Votre recherche dans le corpus : 129 résultats dans 4535 notices du site.Collection : 1844 (15 juin - 16 octobre) : Louis-Philippe et Guizot reçus par la Reine Victoria (1840 (octobre)- 1847 (septembre) : Guizot au pouvoir, le ministère des Affaires étrangères)
4. Paris, Mercredi 9 octobre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures
A 6 heures hier au moment où je m’apprêtais à faire ma toilette pour dîner chez les Cowley, l'ambassadeur d’Autriche est venu m'annoncer la mort de mon pauvre frère. Je ne puis pas dire que j’en ai été saisie, il y a si longtemps que je suis préparée à cet évènement, mais j'en suis fort triste. Votre absence ajoute beaucoup à cette tristesse. Et quand Appony m’a eu quittée j’ai senti profondément mon isolement absolu. Je me suis regardé avec un vrai serrement de cœur, quelle solitude, quelle impuissance. Je suis restée comme cela une heure et puis il a fallu songer à mon dîner. Personne n'était à la maison, j’ai envoyé prendre quelque chose chez un restaurant, je n’ai pas que manger à huit heures je suis allé chez Annette. Pauvre fille elle sanglote sans pleurer. Elle se reproche d’avoir quitté son père. Et elle ne sait pas tout encore. On dit qu'il est mort dans la traversée, ainsi sans sa femme, sans ses enfants. Le bon Constantin tout seul auprès de lui. Toutes ces nouvelles sont venues par des correspondance russes. Personne ne nous a écrit encore ni à Annette ni à moi. Je suis restée auprès d'elle jusqu'à 10 heures. J’ai mal dormi encore. J’ai beaucoup rêvé de vous. Je me suis levée de bonne heure dans l’attente d'une lettre, d'une nouvelle. Il n'y a ni télégraphe ni lettre. Je sens qu’il n’y a pas de quoi m’inquiéter, et je m’inquiète. C’est votre santé qui me trouble l'imagination. Le temps est devenu très froid. Vous avez été fort exposé à l’air. Comment tout cela vous va-t-il ? Par pitié pour moi soignez vous extrêmement. Si vous avez dit vrai c’est d’aujourd'hui en huit que je vous reverrais. Ah que le ciel m’accorde ce bonheur. Et puis je jurerai que vous ne m'échapperez plus.
La pauvre Marie Tolstoy selon ces nouvelles russes aussi, est très près de sa fin. Ce pauvre excellent Constantin quel chagrin pour lui. Il ne lui reste plus rien. Je suis sûre qu'il se rappelle & cherche mon amitié. Il n’a plus que moi pour l’aimer. Je crains qu’il me demande à aller au Caucase cela me désolerait. Voilà encore qu'aujourd’hui ma lettre est demandée pour 11 heures vite je finis. Je vous prie je vous supplie portez-vous bien & ne me dites que cela. Adieu. Adieu.
Mille fois adieu dearest.
5. Paris, Jeudi 10 octobre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
8 h 1/2 matin
Voilà votre bon petit mot de Portsmouth. Merci. Merci. Bien dormi, bien mangé. C'est là ce qu’il faut me dire. C'est la seule chose qui m’intéresse vraiment. Hier soir Génie est venu m’apporter la dépêche télégraphique de Windsor. J’en ai été médiocrement contente, elle ne parlait pas de vous. Sachez bien qu’il n'y a que vous pour moi dans le monde.
A propos de cette dépêche la colère de Génie était sans bornes, restée 23 1/2 heures entre Windsor & Calais ! C'est vrai que c’est fort.
Il est impossible de faire plus. La venue du Prince Albert à Portsmouth à bord du Gomer, c’est parfait. Que je serai curieuse maintenant des détails. Comme les journaux vont nous en régaler ! Je voudrais qu’ils me racontent aussi ce que vous mangez.
Hier pauvre journée de larmes. Constantin m'a écrit la plus touchante lettre du monde. Vous verrez qu’elle vous touchera. Cette lettre a enfin fait pleurer la pauvre Annette. Elle n’a pas quitté son lit depuis l’arrivée de la nouvelle.
J’ai vu hier matin Fagel deux fois, Fleishman, Kisseleff, Bacourt, l'Ambassadeur d’Autriche. J'ai fait ma promenade au bois de Boulogne après mon dîner. J'ai été chez Annette où je suis restée jusqu'à 1 heure de me coucher. Je ferai cela tous les jours. Bacourt vous demande s'il doit attendre votre arrivée. Il voulait aller lundi à Bruxelles pour en revenir le 1er Nbre. Mais si vous en disposez autrement, il fera votre volonté et vous attendra. Il ne sait rien que le fait que vous avez peut être besoin de lui. Fagel est excellent d’abord pour moi (il a le cœur très charitable) et puis excellent par les rapports avec Londres. Lord Aberdeen a lu le rapport de Fagel sur son entretien avec le roi où celui-ci-li a fait un éloge si vif & si mérité d’Aberdeen. Cela lui a fait une satisfaction visible. Il s’est beaucoup loué & d'ici, et de vos agents d'Espagne surtout de Glusbery. C'est absurde de vous adresser tout cela à Windsor. Je ne sais que vous mander. Vous comprenez bien qu'ici il n’y a pas de nouvelles, & que moi plus recluse que jamais à présent à cause de mon deuil, je ne puis rien apprendre.
Le Toulonnais donne votre traité avec le Maroc. Certainement, cela n’est pas en règle. Comment ces choses là arrivent-elles chez vous ? J'espère que Tahiti ne va pas faire un nouvel embarras. Ah que j'arriverais à jeter Tahiti au fond de la mer. Revenez je vous en prie avec le droit de visite au fond de mer aussi. Je ne sais pourquoi, je l'espère beaucoup. Mais surtout je vous en supplie portez vous bien. Dormez, mangez, prenez des forces et parlez moi de cela tous les jours.
Sans doute le Roi se louera de Cowley à Windsor. Je voudrais que cela valût à ce bon vieux homme le titre d’earl. Je n’ai pas vu Lady Cowley hier elle était malade, elle viendra aujourd’hui.
Midi et demi. Dans ce moment m’arrive votre petit mot de Windsor. Mardi 5 heures Mille fois thank you dearest que c’est charmant de lire écrit de votre main : Je suis très bien. Continuez à l’être et à me le dire.
Que la bonne réception de Portsmouth m'enchante. Au fait tous ces hourras feront du bien au roi ici. Cela le réhausse encore. Quelle honte pour les Français de si peu reconnaître ce qu’ils possèdent. Mais savez vous qu’au fond il y a un sentiment d’inquiétude de son absence, on sera content de le savoir de retour. Il manque, c’est un vide. On s’aperçoit que c’est une grande affaire que le roi. Je crois moi que tout ceci fera du bien.
9 heures
J’ai été accablée de visites. Il faut que je ferme ceci & que je le porte chez Génie. Adieu. Adieu. Vos filles sont venues elles ont été très aimables pour moi, et m'ont apporté de charmantes brioches bien chaudes très utiles. Elles ont bonne mine toutes les deux. Adieu. Adieu.
Voilà le petit Nessellrode qui reste aussi. Je vous redirai tout demain. Adieu. Adieu. God bless you dearest.
Paris, Vendredi 11 octobre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
à 9 heures
J’ai abandonné les N° parce que j’ai cru que vous me trouveriez pédante, il est si clair que je dois vous écrire tous les jours que les occasions sont si sûres et si directes. Cette précaution est donc inutile. Voilà votre lettre de 9 heures Mercredi, finie à Midi et demi.
Je devais me rappeler que les lits Anglais sont durs, & vous recommander de faire mettre le feather bed over the mattress instead ot under it. Mais je ne pense à rien, je suis une sotte aussi comme André. Et mon avertissement vient trop tard. Cependant si vous avez cette lettre demain faites faire encore ce changement. Car à tous les lits Anglais il y a ce feather bed, à moins que les mœurs n’aient changé depuis mon temps.
Le petit Nesselrode hier était en train de me parler quand on est venu nous interrompre. Il reviendra aujourd’hui. Il postulait de l’inquiétude de son père à la seule possibilité d’une vraie querelle entre la France et l'Angleterre, de son ardent désir de la paix. Il parle du voyage de son père en Angleterre comme de la promenade d'un indépendant désœuvré. Il donne sa parole d’honneur qu’il n’est pas question du mariage Cambridge, et ajoute cependant que ce serait le plus convenable de ceux qu'ont faits les filles de l'Empereur.
Lord Cowley est fort irrité à ce que le Boüet du Sénégal the real french boute feu, he says, se trouve sur l’escadrille qui a mené le roi, par conséquent à Portsmouth. Comment a-t-on pu permettre cela ? Il n’appartient pas ces navires. C’est Cowley qui parle. Il est aussi dans l'agonie pour cette nouvelle aventure à Tahiti. Il a de suite envoyé à Lord Aberdeen le Messager qui nie l'arrivée d’aucun rapport sur ce fait mais cela n’empêchera pas qu'on ne croie à Londres, qu'il a eu lieu. Il se félicite de n'avoir pas l’explication sur ses épaules, car il pense que vous allez vider cela à Windsor. J'en doute. Et votre Bruat faisant imprimer à Tahiti les rapporte dont vous niez l’existence ici. Ah mon Dieu, quels agents vous employez. Et celui-là vous l'avez choisi vous me l'avez vanté. Quel mauvaise affaire que ce Tahiti tout ensemble.
Je me suis promenée hier au bois de Boulogne, j’avais besoin d'air, une matinée est massacrée. Tout le monde vient, et puis j’ai beaucoup à écrire en Russie. Je m’occupe d’Annette bonne fille, bien triste. Après mon dîner, je vais tous les jours chez elle. J’y reste jusqu'à 10 heures.
Dieu merci vous me répétez que vous allez bien. Comme je vous regarderai à votre retour ! Votre retour ! Quelle charmante chose que cela. Comme j'y pense mais avant tout je veux savoir à quelle heure lundi vous quitterez Windsor à quelle heure vous vous embarquerez à Portsmouth. Ah, s’il fait du vent, que je serai malheureuse ! A quelque moment que vous partiez, mettez-vous sur votre lit, c’est toujours la meilleure précaution à prendre contre le mal de mer. Ne croyez pas les gens qui vous diront qu'il faut rester sur le pont. Et puis arrivé à Eu, reposez-vous bien, ne vous pressez pas, je saurai attendre une fois que je vous saurai en safety. Et puis je ne sais pourquoi j’ai des préventions contre Rouen. Pourquoi ne pas venir par la route naturelle. Coucher à Granvilliers ou à Beauvais en faisant faire une bon fin, bien bassiner votre lit ; et ayant soin d'avoir une voiture dont les roues tournent & les glaces se lèvent. Pensez à tout et racontez-moi ce que vous ferez.
Je reçois dans ce moment une longue lettre de Bulwer, je n’ai fait que la parcourir. Grande éloge de Bresson & de Glusbery. Beaucoup de goût pour le Prince de Joinville. " H. R. H. is clever agreable & what we English like off hand. He pleased me much. " Au bout de tout cela il me rappelle une petite demande qu'il m’a faite dans le temps. Vous savez bien, & me prie if I could manage that. & &
Je me suis mise à penser ce que seraient vos dernières paroles avec Lord Aberdeen et voici mon little speech. " Maintenant nous nous connaissons bien, nous nous sommes éprouvés, notre règle de conduite politique est la même, tant que nous serons ministres nous pratiquerons la paix, la bonne entente. Le jour où une difficulté bien grave se présentait, et où nous pourrions vraiment craindre de ne pas parvenir à nous entendre par voie diplomatique ordinaire promettons-nous, avant la dernière extrémité, de nous rencontrer ; un rendez-vous sur terre française. Les Anglais pas plus que les Français ne veulent la guerre. Ils sauront gré aux deux hommes qui la leur épargneront, qui auront épuisé toutes ses ressources en tout cas nous aurons fait votre devoir. " Est-ce que je radote ?
2 heures. Génie est venu me trouver. Nous rabâchons ensemble. Mais je n'en ai jamais assez. Herbet lui dit aussi que vous allez bien. Je vous en prie prenez bien du soin de vous. Génie m'ébranle sur la question du retour mais je veux savoir absolument quelle route vous prendrez ; mandez-le moi. Je laisse ceci ouvert pour le cas où j'apprendrais quelque chose.
Quels bons leading articles dans les journaux anglais. Comme je serais fixée de mon roi dont on dirait cela, et comme j’aurais de la bonne conduite pour une nation étrangère qui me parlerait de cette façon. Mais ces français n’ont aucun sens de la vraie délicatesse, du vrai honneur, du vrai mérite. Vraiment j’ai quelque chose comme un grandissime mépris pour les Français de ce moment. Adieu. Adieu.
Je vous envoie la lettre de Bulwer après l’avoir lue. Vous verrez qu'il parle mal de Nyon, mal de Hay, qu'il se loue beaucoup du consul napolitain Martino.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Conditions matérielles de la correspondance, Diplomatie, Diplomatie (France-Angleterre), Famille Benckendorff, Famille royale (France), Politique (France), Portrait, Presse, Relation François-Dorothée (Diplomatie), Réseau social et politique, Vie domestique (François), Voyage
Paris, Samedi 12 octobre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 1/2
Voici vraiment ma dernière lettre portant l’adresse de l'Angleterre. Demain je vous écrirai à Eu. Quel plaisir ! Cependant voyez à quel point je vous aime plus que je ne m'aime moi-même, je regrette presque pas que Windsor ne soit pas plus long. Evidemment c’est un grand plaisir pour vous : c’est un beau un charmant moment dans votre vie, et je prends patience quand je vous sais content. Votre lettre de jeudi vient de m’arriver. Tout me plait là dedans continuez.
J’ai vu hier matin les Appony, Bacourt, Fagel, Fleichman. Ma promenade au bois de Boulogne, deux visites de Génie dans la matinée. Mon dîner solitaire la soirée chez Annette. Ceux que je vois prennent plaisir aux journaux Anglais et sont occupés et charmés de ce charmant voyage du Roi. Je cite Fagel comme le plus fervent. Il me prie aussi toujours de vous offrir son souvenir. Bien brave homme. Je suis charmée de deux articles des Débats aujourd’hui, l’un contre Thiers, l’autre contre Bruat.
Oui, votre Bruat manque à toute convenance ; il ne faut pas laisser de tels agents à ma semblable distance, & vous auriez grand tort de ne pas l’envoyer ailleurs. Faire des sottises plus innocentes. Génie m’a dit que les ministres avaient écrit au roi pour le supplier en revenant de faire la traversée de mer la plus courte. Voilà de braves ministres. Soumettez-vous je vous prie. Ils ont mille fois raison. Always chose the safest way. J’attendrai avec impatience l’itinéraire & pour le Roi, et pour vous ensuite. Marion arrive aujourd’hui, j’en suis charmée.
2 heures Vous êtes un étourdi ? Vous me dites jeudi que vous êtes sans lettre. Vous, vous impatientez, & vous n’avez pas remarqué que vous me répondiez à ma lettre de Mardi. C’est que tout simplement elle avait couru très vite et vous l'aviez reçue la veille. Adieu. Adieu. Encore du monde, encore des interruptions, mais je n’ai rien à vous dire qu'un very hearty adieu. Adieu.
Paris, Dimanche 13 octobre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Quelle excellente lettre que celle de vendredi ! Evidemment vous êtes content ; cela me rend toute heureuse. Cela aura été un bon et utile voyage. Pour beau, c’est clair. Les journaux anglais sont dévorés par moi, je lis tout. Je suis ravie, et la Cité par dessus le marché. Tout cela se fait grandement, royalement. Il est impossible que cela n'impose pas un peu ici, et beaucoup sur le continent. Dans tous les cas cela sert plus que de compensation aux mauvaises manières du continent. Enfin c’est excellent. J'espère que vous lirez cette lettre-ci tranquillement à Eu. Non, je me trompe, elle ira sans doute vous chercher a Portsmouth. C’est donc décidément Portsmouth. Je regrette. Je vais encore passer une nuit blanche, c’est-à-dire noire car toutes les idées de cette couleur assaillait mon esprit. Vous avez vent contraire et du vent trop fort, aujourd’hui cela ne vaudrait rien. Fera-t-il mieux demain ? Comme je serai dans l'anxiété mardi !
J’ai vu longtemps Génie hier, & puis la jeune comtesse, revenue depuis une heure seulement et qui est tout de suite accourue. Mad. de Strogonoff, quelques autres indifférences. Je me suis promenée dans le bois mais un moment seulement, j'avais des crampes d’estomac. J’ai été dîner chez le bon Fagel, personne qu’Armin, Bacourt, Kisseleff. Je les avais nommés. A huit heures je les ai envoyés dans ma loge aux Italiens, et je suis allée comme de coutume chez Annette. En rentrant à 10 heures j’ai trouvé Marion m’attendant sur le perron. Elle venait d’arriver avec ses parents. Joyeuse, charmée et charmante.
J’ai assez mal dormi, mais mes douleurs sont un peu passées ce matin. une heure. Je rentre de l’église. J'ai bien prié, remercié, demandé. Génie était venu avant dans la crainte de ne pas me rencontrer plus tard. Il est content aussi du voyage. Il parait que l’effet est excellent. Mon avis est que vous preniez à l’avenir votre politique sur un ton plus haut. Oui, la paix. Oui, l’alliance de l'Angleterre ; la seule bonne, la seule possible. Que vous dédaignez toutes les misérables chicanes que vous défiez vos adversaires, que vous les réduisiez ainsi ou à se taire ou à vous renverser. Prenez grandement votre parti là dessus. Vous en aurez l’esprit plus tranquille et le corps mieux portant. Tout le monde est venu me faire visite ces jours-ci, ( non pas que j'ai vu tout le monde ) Salvandy même ; mais pas de mad. de Castellane. Adieu. Adieu, que le ciel vous protège et vous ramène en bonne santé. Adieu.
Génie me dit cependant que cette lettre va vous attendre à Eu. Adieu encore dearest.
Paris, Lundi 14 octobre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vraiment vos lettres sont the most satisfactory imaginable. Tout est parfait. Il ne me reste plus qu’un bon passage, et une journée sans accident Mercredi, et je serai merveilleusement contente et heureuse. J’ai regardé déjà cent fois le ciel. Il y a des images, il y a des vents ! Je suis sortie hier quoiqu’un peu malade, j'ai eu tort. Je ne bougerai pas aujourd'hui. Outre mes crampes d'estomac je me suis enrhumée et je tousse beaucoup. Mais ce ne sera rien. Que les journaux sont charmants à lire. Comme cela fera enrager bien loin d'ici. Quel contraste. J’ai vu hier matin les Appony. Bacourt, Fleichman, Lady Cowley, le diplomates croient que le voyage fera un immense effet en Europe. Certainement il ne restera indifférent pour personne. Les meilleurs en resteront embarrassés. Pourquoi ont-ils peur, pourquoi en viennent ils pas rendre hommage ici ? Voilà le premier pays du monde comblant le roi de respect au delà de ce qu'on a jamais vu pour un monarque étranger. Quant aux malveillants imaginez ! Je ne sais pas vous parler d’autre chose d'ailleurs je ne sais rien. J’ai encore passé la soirée chez Annette. Elle se remet.
J’attends Génie. Il n’est pas si exact que vous. Hier il était bien content des nouvelles de Windsor. Il ne le va pas [l'être] moins aujourd’hui.
3 heures. Voilà Lady Cowley & Kisseleff dan ma chambre. Pas possible de continuer. Le temps est noir, du vent, ah mon Dieu, que je vais être inquiète. Adieu. Adieu. Adieu. Mille fois, ayez une bonne traversée. Revenez bien portant. Adieu.
Paris, Mardi 15 octobre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vous comprenez que je n’ai pas fermé l’œil de toute la nuit que chaque coup de vent me faisait bondir d’effroi. La suite de cela est que je suis parfaitement malade. A 10 heures Génie m’apprend que vous êtes à Douvres. J’ai rendu grâce à Dieu. Mais maintenant il faut encore que je vous sache à Calais. Et quand je saurai cela je m’inquiéterai de votre fatigue. Vous ne pouvez arriver dit-on à Eu que fort avant dans la nuit. Vous avez à passer deux nuits sans repos. Si vous êtes clever, vous vous reposerez à Eu toute la journée de demain & la nuit d’ensuite et vous ne reviendrez que jeudi. Pourquoi vous fatiguez hors de mesure ? Je vous l'ai déjà dit je saurai attendre. Songez d'abord à votre santé.
Vous me trouverez un peu malade, mais j’ai Marion pour me soigner. Je n’ai pas bougé hier, je ne bougerai pas aujourd’hui. Le Roi ne sait pas comme j'ai été occupée, inquiète de lui. Il ne faut pas faire des visites en octobre. Adieu. Adieu.
La vraisemblance est que cette lettre ne vous arrivera plus, que vous serez parti, j'ai cependant voulu essayer encore. J’ai eu aujourd’hui votre dernière lettre de Dimanche. Comme tout a bien été là ! Comment cela ira-t-il ici. Adieu. Adieu soignez vous je vous en conjure. Adieu. dear, dear, dearest.
Paris, Samedi 15 Juin 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
4 heures et demie
Je n’ai rien à vous dire sinon que cela me déplaît que vous soyez partie. Jouissez bien du beau temps. de la forêt, de l’air nouveau. Au moins faut-il que mon déplaisir vous soit bon à quelque [chose]. Ceci est d’un bon caractère, n'est-ce pas ?
Le Prince de Joinville est venu au Conseil, très content de sa mission et très sensé sur sa mission. Il se donnera beaucoup de peine pour ne pas tirer de canon, quoiqu'il eût beaucoup de plaisir à en tirer. Je crois qu’il n’en tirera pas. Pourtant je reçois à l’instant même une lettre de Bresson qui me dit (10 Juin) : " Le général Narvaez croit savoir qu'Abdel Kader cherche à détrôner l'Empereur de Maroc, et qu'il est près de réussir et de se mettre en son lieu et place, pour ensuite soulever l'Empire et marcher contre nous. Avez-vous quelques indices analogues ? " J’ajoute ceci en post-soriptum à une lettre que j’ai écrite ce matin à Saint-Aulaire sur cette affaire là, et où je lui disais que ce n’était pas à l'Empereur Abdue Rhaman, mais au fugitif Abdel Kader, que nous avions affaire dans le Maroc. On verra à Londres, que nous sommes bien informés, et que si nous avons la guerre, c’est que nous n'avons pu l’éviter.
Je viens de lire dans une lettre de Londres, cette phrase-ci sur l'Empereur : " Pourtant ce Barbare a donné quelques leçons de politesse au Prince Albert qui en a grand besoin; et qui en éprouve beaucoup d’humeur. " La lettre est de Mad. Baring. Ne dites pas son nom. Adieu
Je vais partir pour Auteuil. Je ne sortirai pas ce soir. J’ai conseil demain à Neuilly. Quel dommage que Fontainebleau ne soit pas à Meudon ! G. Adieu. Adieu. Adieu.
Le 1er mai, on a célébré à Jérusalem la fête du Roi avec une solennité & un concours immense des Chrétiens, Juifs, Musulmans, Druses etc. On a dit la messe et prié pour lui sur l’autel du St Sépulcre. Il est le premier Roi pour qui cela ait eu lieu.
Auteuil, Dimanche 15 juin 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi
Merci de votre billet d’hier soir. Je l'espérais, sans être sûr que ce fût possible. Entre nous, il n'y a de limite que l’impossible. Comment, nous nous sommes quittés le 15 Juin ! Nous avons eu tort. Mais ce tort là ne m'inquiète pas. Nous en sommes à ce point où rien ne peut plus inquiéter. Ayez la même confiance. Vous ne savez pas avoir confiance, toute confiance. Je répète que votre expérience de la vie doit avoir été bien froide, et triste. Vous avez grand peine à croire à l'affection parfaite, à l’intimité parfaite, au dévouement parfait. C’est très rare, mais cela est possible et cela est. Adieu. Adieu.
Je ne finis pas, mais j’ai envie de vous dire adieu. Je n'ai rien ce matin, sinon des nouvelles de Washington qui vous touchent peu. Vous avez tort. Il y a là une question, l’indépendance du Texas qui amènera une rupture entre l'Angleterre et les Etats-Unis. Cette rupture amènera la dislocation des Etats-Unis en deux ou trois Etats séparés. Et nous aurons nous un parti très délicat à prendre dans cette lutte. Mon opinion est presque arrêtée. Je vous en parlerai, s’il y a moyen de vous intéresser à ce monde-là. Mais mon opinion sera difficile à faire adopter autour de moi. N'importe. Je commence à me blaser sur cette difficulté.
On parle beaucoup en Italie surtout dans les Légations du Duc de Leuchtenberg. Les mécontents se servent de son nom. On parle de lui dans des proclamations imprimées. La Cour de Rome ne s'en inquiète pas, mais s'en étonne un peu. Le Duc d'Anhalt Dessau vient à Paris pour consulter les médecins. En demandant à Humann de viser son passeport, il a écrit : " dast es sein Vorsatz wäre, werm der Körperliche zustand es irgend zulässe, Si Majestät dem Könige Louis-Philippe, auf zu warten, und sich dier zus besondern Ehre acchnen wurde. " Humann a visé le passeport. M. Pasquier épousera Mad. de Boigne.
Je viens d'avoir à déjeuner le duc de Broglie, M. Rossi le comte Dalton, M. Libri, Génie & &... Rien de nouveau sinon une vive préoccupation de la nomination de la Commission sur l’instruction secondaire, qui aura lieu demain dans nos bureaux. Thiers désire avec passion en être. Nous verrons. Il a bonne chance, car il est président de son bureau. Adieu. Je vais au Conseil. Toujours pour le Prince de Joinville et le Maroc. Nous en finirons pourtant aujourd’hui. Le Prince part demain. Adieu Adieu.
Génie attend ma lettre pour l'emporter à Paris. Adieu. A demain. Hélas, M. Beauvais ! Je n'y comptais pas. Adieu. G.
Auteuil, Samedi 22 juin 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Certainement, j’irai dîner avec vous demain. J’irai en sortant du Conseil de Neuilly. Profitez du beau soleil et du bon air. Ennuyez-vous un peu, pas assez pour vous faire mal. Cela durera ce que cela pourra. Le jour où vous reviendrez à Paris, je serai charmé. Mais je ne veux pas que vous y reveniez un jour plutôt.
J’ai fait écrire hier sur le champ, par Génie, au Préfet de Rouen de qui dépend le Havre, pour qu’il retînt par devers lui jusqu’aux premiers jours de Juillet, l'exequatur de Pogenpohl que j’ai signé par mégarde, au milieu d’un tas de papiers insignifiants que je signe sur la foi du Chef de service. Je crois même, d'après ce qu’on m’a dit, que ceci était signé, avant que vous m'en eussiez parlé. Mais c'est réparé. Pogenpohl peut se tenir tranquille à Paris, et n'aller au Havre que du 1er au 10 Juillet.
Je me suis couché hier de bonne heure et levé ce matin de bonne heure. Je vais à Paris après déjeuner. Quel traitre étourneau que Thiers ! Il m'aborde avant Hier à la Chambre, me fait une question sur Montevideo, me demande un rendez vous pour des gens qui en arrivent. Je réponds à la question, je donne le rendez-vous ; et je trouve tout cela ce matin, dans le siécle. Thiers, s'en fait valoir comme d'une preuve de son crédit après de moi. Heureusement je l’avais un peu prévu, et ne lui ai rien dit que je ne puisse dire tout haut. Il y a là encore plus du journaliste que du traître.
J’attends Génie qui vient déjeuner avec moi. Je ne fermerai, ma lettre qu'après. Il m’apportera peut-être quelque chose à vous dire. Je veux que mon garde municipal parte d’Auteuil. C’est un peu plus court. Il attendra votre réponse. Je la trouverai ici en revenant dîner.
10 heures et demi.
Génie est venu, et ne m’a rien apporté. Sinon une sottise de l’archevêque de Turin qui a laissé enlever et fait recevoir dans un couvent la fille du Ministre de Hollande, pour la convertir. Cela fait assez de bruit en Piémont. Le Roi a peur de l'archevèque. M. Abercromby et M. de Truchsess n’ont peur ni de l'un ni de l'autre. Le clergé fait partout des sottises. Adieu. Adieu. A demain. Que c’est loin. Adieu d’ici là. G.
Paris, Lundi 24 juin 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je sors de la Chambre. Nous venons de faire défaire, à 28 voix de majorité, ce qu’on avait eu tort de faire samedi. Ne redites pas textuellement mes paroles qui sont dures mais c’est le fait. Bataille assez vive, quoique je ne m'en sois pas mêlé. Je n’ai pas eu un moment depuis que je suis levé, conversations, conseil, séance. Et je pars pour Auteuil où j’ai vingt personnes à dîner. Hier valait mille fois mieux. Charmante soirée, si animée, et si douce. Lord Cowley est là qui m'attend. Il a quelque chose à me communiquer sur le Maroc. Quel ennui de vous quitter après vous avoir écrit de la sorte ! Je vous écrirai demain matin, et pour vous écrire, et pour vous dire ce que je ferai Mercredi.
Je crois que j'irai vous voir le soir. Adieu Adieu. Je regrette bien hier. Adieu. G.
Mots-clés : Politique (France), Relation François-Dorothée
Auteuil, Mardi 25 juin 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Hier n'a été bon qu'à la Chambre. Adieu. G.
Auteuil mardi 25 juin 7 heures
P. S. Voici le mémoire que je reçois sur le petit marin. Nous en causerons.
Mots-clés : Politique (France), Relation François-Dorothée
Auteuil, Mercredi 26 juin 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Je commence à vous écrire d’ici, ne sachant quel temps j’aurai à Paris. Je vais à Neuilly tout de suite après déjeuner. De là au Conseil chez le Maréchal. De là à la Chambre, où l’on discutera aujourd’hui le chemin du Nord. Il faut que j'y sois. Vous n’avez pas d’idée de la passion qu'on met à ces chemins de fer. Boulogne était au désespoir. Calais l'emportait. Aujourd’hui Boulogne est dans la joie sans que Calais se désole. Les deux villes auront chacune son chemin. Qu’est-ce que cela vous fait ? Mais on m'en parle tant que j'en rabache un peu.
Vous prenez plus d’intérêt au Hoheit des Ducs de Saxe. Quelque chance leur vient à Francfort. Le parti pris de la France et de l'Angleterre embarrasse. La Prusse a toujours beaucoup d'humeur. L’Autriche est plus douce. On attend le retour du Roi de Saxe pour négocier, par son intermédiaire. On finira par un remaniement Général de toutes les titulatures allemandes et le hoheit des Cobourg passera dans la foule des changements. Mais l’affaire sera longue. Voilà ce qu’on dit à Francfort. A Darmstadt, on ne croit pas l'Empereur content de son voyage en Angleterre. à Biherich, on comptait sur sa visite. Le Duc et toute sa cour ont passé une journée entière à l'attendre en gala. A Florence, on a pris pour huit jours le deuil du comte de Marne.
A Barcelone, les bains réuississent à la petite Reine. Bresson m'écrit : " Sa mère me disait, il y a un quart d'heure, qu'elle n’était déjà plus reconnaissable, et que toute cette écaille noire qui lui couvrait les bras, les mains, les jambes et les pieds tombait à vue d'oeil. " La politique Constitutionnelle espagnole ne va pas si bien. Narvaez veut se retirer avec le marquis de Viluma. Tous les ministres se rendent à Barcelone.
Quel manque de sens dans tout ce monde là ! Il y en a davantage en Turquie. Le Sultan voyage. A Brousse, où il a passé plusieurs jours, il a reçu également bien tous les notables habitants, Musulmans & Rayas, et les uns comme les autres ont été revêtus de pelisses d’honneur. Bourqueney est charmé. Le Sultan le lui avait promis.
A Jérusalem le Conseil d'Angleterre, qui se trouvait absent, n'était pas venu faire visite au Consul de France le jour de la fête du Roi. Mais l’Evêque Anglican était venu avec son clergé. Le jour de la fête de la Reine Victoria, le Consul de France est allé faire visite au Consul d'Angleterre. Et non seulement, il y est allé, mais il y a fait aller le Révérendissime et tout le Discrétoire du couvent Latin. M. Young a été charmé. La tolérance et l’entente cordiale marchent du même pas. On en a encore plus besoin à Athènes qu'à Jérusalem. Un vieux Chef de Pallicares, le Général Privas s'est insurgé parce qu'il a vu qu’il ne serait pas élu à la nouvelle Chambre des Députés. Il s'est enfermé dans un village, avec une centaine d'hommes. On a envoyé le général Travellor pour le persuader ou le réduire. Cela n'inquiète pas Piscatory. Excellent agent ; point aveugle et jamais découragé. Toujours au mieux avec Lyons. Le Roi Othon leur a donné, à tous deux, sa grand croix. Celle de Pise a causé une humeur enragée à Brassier de St. Simon qui n'a pu s'en tenir et s'est plaint qu'on lui eût fait sauter plusieurs grades. Le Roi Othon s’est fâché : " Quand M. Piscatory n'aurait eu que la croix d’argent, je lui aurais donné la grand croix. Je dois une bonne partie de ma couronne et de notre repos à son influence et à ses conseils. " Voilà mon Journal. Adieu.
Je vais faire ma toilette. Je vous enverrai ceci de Paris en vous disant ce que je ferai ce soir. Adieu.
Mots-clés : Chemin de fer, Débats parlementaires, Diplomatie, Diplomatie (France-Angleterre), Economie, France (1830-1848, Monarchie de Juillet), Politique (Autriche), Politique (Espagne), Politique (France), Politique (Grèce), Politique (Internationale), Politique (Prusse), Politique (Turquie), Relation François-Dorothée (Politique)
Auteuil, Jeudi 27 juin 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voilà l’élection de Rouen gagnée. Faites moi dire si vous êtes un peu mieux, car vous ne pourrez probablement pas me l’écrire. Adieu Adieu G.
Jeudi 27 Juin, 8 heures
Mots-clés : Politique (France), Relation François-Dorothée, Santé (Dorothée)
Auteuil, Samedi 29 juin 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Samedi 29 Juin 1844,
4 heures
Mots-clés : Relation François-Dorothée
Paris, Dimanche 30 juin 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voici une lettre de Londres, qui ne me plait pas, sur l'avenir du Cabinet. L'Empereur de Maroc me paraît bien belliqueux. Il a rejeté la médiation de l'Angleterre dans sa querelle avec l’Espagne, et l'ultimatum de l’Espagne. Je n'ai rien d'ailleurs.
Comment êtes-vous ? Hier soir, je vous ai trouvée mieux, physiquement au moins. Adieu. Adieu. G.
Dim. 30 Juin - midi
Paris, Lundi 1er juillet 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Mots-clés : Politique (France), Posture politique, Relation François-Dorothée
Paris, Mardi 2 juillet 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Il fait beau. J'espère que ce temps vous sera bon.
Adieu. G.
Mardi 2 - midi
Mots-clés : Politique (France), Relation François-Dorothée
Auteuil, Lundi 8 juillet 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
" Cette nouvelle est très probable mais mérite confirmation. " Nous verrons si elle se confirmera. Mes nouvelles de Berlin (4 Juillet) sont très mauvaises sur la grande duchesse et même un peu, sur la santé de l'Empereur. A Copenhague, on dit que l'Empereur fera épouser au Prince de Hesse, veuf de sa fille, une des filles de la grande Duchesse Hélène. On y a pris le deuil du Comte de Marne pour trois jours. Adieu. Adieu. C’est bien long.
G.
Auteuil. Lundi 8 Juillet 1844
9 heures
Auteuil, Mercredi 17 juillet 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
J'ai trouvé, la Chambre en train d'aller si vite que la session pourra bien finir quelques jours plutôt du 1er au 3 août. Adieu. Adieu. Que l’été prochain ne ressemble pas à celui-ci. G.
Auteuil. Mercredi 17 Juillet 1844
5 h 3/4
Mots-clés : Louis-Philippe 1er, Politique (France), Politique (Internationale)
Auteuil, Jeudi 18 juillet 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Auteuil, jeudi 18. 6 h. 1/4
[Auteuil, juillet 1844], François Guizot à Dorothée de Lieven
Je voudrais que vous sussiez combien de fois par jour, je pense à arranger mon temps pour en avoir un peu avec vous. Et toujours si peu !
Je viens de recevoir le courrier d'Orient. Le Cabinet, Mavrocordato ne s’est point retiré. Il n'en est pas question. Cela vous est égal. Vous avez tort, car cela ne m’est pas égal.
Le Prince de Joinville ne part que demain. Nous avons encore conseil demain matin, à 10 heures, pour ses instructions. Adieu. Adieu.
A 8 heures et demie. G.
Mots-clés : Politique (France), Relation François-Dorothée
[Auteuil, Dimanche 21 juillet 1844], François Guizot à Dorothée de Lieven
Je trouve tout cela très mauvais Dim. 4 h. et demie
Mots-clés : Politique (France), Relation François-Dorothée
Auteuil, Mercredi 31 juillet 1844], François Guizot à Dorothée de Lieven
Encore assez de monde hier soir. Peu de députés. Ils sont partis. Mais le corps diplomatique, très complet, des étrangers, je ne sais combien de Hollandais amenés par Fagel. Toute sorte de monde. J’ai dit qu’on me trouverait chez moi à Auteuil le mardi matin, de 2 à 5. Imaginez qu'Hennequin n’a trouvé de place à la diligence que pour dimanche. Tout était retenu d’ici là, dans toutes les voitures. Il n’a pas pu retenir sa place plutôt, dans l’incertitude du jour de votre départ. Il sera à Bade mardi.
Aujourd’hui le budget à la Chambre des Pairs. On dit qu'on parlera encore sur le mien. Des rhapsodies, chantées par des doublures. J’irai à Paris à mon heure ordinaire. Je passerai chez vous. Mais vous serez partie. Pourtant il ne fait pas beau. Faire, par la pluie, ce qui fait pleurer ! Je reconnais la convenance, la nécessité. Adieu, Adieu. Adieu.
Deux lignes pour me dire comment vous êtes. Adieu. Je vous écrirai demain puis tous les jours, puis par Hennequin. Adieu
Mercredi 31 Juillet 1844. 6 heures 3/4, Auteuil
P.S. Vous devez avoir le pâté. Je viens de faire lever Guillet qui me dit qu’il vous l’a envoyé hier. Adieu. Adieu. God bless you dearest !
Auteuil, Jeudi 1er août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures du matin
J’ai donc passé hier tout le jour sans vous voir. Je ne le crois pas. Mon impression est que je vous ai vue que je suis entré dans votre chambre à midi et demie toutes les portes ouvertes, à cause de la chaleur, charmé de vous apercevoir tout de suite en entrant dans le salon, fâché, ensuite que toutes les portes fussent ouvertes. Je ne puis me persuader que mon droit, mon plaisir de chaque jour m'ait manqué. Ma journée a été pourtant bien pleine. A Neuilly, après déjeuner. Longue conversation avec le Roi, et la Reine. De là au ministère. Desages, Brenier, mes affaires. Puis la Chambre des Pairs ; la discussion de mon budget, MM. du Bouchage, de Bussière, Pelet de la Lozère, Boissy. Celui-ci rappelé à l’ordre deux fois par le Chancelier, hué par la Chambre; mais imperturbable dans sa bêtise & ravi de sa gloire. Martyr de la liberté de la tribune, canonisé par la liberté de la presse. J'ai dit quelques paroles sur la négociation du droit de visite et sur l'exequatur du Consul anglais à Alger. Il n’y avait point de question dans l’esprit de personne. La Chambre finira, samedi 3 et nous clorons la session lundi 5. Le Maroc ne va pas bien. La Chimère, partie de Cadix le 25 et arrivée à Toulon le 30, annonce que le 24, le Prince de Joinville était revenu à Cadix en ayant réussi à enlever de Tanger, par ruse, notre consul, sa famille, et quelques uns de nos nationaux. " La Chimère ajoute que les notes diplomatiques de Muley Abdurrahman sont peu satisfaisantes. Il y parait bien. J’aurai les détails après demain. Ce sera une grosse affaire. Rien de plus pourvu que je la maintienne sur le terrain où je l’ai placée : la guerre, s'il le faut, mais point de conquête. Je suis très décidé à y réussir. Lord Aberdeen a reçu de son côté des nouvelles de Tahiti, Pritchard est arrivé à Londres, racontant, comme de raison, dans son sens et à son avantage, ce qui s’est passé. Mais il a tort. On a pu le renvoyer de l’île sans aucun oubli du droit des gens. Il avait amené son pavillon et abdiqué lui-même son caractère de consul, en novembre dernier, quand du Petit Thouars a pris possession de la souveraineté de Tahiti, et en déclarant formellement qu’il cessait ses fonctions pour ne pas reconnaitre cette souveraineté, même provisoirement. Mais ce sera encore un embarras. Il faut que je me redise souvent que mon métier est d’en avoir. La tentative contre le Roi de Prusse fait beaucoup d’effet à Berlin. On regrette que pas un membre de la famille royale ne soit là pour recueillir cet effet et le cultiver. On s'étonne que le Roi, ait continué son voyage. On s'attend au prompt retour du Prince de Prusse. Il y a eu un Te deum d'actions de grâces. Le corps diplomatique n’y a pas été invité. Les Ministres y ont assisté en frac. Les hommes qui gouvernent aux prises avec l’esprit révolutionnaire, sont bien perplexes. Tantôt ils grossissent, tantôt ils atténuent. Ils affectent tour à tour l'inquiétude et l’indifférence. Il faut une attitude plus décidée et toujours la même et regarder et représenter constamment la lutte comme très grave, sans avoir peur du reste, sur Berlin, vous saurez à Bade tout ce qu'on peut savoir. Vous voyez bien que je me fais illusion. Je crois que vous êtes là et que nous causons. Rien de nouveau au dedans. Mad. la Princesse de Joinville n'accouche pas. Elle va bien. Pourtant cet hiver-ci l’a fort éprouvée. De petits rhumes continuels. Elle ira probablement passer l’hiver prochain au château de Pau, assez restauré pour la recevoir. Tout le monde dit que c’est un séjour charmant. Elle occupera l’appartement où Jeanne d'Albret est accouchée d'Henri IV. C'est dommage qu’elle n’y accouche pas. Mad. la Duchesse de Nemours est au mieux. Parlez moi des Princesses Allemandes pour se bien porter. Je vous quitte. Je vous reprendrai à Paris avant d’aller à la Chambre des Pairs. Aurai-je aujourd’hui de vos nouvelles de Sézanne ? C’est-à-dire de Château-Thierry ? Je l’espère peu. Vous serez arrivée après le départ de la poste. Adieu. Adieu.
2 heures Rien de Château-Thierry. Je ne l'espérais pas. Lord Cowley et le ministre de l'intérieur sortent de chez moi. Le premier venait me parler de Tahiti. Les journaux Anglais font beaucoup de bruit. Les communications de Lord Aberdeen m’arrivent ce matin, par Jarnac. Je les lirai ce soir. Plus j' y regarde, plus je trouve que nous sommes dans notre droit. Mas l'un de nos officiers de marine a été bien brutal. Adieu. Il faut que j'aille à la chambre des Pairs. D'autant que Mackan est dans son lit. Il a pris froid l'autre soir sur sa terrasse au milieu du feu d'artifice. Je ferai bien de faire la paix, car les deux ministres de guerre sont sur le grabat. Adieu. Adieu. Adieu. G.
2. Auteuil, Vendredi 2 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures du matin,
Hier était mon plus mauvais jour. Je n’ai pas eu de vous signe de vie. Ce matin je compte sur une lettre. A 8 heures, j’enverrai un Garde la chercher. Je vous ai quittée hier pour aller à la Chambre des Pairs. J’ai subi encore le Maroc et Tahiti, le Prince de la Moskowa et M. de Boissy. J’ai refusé de répondre. Tahiti est un gros ennui. Nous sommes parfaitement dans notre droit. J'ai envoyé hier à Jarnac une lettre de Pritchard lui-même, qui écrit à du Petit Thouars, le 7 nov. 1843 : " I have the honour to acquaint you that my functions as British Consul must now lease. I have accordingly struck my flag. " On n’a donc point manqué au droit des gens, en le renvoyant de l’île. Il n’était plus qu’un simple étranger qui troublait l’ordre. Les Anglais ont ainsi renvoyé, sans plus de formalité, vingt, français de l’île Maurice depuis qu’ils la possèdent. Mais c’est très désagréable. Et l’un de nos officiers de marine a été bien violent, bien brutal. Est-ce que je ne vous ai pas déjà dit tout cela hier ? De près, on rabâche sans scrupule. De loin, j’en ferai autant. Cela me gênerait d'y penser. Le Roi de Hanovre prend très vivement l’affaire des hohait. Il a défendu à son fils d’aller à Altenbourg. Je dîne Mercredi à Châtenay. On dirait que Mad. de Boigne a attendu que vous fussiez partie. Peut-être n’en savait-elle rien et vous a-t-elle engagée aussi ?
La Reine d'Angleterre s’occupe toujours du voyage avec un soin aussi minutieux que gracieux. Elle a demandé la liste, nombre et noms de tout ce qui accompagnerait le Roi, même des gens de service. Les affaires du Maroc diminueront un peu notre escorte navale. Nous pouvons avoir besoin de nos vaisseaux dans la Méditerranée. Ils y resteront. Nous n'emmènerons que des bateaux à vapeur. Rien de plus aujourd’hui du Maroc. Je n’aurai que demain les dépêches venues par la Chimère. Albert de Broglie est arrivé de Barcelone. C’est vraiment un jeune homme distingué, d’un esprit net et résolu. Il pense bien mal de l'avenir de l’Espagne, par la faute des hommes bien plus que par la difficulté des choses. On n'a pas d’idée de cette incapacité, de cette légèreté de cette corruption. La passion dans la pourriture. Mon, le plus sensé, et le plus honnête, Narvaez, de bons mouvements, capable de tout, bien et mal. Bresson, bien posé, toujours désespéré et démoralisé, puissant et ne sachant que faire de sa puissance. Personne ne résiste et tout le monde échappe. On ne dit jamais non ; il ne sert de rien qu’on ait dit oui. La Reine Christine abattue, languissante, insouciante, une seule pensée, un seul désir, l'image de l'absence. L'absent l’a probablement rejointe à l'heure qu’il est. La jeune Reine, un enfant intelligent, et intrépide, mais un enfant et malade. Pourtant les eaux lui ont fait grand bien. Castellane écrit qu’il a dîné à côté d'elle et que ses mains sont très nettes. Je demande au Cabinet actuel une seule chose, c’est de durer sans encombre jusqu'aux Cortès. Une fois là, les Cortès auront la responsabilité. des évènements. Albert dit que cela se peut. Adieu. Mon garde part. Je vais faire ma toilette.
Paris 4 heures
Votre billet d’Epernay me plait, parce qu’il me dit que vous n'êtes pas mal. Il me déplait parce que vous me dites qu'il y a un lieu, une heure où vous ne me manquez pas. Je n’ai pas le temps de répondre à cela aujourd’hui. Je vous renvoie à Hennequin. Je sors du Conseil et Lord Cowley me quitte. L'Empereur de Maroc veut traîner en longueur. Il a répondu à notre Consul d’une façon point satisfaisante, évasive, dilatoire, & il a ordonné au Consul Anglais de le suivre de Maroc à Méquinez ou à Fez, où il se rend. Nous ne pouvons accepter cela. Probablement M. le Prince de Joinville a agi à l'heure qu’il est. Grande contrariété. M. de Mackau est malade. J'espère que ce ne sera rien. Mais enfin, il est malade, avec une forte fièvre, au fond de son lit, hors d'état de s'occuper d'affaires. N'en dîtes rien. Tout revient de partout, et sur le champ. Il n'y a pas moyen de penser au Val-Richer. Hennequin part dimanche à 5 heures du matin, et sera à Bade mardi dans la matinée. Adieu. Adieu. Demain de Vitry. Adieu. G.
3. Paris, Samedi 3 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Deux lignes seulement aujourd’hui. Je remettrai ce soir une plus longue lettre à Hennequin. Pas si longue pourtant que je le voudrais. Je suis écrasé. Le Maroc et Tahiti plus lourds que jamais. Mackan toujours malade. Duchâtel parti ce matin, nous resterons à peu près seuls, le Roi & moi. Les hostilités positives ont du commencer hier 2, par mer, contre le Maroc ; à moins d’une nouvelle réponse satisfaisante de l'Empereur à une nouvelle sommation qui lui a donné un délai de huit jours. Je ne crois pas à la réponse satisfaisante. Ainsi du canon. J’espère que nos français de Mogador et de toute la côte auront été mis en sureté, comme ceux de Tanger. Pas tous malheureusement. Adieu. Adieu.
Je suis charmé que votre voyage se passe bien. Adieu. G.
Rien de Pétersbourg.
3. Auteuil, Samedi 3 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures du soir.
Je m'étais promis tant de plaisir de vous écrire librement, et à mon aise par Hennequin ! Et je suis arrivé à 8 heures du soir sans pouvoir vous dire un mot ! Et il part demain matin ! Il viendra tout à l'heure prendre mes lettres. Depuis longtemps, je n’avais eu une journée si chaude. Tahiti et le Maroc, Jarnac, Peel, le Prince de Joinville, M. de Nion, le maréchal Bugeaud, le maréchal Soult, tout est tombé à la fois sur moi ce matin. Et deux heures de discussion à la Chambre des Pairs pour décider qu'on ne parlerait pas de Peel et de Pritchard. On m'a poursuivi dans la dernière heure du dernier jour. Mais le champ de bataille m'est resté. Le discours de Peel était un lourd fardeau. J’avais dans ma poche son désaveu de ses paroles, c’est-à-dire sa déclaration qu’il n'accepte la version d'aucun journal. Mais j'étais décidé à ne pas m'en servir. J’ai bien fait. Mauvaise affaire que celle-là. Je crains que le public anglais ne devienne aussi badaud, et badaud aussi nervous que le nôtre, et que le Cabinet ne lui résiste pas comme, à la sueur de mon front, j'ai appris qu’il faut résister. Nous avons raison sur ces points-ci: 1° Pritchard n’était plus Consul ; 2° on avait droit de le renvoyer de l'île ; 3° On avait des motifs raisonnables et légitimes de le renvoyer. Nous avons tort sur ceux-ci. 1° On ne devait pas mettre Pritchard en prison pendant six jours ; 2° On devait lui parler et le traiter plus gentleman likely. Il faut arranger nos droits et nos torts, faire la part des uns et des autres, et faire accepter à Londres cette balance. Je ne puis ni ne veux faire ce qu’on me demande, renvoyer Pritchard à Tahiti comme Consul, pour quelque temps. Il faudra qu’on se contente de ce que je puis faire blâmer & plus tard, employer ailleurs l’officier brutal. Gardez ceci pour vous ; mais donnez-moi votre avis. Au fond, je ne suis pas fâché d’avoir une occasion de refuser quelque chose. Je n’aurais pas choisi celle-là ; mais on ne choisit ni le bien ni le mal. Quant au Maroc, la confusion est grande. A l’Est sur terre le vent souffle à la paix ; le nouveau Caïd d'Ouschda l’offre à Bugeaud qui était en train de faire la guerre. A l'ouest, sur mer, le vent souffle à la guerre ; la sotte réponse de l'Empereur l'impose presque au Prince de Joinville qui se tenait à quatre pour rester en paix. Au centre, l'Empereur s’en va de Maroc pour ne pas recevoir M. Drummond-Hay qui y arrive. M. Drummond-Hay, qui ne veut pas se contenter d'être reçu par un Ministre court après l'Empereur dans l’intérieur de l'Empire. L’atteindra-t-il ? Ne l'attendra-t-il pas ? Le Prince de Joinville, fera-t-il la guerre ? Bugeaud fera-t-il la paix ? Je vous le demande. Tout cela est décidé à l’heure où je vous parle. Je n'en sais guère plus que vous. Je parie pour quelques coup de canon. Ma crainte, c’est qu’ils ne finissent rien.
Belle lettre intime ! Je voulais vous parler de tout autre chose. Je voulais vous dire comment, en devenant vieux, je n'ai pas cessé d'être ce que vous appelez romanesque. Ce qui veut dire que vous me manquez en tout lieu, à toute heure au milieu de la douce vie de famille comme dans la solitude de mon cabinet. Je vous l'ai dit dans nos premiers moments ; je vous le redirai dans nos derniers ; cette intimité-là est pour moi au dessus de tout. C'est le fond de mon âme ; ce sentiment-là est le seul qui y pénètre et la remplisse et la satisfasse. Je répète encore :
De tout il me console ;
Rien ne pourrait me consoler de lui.Croyez-moi et revenez.
Toujours rien de Pétersbourg et de la Grande Duchesse. Le marques de Dalmatie part demain pour Berlin. La marquise a mal à la poitrine depuis qu'elle pourrait y aller avec lui. Duchâtel est parti ce matin pour Wisbaden. On a applaudi hier avec fureur à l'Opéra le refrain de Charles VI :
Non, non, jamais en France
L'anglais ne règnera.
Mad. la Princesse de Joinville semble très, très près d'accoucher. La correspondance de son mari est vraiment excellente, pleine de sens et de finesse. Comme le vent d'Ouest empêche les vaisseaux anglais de sortir de Gibraltar, il leur a envoyé de Cadix un de ses bateaux à vapeur, l’Armodée, pour remarquer celui d'entr'eux qui voudrait venir assister à ce qu’il va probablement faire sur la côte du Maroc. Adieu. J'avais bien d’autres choses, il me semble, et tout autre chose à vous dire. Mais Hennequin va arriver. Je n’ai pas encore écrit à d’Eyragues, et au Préfet de Strasbourg. Il faut que je revoie mon épreuve du Moniteur. Appony, que j'ai vu ce matin et qui avait un petit air content a causé de Pritchard, m’a dit qu'on avait arrêté pour vous à Baden un joli logement. Voilà Hennequin. Adieu. Adieu. Adieu. G.
4. Auteuil, Dimanche 4 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Hennequin est parti ce matin. J'espère que la lettre qu’il vous porte ne vous satisfera pas. Je voulais vous dire tout autre chose. Quand retrouverai-je une telle occasion de vous tout dire ? Mais j'étais excédé de ma journée. Et ma soirée aussi était surchargée. Je me suis couché très tard. J’ai mal dormi. Pourtant je suis reposé ce matin.
Je n'irai pas à Paris. Pas de Conseil. Il est pour demain midi, aux Tuileries. Nous irons de là clore la session. On me dit qu'à la chambre des députés on veut, à cette dernière minute, m'interpeler aussi sur Tahiti et sur le discours de Peel. Nous verrons. Je ne dirai ni plus ni moins au Palais Bourbon qu’au Luxembourg. Le discours d’Aberdeen est plus mesuré que celui de Peel. Il faut laisser trainer cette affaire. Les deux sessions finissent.
Vous avez une assez grosse flotte Russe à l’entrée du Sund, commandée par le grand Duc Constantin. On demande pourquoi elle est là. De Hambourg, on m’écrit que c’est parce que le Prince de Joinville commande une flotte française dans la Méditerranée. Voilà la diète de Suède réunie. Les nobles et le Clergé conservateurs. Les paysans et les bourgeois radicaux. Le Roi, sans avis, ayant envie de dire non, mais prêt à dire oui. Le comte de Björnstierna est allé trouver Jarnac pour lui conter son chagrin, ses craintes et lui demander de me prier de donner Stockholm de bons conseils. Mes conseils seraient très bons si j'en donnais. Mais il faut d’autres prières que celles de M. de Björnstierna pour que j'en donne.
2 heures Point de lettre ce matin. Pourquoi ? Vous aurez manqué les heures de la poste en vous éloignant de Paris. Cela me déplait. Enfin, vous êtes arrivée hier à Bade. La correspondance régulière va commencer.
Le Courrier d'Orient est venu ce matin. Rien d'important. Mavrocordato en train de tomber. Et Sir E. Lyons plein d’humeur, se raidissant pour le retenir. Colettis plein de confiance. Metaxa relevant la tête entre son adversaire qui descend et son adversaire qui monte. Piscatory gardant une assez juste mesure, tenté pourtant, ce me semble de penser à sa politique spéciale plus qu’il ne convient à la politique générale. Je le lui dirai. C’est un bien bon agent. Martinez de la Rosa est venu déjeuner avec moi. Il n'y a pas moyen de lui parler d’affaires. Il m'a amené un M. Sartorius, membre des Cortés, propriétaire de l'Heraldo, le Journal des Débats de Madrid, qui m’a l’air d’un homme spirituel et résolu. On prépare les élections. Les Carlistes iront ; les progressistes non. Boisleconte m'écrit de Lahaye (1er août) que M. de Nesselrode y est ; pour trois jours. Je crois que je commence à voir un peu clair dans le problème. Trois hypothèses. Rien à faire quant à l’une. La même conduite convient aux deux autres. Mackan va un peu mieux. La fièvre a manqué aujourd’hui. Je fais ses affaires. Si la maladie se prolongeait, Il faudrait que je les fisse officiellement. J'espère que ce ne sera pas nécessaire. Voilà le directeur du personnel de la Marine qui arrive et m’apporte le travail. Adieu. Adieu.
Aimez-moi, comme je vous aime. Que je vous manque comme vous me manquez. C’est tout ce que je demande. Adieu. Adieu. G.
5. Auteuil, Lundi 5 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures
Je suis levé depuis une heure. Je suis en votre absence d’une activité prodigieuse. Je travaille ou je dors. Il y a quelque chose qui me manque encore plus bien plus que le plaisir de votre société qui me manque pourtant beaucoup ; c'est le charme de votre affection. C'est si charmant l'affection, l'affection vive et vraie ! Se sentir aimé, se voir aimé, aimé de qui on aime, un quart d'heure de ce sentiment là vaut mille fois mieux que tous les plaisirs, à plus de prix que tous les services du monde. Vous m'êtes très utile et infiniment agréable ; mais qu’est-ce que cela auprès du mouvement de bonheur qui s’élève en moi quand vous me dites que vous êtes descendue précipitamment, toute troublée de savoir si j’ai pris à droite ou à gauche, et si je ne suis pas tombé dans la foule ? Ma vue est déjà longue et bien pleine. Plus elle dure et se remplit, plus je mets les joies de l’intimité tendre au dessus de tout, de tout absolument. Portez-vous bien ; soignez-vous bien revenez-moi bientôt ; ne me revenez pas malade. Comme je vous regarderai quand vous me reviendrez ! Mad. de Broglie disait qu’il était impossible, quand je regardais, de ne pas croire que je voyais jusqu'au fond de l'âme. Je voudrais bien pour vous, pour tout ce qui vous tient ou vous touche voir toujours jusqu'au fond, pour tout savoir et veiller à tout.
Je viens de lire mon courrier d’hier. Voilà ces pauvres Bandiera fusillés. Tous les deux. Le père a quitté le service. On dit que la mère mourra. La foudre ravage quelquefois toute une maison. Neuf chefs de la seconde tentative révolutionnaire en Calabre ont été exécutés. Six de la première. Pendant ce temps-là, le Roi de Naples perdait son fils de 4 ans, sans le revoir. Le sort a de la douleur pour tous. Le petit archiduc Reinier, à Florence, est très malade. Joseph Buonaparte est mort. Pour lui, il était temps. Il laisse une très grosse fortune, plus grosse qu’on ne croyait, toute entière à sa fille unique la Princesse de Canino ; rien du tout à son frère, le comte de Montfort, auquel il faisait une pension de 12 000 fr. et qui meurt de faim.
Une dépêche télégraphique de Bayonne me dit que le Chancelier du consulat, et tous les Français qui étaient restés à Tanger ont débarqué à Tarifa en Espagne. Je voudrais bien en être sûr. On dit aussi que tous les sujets anglais et espagnols ont quitté Tanger. Les Consuls sont restés. Le consul napolitain a quitté aussi et est arrivé à Cadix. Je ne tiens pas ces détails pour certains. Je ne les ai que de Perpignan et de Bayonne. Si, comme je le crains la réponse du Maroc, après les huit jours donnés n'a pas été satisfaisante, c'est avant-hier 3 que M. le Prince de Joinville aura tiré les premiers coups de canon.
J’ai passé hier ma journée à Auteuil. Le soir, je suis allé voir un moment Mad. Récamier qui retourne aujourd’hui à Paris. Je vais ce matin de bonne heure au Ministère ; à midi, aux Tuileries, pour le Conseil, à deux heures, à la Chambre, pour clore la session. Je dîne chez Decazes. Adieu. Adieu.
P.S Paris 4 heures et demie.
Je reviens de la Chambre et du Conseil. Mêmes interpellations qu'à la Chambre des Pairs. Très vives au fond, quoique pas violentes dans la forme. On se donne le plaisir de verser sur Sir Robert Peel la colère qu’on a contre moi. La difficulté du moment est passée ; mais ceci fait au fond, une situation grave. Adieu. Adieu. G.
6. Auteuil, Mardi 6 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Auteuil Mardi 6 août 1844
2 heures
Pas de lettre aujourd’hui. Je m’y attendais un peu. C'est le Rhin qui me coute cela. C’est un déplaisir que vous soyez de l'autre côté. Que de petits déplaisirs en ce monde, sans parler des grandes peines ! Je suis très raisonnable sur les petits déplaisirs. Je les repousse ; mais je sens leur piqure. Fagel sort d’ici. J’ai repris mes mardi d’Auteuil. Ils dureront, car je ne peux pas penser au Val-Richer à présent. Fagel m'a amené un de ses amis, un M. Van der Tix, membre des Etats Généraux, homme d’esprit. Il y a pas mal de gens qui ont de l’esprit la première fois. On n'en a vraiment qu’à condition d'en avoir toujours, et toujours plus.
Fagel m’a demandé de vos nouvelles. Je lui crois un sentiment vraiment bienveillant pour vous. Je ne m'y trompe guères.
Voilà donc la session close. J’ai peine à y croire. Elle m'a grandi et je suis debout. Mais debout sur la brèche. Et je serai sur la brèche dés l’ouverture de la session prochaine. Les relations avec l’Angleterre seront la grosse question de l'adresse. Plus grosse peut-être que jamais. J’y pense beaucoup. Mon parti est bien pris, tant que je pourrai pratiquer la politique, que je pratique depuis quatre ans, je resterai. Mais un jour peut venir où il y aura à faire une platitude ou une folie. Ce ne sera pas moi. Le Roi a des hommes pour cela.
4 heures 3/4 Appony, Brignole, Armin, Serracapriela Peruzzi, Koso. J’aurais beaucoup à vous dire. Il n'y a pas moyen. Il faut que j'envoie mes lettres à Paris si je veux qu'elles partent. Adieu. Adieu. Demain j’aurai une lettre. G.
8. Paris, Mercredi 7 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
5 heures
Encore une mauvaise lettre aujourd'hui. C’est bien mal en retour des deux bonnes lettres de vous qui me sont venues à la fois ce matin (N°4 et 5). Mais il n’y a pas moyen. Je suis arrivé d’Auteuil à midi. J’ai été assiégé depuis. huit ou dix députés ; Mackan, Martin du Nord, Dumon, Schachten, Rozier, Armand Bertin. Tout le monde est curieux. C’est vraiment un mouvement vif. J’ai très bon espoir de l'affaire du Maroc. Je crois qu’elle finira doucement après quelques actes de force. C'est le problème à résoudre. Agir fortement en présence de l'Angleterre, tranquille, et aboutir à la paix. M. le Prince de Joinville comprend cela très bien. Il a vraiment de l’esprit. Un de ses officiers, parti de Cadix, le 28 Juillet est arrivé ce matin. Son rapport m'a fort convenu. Le dernier délai donné expirait le 2 août. Ne vous ai-je pas déjà dit cela deux fois ? Nouvelle menace d'une apparition de la flotte Turque devant Tunis. Nous y envoyons de nouveau trois ou quatre vaisseaux. Rien sur Tahiti. Je ne veux suivre un peu activement la correspondance sur ce point que lorsque le Parlement Anglais sera clos, comme le nôtre. Je ne puis courir le risque d’un second discours de Peel.
Ce que vous me dîtes de votre frère est bien triste. Ne vous enfermez pas trop dans cette chambre. Vous êtes bien, n’est-ce pas ? Je veux que vous vous portiez bien. J’y pense encore plus quand vous n'êtes pas là. Pauvre lettre. J’aurais tant à vous dire. Il faut que je passe par Neuilly pour retourner à Auteuil. Le Roi vient de me demander. Adieu
9. Auteuil, Jeudi 8 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
une heure
Le Maroc va bien et Tahiti va un peu mieux. Les Marocains commencent à se persuader que nous voulons sérieusement ce que nous leur avons demandé, et il faut avoir plus peur de nous que d'Abdel Kader. Nous ferons là, j’espère, en face de l'Angleterre inquiète et immobile, un acte de puissance sur notre voisin, son client, et en même temps nous ferons acte de retenue et de loyauté. C'est là le problème à résoudre. M le Prince de Joinville le comprend très bien et ne perd de vue ni l’un ni l'autre but. Bien certainement, la qualité de Prince donne plus d’esprit à ceux qui en ont. La difficulté de cette affaire, c’est de faire marcher de concert et de front la terre et la mer, Joinville et Bugeaud. Pourtant cela va. J'attends à présent tous les jours la nouvelle de ce que l'Empereur a répondu au Prince et de ce que le Prince fait à Tanger. Si l'Empereur n’a pas bien répondu, le Prince aura agi. Soyez tranquille ; il ne bombardera pas Tanger. Du côté de la terre, si les Marocains ne mentent pas, s'ils ne veulent pas uniquement gagner du temps, le fils de l'Empereur, marche, avec un gros corps de troupes contre Abdel Kader, pour l'expulser du Maroc, disent-ils. Ce qui me paraît indiquer qu’ils disent vrai, c’est qu'Abdel Kader s'est mis en garde contre eux, et a déjà fait tirer un courrier marocain pour lui enlever ses lettres. Attendons. En attendant, le Maréchal Bugeaud agit de son côté, comme le Prince de Joinville du sien. Si le Maroc veut gagner du temps, nous ne consentirons pas à en perdre. Suivez-vous bien ce plan de campagne ?
Quant à Tahiti, le Standard vous dit le mieux qui commence. On commence à sentir à Londres qu'on a parlé bien vite, et bien fort, et sans bien savoir. J’ai été réservé. Je reste tranquille, j’espère que les fautes qu'on a faites tourneront à mon profit, et seront prises en compensation des brutalités de notre lieutenant de vaisseau. Bruat s’est bien conduit. Il a fait cesser sur le champ le tort de Daubigny et il avait, au fond, raison contre Pritchard. Z et 99 se désolent d'avoir Tahiti. Il n'y a pas moyen d'avoir des terres et point d'affaires. Je conviens que celle-ci est très délicate. Pourtant je persiste à penser et à dire qu'il est impossible que le mauvais vouloir ou les mauvais procédés d'un prédicateur et d’un lieutenant de vaisseau compromettent sérieusement les rapports de deux grands pays et de deux grands gouvernements dont tous les intérêts sérieux et toutes les intentions réelles tendent à la paix. Il n’y aurait pas, dans le monde, assez de sifflets pour une telle sottise. J’ai fait mon chemin en ayant confiance dans le good sense. Je suis décidé à continuer. J’espère qu’à Londres on en fera autant & qu’en donnant à la foule des deux côtés de la Manche, le temps de sentir le good sense, elle finira par là. Voilà donc un Prince de plus à Windsor. La Princesse de Joinville attend toujours. Et le Chancelier et le grand référendaire aussi qui se désolent de ne pouvoir partir, l'un pour Châtenay, l'autre pour Bordeaux. Je ne suis pas allé dîner hier à Châtenay. J’ai écrit que j'étais enrhumé. Je le suis en effet, par la grâce de Dieu, car cela m'est venu en sortant de la Chambre close. Ce ne sera rien. Je me couche de bonne heure et je dors immensément. Adieu.
Je trouve que vous ne vous portez pas mal. C'est l’air de vos lettres. Nous avons donc manqué bien belle la réconciliation de 86 et de 74. C'est dommage à eux deux, ils auraient fait 160. Jusqu'à ce que je vous aie vue, je ne crois pas à ce coup manqué. Adieu. Adieu. Que je vous dis peu, et que je vous désire ! Adieu. G.
10. Auteuil, Jeudi 8 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures du soir
Ma soirée a été agitée. A 6 heures une dépêche télégraphique du Prince de Joinville, devant Tanger, le 2, portant : " Le délai donné à l'Empereur est expiré. Aucune réponse n'a été faite aux demandes de la France. La guerre sainte est prêchée partout. On porte à 25 000 hommes le nombre des troupes qui se rendent à la frontière de l’Algérie. Aucune nouvelle de M. Hay dont on est très inquiet. Par égard pour sa sureté, j’ai consenti à suspendre, pendant quelques jours le commencement des hostilités. " à 7 heures et demie, nouvelle dépêche : " Le grégeois, parti de Tanger dans la nuit du 2 au 3 a touché à Port Vendres cette nuit ( la nuit dernière du 7 au 8) se rendant à Toulon. Au moment où le bombardement de Tanger allait commencer le 2, une lettre de l'Empereur de Maroc a donné plein pouvoir, au Pacha de Larache, de traiter de la paix. L'Empereur le prévenait de plus qu’il allait écrire au Prince de Joinville une lettre qui en assurerait le rétablissement. " Voilà où nous en sommes. C'est excellent. Pourvu qu’il n’y ait pas de nouveau coup de bascule. Vous ai-je dit que, l'escadre Turque menaçant de paraître devant Tunis, nous venions d'y envoyer quatre vaisseaux ? Si c’est Abdel Kader qui suscite ainsi les Musulmans des quatre points de l’horizon, c’est un homme d’esprit. Je ne vous ai pas raconté avant-hier tout le corps diplomatique, qui a rempli ma matinée. Armin, très troublé d’un petit journal allemand, Vorwärts, qui se publie à Paris et qui vient de faire contre le Roi de Prusse à propos de l’attentat, un article abominable. Je lui ai offert de faire poursuivre, s’il voulait porter plainte, comme notre législation l'exige. Il ne veut pas. Tout ce que je puis faire, c'est de chasser de France ces coquins. Il ne demande pas mieux. Ils iront faire leur journal en Suisse. Brignole, content de la façon dont le Roi des Pays-Bas a pris l'affaire de Mlle Heldewier. On la laissera là. Il est vrai. que le Roi de Sardaigne a promis qu’elle ne sortirait pas du couvent pour épouser son avocat. M. Abercrombie est allé la voir, au couvent, pour lui remettre une lettre. Il l’a vue seul, tant qu’il a voulu, et s’en est allé fort refroidi. On dit que Lord Aberdeen l'a blâmé de s’en être mêlé si vivement. Je ne me souviens pas qu'Appony n'ait rien dit. Koss a le cœur léger ; le Roi de Danemark a besoin, pour quelque temps de laisser le comte de Moltke en Suède. Cowley est à merveille dans l’affaire de Tahiti et sur les paroles de Peel. Il me semble que c’est tout. Certainement non. Adieu pour ce soir. Je vais me coucher Mon rhume va mieux. La Reine aussi est enrhumée ce qui ne l'a pas empêchée hier de se lever pour aller fermer, à cause de moi, une fenêtre ouverte. Je serais fort sensible aux gracieusetés royales, si je ne voyais pas, à côté, la prétention de les faire compter pour trop. Ceci est moins vrai avec la Reine qu'avec toute autre personne de sa sorte. Il y a de à la sincérité dans sa bienveillance. Adieu. Adieu. A demain matin. Vendredi 9 - Midi
Charmant n°7. Je suis charmé que vous m’approuviez. Votre avis et le mien, c’est la raison. Mes nouvelles de Jarnac ce matin sur Tahiti, sont assez bonnes, c'est-à-dire douces. Ils sentent leur tort ; ils expliquent les embarras de leur situation, la nécessité, pour eux, d'obtenir quelque chose. Je ne puis d’ici à longtemps rien faire de plus que de reconnaitre que M. Daubigny a eu tort de mettre Pritchard en prison et au secret, qu’il aurait du l'expulser sur le champ. La guerre civile est à Tahiti ; il faut la finir. Nous avons promis le rétablissement du Protectorat pur et simple ; il faut le rétablir. Jus qu'à ce que cela soit fait, que Tahiti soit rentré dans l'ordre, et dans son régime définitif, je n’y enverrai d’ici aucun incident nouveau, aucune personne nouvelle. Voilà, quant à présent, ce que je pense et ce que je veux faire. En attendant nous discuterons les torts de Pritchard ; car là est vraiment la question, & Nous pouvons la débattre longtemps. J’ai une longue lettre de Brougham ; apologétique sur la poste ; pas un mot sur Tahiti. Des recommandations pour ses clients de Provence et des conseils sur des gens que je puis gagner, dit-il, et qu’il me serait bon de gagner. Il est dans le Westmoreland.
Je suis triste pour vous et avec vous. Les liens naturels, même médiocres, sont puissants. Et aux approches de la séparation tous les souvenirs de la vie commune se réveillent. Malgré la tristesse du séjour, et mon déplaisir du voyage, je suis bien aise que vous soyez allée à Bade. Vous auriez regretté de n'avoir pas revu votre frère. Il ne faut pas que le plus petit repentir se lie à des souvenirs de mort. Adieu. Je vais à Paris. J'envoie ceci à Hennequin, pour varier. Rappelez-lui qu’il doit aller tous les jours à la poste voir s’il y a quelque chose pour lui. Adieu. Adieu, my dear love. Adieu. G.
11. Auteuil, Samedi 10 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
10 heures
Je comptais passer ma journée ici tranquillement. Mais nous avons conseil à Neuilly, au lieu de demain. Cinq ministres seulement au conseil, qui va tout de même. Je jouis tous les jours d'avoir un vrai Ministre de la marine. Il n’est plus malade. J’envoie le Duc de Glücksberg à M. le Prince de Joinville pour négocier, conclure et signer avec le Maroc, les arrangements auxquels donnera lieu le rétablissement de la paix si, comme je l’espère, la bonne dépêche est bien vraie & bien définitive. Nous aurons là, pour la délimitation des frontières, une négociation assez longue.
Decazes est charmé pour son fils. Je l’ai pris comme le plus capable parmi ceux qui étaient disponibles, et à portée. Bresson ne sera pas si content. Il est très jaloux et n'aime que les gens bien subalternes bien dépendants de lui seul. Grand signe d'infériorité, quoique j'aie vu cela à des hommes de beaucoup d’esprits, de bien plus d’esprit que Bresson. Mais j’ai toujours trouvé le coin par où ils étaient subalternes eux-mêmes. On dit que sa femme est avare et sans esprit. Je le connais bien à présent, lui et sa position. Il est descendu dans mon opinion, mais il reste capable. Il jouit petitement de la petite position de Bulwer. Et son inquiétude, son humeur viennent de ce qu'elle n'est pas encore aussi petite qu’il le voudrait. Elle est vraiment très petite, du fait de Bulwer lui-même encore plus que du fait des événements. Il a pourtant donné l’idée qu’il était homme d’esprit et bon enfant. Cela le relève par moments un peu ; mais il retombe toujours par manque de tact, de tenue, par les velléités d’intrigue, et ses pitoyables relations. La considération est d’autant plus nécessaire en Espagne qu’il y a fort peu d'hommes considérés.
La Reine Christine a enfin revu le Duc de Riansarès, bien en cachette, bien peu de jours ; mais enfin elle l’a revu ; ils ont réglé leur marche à venir. Leurs confidents sérieux en sont d'accord. Cela lui a remis un peu de joie et de repos dans l'âme. Toute sa vie est là. Elle part, décidément avec ses filles, le 18 pour être à Madrid du 22 au 24. On peut espérer que rien n’arrivera avant l'ouverture des Cortés. La petite Reine commence à être lavée et propre, presque aussi bien qu'Hennequin.
Midi.
Il n'y a point eu de note échangée sur Tahiti. Rien du tout d’officiel. Des conversations particulières d'Aberdeen avec Jarnac et de moi avec Cowley. Si on m'adressait quelque chose d’officiel, je prendrais du temps pour répondre. Je fais dépouiller tous mes documents sur Pritchard. Je veux mettre toutes ses manières en lumière, et j’enverrai cela à Lord Aberdeen, avec ma réponse s’il y a lieu à réponse. Soyez tranquille : elle sera bonne. Ne vous ai-je pas dit que, très cordialement, très amicalement je saisirais cette occasion de montrer que je sais aussi dire non ? Génie est revenu. Il est impossible de n’être pas touché de tant d'affection. Il se désolait d'être loin, de penser que je pouvais avoir besoin de lui, et qu’il n’était pas là. Il a repris son service avec une joie tendre. Vous avez raison ; adressez-lui quelquefois les lettres.
Je viens d'avoir des nouvelles de Duchâtel, d'Ems, le 7. En très bonne humeur. Il a rencontré sur le bateau à vapeur du Rhin Lord Clarendon qui lui a tenu, un bon langage, fort ami de la France et de moi. Mais Lord Clarendon veut toujours plaire. Perpétuel mensonge. Mardi 30 Juillet à notre dernier bon moment, Lady Cowley m'a prié de lui demander quelquefois à dîner. Je l’ai fait hier pour lundi. Cela me plait. Adieu. Adieu. Je vais au Conseil. G.
P.S. 3 heures Je reviens du Conseil. La Princesse de Béna est malade. Don Carlos a écrit au Roi une lettre convenable, pour demander la permission de la conduire aux eaux de Neris. Le Roi le lui permet. Je suis charmé que votre frère soit un peu moins mal. Je désire bien qu’il puisse partir. Adieu Adieu.
12. Auteuil, Dimanche 11 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Je vous ai parlé hier de D. Carlos et de la maladie de la Princesse de Beira, vous souvenez-vous d'avoir rencontré dans les journaux, un Père Fulgence, confesseur de l'Infante Dona Carletta, qui était venu à Bourges, après la mort de l'Infante, porter à D. Carlos ses déclarations dernières de repentir ? Il y est venu en effet et D. Carlos lui a parlé de sa disposition à abdiquer en faveur de son fils, pourvu que celui-ci épousât la Reine Isabelle. Avec le père Fulgence, comme avec d'autres. D. Carlos n’a pas dit plus mais l’Infants D. Luis est allé bien plus loin. Il s’est désolé de l’entêtement de son père qui perdrait tout en voulant, tout garder. Il a dit que pour lui, il désirait ardemment retrouver au moins son rang et sa situation d'Infant d’Espagne ; il n’y avait qu'un moyen, c'était de se soumettre purement et simplement à la Reine, & de demander à rentrer, en Espagne pour y vivre comme son fidèle sujet. Le père Fulgence de retour en Espagne a redit tout cela au Général Narvaez, en ajoutant, que le jeune homme avait l’air intelligent, assez décidé et lui avait tenu le langage vivement, fort en cachette de son père. Mervaez l’a engagé à retourner à Bourges, pour son propre compte, sans mission aucune, et à déclarer à D. Carlos que sa cause était perdue sans retour, que tous ceux de ses partisans qui remueraient en Espagne et lui-même au besoin seraient fusiller sans hésiter comme cela venait déjà d’arriver à plusieurs d'entr'eux dans le Maestrazzo et en Catalogne ; qu’il n’avait nul droit d'abdiquer, n’étant pas Roi, que son fils n’était point Prince des Asturies, mais qu’il était toujours l'Infant D. Louis et qu’en se soumettant à la Reine, il en retrouverait les droits et les chances. Le Père Fulgence est revenu à Bourges, et a redit là le Gal Narvaez comme il avait redit à Madrid De Carlos et D. Luis. D. Carlos a été consterné. La Princesse de Beira furieuse. De là sa crise de maladie qui est réelle. Le petit Infant a persisté. Mais toujours fort en cachette. Le père Fulgence est reparti. Voici une autre conversation. Molé rencontré Cowley, et lui parle de Tahiti, du discours de Sir Robert Peel, des interpellations dans nos Chambres &
- Cowley. Moi, je trouve que M. Guizot a très bien fait de ne pas répondre.
- Molé. Ah, je ne peux pas être de cet avis; je trouve qu’il devait dire quelque chose.
- Cowley. Et pourquoi ?
Molé. - A cause de ce qu’avait dit Sir Robert Peel. M. Guisot devait défendre l’honneur de nos officiers de marine. Je le lui ai demandé.
- Cowley. Eh bien il l’a fait. Vous devez être content.
- Molé. Aussi, je suis parfaitement content.
Cowley était plus content de sa petite malice que Molé de ma réponse.
Le corps diplomatique ici juge très sévèrement la boutade de Peel et me loue beaucoup de ma réserve obstinée. La bonne conduite, dans tout le cours de cette affaire-ci, sera difficile et j’y trouverai obstacle en plus d’un lieu. Mais je la tiendrai. L'occasion s'y prête. Adieu. Je vais faire ma toilette. Hier il pleuvait à seaux. Ce matin, le soleil brille. si vous étiez rue St Florentin, je serais peut-être allé en me promenant, causer un quart d’heure avec vous et vous dire ce que je viens de vous écrire là. Cela vaudrait mieux. Adieu. Une heure
Je n’ai point l'humeur chagrine, si ce n’est de votre absence. Ma situation est tendue, délicate, difficile ; mais elle n'a rien qui me déplaise. dans l'affaire de Tahiti, j'ai le haut du pavé et je suis décidé à le garder, en me montrant aussi doux, aussi cordial, aussi amical que je l’aie jamais été, dans la Méditerranée, nous faisons, l'Angleterre présente et immobile, un acte de puissance sur son client, notre voisin à l'ouest ; et en même temps, nous couvrons, contre les attaques de la Porte, notre client à nous vers l'Est, le bey de Tunis. Partout donc, la situation est digne, sensée et active. Qu'elle en sera l’issue ? Nous verrons. En attendant, je suis très occupé, quelque fois inquiet, mais triste, non. Revenez. Vous verrez bien que je ne serai pas triste. Rien de Londres aujourd’hui. Du Maroc, rien de décisif. Les nouvelles qui promettent la prochaine conclusion de la paix sont de Gibraltar du 3. On ne les savait pas devant Tanger, le 2. J’attends qu'elles me viennent de Tanger pour y compter. Vous avez quelquefois l’esprit trop complaisant pour les charlatans de loin du moins. Vous verriez bien, si vous le voyiez, que M. de la Rochejacquelein n'est que cela et assez vulgaire. A le lire, je comprends qu’on y trompe. J’ai d'ailleurs en fait de charlatans l’odorat d’une finesse extrême. Pourquoi votre rhume ? Soignez-le bien. Le mien s'en va. Je dors tant. Adieu. Adieu. Quand donc? Adieu. G.
12. Auteuil, Lundi 12 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi
Les petites lettres sont finies. Depuis jeudi, je vous en ai écrit de longues. Mais qu'est-ce que des lettres ? Voilà le Maroc fini, bien fini. On fait ce que nous voulons et l'Angleterre y a pris assez de part pour n’être pas blessée de sa nullité. Il faut veiller maintenant à l'exécution, qui aura bien ses embarras et me causera bien des impatiences. Mais je ne vois pas comment elle amènerait de nouvelles complications. Je vois, par ce que m’écrit Jarnac, que l’incident de Tunis a impatienté Lord Aberdeen. Cela leur déplaît de voir la France faire ainsi ; sur toute la côte septentrionale d'Afrique, acte d'autorité. Ils s’y accoutumeront. Je veux qu'ils comptent beaucoup sur mon bon sens et ma loyauté, mais qu'ils sachent bien aussi que dans ces limites, je fais rondement les affaires de mon pays. Le langage de Lord Palmerston sur mon compte m'a plu. Palmerston et Shiel comme Peel et Aberdeen, avec vous, je n'ai point de modestie. Je ne crains pas Tahiti comme évènement La guerre ne viendra pas de là. Mais il peut en venir bien des embarras de situation et de discussion. Vous avez toute raison ; il faut beaucoup penser à l’hiver prochain et à l'adresse. Ils y pensent aussi à Londres, pour leur propre compte et par les mêmes motifs. Le problème, c'est de concilier ces deux exigences. Sans doute, c’est une bonne fortune d'avoir là Jarnac. Je le sens tous les jours. Je vous répète que je crois avoir pris une bonne position et que je m'y tiendrai. Mais précisément parce qu'elle m'est bonne ici, elle leur est incommode à Londres. J'en prendrais plus aisément mon parti si je n’avais rien à leur demander. Mais le droit de visite ! Je ne puis oublier cette question là, qui viendra aussi dans l'adresse.
Vraiment, j'ai assez d'affaires. J‘ai pourtant le sentiment du repos ; hier et avant-hier, je ne suis pas allé à Paris. Je passe ma matinée dans mon Cabinet. Pas de chambres, pas de visites. Je peux lire et écrire. Toujours pas de petit duc de Penthièvre. Le Chancelier, Decazes, M. Barthe et l’amiral Rosamel (les deux témoins) grillent d’impatience. Rosamel avait pris sa dignité au tragique. Quand il a reçu sa lettre close de témoin, il s'est mis en uniforme et s'est enfermé chez lui attendant qu’on vint le chercher. Decazes a eu quelque peine à lui persuader qu’il pouvait en prendre un peu plus à l'aise, se remettre en frac et se promener dans Paris.
Montebello a failli mourir d’une angine ulcéreuse. Il est hors de danger. J’ai eu hier M. Villemain, à dîner avec ses trois petites filles. Il était charmé. De bonnes âmes s'appliquent à lui faire croire que je veux me défaire de lui et prendre M. Rossi à sa place. Il m’a quitté fort rassuré et content. Point d'inquiétude point d'ébranlement dans les personnes. Aucun changement que par une nécessité évidente, involontaire. Cela m'a réussi. Je continuerai. Adieu.
Je vais à Paris à 2 heures. Je vous dirai là un autre adieu. J’évite de passer dans la rue St Florentin. Il a fallu aller l'autre jour au Ministère de la Marine, par cette porte-là. J’en ai eu un vif déplaisir. M. de Nesselrode est à Londres. Les plus clairvoyants persistent à n'y voir qu'une tournée d’observation ordonnée avec affectation et exécutée sans plaisir. Lord Aberdeen comprend très bien qu’il n’y a plus d’entente ou de bon accord avec nous s'il y a un jeu caché ou séparé avec les autres, et on renarde comme certain que tout en acceptant les politesses qu'on lui fait, il ne se laissera entraîner à rien dont nous ayons à nous préoccuper.
Paris 4 heures
Rothschild me quitte. Il part ce soir pour Francfort. Je partirais volontiers avec lui, pas pour Francfort, ses lettres de Londres l'inquiètent. On est bien monté sur Tahiti. Gabriel Delessert m'en disait tout à l'heure autant. On n’est pas moins monté ici. Les plus sensés. Cependant, j’ai le sentiment qu’à tout prendre le flot baisse un peu. Je l’observe et l'attends. Adieu. Adieu. Etienne sort d’ici. Il m’apportait une sommation des contributions pour vous. Il n’avait pas assez d'argent pour payer. Je lui ai donné 150 fr. Adieu donc. G.
13. Auteuil, Mardi 13 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 Heures
Je ne pense qu'à vous et à Tahiti. Je vous le disais hier ; sans la question du droit de visite, Tahiti me préoccuperait peu. J’ai une excellente conduite à tenir. Elle n'amènera point la guerre. Mais elle laissera, sans nul doute de l'humeur au Cabinet anglais. Et s’il a de l'humeur comment lui faire faire ce que j'ai besoin qu’il fasse sur le droit de visite ? Trouvez-moi une manière de guérir l'humeur, quelque chose de charmant à faire pour eux. Je compte assez sur le voyage, sur la conversation. Mais, pour le voyage même il faut que l'humeur ne soit pas trop forte. Quatre jours ne suffiraient pas pour dissiper une forte humeur. Incommode affaire. Je suis bien décidé à ne rien écrire d’officiel et qui caractérise ou engage ma conduite, avant que les ministres absents, Duchâtel surtout, soient de retour. Il faut que tout le monde adhère et prenne sa part. Ils seront de retour à la fin du mois. J'ai dîné hier chez les Cowley. La famille, plus Henri Wellerley qui est venu chercher Miss Georgina pour aller passer deux ou trois semaines à Brighton. C’est la première fois que la mère et la fille se séparent. Elles n'ont pas l’air bien tendres. Henri Wellesley me plait assez. Lady Sandwich, Lord et Lady William Paulett. Rien que des Anglais, parmi lesquels un nouvel attaché, M. Shéridan, très beau. Lady Cowley dit qu’il fera des ravages l’hiver prochain et que la Duchesse de Valençay ne pense déjà qu'à lui. J’ai nié ceci, c’est-à-dire qu'à lui. Les Cowley très amicaux et très perplexes. Peel m’a donné un grand embarras, mais il s'est fait un grand tort.
Midi
Vos nouvelles sont tristes. Je comprends que vous ne puissiez pas partir le laissant dans cet état, même ne lui étant bonne à rien. Je me désole que vous soyez là, que vous ne soyez pas ici. Mauvais moment. Par nature, je suis assez propre aux mauvais moments. Je les traverse la tête haute. Mais je vieillis, car ils me déplaisent, et me pèsent. bien plus qu'autrefois. Vous ne vous attendez pas à un Charles Quint musulman.
Voici ce qui m’arrive d'Alexandrie par dépêche télégraphique de M. de Lavalette. (27 Juillet) " à la suite d’observations adressées au Vice-Roi, par Ibrahim Pacha et les hautes fonctionnaires sur la misère du peuple et les abus de son administration, S.A. a brusquement quitté Alexandrie ce matin, en déclarant. qu’Elle renonçait pour toujours à l’Egypte et aux affaires, et qu ’elle se retirait à la Mecque. Ibrahim est à Alexandrie. Jusqu'à présent la ville est tranquille. " L’Egypte va donc rentrer dans la catégorie des questions pendantes, car je doute que la Porte souffre l’établissement tranquille d'Ibrahim. C'est pourtant ce qu'elle aurait de mieux à faire. Il m’est venu naguères d'Espagne un manuscrit très curieux, sur la vie de Charles Quint au monastère de St Just. On en écrira un à la Mecque sur celle de Méhémet Ali. Il paraît que l'Empereur de Maroc fait décidément interner Abdel Kader, dans l'ouest de l'Empire, et qu'Abdel Kader se résigne, il a raison, à accepter tranquillement la nécessité, il y a non seulement de la dignité mais de la force et de l'avenir. Abdel Kader loin de nous, mais pourtant dans le Maroc sera toujours une arme contre nous dans l'occasion. Je comprends que l'Empereur aime mieux cela que l’expulser de ses états. Adieu.
Je voudrais vous envoyer quelque chose de doux, de rassurant, d’agréable. Ce que j'ai de mieux, aujourd’hui, comme toujours, c’est adieu. Adieu. G.
14. Auteuil, Mercredi 14 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Mad. la Princesse de Joinville est accouchée cette nuit d'une petite fille très forte et très belle, et qui se porte très bien ainsi que sa mère, m'écrit le Roi ce matin. J’étais hier soir à Neuilly à 9 heures, au moment où les douleurs ont commencé. Le Roi et la Reine sont montés chez la Princesse comme je partais. Je suis rentré à Auteuil ; je me suis couché, à minuit un courrier du Roi m'a réveillé, me portant l’avis d'arriver. Je suis encore enrhumé. J'étais en pleine transpiration ; il faisait froid. J’ai écrit au Roi pour lui demander la permission de ne pas sortir de mon lit. Il m’écrit ce matin que j’ai très bien fait et que ma santé de tous les jours lui importe beaucoup plus que ma présence de cette nuit. J'irai à Neuilly à 5 heures pour le baptême et pour dîner. Je ne crois pas qu’ils soient fâchés d’une petite fille. La Reine regrettait l'autre jour de n'en avoir encore qu'une.
Voilà votre N° 12. Vous avez raison de douter des nouvelles du Maroc, paix ou guerre. Moi aussi, je doute. Tout est mensonge et confusion dans ce qui vient de là. L'Empereur ment sur ce qu’il veut faire, et ne peut pas faire ce qu’il veut. Sir Robert Wilson dit ce qu’il a envie qui arrive. Il a une peur effrayable de la paix faite sans lui, presque autant que de la guerre. J’attends donc encore. Mais voilà, tout le nord de l'Afrique en mouvement et presque en question. Maroc, Tunis, l’Egypte. L’escadre Turque n’a pas parue devant Tunis.
Vous partez donc mardi 20. C’est charmant. Vous passerez bien deux jours à Paris avant d’aller à Dieppe. Moi, si je vais au Val-Richer, je n'irai que vous partie pour Dieppe. Et puis vous reviendrez de Dieppe et moi du Val Richer, et nous ne voyagerons plus.
Avec qui décidément revenez-vous de Baden ? Vous avez mille fois raison de partir au premier jour de mieux. Bacourt est toujours de bon conseil.
Une heure
Decazes sort de chez moi. Il est venu déjeuner et m’apporter à signer les registres de l'acte de naissance de la Princesse Françoise Marie Amélie. Il était là, avec le Chancelier, à minuit. L'Amiral Rosamel est arrivé le premier. M. Barthe à 4 heures et demie. Il a fallu aller le chercher à la campagne, près de Versailles. La famille royale est très contente. Decazes dit que depuis bien longtemps, il n’avait pas vu la Reine si gaie. Je sais pourquoi. Elle était très inquiète des couches de cette jeune femme, son mari absent. Elle se regardait comme responsable de l'issue. Pendant que la femme accouchée, le mari tire et reçoit peut-être des coup de canon. Dieu veuille qu’on aille aussi bien à Tanger qu'à Neuilly !
Rien de nouveau sur Tahiti. J’écris. je discute. Je tiens et je tiendrai bon. Je vous répète que sans l’affaire du droit de visite, je porterais celle-ci très légèrement. Plus j'y regarde, plus je me sens raison. Adieu.
Je vais à Paris. Je vous redirai adieu de là.
Paris 4 heures
Kisseleff sort de chez moi. Il venait me demander un passeport pour aller passer quelques jours en Angleterre avec M. de Nesselrode. Il partira vendredi ou samedi. Appony est allé passer cinq ou six jours au Havre. J’ai eu hier mardi beaucoup de petit corps diplomatique, plus Brignoles, Réchid et Arnim. Je suis toujours très bien avec le dernier. Voilà Cowley qui m’arrive.
4 heures et demie
Il m'apportait des nouvelles de Sir Robert Wilson. Pacifiques, mais point décisives. J'attends toujours. Adieu. Adieu. Je pars pour Neuilly. G.
15. Auteuil, Jeudi 15 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Voilà la guerre commencée au Maroc, bien commencée. M. le Prince de Joinville a attendu tant qu’il a pu. Il a pris, pour la sureté de M. Hay, toutes les précautions et donné tout le temps possible. Nos demandes étaient reduites au strict nécessaire. La réponse n’était pas acceptable. Le canon a dû intervenir. Il ne serait pas intervenu si l'Angleterre avait eu au Maroc, l'empire pour nous faire obtenir ce qu'elle-même trouvait juste et modéré. A défaut de son empire, il a fallu user de notre force. Le début est bon. J'attends les détails. Puis nous verrons. J'espère que les premiers coup suffiront. En tout cas, nous en avons d'autres à porter, & sans nous écarter de ce que j'ai dit. Nous ferons nos affaires en restant fidèles à notre politique. Je suis dans un moment grave et difficile ; mais je vous répète qu’il ne me déplaît pas.
La joie était vive hier soir à Neuilly. Joie paternelle et Royale. C’était l’anniversaire de la naissance du Prince de Joinville. Il a eu hier 26 ans, une fille, et la nouvelle d’un succès. J'ai dîné à côté de la Reine, très heureuse, mais trouvant trop d’émotions dans sa vie. La Princesse de Joinville est à merveille. Mad. la Duchesse d'Orléans était là, en gris et blanc, très bonne contenance, son fils à la main. J’irai causer avec elle un de ces jours.
2 heures
Vous partez donc décidément le 20 au plus tard. Vous serez donc à Paris le 22. Il est bien clair que tant que le Maroc sera ce qu'il est, je ne puis penser au Val-Richer. J’ai pourtant bien besoin de distraction, de mouvement physique. Je suis fatigué en me portant bien. Mon rhume ne s'en va que lentement. Il faut que je fasse provision de force pour la campagne prochaine, Elle sera rude. Les rivaux sont assez émoustillés. Je le comprends quoique je ne m'en inquiète pas.
Thiers a passé par Paris, allant à Dieppe où il sera dix ou douze jours me dit-on, et de là à Lille, Molé devait aller à Plombières. Il n’y va pas. Le temps est affreux et il a ici un procès qui le tracasse pour cette compagnie de chemin de fer dont il s'est retiré ostensiblement, mais où il reste intéressé. On peut préparer les intrigues de Janvier prochain ; mais intriguer à présent, il n'y a pas matière ni profit. Peu m'importe du reste. Ce qui m'importe, c’est que vous reveniez.
Vous aurez une lettre de M. Greterin pour la douane ; lettre générale, bonne pour tous les bureaux. Elle partira demain. C’est drôle que M. Tolstoy vous ramène.
J'ai de curieux détails sur Méhémet Ali, son cerveau me parait un peu dérangé. Il veut, il ne veut pas ; il résiste, il cède ; il pleure, il jure. Il fait venir un de ses fils ; il le renvoie, il en fait venir un autre, vieux et despote cela ne va pas ; pour être Pacha, il faut être jeune. Rien ne m'indique qu’on ait conspiré autour de lui ; loin de là, tout le monde continue d'avoir peur et d'adorer. On s'étonne de ne pas reconnaître l’idole, bien plus qu’on ne songe à la renverser. Bref, il est parti pour la Mecque. Il ne veut plus être que Hadji (pèlerin). S'arrêtera-t-il ? Reviendra-t-il sur ses pas ? Personne n'en sait rien. En attendant, son fils et son petit fils, et 36 de leurs camarades arrivent à Marseille en grande pompe pour venir achever leur éducation en France ; et le Pacha, qui part pour la Mecque fonde à Paris, pour eux, et pour leurs descendants, un établissement d’instruction publique, & nous fait demander, au Maréchal Soult et à moi, d'en choisir les chefs ! Adieu.
Je ne me promène, ni à pied, ni en calèche. Je travaille, je vous écris et je dors. J’ai tous les jours deux ou trois personnes à dîner, aujourd’hui Baudrand et sa femme, demain Broglie et son fils. C'est mon moment de conversation si tant est qu’il y ait pour moi une conversation autre qu'avec vous. Adieu. Adieu. G.
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15. Paris, Vendredi 16 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
2 heures
Je suis horriblement pressé ce matin. J'arrive de Neuilly. Le Maroc, Tahiti, Naples, l’Espagne, Mossoul j’ai eu à peine, le temps de dire un mot de chaque chose. J'attends mes collègues chez moi. Vous n'aurez que quatre lignes. Vous voyez bien qu’il faut revenir.
Voici votre recommandation pour la Douane. M. Gréterin écrit à Génie : " Je ne me permets d’en donner sous cette forme qu'avec une extrême réserve." Usez-en et revenez. Toujours un peu enrhumé et très préoccupé. Il y a de quoi ; mais l’issue sera bonne. Je devrais dire les issues, car j'ai plus d’une affaire. Certainement si on avait été à Londres aussi correct que moi ici, celle de Tahiti serait bien moindre, Jarnac se conduit et la conduit à merveille, avec beaucoup de tact, et vif ou mesuré, selon le besoin.
Vous avez bien fait de vous convertir au 4 pour 100. On en viendra là partout. Les nouvelles du Prince de Joinville sont bonnes. La réponse de l'Empereur n’était réellement pas acceptable.
4 heures et demie
Un mot encore, en fermant ma lettre si je vous avais écrit hier au soir, j’aurais été plus noir que ce matin. Mes nouvelles d’aujourd’hui valent mieux. J’espère réellement que j’arrangerai tout. Mais c’est bien difficile, décidé, comme je le suis, à garder la position que j’ai prise. Je suis charmé qu’elle vous satisfasse. Adieu. Adieu. Que je voudrais que ce fût le dernier ! G.
Auteuil, Mardi 20 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Pourquoi arrivez-vous le mardi 3 ? Tout autre jour, je serais allé m'établir au Ministère, à midi, et je vous aurais attendue là. Enfin vous arrivez. Le soleil, je me trompe le brouillard qui s'est levé ce matin, vous verra entrer. Vous ne devez pas avoir un trop mauvais temps en route. Vous aurez laissé le mauvais temps à Baden. Adieu. Adieu. Adieu
Auteuil. Mardi 20 août 1844
8 heures
Voici une lettre que j’ai pour vous depuis deux jours.
Auteuil, Mardi 27 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Pourquoi n’êtes vous pas à Beauséjour ? Rien de nouveau ce matin. Il y en a assez. A tout prendre, je suis content. C’est périlleux mais cela a bien bon air. Je crois que je mènerai le tout à bien.
A ce soir, 8 heures un quart. Si vous vous promenez ce matin, au bois de Boulogne, vous seriez charmante de passer à Auteuil, cinq minutes. Adieu. Adieu.
Mardi 27 août 1844. 11 h. 1/2
Auteuil, Dimanche 1er septembre 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je n’ai rien de Tanger, ni de Pétersbourg. Des conversations de Londres, rien de plus que des conversations. Nous en causerons. Adieu. Adieu.
J’ai là cinq ou six personnes.
Adieu Dim. Midi
Auteuil, Mardi 3 septembre 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Rien de nouveau. Rien de Londres. Bresson et Bulwer toujours en intimité de Gibralter, à Madrid. J’ai bien envie que nous fassions la paix au Maroc. Rien de certain encore sur les dispositions de l'Empereur, quoique de tous côtés, il me revienne que sa consternation est extrême. Adieu.
A ce soir. Quel beau temps ! Jouissez-en à St Germain. Je passerai ma matinée à causer. Sans plaisir. à ce soir mon plaisir. Adieu. Adieu. G.
Auteuil, mardi 3 sept. 1844
11 heures
Auteuil, Vendredi 6 septembre 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
J'ai besoin du Conseil ce matin chez le Roi, à 2 heures. J’irai vous voir, entre midi et une heure. Adieu. Adieu.
Auteuil Vendredi, 6 sept 1844 9 h. 1/2
Auteuil, Mardi 10 septembre 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je vais passer ma matinée à rabâcher, sur la même chose. Cela ne me plaît qu'avec vous. Promenez-vous. Il fait beau. J’espère que votre estomac vous laisse en paix. Adieu. Adieu à ce soir. Adieu. G.
Auteuil Mardi 10 sept.1844
Midi.
Auteuil, Vendredi 13 septembre 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je ne sais pas comment se passera votre matinée. Cela me déplait. Je n’ai de nouvelles que de Madrid. Assez curieuses. Mes instructions pour nos nouvelles ouvertures à l'Empereur de Maroc seront arrivées à Cadix le 7.
J’espère qu’avant un mois la question sera vidée. Avez-vous une réponse du Duc de Noailles ? Mon dîner d’hier était assez amusant. Le beau fils de M. Planta me convient. Très anglais et très français. Il était charmé de mon accueil. M. Ahlenschläger ne pouvait se rassasier de ma conversation et de mon dîner. On dit que c'est le plus grand poète de l'Allemagne d'aujourd’hui. Il veut faire jouer cet hiver une tragédie au théâtre français, par M. Ragel. Mad. de Sainte Aulaire a gagné son cœur. Elle a été créée et mise au monde pour les poètes Allemands. Elle m'a quitté pour aller à Neuilly. Ils retourneront à Londres, le 1er Octobre. Adieu. Adieu. à ce soir, 8 heures et demie. Soignez-vous bien d'ici là. Adieu. G.
Auteuil, Vendredi 13 sept. 1844
10 h un quart.
[Auteuil], Dimanche 15 septembre 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Pourvoyez-vous d'un compagnon de promenade. Je ne veux pas que vous soyez à la merci de mes affaires. Je passerai en tous cas par la Muette et si l’heure me le permet, l’heure et mon courrier, je suivrai notre plan d’hier. Mais je n’ose y compter. J’aurais pourtant bien à causer avec vous. En tous cas, à demain midi. C’est un pauvre remède que demain. Adieu. Adieu. G.
Dim. 15 sept 1844 -
Midi
Auteuil, Mardi 17 septembre 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
On s'est battu à Tahiti. L’insurrection a été fortement réprimée. On lui a tué 102 hommes. Nous avons eu deux officiers tués et quelques hommes blessés. Je n’ai pas encore vu les détails. On avait bien raison de renvoyer Pritchard. J'ai là du monde qui m'attend. Adieu. Adieu. à ce soir, 8 heures et demie. Le temps est bien lourd. Adieu. G.
Auteuil, Mardi 17 Sept. 1844
Une heure