Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Collection : 1838 (28 Juin- 29 Juillet) (1838 : Réflexion politique et élaboration historique)

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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106. Paris, Dimanche 29 juillet 1838

Vos fêtes dérangent tout. Ma lettre est venue à la poste trop tard hier. Aujourd’hui je vous l’envoie en me levant ce qui fait que je vous écris bien vite. Après demain nous nous verrons je n’ai donc rien à vous dire que ma joie, ma vive joie. Ellice est venu à pied encore me trouver hier à Longchamp. Il arrivait armée d’un formidable Vines qui renferme une lettre de M. Urgethart à Lord Palmerston dans cette lettre le ministre des Affaires étrangères est accusé de complicité dans la publication du Portfolio cette affaire va être grave pour Lord Palmerston. Ellice espère & croit qu’elle lui coutera sa place ; nous verrons. J’ai été hier soir à Auteuil. Il y avait assez de monde, mais pas de conversation. Je voudrais voir cette journée finie. Ce sera un bruit effroyable. Je m’en vais à Longchamp à midi, pour autant de temps que possible, mais il faudra bien finir par revenir. Adieu. Adieu.
Mardi à 4 h. du matin vous passerez devant mes fenêtres. Et j’aurai la bêtise de dormir ! à midi & demi je serai bien éveillée, bien impatiente, bien heureuse. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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105 Paris Samedi le 28 juillet 1838

Je vous remercie de votre bonne lettre nous n’avons plus en tête vous et moi que le 31. Il est si près et ce sera si joli qu’il me semble qu’il ne viendra jamais. N’y aura-t-il pas une émeute demain ? Ne serai je pas tuée ? Voilà qui est possible. Mon fils Alexandre n’a pas renoncé à ces projets de mariage. Il attendra 6 mois comme je lui ai dit de le faire, et puis je crains qu’il n’attendra plus. J’ai parlé de la religion des enfants comme une condition de rigueur, c.a.d. les fils luthériens, et je crois que cela fera la grande difficulté. Sa lettre est une bonne lettre et me touche. M. Ellice et le petit Howard sont venus un voir à Longchamp hier matin. J’ai ramené Ellice qui était venu à pied.
Le soir j’ai fait visite à Madame j ai trouvé M. de la Rovère de Steakelberg un très drôle homme. Quelle idée d’aller épouser Melle de Steakelberg. Ellice m’a lue des lettres de Londres selon lesquelles vraiment le parti libéral (Whigs libéraux) veut absolument une modification dans le ministère. Le Cabinet est fort divisé. Minto et Melbourne, à la Chambre haute, Horwich & John Russell à la Chambre basse se donnent des démentis en pleine séance. Cela a une étrange mine, et ne peut pas durer ainsi. Votre gouvernement ne veut mettre la main à la question Belge que pour la résoudre. Ainsi plus de protocole qui ne soit le dernier. Nous verrons.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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104. Paris le 26 juillet 1838

Les bons jours approchent, et puis les mauvais viendront tout aussi vite. Je voudrais ne penser qu’aux premiers, mais la peine se présente à mon esprit plus aisément encore que le joie. Cette disposition n’était pas dans ma nature. Elle n’y est venue que depuis que j’ai tant aimé. Je vous ai dit comme j’ai tremblé cent fois au milieu de mon bonheur. plus mes enfant m'étaient chers & plus je frémissais de tout, de tout. Vous n’étiez pas comme cela. Vous ne l’êtes pas encore. Savez vous pourquoi ? C’est que vous êtes français. Le plus grave, le plus sérieux, peut-être le plus passionné des Français. Mais encore une fois, français. Je ne dis pas cela en blâme. Je le dis en envie. Et puis, non ; je ne vous envie rien, je vous aime trop pour vous rien envier. Oui, je vous aime, de toute mon âme, de tout mon cœur, de tout mon esprit. Je trouve que j’ai si raison de vous aimer, que je fais une si bonne action que je deviens meilleure auprès de vous tous les jours. Mais défendez-moi d’être si triste, si triste. Comment se fait-il que pour moi le temps ajoute à la douleur ? On m’avait tant dit qu’il la calme. Vous le voyez. Je vais de vous à ces horribles souvenirs, et puis je vous cherche, je vous retrouve, j’ai besoin de vous, de votre impensable patience, de votre affection.

Longchamp 4 h.
Je vous demande pardon de la pauvre petite lettre que la poste vous portera demain matin. Le prince Kotchoubey entrait tandis que je vous écrivais, et l’heure de la remettre est venue pendant sa visite ! C’est un fils de ce lui que vous avez connu. Il a un peu d’esprit et la disposition à la fronde comme tous les jeunes gens en Russie. Il vient dans ce moment de Londres, & voit Paris pour la première fois. Il trouve la France & Paris abominables, c’est fort naturel quand on vient de ce merveilleux pays. Mais il s’amusera ici et dans huit jours il aura changé d’opinion. Il fait bien tranquille ici, peut-être trop tranquille pour moi, cela ne me vaut rien du tout. Quand nous y serons ensemble ce sera charmant, car je vous y mènerai n’est-ce pas ?
Vendredi 10 heures.
On m’a fait veiller hier jusqu’à minuit. J’en ai mieux dormi. Je vais remettre ceci à M. Génie. L’occasion est bien bonne et cependant je ne sais pas écrire tout ce que je dis si aisément vous verrez Mardi comme je reprends vite et avec joie mes habitudes, que je suis impatiente de mardi ! Je ne vous ai pas logé encore dans mon salon. Je ne sais quel est le fauteuil, le canapé sur lesquels vous vous plairez. Tout cela me préoccupe, tout cela m’amuse même et puis le jardin. Ces belles fleurs nous les regarderons ensemble. Enfin j’ai mille petits plaisirs en perspective, il me semble que je me suis levée plus gaie aujourd’hui. J’ai vu beaucoup de monde hier au soir mais presque rien que des hommes, toute la diplomatie et Berryer et le petit Dino, Médem et Nicolas Pahlen restant toujours les derniers et me font veiller. Lady Clauricarde m’a écrit enfin, mais pour m’annoncer qu’elle est nommée Ambassadrice à Pétersbourg. Elle dit qu’elle en est fâchée, je n’en crois pas un mot. Elle est enchantée. Elle me demande des conseils. Je l’engagerai à venir les chercher ici. Ellice est furieux de la nomination. Il ne les aime pas. Le Duc de Noaille m’écrit ce matin. Il est toujours à Dieppe. Fabricius qui était hier ici est-en grande colère contre M. Molé d’un certain discours à la chambre des pairs dans lequel M. Molé dit à propos de la Belgique qu’il a fait ses preuves l’année 30. Il ne veut plus remettre les pieds chez lui. De son côté M. Molé m’a parlé mal de Fabricius qu’il appelle un mauvais homme. Son Duc, le Duc de Nassau a été assez mal traité à Londres. On n’y a pas fait la moindre attention. En vérité les promenades & les speech au Maréchal & du maréchal Soult sont parfaitement ridicules. Il est bien temps que cela finisse. Il quitte Londres le 29.
Vos glorieuses commencent. On a fait beaucoup de dépenses en bois et en couleurs mais pas beaucoup de dépenses d’esprit dans la décoration. Imaginez que tout le long des Champs-Élysées il y a 27, 28, 29 juillet sur des poteaux comme j’ai marqué là et entre ces quatre poteaux un plus grand portant le nom d’un département. Ainsi les chiffres répétés 86 fois. C’est exact comme je vous dis là. Ce qui me divertit & me plait, c’est que j’ai juste devant mon appartement - Calvados. Est-ce de la malice de M. le décorateur ?
Adieu. Adieu. Je vous aime, je vous aime. Je vous attends. Je vous le dirai autrement. quand vous serez là, devant moi, près de moi. Quel plaisir. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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103 Paris jeudi 26 juillet 1838

Ma bonne matinée de Longchamp a été raccourcie hier par les visites de M. Ellice. M. Villiers, & l’Ambassadeur d’Autriche. Chacun a eu son tête à tête. Villiers a de l’esprit et comme nous en sommes pas sortis des affaires, hier il avait bon ton. Il avait eu la veille une très longue conversation avec le Roi, il en est revenu très frappé de l’habileté, de la plausibilité, (dit-on cela ?) avec les quels le Roi défend ses opinions, car ils n’étaient pas de la même opinion sur l’affaire d’Espagne. La Belgique occupe tous les Cabinets. Le vôtre défend les intérêts de Léopold un peu trop. Celui de Londres reste encore d’accord avec nous. S’il persiste il faudra que la France aussi se range. En général nous sommes fort contents pour le moment de Lord Palmerston dans les deux questions d’Orient et de la Belgique. Je ne sais si cela se soutiendra.
J’ai fait courtement Longchamp par un temps assez froid. Mon dîner solitaire ensuite, et puis un peu de promenade encore en calèche. Marie m’a lu le soir le partage de la France pas l’empereur Nicolas. Vraiment mes Anglais sont trop niais. Comment aller gravement insérer cette bêtise dans les premiers journaux anglais ? Vous avez plus d’esprit ici. J’ai mal dormi, je me sens mal à l’aise ce matin. Je ne sais ce que c’est. En tout cas il n’y a pas de ma faute, car il est impossible de se mettre à un régime plus sain que le mien. Mes Anglais ont dîné hier chez M. Molé.je crois qu’ils dinent chez M. Decary aujourd’hui. Villiers part ce soir. Ellice ne veut partir qu’après vous avoir vu. Voilà une visite un compatriote vite adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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102. Paris Mercredi 25 juillet 1838

Ellice est entré chez moi hier matin en criant " Vive M. Guizot. Le précepteur est trouvé, une merveille, " et vraiment M. Ellice est d’une joie & d’une reconnaissance sans pareilles. M. Lorain est venu chez moi un moment après, et tous les arrangements ont été faits en ma présence. Je vous remercie beau coup d’avoir si bien arrangé cette affaire. Je n’ai pas vu l’homme mais Ellice le trouve plus gentleman que qui que ce soit.
La petite Princesse et son mari m’ont enlevé un peu de temps hier matin, mais il faisait assez laid et je n’ai pas songé à Longchamp. J’ai fait une visite à Auteuil. Une fort petite promenade après, le dîner ; et puis une heure tout à fait perdue chez moi de 9 à 10. Comme je ne puis ni lire ni travailler. le soir, je vois qu’à moins de très beau temps il me faut un peu de société. Je n’innoverai rien jusqu’à votre arrivée, soyez tranquille. Mais après le honey moon comme vous l’appelez, je reprendrai peu à peu mes anciennes allures. On dit qu’il est sérieusement questions d’appeller le fils du duc d’Orléans, si fils il y a, comte de Paris. On espère qu’il viendra au monde ou le 29, ou le 3 août, ou le 7 ou le 9. En effet voilà plusieurs bonnes occasions. Ce serait maladroit de ne pas en profiter. Londres va finir cette semaine, je me fais fête ds revenants. J’aime votre voisin, ce grand prôneur des mérites de l’Angleterre. Ah quel beau pays. Décidément il faut que nous y allions ensemble, en passant par Boulogne. Que de rêves !
L’Egypte & la Belgique occupent ici le cabinet. Appony était fort interisting & Le comte Pahlen sera de sérieux hier. retour avant le 20 août, je m’en réjouis. Mais nous allons perdre la petite Princesse, quel dommage ! Adieu. Je vous quitte pour aller me réchauffer les pieds au jardin. Voilà où nous en sommes en fait d’été, mais je ne me plains pas, j’aime ceci mille fois mieux que le chaud.
Adieu. Adieu. J’ai des moments de tristesse abominable depuis quelques jours. Vous en sauriez croire tous les efforts que je fais pour combattre cela. Car c’est affreux de me livrer aux souvenirs les plus doux. Je n’ose pas regarder en arrière. Et mon avenir ? Je n’en ai pas. Ah si je n’avais pas votre tendresse, je serais perdue. Ne m’en ôtez rien, jamais, jamais. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N° 101 Samedi 28, 7 heures

Voici mon dernier mot. Il sera court. Ni ma joie, ni mon chagrin ne sont bavards. Pourvu que je vous trouve bien portante ! Votre mal aise m’a préoccupé tout le jour. De quoi vous parlerais-je ? J’ajourne tout à mardi. Ce jour là, je n’aurai point encore de jury. Tout mon temps sera à moi. Pourquoi donc, est-ce que je vois encore dans les journaux que Lord Granville a été chez le Roi ? Est-ce qu’il n’est pas parti pour Aix ? J’attends Génie ce matin. Il vous aura vue. C’est quelque chose quelqu’un qui vous a vue, en attendant que je vous voie moi-même. Je laisserai mes enfants très bien et ma mère assez bien. La santé de ma mère, me préoccupe beaucoup. Elle est heureuse. Elle l’a si peu été ! Elle jouit vivement de l’affection de mes enfants. Ils remplissent son temps et son âme. La campagne lui plaît. J’espère que le soir de sa vie se prolongera au milieu de ces impressions douces. Et elle m’est si nécessaire pour mes enfants ! A travers beaucoup de petites choses qui manquent et qui m’impatientent quelquefois, toutes les grandes y sont et me donnent une sécurité habituelle que rien ne pourra remplacer. Adieu. Je ne fermerai ma lettre qu’après l’arrivée du facteur. Mais il sera ici probablement avant M. Génie. Adieu donc. à mardi, midi et demie

9 h. 1/2
Le facteur ne m’apporte pas de lettre. Je suppose que M. Génie me l’apportera dans une heure. Je veux bien de cet échange. Mais sans cela, je serais inquiet. En attendant, adieu, le dernier. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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101. Paris Mardi 24 juillet 1838

Quel bonheur quand il n’y aura plus de lettre à écrire ! Voilà une exclamation d’amour et de paresse. Faites les proportions. Ma nuit a été si mauvaise que j’ai dormi jusqu’à dix heures dans le matinée. Il faisait frais cependant, presque froid en vérité. Ma journée hier a été tellement rien du tout que je n’ai pas de compte à vous en rendre. Je n’ai vu personne que Madame Durazzo et Madame Pozzo. A propros le vieux Pozzo est retenu à Londres parler conférences. Il n’a plus de calcul car Dieu sait comme elles iront. On ne s’arrange pas pour le partage de la dette.
Lady Cowper m’a écrit une amusante lettre toute remplie de petites choses. Entre autres, le duc de Sussex qui est un sot comme vous allez voir a donné à dîner au Maréchal Soult en invitant aussi Sébastiani & Flahaut & en portant la santé du Maréchal il a raconté l’histoire de la candidature pour l’ambassade. Lady Cowper ajoute que Flahaut a fait bonne contenance mais que si Marguerite y avait été, on est sûr qu’elle lui aurait jeté un plat au visage. La Reine à son dîner diplomatique a pris le bras de son oncle, de Coburg, ce que les Ambassadeurs ont été obligés de subir ; mais en revanche ils ont pris le pas sur son frère de Linauge, ce qui a déplu à la Reine. Le bruit court à Londres que le grand duc n’y ira pas cette année. J’ai prié la Reine de Hanovre et mon frère de m’apprendre enfin ce qui va devenir mon mari, car toujours encore je n’ai pas un mot de lui.
Savez-vous que je vis exactement comme je ferais à la campagne ? Comme cela me déplairait fort à la campagne, & comme cela me plait parfaitement ici. De l’air, beaucoup d’air, des heures fort bourgeoises, de la solitude ; mais comme elle est volontaire, voilà la différence. Et puis deux fois la semaine du monde, pour me bien prouver que je fais bien de ne pas le recevoir tous les jours, car il ne m’amuse point du tout. Le Pape a de l’Esprit. Comme il y en a peu dans le monde ! Adieu. Mardi prochain à cette heure-ci midi & demi que d’adieux !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°100. Vendredi 27 6 h 1/2

Ce n’est pas pour vous que je me lève de si bonne heure, mais je ne puis me refuser le plaisir de commencer par vous. J’attends demain M. Génie et M. Dumon. Ils me prendront un peu de temps, et je veux achever aujourd’hui quelques pages que j’ai promises à la Revue française. Je ne devrais pas promettre, car je tiens.
Cette semaine a marché bien lentement. Enfin la voilà qui s’en va. Dans trois jours, je me mettrai matériellement en route. Il pleuvait à seaux hier au soir ; ce matin, il fait beau. Peu m’importe pour mon voyage ; mais, pour mon séjour, je veux un beau temps frais, un temps qui vous plaise. Quand nous nous promènerons le soir, j’aurai besoin d’un peu de précaution, pas trop tard ou la calèche à demi fermée. Je sens très vite le serein. à la vérité le serein de Paris ne ressemble pas à celui de Normandie. Je suis bien aise que les Brignole et le duc de Palmella vous reviennent de Londres. Le dernier me paraît d’une société agréable et douce, quoiqu’un peu traînante, comme dit Voltaire de la prose de Fénelon. Ils vous raconteront tout, et vous me le redirez. J’aime beaucoup mieux avoir cela de la seconde main quand c’est la vôtre. Le plaisir que vous y prenez fait plus de la moitié du mien. Vous avez tort de vous obstiner sur la Belgique, car vous céderez. Si vous ne voulez qu’avoir un bon procédé pour le Roi de Hollande, à la bonne heure ; mais comptez que trois mois plutôt ou plus tard, l’affaire s’arrangera. En renonçant à toute prétention territoriale la Belgique à de bonnes raisons quant à la dette ; et ce qui vaut mieux que les raisons, peu lui importe d’attendre. Elle a le provisoire, et le temps ajoute à la bonté de ses raisons. Puis elle fera quelque offre raisonnable, quelque grosse somme payée tout de suite qui videra le différend. Du reste, l’Empereur ne me paraît guère vouloir autre chose que garder sa position et satisfaire son humeur. Il n’y a rien là de bien gênant pour personne. Je vous quitte pour travailler.

9 h. 1/2
Je vous reviens pour rire avec vous de la bêtise des journaux anglais. Est-ce qu’il y en a vraiment un qui ait pris cela au sérieux ? Voilà un beau thème d’éloquence pour le Maréchal Soult. Si vous êtes content de Lord Palmerston, j’ai tort au commencement de cette page. En tout cas ne soyez pas malade. J’y tiens beaucoup plus qu’à la dette belge. J’irai y veiller mardi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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100. Paris lundi 23 juillet 1838

Vous m’avez écrit une aimable et bonne lettre. Nous allons redevenir plus aimables tous les deux, je me sens en disposition de M. Génie vient de me cela tout à fait. faire visite. Il part vendredi pour aller vous trouver si j’ai quelque chose je le lui donnerai. M. Lorain est venu hier sans me trouver, je viens de lui mander les heures où je suis chez moi. J’ai fait ma matinée hier à Longchamp. Ellice a imaginé d’y venir à pied depuis l’hôtel Bristol. Il est arrivé affamé & exténué. Je l’ai ramené chez lui. Le soir j’ai eu mon monde d’habitude et de plus M. Villers que revient de Madrid. Il a bien mauvais visage. Il a beaucoup parlé Espagne pour l’édification de Médem. Cela ne m’intéresse plus du tout.
Alava est nouveau ambassadeur à Londres ; nous le verrons à Paris ce qui me fait plaisir ce qui m’a frappé dans M. Villers est un peu de mauvais ton. Cinq ans de Madrid, & de Madrid en révolution, peuvent bien donner cela. La Reine de Hanovre me mande l’arrivée du grand duc le 18. si faible qu’il ne peut pas marcher seul. Le Roi de Danemark l’avait logé dans un Château qui n’a pas été habité depuis 40 ans. Il y avait bien de quoi prendre la fièvre. Elle ne me dit rien sur les mouvements ultérieurs. Je vais répondre aux questions de votre lettre. Le Hügel de Mühlinen n’est ni le diplomate, ni le voyageur. C’était son attaché ici. Au sur plus ils ne se sont pas battus. Mais Mühlinen est presque fou. Il a menacé le roi de Würtemberg de publier sa correspondance particulière avec lui s’il n’augmentait sa paie. & je crois. que le Roi a fléchi. Sa femme veut se séparer de lui M. Ellice dit qu’il est venu à Paris pour moi, mais on dit qu’il y est venu pour autre chose, qu’il ne veut pas se trouver à Londres si on discute à la Chambre basse l’affaire de Lord Durham. Il est trop lié avec lui pour voter contre, & il lui serait impossible de voter pour quant à ses affections ministérielles. Il est pour Melbourne sans plus, & un peu contre tous les autres. Il veut que Spring Rice, Glenely et Powlett Tompson sortait et qu’on les remplace par Lord Morpeth, Francis Baring & & il voudrait bien aussi chasser Lord Palmerston, mais cela serait plus difficile.
Pourquoi êtes vous toujours enrhumé ? le changement d’air va vous faire du bien. Je m’arrange beaucoup mieux du l’air frais que de la chaleur, mais je n’ai encore à me vanter de rien, et vos glorieuses journées vont m’enlever le peu de sommeil que je prends. On me fait un bruit épouvantable déjà. Je pense quelques fois qu’il n’est pas convenable que je reste ici pendant ces vilaines journées. Mais quelles bonnes journées tout de suite après ! Adieu, adieu en dépit de votre rhume.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°99 Mercredi soir 25 9 heures

Que nous sommes mobiles ! Moi aussi. Ce matin, j’avais peu de goût à vous écrire. Ce soir j’en ai soif. Et l’approche du 31 qui, ce matin me rendait si froide cette ombre de conversation, ce soir me la rend nécessaire. Si je me couchais sans m’être assis près de vous, sans avoir causé avec vous, je suis sûr que je ne dormirais pas. Dormirais-je mieux si je m’étais réellement assis près de vous. Si j’avais réellement causé avec vous ? J’en doute. N’importe. Causons. Êtes-vous encore sur la route de Neuilly ? Il doit y faire beau et frais. La calèche est ouverte. Vous avez tort. Il vaut mieux, je vous assure qu’elle soit à demi-fermée. Ce qui doit être agréable, c’est de se promener tard, quand vous êtes rentrés dans votre jardin, par une lune bien claire et bien calme. Cette phrase-là est faite je ne sais comment ; mais cela s’entend. Je me suis peu promené depuis que je suis ici, presque jamais le soir. Je me trouvais trop seul. Vous m’avez gâté la solitude comme le monde. Quand je suis seul, je vous désire encore plus que je ne vous regrette. Le regret s’arrange de la solitude, le désir, pas du tout. J’ai eu vingt fois, cent fois, près de vous, le sentiment si beau, si rare, le sentiment de la perfection d’un état auquel rien ne manque et qu’on accepterait avec ravissement comme sort éternel. Loin de vous, le souvenir de ces heures-là me revient sans cesse, tout à coup, au milieu d’une conversation ; et mon âme s’en va ; elle va vers vous. Vous me rendrez ces heures charmantes, n’est-ce pas ? Je les retrouverai près de vous. L’été à Paris est une très douce saison. On est bien plus libre. L’été, le monde n’a point de droits ; on ne lui donne que ce qu’on veut. Mes quinze jours seront à moi, bien à moi. Ils passeront si vite ! Que faites-vous de Marie, le soir. Mad. Durazzo s’en charge-t-elle quelques fois ?
Décidément ma mère et tous les miens vont passer à Broglie, le temps de mon absence. J’en suis charmé. Ils y seront bien et moins impatients. Ils n’iront que le 4 août. Mad. de Broglie m’écrit ce matin qu’elle ne sera libre que le 4 de quelques hôtes qu’elle a dans ce moment. Avez-vous eu des nouvelles d’Alexandre ? A-t-il bien abandonné ses idées de mariage ? Je ne puis me déshabituer des questions. Ne répondez qu’à celles dont vous voudrez débarrasser d’avance nos quinze jours. Le mois de Juillet, sur lequel vous aviez de si mauvais pressentiments, il ne se passera pas tout entier sans nous. A la vérité ce sera tout juste. L’année dernière, il a été tout à fait perdu. Vous le dirai-je cependant ? Il n’a pas été, il n’est pas encore en mon pouvoir d’y avoir tout le regret que je devrais. Votre voyage en Angleterre, votre impatience, votre chagrin, vos lettres si tendres, votre retour si soudain, c’est là ce qui m’a donné confiance. J’ai vu là une preuve, cette épreuve par laquelle tout nœud doit passer avant d’être vraiment serré. Mais à présent, nul voyage, nulle absence n’est plus bonne à rien. C’est du chagrin en pure perte. Et le temps qui s’en va, la vie qui passe ! Qui me rendra les jours que vous auriez pu remplir ? Je n’y veux pas penser à présent, si près du 31. J’aurai bien assez de temps plus tard pour les réflexions mélancoliques. Adieu. Je vais me coucher pourtant. Probablement vous vous couchez aussi, à cette heure, même. Adieu, adieu.

Jeudi 7 h 1/4
J’ai bien dormi ; mais d’un sommeil chargé de rêves, tristes et doux, incohérents au delà de toute expression comme la vie. J’hésite beaucoup dans ce que je pense de la vie. J’y connais de si beaux jours, et des temps si sombres ! Il faut que je sois particulièrement né pour le bonheur, car il me laisse une impression si vive qu’elle résiste au malheur même. Un moment de vrai bonheur me paraît digne d’être acheté au prix de toutes les peines. On dit cela dans la jeunesse, avant l’épreuve. Je le dis après. Après cette lettre-ci, je ne vous écrirai plus que deux fois. Mais écrivez-moi encore Dimanche matin. Je ne partirai d’ici lundi qu’à 2 heures 10 h. Je suis charmé que vous soyez contente de ce qu’Ellice est content. Vous savez que j’ai entrepris, non pas de guérir votre tristesse, les vraies tristesses ne se guérissent pas, mais de mettre à côté du bonheur, du vrai bonheur. Soyez tranquille. Je réussirai. Je vous aime trop pour ne pas réussir. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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99. Paris, le 22 juillet dimanche.

Vous avez brûlé vif le 93 voilà tout. J’ai si peu à vous conter de ma journée d’hier que j’ai honte de vous écrire. Ma matinée à Longchamp toute seule. Il faisait laid personne n’est venu interrompre ma solitude. Après le dîner j’ai mené M. Ellce et M. Aston à Auteuil. Il y avait du monde, beaucoup même, mais je ne vais vous nommer personne. Tout cela était ennuyeux, très ennuyeux. Je suis revenue à 10 heures. Il n’y a pas un mot de nouvelle. Est-ce que tout le monde dort en Europe. Ellice est bien impatient du précepteur. Il a grande foi en vous. J’impatiente un peu mes Anglais de hier au soir. Je n’ai plus la plus petite envie de Versailles. Je me sens fort sotte d’en avoir jamais témoigné. Cela a l’air d’un caprice. Ah que j’aurais besoin d’être gouvernée. Pourquoi ne me gouvernez-vous pas ? Rien ne me plait que ce qui plait à un autre. Mais l’autre il faut que je l’aime ; que je l’aime bien, et je n’aime pas assez M. Ellice, ni M. Aston ; ici personne. Personne que la Normandie. Quelle belle manière d’échapper à la personnalité ! Monsieur, je deviens bête, je crois même que vous le trouvez un peu depuis le 27 juin.
Nous nous adressons de sottes lettres. Vous ne me dites rien, vous ne m’avez écrit que deux lettres charmantes même le n°87. " de douces paroles !", l’autre le jury. J’attends tout du jury. Dans 9 jours. J’y pense je crois plus que vous Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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98. Paris Samedi 21 juillet 1838

Je vous remercie d’avoir fait vos calculs de façon à ne pas me laisser manquer de lettre. Je vous remercie aussi de ce que vous me permettez au sujet du précepteur pour Lord Coke. C’est un enfant charmant. Le type des beaux enfants de l’aristocratie anglaise. Je suis sûre qu’il vous plaira. Quelle belle race que ces Anglais ! Et les enfants qui naissent en Angleterre sont comme cela, étaient comme cela ! J’ai eu hier une lettre de mon frère un peu meilleure que les autres. L’Empereur venait d’arriver au château de Furtustein " il est content de la Pologne, il a été bon pour tous sans se faire illusion." L’Impératrice très faible. Je n’ai vu hier qu’Ellice dans ma longue matinée de Longchamp. Il m’est venu du monde en ville, sur lequel je ne regrette que M. Villers. M. Molé me mande que le grand Duc est arrivé à Lubeck très souffrant et faible. Du reste, no new whatever.
Je mène une vie très solitaire depuis que je ne reçois plus le soir et que ma matinée se passe hors de Paris. Je me couche à 10 heures après une promenade en calèche et cette promenade je la fais invariablement sur la route de Neuilly, la seule praticable puisqu’elle est arrosée ! J’ai lu dans les journaux ce matin, que la réunion de savants à Caen est fixée au 8 août & que vous devez la présider. Qu’est-ce que cela veut dire ? Vous m’avez juré que vous étiez du jury. Je suis extrêmement refroidie sur la partie à Versailles. Vous ne sauriez croire comme je déteste de me déplacer, comme je crains l’inconnu, un mauvais lit. Je ne suis pas difficile, mais mes conforts me sont nécessaires. Je m’engage très lestement pour ce qui est dans l’avenir, mais quand le moment de l’exécution arrive cela me devient insupportable. Je crois que cela s’appelle de la vieillesse.
Adieu, je suis enchantée de vous savoir sorti de vos dîners, il m’en revenait de pauvres lettres. Au reste depuis que j’ai le 31 devant moi, je suis devenue fort accommodante ! Adieu. Adieu. Je ne pense qu’à mardi 31.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°98 Lisieux- Mardi 24

Je persiste dans mon erreur. Je mets 98 comme si 93 avait été à sa place. Je suis encore venu dîner ici. C’est une singulière chose, qu’un pays démocratique. Tout le monde est shy avec un Ministre et shy avec humeur. Je ne suis plus ministre, mais je l’ai été et on croit que je le serai encore. Tout le monde veut être et avoir été bien pour moi, et avec moi, et croit pouvoir l’être sans embarras. Je n’ai jamais été plus entouré. Hier, à dîner, tout-à-coup, au milieu des 24 personnes qui étaient à table avec moi, comme je m’ennuyais fort l’idée m’est venu du plaisir que j’aurais si j’étais seul à table avec vous, à dîner je ne sais où. Le rouge m’a monté au visage. Ma voisine, la maîtresse de la maison l’a remarqué : " Est-ce que vous êtes souffrant ? Vous avez trop chaud. " J’ai eu beau dire que non. On a ouvert toutes les fenêtres. On m’a demandé dix fois, si j’étais encore incommodé, si j’allais mieux &, Dans huit jours, mon plaisir ne sera pas en idée. Je crois en vérité que le rouge me gagne encore en y pensant. M. Génie vient en effet passer avec moi Samedi et Dimanche. J’espère qu’il m’apportera quelque chose de vous. Je suis avide et toujours avide, en dépit du 31. Je serai très avide le 31 et tous les jours suivants. Je ne m’étonne pas que M. Villers ait mauvais ton. Il a mené à Madrid une vie fort légère, et les galanteries espagnoles n’ont bon ton, je crois, que dans les romances du Cid. Avez-vous jamais lu ces vieilles romances du Cid et de tous les héros Espagnols de son temps ? C’est très joli d’une élégance et d’une simplicité charmante. Il y a quelque chose de très agréable, de mon avis, dans une grande élégance d’esprit et de cœur une à une grande simplicité de vie matérielle. C’est souvent le mérite de l’antiquité grecque et de l’Europe du moyen-âge.
Je persiste à croire qu’Ellice est venu à Paris pour autre chose encore que pour vous et pour ne pas voter sur Lord Durham. Si vous avez quelque bon endroit où il vous plaise d’aller passer les trois journées, faites le, sauf cela, vous pouvez, ce me semble rester chez vous sans autre inconvénient que le bruit. A la vérité, il sera grand là où vous êtes. La poussière vous incommode-t-elle ? Je ne pensais pas qu’on arrose. Vous vous promenez donc toujours le soir sur la route de Neuilly.
J’y vais tous les soirs. Adieu. Je repars pour le Val-Richer, & ; je n’en sortirai plus que lundi prochain. Mon rhume n’est rien. Et je n’en aurai pas la moindre trace mardi. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N° 98 Mercredi 25. 9 heures

Je voudrais vous envoyer de mon sommeil. Je suis sûr qu’il vous ferait grand bien. Pour moi, c’est ma vie, sauf les journées, vous devez avoir moins de bruit rue de la Charte que rue de Rivoli. A quelle époque comptez-vous retourner à la Terrasse ? Ne me répondez pas. Vous me direz tout le 31. Que de choses pour le 31 ! C’est un grand pouvoir Madame, que de répandre, sur un petit point du temps, tant d’espérance et de charme. Le monde entier se cotiserait en vain pour me donner, en bien des années, ce que j’attends, ce que j’aurai de vous ce jour-là. Et ce jour-là ne sera pas le seul. Le jury, qui nous vaut ces excellents moments nous en ôtera bien quelques uns. On tire au sort chaque matin les jurés qui doivent siéger dans la journée. Quand le sort me désignera, toute ma matinée pourra bien être prise. Mais, alors même, nous aurons la soirée ! Et le sort ne me désignera pas toujours. Et quelquefois, je me ferai récuser. Je vous parle là comme si vous étiez versée dans la procédure criminelle. Mon plaisir à part, je fais bien d’aller au Jury. L’amiral Duperré, qui avait été appelé il y a trois semaines, s’est excusé pour cause ou sous prétexte de santé, et comme Pair. Les Magistrats et les autres jurés ont trouvé cela mauvais, et je sais qu’on a dit : " Nous verrons si M. Guizot en fera autant." Je n’en ferai pas autant.
Je ne m’étonne pas que vous vous ennuyiez à Auteuil. Quels que soient les visiteurs, on s’ennuie partout où les maîtres de la maison sont ennuyeux. Ce qui fait l’agrément ou l’ennui d’une maison c’est bien moins ceux qui l’ont, que ceux qui l’habitent et y reçoivent. On m’écrit aussi que les Ministres ne savent comment tenir leur parole au comité Appony pour l’hôtel de la rue de Grenelle. Cela commence à se savoir et on en parle. Vous pourriez bien un de ces jours le trouver dans les petits journaux. Puisque, au pied du mur, vous n’avez pas plus d’envie de voir Versailles, je ne regrette pas que vous n’y alliez pas. Non que la chose ne soit belle et digne de vos yeux ; mais malgré les petites voitures, c’est très fatigant, & vous seriez bientôt excédée. Ma présomption est grande. Si j’y étais avec vous, je ne craindrais pas votre fatigue. Vous me direz si j’ai tort.

10 heures
Le N° 101 m’arrive par un grand orage. Il n’est pourtant pas orageux du tout. Quand votre nuit est mauvaise, vous faites fort bien de dormir tard. Cependant, je suis décidé à faire la part de la paresse très petite. Je ne suis point paresseux ; mais je m’écrie aussi, quel bonheur ! Il est sûr que la perspective du 31 fait aux lettres un peu de tort. Vous avez raison. Le Duc de Sussex a peu d’esprit, moins esprit que le Pape. Certainement l’esprit est rare en ce monde. Et il me semble qu’il s’en en va plus qu’il n’y en vient. J’en serais fâché. Je n’ai nulle envie de laisser le monde en déclin après moi. Adieu. Mercredi prochain, je serai établi dans mon bonheur. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°97. Dimanche 22. 5 heures

Ma corvée est finie. Ce n’est certes pas la solitude que je suis venu chercher ici. Je suis charmé de la vôtre. J’en profiterai. Je fais de charmants projets. Je fais des vœux pour que le temps se maintienne tel qu’il est aujourd’hui beau et pas chaud. Un de mes voisins de ce matin me l’a promis. " C’est, dit-il, le combat de la lune." Ce sera la lune de miel.
Je regrette que vous n’ayez pas vu M. Villers. Il aime à parler et il doit être curieux à entendre sur l’Espagne. Il a joué là un jeu bien brouillé. Quel triste sort que celui des pays faibles ! Le théâtre des intrigues rivales des grands pays quand ils ne sent pas celui de leurs guerres : jouet ou champ de bataille et toujours victime. Il ne faut pas être petit, et il faut être bon pour les petits. Je crois que c’est pour vous que M. Ellice est venu à Paris. Il me semble qu’il passe sa vie chez vous. Il a de l’esprit et il est très au courant. Comment un homme d’esprit comme lui ne s’aperçoit-il pas que tout en causant, & vous plaisant avec lui, vous ne lui portez pas grande considération ? Et s’il s’en aperçoit, comment s’en arrange-t-il ? Mais il est de ceux qui s’arrangent de tout ce qui les sert ou les amuse. Vous avez un grand talent pour traiter avec ces hommes-là. Vous les attirez sans les laisser tout à fait approcher. Vous leur plaisez et vous leur donnez le plaisir de vous plaire, mais toujours d’un peu loin. C’est votre histoire avec Thiers. En entendez-vous dire quelque chose? Ne trouvez-vous pas que le Maréchal Soult abuse de sa fortune ? Ces visites partout, ces acclamations de tous les jours, cette perpétuelle exhibition, combien de temps cela peut-il durer en Angleterre ? Chez nous, ce serait déjà fini usé. Et vous qui n’aimez pas les répétitions et les longues choses vous n’êtes donc pas Anglaise par là ? Il y a bien des côtés par où vous ne l’êtes pas. Vous avez le cœur plus anglais que l’esprit.
Du reste j’ai un de mes voisins qui arrivait d’Angleterre et qui vous charmerait à entendre, cinq minutes je veux dire car vous ne vous en accommoderiez pas plus longtemps. C’est le plus grand manufacturier du pays ; il est allé parcourir l’Angleterre pour ses affaires ; et malgré les rivalités d’argent, il en est dans un enthousiasme inépuisable ; il professe, il prêche la richesse, la propreté, l’élégance, la grandeur, l’esprit d’ordre, le bon jugement, les bonnes auberges. Je l’écoutais l’autre jour avec le plaisir de vous entendre donner raison. C’est lui qui m’a donné à dîner à Combrée avec 80 amis. Et son toast et son speech en mon honneur valaient son admiration pour l’Angleterre.

9 heures 1/2
93 méritait d’être brûlé vif. Je n’ai fait que mon devoir. Je trouve comme vous, que nous nous adressons de sottes lettres. Si elles pouvaient ressembler à nos conversations, elles seraient charmantes. Ah, nos conversations ? Nous les retrouverons de demain, en huit, pour quinze jours. Que ce sera court, & immense ! Vous y pensez, dites-vous, plus que moi. Je le veux bien, mais je le nie. J’y pense toujours. Ajoutez quelque chose à cela. Je vous en prie ; ayez des caprices ; ne vous laissez gouverner par personne en mon absence. Je ne vous le pardonnerais pas. C’est peut-être un des signes les plus assurés de l’affection que de se laisser gouverner. On ne remet sa liberté qu’à celui qu’on aime plus que soi-même, en qui on se confie plus qu’en soi-même. Redites-moi de vous gouverner.
Je n’ai pas encore de réponse pour le précepteur, vous l’aurez probablement avant moi. Vous ne savez pas combien je voudrais faire, à l’instant même ce que vous désirez. Si je pouvais le faire toujours moi-même, j’en serais sûr. Mais de loin, mais forcé de mettre un esprit au bout de mon esprit, des mains au bout de mes mains, tout est long, & je m’impatiente autant que vous. Adieu. Comment va Marie ? Dites-lui au moins une fois avant mon arrivée que je vous ai demandé de ses nouvelles. Adieu. Lundi prochain, je serai sur la route de Paris. Je vous porterai moi-même mon adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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97. Paris, Vendredi le 20 juillet 1838

Je ne fais que penser à votre belle institution du jury. J’ai pour elle un grand respect. J’ai passé ma matinée hier à Longchamp. M. Ellice, M Granville et le petit Howard sont venus m’y trouver, j’ai ramené Ellice à Paris, il est revenu chez moi le soir ainsi que la petite princesse, les Durazzo & &. Lorsque j’ai dit à Ellice que vous serez ici le 31 il a décidé de remettre son départ pour vous attendre en vérité il est très curieux à écouter sur toute chose, et il bavarde comme je n’ai jamais entendu bavarder, on tire de lui tout ce qu’on veut. Ne croyez pas que le duc de Sussex sont ici comme le racontent vos journaux. Il ne bouge pas de Londres et il boude les ministres parcequ’ils ne veulent pas lui donner d’argent. Sir George Villers est arrivé hier de Madrid.
Pourquoi croyez-vous que je vous ai dit une bêtise en vous disant que je recevrais les représentants constitutionnels ? Vous oubliez que mon temps à été longtemps, et que je suis restée jusqu’en 34. En 34 donc j’ai fait dîner Miraflores, ambassadeur de Christine, & danser Van de Weyer, ministre de la révolution Belge. J’espère que c’est du libéralisme, nous avons cru que ce serait le pousser trop loin de faire manger le petit van de Weyer. Et puisque je parle de la Belgique, quand je me suis plaint que Léopold ne venait pas chez moi, c’est qu’il y est venu jus qu’à présent lorsqu’il était à Paris. Il cesse tout bonnement parce qu’il sait que j’ai perdu mon importance, jusqu’à l’année dernière il s’imaginait que je l’avais conservée. Pas de nouvelle de mon mari, rien du tout. Rien sur les mouvements du grand duc rien de nulle part le monde est fort ennuyeux. Je vous quitte pour Longchamp. J’y prends du bon air. Adieu. Adieu. dans onze jours !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°96 Dimanche 22. 7 heures

Mon rhume de cerveau s’en va. Je ne vous éternuerai pas au nez en arrivant. Le serein, dans ce pays-ci est une véritable pluie. Je le dédaignais trop. Depuis deux jours, j’y ai pris garde, je suis rentré de bonne heure et je m’en trouve très bien. Mes enfants y ont gagné une plus longue lecture, des Tales of the Crusaders de Walter Scott. C’est leur grand plaisir du soir. Plaisir d’une vivacité singulière. Les impressions vives, des hommes causent toujours un peu d’inquiétude. Elles auront des conséquences. Celles des enfants n’en ont point. Le plaisir passé, tout est fini. Aussi le spectacle en est très agréable. Hier soit le charme du sujet, soit vraiment le mérite du lecteur, ma petite Pauline s’est écriée tout à coup avec ravissement : " Mon père, que tu lis bien." Et je l’ai embrassée de tout mon cœur. C’est charmant d’être loué par ses enfants.
Je suis bien aise que M. Ellice reste à Paris jusqu’à mon arrivée. J’aurai peut-être aujourd’hui ou demain une réponse sur sa commission. Vous ai-je dit que j’avais dit à M. Lorain, proviseur du Collège St Louis et mon délégué pour cette affaire de passer chez vous, dès qu’il aurait trouvé quelqu’un pour vous donner l’adresse du précepteur et quelques renseignements à son sujet ? Savez-vous les détails de la conclusion ou à peu près du différend entre Berlin et Rome ? La Cour de Rome s’est conduite avec une Sagesse et une habileté consommée. Après avoir publiquement donné sur les doigts au Roi de Prusse, qu’elle prenait en flagrant délit de mensonge et de violence, elle a, sans la moindre humeur, engagé M. de Buntzen à aller un peu se promener un peu loin. Puis elle a vertement tancé l’archevêque de Posen, lui a demandé de quoi il le mêlait de vouloir imiter l’archevêque de Cologne, & lui a ordonné de se tenir tranquille et d’obéir au Roi, comme par le passé. Puis elle a reconnu l’administration provisoire du Diocèse de Cologne nécessaire à défaut de l’archevêque absent en voyage, n’importe où. Puis enfin, elle a dit au Roi qu’elle avait pourvu à tout, qu’il pouvait garder l’archevêque en prison tant qu’il voudrait, qu’elle n’en parlerait plus, que le jour où il ne se soucierait plus de garder l’archevêque, elle l’en débarrasserait en le faisant Cardinal. Voilà le bruit fini, la contagion arrêté, & le Roi de Prusse obligé d’être content, quoique déjoué dans ses petits arrangements secrets avec quelques uns de ses Évêques et fort embarrassé de son prisonnier. Rome n’eût pas mieux fait, il y a cinq cents ans. A la vérité, elle ne se se serait probablement pas contentée à si bon marché.

10 h. ¼
Le N°98 m’arrive entre une visite qui s’en va et une visite qui vient. Vous savez que le Dimanche est mon jour de corvée. J’aurai beaucoup de monde aujourd’hui, à cause de mon prochain départ. Car je pars le 30 et je serai rue de la Charte, le 31. Je devais en effet prendre le 5 août la société des Antiquaires, mais sa séance est remise à le fin d’août, toujours à cause de mon départ. Il a dérangé beaucoup de choses et de gens. Mais ce qu’il arrange, choses et gens, vaut mieux que ce qu’il dérange. Je vois à ma visite. Adieu. Here’s the place exactly. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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96. Paris jeudi 19 juillet 1838

Ah la Charmante nouvelle ! Si charmante que je n’ai d’abord pas pu la comprendre. à moi aussi elle va m’ôter la parole. Comme on connait peu sa destinée ! Pouvais-je croire que les conseils généraux me donneraient jamais une grande joie ? J’ai fait ma promenade à Longchamp hier avec M. Ellice. Il m’a raconté toute l’affaire de Lord Durham. Elle n’est encore qu’à son début. Dieu sait comment cela finira. Il a imaginé d’emmener avec lui ce M. Turton et un M. Wakefield qui ont tous deux eu des procès pour des femmes, & le second même à subi trois ans de prison for seduction. Il jure qu’il quitte le Canada si on le sépare de ces bijoux et les ministres sont résolus à ne pas permettre qu’ils y restent officiellement. Or Lord Durham n’a eu rien de plus pressé que de leur donner des emplois & de le publier dans les journaux de Quebec. Ce sont tous deux des hommes de beaucoup d’esprit et de mérite, mais le préjugé anglais ne permet pas qu’ils aient jamais d’emploi publié. C’est une difficile affaire entre le gouvernement & l’autocrate du Canada.
J’ai été dîner à Auteuil. Il n’y avait que M. Armin. Je me suis trouvé parfaitement at home. De l’Allemand, de la diplomatie, cela m’a convenu tout à fait. Je suis restée jusqu’à neuf heures & demi et je ne suis rentrée que pour me coucher. Appony est très peu avec des Russes, cela perce dans chaque parole M. de Metternich n’a vu dans le voyage à Stockholm qu’un caprice du moment. Il cherche à faire partager cette conviction. ici où l’on a été un peu effarouchée de la fantaisie impériale. Je relis votre lettre, cette jolie lettre. Ce n’est pas les conseils généraux ; c’est le jury qui vous amène. Comment êtes-vous de cela aussi ? Quelle drôle de chose. Vous m’expliquerez cela ; par lettre je vous prie, car depuis nous aurons mieux à nous dire. Je suis déjà jalouse de tous les moments pendant ces quinze jours et je ne veux pas me perdre à m’instruire en matière de constitution. Je voudrais vous dire quelque chose, et je ne pense qu’au 31 juillet. C’est si inattendu, si ravissant. Quel plaisir ! J’attends aujourd’hui des nouvelles anglaises. Quelques petits attachés des Ambassadeurs extraordinaires arrivés à Paris racontent que tous les ambassadeurs sont mécontents du peu de politesses qu’on leur témoigne à la cour. J’attends avec impatience le retour de Palmella & de Brignoles, je me trompe, je n’attends plus avec impatience que le juré.
Adieu. Adieu que ce sera charmant !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°95. Vendredi soir 20. 9 heures

Je ne commençais jamais à vous écrire qu’avec un sentiment triste. Il diminuait en vous écrivant ; mais au premier moment, je sentais si amèrement la séparation ! Aujourd’hui, j’ai le cœur joyeux. Et je l’aurai plus joyeux à chaque lettre. Je suis en voyage. Je marche vers vous. La malle poste a fait, dans son itinéraire, un changement qui me plaît fort. Elle partait de Lisieux à 2 heures et s’arrêtait une heure en route à Evreux. Cette heure là m’était insupportable. Maintenant elle part à 4 heures et ne s’arrête plus du tout. Une fois monté en voiture le 30, je n’en descendrai que le 31, dix minutes après avoir passé sous vos fenêtres, dans les Champs Elysées. J’aime que vous soyez toujours sur mon chemin. Il fait beau ; mais le chaud n’est pas revenu. Je ne veux pas qu’il revienne. Je ne veux pas que vous vous pâmiez de fatigue pendant que je serai à Paris. Vous est-il resté de cette chaleur encore un peu plus de faiblesse ? J’espère que non.
Avez-vous recommencé à manger ? Si vous saviez quels appétits je vois en Normandie ! C’est grand dommage que je ne dîne pas avec vous. Je suis sûr que je vous ferais manger le double. Le Ministère anglais a raison de ne pas vouloir que Lord Durham étale à Quebec ses bijoux. On est trop heureux d’avoir de pareils préjugés populaires à ménager. Mais convenez qu’il n’y a qu’heur et malheur. Je ne sais ce qu’a été le procès de ce M. Turton ; mais je doute qu’il ait pu être plus scandaleux que celui de Lord Melbourne contre M. Norton. Et Lord Melbourne chassera M. Turton à cause de son procès. A la vérité Lord Melbourne a gagné le sien. A propos, quel est le Hügel qui s’est battu à Stuttgart avec Mühlinen ? Est-ce le diplomate ou le voyageur ? Voici la filiation de mon à propos. Un procès scandaleux ; un scandale sans procès ; Lady Elizabeth Harcourt ; Hügel, le voyageur Adieu pour ce soir. Je vais me coucher. Je suis encore enrhumé du cerveau. C’est un grand ennui. Adieu pourtant.

Samedi 7 h. 1/2
Pourquoi M. Ellice vient-il à Paris en ce moment où il n’y a personne ? Je ne lui vois aucune raison d’amusement, de société. Y en a-t-il quelqu’une d’affaire ? Tient-il plutôt à telle ou telle partie du Cabinet qu’à telle autre ? Je ne sais pourquoi je vous fais ces questions. Je ne veux plus vous faire de questions ! Dans dix jours, vos réponses me viendront bien plus agréablement. Oui, dans dix jours. Que nous sommes de chétives créatures, à la merci de nos impressions. Ces dix jours ne me paraissent rien du tout. Et pourtant Dieu sait si je les vois s’écouler impatiemment. Mais il y a une impatience joyeuse qui abrège le temps. C’est la mienne aujourd’hui. En conscience, vous ne pouvez exiger d’Appony qu’il aime les Russes. L’Autriche me paraît dans cette désagréable position d’être essentiellement gouvernée dans sa politique par la crainte, crainte russe, crainte française, crainte pour l’Orient, crainte pour l’Italie ; en Allemagne même, un peu de crainte Prussienne. Le mouvement ascendant n’est pas de son côté. Mais que tout est lent pour les grandes choses ! Depuis le 17e siècle, l’Autriche décline. Elle en a pour longtemps à décliner de la sorte.

10 h.
J’ai tort. C’est vrai. Vous avez eu bien des représentants constitutionnels à faire danser. Et Léopold a tort aussi, et bien plus tort de ne pas revenir vous voir. Je suis charmé que M. Ellice reste jusqu’à mon arrivée. Il m’enseignera notre Ministère, comme M. Croker notre révolution. Adieu. Nous irons prendre de l’air ensemble à Longchamp.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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95. Paris, le 18 juillet 1838

Ah qu’il me faudra une bonne lettre demain pour me faire oublier la mauvaise lettre de ce matin ! Quand on n’a qu’une lettre pour le plaisir de toute une journée convenez que la taille de la vôtre est tout à fait J’attendrai donc. inconvenante Hier j’ai eu matin longue visite de M. Molé. Après quoi j’ai mené à Auteuil M. Ellice que j’avais enfermé avec Marie pendant mon tête à tête avec le président du conseil. Ellice n’a pas cessé de parler un seul instant pendant une promenade de deux heures. A propos & pour expédier tout de suite le plus pressé, pouvez-vous me faire une grande grâce ? Mais il me le faut tout de suite, ou que vous me disiez tout de suite que vous ne le pouvez pas. Pouvez-vous me procurer un homme de 20 à 30 ans pas plus, qui soit en même temps instituteur & même (tutor and companion) d’un garçon de 15 ans. Qui ne sache pas un mot d’Anglais, qui enseigne à cet enfant, la langue française à l’entretienne d’histoire, qui ne le quitte pas un instant, qui fasse au besoin avec lui quelques courses aux environs de Paris ? Enfin un homme actif, gai & sûr. Cette tutelle ne doit durer que quatre mois, peut être un peu plus. Le petit garçon Lord Coke fils du Earl of Leicester sera établie aux environs de Paris dans une famille française, tout cela est déjà réglé, il ne manque donc que ce précepteur. Nous ne le voulons pas pédant, pas trop doctrinaire. Le but du séjour de cet enfant ici est tout simplement d’apprendre bien le français et de savoir quelque chose de plus que faire des latin verses. Si M. l’instituteur peut par dessus le marché l’entretenir dans l’habitude du Latin il n’y aurait mais cela n’est pas essentiel pas de mal, l’essentiel est le français, la surveillance et l’entrain. Si vous connaissez une espèce qui répond à ces exigence. Ayez la bonté de lui écrire pour qu’il se rende de suite à l’hôtel Bristol place Vendôme chez M. Ellice de votre part. La question pécuniaire sera largement réglée, le jeune homme est héritier d’une fortune de 50 m £ de rente ! Vous savez ce que vent dire £ ? Des guinées. Vous me ferez un grand grand plaisir. Mandez-moi aussi l’adresse du précepteur. Je me suis chargée de cette affaire croyant que par vous tout se pouvait
Il m’est impossible de vous redire tout ce que m’a dit Ellice. C’est trop. Le plus important, est le remaniement positif, selon lui, du ministère, dans quel sens ? C’est ce qui restera à voir vraisemblablement plus Torry que Whig. Il déteste Palmerston et dit que Lord Melbourne le déteste aussi. M. Molé ne l’aime pas trop. M. Molé m’a conté bien des choses qui m’intéressent. Une conspiration avortée à Varsovie. Défaites de nos troupes dans l’Abazie. L’Empereur, d’une activité qu’ on qualifie étrangement. Et puis une drôle de chose, M. de Stackelberg intermetteur des secours aux Carlistes d’Espagne. Cela quoique il l’affirme, je ne puis pas le croire. Il a l’air d’en être bien sûr. Nous avons causé de tout. Il n’a pas d’inquiétude pour l’Orient du moins pas pour le moment. Il est content de l’Angleterre sur ce point. il me semble que je vous ai redit en gros, tout ce que je sais. Je m’en vais dîner aujourd’hui à Auteuil, je médite une fuite à Varsailles avec Ellice & Aston. Ce sera dans la semaine prochaine. pour y passer trois jours. Le Maréchal sera ici je crois le 25. Le duc de Nemours demain.
Adieu. Je voudrais bien vous faire comprendre combien vous me manquez. Combien j’ai des moments de tristesse de mélancolie affreuse, mais il ne faut pas trop vous le dire. Adieu. Adieu.
J’ai eu une lettre encore de la Duchesse de Talleyrand. Elle est insatiable. Elle veut des nouvelles et m’en donne de son côté de tout à fait saugrenues, sa meilleure source est M. Jennison. Imaginez. Quelle chute !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°94. Du Val-Richer Vendredi 20. 8 heures

Je vous prends en inexactitude. Votre lettre d’hier est 96. Elle ne doit être que 95. L’erreur me convient car je pourrais bien en avoir commis quelqu’une dans ma vie vagabonde. J’avais oublié le petit papier sur lequel je note mes numéros. Dites-moi si je suis dans l’ordre 96. J’ai écrit sur le champ pour votre précepteur. Je crains que le jeune homme auquel j’ai pensé ne soit placé ou parti. Ill conviendrait parfaitement. Dans la prévoyance qu’il ne pourrait pas, je m’adresse au précepteur de mon fils, que j’ai mis à la tête d’un des plus grands collèges de Paris, et je le charge de chercher en toute hâte. S’il trouve, il enverra, le jeune homme trouvé chez M. Ellice, & il ira en même temps vous dire qui il a trouvé. J’ai pleine confiance dans son zèle et dans son jugement. Cependant je ne réponds de la main de personne comme de la mienne. Je voudrais bien faire ce qui vous fait plaisir.
Je suis bien aise d’être revenu ici. Tous ces dîners commençaient à me fatiguer, physiquement et moralement. J’en ai encore un lundi à Lisieux mais un petit dîner. Parmi tous ses mérites, mon voyage à Paris aura celui de couper cours à cette vogue de réunions et d’invitations. Je les voyais pleuvoir. On sera forcé de s’interrompre, & après on n’y pensera plus. La modification Tory du Cabinet anglais, me paraît toujours bien. Le renversement complet me semble pas possible, et pour la transaction, je ne la comprends guère avant que les questions d’Irlande soient vidées. Du reste, M. Ellice en sait plus que moi. Je ne crois pas tout ce que disent les gens qui savent ; mais je n’ai pas la prétention de savoir mieux qu’eux. M. de Stackelberg ne m’étonne pas du tout. Il y a certainement un tel intermédiaire, & je lui ai trouvé deux ou trois fois le ton d’un homme, qui n’est pas étranger à toute importance pratique. Si cela est, il n’a pas encore fait une bonne campagne cette année. Je ne sais si les affaires d’Isabelle avancent ; mais celles de Don Carlos reculent évidemment.
Faites votre course à Versailles, la semaine prochaine. Je ne pourrais probablement pas la faire avec vous. Le jury me retiendra souvent toute la matinée. Mais nous aurons toujours la soirée. Je suis bien aise que M. Molé soit venu vous voir. Je m’en fie à vous pour le faire revenir. Vous êtes habile pour plaire. Il me semble que voilà votre Grand Duc guéri. Les journaux le remettent en voyage. Je le plains d’avoir peur de son père. Ce qu’on vous dit de l’Empereur m’est revenu encore de plusieurs côtés. La prédiction du duc de Mortemart se vérifiera. Si votre Impératrice mourrait l’agitation serait grande parmi les Princesses à marier. L’Empereur chercherait-il bientôt.

10 heures
Voilà le vrai n° 96. Vous vous êtes corrigée, vous-même. Il est charmant ce N° là, charmant par votre joie. C’est le sort qui m’a mis du jury. Je suis sur la liste générale comme tous les électeurs. On en tire au sort un certain nombre. Le sort vient de me désigner. Il est plein d’intelligence. Soyez tranquille ; une fois à Paris, je ne vous parlerai pas de constitution. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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94. Paris mardi 17 juillet 1838

Votre programme de dîners me déroute mais Lisieux me parait nous rapprocher et j’y gagne je crois. Lady Granville est vraiment partie ce matin, je l’ai encore vue deux fois hier et j’ai revu M. Ellice ce qui me fait un gros plaisir. Je vais le faire bien parler en attendant j’ai eu une énorme lettre de Mad. de Flahaut pas mal amusante, mais plus remplie de petites tracasseries que d’autre chose. Les diplomates se font la petite guerre. L’Orient ne veut pas inviter l’Occident, ni aller. chez cet accident. Il y en a même qui ne se calment pas. La guerre de principes a commencé. Cela doit être fort ridicules. nous soutenons les mêmes principes lorsque j’étais à Londres, mais les représentants constitutionnels trouvaient à manger et à danser chez moi comme les autres. Le bal du Maréchal Soult a été fort ridicule il avait invité le Lord Maire et sa femme, gens qui ne passent jamais le Temple-Bar. Et il a été plein d’attentions pour la Lady Mairesse. Vous ne sauriez croire comme cela est drôle en Angleterre. On a trouvé sa maison fort mesquine ; le seul luxe remarqué a été des bouquets offerts aux femmes et on a dit qu’il avait mis quatre cent mille francs en bouquets. Ni lui, ni les Sébastiani n’ont invité une seule fois M. de Flahaut a dîné vous concevez la fureur de Marguerite. Le Duc de Nemours a déplu généralement, à tout le monde. On le trouve mal élevé et sot. Ceci ne vient pas de Marguerite. M. de Fabricius m’a fait savoir hier que le grand Duc avait renoncé à visiter la Hollande. Son indisposition se prolonge à Copenhague, et l’Empereur veut qu’il se trouve demain à Toeplitz ! Je n’ai rien de direct.
J’écris aujourd’hui à mon mari en adressant ma lettre à mon frère. Ce voyage manqué ou tronqué est une fort désagréable affaire pour mon mari. On dira que c’est maladroit et qu’un vrai Russe n’aurait par été aussi gauche. Quelque absurde que ceci vous paraisse, je vous dis vrai. Nous verrons les conséquences. J’attends M. Molé ce matin, et puis j’irai à Auteuil si j’en ai le temps. Voici qu’on m’interrompt. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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93. Paris lundi 16 juillet 1838

Que je vous remercie de la douce musique qui m’attendait à mon réveil. J’ai lu et relu ces paroles si sérieuses ; si tendres, si intimes, si vraies. Je vous dois une grande jouissance. Vous avez remis. bien du calme dans mon âme. Non sûrement mon humeur ne s’adressait pas à vous. Elle ne s’adressera jamais à vous. Mon Dieu que je serais coupable si je me permettais jamais une injustice, une impatience envers vous. Mais je suis triste, je resterai triste jusqu’à ce que je revoie l’éternité dans huit mois. Car c’est bien comme cela qu’ils m’étaient apparus le 1er novembre 1837. Lady Granville est venue me prendre hier pour aller au bois de Boulogne il faisait un temps charmant.
Après le dîner, j’ai recommencé, jusqu’à l’heure où j’ai ouvert ma porte. J’ai eu toute la diplomatie. Angleterre, Autriche, Prusse, Hanôvre, Naples, avec une quantité de jeunes Anglais qui vous sont inconnus. La Duchesse de Poix & sa mère. M. Berryer. La chaleur l’a fait maigrir ; il était presque joli, car il faut vous dire que je ne trouve un homme joli qu’à la condition d’être maigre. C’est juste l’inverse pour une femme. Berryer ne veut voir que des souvenirs d’Empire dans le ovations au Maréchal Soult. Savez- vous que cela devient vraiment absurde, et que je comprends que cela ne plaise pas du tout ici. Le duc de Nemours fait là une triste figure.
Les conférences à Londres vont s’ouvrir. Elles ne serviront qu’à attester qu’on ne peut pas s’entendre, ici on veut des modifications au traité, du moins quant au partage de la dette, nous n’en voulons pas, et on s’arrêtera Léopold a causé avec tout court. nos représentants ici. Ils l’ont trouvé assez modéré et assez embarrassé. Il n’est point venu me voir. Je suppose que nous avons fini notre connaissance.
Le prince Paul de Wurtemberg m’a fait une longue visite hier matin. Il est plus que jamais monté contre le château. M. Ellice arrive aujourd’hui à Paris. Voilà pour moi une petite distraction au chagrin que me cause le départ des Ganville. Ils restent encore aujourd’hui pour causer avec Ellice. Le Duc de Noailles me demande de Dieppe de lui faire la charité, mais il a bien de la prétention. Il veut l’Egypte, la Belgique, le cœur de mon empereur. Il veut tout savoir. Je lui dirai quelques unes des choses que je ne sais pas. Les cours d’Allemagne sont fort contrariées de la maladie du grand Duc. Partout où l’a annoncé à jour fixe. On a fait des préparatifs, rassemblé des troupes cela coûte de l’argent on reste en suspens. Je pense que si cet état se prolonge il faudra qu’il renonce a son programme. Comme l’Empereur va être furieux. Il ne peut pas souffrir qu’on soit malade. Il ne le promet pas. Ce n’est pas dans le code militaire. Je suis sûre que le pauvre grand Duc est aussi malade de peur que de la maladie.
La petite princesse est malade d’une fluxion à la tête. Son mari s’amuse au Havre, il y est depuis 3 semaines. Adieu, cet adieu que j’ai trouvé au bout de la lettre de Dimanche à 8. h. du matin. Je vous le rends lundi à midi 1/2. Quand le dirons-nous ensemble ? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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92. Paris Dimanche le 15 juillet 1838

Enfin je respire, il pleut, j’ai dormi quelques heures cette nuit, c’est bien nouveau pour moi. Soyez sûr qu’Henriette a été malade tout bonnement par l’excès de la chaleur.
Je viens de recevoir une lettre de la reine de Hanovre du 9. Le grand Duc qui s’était annoncé pour le 4 était, encore le 9 à Copenhagen attaqué à ce qu’elle croit de la fièvre tierce. La Dernière fois qu’il s’était montré à un cercle diplomatique chez lui on lui avait trouvé une mine terrible. Dans quelles angoisses mon mari doit se trouver. Moi je vous assure que de loin j’en suis triste. J’ai une vraie tendresse pour ce jeune homme. Je l’ai laissé si doux, si bon, si aimant. Il me semble que mes enfants seront heureux sous son règne. Je prie bien sincèrement pour sa conservation.
J’ai été hier matin à Longchamp, seule ; il y avait de l’air. Le soir j’ai été à Auteuil, beaucoup de monde. Le plus élégant jeune homme était le chancelier. Il m’a fait marcher dans le jardin avec un air de conquête fort divertissant. Je vous prie de croire que c’était dans des allées obscures. J’ai trouvé de la causerie hier, il y avait à peu près toute la Diplomatie, les Granville encore. Il ne partent que demain. Il n’y a pas l’ombre d’une nouvelle.
Que voulez-vous que je vous dise ? Je m’ennuie parfaitement. Mes journées commencent & finissent sans un moment, un mouvement de plaisir. Après votre lettre lue j’attends le lendemain matin. Je n’ai que cela. Adieu, que le mois de juillet est long ! God bless you.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°92. Lisieux 19. 4 heures

Je m’aperçois que si je ne vous écris que demain matin du Val-Richer et par le facteur vous serez un jour sans lettre. Et comme j’ai un domestique un peu malade, j’aurais quelque embarras à envoyer demain matin à Lisieux. Je vous écris donc d’ici, avant de partir et quelques mots. Depuis que je dois vous voir dans douze jours, j’ai le cœur très léger sur les lettres. Elles ne me plaisent pas moins ; mais j’ai un plaisir plus vif en perspective, et ma pensée se porte sans cesse sur celui-là.
Il est possible que ma mère, mes enfants, Mad. de Meulan, toute ma maison aillent passer à Broglie le temps que je passerai à Paris. Mad. de Broglie veut absolument les avoir tous dans le cours de l’été. Je vais lui proposer pour le 1er août cette visite générale qui lui conviendra, je n’en doute pas. J’en serai bien aise. J’aime autant, quand je m’en vais, les mettre, en bonne compagnie. Je vous dirai du reste comme nouvelle, car c’en est une pour moi, que la route promise pour aller au Val-Richer se fait réellement. Les travaux sont en pleine activité. J’y passerai peut-être dès cette année en quittant la campagne. Elle sera bonne et fort jolie, toute à travers des près et des bois. Vous n’avez jamais vu de près les intérêts-là. Vous ne savez pas avec qu’elle vivacité toute une population s’en occupe. Il y a plus de deux lieues de pays et trois ou quatre villages qui ont foi en moi, une foi aveugle, depuis qu’ils voient cette route s’exécuter. Ils ne croyaient pas que cela fût possible. Nous trouvons que le monde s’est terriblement remué depuis quelque temps. Je vous assure que l’apathie est encore bien plus grande que le mouvement.

5 h. 1/2
Voilà votre N° 96 qui bêtement était allé me chercher je ne sais où dans la ville depuis ce matin. La lettre qui vous sera arrivée aujourd’hui vous aura consolée, j’espère, de la brièveté de l’autre. J’écris à l’instant même pour vous trouver votre précepteur. J’ai un jeune homme en vue ; mais je ne sais s’il est à Paris. Je m’adresse à un homme, en qui j’ai pleine confiance. Il avait élevé mon fils. Je suis assiégé de visites. Adieu. Je vous écrirai mieux demain. Adieu.G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°91. Pont-Lévêque 19 8 heures.

Quel ennui que cette vie de courses et de dîners de grande route et de table ! J’ai siégé hier de 6 heures et demie à 9 heures et demie, comme à un dîner de Pozzo ou de Pahlen. C’était la seule ressemblance. Enfin je serai ce soir chez moi, et je n’en bougerai plus que pour une plus douce raison. A propos de Pahlen, donnez-moi de ses nouvelles. J’ai pour lui une vraie bienveillance. Je crois parfaitement ce que vous me dîtes que la maladie du Grand Duc sera une très mauvaise note pour votre mari. Quand la récolte est mauvaise, les peuples s’en prennent au gouvernement. Les autocrates ne sont pas plus sensés que les peuples, et on déraisonne de haut en bas comme de bas en haut. La guerre de principes à propos de visites et de dîners doit être en effet fort ridicule à Londres. Quand on fait tant que de se quereller pour des principes, il faut remuer le monde. Comment faisiez-vous, de votre temps, pour donner à manger et à danser aux représentants constitutionnels ? Il n’y avait guère alors d’Etat constitutionnel que l’Angleterre. A moins que vous ne comptiez la Suède et les Etats-Unis. Il faut convenir que la générosité à leur égard, vous était plus facile qu’elle ne l’est aujourd’hui à M. de Strogonoff. Savez-vous quelque chose de nouveau des Affaires du Roi de Hanovre ? Il me revient, avec assez de certitude, que le rapport à la Diète sur la pétition d’Osnabrück, a été confié au ministre de Bavière, qu’il est prêt, qu’il est contraire au Roi Ernest, et que dans ce moment tout le travail de l’Autriche et de la Prusse est de l’amener à arranger l’affaire lui-même pour éviter une condamnation de Roi. On me dit en même temps qu’il est vrai que le peuple l’aime assez et le traite assez bien dans son pays. Vous verrez que dans la manie de conciliation du moment les Hanovriens concilièrent la rébellion et la loyauté.
La réception du Maréchal Soult fait un excellent effet dans ce pays-ci. J’appelle un excellent effet l’envie que cela donne aux plus vulgaires de se montrer aussi justes et généreux s’ils en avaient l’occasion. Certainement, si le Maréchal promenait le Duc de Wellington en Normandie, il le ferait applaudir partout. J’ai un grand plaisir toutes les fois que je vois une idée sensée un sentiment élevé se répandre et s’accréditer dans mon pays.

9 h. 1/2
J’ai été interrompu par des visites, et en voilà d’autres qui arrivent. Une petite ville s’ennuie tellement que le moindre événement la charme et la remue toute entière. L’ennui joue un bien grand rôle dans les affaires humaines. Je vous quitte. Il faut que je vieillisse car je commence à tenir à mes habitudes. Je ne vous écris à mon aise que de mon Cabinet du Val-Richer. Adieu. Adieu. On continue, tout le long de mon chemin, à me faire des compliments de condoléance sur mon dérangement du jury. Adieu. Je trouverais aujourd’hui à Lisieux votre N°95.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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91. Paris, le 14 juillet 1838

La chaleur m’a parfaitement démoralisée. Je n’en puis plus et si’cela dure j’en tomberai malade. Je ne puis fermer l’œil, j’étouffe. Si je vous dis des bêtises aujourd’hui je vous prie de ne pas vous en étonner. Je viens de recevoir votre lettre de Broglie. Y serons-nous ensemble ? Je vous demande à vous ce qui ne dépend que de moi. Je ne sais pourquoi cependant, je répugne un peu à y aller. Mad. de Broglie je crois n’aimerait pas ma visite, & je n’ai jamais été que là où l’on m’a beaucoup désirée.
J’ai passé ma matinée hier enfermée chez moi, bien barricadée contre le soleil, l’air, le jour, à peu près dans les ténèbres, par conséquent à peine un peu d’occupation. à 7 heures je fus dîner chez Lady Granville il n’y avait d’étranger que la petite princesse, & Mad. de Caraman que Lady Granville soigne beaucoup parce qu’elle plait à son mari. Voilà ce que je ne puis souffrir. On dîne en bas, le jardin est éclairé, et c’est là que se passe la soirée. M. Molé y est venu nous nous sommes dit peu de choses nous réservant de nous dire beaucoup chez moi. Il m’a enfin demandé le jour & l’heure. Mardi, je parie qu’il ne viendra pas. selon ses nouvelles de Hambourg mon mari a envoyé des courriers pour annoncer partout que l’arrivée du grand duc était retardé. Il a toujours la fièvre à Copenhagen. Je plains mon mari il sera bien inquiet. Jamais encore son jeune prince n’a été malade.
M. Molé a une mine de santé superbe. J’ai eu une drôle de lettre de Lord W. Russell. Je vous l’envoie pour votre divertissement. Renvoyez la moi. Vous voyez que le grand sujet est que je suis descendue. Ah mon Dieu je laisse bien volontiers à d’autres le plaisir d’être bien haut. Ce n’est pas comme cela que j’entends la vrai élévation. Vous voyez aussi avec quel dédain on traite tout ce qui est étranger. They don’t care !
M. Aston m’a fort intéressé, & je compte l’exploiter beaucoup après le départ des Granville. La populace de Londres a été étonnante, pleine d’égard et de respect pour tout ce qui est étranger mais surtout pour la qualité des Français, un million de spectateurs, et pas un désordre ; c’est là ce qui semble avoir confondu les étrangers. Car il n’y avait pas un militaire pour contenir la foule. Puisque je grossis mon paquet je ne m’arrête pas, et je vous envoie en même temps Lord Aberdeen & Lady Cowper. Vous me renverrez tout cela par la même voie.
Adieu. Adieu, est-il possible que vous aimiez la chaleur ? Je ne vis pas depuis quatre jours. Je fonds il ne restera de moi personne comme après la toilette de certains ministres.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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90. Paris, le 13 juillet 1838

Il me parait que vous êtes mécontent de moi. Vos lettres ne sont pas aimables. Je suis sure que vous avez raison & que vous me traitez comme je mérite de l’être. J’ai une si immense confiance dans votre équité. Mais comment ferons-nous si nous continuons ainsi ? Notre séparation me donne de l’humeur, c’est vrai, beaucoup d’humeur, et je vous montre tout ce que j’éprouve. J’ai bien senti que mon été serait affreux ; je ne m’y suis pas résignée d’avance, je m’y résigne bien moins aujourd’hui que j’éprouve tout l’ennui, toute la tristesse, de votre absence. Elle est affreuse pour moi, et puis l’atmosphère de Paris est horrible dans les chaleurs, Je ne sais ni dormir, ni manger. Il n’y a plus de promenade possible jusqu’à 8h du soir.
Hier je n’ai pas bougé, je n’ai vu personne jusqu’à 9 h. Alors on s’est réuni chez moi jusqu’à onze. Lady Granville, la petit Princesse, les Poix, les Durazzo, les Statelberg, cette insoutenable Mad. de Caraman, & les diplomates des puissances qui ne dînent pas chez la Reine d’Angleterre. Si je vous reparle de ce dîner, c’est qu’en effet il a fait et fait encore beaucoup de bruit à Londres. Lady Cowper m’écrit 12 pages sur cela c. a. d. pour excuser le dîner constitutionnel. " C’était un hasard, pas d’intention du tout. Les Ambassadeurs ont fait du bruit. Enfin hier on devait les faire manger chez la Reine. la petite reine est fort tourmentée de toutes les prétentions ; Melbourne en est  accablé aussi. Lord Durham donne beaucoup de souci au Gouvernement." Voilà à peu près la lettre que j’ai livré à Lord Granville pour son divertissement.
Mon grand Duc a été malade à Copenhaguen il allait mieux ; je sais cela par M. de Médem, car moi je n’ai rien, toujours rien, & quand j’aurai, soyez sûr que ce sera une lettre désagréable j’ai bien envie de ne pas l’ouvrir. M. Aston est arrivé & les Granville partent, mon dernier plaisir s’en va. Je crois vraiment que je partirai aussi. Ce qui est sûr c’est que j’essayerai autre chose que Paris, car vraiment j’y tomberais malade de la chaleur et de mauvais air. Ah si la Normandie était plus près, j’irais dans quelque bois. Et si la France était un pays plus civilisé, et qu’on fut sûr d’une chambre propre comme on en est sûr dans la plus petite auberge du plus obscur village de l’Angleterre, je sortirais des barrières tout de suite. Mais rien n’est facile ici dans ce genre, ou bien je suis trop difficile.
Ce que vous me dites des inconvénients possibles de l’hôtel Talleyrand, me dégoûte tout à fait du projet, vous avez raison Je n’y tiendrais pas. Adieu Dites-moi que vous m’aimez encore malgré mon abominable caractère. Dites- moi quelque parole douce. Je vous en envoie tant en idée. Je pense tant à vous. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°90. Lisieux, mardi 17 11 h. du soir.

Je serai rue de la Charte le 31 Juillet entre midi et une heure, c’est-à-dire dans quatorze jours. Je passerai à Paris la première quinzaine d’août. C’est la belle institution du jury qui me vaut cela. Je viens de recevoir ma convocation officielle. On me plaint beaucoup ; mais on me prêche la vertu ; on me dit qu’il n’y a pas moyen de s’en dispenser, qu’il faut remplir ses devoirs de citoyen. Je réponds vertueusement. Avec vous, je ne dis rien, je n’ajoute rien. Le fait sans phrase. Je n’en sais point qui exprime mon plaisir. Ceci vous consolera, je l’espère, de mes quelques lignes de ce matin. Je n’ai pas la moindre envie de vous parler d’autre chose. Je viens de voir tout ce qu’on peut voir de monde à Lisieux, des bosquets illuminés, des alliées sombres, des allées claires. Pendant qu’on se promenait, j’ai joué au trictrac dans un petit pavillon. C’est mon boulevard contre la conversation qui me poursuit ici sans relâche. Chacun veut avoir la sienne. J’en vais chercher autant demain à cinq lieues d’ici à Pont-Lévêque. Puis, je rentrerai chez moi jusqu’au 30 Juillet. Quinze jours ce n’est pas une éternité de huit mois ; mais, c’est quelque chose Nous le dirons ensemble cet adieu que vous me rendez aujourd’hui. En l’attendant, je vais me coucher. Je n’ai vraiment pas le cœur à une conversation quelconque, même avec vous. J’ai un grand déjeuner demain, avant de partir pour aller dîner. Je serai assiégé dès le matin. Je trouverai pourtant bien moyen de vous dire un autre adieu.

Mercredi 6 h. 1/2
J’ai bien dormi, en me réveillant très souvent ; mais des réveils si doux ? J’espère que vous aurez de meilleures nouvelles de votre Grand Duc. Je lui porte intérêt. Vous n’avez pas d’idée de l’effet singulier qu’ont produit sur moi vos paroles J’espère que mes enfants seront heureux sous son règne. Vous avez parfaitement raison. Mais il ne m’est jamais tombé dans l’esprit que le bonheur de mes enfants dépendit du caractère du souverain. Nous faisons un peu plus notre bonheur nous- mêmes. Nous n’y réussissons pas toujours. Mais enfin, quand nous n’y réussissons pas, c’est notre faute. C’était là ce qui m’irritait sous l’Empereur Napoléon. Je sentais mon sort et celui des miens tout-à-fait dépendant de la volonté, bonne ou mauvaise, sage ou folle, d’un autre homme. Je n’ai jamais pu m’y accoutumer. Léopold ira vous voir quand vous l’aurez reconnu. Il ne veut pas s’exposer à ce que vous ne l’appeliez pas par son nom. Je vous quitte. Je vais faire ma toilette. Il faut que je sois prêt quand on m’arrivera. Tout le monde ici se lève de bonne heure. Adieu. Quel joli adieu ! Il n’a pas encore vécu près de la rose, mais il en pressent le parfum. Vous lasserez vous de la comparaison ? G.

8 heures Voilà le N°94. On m’interrompt aussi pendant que je le lis. Mais ce n’est pas le même interrupteur. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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89. Paris Jeudi 12 juillet 1838

Vous m’avez écrit un petit mot bien enrhumé. Je n’ai point de rhume mais je n’ai rien à vous dire. J’ai chaud, c’est bien pis que votre rhume. Je dors à peu près en plein air et j’étouffe cependant. Si cela continue, je serai fondue. Hier Longchamp ne m’a pas rafraîchie. C’était un rout. La petite Princesse, Mad. Appony, Mad. de Caraman, & toute l’Angleterre, principal, attachés, enfants, tout le monde. Après, le dîner je me suis fait mener vers la Normandie le plus loin possible, & puis je suis revenue fort tristement chez moi pour me coucher. Vous causiez en attendant avec le duc de Broglie, et puis en remontant chez vous, vous aurez pensé que tout était possible, et cette pensée là ne faisait pas suite à votre entretien politique.
L’Infant Don François de Paul est attendu à Paris avec toute sa famille. On a loué pour eux le premier de l’hôtel Gallifet au dessus de la Duchesse de Talleyrand. L’ambassadeur d’Autriche n’a pas la moindre certitude d’avoir l’hôtel qui appartient à la liste civile ; on ne sait où prendre l’argent pour le mettre en état.
Vous voyez bien que je ne sais aucune nouvelle. Vous pourriez bien m’en dire. Est-il vrai que la presse abandonne le gouvernement, je parle de la presse en général, & qu’il ne lui reste plus que les Débats ? En tout cas le ministère peut se moquer de tout le monde jus qu’à la fin de l’année. nouvelles J’attends aujourd’hui des d’Angleterre. M. Aston aussi doit arriver et hélas les Granville partent après demain. Demain je vais encore dîner chez eux.
Adieu, donnez-moi des nouvelles de votre rhume, pour me dire qu’il est fini. On me promet du ragoût ce matin, mais je ne l’aime plus, je ne sais pas manger quand il fait chaud. Je ne mange que des fraises. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°89 Lisieux, mardi 17 3 h. 3/4

Un mot pour que vous n’ayez pas d’inquiétude. J’ai tout juste le temps d’un mot. J’avais compté arriver ici une heure au moins avant le départ de la poste qui ne part plus qu’à 4 heures. Mille incidents m’ont retardé. J’arrive au moment où la poste va partir. J’en suis très contrarié. Je ne puis souffrir que mes lettres ne vous disent rien. Au moins faut- il que vous ayez cette conversation-là. Pardonnez-moi l’insignifiance de celle-ci. à demain. Je me lèverai de bonne heure. Ma solitude vous appartient. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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89. Paris, le 11 juillet 1838

La journée hier a été bien chaude. Je suis à Longchamp. J’y restée jusqu’à 6 1/2 ai reçu quelque visites, les Durazzo, Henry Greville. A propos je parle de Long champ comme de ma propriété, c’est que je l’ai pris en effet pour le temps de l’absence de Lady Granville. J’y porte j’y trouve des livres. Hier mon ouvrage, j’ai les quelques lettres de Fénelon.
A 7 heures j’allai trouver un grand dîné chez Lady Granville, et à mon très grand plaisir le Duc de Broglie. Nous avons reparlé un peu de la Normandie, suffisamment pour confirmer mes droits. J’aime beaucoup M. de Broglie, indépendamment même de le Normandie. J’ai causé assez avec M. de Sturner, l’internonce d’Autriche à Constantinople. Il affirme que le Pacha d’Egypte n’aura pas déclarer son indépendance. M. de Sturner a de l’esprit assez, et cela me parait un homme sage, prudent. il y a 20 ans que je le connais, il était à Ste Hélène auprès de Bonaparte. On dit vraiment que M. Molé n’est pas du tout enchanté du triomphe du Ml Soult en Angleterre. La France ne sera plus assez grande pour lui. Il m’est revenu quelques commérages de Londres, entre autres que le P. Esterhazy est allé au nom du corps diplomatique oriental demander a Lord Palmerston raison du dîner constitutionnel donné par la Reine. Ce qu’il y a de sûr c’est que ce dîner a été très remarqué, & que les Ambassadeurs despotes sont fort mécontents. Le maréchal revient le 20. Les autres restent tous jusqu’à la fin du mois. Votre lettre de ce matin me fait supporter que celle-ci ira vous chercher à Broglie. Je vous souhaite d’y avoir moins chaud que je n’ai ici, mais j’oublie que vous aimez la chaleur. A propos votre rose me rappelle que cette même citation ma été faite par hasard en Angleterre par plusieurs personnes les premiers mois de mon arrivée dans ce pays, et que je me demandais si tous les Anglais n’avaient qu’une seule et même chose à dire. Depuis je ne l’ai plus entendue. Vous m’envoyez une vieille connaissance. Sans avoir pensé à elle hier au soir, je me disais bien lorsque le Duc de Broglie était assis prés de moi. S’il pouvait lui porter de moi quelque chose. Et puis quand il m’a demandé mes ordres pour la Normandie il m’a été impossible de vous nommer à côté d’une phrase vulgaire, et je l’ai chargé de mes souvenirs pour sa femme toute seule.
Mes yeux sont touchés par hasard ce matin sur la dernière lettre de mon mari de Stettien. " Il est urgent de reprendre nos N° afin d’exercer un certain contrôle." Puis reviennent les vues sordides & & vraiment c’est trop drôle car il ne m’a plus écrit depuis du tout Je me sais toujours mauvais gré quand je pense à mon mari. Je trouve qu’il y a rien de plus bête, ni de temps plus mal employé.
Adieu, combien de fois vous dirai je ce mot, jusqu’au jour où je ferai mieux que le dire ? Adieu Adieu. Prenez soin de vous. J’ai peur de vos promenades à cheval à Broglie, vous n’en avez pas l’habitude songez toujours a ma poltronnerie.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N° 88 Lisieux 16 6 h. 1/2

J’ai couché ici. Je vais retourner déjeuner chez moi. Demain je reviens dîner ici, un grand dîner de toutes les autorités du pays. Après-demain, je vais dîner à cinq lieues, à Pont-Lévêque, pour une réunion à peu près pareille. J’ai dîné hier avec 80 personnes, 76 pour être exact. Tout cela, c’est de la politique ; de la politique peu Russe ; de cette politique qui fait que nous appelons les Russes des barbares, et à laquelle on arrive par le même chemin qui mène hors de la Barbarie. Ce que vous mande Lord Willians me paraît tout simple. Je ne comprendrais pas qu’ils pensassent et parlassent autrement. Et quand ils trouvent qu’il y a de l’uninteresting et du frivolous, dans nos mœurs et notre politique, ils ont un peu raison. Seulement nous avons bien plus raison quand nous trouvons à notre tour tant de frivolous et d’uninteresting dans les leurs et dans leur grandeur grossière et apparente. J’estimerais davantage leur dédain pour l’étranger s’il était bien réel et bien réfléchi, mais il y a tant de charlatanerie et d’ignorance qu’il est difficile de n’en pas sourire. C’est un dédain d’enfants forts et piqués. Plus j’avance, plus je trouve le dédain de nation à nation peu sensé et un peu ridicule, souvent même aussi le dédain pour les personnes. C’est une leçon que je me donne à moi-même, & qui ne changera pas ma nature, je ne lui demande pas mais qui contient et rectifie mon jugement. Toute créature humaine à quelque côté par lequel elle mérite qu’on ne la dédaigne pas. Ce sont les choses de ce monde que nous pouvons librement dédaigner.
Je suis bien philosophe aujourd’hui, n’est-ce pas ? Philosophe ou non, merci de vos lettres. A part leur contenu j’ai été charmé de les recevoir et de les lire. Je suis rentré à l’hôtel de la Terrasse. J’ai retrouvé notre cabinet, notre conversation, nos délicieux commérages. Ma philosophie est très capable d’illusion. Tout ce qui me rapproche de vous ne fût-ce qu’en pensée, n’est jamais une illusion. C’est revenir au contraire à la réalité, à ma vraie vie, à ma vie intérieure et habituelle. C’est très vrai que, même-ici, je vis habituellement avec vous. Je vous entends, je vous parle, je vous questionne, je vous raconte ; j’assiste à toutes vos impressions, je vous livre toutes les miennes. La différence est immense pourtant. De loin, tout cela m’occupe. De près, cela fait mon bonheur.
Voilà le n° 92. Je suis charmé que vous ayez dormi. Je me l’étais promis hier matin. Ai-je raison de vous dire que j’assiste, de loin et d’avance, à toutes vos impressions. Le chaud a un peu repris, cependant bien moins lourd et moins intense. J’ai beaucoup pensé à ce que vous me dîtes de Broglie. Je veux y penser encore avant d’avoir un avis. Le duc de Broglie doit venir passer deux jours au Val-Richer, vers la fin de ce mois. Je le sonderai à ce sujet. Je sais comment. Je suis aussi fier, aussi difficile pour vous que pour moi. Certainement, vous ne devez aller que là où vous êtes désirée. Il faut que mon sentiment à ce sujet soit bien fort pour que la seule idée, la moindre possibilité de vous voir en Normandie n’effraie pas toutes choses. Vous voir, me promener avec vous ! Savez-vous ce que c’est ? J’espère que vous aurez de meilleures nouvelles de votre grand Duc. La fièvre tierce est un mal mais pas un danger. Je ne sais ce que sont les médecins Russes et Danois. Henriette était à merveille hier. Je crois en effet que c’est la chaleur qui lui avait donné cette indigestion. Adieu.
Où pourriez-vous donc aller hors de Paris si la chaleur revenait ? Avez-vous quelque idée ? Je voudrais bien pouvoir vous en envoyer une. Mais je ne veux pas que vous alliez quelque part pour y être encore plus seule qu’à Paris. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°87. Samedi 14, 2 heures

De douces paroles! Je ne vous en enverrai jamais, je ne vous en ai jamais dit d’assez douces à mon gré. Vous craignez que je ne sois mécontent. Non, je ne suis pas mécontent. Je vous aime trop et je vous connais trop bien pour l’être jamais. Mais je suis triste : triste comme je ne puis pas ne pas l’être ; triste aussi peut- être comme je pourrais ne pas l’être. Je vous ai demandé un jour comment on faisait pour avoir de l’humeur sans en avoir contre quelqu’un. Je ne puis admettre qu’à cause de notre séparation vous ayez de l’humeur contre moi. L’an dernier du 15 juin à votre retour d’Angleterre, parmi mes inquiétudes, en voici une qui me préoccupait beaucoup. Si notre intimité devient complète, parfaite, comment nous accommoderons-nous de ce qu’il y a d’incomplet et d’imparfait dans notre relation ? Si nous devenons vraiment nécessaires l’un à l’autre comment supporterons-nous d’être jamais séparés ? De jour en jour, je vous découvrais plus capable d’une intimité parfaite et de tout son bonheur, et plus incapable d’accepter dans ce bonheur la moindre imperfection, la moindre lacune. Je vous en aimais chaque jour davantage et mon inquiétude croissait avec ma tendresse. Un jour, mon inquiétude a disparu. Je n’y ai plus pensé. Nous avions été sitôt et si longtemps séparés ! La séparation était notre état habituel. Je n’ai plus pensé qu’à la joie de notre réunion. J’en ai joui avec une confiance aveugle comme on jouit du bonheur ; on ne prévoit plus rien, on ne s’inquiète plus de rien ; il absorbe l’âme. Mais, vers le printemps, mon inquiétude est revenue, et revenue très vive. Mon attachement pour vous était devenu bien plus sérieux et bien plus tendre. Je vous connaissais bien mieux. Vous ne savez pas à quel point, tout l’hiver, de près, de loin, chez vous, chez moi, seuls, ensemble ou dans le monde, vous avez été constamment présente à ma pensée, l’objet constant de mon observation, de ma réflexion, de ma contemplation, de ma sympathie. Vous, la créature la plus noble, la plus fière, placée le plus haut et en même temps la plus facile à froisser, la moins propre à lutter contre le sort, la plus près de fléchir sous le fardeau ! Des sentiments si profonds, et des impressions si mobiles ! Avec tant de supériorité, pouvant si peu pour vous-même! Tant de haut dédain, et une telle impossibilité de se résigner à la souffrance, à la contrariété, à la difficulté ! Une dignité si inaltérable avec une si vive impatience contre tout ennui, tout obstacle, tout mécompte ! Je suivais tous vos mouvements; j’assistais à toute votre âme. Quel ravissant bonheur de veiller de tous côtés, à toute heure, sur cette âme si haute et si tendre, de la satisfaire pleinement, de répondre à toutes ses exigences à ses plus secrets désirs de perfection dans l’intimité ! Et en même temps de protéger constamment efficacement, cette personne si peu faite aux combats, aux épreuves. J’écarte d’elle tout mal, tout effort, de la faire vivre à l’abri d’un impénétrable bouclier, de tendresse et de soin ! Je revois tout cela avec un désir tous le jours plus vif de réaliser mon rêve. Et tous les jours, tantôt un incident indifférent en apparence, tantôt une parole de vous venait déjouer mon désir et me pénétrer de la crainte que mon rêve ne pût se réaliser. J’étais dans cette disposition pleine d’anxiété, quand le moment de notre séparation est venu.
Je ne pouvais pas hésiter. Ma mère, mes enfants attendaient impatiemment la campagne. C’est leur plaisir. C’est un grand bien pour leur santé. Ils y comptaient. Ma mince fortune, dont il faut bien que je m’occupe pour eux m"en obligeait. Je ne suis promis que dans ma vie publique, jamais, même pour mes enfants, les considérations de fortune, n’exerceraient sur moi la moindre influence. Raison de plus pour que j’en tienne quelque compte dans la vie privée. Je vous ai quittée, en essayant d’étouffer près de vous mon chagrin pour vous aider à étouffer aussi le vôtre. J’ai eu tort. Si vous aviez vu ce qu’il m’en coûtait de vous quitter, votre chagrin fût resté le même ; mais une minute d’injustice, une minute d’humeur contre moi eût été impossible. Dites-moi que vous n’êtes pas injuste, que votre humeur ne s’adresse pas à moi, pas du tout à moi, qu’elle porte uniquement sur l’imperfection, l’amère imperfection de notre relation, de notre destinée. Dites-moi cela ; pensez le toujours. Et même loin de vous-même sous ce fardeau si lourd de l’absence, je me sentirai le cœur confiant et fermé ; je reprendrai mon rêve, le rêve de vous rendre heureuse, heureuse malgré tout ce qui nous manque, malgré nos cruels souvenirs, heureuse à force d’être aimée, et bien aimée. Oui, bien aimée. C’est la plus douce parole que je sache écrire, et qu’elle est loin de la réalité ! Adieu G.

Dimanche matin 8 heures
Je porterai moi-même ce matin cette lettre à Lisieux. Je vais passer la journée à la campagne à Combrée. Que de choses je voudrais vous dire ! Rien ne me contente. Rien n’est assez tendre, assez vrai. Rien me dit tout ce que j’ai pour vous dans l’âme. Vous avez besoin que tout soit parfait autour de vous. Et je suis sûr que si j’étais toujours là, libre de tout faire & maître de tout arranger, tout serait effectivement parfait selon votre désir. Et je ne suis pas là ! Et même quand j’y suis, je ne puis pas tout ce que je pourrais ! C’est un sentiment très douloureux. Et pourtant je m’y résigne pour moi. Laissez-moi espérer que vous vous résignerez aussi comme on se résigne. Acceptons ensemble avec une commune tristesse & une commune tendresse ce qui manque non pas à notre intimité mais à notre bonheur. Supportons le ensemble, avec une confiance sans mesure l’un dans l’autre, afin de jouir ensemble de ce que nous avons. Adieu. Adieu. Je voudrais que tout mon cœur pût passer dans cet adieu. Il serait bien doux. 10 heures ¼ Je reçois votre paquet en montant en voiture, pour ma course. Merci. Merci. Je vais lire tout cela, en roulant. Il ne fait plus chaud. J’espère qu’il en va de même à Paris. Je n’aimerai bientôt plus le chaud. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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87. Paris Mardi le 10 juillet 1838

Vous vous levez de bien bonne heure. Votre lettre ce matin est datée de 6 1/2 vous avez raison, il doit faire charmant à cette heure là. Je voudrais veiller et dormir à l’air. J’y passe tout mon temps, l’air de Longchamp est excellent mais celui des Champs-Elysées, c’est une autre affaire. Je j’y pense pour pense bien à vos bois autre chose encore que pour l’air ! Je n’ai vraiment rien à vous dire sur ma journée d’hier. Lady Granville a la petite Princesse le matin, le soir la duchesse de Poix, qui est arrivé pour passer deux jours à Paris. Vous concevez que cela ne me fournisse pas grand chose. J’ai manqué le duc de Noailles. Il a passé chez moi lorsque j’étais dehors, & ce matin de bonne heure il doit être réparti. Vous ai- je dit que j’ai eu une lettre de la d. de Talleyrand de Bade ? Cette lettre est si insignifiante qu’il cet clair qu’elle ne l’a écrite que pour que je lui en réponde une qui ne lui ressemble pas du tout. ce que j’ai fait. Je lui ai donné toute l’Angleterre.
A propos, la Reine distingue le marquis de Douglas, vous l’avez vu un soir chez moi. Il est fort beau et un peu bête. Les fiers Hamilton, comme ils vont lever la tête ! Je n’ai pas pu apprendre si le Duc de Broglie est venu. Je dîne aujourd’hui chez Lord Granville, s’il est à Paris, il y dînera aussi. Savez-vous que je n’ai pas un mot à vous dire aujourd’hui ? Je racontais tout à midi 1/2. Je ne sais pas écrire ce que je sais raconter. Ah quelle différence ! Comment il n’y a pas encore quinze jours depuis votre départ ? C’est incroyable. Cependant quinze jours est la huitième partie de quatre mois ; je cherche à me persuader que c’est quel que chose de gagner quand je sens su bien tout ce qu’il y a de perdu ! Adieu
Vous deviez aller le 11 à Broglie, mais le procès n’est pas jugé encore. M. de Broglie n’y sera pas. Comme vous ne m’avez rien dit pour mes lettres je continue à les adresser chez vous.
Adieu. Adieu. Moi aussi je ne me souviens d’aucune joie d’enfance, ni d’aucune peine non plus. Comme tout s’efface qui n’est pas un vrai sentiment, et comme dans ce genre la douleur laisse plus de trace que le plaisir !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°86 du Val Richer, Vendredi, soir

Je viens d’arriver un peu las de la chaleur. J’étais très combattu pendant la route. Je roulais dans une charmante vallée, entre des coteaux les mieux boisés et les près les plus verts qui se puissent voir, le long de la petite rivière la plus fraîche, la plus claire. La population était dispersée dans les près, aussi gaie que la nature était riante. Elle faisait les foins. C’était un très joli spectacle. Si je vous avais eue là, à rouler avec moi, bien doucement, rien ne m’eût manqué. Mais vous auriez eu si chaud ! Et je n’aurais eu aucun moyen de vous en défendre. Je vous voyais languissante, abattue, impatientée. Cela me gâtait tout mon rêve.
J’ai mes n°88 et 89. Je suis bien aise que vous ayez pris Longchamp, en l’absence de Lady Granville. Vous êtes accoutumée à vous y plaire. Quel ouvrage y avez-vous porté ? Est-ce toujours votre tapisserie si brillante ! Si vous prenez goût à Fénelon, il y en a dans me bibliothèque rue de la Ville-l’Évêque, au rez-de-chaussée, dans l’antichambre de ma mère, une édition très complète, & d’un assez gros caractère. Faites prendre les volumes qui vous conviendront. C’est très spirituels affectueux, pénétrant, mais un peu subtil. Il faut, si je ne me trompe être dans de grandes, et très exactes habitudes, de dévotion pour se plaire toujours à ce langage où il y a bien du cant, quoique ce soit au fond raisonnable et doux. Et puis beaucoup, beaucoup de paroles, rien ne va vite.
Vous me direz comment vous vous accommodez de cette allure là. Plusieurs des journaux ministériels quittent en effet le ministère, car ils meurent ; le Journal de Paris, la Charte. D’autres l’abandonnent sans mourir, comme le Temps. Beaucoup d’autres s’émissent contre lui. Cependant il n’est pas exact de dire que les débats seuls lui restent. Il a aussi la Presse qui ne laisse pas d’avoir des abonnés. Et puis il a imaginé une méthode qui nuit, pas bien noble, mais qui lui servira quelquefois. Il achète de temps en temps un article dans les Journaux qu’il ne peut acheter tout entiers, dans des Journaux d’opposition avec 500 fr., 1000 fr., mille écus, selon impuissance du Journal et de l’occasion, il fait insérer, dans la plupart des journaux, sous une forme un peu indirecte, des réflexions ou des faits qui lui, conviennent, ou à peu près. Il vit à peu près ; mais, il n’est pas à cela près. Et vous avez raison de dire qu’il se moquera de tout le monde jusqu’à la fin de l’année. Seulement, il se moquera de bas en haut, comme Scapin se moque de Géronte. Ce n’est pas une moquerie de gouvernement. Il me paraît d’après ce que m’a dit le Duc de Broglie, que bien certainement rien n’éclaterait en Egypte si la France et l’Angleterre étaient bien décidées, et le montraient bien décidément mais qu’elles se montrent indécises, quoiqu’elles ne le soient pas. Leur langage, leur attitude sont beaucoup plus flottant que leur intention. Et alors, il peut arriver que le Pacha, tout homme d’esprit qu’il est, ne comprenne pas bien, et qu’il crois l’indécision réelle, & qu’il agisse en conséquence. Et si une fois il agit, personne n’est plus maître de rien. Je ne crois pas à cet événement parce que je ne crois pas aux événements. Cependant il y a des chances.
Oui, je suis remonté dans ma Chambre, après avoir causé de tout cela ; et en prenant mon bougeoir, et en passant au bord de l’escalier pendant que les autres le montaient (car je vous ai dit que je logeais au rez de chaussée) j’ai pensé que tout était possible. J’ai pensé, à Boulogne. J’ai bien de la peine à quitter Boulogne quand une fois j’y pense. Cependant j’ai pensé aussi au Havre. Dites-moi quelque chose d’un peu précis sur le havre. Ne soyez pas aussi indécise à son sujet que M. Molé au sujet d’Alexandrie.
Ma petite fille Henriette a été un peu souffrante en mon absence ; une indigestion sans savoir pourquoi. Il n’y paraît plus. Je l’ai trouvé à merveille. Mon rhume est à peu près fini. Je n’ai point monté à cheval. Soyez aussi docile que moi. Dormez, mangez ne perdez pas le goût du ragoût. Et sachez que j’ai trouvé à Lisieux à une exposition de tableaux qui vient de s’y faire, deux portraits charmants de Mad. Loménie. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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86. Paris lundi le 9 juillet 1838

Je ne sais quel est le mot du 83 qui vous a déplu. Je ne sais jamais ce que je vous ai écrit une heure après que ma lettre est partie. Mais ce que je sais, c’est que mes lettres doivent se ressentir de la disposition de mon esprit ; que celle-ci est mauvaise ; je ne veux pas vous montrer de l’humeur, du chagrin ; je ne veux pas non plus me laisser amollir le cœur en vous écrivant. Je veux subir sans me plaindre cette longue séparation. Si je me laissais aller à la plaindre, je deviendrais injuste, ou je deviendrais trop tendre. Je fais comme vous, je cherche à me distraire en vous écrivant, car vous me dites cela dans le N°. de ce matin. Je cherche même plus. Je voudrais me rendre le cœur un peu dur ; cela va mieux à ma situation, je reprendrai mon naturel vers la mauvaise saison, qui sera la bonne. Ne trouvez-vous pas que voilà bien de la philosophie, & que cela ne me va pas du tout ?
J’ai fait hier matin quelque visite. Une entre autre à Mad. Rotschild de Boulogne, visite très intéressée, car je venais d’apprendre qu’on va louer l’entresol de l’hôtel Talleyrand, & je veux l’avoir. Elle m’a promis qu’il me serait réservé. Elle va m’envoyer M. Desniou pour les arrangements. Je verrai. Toute la diplomatie est venue chez moi hier soir, c.a.d. les grandes puissances. Et puis les Stackelberg, Durazzo, Acton, la petite princesse et quelques jeunes Anglais nouvellement arrivés. Médem ne pense pas que les conférence pour la Belgique puissent reprendre. La France ne veut s’en mêler que pour terminer et il n’y a aucune apparence encore de nous entendre. Lord Granville part à la fin de la semaine. Quelle perte pour moi. Comme je n’ai plus entendu parler de l’accident de la Duchesse d’Orléans, je suppose qu’il n’aura pas eu de suite.
La petite Mad. Pozzo s’était trompée à ce qu’il parait. Les médecins ici ont dit qu’elle n’avait jamais été grosse. Voilà qui est pire que la fausse couche. J’ai eu une bonne longue lettre de Lord Aberdeen. Il persiste à croire que la réaction augmente, & que les Torrys arriveront au pouvoir en dépit de la prédilection immense & affichée de la Reine pour Lord Melbourne. L’affaire de Lord Durham devient embarrassante. Vous lisez les discussions, à la Chambre haute ? Lord Granville pense que cela aura des conséquences. N’attendez jamais de moi des nouvelles françaises. Je n’en sais que par vous. Les diplomates étrangers n’en savent jamais, & et ce n’est qu’eux que je vois. Pas un mot de mon mari. Il m écrit sans doute de Hanovre par respect humain ; c.a.d. par respect pour la reine. Quel mari ! Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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85/ Paris, dimanche 8 juillet 1838

Que je vous remercie de me raconter si bien mon caractère. Vous avez mille fois raison dans ce que vous me dites de moi, dans l’explication de mon humeur, surtout dans ce que vous me dites de ce sentiment profond de ma douleur. Voilà ma passion, intime, immense ma douleur. Dieu m’a retiré ce que j’aimais tant, parce que je l’aimais trop. Que serai- je devenue en avançant dans la vie ? Je frémissais d’avance en songeant à l’avenir de mes enfants. Quel pays, quel maître, quel dieu hélas ! Tout cela me donnait des angoisses inexprimables pour eux, pour eux, pas pour moi. Ils n’étaient déjà plus faits pour cette horrible patrie. Ils en ont trouvé une. Ah monsieur et je n’y suis pas avec eux ! Dites-moi que j’y serai, bien sûr. Je vous ai dit que le dimanche je suis toujours plus triste qu’à l’ordinaire. Votre lettre y a ajouté aujourd’hui, mais je vous en remercie, je vous en remercie beaucoup, bien tendrement.
J’ai passé une matinée hier à Longchamp. Il me semble que je puis me dispenser de vous le dire, je n’y manque jamais. Mon temps passe doucement gaiement avec Lady Granville. J’ai même ri & beaucoup. Le soir nous nous sommes retrouvés chez Mad Appony. Il y avait beaucoup de monde. J’en suis partie lorsque la musique commençait c’était un petit prodige de 9 ans qui allait jouer. Je ne peux pas supporter les prodiges, & il n’y a que mon enfant à moi que j’aimerais écouter. Le Kielmansegge y est venu. Je me suis fait conter tout le Hanovre. Il en vient. Il adore son roi qu’il trouve le Roi le plus gai, le plus franc le plus courageux & la plus bon enfant du monde. Il ne pense pas qu’il rencontre d’embarras sérieux dans son chemin. On l’aime dans les masses, et il est parfaitement sans souci. La reine fort vieillie, toute occupée d’Étiquette et de magnificence. La cour la plus somptueuse, & le revenu de l’état passant dans des habits brodés. Voilà à peu près ce qu’il m’a dit. Il a une grande vénération pour moi, par tout ce qu’il a vu que ces royautés me portent de tendresse. Outre lui j’ai causé avec M. d’Arnim. Il n’y avait que cela pour moi.
Le matin j’avais eu de longues visites de la petite princesse. Mad. Appony & la Duchesse de Montmorency. Quelle ménagère que cette grande dame française. Elle ne m’a vraiment parlé que pounds and shillings, et je sais au bout des doigts tout ce qu’elle est obligé de nourrir, éclairer et chauffer dans sa maison. Elle m’ a assurée qu’elle avait une fortune très modique. Cela m’est bien égal.
La petite Pozzo a fait une fausse couche de 6 mois. C’est hier que cet accident lui est arrivé. Jugez comme le vieux Pozzo va être désolé.
On disait hier que la Duchesse d’Orléans s’était blessée dans la chambre. Je ne sais si c’est grave.
Je recevrai ce soir ; s il y a qui recevoir. Le salon de Mad. Appony ne me guide pas, il y avait trois dames anglaises divorcées, quatre dames françaises qui auraient dû l’être si les maris français ressemblaient aux Anglais. 14 petites filles, et des hommes beaucoup mais sur lesquels je ne connaissais que trois diplomates. Je me suis retrouvée dans mon lit à 10 1/2. Je n’ai pas de bonne raison pour y entrer, car le sommeil n’y entre pas avec moi. Adieu, adieu, je voudrais bien causer avec vous mais de près.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°85 Broglie Jeudi 12 3 h 1/2

Je passe ici la journée. Je retournerai demain chez moi. J’attends votre lettre de ce matin. On me l’enverra de Lisieux. Je dois l’avoir ce soir. Demain, en passant à Lisieux j’en trouverai une autre. Vous n’aurez point de dérangement non plus.
J’ai trouvé ici quelques personnes ; des députés du département qui y sont venus dîner avec moi ; tous les d’Haussenville possibles deux générations ; il me semble qu’on recommence à attendre la troisième. Le Duc de Broglie est arrivé hier matin, quelques heures avant moi. Il avait dîné la veille chez Lord Granville. Quoiqu’il soit peu bavard & moi peu questionneur, j’ai trouvé moyen d’avoir de vos nouvelles. Mais je voulais mieux. Je suis ici à sept lieues plus près de vous.
Je suis rentré dans cette maison avec émotion. J’y ai été très heureux. Il n’y a pas, dans ce parc, un coin que je n’aie visité avec quelqu’un de cher, de très cher, mon fils le dernier. Nous sommes encore là, la maison et moi rien que nous. J’ai le cœur plein, plein de choses qui vont à vous. Vous seriez bien ici, certainement bien pour quelque temps. Les maîtres sont bons simples, le cœur droit et haut. La vie est facile et assez bien arrangée Je cherche quels conforts vous manqueraient. On m’a donné l’appartement qu’on vous donnerait au rez de chaussée. Il fait un temps magnifique, trop chaud pour vous. Mais l’air est animé et les ombres du parc très épaisses. J’en ai fait le tour ce matin, à huit heures et demie. Il faut quarante minutes. Je n’aurais pas mis plus de temps avec vous. Vous marchez d’un bon pas. Mais nous nous serions arrêtés en causant. Nous nous arrêtons bien quelques fois sur le trottoir de la rue de Rivoli. Charmant trottoir !
En fait de politique, le Duc de Broglie ne m’a rien rapporté sinon le grand émoi du Cabinet, et même plus haut que le Cabinet, sur les triomphes du Maréchal Soult. C’est plus qu’on ne demandait. Et tout d’ailleurs très impérial jusqu’au vin. On n’en rit que du bout des lèvres. On croit des prétentions énormes et près de se mettre au service du parti qui leur promettra le plus. On ne songe plus du tout à lui comme simple Ministre de la guerre. On a offert ce portefeuille, là au Général de Caux qui l’a refusé. On restera comme on est.

11 heures du soir
Votre lettre n’est pas encore venue. On me dit que le courrier de Lisieux arrive le matin et que je l’aurai demain à 9 heures. J’y complais pour aujourd’hui. Il me semble que le mécompte m’est encore plus désagréable qu’il n’eut été au Val-Richer. Ce lieu, les impressions que j’y ai retrouvées tout ce qui semblerait devoir me distraire de vous m’en rapproche. Adieu. Je vous dirai bonjour demain en me levant, car cette lettre-ci partira avant que j’aie la vôtre. Probablement vous êtes déjà couchée. Vous dormez, j’espère. Adieu, Adieu.

Vendredi, 8 heures
Lady Granville part demain. Je ne puis vous dire combien je la regrette. Quel temps doivent- ils passer à Aix ? Je donnerais quelque chose de bon, comme on dit pour être un jour derrière un rideau quand vous causez avec Lady Granville. Je voudrais voir sa gaieté et la vôtre en communication. Personne, je crois n’est moins curieux que moi. Je le suis excessivement pour quelqu’un que j’aime. Il me semble que j’ai toujours, à son sujet, quelque chose de nouveau à apprendre ; et aussi que tout ce que j’en ignore tout ce qui m’en échappe est un vol qu’on me fait. C’est mon bien que je cherche à tout moment, partout. Adieu. J’aurai deux lettres aujourd’hui. Je serai au Val-Richer pour dîner. Adieu, Adieu. G. J’ai oublié de mettre de la cire noire dans mon working desk.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°84 Mercredi 11 6 h 1/2

J’ai passé hier un sotte journée à demi hébété. J’avais quelques uns de mes voisins à dîner. S’ils m’ont trouvé aimable, ils sont bien bons. Je crois qu’ils mont trouvé aimable. Je suis mieux ce matin. J’ai peu dormi, mais peu éternué. Je partirai pour Broglie, vers 1 heures, quand le facteur sera arrivé. Le facteur, c’est l’événement de ma journée. Il faut un événement à chaque journée. A Paris j’en ai deux, midi et demie et huit heure, & demie. Au Val-Richer, il n’y en a qu’un et qui ne vaut pas le moindre des deux de Paris. Il est pourtant bien impatiemment attendu même quand il apporte du chagrin et un peu d’humeur. La vivacité du chagrin me console un peu de l’injustice, de l’humeur. J’ai tort ; je me fais plus mauvais que je ne suis ; si je croyais à une humeur vraie, même injuste, je n’en serais pas si aisément consolé. Et je n’aurais point de repos que je ne l’eusse dissipée. Il y a des cœurs et des regards, entre lesquels ne doit jamais s’élever le moindre nuage.
Je vous désire tout-à-fait l’entresol de l’hôtel Talleyrand. Il vous plaît et il me semble que vous y serez bien. Vous aurez l’amusement de vous y arranger. Prenez garde seulement à ne pas vous plonger là dans un Océan de poussière et de bruit. Il se pourrait qu’après vous avoir loué l’entresol on bouleversât le reste de l’hôtel qu’on fît abattre bâtir tout près de vous sur la rue St Florentin, & alors vous seriez très mal. Avant de rien conclure assurez-vous bien des projets des acquéreurs. Vous êtes difficile, presque aussi difficile avec le monde matériel qu’avec le monde moral. Ne vous engagez pas facilement dans une situation inconnue.
Je ne sais pas les raisons de la confiance de Lord Aberdeen. Mais en tout, il me paraît un peu confiant, du moins dans ce qu’il dit. Je suis bien aise de trouver l’occasion de renvoyer ce reproche à un Anglais. Il me semble de plus en plus que les Torys n’auront de chances sérieuses que lorsque les questions d’Irlande seront à peu près vidées. D’ici là, ils ne gouverneraient pas sans guerre civile, ou à peu près en Irlande ; et l’Angleterre me parait décidée à ne plus vouloir de la guerre civile & de ses violences en Irlande. Elle le lui doit en vérité pour tout le mal qu’elle lui a fait si longtemps. Je ne connais par M. O’Connell, et ce n’ai nul goût pour son langage ; mais je m’intéresse à sa cause. Il ne me revient rien de nos affaires à nous, & je crois qu’il n’y a rien. Le Duc de Broglie me dira aujourd’hui tout ce qu’il peut y avoir. L’accident de Mad. la Duchesse d’Orléans n’est rien du tout. Est-ce que la petite Mad. Pozzo se serait dit grosse pour revenir plutôt à Paris ? On dit qu’elle s’ennuie effroyablement à Londres.
Je ne m’étonne pas de la sécurité de Kielmansegge ; mais j’ai quelque envie d’en sourire. Il est de ceux qui ne prévoient jamais les fautes et les échecs de leur maître ; ce qui n’empêche rien. Si l’affaire va à la Diète, et si la Diète condamne le roi de Hanovre, jamais condamnation de Roi n’aura fait faire à la cause Constitutionnelle, comme nous disons ; un si grand pas. Est-ce que le Roi Ernest ne s’en doutera pas d’avance ? Du reste je juge tout cela de loin, et peut-être à tort et à travers. Je suis fort revenu de la prétention de juger de loin. Il faut bien pourtant. Quoiqu’il arrive, je porterai toujours à cette bonne Reine de Hanovre, un véritable intérêt et j’espère bien qu’elle aura toujours autant de beaux manteaux dorés qu’elle voudra.

10 heures
Je pars pour Broglie avec votre n° 87. Comme on ne m’a rien fait dire je suppose que le duc y arrivera aussi ce matin. Dans tous les cas, je n’y passerai que 24 heures et je serai ici après-demain. Point de dérangement dans nos lettres. Adieu, Adieu. Oui quinze jours. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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84./ Paris le 7 juillet 1838 Je vois que j'ai le style trop Anglais, et que vous n'êtes pas à la hauteur de mon style quand je vous remercie de vos carpes, je parlais de leurs avantures, et vous avez cru que j’attendais leurs personnes. J'écris très mal, faites-vous à cela s il vous plaît. Je vous en donne assez l’occasion. Vous jugez très équitablement & courtoise- ment, les applaudissements au Maréchal Soult. En général vous sugez tout avec bienveillance et justice. Vous avez fort raison aussi de douter qu'il puisse y avoir réciprocité ici. La supériorité est de l’autre côté de la Manche. Je voudrais bien voir M. de Broglie le 9. Je tâcherai. Je n’ai rien à vous dire de nouveau sur mes mouvements. La matin d’hier s'est passé comme de coutume à Longchamp seulement nous êtions établis sur des tas de foin au lieu de l'être sur des chaises. Et puis nous avons passé sur l’autre rive. Lady Granville m’a entraînée dans une visite à Mad. Salomon Rothschild. Sa campapne est charmante, mais l y a trop de toute chose ; et je n’avais jamais su jusque là qu'il peut y avoir trop de fleurs. C’est cependant exact. Ce qu’il y a de joli, et de très nouveau c'est une espèce d’eau d’artifice, comme on dirait feu d’artifice, qui arrose à la fois les gasons, les fleurs, les arbres et sous mille formes variées, des gerbes du ? des cascades & & c’est en vérité charmant et si frais ! Comme elle parle le Français cette Madame Salomon ! " barsque Poulogne est si brés, ma ville fient une fois peaucoup de vois dans la chournée." Le Reine a été faire visite à Mad. Salomon. Ce qui n’a pas empêché cette pauvre femme d’être confondue de la mienne. J'ai dîné seule comme de coutume. Le soir j’ai pris l'air en calèche et j'ai fini par la petite princesse, qui sort enfin de couches aujourd’hui. Elle va dîner à Auteuil, e j'y irai le soir. Il n'y a pas de nouvelles à vous dire. Je ne sais rien du tout. Vous voyez que je vis principalement avec les Anglais. A propos j’ai vu les abtrion. Ils ont passé quelques jours à Paris. Elle retourne en toute hâte en Angleterre pour y faire ses couches. Emilie Flahaut épouse décidement le fils de Lord Lansdowne. Ce mari mourra avant deux ans et puis elle verra ce qu'il lui plaira de faire. le contrat de mariage stipulera un très beau domaine. Adieu. Les journées passent cepen dant. Mais comme c’est heavy ! J'en suis accablée. Adieu. Adieu. Mon Rmpereur a aujourd’hui 42 ans. Il arrive surement dans la journée auprès de sa femme en Silésie. Une surprise très attendue.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°83 Mardi 10 9 h. 1/2

Vous n’aurez aujourd’hui qu’une bien courte lettre. Je sors de mon lit. Je suis pris d’un rhume de cerveau effroyable. Je ne sais pas et je ne vois pas ce que j’écris. C’est dommage par un si beau soleil. J’ai passé ma nuit dans des alternatives continuelles d’éternuement, de demi sommeil, de rêve. J’ai beaucoup été avec vous. Dormiez-vous ? Pourquoi ne dormez-vous pas ? Vous ne m’avez point donné de nouvelles de votre appétit, du luncheon. Donnez les moi. Que je sache au moins tout ce qui se peut savoir de loin. Je vais demain à Broglie. Je n’y passerai que 24 heures. C’est un lieu que j’aime. Quand vous y serez venue, si vous y venez, je l’aimerais encore davantage. Pourquoi est-ce que je dis si ? Je ne veux pas m’arrêter aujourd’hui à rien médire. Je suis en mauvaise disposition. Il m’est très désagréable de me sentir en mauvaise disposition, à part le mal lui-même, je ne puis souffrir ces vicissitudes d’humeur pour lesquelles on sent soi-même son jugement, son langage, son accent altérés. Il y aurait plus de dignité à être toujours le même.
Adieu. Ce n’est pas un bon Adieu. Je suis trop enrhumé. J’espère que j’aurai bientôt votre lettre. Le plaisir de la voir arriver me remettra, l’humeur.

10 heures ¼
Voilà le N°86. J’y répondrai demain, avant de partir pour Broglie. Je ne suis bon à rien aujourd’hui. J’éternue cent fois de suite. Adieu pourtant. Vraiment adieu. De loin, on se permet tout. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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83. Paris, Vendredi 6 juillet 1838 Je sais fort bien ce que c’est que les mouches, la verdure, les oiseaux et le brillant soleil et le charmant parfum de l'air à 5 heures du matin. Comme vous j’adore tout cela, & comme vous je ne puis pas adorer seule, dès lors je ne recherche pas ce qui me donne une sensation penible, car tout dans ce genre m’attriste. Vous me connaissez bien, & cependant vous ne me connaissez pas tout à fait. Vous ne savez pas tout ce qu’il y a dans mon cœur. Il y a tant tant de tendresse, tant de sentiments que je ne sais pas exprimer. Tant de douleur surtout si profonde ; si éternelle. Je veux vous parler d’autre chose. J'ai eu des lettres de Londres, du duc de Sutherland entre autre ; mais comme elle a pour épigraphe a frivolous one Je n’ai rien à vous en dire, ce n’est en effet que dîners, cérémonies. Quelques querelles de préséance, des pauvretés. Plus de chaises pour les ambassadeurs. J’aurais bien voulu voir cela de mon temps ! Aussi me fait on l’honneur de m’écrire qu'on pense beaucoup à moi depuis toutes ces fêtes. Le Duc de Nemours est parfaitement blessé par votre Ambassadeur, et en général par les Ambassadeurs. Au fait ce n’est pas là l’occasionde la présence d’un prince, mais du maréchal Soult, quelle popularité. Le dîner de la reine aux Amb. du quadru ple traité et au Pce de Lejus, c.a.d. aux amb. constitutionnels tandis que les despotes ont dû se contenter du dîner de Lord Palmerston, aura fait un peu de bruit dans la diplomatie. M. Fleickman qui revient J’ai enfin vu de Stoutgard & qui est venu me chercher quatre fois sans me trouver. Il m’a dit bien des petites nouvelles de la part de son maître qui a été à Berlin comme vous savez. Il n’a reconnu aucun change ment dans les dispositions du Tzar, & il y a même sur ce sujet un mot assez piquant que je ne puis pas vous redire. Ils ont beaucoup causé ensemble. L'Emp. désaprouvee cependant la marche du Roi de Hanôvre et trouve qu’il va trop loin dans le bon sens. L'affaire de la Prusse avec le Pape va s’arranger. La querelle avec la Bavière avait été poussée très loin. Cela aussi s'applanit. Le duc de Nassau ami intime de mon Empereur a passé par Compiègne pour se rendre à Londres. Il n’a pas voulu toucher Paris ; il a fait venir Fabricius à Compiègne. Cela à un peu blessé ici à ce qu’on dit. J'ai eu hier matin une longue visite d'Appony. J'ai dîné en Angleterre. En effet rien que des Anglais. Un temps charmant. La lune su perbe. Vous l’aurez vue comme moi. J’ai oublié de vous dire plus haut que L’Empereur ira sur le lac de Constance au mois d’août, Je ne doute pas qu'il ne parcours les bords du Rhin. Le Roi de W. a trouvé mon jeune grand Duc, doux, beau, & un peu simple. Je vous remercie de m'avoir mandé les departures de Broglie. Vous me connaissez moi et toutes mes bêtises. Adieu, adieu, mille fois, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°82. Lundi 9 Juillet, 7 heures

On m’a reproché d’être dédaigneux. J’en fais pénitence. Je vis ici Dieu sait à quelle distance de ma vie intérieure, habituelle. C’est la faute de notre état social et la loi du gouvernement représentatif. Vous n’avez jamais éprouvé cela. Je me trompe. C’était là votre, condition, et aussi votre sentiment quand vous êtes retournée à Pétersbourg. Les petits jeux de l’intérieur du Palais, votre étonnement de l’étonnement que vous avez excité autour de vous le jour où vous avez dit quelques mots de politique à dîner. Votre impossibilité de causer vraiment avec personne votre mal aise dans cette atmosphère pesante et inférieure, c’est le pendant de mon mal. Seulement vous aviez affaire à un Empereur, moi à des électeurs. Peu importe. Vous plaisiez à votre Empereur. Je plais aussi à mes électeurs. Je soupçonne même que je me prête à leurs affaires, à leurs conversations, avec moins d’effort et d’ennui que ne vous en imposaient les brusques fantaisies, ou les grosses gaietés impériales. Je ne connais personne qui sache moins descendre que vous.
Dans votre sphère, quand vous vous sentez en parfaite harmonie avec les situations, les idées les sentiments, les habitudes, les manières qui vous entourent vous avez l’esprit singulièrement animé, fertile souple ; vous êtes pleine de facilité, de laisser aller. Mais vous ne pouvez pas du tout vous dépayser. Sur tout autre échelon, dans tout autre air, vous êtes comme sous la machine pneumatique, mal à l’aise, froide immobile. Vous êtes, en fait, d’élévation et de tous les genres d’élévation, ce qu’on appelle aujourd’hui une spécialité. Vos habitudes sont devenues, votre nature. Restez comme vous êtes. Ce que vous avez me charme, et je ne vous désire point ce qui vous manque.
Je suis bien aise qu’Emilie Flahaut se marie bien. Mais c’est triste d’épouser un mari qui mourra dans deux ans. Si elle l’aime ? Est-ce qu’il est menacé de la maladie de Lord Kerry ? Qu’est devenue Lady Kerry ? Est-elle morte aussi ? Elle avait bien un air à mourir. Je n’ai jamais vu de structure si frêle et de blancheur si pâle. Voilà un singulier effet d’imagination. Je vous croyais en Angleterre. Je vous écrirais à Londres. J’allais vous prier de faire mes amitiés à Lord Landsdown. C’est un souvenir de l’an dernier. Et aussi un effet de ce que depuis quelques jours, vous passez comme vous dîtes, votre vie, en Angleterre. Je la regretterai bien pour vous dans quelques jours.
J’espère que vous verrez aujourd’hui, le Duc de Broglie. Je le désire. Je le verrai après-demain. Que nous sommes enfants ! Nous avons bien raison. C’est la vie que ces enfantillages-là. Je voudrais bien voir ce qu’elle serait si on les en retranchait tous, tous absolument. Mais j’aime mieux les enfantillages de près et sans intermédiaire. Dans un poète persan qui s’appelle Saadi, un voyageur s’arrête auprès d’une fleur : " Fleurs d’un parfum si doux, es-tu la rose ? - Non, mais j’ai vécu près d’elle. "

10 heure ¼
Votre n°85 est bien triste, triste pour vous, triste pour moi. De près, votre tristesse m’est douloureuse de loin intolérable. Mais pourquoi dit-on intolérable quand on tolère ? Et puis, ne m’en veuillez pas d’être triste aussi pour moi. Il faut me pardonner mon immense exigence. Adieu Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris, Jeudi le 5 juillet 1838, 82./ Il n'y a plus qu’une question non répondue au sujet du courronnement. Le M. Soult n’était pas le second des premiers, mais le second des derniers. Dans les cérémonies c’est les plus jeunes qui commencent, ainsi son carosse était après celui du Turc, si je ne me trompe, qui était arrivé à Londres après lui. Vous voyez que je viens de lire votre lettre. A l’Abbaye dans la tribune. Le maréchal était placé sur le second gradin. Il y avait ou lt front serte les quatre amb. ordinaires, & l'Autriche, et les Pays-Bas extraordinaires. J’ai passé toute la matine hier à Longchamp c'est délicieux, toute l'Angleterre vieille moyenne et jeune y était réunie. Je ne suis rentrée qu'à 6 h. 1/2. Après, encore la colèche jusqu’à 9 heures. Puis une petite visite à la petite princesse et mon lit à 10 h. C'est une vie de campaqne tout à fait. Je voudrais m'en trouver bien et il n'y parait pas. J’ai eu ce matin une lettre de la Reine de Hanovre, rien d’extraordinaire, si non que l’un de mes pêchés est d’avoir vécu dans l’intimité de M. de Talleyrand. Ainsi le jour où l'on a appris sa mort à Berlin l’Impé ratrice a dit en plein cercle. " Voilà l’ami de Mad. de L. mort. " La Reine a protesté contre l'ami. Tout cela sont des petits détails sans importance, mais l’humeur est grande. Le prince impérial à l’ordre de chercher une femme. Il en avait trouvé une à Berlin qui lui plaisait. Le fille du g. D. de Muk. Strelitz. Mais l’Empereur ne l’a pas trouvé assez grande et elle a été discessed. C’est comme on choisit les reines. Aujourd’hui jour de courrier d'Angleterre c.a.d. celui où il arrive. J'en suis toujours avide. Vous saurez ce que je saurai. Je vais dîner chez Lady Granville. Et dans ce moment midi je vas m’asseoir dans mon jardin. Vous aimeriez peut être à y venir avec moi ? Adieu vous êtes bien loin, horriblement loin.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°81. Dimanche 8. 6h. 1/2 du matin

Les mouchoirs blancs et rouges sont tout prêts, rangés dans mon tiroir. Je viens d’en prendre un. Le pauvre roi d’Hanovre me paraît bien accusé. On peut encore exercer le pouvoir absolu là où il existe, encore en s’y prenant bien. Mais le rétablir cela ne se peut plus, surtout en en mettant enseigne. Le principe irrite plus que le fait. Les peuples sont comme les femmes, comme les hommes ; ils aiment mieux être maltraités qu’insultes. Votre Empereur a raison ; le Roi d’Hanovre gâte le métier. Si j’étais M. Molé et que j’eusse envie d’avoir le Maréchal Soult pour ministre de la guerre, son fracas à Londres me déplairait fort. Il reviendra de la plein de prétentions, & probablement ne voulant plus accepter d’autre Présidence que la sienne propre. On me mande qu’il n’y a encore rien de sérieux dans tous les bruits de remaniement de Ministère. Ce qu’on remanie, c’est l’administration d’Alger. On va changer, je crois, l’Intendant civil. M. Bresson payera son discours. Le maréchal Vallée écrit que les affaires militaires sont à peu près arrangées, qu’il lui faut à présent, pour second un administrateur actif et un peu considérable, sans quoi il ne saura que faire de tout l’argent qu’on lui vote. On a fait des propositions à un homme de mes amis. Je l’ai engagé à accepter.
Le dîner de la Reine d’Angleterre aux Ambassadeurs Constitutionnels est une affiche en bien grosses lettres. C’est comme toute la politique extérieure anglaise, un grand tapissage sur la rue. Je ne trouve pas que nos journaux en fassent le bruit convenable. Me voilà au bout de ma politique et de la vôtre. La saison est bien morte. Nous glanons. Si nous étions ensemble, nous moissonnerions toujours. La Fontaine a raison. L’absence est le plus grand des maux. Pourtant je me reproche de dire cela. Nous ne connaissons pas le plus grand des maux. Cela fait trembler. J’oublie les nouvelles de St Ouen. On bâtit le Presbytère.

9 heures
Vous dîtes que je ne vous connais pas tout-à-fait. Tant mieux ; car plus je vous ai connue, plus j’y ai gagné, et vous n’y avez pas perdu. Vous êtes pourtant d’une nature, simple, pas un peu simple, comme votre grand duc, mais très simple. La simplicité riche, c’est la perfection. Votre âme est riche, inépuisable. Je la connais mieux que je ne vous le dirai jamais. Je ne vous dis pas tout de vous surtout. Et de loin, que dit-on?
J’ai repris mer leçons avec mes filles. Je remplace leur maître d’arithmétique! Elles sont bien heureuses. C’est quelque chose de singulier qu’une vie si animée et qui laisse si peu de traces. J’ai probablement été dans mon enfance, aussi heureux, aussi animé que le sont mes filles. Je ne m’en souviens pas du tout. Vous souvenez-vous de votre enfance ? Je suis né vers seize ans. C’est de là que date ma vie, dans ma mémoire à moi. Je vous parlais de mes filles. Un de leurs bonheurs, c’est que je en leur lis le soir. Nous achevons un très joli, roman de Walter Scott, peu vanté : Richard en Palestine. Mais je ne veux pas ne leur lire que des romans même de ceux-là. C’est une lecture trop amusante, un plaisir de paresseux, un aliment qui dégoûte des autres, et ne nourrit pas, les jours derniers, j’ai pris Plutarque, la vie de Thémistocle. C’est charmant ; mais c’est un travail de lire cela à des enfants. Il faut à chaque instant sauter, retrancher, retourner, expliquer. Les faits, les livres, les esprits, le langage tout cela est bien grossier. Il n’y a pas moyen de mettre cela sous les yeux des enfants. Je ne suis pas prude ; mais avec mes filles. je deviens de la susceptibilité la plus ombrageuse. Je ne voudrais pas laisser approcher de leur pensée de leur petite figure, si fraîche et si pure un mot, une ombre, un souffle moins frais et moins pur. Pour les âmes, le mal, c’est la peste contagieuse à faire trembler, contagieuse par un mot, un regard ! J’ai fait en lisant la vie de Thémistocle, des tours de force et d’adresse admirables pour écarter le mal que je rencontrais à chaque pas. Je l’ai écarté hier ; mais demain, mais un jour, il les approchera nécessairement. N’importe, que ce soit tard, le plus tard qu’il se pourra. La longue innocence se répand, sur toute la vie.

10 h. 1/2.
Il paraît que nous parlons l’un et l’autre bien obscurément sur mes carpes. Je ne croyais pas du tout que vous les attendissiez en personne, pas plus que je n’avais pensé à vous les envoyer. Je ne voulais que justifier mon récit de leurs aventures. Mais laissons-le là. C’est plus qu’elles ne méritent. Gardez votre style, anglais ou non. Je ne vous pardonnerais pas d’en changer. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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81. Paris Mercredi 4 juillet 1838

J’ai reçu votre lettre, vos poissons. Comme tout à coup tout a changé pour nous. C’est si abrupt. Des habitudes si étrangères à nos habitudes. Des sujets de conversation se différents. Au lieu de politique vous m’envoyez des carpes. C’est égal, j'accepte tout ce qui me vient de vous. Je vous prie de ne pas manger beaucoup de carpes, de têtes de carpes surtout. J’ai vu M. de Talleyrand à Londres, très près de mourir de cela.
J'ai été hier un moment chez la petite Princesse. Il est très vrai que je la néglige il est très vrai que je suis difficile. Il faut me plaire beaucoup pour m’intéresser un peu, et elle a trop de petit esprit & de petites manières gentilles pour me convenir beaucoup. Cependant, je conviens qu’elle me fera une ressource, quand je n’aurai plus rien. J'ai été à Longchamp jusqu'à cinq heures, & puis un moment à Auteuil. C’était une matinée de réception & il n'y avait à peu près personne. Lady Canterbery qui lorsqu’elle m’a vu venir de loin a vite quitté son siège pour se promener seule dans le jardin. Ici on la comble de politesse & une Anglaise comme moi ne la salue pas, la pauvre femme a erré longtemps et puis elle est partie sans vouloir s'approcher de la maîtresse de la maison.
Je suis rentrée pour mon dîner ; je me suis fait traîner après, & j’ai fini par Lady Granville encore. Ah, pour celle-là, elle me plait.
Les conférences pour la Belgique vont commencer à Londres. Ce ne sera ni une petite, ni une courte besogne. Je ne sais ce que fera Pozzo. Il voulait quitter le 15 pour venir passer 3 mois à Paris ! Si Matonchewitz n’avait pas été déserteur on l'enverrait à la conférence. Je ne sais si l’Empereur voudra se donner cet air de faiblesse.
La petite insurrection à Stockolm qui a misé de si près la visite de l'Empereur me parait un fait curieux. Cette visite n’aurait donc flatté que le Roi. Je ne sais rien de vos affaires ici, et il n’est pas vraisemblable que j'en apprenne rien. Je ne fais attention qu'à ce qui me vient de sources directes et celles-là ne sont pas à ma disposition. M. Molé m'a promis une visite, mais je ne fais pas le moindre cas de ses promesses.
La Reine est dit-on inquiète de la taille énorme de sa fille. Elle accouche dans quinze jours.
Je n’ai pas de lettres de mon mari. J’ai écrit aujourd’hui à mon frère.
Il fait chaud. Et le temps passe bien lentement. Il me semble même qu'il s’arrête. Ah mon Dieu qu'il y a loin jusqu’à de bons moments ! Adieu. Adieu. Est-ce que je ne vous parais pas d’un peu mauvaise humeur ? Je crains que mes lettres ne soient maussades. Je suis si transparente. Et mon chagrin prend quelques fois de si vilaines formes. Vous êtes bien mieux élevé que moi. Adieu adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N° 80 Vendredi 6. 9 heures

Que vous m’avez manqué aujourd’hui. J’avais commencé ma journée avec vous. On nous a séparés quand nous causions intimément. Je vous ai cherchée tout le jour. Mes regards, mes paroles tout mon être allaient à vous à chaque instant. Nous sommes si bien ensemble. La petite Princesse a raison. Nine fifonne Dorfattais ! Mais quand le Ciel accorde nin fégönnb Banfoittngh, il devrait l’accorder complet, permanent. La perfection est si rare ! C’est un supplice de la rencontrer pour l’entrevoir seulement.
J’étais bien difficile ; vous m’avez rendu plus difficile encore. Je me suis surpris deux ou trois fois près d’avoir de l’humeur, non pas contre vous, mais contre tout ce qui n’est pas vous. J’ai essayé de tout pour me distraire, la promenade, le travail. Rien ne m’a réussi. Tout à l’heure, c’est pour me distraire que je suis rentré dans mon Cabinet que je vous écris. J’avais tant à vous dire ce matin ! Rien ne me revient. Ce papier me déplait. Qu’y puis-je mettre ! C’est encore une manière de me faire sortir ce qui me manque. Je suis en trop mauvaise disposition. Je vous quitte. Si vous étiez là !

Samedi 9 heures

Je me suis levé tard. J’avais mal dormi. Je me suis rendormi ce matin. J’attends que vous me disiez que vos nuits sont meilleures. Fait-il assez beau, assez chaud pour que vous vous promeniez quelques minutes le soir, dans votre jardin, presque en robe de chambre, au moment de vous mettre dans votre lit ? Et votre dîner et votre lunchéon comment se passent-ils ? Êtes-vous toujours contente de votre cuisinier ? Vous donne-t-il souvent du ragoût ? Tout cela me manque. Dites-moi tout cela. Envoyez-moi vos pommes de terre et vos cotelettes. Elles valent bien mes carpes. Soyez tranquille. Je ne me donnerai pas les indigestions de M. de Talleyrand. Voilà votre n° 83, le nouveau facteur est charmant. Mais sa diligence fait qu’il est pressé de repartir. Vous n’aurez donc qu’une courte lettre. J’en suis fâché. Le N°83 me va au cœur, sauf un mot pourtant qui y va ausi, mais tristement, tristement. Je ne sais si vous devinerez lequel. J’aimerais mieux que vous ne le devinassiez pas. Vous l’auriez écrit plus légèrement. Moi aussi, j’ai mes bêtises. Ce ne sont pas des bêtises. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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80. Paris, Mardi 3 Juillet 1838 9 h.

Ma matinée s’est passée hier à Longchamp. Le soir j'ai été faire une visite à Boulogne, et avant 10 heures j’étais à ma toilette pour me mettre dans mon lit. Je ne sais rien , je n'ai rien à vous conter, et je n’ai pas encore votre lettre. Je reviens sur des vieilleries. M. Molé m’a dit qu'à vous la rétractation de M. de Talleyrand n'a pas fait le moindre effet, d’ailleurs on n’a pas trouvé que les termes de cette pièce fussent assez humbles ni assez forte.
On calcule que le jour du couronnement le prix des places payées s’est élevé à 200 m £ c'est-à-dire cinq millions de francs. Cinq cent mille âmes de plus dans la ville, & au moins un million de spectateurs. Je ne puis par digérer encore les applaudissements au Maréchal à l'abbaye. Sébastiani en fait un rapport pompeux qui veut dire qu'il a eu raison de s'opposer à la nomination de Flahaut. Imaginez Marguerite et sa fureur lorsqu’elle a entendu les bravos ! Quand au Maréchal il en reviendra plus glorieux que s'il avait gagné la bataille de Toulouse.
Est-il donc vrai que ce soir il y a huit jours nous étions encore ensemble ? Que vous me donniez le bras sur le trottoir. Ah mon Dieu. Il me paraît qu’il y a quatre mois ; & que vous devez revenir ce soir, si vous voulez tenir votre promesse. " que le jour me dure " & & Je sais très bien cette chanson. Voici votre lettre. Cela me parait si peu de chose. Comprenez-vous bien que ce n’est pas une grossièreté que je vous dis là. Dans quelque temps je trouverai peut être que c’est beaucoup. Aujourd’hui encore cela m'est impossible.
J’ai écrit un peu à tout le monde en Angleterre. J'ai bien plus de temps ici. Je n’attends personne à midi 1/2 Je n’attends personne jamais. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°79. Vendredi 6 heures du matin

Je ne suis pas mieux élevé que vous ; mais je sais mieux ne pas me livrer à ma première impression, ou à une seule de mes impressions, et supprimer ou du moins imprimer celle à laquelle je ne veux pas me livrer. Cela s’appelle avoir de l’empire sur soi. J’en ai plus que vous, cela est sûr. Ce n’est pas toujours raison ou vertu, tant s’en faut. C’est bien souvent orgueil, pur orgueil. Je ne puis souffrir de ne pas paraître le maître, ni qu’il soit évident, ne fût-ce que pour moi seul, que je ne fais pas ce qui me plaît. J’étouffe soigneusement mon déplaisir pour ne pas laisser voir que je subis une autre loi que ma volonté. L’impossible m’offense. Je me sens humilié de me débattre sous sa main. J’aime mieux l’accepter. Ce n’est pas votre disposition. Vous ne supprimez rien de ce qui se passe en vous. Tout ce qui est paraît. Vos chagrins, vos déplaisirs, ces désappointements, ces ennuis, ces débats intérieurs dont la vie est semée, vous laisser tout éclater, tout voir. Je n’ai jamais rencontré personne qui conservât tant de dignité au milieu de tant d’abandon. Car vous avez la dignité la plus haute, la plus noble qui se puisse imaginer, et qui ne s’altère jamais au milieu de vos impressions si librement, si vivement manifestés. C’est un des traits les plus originaux de votre caractère, et l’un de ceux qui pour moi, de très bonne heure dans notre relation vous ont le plus mise à part de toutes les femmes. L’abandon, leur est naturel mais il les fait un peu descendre. Vous avez plus d’abandon, plus de transparence, comme vous dîtes, que personne vous restez toujours à votre hauteur. Vous me demandez si je ne vous trouve pas un peu d’humeur. Oui, Madame, quelquefois. J’ai été quelquefois tenté de m’en choquer. Excepté de ma mère, je n’ai jamais supporté l’humeur de personne. Quand la vôtre m’a apparu, je vous aimais déjà beaucoup, beaucoup. L’affection a contenu la surprise. Et puis, j’ai bientôt reconnu la source de votre humeur. Elle ne vient en vous d’aucun défaut, d’aucun désagrément de caractère, ni de susceptibilité, ni de brusquerie, ni d’exigence ni d’attachement aux petites choses. Vous êtes naturellement très douce, très égale, charmante à vivre. Votre humeur ne naît jamais que du chagrin d’un grand, d’un profond chagrin. Il vous indigne, il vous révolte, il s’empare de vous tout entière. Et alors ce qui ne répond pas pleinement à votre chagrin, ce qui n’est pas en harmonie, en parfaite harmonie avec l’état de votre âme, vous donne de l’humeur. L’humeur est pour vous l’une des formes de la douleur. Je vous aime trop, Madame, pour que cette forme là ne s’efface pas devant la profonde sympathie que votre douleur m’inspire. Vous avez cruellement souffert. Mais laissez-moi vous le dire ; je suis plus fait à la douleur que vous, à la douleur morale, comme à la douleur physique. Vos épreuves vous sont venues tard, au milieu d’une vie qui avait été constamment facile, agréable, brillante. Vous n’aviez connu ni le malheur, ni la difficulté, ni la contrariété. Vous n’aviez porté aucun fardeau. Vos émotions même malgré le sérieux de votre naturel, avaient été assez superficielles, et bien loin d’ébranler toute votre âme. Un seul sentiment, le dernier venu, était en vous très puissant et profond. Quand vous avez été frappé, vous avez éprouvé cette immense surprise, cette révolte intérieure qui accompagne, les premiers chagrins, les chagrins de la jeunesse ; et comme vous n’aviez plus, pour y échapper les ressources de la jeunesse, sa mobilité, sa facilité à se distraire, son empressement à jouir de la vie encore inconnue, vous êtes restée sous l’empire de cette impression de surprise et de révolte. La douleur vous a atteinte tard, et trouvée jeune pour souffrir. Et vous avez souffert avec l’impatience avec l’âpreté de la jeunesse. J’ai éprouvé, j’éprouve encore, en vous voyant souffrir, le sentiment d’un vieux soldat couvert de blessures, qui voit les fatigues, les langueurs, les souffrances d’un jeune homme qu’il aime et qu’il soigne...

10 heures
Je m’étais levé de bonne heure pour vous écrire bien à l’aise. J’ai été interrompu par mes enfants, par ma mère, par Mad. de Meulan, par je ne sais quel incidents insignifiants dans la maison. Voilà le facteur, et il faut qu’il reparte. J’en suis très contrarié. J’ai besoin de causer avec vous. J’ai une infinité de choses à vous dire. A demain. Ou plutôt à ce soir. Je me suis couché hier de bonne heure. Je tombais de sommeil, je ne sais pourquoi. Adieu. Adieu. G.
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