une vive préoccupation que la place à trouver dans une vie politique tes pleine, pour une autre vie bien plus profonde et plus douce. J’y pense beaucoup. Je suis très inquich surtout du dedans. Je vois recommencer 1831 terrible époque où il a fallu une énorme dépense de jugement, de talent, de courage. M. Périer est mort à la peine. Je lis les journaux avec grand soin le National, le Courrier, le Siècle ; la fièvre révolutionnaire et la complaisance révolutionnaire. Je connais tout cela. Ce sont de vieux revenants mais toujours bien redoutables. Rien ne meurt en ce monde, que les personnes. Quand un grand mal a éclaté, quand un grand combat a commencé, il recommence tous les matins, pendant un siècle, comme le soleil se lève. On croit le soir qu’on pourra se reposer. Il faut être en armes, et rentrer en lutte le lendemain. Je crains la fatigue de beaucoup de vieux soldats.
La note que j’ai remisé hier produit ici, un effet de conciliation. Le Cabinet en a été très content. Lord Palmerston est retourné le soir à Penshänger. Il en revient demain, à ce qu’on m’assure. Je viens de voir le baron de Capellen, arrivé ce matin. J’ai fait vos amitiés à Dedel. Il n’y avait pas hier assez de soins, assez de graces pour moi, chez M. de Brünnow. Il m’a fallu choisir mes compagnons de Whist, un à un. Il ne voulait me donner personne que sûr de me plaire. Mad. de Brünnow en grands frais d’esprit. Mad. Kreptowitch est venue se tenir debout un quart d’heure, à côté de ma chaise, pour me porter bonheur. Rien que le monde diplomatique.
Si ce monde là avait vu en moi, il m’aurait trouvé bien loin de lui. Une pensée ne m’a pas quitte, pas un instant, dans cette maison ; une pensée pleine de tendresse et de tristesse, et de regret, et de désir. Ah, que de temps perdu dans la vie ! J’ai engagé M. de Brünnow à mes mardi et vendredi. J’y engagerai M. Kreptowitch, M. de Brünnow. recevra tour les samedi. L’heure me presse. Je vous quitte Adieu. Adieu. Sans fin d’ici à trois semaines.
5 heures
Une occasion pour Calais. J’aime à vous donner ces plaisirs inattendus. Jusqu’à ce que viennent les plaisirs attendus, tous les jours à heure fixe. C’est un grand bonheur et une vive préoccupation que la place à trouver dans une vie politique tes pleine, pour une autre vie bien plus profonde et plus douce. J’y pense beaucoup. Je suis très inquich surtout du dedans. Je vois recommencer 1831 terrible époque où il a fallu une énorme dépense de jugement, de talent, de courage. M. Périer est mort à la peine. Je lis les journaux avec grand soin le National, le Courrier, le Siècle ; la fièvre révolutionnaire et la complaisance révolutionnaire. Je connais tout cela. Ce sont de vieux revenants mais toujours bien redoutables. Rien ne meurt en ce monde, que les personnes. Quand un grand mal a éclaté, quand un grand combat a commencé, il recommence tous les matins, pendant un siècle, comme le soleil se lève. On croit le soir qu’on pourra se reposer. Il faut être en armes, et rentrer en lutte le lendemain. Je crains la fatigue de beaucoup de vieux soldats.
La note que j’ai remisé hier produit ici, un effet de conciliation. Le Cabinet en a été très content. Lord Palmerston est retourné le soir à Penshänger. Il en revient demain, à ce qu’on m’assure. Je viens de voir le baron de Capellen, arrivé ce matin. J’ai fait vos amitiés à Dedel. Il n’y avait pas hier assez de soins, assez de graces pour moi, chez M. de Brünnow. Il m’a fallu choisir mes compagnons de Whist, un à un. Il ne voulait me donner personne que sûr de me plaire. Mad. de Brünnow en grands frais d’esprit. Mad. Kreptowitch est venue se tenir debout un quart d’heure, à côté de ma chaise, pour me porter bonheur. Rien que le monde diplomatique.
Si ce monde là avait vu en moi, il m’aurait trouvé bien loin de lui. Une pensée ne m’a pas quitte, pas un instant, dans cette maison ; une pensée pleine de tendresse et de tristesse, et de regret, et de désir. Ah, que de temps perdu dans la vie ! J’ai engagé M. de Brünnow à mes mardi et vendredi. J’y engagerai M. Kreptowitch, M. de Brünnow. recevra tour les samedi. L’heure me presse. Je vous quitte Adieu. Adieu. Sans fin d’ici à trois semaines.
437. Londres, Lundi 12 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
437. Londres, lundi 12 octobre 1840
2 heures
Vous ne serez pas contente de ma lettre d’aujourd’hui. J’ai bien peur qu’elle ne soit courte, et vide aussi. J’ai travaillé toute la matinée. Je viens de chez lord Melbourne. J’irai tout à l’heure chez lord Palmerston. Bien des choses et bien des gens se remuent. Nous verrons le résultat. Je suis las d’attendre et de prédire. D’attendre surtout, car pour prédire, je n’en ai pas abusé. Je parie encore pour beaucoup de longueurs. Comme toujours, on est plein ici de présomption et d’illusion Parce qu’on a bombardé Beyrouth et débarqué 6000 Turcs, on se croit maître de la Syrie. Des renseignements, qui méritent au moins autant de confiance que ceux dont on se prévaut, me donnent lieu de croire qu’eût-on fait partout, sur le littorab, ce qu’on a fait à Beyrouth, on ne serait pas si avancé, tant s’en faut. Ibrahim et Soliman-Pacha se promettent de tenir très ferme dans l’intérieur, et de faire durer la guerre. Napier lui-même dans ses rapports officiels donnés à Ibrahim 120 000 hommes.
En vérité jamais plus de passions, n’ont été excitées, et de hasards courus pour un si mince motif. Hier soir à Holland house. Nous sommes de mieux en mieux. Lady Holland et moi. Il y a quelque temps, elle m’a demandé, la gravure de mon portrait. Je la lui ai envoyée hier. Elle a été charmée. J’ai envie qu’on me mette dans l’escalier au dessus de vous. J’y dîne aujourd’hui. Ils ne retournent pas à Brighton. Il y a conseil de Cabinet Jeudi.
J’ai fait connaissance hier avec lord Ebrington, qui a l’air d’un bien bon et honnête homme. Il arrive d’Irlande et me paraît fort peu préoccupé du bruit pour le repeal. Il y a bien du bruit partout. J’ai de très bonnes nouvelles du Val-Richer. Mes enfants, deux surtout ont été assez longtemps languissants, après la jaunisse. Ils sont très bien à présent. J’espère toujours aller les prendre et les ramener avec moi à Paris. J’aime bien 448.
J’aime bien vos inquiétudes, vos ombrages, vos susceptibilités. Je m’explique bien des choses, quelques unes tristes, toutes bien petites. C’est dommage. Mad. 62 avait plus de grandeur que 20. Il a le cœur élevé rien de grand. Quant à 1, il s’ignore beaucoup lui-même comme il ignore les autres. Je répète à son sujet, ce que je disais l’autre jour, à propos de 99, mais dans un bien moindre degré. Que Dieu me garde quelque chose de complet et d’immuable ! Je supporterai sans la moindre humeur les imperfections et ces vicissitudes, des relations humaines. C’est bien solennel ce langage là ; pas plus solennel que les sentiments qui me fait parler. J’ai vu que votre belle sœur avait fait route de Pétersbourg au Havre avec Mauguin. Il lui aura dit d’étranges choses. Il a assez d’esprit pour faire croire à ceux qui n’en ont pas, qu’il en a beaucoup. J’ai été dérangé deux fois en vous écrivant. Il faut que je sorte. Adieu Votre adieu.
2 heures
Vous ne serez pas contente de ma lettre d’aujourd’hui. J’ai bien peur qu’elle ne soit courte, et vide aussi. J’ai travaillé toute la matinée. Je viens de chez lord Melbourne. J’irai tout à l’heure chez lord Palmerston. Bien des choses et bien des gens se remuent. Nous verrons le résultat. Je suis las d’attendre et de prédire. D’attendre surtout, car pour prédire, je n’en ai pas abusé. Je parie encore pour beaucoup de longueurs. Comme toujours, on est plein ici de présomption et d’illusion Parce qu’on a bombardé Beyrouth et débarqué 6000 Turcs, on se croit maître de la Syrie. Des renseignements, qui méritent au moins autant de confiance que ceux dont on se prévaut, me donnent lieu de croire qu’eût-on fait partout, sur le littorab, ce qu’on a fait à Beyrouth, on ne serait pas si avancé, tant s’en faut. Ibrahim et Soliman-Pacha se promettent de tenir très ferme dans l’intérieur, et de faire durer la guerre. Napier lui-même dans ses rapports officiels donnés à Ibrahim 120 000 hommes.
En vérité jamais plus de passions, n’ont été excitées, et de hasards courus pour un si mince motif. Hier soir à Holland house. Nous sommes de mieux en mieux. Lady Holland et moi. Il y a quelque temps, elle m’a demandé, la gravure de mon portrait. Je la lui ai envoyée hier. Elle a été charmée. J’ai envie qu’on me mette dans l’escalier au dessus de vous. J’y dîne aujourd’hui. Ils ne retournent pas à Brighton. Il y a conseil de Cabinet Jeudi.
J’ai fait connaissance hier avec lord Ebrington, qui a l’air d’un bien bon et honnête homme. Il arrive d’Irlande et me paraît fort peu préoccupé du bruit pour le repeal. Il y a bien du bruit partout. J’ai de très bonnes nouvelles du Val-Richer. Mes enfants, deux surtout ont été assez longtemps languissants, après la jaunisse. Ils sont très bien à présent. J’espère toujours aller les prendre et les ramener avec moi à Paris. J’aime bien 448.
J’aime bien vos inquiétudes, vos ombrages, vos susceptibilités. Je m’explique bien des choses, quelques unes tristes, toutes bien petites. C’est dommage. Mad. 62 avait plus de grandeur que 20. Il a le cœur élevé rien de grand. Quant à 1, il s’ignore beaucoup lui-même comme il ignore les autres. Je répète à son sujet, ce que je disais l’autre jour, à propos de 99, mais dans un bien moindre degré. Que Dieu me garde quelque chose de complet et d’immuable ! Je supporterai sans la moindre humeur les imperfections et ces vicissitudes, des relations humaines. C’est bien solennel ce langage là ; pas plus solennel que les sentiments qui me fait parler. J’ai vu que votre belle sœur avait fait route de Pétersbourg au Havre avec Mauguin. Il lui aura dit d’étranges choses. Il a assez d’esprit pour faire croire à ceux qui n’en ont pas, qu’il en a beaucoup. J’ai été dérangé deux fois en vous écrivant. Il faut que je sorte. Adieu Votre adieu.
438. Londres, Mardi 13 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
438. Londres, mardi 13 octobre 1840
Une heure
Vous avez toute raison ; rien n’est pas possible ; il faut répondre. Et dans la réponse, beaucoup de reconnaissance du message, beaucoup de dédain pour la lettre. Qu’avez-vous besoin d’insister sur une satisfaction quant à M. de Brünnow ? Laissez tomber M. de Brünnow.
Je suis grand partisan du dédain, pourvu qu’on sache selon l’occasion, unir ou séparer les deux ingrédients dont il se compose. Il y a dans le dédain, du mépris et de l’indifférence. Le mépris blesse, l’indifférence embarrasse ; par le mépris, on se sépare par l’indifférence, on prend le haut du pavé. Il faut tantôt laisser ces deux éléments du dédain ensemble, tantôt n’en montrer qu’un, l’un ou l’autre. Sur M. de Brünnow faites les peser tous les deux ; avec votre frère, seulement le dernier. Cela convient et suffit. Après cela, et pour cette fois, rien de plus. D’abord parce que le moment est bien critique et toute parole bien délicate. Ensuite parce qu’il faut se faire désirer et ne pas se montrer pressé. Voilà mon avis, court et clair, n’est-ce pas ? Je vous en dirai bientôt davantage et vous aussi, vous en direz davantage ailleurs.
Quel beau moment ! Je me sens sur une vague propice qui s’enfle sous moi d’heure en heure, et m’élève et me porte à l’objet de mon désir. Votre frère ne trouverait-il pas que c’est là une belle phrase ?
Au fond, je suis bien aise du message et même de la lettre, toute sotte qu’elle est. Elle l’est beaucoup. Renoncez à vous faire comprendre de ce monde là. Acceptez avec eux les inévitables oscillations de relation et de manière. Vous aurez tantôt à vous offenser, tantôt à oublier. Vous suspendrez aujourd’hui, vous reprendrez demain. Ayez du dédain toujours ; montrez-en quelquefois. De la colère, jamais. Pas plus de confiance que de colère. Et le temps se passe dans ce va-et-vient de rapports alternativement bous ou mauvais, toujours supérficiels et qu’il ne faut pas rendre hostiles, un peu par esprit de justice, beaucoup par prudence, et en dernière analyse encore par dédain.
Je n’avais pas attendu votre lettre pour admirer M. Mauguin protégeant Mad. de Benckendorff. Les journaux l’ont affichée. Je n’aurais pourtant pas devinée, la malle poste. J’ai un peu peur pour la paix si M. M. la prend aussi sous sa protection. Dans la Chambre, il a pendant quatre ans porté malheur à la guerre. Il la décriait en la recommandant Mais ne me brouillez pas avec lui en répétant ce que je vous dis là. Il deviendra peut-être, il est peut-être déjà puissant quelque part. C’est un sot avec de l’esprit. Ils n’en manquent pas tous. Vous lirez dans les journaux la grande réponse que j’ai remise hier à lord Palmerston Elle est déjà ce matin dans le Times et le Morning Herald. C’est trop tôt. Ils l’ont eue de Paris, je ne sais comment, ni pourquoi. Elle n’y est pas correcte ; mais enfin, elle y est. Il y a de bonnes parties, concluantes, et spirituellement rédiger. Je regrette qu’elle ne soit pas venue trois semaines plutôt. Ici comme à Paris, on espère un arrangement et on y travaille. Certainement il y a moyen. Je me flatte que cela suffit pour qu’il y ait chance. Je persiste toujours, toujours, dans mon opinion générale.
4 heures
J’ai été dérangé quatre fois en vous écrivant. Pollon, Van de Weyer, Flahaut. Bowring. Je reçois celui-ci parce qu’il me sert. Il a de l’esprit et pas uniquement de l’esprit anglais. Flahaut repart Vendredi pour Paris. Je demande aujourd’hui mon congé. N’en parlez pas, je ne veux pas que ce soit un sujet de conversation. Lord Palmerston va aujourd’hui à Windsor. Il en reviendra après-demain pour le Conseil. Il me semble que Windsor est son cabinet de travail. J’ai vu lord Melbourne. Son lumbago va mieux. Pourtant il marche encore avec une canne dans son salon. J’ai mal dormi depuis deux nuits. J’ai mal à la tête. Un peu de fatigue. Je me défends très bien et très longtemps de l’agitation. Quand elle me gagne, c’est un vrai ravage dans ma nature, qui la repousse. L’agitation me choque et m’humilie, comme l’ennui.
Adieu. Adieu. J’ai énormément à écrire aujourd’hui. Je vous donne tout, mon temps. Je ne vous donne pas tout ce que je voudrais vous donner. Je vous donne adieu, l’adieu que je veux et que vous voulez aussi, n’est-ce pas ? Dites-moi encore, oui.
Une heure
Vous avez toute raison ; rien n’est pas possible ; il faut répondre. Et dans la réponse, beaucoup de reconnaissance du message, beaucoup de dédain pour la lettre. Qu’avez-vous besoin d’insister sur une satisfaction quant à M. de Brünnow ? Laissez tomber M. de Brünnow.
Je suis grand partisan du dédain, pourvu qu’on sache selon l’occasion, unir ou séparer les deux ingrédients dont il se compose. Il y a dans le dédain, du mépris et de l’indifférence. Le mépris blesse, l’indifférence embarrasse ; par le mépris, on se sépare par l’indifférence, on prend le haut du pavé. Il faut tantôt laisser ces deux éléments du dédain ensemble, tantôt n’en montrer qu’un, l’un ou l’autre. Sur M. de Brünnow faites les peser tous les deux ; avec votre frère, seulement le dernier. Cela convient et suffit. Après cela, et pour cette fois, rien de plus. D’abord parce que le moment est bien critique et toute parole bien délicate. Ensuite parce qu’il faut se faire désirer et ne pas se montrer pressé. Voilà mon avis, court et clair, n’est-ce pas ? Je vous en dirai bientôt davantage et vous aussi, vous en direz davantage ailleurs.
Quel beau moment ! Je me sens sur une vague propice qui s’enfle sous moi d’heure en heure, et m’élève et me porte à l’objet de mon désir. Votre frère ne trouverait-il pas que c’est là une belle phrase ?
Au fond, je suis bien aise du message et même de la lettre, toute sotte qu’elle est. Elle l’est beaucoup. Renoncez à vous faire comprendre de ce monde là. Acceptez avec eux les inévitables oscillations de relation et de manière. Vous aurez tantôt à vous offenser, tantôt à oublier. Vous suspendrez aujourd’hui, vous reprendrez demain. Ayez du dédain toujours ; montrez-en quelquefois. De la colère, jamais. Pas plus de confiance que de colère. Et le temps se passe dans ce va-et-vient de rapports alternativement bous ou mauvais, toujours supérficiels et qu’il ne faut pas rendre hostiles, un peu par esprit de justice, beaucoup par prudence, et en dernière analyse encore par dédain.
Je n’avais pas attendu votre lettre pour admirer M. Mauguin protégeant Mad. de Benckendorff. Les journaux l’ont affichée. Je n’aurais pourtant pas devinée, la malle poste. J’ai un peu peur pour la paix si M. M. la prend aussi sous sa protection. Dans la Chambre, il a pendant quatre ans porté malheur à la guerre. Il la décriait en la recommandant Mais ne me brouillez pas avec lui en répétant ce que je vous dis là. Il deviendra peut-être, il est peut-être déjà puissant quelque part. C’est un sot avec de l’esprit. Ils n’en manquent pas tous. Vous lirez dans les journaux la grande réponse que j’ai remise hier à lord Palmerston Elle est déjà ce matin dans le Times et le Morning Herald. C’est trop tôt. Ils l’ont eue de Paris, je ne sais comment, ni pourquoi. Elle n’y est pas correcte ; mais enfin, elle y est. Il y a de bonnes parties, concluantes, et spirituellement rédiger. Je regrette qu’elle ne soit pas venue trois semaines plutôt. Ici comme à Paris, on espère un arrangement et on y travaille. Certainement il y a moyen. Je me flatte que cela suffit pour qu’il y ait chance. Je persiste toujours, toujours, dans mon opinion générale.
4 heures
J’ai été dérangé quatre fois en vous écrivant. Pollon, Van de Weyer, Flahaut. Bowring. Je reçois celui-ci parce qu’il me sert. Il a de l’esprit et pas uniquement de l’esprit anglais. Flahaut repart Vendredi pour Paris. Je demande aujourd’hui mon congé. N’en parlez pas, je ne veux pas que ce soit un sujet de conversation. Lord Palmerston va aujourd’hui à Windsor. Il en reviendra après-demain pour le Conseil. Il me semble que Windsor est son cabinet de travail. J’ai vu lord Melbourne. Son lumbago va mieux. Pourtant il marche encore avec une canne dans son salon. J’ai mal dormi depuis deux nuits. J’ai mal à la tête. Un peu de fatigue. Je me défends très bien et très longtemps de l’agitation. Quand elle me gagne, c’est un vrai ravage dans ma nature, qui la repousse. L’agitation me choque et m’humilie, comme l’ennui.
Adieu. Adieu. J’ai énormément à écrire aujourd’hui. Je vous donne tout, mon temps. Je ne vous donne pas tout ce que je voudrais vous donner. Je vous donne adieu, l’adieu que je veux et que vous voulez aussi, n’est-ce pas ? Dites-moi encore, oui.
439. Londres, Mercredi 14 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
439. Londres, Mercredi 14 octobre 1840
9 heures
Je vous parlais hier matin de M. de Brünnow. Le soir je jouais au Whist avec lui, chez moi. Il est arrivé un des premiers et parti le dernier. Il a amène M. Koudriaffsky, M. Kreptowitch n’est pas venu parce qu’il était à la campagne. Nous sommes au mieux. La grande dépêche paraissait ici, dans le Times quelques heures après que je venais de la lire à Lord Palmerston. Cela à produit un mauvais effet. La Reine, dit Lord Palmerston a dû s’étonner de trouver sur sa table dans un journal une dépêche qu’elle devait recevoir par moi, et que je n’ai pas eu le temps de lui envoyer. Il a le droit de le dire. J’ai écrit sur le champ à Paris, ma surprise et mon regret. Il fallait un intervalle. J’espère qu’on découvrira que quelque correspondant des journaux anglais s’est procuré, je ne sais comment un exemplaire de la dépêche. Brünnnow, Dedel Capellen Moncorvo, Neumann, Björnsterna, Münchhausen. Il y a peu de variété. Ce pauvre Münchhausen est désolé. Il est rappelé, purement et simplement rappelé, sans raison et sans compensation. C’est M. de Kichmansegge qui le remplace. Les diplomates traitent presque aussi mal le Roi de Hanovre que le font les journaux.
2 heures
La vérité de ce que vous me dîtes sur le 28 me frappe beaucoup. Londres ou Paris. A moins qu’il ne me vienne de nouvelles lumières que je ne prévois pas, je choisirai entre les deux sans admettre de tiers parti, comme j’y penchais. Entre les deux, je penche pour Londres. Pensez bien à ceci. Si le cabinet doit tomber, il m’importe beaucoup, beaucoup, d’avoir été parfaitement étranger à sa chute. Je ne puis être fort dans une situation difficile qu’autant que je n’aurai contribue en rien à la créer. Hier, j’ai demandé officiellement mon congé. Je vous répète que 1 ne m’étonne pas. Et il ne faut pas plus lui en vouloir que s’en étonner. Par préoccupation, plus que par tout autre motif, il poursuit son idée sans aucune considération des personnes même amie. Si je suis bien informé, le bouleau et le peuplier son fort décidés, à ne point se laisser faire et à ne se conduire que selon leur propre avis et leur propre situation. Le chêne n’a jamais été plus fortement ému et plus profondément convaincu. L’épreuve sera bien périlleuse... et bien grande. A moins qu’après tant de bruit, il n’y ait pas d’épreuve et que tout ne finisse par une platitude. Je m’étonne qu’il n’arrive rien d’Orient. Il se pourrait bien que l’affaire traînât en longueur les Turcs sur la côte, les Égyptiens dans l’intérieur, une insurrection faiblement soulevée, à moitié réprimée ; l’hiver, les vents, les pluies la fièvre. Les événements aussi ont leurs tergiversations et leurs platitudes.
Je vous quitte. Lord Palmerston vient de Windsor passer deux heures à Londres. Il faut que je le voie. Quelle lettre ! Pas un mot de ce qui me remplit le cœur, quelque pleine que soit d’ailleurs ma vie ! Quand vous me connaîtrez, vous saurez à quel point tout le reste est superficiel, toujours, dans tous les moments. Dites-moi que vous en êtes sûre. Je croirai que vous me connaissez. Adieu.
9 heures
Je vous parlais hier matin de M. de Brünnow. Le soir je jouais au Whist avec lui, chez moi. Il est arrivé un des premiers et parti le dernier. Il a amène M. Koudriaffsky, M. Kreptowitch n’est pas venu parce qu’il était à la campagne. Nous sommes au mieux. La grande dépêche paraissait ici, dans le Times quelques heures après que je venais de la lire à Lord Palmerston. Cela à produit un mauvais effet. La Reine, dit Lord Palmerston a dû s’étonner de trouver sur sa table dans un journal une dépêche qu’elle devait recevoir par moi, et que je n’ai pas eu le temps de lui envoyer. Il a le droit de le dire. J’ai écrit sur le champ à Paris, ma surprise et mon regret. Il fallait un intervalle. J’espère qu’on découvrira que quelque correspondant des journaux anglais s’est procuré, je ne sais comment un exemplaire de la dépêche. Brünnnow, Dedel Capellen Moncorvo, Neumann, Björnsterna, Münchhausen. Il y a peu de variété. Ce pauvre Münchhausen est désolé. Il est rappelé, purement et simplement rappelé, sans raison et sans compensation. C’est M. de Kichmansegge qui le remplace. Les diplomates traitent presque aussi mal le Roi de Hanovre que le font les journaux.
2 heures
La vérité de ce que vous me dîtes sur le 28 me frappe beaucoup. Londres ou Paris. A moins qu’il ne me vienne de nouvelles lumières que je ne prévois pas, je choisirai entre les deux sans admettre de tiers parti, comme j’y penchais. Entre les deux, je penche pour Londres. Pensez bien à ceci. Si le cabinet doit tomber, il m’importe beaucoup, beaucoup, d’avoir été parfaitement étranger à sa chute. Je ne puis être fort dans une situation difficile qu’autant que je n’aurai contribue en rien à la créer. Hier, j’ai demandé officiellement mon congé. Je vous répète que 1 ne m’étonne pas. Et il ne faut pas plus lui en vouloir que s’en étonner. Par préoccupation, plus que par tout autre motif, il poursuit son idée sans aucune considération des personnes même amie. Si je suis bien informé, le bouleau et le peuplier son fort décidés, à ne point se laisser faire et à ne se conduire que selon leur propre avis et leur propre situation. Le chêne n’a jamais été plus fortement ému et plus profondément convaincu. L’épreuve sera bien périlleuse... et bien grande. A moins qu’après tant de bruit, il n’y ait pas d’épreuve et que tout ne finisse par une platitude. Je m’étonne qu’il n’arrive rien d’Orient. Il se pourrait bien que l’affaire traînât en longueur les Turcs sur la côte, les Égyptiens dans l’intérieur, une insurrection faiblement soulevée, à moitié réprimée ; l’hiver, les vents, les pluies la fièvre. Les événements aussi ont leurs tergiversations et leurs platitudes.
Je vous quitte. Lord Palmerston vient de Windsor passer deux heures à Londres. Il faut que je le voie. Quelle lettre ! Pas un mot de ce qui me remplit le cœur, quelque pleine que soit d’ailleurs ma vie ! Quand vous me connaîtrez, vous saurez à quel point tout le reste est superficiel, toujours, dans tous les moments. Dites-moi que vous en êtes sûre. Je croirai que vous me connaissez. Adieu.
440. Londres, Jeudi 15 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
440. Londres, jeudi 15 octobre 1840
8 heures
Le travail commence pour m’engager à retarder mon départ. Flahaut s’est mis à l’œuvre hier en dînant chez moi. Et aussi ce jeune Lavalette que Thiers vient de me renvoyer. Les arguments et les caresses abondent. Je réponds simplement que j’ai demandé mon congé, que le jour de mon départ de Londres et celui de mon arrivée à Paris ne sont pas fixés. Mais que je serai certainement à Paris, du 28 octobre au 2 novembre. On n’insiste pas. On recommence. Je répète Je ferai ce que je dis. J’ai écrit à Génie de dire, de ma part à M. de Broglie, que j’étais décidé, que je voulais pouvoir être à Paris, le 28 octobre si cela me paraissait nécessaire ; que je ne m’attendais à aucune difficulté à cet égard mais que, si on pensait à m’en faire, je priais qu’on me les épargnât, car j’avais un un parti pris et je serais certainement à Paris du 28 octobre au 2 novembre. Je suis persuadé que malgré la bonne envie, on ne fera aucune difficulté. Mes amis se sont souvent trompés, je devrais dire que j’ai souvent trompé mes amis à mon égard. J’ai avec eux du laisser aller trop de laisser-aller je n’aime pas les refus, les contradictions, les petites querelles. J’aime la facilité, la complaisance. J’aime à faire plaisir à mes amis. Trop j’en conviens ; ou plutôt je crains trop de les contrarier. Le moment arrivé pourtant où j’ai mon parti pris, je refuse, je refuse péremptoirement. Ils ne s’y attendent pas. Ils s’étonnent un peu de rencontrer la limite de ma facilité. C’est ma faute. Il faut être quelquefois contrariant et raide sans nécessité, pour pouvoir l’être sans exciter de surprise, ni tromper l’attente au moment de la nécessite. Les nouvelles d’Orient sont bien insignifiantes. On commence à craindre ici ce que je vous disais, la longueur du temps, l’hiver, la fièvre. C’est du humbog de dire que la Syrie est soumise. Jamais Gascon n’a dit mieux. Et si elle ne l’est pas dans le cours de ce mois, elle ne le sera pas d’ici au printemps prochain. Et d’ici là, on ne pourra, on ne fera à peu près rien pour la soumettre. La légèreté humaine, la présomption humaine l’imprévoyance humaine, l’insuffisance de l’esprit humain. Je deviendrai un vrai prédicateur. Les sermons ont raison. Lady Holland a été malade, vraiment malade l’autre jour ; une quasi cholérine. Elle s’est trouvée mal ; il a fallu quitter la table, passer la soirée dans sa chambre. Elle était hier au soir fatiguée et changée.
Lord Melbourne et lord Lansdowne. Celui-ci était venu me voir le matin. Très sensé et très impuissant. C’est un exemple frappant de ce que peut et ne peut pas donner une grande situation aristocratique. Il est très instruit, très éclairé, très considéré très riche, très bien établi dans le public et dans le gouvernement. Il n’est rien. M. de Flahaut part samedi. On dit que décidément Emilie épousera lord Ephinstone qui reviendra de l’Inde l’été prochain. On dit que lord Ossulston l’épouserait s’il voulait. On dit qu’il épouserait lady Fanny Cowper, s’il voulait. On dit beaucoup de choses de Lord Ossulston. Lady Tankerville a perdu chez Hammersley l’argent qu’elle destinait à son voyage, en France. Elle n’ira pas. Lady Palmerston a perdu 1200 louis. Lady Fanny 400. Je vous dis ce qu’on me dit. On vous l’a peut-être déjà dit. Je vous l’ai peut-être déjà dit moi-même. Nos bavardages ne porteront guère sur cela. Ils porteront surtout.
3 heures
Je viens de faire le grand tour de Hyde Park seul. Décidément j’aime mieux être seul. Décidément aussi, c’est une supériorité que j’ai sur vous. Je n’ai pas besoin des indifférents. Vous pouvez me la pardonner. Vous n’en souffrez pas. J’ai quatre chanteurs anglais qui viennent souvent, pendant ou après, le dîner, chanter dans ma cour des paroles anglaises sur de l’excellente musique allemande. Trois hommes et une femme, Ils sont venus hier. J’ai soulevé ma fenêtre. Je les ai écoutés une grande demi-heure : c’était triste, c’était gai, c’était grave, c’était tendre. J’ai passé par toutes ces impressions et toutes me portaient à vous. Elles m’y portaient doucement, légèrement, comme on doit être porté sur un nuage. Je ne voyais rien ; je ne pensais à rien ; je flottais dans l’air, bercé de sons charmants qui me parlaient de vous. C’était délicieux, mais si court, comme les beaux rêves. Même au soin des plus beaux, on sent qu’on rêve, on n’a pas de confiance. C’est là que le bonheur est vraiment une ombre. La réalité, la présence, le bonheur éveillé, celui-la seul remplit l’âme et y laisse une trace éternelle. Je suis très contrarié que mardi, à une heure, vous n’eussiez pas encore ma lettre de Dimanche. Je comptais qu’elle vous arriverait de bonne heure. On vous l’aura remise dans la journée ! Ce n’est que la moitié du plaisir que je voulais vous donner et le mien me manque.
Mon jeudi est médiocre. Il y a au moins trois ou quatre choses, que je vous ai demandées depuis huit jour, et auxquelles vous n’avez pas répondu. Rien de grave ; mais enfin des questions sans réponse. On met ma voiture de voyage en ordre. Je recherche les jours de départ des bateaux de Londres au Havre, de Southampton au Havre de Brighton à Dieppe. Adieu. Adieu. Un adieu d’espérance. Ce n’est pas encore le meilleur.
8 heures
Le travail commence pour m’engager à retarder mon départ. Flahaut s’est mis à l’œuvre hier en dînant chez moi. Et aussi ce jeune Lavalette que Thiers vient de me renvoyer. Les arguments et les caresses abondent. Je réponds simplement que j’ai demandé mon congé, que le jour de mon départ de Londres et celui de mon arrivée à Paris ne sont pas fixés. Mais que je serai certainement à Paris, du 28 octobre au 2 novembre. On n’insiste pas. On recommence. Je répète Je ferai ce que je dis. J’ai écrit à Génie de dire, de ma part à M. de Broglie, que j’étais décidé, que je voulais pouvoir être à Paris, le 28 octobre si cela me paraissait nécessaire ; que je ne m’attendais à aucune difficulté à cet égard mais que, si on pensait à m’en faire, je priais qu’on me les épargnât, car j’avais un un parti pris et je serais certainement à Paris du 28 octobre au 2 novembre. Je suis persuadé que malgré la bonne envie, on ne fera aucune difficulté. Mes amis se sont souvent trompés, je devrais dire que j’ai souvent trompé mes amis à mon égard. J’ai avec eux du laisser aller trop de laisser-aller je n’aime pas les refus, les contradictions, les petites querelles. J’aime la facilité, la complaisance. J’aime à faire plaisir à mes amis. Trop j’en conviens ; ou plutôt je crains trop de les contrarier. Le moment arrivé pourtant où j’ai mon parti pris, je refuse, je refuse péremptoirement. Ils ne s’y attendent pas. Ils s’étonnent un peu de rencontrer la limite de ma facilité. C’est ma faute. Il faut être quelquefois contrariant et raide sans nécessité, pour pouvoir l’être sans exciter de surprise, ni tromper l’attente au moment de la nécessite. Les nouvelles d’Orient sont bien insignifiantes. On commence à craindre ici ce que je vous disais, la longueur du temps, l’hiver, la fièvre. C’est du humbog de dire que la Syrie est soumise. Jamais Gascon n’a dit mieux. Et si elle ne l’est pas dans le cours de ce mois, elle ne le sera pas d’ici au printemps prochain. Et d’ici là, on ne pourra, on ne fera à peu près rien pour la soumettre. La légèreté humaine, la présomption humaine l’imprévoyance humaine, l’insuffisance de l’esprit humain. Je deviendrai un vrai prédicateur. Les sermons ont raison. Lady Holland a été malade, vraiment malade l’autre jour ; une quasi cholérine. Elle s’est trouvée mal ; il a fallu quitter la table, passer la soirée dans sa chambre. Elle était hier au soir fatiguée et changée.
Lord Melbourne et lord Lansdowne. Celui-ci était venu me voir le matin. Très sensé et très impuissant. C’est un exemple frappant de ce que peut et ne peut pas donner une grande situation aristocratique. Il est très instruit, très éclairé, très considéré très riche, très bien établi dans le public et dans le gouvernement. Il n’est rien. M. de Flahaut part samedi. On dit que décidément Emilie épousera lord Ephinstone qui reviendra de l’Inde l’été prochain. On dit que lord Ossulston l’épouserait s’il voulait. On dit qu’il épouserait lady Fanny Cowper, s’il voulait. On dit beaucoup de choses de Lord Ossulston. Lady Tankerville a perdu chez Hammersley l’argent qu’elle destinait à son voyage, en France. Elle n’ira pas. Lady Palmerston a perdu 1200 louis. Lady Fanny 400. Je vous dis ce qu’on me dit. On vous l’a peut-être déjà dit. Je vous l’ai peut-être déjà dit moi-même. Nos bavardages ne porteront guère sur cela. Ils porteront surtout.
3 heures
Je viens de faire le grand tour de Hyde Park seul. Décidément j’aime mieux être seul. Décidément aussi, c’est une supériorité que j’ai sur vous. Je n’ai pas besoin des indifférents. Vous pouvez me la pardonner. Vous n’en souffrez pas. J’ai quatre chanteurs anglais qui viennent souvent, pendant ou après, le dîner, chanter dans ma cour des paroles anglaises sur de l’excellente musique allemande. Trois hommes et une femme, Ils sont venus hier. J’ai soulevé ma fenêtre. Je les ai écoutés une grande demi-heure : c’était triste, c’était gai, c’était grave, c’était tendre. J’ai passé par toutes ces impressions et toutes me portaient à vous. Elles m’y portaient doucement, légèrement, comme on doit être porté sur un nuage. Je ne voyais rien ; je ne pensais à rien ; je flottais dans l’air, bercé de sons charmants qui me parlaient de vous. C’était délicieux, mais si court, comme les beaux rêves. Même au soin des plus beaux, on sent qu’on rêve, on n’a pas de confiance. C’est là que le bonheur est vraiment une ombre. La réalité, la présence, le bonheur éveillé, celui-la seul remplit l’âme et y laisse une trace éternelle. Je suis très contrarié que mardi, à une heure, vous n’eussiez pas encore ma lettre de Dimanche. Je comptais qu’elle vous arriverait de bonne heure. On vous l’aura remise dans la journée ! Ce n’est que la moitié du plaisir que je voulais vous donner et le mien me manque.
Mon jeudi est médiocre. Il y a au moins trois ou quatre choses, que je vous ai demandées depuis huit jour, et auxquelles vous n’avez pas répondu. Rien de grave ; mais enfin des questions sans réponse. On met ma voiture de voyage en ordre. Je recherche les jours de départ des bateaux de Londres au Havre, de Southampton au Havre de Brighton à Dieppe. Adieu. Adieu. Un adieu d’espérance. Ce n’est pas encore le meilleur.
441. Londres, Vendredi 16 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
441. Londres, Vendredi 16 octobre 1840
9 heures
Je ne suis pas sorti hier soir. J’ai joué au tric-trac, et je me suis couché de bonne heure. Il y a des choses plus agréables à mettre dans une soirée où l’on ne sort pas. Après mon tric-trac, je suis rentré dans ma chambre, je me suis promené près d’une heure, pensant, pensant et faisant dans mes pensées, ce que vous appelez une confusion visible de deux choses qui vont très bien ensemble, nous en sommes sûrs. Je me suis couché, je me suis endormi, et je n’ai plus retrouvé dans mes rides qu’une seule des deux choses. Evidemment l’autre ne va qu’au jour. Elle ne s’y montre pas aussi hardiment qu’elle s’en vante. Je suis très frappé de la reculade de ces gens de la garde nationale qui voulaient faire dimanche dernier une grande démonstration. Cela me prouve, comme je l’ai toujours cru qu’il y a là plus de bruit que de force et même que de vraie passion. Les factions, les coteries ont aujourd’hui en France très peu de force réelle. Il suffit presque, pour les vaincre, de n’en avoir pas peur. Mais bien des gens en ont peur. Et bien des gens aussi aujourd’hui, très honnêtes, très sensés en général, sont réellement blessés, vivement blessés du procédé anglais. Il y a grande excitation du sentiment national. Elle m’arrive de toutes parts. Comment le contenir sans l’irriter encore ? C’est bien difficile.
Quelles pauvretés je vous dis là ! Ce sont pourtant là, mes pensées habituelles. Et il le faut bien. 2 heures Je suis plus que contrarié. Comment.
Mercredi, à 2 heures et demie, vous n’aviez pas même la lettre que je vous ai écrite dimanche, qui a du être mise lundi à la porte, à Calais et vous arriver mardi ! C’est souverainement déplaisant. Moi qui prends tant de plaisir à faire luire, quand je le peux un doux rayon sur le mardi ! Ne manquez pas de me dire, si cette lettre vous est parvenue, quel jour et à quelle heure. Elle a dû vous être remise par celui que vous appelez mon confident pressé. Je vais attendre votre lettre de demain avec un redoublement d’impatience. Il y a toujours quelque raison pour que mon impatience redouble. J’aurais tant à vous dire, tant à déliberer avec vous !
La grande question pour moi dans ce moment, c’est le jour de mon arrivée à Paris. Traitez la à fond avec le fidèle. Ecoutez bien tout ce qu’il vous dira. Il y a deux jours, j’étais à peu près décidé à n’arriver que le 1er novembre. Il me revient des choses qui méritent qu’on y pense. Pensez donc.
Les amis de la paix sont contents du résultat du Conseil d’hier. On annoncera l’intention de ne pas poursuivre la déchéance du Pacha en Egypte. On conseillera à le Porte d’y renoncer, et de se montrer accessible à un rapprochement avec lui. C’est un commencement qui peut amener une fin. Les rapports, les conversations, les ouvertures, entre la France et les quatre se trouveront rengrénés. En attendant, toujours point de nouvelles de Syrie. Tous les boulets du monde ne portent pas à mille pieds de la côte. Ce n’est pas assez pour chasser les égyptiens du pays. Et les jours s’écoulent. Et les vents se levent. Encore trois semaines pareilles, et tout est fini jusqu’au mois de mai.
4 heures et demie
Des visites. Flahaut. Mac Gregor & &. Je ne vous reviens que pour vous dire adieu. Il faut que j’écrive à Thiers. Votre courte lettre de ce matin ne m’a pas convenue. Je veux que vous me disiez, beaucoup beaucoup en tous genres, beaucoup des deux choses. Adieu pourtant le même, adieu.
9 heures
Je ne suis pas sorti hier soir. J’ai joué au tric-trac, et je me suis couché de bonne heure. Il y a des choses plus agréables à mettre dans une soirée où l’on ne sort pas. Après mon tric-trac, je suis rentré dans ma chambre, je me suis promené près d’une heure, pensant, pensant et faisant dans mes pensées, ce que vous appelez une confusion visible de deux choses qui vont très bien ensemble, nous en sommes sûrs. Je me suis couché, je me suis endormi, et je n’ai plus retrouvé dans mes rides qu’une seule des deux choses. Evidemment l’autre ne va qu’au jour. Elle ne s’y montre pas aussi hardiment qu’elle s’en vante. Je suis très frappé de la reculade de ces gens de la garde nationale qui voulaient faire dimanche dernier une grande démonstration. Cela me prouve, comme je l’ai toujours cru qu’il y a là plus de bruit que de force et même que de vraie passion. Les factions, les coteries ont aujourd’hui en France très peu de force réelle. Il suffit presque, pour les vaincre, de n’en avoir pas peur. Mais bien des gens en ont peur. Et bien des gens aussi aujourd’hui, très honnêtes, très sensés en général, sont réellement blessés, vivement blessés du procédé anglais. Il y a grande excitation du sentiment national. Elle m’arrive de toutes parts. Comment le contenir sans l’irriter encore ? C’est bien difficile.
Quelles pauvretés je vous dis là ! Ce sont pourtant là, mes pensées habituelles. Et il le faut bien. 2 heures Je suis plus que contrarié. Comment.
Mercredi, à 2 heures et demie, vous n’aviez pas même la lettre que je vous ai écrite dimanche, qui a du être mise lundi à la porte, à Calais et vous arriver mardi ! C’est souverainement déplaisant. Moi qui prends tant de plaisir à faire luire, quand je le peux un doux rayon sur le mardi ! Ne manquez pas de me dire, si cette lettre vous est parvenue, quel jour et à quelle heure. Elle a dû vous être remise par celui que vous appelez mon confident pressé. Je vais attendre votre lettre de demain avec un redoublement d’impatience. Il y a toujours quelque raison pour que mon impatience redouble. J’aurais tant à vous dire, tant à déliberer avec vous !
La grande question pour moi dans ce moment, c’est le jour de mon arrivée à Paris. Traitez la à fond avec le fidèle. Ecoutez bien tout ce qu’il vous dira. Il y a deux jours, j’étais à peu près décidé à n’arriver que le 1er novembre. Il me revient des choses qui méritent qu’on y pense. Pensez donc.
Les amis de la paix sont contents du résultat du Conseil d’hier. On annoncera l’intention de ne pas poursuivre la déchéance du Pacha en Egypte. On conseillera à le Porte d’y renoncer, et de se montrer accessible à un rapprochement avec lui. C’est un commencement qui peut amener une fin. Les rapports, les conversations, les ouvertures, entre la France et les quatre se trouveront rengrénés. En attendant, toujours point de nouvelles de Syrie. Tous les boulets du monde ne portent pas à mille pieds de la côte. Ce n’est pas assez pour chasser les égyptiens du pays. Et les jours s’écoulent. Et les vents se levent. Encore trois semaines pareilles, et tout est fini jusqu’au mois de mai.
4 heures et demie
Des visites. Flahaut. Mac Gregor & &. Je ne vous reviens que pour vous dire adieu. Il faut que j’écrive à Thiers. Votre courte lettre de ce matin ne m’a pas convenue. Je veux que vous me disiez, beaucoup beaucoup en tous genres, beaucoup des deux choses. Adieu pourtant le même, adieu.
442. Londres, Samedi 17 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
442. Londres, samedi 17 octobre 1840,
9 heures
M. de Brünnow passe sa vie chez moi. Il y a joué hier au whist toute la soirée. Et moi avec lui, non pas toute la soirée pourtant. Et par hasard, toujours contre lui. Rien de nouveau sinon beaucoup de chuchotements, sur ces publications si promptes. J’espère qu’à Paris on en découvrira la source. Si les chambres à Paris ou à Londres avaient demandé ces pièces-là, on les leur aurait refusées, et on aurait eu raison. Les journaux ne les demandent pas ; ils les achètent, ils les volent, ils les prennent. Je ne sais comment, mais enfin ils les ont. C’est un grand ennui. Et je crains que pour cette dernière dépêche, celle du 8, ce ne soit plus qu’un ennui. La publication produira probablement à Paris un mauvais effet. M. de Flahaut ne part que lundi. Lady Holland, toujours souffrante, l’a prié de rester deux jours de plus.
Vous n’avez pas d’idée combien j’ai été contrarié hier de ma lettre qui vous a manqué mardi, de votre lettre à vous si courte. Je suis trop tolérant ; je ne montre pas ce qui se passe en moi quand cela me déplaît à moi-même, et peut déplaire ou affliger. J’ai tort il faut se laisser aller. Je suis encore ce matin sous le poids de ma contrariété d’hier. J’y serai jusqu’à ce que j’aie reçu votre lettre d’aujourd’hui, et que j’y aie trouvé ce qui me plait.
4 heures
Encore une tentative d’assassinat ! Je n’en s’ais rien encore que par les journaux. Pour les faits comme pour les pièces, leur diplomatie est la mieux servie. Il est très vrai : le mal extérieur et le mal intérieur vont toujours ensemble. Cela fait beaucoup de mal. La moitié suffirait. Les vieux pays et les vieux gouvernements sont heureux. J’ai tort de dire cela. Pour rien au monde, je ne voudrais pas, ne pas être de mon pays et de mon temps. Oui, ce qu’on m’écrit est grave. J’en suis peu surpris. Je vois venir depuis assez longtemps cette épreuve là. Elle peut-être fort triste Jusqu’ici, je ne me sens aucune indécision. Je suis très inquiet et très convaincu. Le petit vous parlera de tout. J’attends impatiemment ses réponses. De moment en moment, la conviction m’arrive qu’il faut être là, dans le début. Je ne prendrais mon parti sur rien avant d’avoir vu, entendu, parlé. On ne sait rien de loin. On ne dit rien de loin. J’ai beaucoup à dire et beaucoup à apprendre. Je ne veux encourir aucun reproche de précipitation, ni d’inconséquence. Mais je ne veux pas non plus manquer, sur rien, l’occasion de me décider et d’agir convenablement.
Arriver trop tôt serait d’un étourdi, arriver trop tard d’un poltron. Je ne suis ni l’un, ni l’autre. Je ne suis point de ceux à qui l’on fait faire un coup de tête en les défiant. Je trouve cela puérile. Mais quand on essaie de poser beaucoup sur moi, je me raffermis, d’autant. Je n’ai pas cédé, il y a sept mois, à ceux qui voulaient me bully in une hostilité qui ne me convenait pas. Je ne céderai pas davantage aujourd’hui à ceux qui voudraient me bully in une condescendance qui ne me convient pas davantage. J’attends mon congé. Je persiste à penser qu’on me l’enverra. Il me serait tout-à-fait désagréable d’être obligé de le prendre Adieu.
Le 453 est bien joli à la fin surtout. Je suis très occupé de la lettre que vous avez préparée. Faites bien attention. C’est délicat. Quel mal d’être loin ! Public and private evil. Adieu. Adieu.
9 heures
M. de Brünnow passe sa vie chez moi. Il y a joué hier au whist toute la soirée. Et moi avec lui, non pas toute la soirée pourtant. Et par hasard, toujours contre lui. Rien de nouveau sinon beaucoup de chuchotements, sur ces publications si promptes. J’espère qu’à Paris on en découvrira la source. Si les chambres à Paris ou à Londres avaient demandé ces pièces-là, on les leur aurait refusées, et on aurait eu raison. Les journaux ne les demandent pas ; ils les achètent, ils les volent, ils les prennent. Je ne sais comment, mais enfin ils les ont. C’est un grand ennui. Et je crains que pour cette dernière dépêche, celle du 8, ce ne soit plus qu’un ennui. La publication produira probablement à Paris un mauvais effet. M. de Flahaut ne part que lundi. Lady Holland, toujours souffrante, l’a prié de rester deux jours de plus.
Vous n’avez pas d’idée combien j’ai été contrarié hier de ma lettre qui vous a manqué mardi, de votre lettre à vous si courte. Je suis trop tolérant ; je ne montre pas ce qui se passe en moi quand cela me déplaît à moi-même, et peut déplaire ou affliger. J’ai tort il faut se laisser aller. Je suis encore ce matin sous le poids de ma contrariété d’hier. J’y serai jusqu’à ce que j’aie reçu votre lettre d’aujourd’hui, et que j’y aie trouvé ce qui me plait.
4 heures
Encore une tentative d’assassinat ! Je n’en s’ais rien encore que par les journaux. Pour les faits comme pour les pièces, leur diplomatie est la mieux servie. Il est très vrai : le mal extérieur et le mal intérieur vont toujours ensemble. Cela fait beaucoup de mal. La moitié suffirait. Les vieux pays et les vieux gouvernements sont heureux. J’ai tort de dire cela. Pour rien au monde, je ne voudrais pas, ne pas être de mon pays et de mon temps. Oui, ce qu’on m’écrit est grave. J’en suis peu surpris. Je vois venir depuis assez longtemps cette épreuve là. Elle peut-être fort triste Jusqu’ici, je ne me sens aucune indécision. Je suis très inquiet et très convaincu. Le petit vous parlera de tout. J’attends impatiemment ses réponses. De moment en moment, la conviction m’arrive qu’il faut être là, dans le début. Je ne prendrais mon parti sur rien avant d’avoir vu, entendu, parlé. On ne sait rien de loin. On ne dit rien de loin. J’ai beaucoup à dire et beaucoup à apprendre. Je ne veux encourir aucun reproche de précipitation, ni d’inconséquence. Mais je ne veux pas non plus manquer, sur rien, l’occasion de me décider et d’agir convenablement.
Arriver trop tôt serait d’un étourdi, arriver trop tard d’un poltron. Je ne suis ni l’un, ni l’autre. Je ne suis point de ceux à qui l’on fait faire un coup de tête en les défiant. Je trouve cela puérile. Mais quand on essaie de poser beaucoup sur moi, je me raffermis, d’autant. Je n’ai pas cédé, il y a sept mois, à ceux qui voulaient me bully in une hostilité qui ne me convenait pas. Je ne céderai pas davantage aujourd’hui à ceux qui voudraient me bully in une condescendance qui ne me convient pas davantage. J’attends mon congé. Je persiste à penser qu’on me l’enverra. Il me serait tout-à-fait désagréable d’être obligé de le prendre Adieu.
Le 453 est bien joli à la fin surtout. Je suis très occupé de la lettre que vous avez préparée. Faites bien attention. C’est délicat. Quel mal d’être loin ! Public and private evil. Adieu. Adieu.
443. Londres, Lundi 19 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
443 Londres, Lundi 19 octobre 1840 8 heures et demie
Vous recevrez ceci Mercredi 21 et le Mercredi suivant 28, dans la soirée, vous me recevrez à mon tour. Je partirai dimanche 25, pour le Havre. J’y arriverai le 26, entre 5 et 8 heures du matin. J’en répartirai sur le champ et j’irai dîner au Val Richer. Je partirai du Val-Richer, le 27, dans l’après-midi avec tous les miens, pour aller coucher à Lisieux ou à Evreux, et le 28 au soir je serai à Paris. Ainsi, le mois d’Octobre n’aura pas menti. Personne, personne pas même vous, pas même moi, ne sait combien, il sera beau. Qu’est-ce que l’attente auprès du bonheur ?
J’ai reçu hier mon congé, dans une lettre particulière de Thiers, de très bonne grâce. Je serai à la Chambre le 29. Je ne manquerai qu’à la séance royale. Je crois que je comprends bien ma situation. et que j’y satisferai pleinement en tous sens. Elle a des embarras, des convenances, des intérêts, des devoirs fort divers. Je n’en éluderai aucun. Pour ma pleine confiance il faut, à mon jugement l’adhésion du vôtre. Que de choses à nous dire ! Ce nouvel assassinat ne m’a pas surpris. Je le pressentais. C’est une rude entreprise que de rétablir de l’ordre et de la raison dans le monde. Aujourd’hui tous les scélérats sont fous et tous les fous sont prêts à devenir des scélérats. Et les honnêtes gens ont à leur tour une folie, c’est d’accepter la démence comme excuse du crime. Il y a une démence qui excuse ; mais ce n’est pas celle de Darmer et de ses pareils. On n’ose pas regarder le mal en face et on dit qu’ils sont fous pour se rassurer. Et pendant que les uns se rassurent lâchement d’autres s’épouvantent lâchement. Tout est perdu ; c’est la fin du monde. Le monde a vu, sous d’autres noms, sous d’autres traits bien des maux et des périls pareils, égaux du moins sinon passifs, pour ne pas dire plus graves. Nous avons besoin aujourd’hui d’un degré de bonheur, et de sécurité dans le bonheur dont le monde autrefois. n’avait pas seulement l’idée. Il a vécu des siècles bien autrement assailli de souffrances, de crimes, de terreurs. Il a prospéré pourtant, il a grandi dans ces siècles là. Nous oublions tout cela. Nous voudrions que tout fût fait. Non certainement tout n’est pas fait ; il y a même beaucoup à faire encore. Mais tout n’est pas perdu non plus. L’expérience, qui m’a beaucoup appris, ne m’a point effrayé ; et moi qui passe pour un juge si sévère de mon temps; moi qui crois son mal bien plus grave que je ne le lui dis, je dis qu’à côté de ce mal, le bien abonde, et qu’à aucune époque on n’a vécu, dans le plus obscur village comme dans la rue St Florentin, au milieu de plus de justice, de douceur, de bien être et de sûreté.
J’écrirai aujourd’hui au Roi. On me dit qu’il a pris ceci avec son sang-froid ordinaire, triste pourtant de voir recommencer ce qu’il croyait fini. Le Morning Chronicle parle de lui ce matin est termes fort convenables. 2 heures Rien encore. J’y compte pourtant toujours. La poste est venue tard. Et vous ne prenez pas le plus court chemin pour venir à moi ; je suis encore plus impatient le lundi qu’un autre jour. Le dimanche est si peu de chose ! Enfin, je n’ai plus qu’un dimanche.
Lord Palmerston a demandé pour moi à la Reine une audience de congé. Je l’aurai Mercredi ou Jeudi Ne dites rien du jour de mon arrivée. Sachez seulement que je viens pour le début de la session.
Adieu. Adieu. 4 heures
Voilà 455. Excellent. Ce que j’aime le mieux ; confiant, comme l’enfance; profond, comme l’expérience. Un sentiment, n’est complet qu’avec ces deux caractères. Et il n’y a de bon, il n’y a même de charmant qu’un sentiment complet. Au début de la vie on peut trouver, on trouve du charmé dans des sentiments auxquels à vrai dire, il manque beaucoup. On sait pas ce qui y manque ; on jouit de ce qui y est sans regretter, sans pressentir ce qui n’y est pas. Quand on a vécu, quand on a mesuré les choses, on veut la perfection ; on ne se contente pas à moindre prix. Et là où on ne trouve pas tout, on ne se donne pas soi-même tout entier. Je n’ai jamais été si difficile et si satisfait.
Je n’ai pas encore les détails de la métamorphose que vous m’indiquez. Ils m’arriveront, je pense dans la journée. Cela, je puis l’attendre patiemment. Je serai fort aise de la métamorphose et pas sûr, après quelques épreuves, je finis par accepter les vicissitudes de certaines relations comme celles des saisons ; en hiver, j’espère l’été ; en été je prévois l’hiver ; le ciel pur ne chasse point le brouillard de ma mémoire, ni le brouillard le ciel pur. Je me résigne à ce mélange imparfait et à ses alternatives. Triste au fond de l’âme, mais sans injustice et sans humeur. Ou plutôt ce qui s’est montré à ce point variable et imparfait ne pénètre plus jusqu’au fond de mon âme. Je le classe dans ce superficiel qui peut être grave comme vous dîtes, et influer beaucoup sur ma destinée mais qui ne décide jamais de ma vie. Adieu. Oui, adieu comme nous le voulons.
Vous recevrez ceci Mercredi 21 et le Mercredi suivant 28, dans la soirée, vous me recevrez à mon tour. Je partirai dimanche 25, pour le Havre. J’y arriverai le 26, entre 5 et 8 heures du matin. J’en répartirai sur le champ et j’irai dîner au Val Richer. Je partirai du Val-Richer, le 27, dans l’après-midi avec tous les miens, pour aller coucher à Lisieux ou à Evreux, et le 28 au soir je serai à Paris. Ainsi, le mois d’Octobre n’aura pas menti. Personne, personne pas même vous, pas même moi, ne sait combien, il sera beau. Qu’est-ce que l’attente auprès du bonheur ?
J’ai reçu hier mon congé, dans une lettre particulière de Thiers, de très bonne grâce. Je serai à la Chambre le 29. Je ne manquerai qu’à la séance royale. Je crois que je comprends bien ma situation. et que j’y satisferai pleinement en tous sens. Elle a des embarras, des convenances, des intérêts, des devoirs fort divers. Je n’en éluderai aucun. Pour ma pleine confiance il faut, à mon jugement l’adhésion du vôtre. Que de choses à nous dire ! Ce nouvel assassinat ne m’a pas surpris. Je le pressentais. C’est une rude entreprise que de rétablir de l’ordre et de la raison dans le monde. Aujourd’hui tous les scélérats sont fous et tous les fous sont prêts à devenir des scélérats. Et les honnêtes gens ont à leur tour une folie, c’est d’accepter la démence comme excuse du crime. Il y a une démence qui excuse ; mais ce n’est pas celle de Darmer et de ses pareils. On n’ose pas regarder le mal en face et on dit qu’ils sont fous pour se rassurer. Et pendant que les uns se rassurent lâchement d’autres s’épouvantent lâchement. Tout est perdu ; c’est la fin du monde. Le monde a vu, sous d’autres noms, sous d’autres traits bien des maux et des périls pareils, égaux du moins sinon passifs, pour ne pas dire plus graves. Nous avons besoin aujourd’hui d’un degré de bonheur, et de sécurité dans le bonheur dont le monde autrefois. n’avait pas seulement l’idée. Il a vécu des siècles bien autrement assailli de souffrances, de crimes, de terreurs. Il a prospéré pourtant, il a grandi dans ces siècles là. Nous oublions tout cela. Nous voudrions que tout fût fait. Non certainement tout n’est pas fait ; il y a même beaucoup à faire encore. Mais tout n’est pas perdu non plus. L’expérience, qui m’a beaucoup appris, ne m’a point effrayé ; et moi qui passe pour un juge si sévère de mon temps; moi qui crois son mal bien plus grave que je ne le lui dis, je dis qu’à côté de ce mal, le bien abonde, et qu’à aucune époque on n’a vécu, dans le plus obscur village comme dans la rue St Florentin, au milieu de plus de justice, de douceur, de bien être et de sûreté.
J’écrirai aujourd’hui au Roi. On me dit qu’il a pris ceci avec son sang-froid ordinaire, triste pourtant de voir recommencer ce qu’il croyait fini. Le Morning Chronicle parle de lui ce matin est termes fort convenables. 2 heures Rien encore. J’y compte pourtant toujours. La poste est venue tard. Et vous ne prenez pas le plus court chemin pour venir à moi ; je suis encore plus impatient le lundi qu’un autre jour. Le dimanche est si peu de chose ! Enfin, je n’ai plus qu’un dimanche.
Lord Palmerston a demandé pour moi à la Reine une audience de congé. Je l’aurai Mercredi ou Jeudi Ne dites rien du jour de mon arrivée. Sachez seulement que je viens pour le début de la session.
Adieu. Adieu. 4 heures
Voilà 455. Excellent. Ce que j’aime le mieux ; confiant, comme l’enfance; profond, comme l’expérience. Un sentiment, n’est complet qu’avec ces deux caractères. Et il n’y a de bon, il n’y a même de charmant qu’un sentiment complet. Au début de la vie on peut trouver, on trouve du charmé dans des sentiments auxquels à vrai dire, il manque beaucoup. On sait pas ce qui y manque ; on jouit de ce qui y est sans regretter, sans pressentir ce qui n’y est pas. Quand on a vécu, quand on a mesuré les choses, on veut la perfection ; on ne se contente pas à moindre prix. Et là où on ne trouve pas tout, on ne se donne pas soi-même tout entier. Je n’ai jamais été si difficile et si satisfait.
Je n’ai pas encore les détails de la métamorphose que vous m’indiquez. Ils m’arriveront, je pense dans la journée. Cela, je puis l’attendre patiemment. Je serai fort aise de la métamorphose et pas sûr, après quelques épreuves, je finis par accepter les vicissitudes de certaines relations comme celles des saisons ; en hiver, j’espère l’été ; en été je prévois l’hiver ; le ciel pur ne chasse point le brouillard de ma mémoire, ni le brouillard le ciel pur. Je me résigne à ce mélange imparfait et à ses alternatives. Triste au fond de l’âme, mais sans injustice et sans humeur. Ou plutôt ce qui s’est montré à ce point variable et imparfait ne pénètre plus jusqu’au fond de mon âme. Je le classe dans ce superficiel qui peut être grave comme vous dîtes, et influer beaucoup sur ma destinée mais qui ne décide jamais de ma vie. Adieu. Oui, adieu comme nous le voulons.
444. Londres, Mardi 20 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
444. Londres, mardi 20 octobre 1840
2 heures
2 heures
Bon et mauvais jour. Bon, ceci est la dernière lettre à laquelle vous répondrez à Londres. Mauvais ; la poste me manque ce matin, le vent a été si fort hier que la malle n’a pas pu passer. Il est tombé aujourd’hui. J’espère qu’il ne se relèvera pas dimanche. La traversée est longue de Londres au Havre ; 20 heures. Mais de l’Ouest à l’Est, je ne crains pas le mal de mer. Je ne crains rien excepté ce qui me retarderait.
Je ne sais si je vous ai bien dit le motif qui m’avait décidé à être à la chambre le 29. On ne me fait pas faire les choses en me défiant. Mais quand j’ai vu qu’on voulait que je n’y fusse pas pour la présidence, puisque je n’y fusse pas pour l’adresse, puisque j’eusse à enfoncer, mon épée jusqu’à la garde, soit pour, soit contre, je me suis demandé ce que signifiaient toutes ces exigences, et pourquoi j’y céderais. Je ne sais à Paris contre personne. Je ne suis ici et ne serai là dans aucune intrigue. Je ne dirai, je ne ferai rien là qui ne soit en parfaite harmonie avec ce que j’ai dit et fait ici depuis huit mois. J’ai secondé le Cabinet sans me lier à lui Je ferai de même. Je lui ai dit, à son avènement, que je serais avec lui, loyal et libre ! Je serai loyal et libre. Je lui ai dit que je garderais mes amis sans épouser leur humeur. Je le ferai, comme je l’ai fait. J’ai fait, le premier jour, sur mes anciennes amitiés sur notre séparation le jour où notre politique différerait ; toutes les réserves que je pourrais vouloir aujourd’hui. Pourquoi me gênerais-je ? Pourquoi donnerais-je à ma conduite un air d’embarras et d’hésitation ? Je n’en veux point. Il n’y a pas de quoi ni dans le passé, ni dans l’avenir. Je veux prendre ma position simplement, ouvertement, rondement, toute entière. Je suis député avant d’être ambassadeur, et je tiens plus à ce que je suis comme député qu’à ce que je suis comme ambassadeur.
La session s’ouvre. Je demande et on me donne un congé pour l’ouverture de la session. J’y serai de même que je ne machinerai rien, de même je n’éluderai rien. J’agirai comme député selon ma raison, ma position, mon passé. Je parlerai comme ambassadeur, selon ce que j’ai pensé, fait ou accepté depuis que je le suis. Je crois que cela peut très bien se concilier. Si cela ne se peut pas, je m’en apercevrai le premier. Je serai prêt, selon le besoin à seconder ou à me démettre, loyal pendant, libre après. Je serais bien dupe de m’imposer, pour satisfaire aux méfiances ou aux embarras des autres, une contrainte qui n’a en moi-même, pas le moindre fondement. J’accepterai hautement les difficultés de ma propre position. Je n’accepterai aucune des difficultés de la position d’autrui.
Parlons d’autre chose, Je viens de voir lady Palmerston, toujours gracieuse et embarrassée. Je crois qu’elle doit avoir beaucoup plus d’esprit avec son mari qu’avec personne. L’arrangement, le calcul ôte plus d’esprit qu’il n’en donne. Quand on en a, on n’en a jamais autant que dans l’abandon. En revenant de chez lady Palmerston, j’ai fait mes adieux à Stafford house. J’ai été exprès, sur la petite place, devant la porte. Reverrai-je cette maison ? Reverrai-je Londres? L’avenir est bien obscur. Le mien notamment. Quelqu’il soit, j’aimerai Stafford house.
Dites-moi ce que vous avez écrit sur votre long petit livre de Memoranda sous la date du 30 août. La réponse de la Reine pour mon audience de congé n’est pas encore arrivée. Je suppose demain ou après demain. La Reine reçoit, vers 6 heures. On dîne et on couche à Windsor. J’ai bien des petites choses à faire d’ici à dimanche. Qu’il y a de petites choses dans la vie ! Par exemple, je vous quitte pour des comptes. J’ai beaucoup d’ordre. Adieu. J’aime bien adieu. J’aime bien mieux oui.
Je ne sais si je vous ai bien dit le motif qui m’avait décidé à être à la chambre le 29. On ne me fait pas faire les choses en me défiant. Mais quand j’ai vu qu’on voulait que je n’y fusse pas pour la présidence, puisque je n’y fusse pas pour l’adresse, puisque j’eusse à enfoncer, mon épée jusqu’à la garde, soit pour, soit contre, je me suis demandé ce que signifiaient toutes ces exigences, et pourquoi j’y céderais. Je ne sais à Paris contre personne. Je ne suis ici et ne serai là dans aucune intrigue. Je ne dirai, je ne ferai rien là qui ne soit en parfaite harmonie avec ce que j’ai dit et fait ici depuis huit mois. J’ai secondé le Cabinet sans me lier à lui Je ferai de même. Je lui ai dit, à son avènement, que je serais avec lui, loyal et libre ! Je serai loyal et libre. Je lui ai dit que je garderais mes amis sans épouser leur humeur. Je le ferai, comme je l’ai fait. J’ai fait, le premier jour, sur mes anciennes amitiés sur notre séparation le jour où notre politique différerait ; toutes les réserves que je pourrais vouloir aujourd’hui. Pourquoi me gênerais-je ? Pourquoi donnerais-je à ma conduite un air d’embarras et d’hésitation ? Je n’en veux point. Il n’y a pas de quoi ni dans le passé, ni dans l’avenir. Je veux prendre ma position simplement, ouvertement, rondement, toute entière. Je suis député avant d’être ambassadeur, et je tiens plus à ce que je suis comme député qu’à ce que je suis comme ambassadeur.
La session s’ouvre. Je demande et on me donne un congé pour l’ouverture de la session. J’y serai de même que je ne machinerai rien, de même je n’éluderai rien. J’agirai comme député selon ma raison, ma position, mon passé. Je parlerai comme ambassadeur, selon ce que j’ai pensé, fait ou accepté depuis que je le suis. Je crois que cela peut très bien se concilier. Si cela ne se peut pas, je m’en apercevrai le premier. Je serai prêt, selon le besoin à seconder ou à me démettre, loyal pendant, libre après. Je serais bien dupe de m’imposer, pour satisfaire aux méfiances ou aux embarras des autres, une contrainte qui n’a en moi-même, pas le moindre fondement. J’accepterai hautement les difficultés de ma propre position. Je n’accepterai aucune des difficultés de la position d’autrui.
Parlons d’autre chose, Je viens de voir lady Palmerston, toujours gracieuse et embarrassée. Je crois qu’elle doit avoir beaucoup plus d’esprit avec son mari qu’avec personne. L’arrangement, le calcul ôte plus d’esprit qu’il n’en donne. Quand on en a, on n’en a jamais autant que dans l’abandon. En revenant de chez lady Palmerston, j’ai fait mes adieux à Stafford house. J’ai été exprès, sur la petite place, devant la porte. Reverrai-je cette maison ? Reverrai-je Londres? L’avenir est bien obscur. Le mien notamment. Quelqu’il soit, j’aimerai Stafford house.
Dites-moi ce que vous avez écrit sur votre long petit livre de Memoranda sous la date du 30 août. La réponse de la Reine pour mon audience de congé n’est pas encore arrivée. Je suppose demain ou après demain. La Reine reçoit, vers 6 heures. On dîne et on couche à Windsor. J’ai bien des petites choses à faire d’ici à dimanche. Qu’il y a de petites choses dans la vie ! Par exemple, je vous quitte pour des comptes. J’ai beaucoup d’ordre. Adieu. J’aime bien adieu. J’aime bien mieux oui.
445. Londres, Mercredi 21 oct. 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
445. Londres, Mercredi 21 octobre 1840
9 heures
La première partie de la soirée d’hier a été très pénible. Ce bruit d’un nouvel attentat et d’un attentat plus efficace, contre le Roi, était fort répondu. Je n’y croyais point. Je n’en pouvais découvrir la source. Mais enfin, il était fort répandu. Un courrier m’est arrivé à 10 heures, qui m’a donné des nouvelles de Paris, lundi à 4 heures. J’ai été rassuré.
On dit que la poste à encore manqué ce matin. Celle de dimanche, qui était en retard est arrivée; mais non pas celle de lundi. C’est bien ennuyeux. Voilà la poste de Dimanche, et un 456, charmant, quoique trop court. Je serai court aussi, car voilà en même temps des dépêches auxquelles il faut que je réponde sur le champ. Et je pars à 4 heures pour Windsor. La Reine ne se contente pas de me donner une audience de congé. Elle m’a invité pour aujourd’hui et demain. Je reviendrai vendredi matin. C’est une très bonne grâce qui me mettra en grande presse vendredi et samedi. Mais rien à présent ne va aussi vite que je le voudrais.
Je ne crois pas que l’ouverture des Chambres soit retardée quand je n’aurais pas pour aller à Paris, des motifs sans réplique, je pourrais quitter Londres sans inconvénient dans le moment. Rien ne s’y passera jusqu’au retour des réponses de Constantinople, ou jusqu’à l’arrivée des événements en Syrie. Et pour les événements en Syrie, c’est à Paris qu’ils font le grand effet, et qu’il convient d’être pour en diriger l’effet ; si on le peut. Je n’ai donc, quant aux affaires même de ma mission, pas le moindre scrupule. Et j’ai vraiment confiance, dans Bourqueney
3 heures
Mes dépêches sont écrites. Je partirai tout à l’heure. Adieu. Je vous écrirai demain de Windsor. J’attends avec impatience les lettres que vous m’annoncez. Comment puis-je parler d’impatience pour quelque chose. Adieu. Adieu. Plus de lettre à Londres. Ecrivez-moi au Val-Richer. J’y serai lundi matin. Le petit y viendra. Donnez-lui quelque chose pour moi. J’y compte. Et vous dire avec quel sentiment je compte, cela ne se peut pas ; cela ne se dit pas. Adieu. Adieu.
9 heures
La première partie de la soirée d’hier a été très pénible. Ce bruit d’un nouvel attentat et d’un attentat plus efficace, contre le Roi, était fort répondu. Je n’y croyais point. Je n’en pouvais découvrir la source. Mais enfin, il était fort répandu. Un courrier m’est arrivé à 10 heures, qui m’a donné des nouvelles de Paris, lundi à 4 heures. J’ai été rassuré.
On dit que la poste à encore manqué ce matin. Celle de dimanche, qui était en retard est arrivée; mais non pas celle de lundi. C’est bien ennuyeux. Voilà la poste de Dimanche, et un 456, charmant, quoique trop court. Je serai court aussi, car voilà en même temps des dépêches auxquelles il faut que je réponde sur le champ. Et je pars à 4 heures pour Windsor. La Reine ne se contente pas de me donner une audience de congé. Elle m’a invité pour aujourd’hui et demain. Je reviendrai vendredi matin. C’est une très bonne grâce qui me mettra en grande presse vendredi et samedi. Mais rien à présent ne va aussi vite que je le voudrais.
Je ne crois pas que l’ouverture des Chambres soit retardée quand je n’aurais pas pour aller à Paris, des motifs sans réplique, je pourrais quitter Londres sans inconvénient dans le moment. Rien ne s’y passera jusqu’au retour des réponses de Constantinople, ou jusqu’à l’arrivée des événements en Syrie. Et pour les événements en Syrie, c’est à Paris qu’ils font le grand effet, et qu’il convient d’être pour en diriger l’effet ; si on le peut. Je n’ai donc, quant aux affaires même de ma mission, pas le moindre scrupule. Et j’ai vraiment confiance, dans Bourqueney
3 heures
Mes dépêches sont écrites. Je partirai tout à l’heure. Adieu. Je vous écrirai demain de Windsor. J’attends avec impatience les lettres que vous m’annoncez. Comment puis-je parler d’impatience pour quelque chose. Adieu. Adieu. Plus de lettre à Londres. Ecrivez-moi au Val-Richer. J’y serai lundi matin. Le petit y viendra. Donnez-lui quelque chose pour moi. J’y compte. Et vous dire avec quel sentiment je compte, cela ne se peut pas ; cela ne se dit pas. Adieu. Adieu.
446. Windsor Castle, Jeudi le 22 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
446. Windsor Castle, Jeudi 22 octobre 1840
8 heures
Ce n’est pas la musique seule, c’est tout qui ajoute à ... Hier à cinq heures, j’étais sur la route de Windsor. Le soleil se couchait devant moi brillant, pompeux, inondant l’horizon de lumière, comme pour nous charmer de tout son éclat avant de nous quitter. Je roulais rapidement vers lui, comme pour aller à lui. L’envie m’a pris d’y aller en effet, de sortir de notre terre, de traverser l’espace, d’aller je ne sais où, goûter je ne sais quels plaisirs, pénétrer je ne sais quels mystères. Et ce mouvement de mon imagination, m’a porté vers vous. Je vous ai appelée ; je vous ai prise avec moi. Et tous mes désirs se sont concentrés en un seul désir : partons, dans un baiser, pour un monde inconnu.
Pendant que je vous proposais de partir le soleil s’est couché. La nuit est venue. Le froid avec la nuit. J’ai fermé, ma calèche. Je m’y suis enfoncé, au lieu de m’élancer dans l’espace. Vous étiez là aussi, encore plus près de moi. Et le fond de ma calèche est devenu plus charmant que le monde inconnu auquel j’aspirais. Et ce matin, dans ce château de Windsor en sortant de mon lit je retrouve en vous écrivant, mes impressions d’hier. Elles me charment encore. Sans vous, si vous n’y aviez pris place, elles se seraient évanouies comme les rayons du soleil, comme les ombres de la nuit. Mais vous les avez transformées en ..... Je ne les oublierai jamais.
Personne ici que lord Melbourne, Lord Palmerston, Lord et Lady Clarendon et moi. On est très aimable pour moi, un peu par estime et par goût, je m’en flatte, un peu aussi parce que je vais à Paris. On désire que j’y sois bien pour ici, que je parle bien des personnes. On me voudrait facile pour les choses. On voit bien que l’avenir, et un avenir prochain est plein de chances. On en est occupé, occupé comme on l’est de tout ce qui n’est pas l’Angleterre elle-même ; assez occupé pourtant. On a traité la France légèrement ; mais sa malveillance importune. On sait que tôt ou tard, pour les affaires son influence pèse ; pour les réputations son opinion compte. On voudrait la calmer, l’amadouer.
Si je pouvais faire comprendre à mon pays ce que je comprends, et lui faire adopter la conduite et le langage. Que je sais bien, je crois qu’il n’aurait pas à s’en repentir. Mais ce serait trop bien pour que ce soit possible. Midi Je reviens de déjeuner. Lady Littleton est la dame in waiting. Elle a assez d’esprit. J’en trouvé bien des gens le premier jour, ou la première heure, comme vous voudrez. Je crois vraiment que bien des gens en ont pour un jour, pour une heure et je m’y laisse prendre encore quelques fois.
La Reine est toute ronde, aussi grasse que grosse. Malgré la princesse Charlotte et la Reine de Portugal, je ne la crois pas inquiète de ses couches. Je ne la crois inquiète de rien. Elle me paraît prendre la vie lestement et sensément, l’esprit gai, le caractère résolu, le cœur pas très vif. Elle reviendra à Londres vers le 15 novembre. Il est décidé qu’elle n’accouchera qu’en décembre.
On chasse ce matin, lord Melbourne et lord Palmerston n’en sont pas plus que moi. Dans la matinée, j’irai causer avec eux.
Comme nous causerons nous ! Quelle profanation de parler de ces conversations. Là à propos d’aucune autre ! Oui, je suis content de votre foi, de votre rire, de vos réponses à mes questions. Mais je prends en grand mépris tous les contentements de loin. Il n’y paraît pas, car je bavarde comme si j’étais prêt comme si je ne songeais à rien de plus. Je songe à beaucoup plus. Je songe à tout. Que c’est beau tout ! Il n’y a que cela de beau. Ne trouvez-vous pas que j’ai un bon caractère ? Trop bon, je trouve. Je suis très ambitieux et très facile, insatiable et prompt à jouir de ce que j’ai malgré ce qui me manque. Il en résulte quelquefois que trop aisément on me croit content et qu’on ne s’inquiète pas assez de me contenter. Il faut qu’on s’inquiète. J’inquiéterai. Certainement pas vous, si je croyais avoir besoin de vous inquiéter, vous ne seriez pas pour moi ce que vous êtes. Je vous dirai mon secret. Avec tout le monde, ma facilité tient à l’insouciance. Avec vous, à la confiance. 2 heures J’attends M. Herbet qui doit m’apporter mes lettres. Il ne vient pas. Je fais partir ceci. Adieu. Adieu. L’heure me presse.
Ce n’est pas la musique seule, c’est tout qui ajoute à ... Hier à cinq heures, j’étais sur la route de Windsor. Le soleil se couchait devant moi brillant, pompeux, inondant l’horizon de lumière, comme pour nous charmer de tout son éclat avant de nous quitter. Je roulais rapidement vers lui, comme pour aller à lui. L’envie m’a pris d’y aller en effet, de sortir de notre terre, de traverser l’espace, d’aller je ne sais où, goûter je ne sais quels plaisirs, pénétrer je ne sais quels mystères. Et ce mouvement de mon imagination, m’a porté vers vous. Je vous ai appelée ; je vous ai prise avec moi. Et tous mes désirs se sont concentrés en un seul désir : partons, dans un baiser, pour un monde inconnu.
Pendant que je vous proposais de partir le soleil s’est couché. La nuit est venue. Le froid avec la nuit. J’ai fermé, ma calèche. Je m’y suis enfoncé, au lieu de m’élancer dans l’espace. Vous étiez là aussi, encore plus près de moi. Et le fond de ma calèche est devenu plus charmant que le monde inconnu auquel j’aspirais. Et ce matin, dans ce château de Windsor en sortant de mon lit je retrouve en vous écrivant, mes impressions d’hier. Elles me charment encore. Sans vous, si vous n’y aviez pris place, elles se seraient évanouies comme les rayons du soleil, comme les ombres de la nuit. Mais vous les avez transformées en ..... Je ne les oublierai jamais.
Personne ici que lord Melbourne, Lord Palmerston, Lord et Lady Clarendon et moi. On est très aimable pour moi, un peu par estime et par goût, je m’en flatte, un peu aussi parce que je vais à Paris. On désire que j’y sois bien pour ici, que je parle bien des personnes. On me voudrait facile pour les choses. On voit bien que l’avenir, et un avenir prochain est plein de chances. On en est occupé, occupé comme on l’est de tout ce qui n’est pas l’Angleterre elle-même ; assez occupé pourtant. On a traité la France légèrement ; mais sa malveillance importune. On sait que tôt ou tard, pour les affaires son influence pèse ; pour les réputations son opinion compte. On voudrait la calmer, l’amadouer.
Si je pouvais faire comprendre à mon pays ce que je comprends, et lui faire adopter la conduite et le langage. Que je sais bien, je crois qu’il n’aurait pas à s’en repentir. Mais ce serait trop bien pour que ce soit possible. Midi Je reviens de déjeuner. Lady Littleton est la dame in waiting. Elle a assez d’esprit. J’en trouvé bien des gens le premier jour, ou la première heure, comme vous voudrez. Je crois vraiment que bien des gens en ont pour un jour, pour une heure et je m’y laisse prendre encore quelques fois.
La Reine est toute ronde, aussi grasse que grosse. Malgré la princesse Charlotte et la Reine de Portugal, je ne la crois pas inquiète de ses couches. Je ne la crois inquiète de rien. Elle me paraît prendre la vie lestement et sensément, l’esprit gai, le caractère résolu, le cœur pas très vif. Elle reviendra à Londres vers le 15 novembre. Il est décidé qu’elle n’accouchera qu’en décembre.
On chasse ce matin, lord Melbourne et lord Palmerston n’en sont pas plus que moi. Dans la matinée, j’irai causer avec eux.
Comme nous causerons nous ! Quelle profanation de parler de ces conversations. Là à propos d’aucune autre ! Oui, je suis content de votre foi, de votre rire, de vos réponses à mes questions. Mais je prends en grand mépris tous les contentements de loin. Il n’y paraît pas, car je bavarde comme si j’étais prêt comme si je ne songeais à rien de plus. Je songe à beaucoup plus. Je songe à tout. Que c’est beau tout ! Il n’y a que cela de beau. Ne trouvez-vous pas que j’ai un bon caractère ? Trop bon, je trouve. Je suis très ambitieux et très facile, insatiable et prompt à jouir de ce que j’ai malgré ce qui me manque. Il en résulte quelquefois que trop aisément on me croit content et qu’on ne s’inquiète pas assez de me contenter. Il faut qu’on s’inquiète. J’inquiéterai. Certainement pas vous, si je croyais avoir besoin de vous inquiéter, vous ne seriez pas pour moi ce que vous êtes. Je vous dirai mon secret. Avec tout le monde, ma facilité tient à l’insouciance. Avec vous, à la confiance. 2 heures J’attends M. Herbet qui doit m’apporter mes lettres. Il ne vient pas. Je fais partir ceci. Adieu. Adieu. L’heure me presse.
447. Windsor Castle, Vendredi 23 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
447. Windsor Castle, Vendredi 23 octobre 1840,
9 heures
Je ne pars d’ici qu’à une heure. La Reine me donne à midi et demie mon audience officielle de congé. Si je ne savais ce que vaut le mot chagrin, je dirais que la mort soudaine de ce pauvre lord Holland a été hier un chagrin pour moi. Si bon et si aimable ! Et si seul de son espèce dans Londres ! Et je m’intéresse vraiment à lady Holland, beaucoup plus spirituelle, et plus amie que presque toutes. Savez-vous que je suis choqué, vraiment choqué de indifférence avec laquelle cette nouvelle a été reçue autour de moi ? Personne j’en suis sûr, n’y a pensé autant que moi. Ils passaient tous leur vie chez lui depuis 30 ans. Décidément cette race-ci est personnelle et dure. J’ai entendu de nos vieux soldats parler de leurs camarades qu’ils avaient vus tomber à côté d’eux sous le canon, c’était plus tendre.
Et puis il y a dans la froideur forte de ces gens-ci, une certaine acceptation brutale de la nécessité des coups du sort. Ils sont dans la vie comme dans la foule ; ils ne regardent seulement pas celui qui tombe. Ils passent. On dirait qu’ils mettent leur dignité à ne se montrer quoiqu’il arrive, pas plus surpris qu’affligés. Mais leur dignité ne leur coûte. rien du tout. La grande, la belle nature, humaine est plus riche, plus expansive. Elle trouve plus abondamment dans les événements et sur les personnes de quoi penser et s’émouvoir. Et quand elle gouverne ses pensées et ses émotions. On voit qu’elle y prend vraiment quelque peine. Ces gens-ci ont l’air de comprimer ce qu’ils ne sentent pas. Politiquement, je regrette beaucoup lord Holland. Il n’avait pas autant d’influence que j’aurais voulu. Mais il en avait plus qu’on n’en convenait. La désapprobation de Holland house gênait beaucoup, même quand elle n’empêchait pas.
Londres 4 heures et demie
J’arrive. La Reine ne m’a donné mon audience que tard. J’ai à peine le temps de fermer ma lettre. J’en ai plusieurs à fermer, et indispensables. Je pars toujours après-demain. Je serai toujours à Paris, le 28 au soir. Il n’est pas du tout nécessaire d’y être le matin. Je serai à la Chambre le 29. Rien ne commence que le 29. Je ne fais absolument que passer par la Normandie pour y prendre mes enfants. Je ne resterai pas 18 heures chez moi. Cela n’a aucun inconvénient. Si je partais par Douvres des Calais, j’arriverais à Paris 20 heures plutôt. C’est tout-à- fait indifférent....politiquement.
Adieu. Adieu. Il faut absolument que je vous quitte votre grande lettre est très bien. Rien à changer du tout. Adieu. Adieu. Bientôt plus d’adieu.
9 heures
Je ne pars d’ici qu’à une heure. La Reine me donne à midi et demie mon audience officielle de congé. Si je ne savais ce que vaut le mot chagrin, je dirais que la mort soudaine de ce pauvre lord Holland a été hier un chagrin pour moi. Si bon et si aimable ! Et si seul de son espèce dans Londres ! Et je m’intéresse vraiment à lady Holland, beaucoup plus spirituelle, et plus amie que presque toutes. Savez-vous que je suis choqué, vraiment choqué de indifférence avec laquelle cette nouvelle a été reçue autour de moi ? Personne j’en suis sûr, n’y a pensé autant que moi. Ils passaient tous leur vie chez lui depuis 30 ans. Décidément cette race-ci est personnelle et dure. J’ai entendu de nos vieux soldats parler de leurs camarades qu’ils avaient vus tomber à côté d’eux sous le canon, c’était plus tendre.
Et puis il y a dans la froideur forte de ces gens-ci, une certaine acceptation brutale de la nécessité des coups du sort. Ils sont dans la vie comme dans la foule ; ils ne regardent seulement pas celui qui tombe. Ils passent. On dirait qu’ils mettent leur dignité à ne se montrer quoiqu’il arrive, pas plus surpris qu’affligés. Mais leur dignité ne leur coûte. rien du tout. La grande, la belle nature, humaine est plus riche, plus expansive. Elle trouve plus abondamment dans les événements et sur les personnes de quoi penser et s’émouvoir. Et quand elle gouverne ses pensées et ses émotions. On voit qu’elle y prend vraiment quelque peine. Ces gens-ci ont l’air de comprimer ce qu’ils ne sentent pas. Politiquement, je regrette beaucoup lord Holland. Il n’avait pas autant d’influence que j’aurais voulu. Mais il en avait plus qu’on n’en convenait. La désapprobation de Holland house gênait beaucoup, même quand elle n’empêchait pas.
Londres 4 heures et demie
J’arrive. La Reine ne m’a donné mon audience que tard. J’ai à peine le temps de fermer ma lettre. J’en ai plusieurs à fermer, et indispensables. Je pars toujours après-demain. Je serai toujours à Paris, le 28 au soir. Il n’est pas du tout nécessaire d’y être le matin. Je serai à la Chambre le 29. Rien ne commence que le 29. Je ne fais absolument que passer par la Normandie pour y prendre mes enfants. Je ne resterai pas 18 heures chez moi. Cela n’a aucun inconvénient. Si je partais par Douvres des Calais, j’arriverais à Paris 20 heures plutôt. C’est tout-à- fait indifférent....politiquement.
Adieu. Adieu. Il faut absolument que je vous quitte votre grande lettre est très bien. Rien à changer du tout. Adieu. Adieu. Bientôt plus d’adieu.
429_1 [Londres] Vendredi 18 septembre 1840, Lady Palmerston à Dorothée de Lieven
Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres
Auteurs : Palmerston,Lady
Mots-clés : Ambassade à Londres