Votre recherche dans le corpus : 431 résultats dans 5770 notices du site.Collection : 1854 (1er janvier-21 décembre) : Dorothée, une princesse russe, persona non grata à Paris (1850-1857 : Une nouvelle posture publique établie, académies et salons)
106. Ems, Samedi 29 juillet 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai été voir hier ma grande Duchesse Marie de Weimar, à Coblence où elle est en visite de quelques jours chez sa fille la princesse de Prusse. Grandes tendresses. Grande tristesse. Je l’ai trouvé très russe mais sensée. La princesse de Prusse fort modérée dans son langage. Un éloge de l’Empereur Napoléon. Ma course & la Conversation m'ont fatiguée. Ma Grande Duchesse est plus sourde que le Prince Metternich.
Morny va mieux et se décide à rester à Ems. Je voudrais bien amener à Ems Léon de Schlangenbad. J’y resterais bien volontiers mais il n’y a pas moyen comme j'aimerais continuer ces conversations deux fois. le jour. Morny est décidément très agréable, & suis tout à fait fâchée le quitter.
On s’attend à Paris à l'accession de l’Autriche au traité Franco anglo turc, dans 10 jours. St Arnaud, dit on, se prépare à une bataille. rangée sur le Danube. On ne parle plus de la Crimée. Je n’ai pas de nouvelles de Pétersbourg. Voilà bien de la confusion à Madrid. Je pense qu'Espartero gouvernera cette révolution. Greville s'inquiète à l’idée qu'on puisse s'en mêler. Il dit que l'Angleterre n'a plus un soldat, ni un vaisseau à fournir. Il espère que la France verra faire sans prendre la moindre part. Que dites-vous de l'Angleterre prenant à sa solde une armée Turque à laquelle elle fournira ses officiers ? C'est comme les pays. La voilà maîtresse en Turquie comme elle l’est aux Indes, nous avons fait de belles affaires ! Elle a bonne grâce à nous reprocher notre ambition envahissante. Mais sans compter la Turquie que cela fait disparaître, ça peut s' arranger la France & d'autres ? Quels événements !
Metternich n’a pas eu plus de part à la conduite de son gouvernement que vous et moi. Tout cela était inventé de même Aurep. Il écrit à sa femme qu'il se porte très bien. Jusqu’ici la Prusse résiste quand même l’Autriche marcherait. Mais on lui demandera très net de dire oui ou non. Je doute qu’elle ose l'un où l’autre. Alors quoi ? Adieu. Adieu.
J’apprends que l'ordre vient d’arriver de Berlin de mobiliser l’armée. Adieu.
107. Ems, Lundi 31 juillet 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
108 Schlangenbad, Mercredi 2 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je suis arrivée ici hier. Olliff m’a accompagnée. Il ne s’est arrêté ici qu'une demi-heure Il est reparti pour Paris. Je n’ai eu ni le temps ni le besoin de le charger d'une lettre. La poste nous sert aussi bien. J’ai trouvé ici votre 128 Toutes vos observations sont justes. Nous pensons de même sur tout ce qui se passe. Impuissante opinion, ce serait charmant de se parler quand il n’y aurait que cela sans le plaisir de se trouver ensemble.
Ellice le Bear était ici quelques heures avant moi, je le garde jusqu'à samedi. Hélène vient ici aujourd’hui pour 10 jours. Hier la journée a seulement été superbe. Aujourd’hui des torrents de pluie. Je suis bien logée, je commence les bains aujourd’hui.
Ce que vous me dites des lettres produites par l'amiral Berkeley me rappelle que le roi Léopold a dit à propos du projet de prendre Cronstadt. " Mes chers Anglais vont se casser le nez." On dit que l’effet de cette retraite de la flotte après s’être promenée huit jours devant la forteresse, a produit beaucoup de sensation à Pétersbourg de l'orgueil, de la moquerie, & un grand enthousiasme dans le public.
Il est certain que tout cela a l'air ridicule. Et ce mot se retrouve dans la conversation des Anglais que je rencontre. Ellice ne voit pas comment nous pourrons vous atteindre & il est convaincu que les vrais coups n’auront lieu qu’entre les Autrichiens et nous. Il me dit que l’intimité politique est complète entre Lord John & Palmerston. Sir George Grey en est, et à eux trois ils veulent la poursuite de la guerre au prix de tous les sacrifices. Il y a bien longtemps que je n'ai eu des nouvelles de Constantin. Il est toujours auprès de l’Empereur. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Correspondance, Diplomatie, France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Politique (Angleterre), Politique (Autriche), Politique (Russie), Relation François-Dorothée (Politique), Réseau social et politique, Santé (Dorothée)
109 Schlangenbad, Vendredi 4 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Beaucoup de lettres de tous côtés. Constantin. On se croise les bras à Pétersbourg. Toutes nos mesures sont prises. On attend & même on rit. C’est le public, par le maître Meyendorff comblé, nouveau embre du Conseil de l’Empire, grand maître de la cour, rang de 1ère classe. On veut prouver par là qu’il n’y a pas disgrâce au contraire l’Emp. l’appelle. toujours son ami. Il reste dans la diplomatie. La garde impériale est partie pour la Pologne.
Lady Palmerston, charmée que son mari n’ait pas la guerre. On dira toujours si Pam. était là comme tout irait mieux. Lord Aberdeen bon homme, fausse position et obligé de pousser à la guerre parce que tout le monde est fou sur ce point.
C. Greville. à l'heure qu'il est la Crimée est envahie. Nous n'y avons que 35 m hommes. On a envoyé 70 m en débarquement, on attaque Sébastopol du côté de la mer en même temps que par terre, il faudra bien la prendre & cela doit être fait. Dans ce moment pas d'espoir de rien faire du côté de la Baltique. L’Empereur a pensé être pris en mer, [?] l’a fait échapper. Quelle capture ! Clarendon très inquiet de l’Espagne. Croyant Espartero pas capable de dominer le moment ou de le régler. Cela tourne à la République. Si Palmerston avait les affaires il s’en serait mêlé de façon ou d’autre. Maintenant on ne s'en mêlera pas et on a la confiance que la France ne le fera pas non plus, sous Palmerston on se serait querellé avec elle sur ce point
Morny. St Arnaud annonce des choses importantes prochaines mais pas sur le Danube. l’Autriche va marcher. La Prusse convoyée, conduite très embrouillée. Espartero soutient la Reine Isabelle. On ne se préoccupe pas de l’Espagne. L'Emp. dit : nous donnons la peste mais nous ne la prenons jamais. C'est très vrai. Le choléra serait très fort à Gallipoli.
Molé, très sensé et applaudissant fort à la conduite de votre Maître. L’Italie menace. On dit que vous allez envoyer encore des troupes et ce sera bien fait. Je crois que voilà tout. Paul part demain pour Bruxelles. Il trouve ceci trop pittoresque. Hélène est trop russe il m’est difficile de me mettre d’accord avec elle dans ses antipathies pour le reste. Ellice part demain aussi. Le Prince Charles de Prusse vient ici pour quelques jours. Je me baigne, je me soigne, & j’ai peine à trouver du temps pour mes correspondances. J’ai besoin d’écrire cependant pour recevoir des lettres. Adieu. Adieu.
110. Schlangenbad, Dimanche 6 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre exactitude à m'écrire me charme. Que ferais-je sans vos lettres ! J’y trouve toujours l’explication de ce qui se passe, l'appréciation du présent et de cet avenir nouveau que nous méconnaissons trop comme vous avez bien raison de le dire. Le prince Charles de Prusse est arrivé hier il est venu chez moi de suite. Il est très russe mais très sensé. Il déplore bien des fautes, la plus grande, celle de la reconnaissance incomplète. Il fait beaucoup l’éloge de votre maître et reconnaît la grande situation qu'il a acquis en Europe. Cette vérité est établie partout. Ellice & mon fils sont partis hier ensemble, grand vide pour moi. Hélène vient le soir dans la journée nous ne nous voyons pas, elle est dans une autre maison. Elle est si Cosaquee que les entretiens intimes en sont devenus peu faciles.
Le prince Charles & quelque idée d’un armistice, si cela pouvait être !
J’ai été interrompue par notre ministre à Francfort qui est venu de là me faire visite. Il m’a dit des choses assez nouvelles. L'Autriche & la Prusse assez mal ensemble, la Prusse fort appuyée par les royaumes allemands. Jamais la Prusse ne souffrira que l’Autriche acquiert des avantages en Orient, l'embouchure du Danube p. 2. L’occupation de principautés. L’Allemagne en général ne veut pas de l'accroissement pour la puissance autrichienne.
Kisseleff est toujours à Wiesbaden. Brunnow toujours à Darmstadt. Meyendorff a décidément fait des bêtises à Vienne, gouverné par ses nerfs. Adieu. Adieu & Adieu.
111. Schlangenbad, Mardi 8 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je vous adressais des éloges l’autre jour, aujourd’hui ce seront des plaintes. Quand je reste deux jours sans lettre, je me sens bien triste. J’ai des nouvelles un peu de partout. Le roi Léopold ira faire sa visite à votre Empereur probablement vers le 2 septembre à Boulogne. Le Prince Albert y viendra après. Je suis charmée de la première visite. L’esprit réfléchi et sage du roi plaira à l'Emp. Napoléon. On me dit qu'on a de lui (l'Emp.) une peur mortelle en Angleterre, on le comble. de flatteries, on le trouve bien puissant.
Le prince Woronzow est attendu ici, s’il ne vient pas trop tard. Je l’attendrai. Un ami intime de l’année 1801 ! Grand ami de mon frère.
Les Anglais saccagent les églises de la mer blanche. Ils s’attaquent à des moines et des pèlerins. On est exaspéré contre eux chez nous. L’entrée en campagne des Autrichiens traine un peu. Cependant il n’est douteux qu’ils n’acceptent la Valachie et que cela entraine les hostilités. La Prusse tâche toujours de se tirer en dehors. Combien longtemps le pourra-t-elle ? Le prince Charles ne dit pas. Tout le reste de l’Allemagne est avec elle. J’ai beaucoup causé avec ce Prince, le voilà reparti. Ce matin encore il m’a fait une longue visite. Il est au courant de tout, et très intime avec sa sœur, l’Impératrice. Il m’exhorte à lui prêcher la paix ; ah mon Dieu il y a longtemps que je prêche dans le désert. Mais ce n’est plus chez nous qu’il est besoin de le faire.
C’est l’Angleterre, la France, et si vous vouliez bien, l’Angleterre voudrait aussi. Je reconnais que votre Empereur avait raison de me dire qu’il avait mené. Il a mené, il mène et il pourrait mener longtemps. Il devrait bien mener à un congrès. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Amis et relations, Conditions matérielles de la correspondance, Diplomatie (France-Angleterre), Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Politique (Angleterre), Politique (Belgique), Politique (France), Politique (Russie), Réseau social et politique, Tristesse
112. Schlangenbad, Jeudi 10 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai eu votre lettre du 6. J'en ai eu d’autres aussi. Vos propositions nous seront transmises par Vienne. C’est les points que je crois vous avoir indiquer. Cela implique le protectorat autrichien dans les provinces du Danube ?
Egalité de force dans la mer noire, renonciation de notre part à tout droit de protection civile ou religieuse dans l’Empire ottoman. En un mot on nous dépouille de toute influence morale en même temps que de tout moyen matériel de peser sur la Turquie, (ne répétez pas ce que je vous dis.) Je pense que cela ne peut pas être accueilli par nous ; cependant c'est beaucoup déjà d’avoir conduit les affaires de telle sorte qu'on puisse très naturellement élever ces conditions. Ah mon dieu que nous avons fait de fautes.
J'ai eu des nouvelles de Morny par mon médecin à Ems. Il a été malade et il reste découragé et inquiet. Je l'exhorte à venir ici. Ces bains sont très calmants, les autres l’irritent. Plombières est impraticable à cause du choléra. Il ne veut pas retourner à Paris par cette même raison aussi et il est vraiment en pauvre état.
Moi aussi je suis mécontente. Aujourd’hui j’ai dû suspendre les bains. Et puis je m'ennuie, je m'ennuie beaucoup. Véritable maladie pire que toutes les autres. Montebello promet toujours de venir, mais il ne vient pas. Le temps est variable et mauvais, je n’ai pas l'humeur aimable. Je vous dis adieu pour me remettre en bonne humeur. Lady Pembroke vient d’arriver cela annonce sans doute son frère le prince Woronsow.
113. Schlangenbad, Vendredi 11 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je ne suis pas de votre avis sur la lettre de votre Empereur à propos de la marche des troupes. Je trouve qu'il a très bien fait de lui donner de la publicité. L’adrection est juste et méritée, il est fort bon qu'on la connaisse. Cela peut incommoder quelques généraux, cela plaira au soldat et au public. Voilà le roi de Saxe mort d'un accident bien rare. C’est un événement. Il était dans la politique prussienne tout à fait & avec les trois autres rois fort bien disposé pour la Russie. On ne pas qui lui succédera. Son frère n’est pas propre à gouverner, un savant qui sait tout excepté le métier de roi, distrait, étrange. Il est probable qu'il abdiquera en faveur de son fils le Prince Albert qui a épousé une wasa. Ce prince Albert est tout-à-fait autrichien, et voilà ce qui ferait l’événement. On vient de donner au Prince Gortchakoff, le diplomate, le St Alexandre. Il n'y a que quatre semaines, pas même qu'il est à Vienne. Il faut donc qu'il ait fait quelque chose de considérable. ce doit être du bon, je voudrais bien le connaitre.
Lady Pembroke attend son frère le 15, toute sa famille arrive, les clan William, les Duccessione. Les Deverey, les Bruce. Tout cela reste ici au moins trois semaines. Nicolas Pahlen va venir, son frère est déjà ici, une vieille connaissance à moi, que je n’avais pas vu depuis l’année 18. Pas aussi agréable que Nicolas mais très bien. Tout cela fera du monde. Lady Pembroke est dans le désespoir de la guerre, elle en veut beaucoup à son fils de rester dans le ministère. Adieu. Adieu.
114. Schlangenbad, Dimanche 13 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Dites au Journal des Débats que pour 6 francs il peut acheter l'Almanach du Gotha. Il y aurait trouvé que le roi de Saxe n’avait pas d’enfants. Le frère a pris les rênes du gouvernement un savant, professeur, très exalté et catholique ce qui ne plait pas en Saxe où l'on est très protes tant. En politique je crois qu'il sera autrichien.
Je viens de lire Nesselrode. et Drouin de Lhuys dans le Moniteur. Je trouve vos conditions acceptables. Le parlement Anglais, n’en serait pas content. Mais il n’y sera plus pour les critiques. Dites-moi ce que vous pensez de ces conditions.
On croit que l’Autriche va se présenter comme médiateur armé. Moi je prêche un congrès, mais d’où partirait l’initiative. Je ne cesse de penser à toute cette d... d’affaire. Personne avec qui en causer c'est affreux.
Je vois la Princesse Charles tous les jours chez elle ou chez moi. Je ne forme pas mon esprit à ce commerce. Mais elle est très bonne personne. Elle part à la fin de la semaine. Hélène après-demain. La société sera renouvelée. Morny veut toujours venir passer quelques jours avec moi. Quel drame curieux cette Espagne. Que va devenir la Reine Christine ? Vous aviez commencé par traiter bien légèrement ce soulèvement voyez ce que cela est devenu ? Moi je prends tout au tragique. Et moi-même surtout. Adieu. Adieu.
115. Schlangenbad, Mardi 15 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Hélène m’a quittée ce matin. c‘est un grand chagrin. Elle va à Ostende, il est très probable que j’irai l’y trouver quand je quitterai ceci. Je n’y pense pas encore. Dans tous les cas j’ai encore 10 bains à prendre.
Les Woronsow sont arrivés. Le prince est bien vieilli. Il parle beaucoup d’Asie. Cela ne m’amuse pas. Il dit que la pour batterie les Turcs partout. J’accepte mais j’aimerais mieux l’Europe. Il croit qu’on peut prendre Sébastopol du côté de la terre, mais il faudrait y employer beaucoup de monde. Il ne sait pas bien combien nous avons de troupes en Crimée. Nicolas Pahlen vient d’arriver aussi. Celui-là me plait, car je puis tout lui dire, nous pensons de même. Constantin m’écrit toujours des lettres enthousiastes, triomphantes. Comprenez-vous ? – C’est trop fort. On relève beaucoup chez nous la différence de conduite des Français avec les Anglais. Vous faites la guerre courtoise. Les Anglais comme des [ ?]. Tout le monde chez nous veut une guerre des 10 ans. Vous ne nous ruinerez pas, et on croit que vous serez envoyé bien plutôt que nous. Voilà ma lettre de Peterhof.
L’idée de limiter nos forces dans la mer noire parait Woronsow absolument inacceptable. Jamais nous n’y consentirons. Toute ma journée a été prise par les partants et les arrivants. Je vous dis adieu, bien tard, au moment de la poste.
Mots-clés : France (1852-1870, Second Empire)
116. Schlangenbad, Jeudi 17 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je trouve comme vous le discours de Lord Clarendon très bien, statesman like. Vous me l'avez fait lire car je l’avais overlooked. Je ne sais pas de nouvelles de la seule chose qui m'intéresse. Je crois que nous allons rester comme cela sans résultats, autres, que l’occupation d’Aland ; peut être de la Crimée. Woronsow pense que c'est possible si nous n'y avons pas de forces suffisantes, et il ignore cela tout à fait. Mais je suppose que cela s’accomplisse je douterai encore de la paix et plus que jamais. Il me parait évident que l’Autriche ne nous fera pas la guerre. (Les derniers mots de Lord John l’indiquent ce me semble) et ne la faisant pas, elle n'a rien de mieux à faire que de travailler à la paix. Mais l’obstination russe, comment s’arranger avec elle ?
J’ai eu une lettre de Fould. Il partait pour Barrit. Il me dit que l'impératrice se trouve très bien des bains. de mer.
4 heures
Je viens de recevoir une lettre de très bonne source. On nous croit décidés à arriver à la paix notre retraite du Principautés le prouve. La Prusse n’entrera pas dans les nouveaux engagements que vont contracter les très autres grandes puissances. La guerre sera de votre côté poursuivie avec vigueur des négociations pourront être entamées en Novembre, on doute que ce puisse être avant.
Les révolutionnaires se remuent partout. On m’expulse de Bruxelles. On y tramait des complots contre l’Empereur. Une lettre d'un espartériste Maderado dit : le seul résultat de la Révolution sera la disparition des Bourbons. Adieu. Adieu.
117. Schlangenbad, Vendredi 18 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Il ne faut pas qu'on vienne me parler de la guerre ou la paix aujourd’hui. Je ne pense qu'à Trouville à la visite que vous y avez fait. Je m'étais levée bien portante, je reçois votre lettre, j’ai pris une crampe à l’estomac et on me défend le bain pour aujourd’hui. Vous voyez que je suis incorrigible, me voilà démoralisée pour bien des jours. Je vous prie d'avoir pitié de moi.
Votre lettre du reste est superbe elle ira plus loin. La vérité elle est si rare !
Greville m'écrit une lettre sensée pour me dire qu'en Angleterre on est fou. Je le vois bien. Mon projet de congrès est un peu précoce. Il faut d’abord avoir été battu ou bien qu'il soit démontré qu'on ne peut pas nous battre. Je vous ai dit en attendant que la Prusse cesse de faire ménage comme avec la conférence. Je n’aurai donc pas de lettre de vous demain. L'un des bénéfices de votre malencontreux dîner. Vous serez donc resté coucher à Trouville ! N’y retournez pas au moins, je vous en prie. Je ne pense qu’à cela tout le jour. Je ne ferme ma lettre que le soir. La Princesse Charles de Prusse est partie ce matin, elle a encore passé une heure chez moi avant de monter en voiture. Ah mon dieu. Que j’aurais à vous faire rire si j’étais en train de rire. Woronsow est décidé à ne pas parler de la guerre ou de la paix, je trouve bien le moyen de le faire manquer à cette résolution. Nicolas Pahlen m’amuse il m’enrage. Car il y a un sujet sur lequel nous sommes en désaccord complet. Et comme je ne veux pas une brouille avec lui, j'évite.
Montebello me promet toujours de venir et moi je ne crois pas du tout. Je ne sais si je placerai un adieu dans cette lettre. Je sais seulement que je me sens malade.
118. Schlangenbad, Dimanche 20 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Pas de lettre hier vous m'en aviez prévenue, mais pas de lettre aujourd’hui, pourquoi ? Dînez-vous encore à Trouville. et faut-il pour cela que je jeune ? Je m'afflige et je m’inquiète.
Je n’avais pas besoin de cela de plus. Je ne sais absolument rien. Le télégraphe dit que Bomarsund est pris, aussi que 2000 prisonniers en sus. Je pense que de ce côté-là est tout ce qu'on fera cette année. Il faut attendre maintenant Sébastapol. Le Prince Woronsow n’est pas intéressant. du tout, il ne veut pas entendre parler d’affaires. Je le taquine mais cela le rend malade, il faut y renoncer. Sa femme est une bonne personne pas jolie, mais bon air.
Nicolas Pahlen est allé voir Bacourt à Heidelberg, je suis très à court de conversation. Un Prince & Princesse Solens, braves gens qui ont envie d’avoir de l’esprit, et qui ont des boutons sur le visage. Cerini est parfaitement bête. C'est sûr, et c’est même curieux. Ah Marion ! Adieu, je ne vous écris aujourd’hui que pour me plaindre. Aurai-je une lettre demain matin ?
119. Schlangenbad, Lundi 21 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Pas de lettre encore, je suis dans la dernière inquiétude. Ah quelle fatale idée que cette course à Trouville. Je suspens mes bains. Je ne suis plus bonne à rien qu’à mourir d’inquiétude Que vous est-il arrivé ? Mon Dieu. Adieu.
120. Schlangenbad, Lundi 21 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai passé par toutes les angoisses. Voici deux lettres. j'ai d'abord remercié Dieu. Je l’avais tant invoqué. Pour vu que vous soyez en vie j’aurai bien joui que vous me conserviez votre affection. Mon Dieu que j’ai souffert !
J’allais écrire par télégraphe, mais à qui, où ? Vous n’avez pas de ligne le télégraphique, & fois mes amis sont absents de Paris. Ah quelle angoisse, j’ai éprouvée. Je vous en prie n’aller plus à Trouville. Soignez-vous.
Mardi 22. J’ai dormi vous êtes vivant. Si vous savez tout ce qui se logeait dans ma tête. Un accident de voiture, le roi de Saxe une indigestion, le choléra, sans compter la Duchesse de Galliera. J’ai bien souffert et je ne suis pas remise encore de cette secousse. Ne m'en donnez plus. J’étais folle. Ma joie en voyant vos lettres était aussi extravagante que mes inquiétudes. J’ai fait des largesses à Emilie, à tout ce que je rencontrais, j’avais besoin de donner de la joie à d’autres. Finissons parlons d’autre chose. Voilà Bomarsund pris. Je vous ai toujours dit qu’Aland serait la première victime. Peut être sera-t-elle la seule de ce côté. C'est une position très avantageuse. Nous n’avions pas de quoi la défendre. 2 contre 11, cela ne va pas.
On dit que l'expédition sur la Crimée est ajournée à cause des chaleurs. Mais on savait bien d’avance qu'il fait chaud en été. Les journaux allemands parlent de mésintelligences diplomatiques en Orient.
La Prusse décidément nous reste. L'Autriche ne se battra pas contre nous. Il y a encore des échanges de dépêches et la conférence de Vienne ne se réunit pas encore. Attendons, c’est un plaisir que nous nous donnons depuis assez de temps. Je n’ai donné à personne le droit de dire que je reviendrai bientôt à Paris. Le droit ardent, il y est, Dieu le sait, mais voilà tout.
Si le prince Worosow se tait et surtout se bouche les oreilles, sa femme les ouvre et jase. Elle est assez cosaque aussi, mais avec tant de douceur et de gentillesse qu’on ne peut jamais disputer. Elle me plait et elle mériterait d’avoir l’esprit plus éclairé sur ce qui se passe. Je ne me mêle pas de faire son éducation. Adieu, adieu.
Mots-clés : Affaire d'Orient, Angoisse, Armée, Conditions matérielles de la correspondance, Diplomatie, Femme (diplomatie), Femme (éducation), Femme (portrait), Femme (santé), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Politique (Autriche), Politique (Prusse), Politique (Russie), Portrait, Salon, Santé (François)
121. Schlangenbad, Jeudi 24 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Encore deux bonnes lettres aujourd’hui. Pourquoi me viennent elles par paires ? C’est ce que je ne comprends pas. J’espère que vous m’aurez pardonné d’être malade, car je le suis encore. Une grande agitation morale ramène mon ancien mal, & il faut du temps pour me remettre. je me remettrai, mais je n’ai pas encore osé reprendre les bains. J’étais si bien avant ce maudit diner. Enfin n'en parlons plus. Vous me dites, d’excellentes choses sur la nécessité de s’arranger. Je les fais passer plus loin, je crois toujours que cela a son utilité. Cela ne va pas tout [?], mais presque. Il est évident que le choléra vous a fait perdre beaucoup de monde. Les journaux Anglais disent 7000 hommes. Ce serait énorme.
Bomarsund peut cependant décider la Suède. Sous ce point de vue la capture serait importante.
4 heures
Voici une troisième lettre de Mardi 22. Le surlendemain nouvelles de Vienne. Cela ne m’est jamais arrivé. Quelle belle journée. Que vous êtes doux & bon pour moi. Quelle dommage que je vous sois si inférieure en raison. Comme je me porterais mieux, et comme je vous plairais davantage !
Comme l'absence est rude, sur de choses intimes j’aimerais à vous dire, tout juste sur ma déraison. J’ai la confiance que cela vous toucherait et que vous me pardonneriez tous mes pêchés passés et futurs. Je n'ai rien de Russie du tout. On me dit par voie indirecte, qu'à Pétersbourg on se tenait préparé également à la paix, ou à la guerre, on attendait les nouvelles de Vienne.
Il fait bien froid ici. 7 degrés la nuit et bien peu de plus le jour. Adieu. Adieu.
Voilà Morny arrivé, j’en suis charmé. Mais je n’ai pas de quoi l’amuser.
122. Schlangenbad, Vendredi 25 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Pourquoi dites-vous la réticence, le silence, l’obscurité me choquent ? Cela ne peut pas s’adresser à moi, je dis trop, je montre trop tout ce que je pense. Quand vous dites il faut se croire toujours cela me plait. J'analyse votre dernière lettre. Morny ne m’a pas apporté de nouvelles. Je ne l’ai pas vu seul encore. Je ne sais combien de jours il compte rester ici. Il est enchanté de sa cure à Ems. Il est engraissé et a une mine parfaite.
En lisant les dépêches Anglaises je trouve vraiment qu'on pourrait bien se parler et je ne suis pas sans espérer que d’autres trouveront cela aussi. Qu’en pensez-vous ?
Le 26. Le choléra paraît avoir été terrible dans votre armée. On mande de Paris à Morny qu’on est plus que jamais content de l’Autriche.
Grande difficulté de se loger à Bruxelles et hausse de tous les prix de logement & & Je ne sais comment je vais faire pour me caser. A Bellevue pas de place. Ah quelle misère et cela quand je pense à mon charmant appartement à Paris ! On me refuse net à Bellevue.
Je n’ai point de lettres aujourd’hui de nulle part. Pour vous cela ne m'inquiète pas, il m’en viendra j’espère demain. Adieu. Adieu.
123. Schlangenbad, Lundi 28 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
L'année dernière à cette époque, j’étais déjà en route pour rentrer à Paris. Je revenais par la route de Strasbourg et je me souviens de mon exclamation de joie en apercevant le premier Soldat Français. Quand reverrai-je cette France que j’aime tant ! Les larmes me viennent aux yeux vingt fois le jour.
J’espère que vous m’avez pardonné d’avoir été malade, d’avoir tant souffert pour rien du tout. Je vous prie, je vous prie, soyez miséricordieux.
Je n’ai pas de lettre, pas de nouvelles. Ce que je glane dans les journaux me parait peu encourageant pour la paix. maudite guerre.
Je passe mes soirées seule avec Morny et Cerini. Nous faisons de la musique. Il chante à ravir. Je vois dans la journée quelques orientaux (Worosow) et la tribu Pembroke. Ils n’aiment pas les rencontres du soir.
6 heures
Je crois savoir que l’expédition à Sébastopol ne se fera pas et que l’Empereur [priant] en conséquence à son cousin le prince Napoléon de revenir à Paris. Lui-même retournera à Bordeaux le 15 7bre pour chercher l’Impératrice.
[Cambest] fait avec 25 m hommes une expédition je ne sais où. L’Empereur d'Autriche a dit il y a huit jours au duc de Nassau qu’il ne pensait pas du tout à la guerre avec la Russie. On dit que M. Bach est tout puissant sur l’esprit de son maître, entre lui & Bual ils gouvernent l’Autriche. Le petit prince Nicolas de Nassau est venu me faire une visite aujourd’hui. Il a beaucoup plu à Morny et cela a été réciproque. Il est très impérialiste.
J’ai recommencé à me baigner hier, & je crois que Je me remets un peu de mon mauvais moment. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Diplomatie, Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Autriche), Politique (Russie), Réseau social et politique, Salon, Santé (Dorothée), Tristesse
124. Schlangenbad, Mercredi 30 août 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai eu avant hier la visite du prince Nicolas de Nassau hier celle du Prince Emile de Hesse, il est resté dîner avec moi, mon tête à tête a été gâté un peu par l’arrivée de Lady Allice Peel. Le soir, Brockhausen a fait son apparition. Il me quitte de nouveau ce matin. Voilà bien des dissipations et des distractions agréables pour Schlangenbad.
Nicolas de Nassau, charmant, fort année en politique, très Français. Le prince Emile très sensé, impartial, reconnaissant les fautes d'un côté l'habilité de l’autre. Assurant sur serment que l’Empereur Nicolas veut la paix ; seulement il ne faut pas qu'on la lui rende trop difficile, (il est très bien placé pour tout savoir.)
L'Autriche est très sincère ; elle ne nous aime pas et vous pouvez compter sur elle dans cette affaire. Bual et Bach nos ennemis personnels comme Redcliffe vraiment nous avons été bien maladroits en gros et en détail.
Les gouvernements allemands presque tous bienveillants pour la Russie. Les peuples tous contre elle. On agit de différents côtés puissants pour amener un congrès. Si rien de trop gros n’avait lieu bientôt cela se pourrait mais un gros échec n'importe porte à quel côté empêcherait tout.
Je ne sais que penser de l’expédition en Crimée ce que je vous ai mandé avant hier me venait d’excellentes sources, & cependant les journaux ont l'air bien affirmatifs dans le sens contraire. Jamais on ne décidera le roi de Prusse à nous faire la guerre. On dit que votre Ministre à Berlin a dit que si la Prusse ne nous la ferait pas, la France la lui ferait à elle. Je serais étonnée d'un si gros propos. Je suis interrompue, adieu. Adieu.
125. Schlangenbad, Vendredi 1er septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai eu une mauvaise lettre de Constantin on connaissait le 20 août à Peterhof les conditions des alliés, et on déclare la paix impossible sur ces bases, ainsi guerre à outrance c’est le style de Constantin, je ne prends pas cela tout à fait à la lettre, cependant cela n’annonce pas de bonnes disposition. Nous avons remporté de vraies victoires en Asie, vous savez que cela me touche peu. On savait Bomarsound, on y attache peu de valeur, style de Constantin. Je suis très curieuse d’apprendre ce que vous allez faire en Crimée et si vous y allez.
J’ai vu les Shafterbury. Ils sont prés d’ici à Schlangenbad. Il dit qu’en Angleterre on souhaite la paix mais une bonne paix. La popularité de Lord Palmerston a un peu baissé. Il a trop promis & trop peu tenu comme ministre de l’Intérieur. Le ministère actuel tiendra aussi longtemps que durera la guerre. Une fois la paix faite il touchera ; mais alors il n’a pas intérêt à la faire ? J’espère que votre prochaine lettre m’annoncera la déroute de votre migraine. Nous avons eu quelques belles journées. Voilà le temps froid revenu. Ceci va devenir intenable bientôt. JE tiens encore tant qu’il y a un peu de société. Morny est inépuisable. Adieu. Adieu. J’ai vu aussi le frère de Duchâtel qui m’a beaucoup demandé de vos nouvelles. Adieu.
126. Schlangenbad, Dimanche 3 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Charles G. me mande ceci. " We are mating with anxiety for the news of the army aving landed in the Crima which was to have taken The place on the 20 th. accounts of the sidense in both armies have been frightful. I hear non that the french, troop (who have lost many thousand men are completely dismoralized and abhor the War, for which they never had any fancy. Nothing can be more deplorable than the state of things en Spain, but the last et account Look rather better ; queen Christina got away with a whole skin, and this appear to have mustered up courage to pact down [?] of the club & revolutionary journals, but Clarendon thinks Espartero with not last long. We have no treaty with Spain wich obliges us to interfere, and England & France are both agree not to burn their fingers by any wedding with Spain but to let them manage or miscarriage their own affairs as best they way. I hop the Emp. of the french will be so wise as to adhere to this policy, and you may be sure we shall, people here will never believe that Austria is taking part against Russia till a battle has been fought between the two armies. You do not care about America, but we are very ne at the conduit of that gt and live in dread of some event which may embroil us with them "
Cette dernière partie de la lettre a de l’importance. Il me parait certain que nous repoussons les quatre propositions. Je ne m’aviserai plus d'espérer, ni surtout de le dire. Je vois assez les Woronzow et toute la tribu, mais la soirée se passe toujours à 3 avec Morny. Les ministres Belges n'ont pas vu de bon œil la visite de leur roi à l’Empereur, ils trouvaient que c’était sortir du caractère de neutralité d’aller au milieu d'une armée destinée à combattre peut être une autre puissance. C'était un peu pédant cependant ils avaient raison rigoureuse ment. On a tourné la difficulté en choisissant Calais.
Le prince Albert sera à Boulogne le 6. Je crois vous l’avoir dit déjà. Greville me mande que le général l'Espinasse s’est tué. C'est faux puisque le voilà de retour à Paris, mais il est très vrai qu'on l’accuse d’avoir aventuré une partie de l’armée dans un pays pestiféré, et d’avoir sans profit aucun sacrifice la vie de quelques milliers d’hommes. Nos victoires en Asie sont bien attestées, c’est un rude coup pour les Turcs, et on dit qu'ils auraient bien envie de la paix, mais vous ne leur permettez plus de la faire.
4 heures
J'ai reçu une lettre de bon lieu que me dit que la troupe est assez mécontente de son inaction, & qu’elle va marcher avec répugnance C'est hier le 2 qui l’expédition devait partir. On ne sait pas du tout ce que nous avons là de troupes. On varie de 40 000 à 150 000. (Worosow pense toujours que c’est plutôt le premier chiffre) On est frappé de l'éloge que fait le bulletin russe de la bravoure des Turcs. On dit que ceux-ci ont bien mon de la paix. M. de Bruk. Le ministre d'Autriche à Const. tient à son gouvernement un langage, assez sinistre. Je vous redis la phrase sans me l’expliquer. Dans le courant d'octobre on s’attend à un armistice de fait, ou de droit. Je n’ai point de commentaires à ajouter, je ne sais rien de plus. Constantin m'écrira sans doute demain ou après demain, mais ce qu'il me mandait de Peterhof me prépare à du mauvais. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Affaire d'Orient, Circulation épistolaire, Correspondance, Diplomatie, France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Politique (Angleterre), Politique (Espagne), Politique (France), Politique (Russie), Politique (Turquie), Réseau social et politique, Salon
127. Schlangenbad, Mardi 5 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Il me parait clair que nous n’avons pas accepté, mais le refus est-il absolu, ou bien voulons-nous seulement traîner ? J’attends. Voilà ce que j’ignore.
Toujours une lettre de Constantin. Les nouvelles de Paris et de Londres sont bien tristes sur les pertes que le choléra a fait éprouver avec armes. Ceux qui n'en sont pas morts sont fort démoralisés, et l'on est mécontent du chef. Il est mort 3000 h. de la seule division de Canrobert. En tout, on estime la perte dans les deux armées alliées à 15 m.
Le gl l'Espinasse est venu excuser expliquer les mouvements ou plutôt l’inaction. On dit de lui qu'il est fou. Grande incertitude si l’expédition se fera ou non. Cela dépend des amiraux. C’est vraiment bien triste de penser à tant de victimes de cette malheureuse guerre. Les Woronsow partent demain. Les derniers jours ont été très tendres. Ils auraient pu l’être plutôt. Je trouve qu'on ne m'apprécie pas assez, quand on commence, & lorsque cela arrive c’est trop. Je les regretterai ; pas beaucoup. Je ne m'ennuie pas énormement. Il me semble que je partirai le 12. Mais je n'en suis pas sûre encore. Vos saurez cela à temps. Adieu. Adieu.
128. Schlangenbad, Jeudi 7 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
C. Gr. me dit que l’armée française est tout-à-fait. démoralisée, et diminuée d'un cinquième c’est ce que mande Cowley sur les rapports de St Arnaud. Cependant il voulait faire l’expédition ; mais l’étonnement est grand de ne point parvenir à connaître l’état de nos forces, il ne se rencontre pas un traitre. On dit 150 m.
Cela parait très exagéré, je vous ai dit que Woronzow n’estime pas que nous en Crimée puissions avoir plus de 50 m au surplus. Il ne se disait pas informé. Notre refus des propositions appuyées par l'Autriche laisse celle-ci sans prétexte de procrastinations, cependant on ne croit pas qu’elle nous déclare la guerre, mais on pense qu’elle avancera lente ment à mesure que nous reculerons jusqu’à notre frontière. Elle occupera paisiblement les principautés et se croisera les bras.
La paix paraît plus éloignée que jamais.
Tout cela est un curieux spectacle. Si la guerre a été peu glorieuse pour nous jusqu'ici, elle n'a pas beaucoup réhaussé les puissances alliées. Il semble qu'on soit respectivement frappé d'impuissance, à moins que la Crimée n'en fasse, exception, ceci aura été une pauvre campagne. La durée nous est plus favorable qu’à vous. Nous sommes au centre de nos ressources. Vous êtes éloignés des vôtres. Ce que vous n’avez pas pu attaquer cette année-ci vous le pourrez bien moins l’année prochaine car nous aurons employé le répit à nous renforcer. Vraiment de part & d’autre ce qu'il y a de mieux à faire c’est de s’arranger. Comment faire passer ces vérités dans les têtes qui gouvernement, ou dans plutôt celles que ne gouvernent pas les Anglais. Les Cabarets et les journalistes là. Le journal de Francfort dit que la Reine Christine est atteinte d'aliénation cérébrale. La princesse [Crasalcoviz] vient d’arriver ici. Folle aussi. Elle ne veut pas voir Morny, en ce cas elle ne viendra pas me voir car il y est sans cesse. Demain je vous manderai le jour de mon départ. Adieu. Adieu.
129. Schlangenbad, Vendredi 8 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je quitte ceci Mardi le 12. Ce n’est qu’à Cologne que j’apprendrai si je vais droit à Bruxelles ou Ostende. C’est selon où se trouve Hélène. Adressez vos lettres à Bruxelles. Voilà qui nous rapproche. C’est de la pure imagination mais il me semble que je vais vous voir. Il fait déjà très froid ici. La Princesse Crasalcoviz y reste jusqu'à mon départ. Morny partira avant moi et puis il ne restera plus personne.
Regardez un peu vers les Etats-Unis. Il me semble qu'il se prépare là des choses qui peuvent donner une tournure nouvelle aux affaires de ce côté-ci. Les journaux sont assez intéressants. Le journal. de Francfort a des correspondances curieuses et très officielles. Il est au service, de plus d’un gouvernement Adieu. Adieu.
Tout ce que vous dites de là . situation est parfaitement la vérité. Chez nous on ne l'écoute pas, on n'écoute plus que l'orgueil. On a peut être raison.
130. Schlangenbad, Dimanche 10 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je suis profondément triste. Le langage s'envenime, et voilà Sébastopol qui sera une bien sérieuse affaire de quelque façon qu’elle tourne personne ne voudra avaler un revers.
Que vais-je devenir au milieu de violences que je prévois ?
Je pars demain pour Biberich où je couche. Mardi à Cologne. Mercredi à Bruxelles. Là je déciderai si j’irai encore trouver Hélène à Ostende. Je pense que oui mais vous adresserez toujours à Bruxelles. J’ai vu la duchesse de Nassau chez elle et chez moi. Le duc aussi. Celui-ci très russe. Il a vu l’Empereur d’Autriche dernièrement qui lui a semblé bien pacifique. Il affirme que l’armée autrichienne toute entière voit la guerre avec la Russie avec la plus grande répugnance. L'armée les grands, tout le monde est pour nous. Bach & Bual, contre. Il est bien douteux que l’Empereur se décide à se battre contre nous. Les journaux allemands surs paraissent donner raison à cette opinion là.
Morny part demain aussi. Il retourne à Paris par Strasbourg. Schlangenbad est fini, il n’y reste plus un chat que Crasalcoviz qui ressemble bien plus à un tigre. Adieu. Adieu.
131. Biberich, Mardi 12 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Un mot d'ici où je suis venu coucher hier soir. J'y trouve les Shaftesburg. Nous nous embarquons ensemble. Si Constantin n’est pas à Cologne, ou s'il n'y reste que ce soir je continuerai ma route avec eux jusqu'à Bruxelles. Quel moment. Ce Sébastopol ! Vous voyez que l’Autriche est bien décidée à la neutralité. Je vous ai toujours dit que Je doutais qu’elle put jamais nous faire la guerre. La Suède aussi se tient en prudence. J’apprendrai des nouvelles à Bruxelles. Adieu. Adieu & Adieu.
132. Bruxelles, Jeudi 14 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Enfin me revoilà près de Paris C’est le seul sentiment joyeux qui accompagne ma rentrée de Bruxelles. J’ai fait tout le voyage avec les Shaftesburg et le Marquis d'Areglis. Tous charmants. Je trouve ici Mad. Kalergis, très curieuse à écouter, d’autant plus que mon rendez-vous à Cologne avec mon neveu a marqué au moment de partir il reçoit la nouvelle que le roi de Prusse revient le 11 à Berlin de Pulbus. Impossible de s'absenter. Le roi est malade d'une tumeur à la jambe, causée par une chute, et il revient pour le soigner. Je n’ai encore vu personne de ce pays-ci, mais je trouve les journaux. Evidement l'Empereur ira en Angleterre, ce sera au retour du voyage de La Reine en Ecosse. Il sera reçu là avec enthousiasme. J'ai recueilli ces derniers jours bien des renseignements curieux. Par exemple le prince Albert déteste, mon Empereur. Dépit personnel. C'est étonnant que depuis mon empereur a blessé.
Kalergis raconte beaucoup de choses. Des résolutions soudaines violentes, des défaillances. Un grand décousu. Dirigeant tout jusqu’au moindre détail les opérations qui s’excitent au loin. Pas d’idée de fléchir. Jamais nous ne consentirons à la destruction des traités anciens. La seule chose à concéder serait la liberté de la mer noire. Rien au delà.
L’Empereur très triste, très sérieux. Nesselrode obligé d'obéir, pas très découragé. Orloff n’ayant fait et dit que des bêtises à Vienne. Confiance que l’Allemagne unie empêchera la guerre générale.
D’un autre côté j’entends dire que la conduite de l’Autriche la rendra inévitable, & que vous ne serez pas fâchés de la porter sur le Rhin. Enfin, le présente est détestable et l’avenir est pire.
Je vais me reposer si je puis aux milieu de l’agitation d’esprit où je vis. Que sera Sébastopol ? Le Moniteur a bien fait de tempérer. Le langage de St Arnaud. Le public doit être autrement traité que le soldat. Je regrette que votre Empereur dise des choses dures au mien. Adieu. Adieu.
P.S. Je me reprends. Les journaux demandes les discours.
Mots-clés : Diplomatie, Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Allemagne), Politique (Angleterre), Politique (Prusse), Politique (Russie), Réseau social et politique, Salon, Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne), Voyage
133. Bruxelles, Samedi 16 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Hélène me quitte dans quelques jours pour s’en retourner en Russie. Mon fils l’accompagne. Van Praet va faire un voyage en Suisse et en Italie. Brokhausen est absent en congé. Creptovitch va partir pour un mois pour la chasse. Voyez l'isolement où je reste ? Jamais je n’ai été si découragée et si triste. Vraiment il ne vaut pas la peine de vivre dans ces conditions.
Mon logement provisoire est un tombeau, et il n'y a pas un coin dans aucune auberge. Je cherche une maison. On ne les loue que pour l’année. Je n'en veux pas, mon imagination répugne à un pareil engagement. Plaignez-moi beaucoup. Je suis bien à plaindre. Je ne connais ici personne. Cerini pour toute ressource. Et La mauvaise saison qui s'avance.
Le roi Léopold est revenu bien content de son entrevue avec votre Empereur. Elle a été utile pour tout le monde. Il a reçu une impression très favorable. de la manière tranquille et digne de l’Empereur. Il lui a trouvé beaucoup d’esprit, aucune passion dans l’affaire du moment, le désir de la paix. Beaucoup de franchise et de simplicité dans son langage. Enfin il a été parfaitement satisfait de cette entrevue et frappé de la personne.
2 heures.
Quelle fête 4 lettres à la fois ! Je m’inquiétais, je ne savais comment expliquer le silence. La poste était prévenue les journaux venaient. Mais point de lettre. J'envoie Galloni, et les voilà jusqu'au 159 inclus. Merci, merci, et Merci. A présent nous rentrons dans l'ordre. Adressez vos lettres à Bellevue. C'est là que je suis provisoirement. Le temps est encore beau que je regrette l’air vif des montagnes. Adieu. Adieu.
134. Bruxelles, Lundi 18 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Pas de lettre hier. J’attendrai aujourd’hui. Je n'ai rien d’autres part non plus, & personne ici ne sait un mot de nouvelles. Le monde entier regarde Sébastopol et attend ce qui sortira de là. Je crois que nous ne sommes pas assez forts en Crimée.
Vous avez une grande supériorité de nombre. Ce sont donc les accidents sur lesquels nous avons à compter en notre faveur. Ce qui me frappe c’est la crainte qui excite en France & en Angleterre sur l’issue de cette expédition. Les plus sensés la trouvent extravagante. J’ai peur qu’elle ne le soit pas. Nous ne pourrons savoir des nouvelles que dans quelques jours d'ici. Quel moment curieux. Le roi Léopold part ce matin pour aller visiter sa villa sur le lac de Come. C’est agréable de pouvoir se donner ce loisir au temps qui court. Il reviendra à la mi octobre pour les chambres. Ses ministres ont retiré leur démission. Hélène et Paul me quittent à la fin de la semaine ; quelle perte !
Dans ce moment une lettre de Constantin. Je n’y trouve pas de gasconade sur Sébastopol. Bien mauvais signe pour nous. Evidemment nous n'y sommes pas forts. Le dernier mot est : « Si Sébastopol est, détruit, l’Empereur ne peut plus faire la paix de sitôt. » Toute sa lettre est triste. Voici la vôtre aussi qui n’est pas plus gaie mais plus agréable dans tous les sens. que vous voudrez donner à ce mot. Pauvre Constantin ! Je vous ai dit que je suis à Bellevue, mais ni chez Kisseleff ni chez moi. A propos il est ici, il est tout de suite venu, empressé et embarrassé. Je le mets à son aise, c’est fini, il sentira son tort longtemps cela me suffit.
Barrot est très empressé aussi, les autres diplomates sont absents. Bruxelles est un désert. Molé a été si malade. qu'il lui a fallu se transporter à Paris pour rester sous la main d'Andral. Aucun de ses enfants ni de ses amis, tout seul. Une lettre triste et bonne. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Armée, Circulation épistolaire, Conditions matérielles de la correspondance, Correspondance, Diplomatie, Diplomatie (Russie), Enfants (Benckendorff), Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Politique (Belgique), Réseau social et politique, Salon, Tristesse
135. Bruxelles, Mercredi 20 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vos lettres font la seule joie de ma vie. J'en ai eu une excellente de Morny. Il quittait Paris pour aller passer quelques semaines à la campagne.
La respiration manque quand on songe à Sébastopol & on ne pense qu’à cela. Quelle boucherie cela va être ! L’ordre du jour de Menchikoff est le pendant de celui de St Arnaud, il n’y a pas à reculer. On ne se rendra pas. Cela fait frémir. Je persiste à penser que vous réussirez à moins que le ciel ne s’en mêle, c’est à dire les tempêtes. Et voilà l'équinoxe.
Je mène une pauvre vie ici, et dans quelques jours ce sera complet par le départ d'Hélène et de Paul. Van Praet habite la campagne, je ne le vois qu'un instant dans la journée, mais tout cela qui est cependant tant dans ma vie ne serait rien si je n’avais l’esprit bien agité. Je ne dors pas, j’ai perdu tout appétit. Je m'efforce de me tenir sur mes jambes, de vivre encore un peu de temps. Cela n’ira pas. La tête est trop tristement remplie et personne auprès de qui m'épancher et chercher conseil.
Un moment suprême s’approche pour moi. Dites-moi, si vous vous sentez le cœur de me faire un sacrifice. Vous allez faire des visites de 15 jours chez le duc de Broglie, vous faites des courses de Paris au Val Richer pour un jardinier. Ne pourrais-je pas être un peu le jardinier, un peu le duc de Broglie ?
Pour moi c’est un peu la vie ou la mort. Je ne sais pas prendre un parti et je suis force cependant de le faire. Je ne vais pas au devant des bombes, mais elles peuvent venir à moi. Il m'en est arrivée déjà une indirecte hier qui me bouleverse. Il faut bien du courage et j’en manque. C’est du très loin que je vous parle. Et bien, dites-moi, voulez-vous ? pouvez-vous ? quand pouvez-vous ?
J’ai été interrompue par la visite du G. D. de Weymar. Il ne passe ici que quelques heures. Même langage que tous les Princes en Allemagne. La paix, la paix. Votre Empereur. Blâme du mien. Pas de confiance dans le roi de Prusse. L'Empereur d'Autriche ne permet qu'à ses ministres de lui parler d’affaires. Bual & Bach, tous deux nos ennemis. Sébastopol agace les nerfs de tout le monde. Le temps est beau encore. Que me fait le beau temps. Adieu. Adieu, mon Dieu que je suis triste et flottante. Adieu.
136. Bruxelles, Vendredi 22 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Ma dernière lettre vous a-t-elle contrarié, touché ? Je reste perplexe et la respiration me manque quand je pense au faible fil qui me tient encore en vie et en good sense. Car je crois quelque fois que ma tête, m’abandonnera. Certainement je n’y trouve pas la force nécessaire pour prendre un parti. Vous me dites bien à propos aujourd’hui aucun moraliste n’a assez dit ce qu'il y a de contradictions dans notre cœur. Tantôt nous nous précipitons follement dans nos craintes, tantôt nous les repoussons absolument. Un rien chez moii fait pencher la balance vers un côté, & puis je m'arrête effrayée. Ah que j'ai besoin de secours. Je vous remercie de critiquer l'article sur Meyendorff. L'auteur est bien léger, il traite les sujets qu'il ne comprend pas. Quel dommage ! L'occasion était si bonne pour de bonnes choses.
Brunnow et Kisseleff ne sont pas infames, surtout le premier. Je ne sais pourquoi cettedistinction. L'un et l'autre ont mal servi, mal renseigné. Dans ce moment on leur ordonne de faire les morts, on ne veut pas d'eux à Pétersbourg. Meyendorff, que le public accuse aussi, a conservé toute sa faveur personelle auprès de l'Empereur. Il a été nommé grand [?] de la cour, mais on le conserve sur les cadres de la diplomatie et certainement il reparaitra quand la Russi retrouvera sa place ne Europe. Quand cela sera-t-il ? Mad. Kalerdgis part dans quelques jours pour Paris où elle va passer l'hiver. Elle est très agréable et bonne à faire jaser. Au fond là à Pétersbourg comme de ce côté-ci on pense de même, on reconnait les fautes. L’auteur seul ne les reconnait pas.
Le drame de la Crimée peut traîner en longueur. Quelle angoisse. Adieu. Adieu, que me répondrez-vous ? Je crois que j’ai tort de douter, mais je suis si accoutumée aux revers. Ah que celui-ci serait dur. Adieu.
137. Bruxelles, Dimanche 24 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le cœur me bat bien fort en attendant votre réponse. De toutes les angoisses, celle qui peut me faire douter de votre affection est la plus intolérable. Je ne vous ai peut être pas assez dit l'urgence. Si je pouvais vous expliquer de loin ma situation mais c’est impossible. Il me faut un conseil, où le chercher ? Il n'y a que vous au monde pour me guider et me secourir. Tout ce que j’ai de raison et d’esprit ne me vient pas en aide. C'est la résolution qui me manque, il n'y a que vous qui puissiez me la donner. J'ai de curieux renseignements sur l’Autriche. Elle est bien pris d'une banqueroute. L'emprunt volontaire a été en effet un emprunt forcé. Si elle était entraînée à la guerre, ses finances dégringoleraient d'emblée jusque dans la cave. Elle ne peut donc pas la faire, elle ne veut pas la faire. Toute l'armée est contre, voir même le général Hesse qui la commande.
Politiquement, elle ne se soucie pas du tout de voir l'Angleterre prendre pied dans la mer noire ou seulement participer à la liberté de la navigation du Danube à son embouchure. Elle nous préfère bien aux Anglais.
Bual est absolument aux mains de Bourqueney. Lui et Bach sont vos seuls ennemis. Je suis frappée des deux Moniteurs de suite reproduisant une brochure la Prusse et la Russie. C’est bien fait.
L’Empereur Napoléon a fait à Cowley un éloge énorme du Prince Albert, frappé de son mérite, de son esprit & & Le Prince l’a invité au nom de la Reine de venir à Windsor avec l’Impératrice. Il a répondu qu’il espérait voir la reine à Paris. Tout ceci m’est mandé pas Greville. Voilà Lady Alice qui arrive pour m’interrompre. Adieu bien vite.
138. Bruxelles, Mardi 26 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre m'a raffermi le cœur. Je regrette bien le délai, je serai bien embarrassée d'ici là peut être. Mais que faire, puisque vous ne pouvez pas avant. Si vous étiez là je vous rappellerai ce que je vous ai souvent dit même il y a 17 ans. Je viens après bien du monde. Vous l'avez contesté, j’ai maintenu mais ne disputons pas, surtout jamais de loin. J’attendrai le 12, Dieu sait avec quelle impatience ! Vous dites du 12 au 15, il est bien clair que je vous verrai au moins le 14 ?
Il est venu des renseignements. de Vienne selon lesquels nous serions en Crimée bien plus fort qu’on n’a jamais pensé. On dit 130 mille hommes. Cela me parait bien exagéré. Mon neveu avait rapporté à peine 60 mille ans la garnison de Sébastopol. Et puis si cela était, comment avoir laissé débarquer. Comment attendre encore que vous fassiez venir vos renforts ? Je ne crois plus ni à la force, ni à la rue, ni à aucune habilité chez nous. Mais je deviens tous les jours plus curieuse de ce qui va se passer là.
Lady Alice Peel m’est arrivée. Ce n’est pas un renfort très nécessaire, surtout tant que Kalergis et Hélène sont ici. Elle aurait mieux fait de venir la semaine prochaine. Elle repart demain. Lady Raglan qui est ici a refusé absolument de me voir. C'est un procédé de house keeper, et qui étonne tout le monde en Angleterre. Elle m’a écrit un billet que je garde. Un chef d’œuvre.
La lettre de Greville est curieuse aussi mais d'une autre façon. Je mets de côté ce qui pourra vous divertir. J'ai eu avant hier de la musique. Kalergis, Olga, et un neveu de van Praet, tous trois hors ligne. Hier personne que van Praet, tout le monde était en l'air, les fêtes de la Révolution, illuminations & Cérini est dans son lit malade. Je suis très mal campée ici. J’ai toute espèce de misères. Gallons part. Auguste est dans une maison de santé. Je reste avec Jean. Je ne jouis de tous mes désastres, j’aime les choses complètes. Adieu. Adieu.
139. Bruxelles, Jeudi 28 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Pourquoi êtes-vous si content que Mad. Kalergis passe l'hiver à Paris ? Explain.
J’espère que vous me trouverez encore en vie le 14 octobre, mais je n'en suis pas sûre du tout. Ma santé et ma tête sont dans un état très alarmant. Je ne dors pas au delà de quatre heures.
La nuit, encore ce sont les bonnes. Je me traine à peine en marchant. J'ai beaucoup maigri depuis ces quinze jours de Bruxelles. Je tousse abo minablement. Il faudrait un miracle moral prodigieux pour me remettre. J’ai beaucoup de peine à rassembler mes idées pour écrire une lettre. Ce serait bien dommage si je perds l’esprit.
Mad. Aurige est venu passer un jour ici. Son mari lui mande que personne à l’armée ne sait où il est à marche & contre marche ; lui commandait l’arrière dans la retraite. Le décourage ment et le mécontentement sont grands. On n'a jamais fait la guerre comme cela. Le cœur bat bien fort en pensant à Sébastopol. Et c’est égal de quelque façon que cela tourne, l’idées de cette horrible lettre effraye l'imagination. Je persiste, nous serons battus.
J'aime bien ce que le journal de l'Eure raconte de nos prisonniers. Je viens de le lire dans les Débats. Je ferme ceci bien vite car on entre. Adieu. Adieu.
140. Bruxelles, Samedi 30 septembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je ne reçois jamais vos lettres régulièrement. C’est quelque fois le matin, d’autres le soir. Voilà ce qui a fait que ma réponse à votre venue n’a pu être faite que le lendemain, car passé quatre heures, ici on n'écrit plus. Kalergi n’est rien comme précédent. Elle est grecque ou anglaise. Passeport grec très libre. Je vois que vous fondiez des espérances sur cela. Hélas. Elle est partie ce matin, à la même heure Hélène pour la Russie emmenait mon fils jusqu’à Dresde. à la même heure van Praet pour une tournée. Il ne me reste absolument que les Creptovitch. Jugez !
L’Empereur sera à Varsovie, le 20 octobre, il y restera, c’est bien. Pour la guerre ou pour la paix. Il dirigeait de la Néva les opérations sur la mer noire & le Danube. Nous avons vu comme cela a été. L’Impératrice ira se fixer à Moscou. Toute la garde impériale c.a.d. 80 mille hommes sont dirigés sur Varsovie. Nous présenterons là un front de 200 m hommes à ce qu’on dit.
En Crimée nous n’avons pas 40 mille, imaginez ! On parle beaucoup de mauvais état de votre armée. Je n’y crois pas. Vous n’aurez pas entrepris l’expédition. On croit main tenant que nous serons quelques jours encore sans nouvelle importante de Sébastopol. En tous cas on ne peut pas le prendre par un coup de main. Brunnow a été appelé à Pétersbourg, ce n’est pas pour le consulter sur des opérations militaires. Moi je suis bien aise qu'il y aille.
Voici votre lettre. Je n’accepte décidément pas le 12. Votre santé avant tout. Reposez-vous bien à Paris je vous en conjure, portez vous bien et ne vous fâchez jamais contre moi. Il me semble que pour le quart d’heure je n’ai pas d’autre vœu. Vous êtes bien mon premier en toute chose.
Je n’ai pas lu encore la lettre de la reine Christine. Les premières paroles me paraissent bien dignes. Mon lecteur Auguste est à l'hôpital. Cerini ne sait pas lire. Emilie assez mal, & mes yeux presque pas. Adieu. Adieu.
141. Bruxelles, Dimanche 1er octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lady Raglan vient de recevoir une dépêche télégraphique de Vienne qui lui annonce une grande bataille livrée le 20. 50.000 Russes battus & en retraite (retraite où ? Je ne sais pas.) On ajoute sans le garantir que Sébastopol est tombé. Vraiment si c’est vrai, c’est bien vite. Je suis très nervous de cette nouvelle. D'une façon ou de l’autre je savais bien que je serais très émue. Je le suis plus que je ne pensais. Cela me touche tout juste sur une déplorable nuit. Je n’ai dormi que trois heures. Je suis brisée. Pas de lettres de vous ce matin. Au fond mon isolement dans ce moment a un côté convenable. Que dire devant des faits si honteux pour nous ? J’aime mieux ne pas parler cependant je ne veux pas croire encore à la reddition de Sébastopol.
Ma lettre est interrompue par des récits de domestiques, des éditions de journaux Belges. Je ne crois que le Moniteur et c’est bien assez. Il n’est pas midi encore.
Lady Alice est ma seule, ressource dans ce moment. Elle reste jusqu’à jeudi. Très bonne femme et résignée à mes mauvaises manières pour elle. Vous les connaissez. Adieu. Adieu. Hélas moins que jamais la paix.
J’espère que votre séjour ici ne sera pas étranglée. Je me désole déjà en pensant que vous voudrez me traiter moins bien que ne vous traitent vos amis, ou que vous ne les traitez. Je vous prie, je vous prie.
142. Bruxelles, Lundi 2 octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je n'ai jamais vu des gens démoralisés comme mes russes. Crept. Kisseleff tout cela anéantis. C’est ridicule. Il faut d’abord savoir si tout ce qu’on dit est vrai. Moi, je ne m'en tiens qu'au Moniteur. Et bien, une bataille perdue et une retraite. Attendre. Je ne puis pas croire le reste à la reddition si facile de Sébastopol, & à la lâcheté de la garnison. Si cela était, alors il serait temps de se voiler la face. Vous ne vous faites pas une idée du mécontentement et des propos contre le maître, le nôtre. C’est d'un excès à un autre. Il réussit sait toutes les qualités les plus merveilleuses, il n’en possède plus une.
Je suis d'une grande curiosité. Si vous avez eu ce succès magnifique, vraiment, il ne vous faut rien de plus, et la paix viendrait bien à propos sur un pareil triomphe. Vous pourriez même vous montrez faciles & généreux. Reste toujours à savoir si nous accepterions même le raisonnable. Je crois que oui, car l’Europe entière s'en mêlerait pour de bon.
Le 3. Mardi. Ma lettre n’est pas partie, elle n'en valait par la peine petite et grande Russes viennent chez moi l’un après l’autre. Leur langage est vraiment étonnant. C'est moi qui les calme cela me fait rire. Si l'on est comme eux en Russie, ce serait menaçant. Je ne crois pas encore que Sébastopol soit tombé. Je m’en tiens au Moniteur. Le rapport de St Arnaud ne dit rien sur ce ton, et les télégraphes privés ont été trop menteurs pour y croire. Pourquoi n’ai-je pas de lettre aujourd’hui. J'en suis triste, ne me donnez pas du chagrin, j’en ai assez. Lady Alice est encore ici pour deux jours. Il faut que je sois bien pauvre pour regarder cela comme une ressource.
Je compte les jours, je compte les heures. 10 jours. 240 heures. Je ne vous attends pas avant le 13. Je vous ai dit qu'il faut que vous vous reposiez. Je vous prie. Prenez le soir avant, et donnez moi après tout ce que vous pourrez Je suis à vos genoux. J'ai encore eu une bien bonne lettre de Morny. Il est en Auvergne et revient à Paris vers la fin du mois je pense. Adieu. Adieu. Votre dernier lettre est de vendredi. En y pensant, c’est bien long. bien je devrais m'inquiéter. Ni hier ni aujourd’hui, rien qu’est-ce qui vous est arrivé ? Adieu. Adieu.
143. Bruxelles, Mercredi 4 octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Ma vie reste suspendue à une lettre. Trois jours sans lettre ! Comment voulez-vous que je n'en tombe pas malade d'inquiétude. Je ne sais que croire. Je crois le pire. La dépêche du Prince Menchikov du 26 septembre donne un formel démenti à toutes les nouvelles de télégraphe. Sébastopol n’est pas tombé et nous avons de quoi le défendre. Mes Russes étaient redevenus gaillards hier. Trop même. Toujours de l’excès. Nous avons encore à attendre des nouvelles décisives. Elles ne peuvent venir qu’après demain.
Midi. Ah Dieu merci, je l'ai prié, & remercié à genoux. 2 lettres. Vous ne saurez jamais les agitations de mon cœur. Je n'ai que cela à vous dire aujourd’hui. Nous commençons à croire que Sébastopol ne sera pas pris. Ce serait en France comme en Angleterre un grand désappointement. On a trop cru au succès. Au reste, attendons. Quel malheur de ne pas pouvoir se parler dans un moment pareil. Ici grands & petits dans les rues, on ne parle que de cela. Quel spectacle curieux.
Adieu. Adieu, pauvre lettre, mais Vous serez bien aise de me savoir l'âme en repos. Que me fait Sébastopol pourvu que j’ai vos lettres. Adieu.
144. Bruxelles, Vendredi 6 octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Il y a eu hier six mois que nous nous sommes séparés. Jamais nous n'étions restés si longtemps loin l'un de l’autre. Ah que cela a été long !
Il est clair maintenant qu'on s’était trop pressé de croire à la prise de Sébastopol. Nous nous défendons bien. L'honneur au moins est sauvé. Mais pourrons-nous tenir longtemps ? Vous êtes plus fort. N'y a t-il pas de quoi frémir ne songeant à ce sacrifice énorme de vies humaines. Moi cela me bouleverse. J’ai le cœur bien tendre à l’endroit des Français. J’ai trouvé les Anglais bien sauvages ils m'attendrissent moins.
Lady Alice est partie. Vraie perte pour moi. Des dévouements, des soins, de bons sentiments. Si je vous avais écrit hier je vous aurais effrayé sur mon compte. J’étais bien malade. Il m’a fallu un médecin, un inconnu. Le connu est en voyage avec le roi. J’étais mieux vers le soir.
J’apprends dans ce moment que le 23 vous étiez à Balaklava au sud de Sébastopol, que votre artillerie de siège était arrivé & que Menchikoff avec 20 m hommes était au nord à Bakhtchissaraï. vous prendrez Sébastopol, car je doute que les renforts arrivent à temps.
Que je vous remercie de votre 173 bien bon et tendre.
Ayez bien soin de faire aérer votre chambre à Paris. Vous y passerez 24 heures, faites y faire du feu. Le temps est très laid ici, une tempête affreuse. Adieu et bien adieu.
145. Bruxelles, Dimanche 8 octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lord Lansdowne est ici malade. Je l’ai vu. Vous connaissez ses formes réservées & convenables. Nous avons donc qui parler de tout. Il croit comme moi à la chute prochaine de Sébastopol et il dit à ceci : " Si Séb. tombe, tout motif de guerre disparait ; vous aurez perdu votre influence et votre prépondérance en Orient. C’est ce qui nous fallait. La guerre ne sera plus qu’une question d’honneur. Ce ne sera plus une question politique. La mort du M. St Arnaud leur cause un certain plaisir, c’est Raglan qui aura le commandement des armées alliées.
Le Cabinet anglais se réunira à la fin de ce mois. Il parle assez légèrement de Lord Aberdeen et comme d’un premier ministre qui n’est pas chef du tout. Je le verrai encore et nous recommencerons. Le 30 Menchikoff s’était rapproché de Sébastopol, les Français ne lui avaient pas disputé la position du fort Nord. Nous croyons ici que l’affaire peut durer, si elle traine nos renforts arriveront. Gladstone a écrit hier à Lansdowne que les frais de la guerre sont déjà couverts par le surplus de la recette du dernier trimestre dont le rapport va paraître. Certainement la guerre n’est pas incommode à l'Angleterre. Lord Palmerston ne donne pas fini à l’époque de notre rencontre. Grande satisfaction dans sa gestion de l’intérieur, il ne s'en occupe qu’avec ennui, & dégout. Je vois très peu de personnes ici. Tous les diplomates sont en congé. Il n'y a que les Russes & vous savez ce que c’est. Van Praet n’est pas revenu encore.
Le roi se plaît beaucoup dans sa villa du lac de Come. Je serais étonnée qu'il la quittât. C'est la vie qui lui convient. Le goût de solitude et de retraite a même déteint sur ses enfants. Le duc de Brabant à la même disposition. C'est bien dommage. Je me sens un peu mieux depuis hier, mais je ne réponds pas de demain. Pauvre, pauvre santé. Adieu. Adieu.
J’espérais bien que le drame de la Crimée serait fini à l’époque de notre rencontre. Il n'en sera rien. Nous ferons encore de plans de campagne. Nous en ferons d'autres aussi. Adieu, adieu.
146. Bruxelles, Lundi 9 octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le Marquis de Lansdown est retenu ici par la goutte. Il croit qu'il n'en sera pas débarrassé avant la fin de la semaine et se réjouit bien de l'idée de vous voir. Il est en grande admiration de vos deux volumes qu'il a achevés hier. JE cause avec lui beaucoup et agréablement. Constantin me mande de Berlin en date d'avant-hier que Menchikoff avait reçu 20 m d'hommes de renfort depuis la bataille de l'Alma. Les opérations du siège pourront trainer en longueur, & le temps nous est favorable. Tout cela est bien mieux. Mes Russes sont très remontés, beaucoup trop. Ils sont toujours hors de mesure. Voici ma dernière lettre au Val Richer. Quel bonheur. Vous me direz pour quel jour & quel train vous vous êtes décidé Adieu. Adieu. Je vous écrirai encore à Paris.
147. Bruxelles, Mercredi 11 octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Me voici encore sans lettre depuis deux jours. La dernière est de Samedi. C'est bien provoking, et je ne sais pas au juste. Si j'ai à vous attendre demain ou après-demain. Vous ne voulez pas que je m’inquiète, mais malgré l’expérience je retombe sans cesse. Je vois deux fois pas jour mon gouteux (Lansdowne) il va mieux ce qui me fait de la peine ; sa société me plait quoiqu'il soit devenu un peu sourd.
Nous sommes dans une grande curiosité des ennemis de Crimée. Si Menchikoff a ses renforts, cela peut-être prolongé et contente, si non, c'en est fait de Sébastopol. Je ne sais ce que je dois désirer dans l’intérêt de la paix, car c’est toujours à cela que je regarde. Je n’ai pas envie de vous dire autre chose aujourd’hui qu’adieu. J’espère bien que ce sera ma dernière. lettre. Fixez-moi l'heure.
148. Bruxelles, Mercredi 11 octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici ma seconde lettre aujourd’hui. C'est pour vous dire que Lord Lansdowne vous attend avec beaucoup d'impatience. Il veut partir pour Londres samedi mais il désirerait bien vous voir. Je vous promets à lui pour vendredi au plus tard, mais je veux que vous sachiez qu'il y a deux personnes au lieu d'une qui désirent vivement votre venue. Hâtez-vous donc je vous en prie. Je ne conçois pas que je n'ai pas un mot de vous. C’est déplorable. Rien depuis Samedi. On me dit que cette lettre pourra vous être remise demain à 5 heures de l’après midi. Adieu. Adieu.
149. Bruxelles, Samedi 21 octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Me voilà donc seule, après huit jours si remplis, si heureux. Il me semble que tout cela a été un jour.
Le mauvais temps a empêché la promenade & les visiteurs. Cerini pour me distraire !! Le soir van Praet & Creptovitch, celui-ci de trop. J’ai eu une lettre de Greville. Ils ont eu des rapports détaillés. 7 000 malades du Choléra et des Anglais seuls de la fièvre c'est effrayant. Le reste de la lettre un étonnement de la conduite de Menchikoff surtout de n’avoir pas inquiété ou empêché la marche sur Balaklava. Ferme résolution d'aboutir là. Ferme résolution de faire le pendant dans le nord lorsque la saison le permettra décidés à être sauvages une fois qu’ils s’y sont mis. Voilà la lettre.
On annonce le commencement du bombardement le 13. Cela se rapproche de la date du 12 qu'on vous avait prédite. Nous avons bien ri hier Van Praet & moi de la surprise du capitaine Clamande à votre nom. Aurez-vous vu Montebello ? Je lui ai écrit. J’ai écrit aussi à Ste Aulaire, aujourd’hui. à Morny. Adieu. Adieu.
150. Bruxelles, Dimanche 22 octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Hier rien, ou à peu près. Menchikoff mande en date du 14. Rien n’est changé, tout va bien. Nous ne savons pas trop ce que cela veut dire, peut être une dépêche de la veille égarée.
J’ai vu le soir vaudrait & Lebeau. Celui-ci est resté tard. Je ne me suis pas endormie. Il m’a parlé de la France et des personnages des dernières 24 années. Il les connait tous et me parait les juger bien. Sur le roi Louis Philippe, il m’a dit des choses nouvelles pour moi. Ses importunes, ses colères ne souffrent pas la contradiction. Je ne savais pas tout cela.
Voici surtout ce qui a fait que je n’ai pas dormi. Il de vous m’a parlé et avec une admiration charmante. Votre Cromwell il le sait par cœur. Il l’a dévoré & veut le recevoir encore. Il trouve Cromwell (l'homme) sublime, superbe. Il était d'une éloquence effrayante. Voilà ma soirée.
Dans ce moment on m’apporte votre lettre très intéressante. Mais hélas où est la parole. L’Allemagne préoccupe tout le monde, c'est une grande affaire ; mais je ne crois pas possible que la Prusse se sépare de l’Autriche. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Correspondance, Femme (diplomatie), France (1830-1848, Monarchie de Juillet), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Histoire (Angleterre), Louis-Philippe 1er (1773-1850), Politique (Allemagne), Politique (Autriche), Politique (Prusse), Réception (Guizot), Réseau social et politique, Salon
151. Bruxelles, Lundi 23 octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Si je suis bien informée, l’Autriche veut attendre le printemps avant de se lier par traité à la France & à l'Angleterre. Mais elle demande secours si d'ici là elle en avait besoin contre nous. On dit que c'est là ce que M. de Serres est venu de Vienne porter à Paris. La réponse de la Prusse est bien mal faite et bien embrouillée mais au fond elle ne peut pas plaire à l’Autriche. Je l'ai lu hier dans l’Indépendance, je pense que vous l'aurez aujourd’hui dans les débats. A propos vous y aurez surement lu avec plaisir une vieille dépêche de M. de Burst à l’adresse de l'Angleterre. Me voilà une bonne.
Mardi matin. Le temps détestable continue ; pas de promenade possible. Pas de visiteurs, car il pleut Hier Creptovitch par torrents. Pendant mon dîner, toujours noir ; la veille Kisseleff de même couleur et frondeurs tous deux. Le soir toujours Van Praet & Convay. On attend le roi aujourd’hui. Il sera bien troublé de la situation confuse de l’Allemagne. Je crois toujours que les petits iront à l'Autriche, mais il faudra des coups peut être pour y forcer la Prusse. On dit que M. de Mantenffel a tout-à-fait épousé les idées du roi.
Sébastopol traine. On ne comprend pas que Menchikoff n’ait pas inquiété les travaux de siège. Mais il n’a su rien faire. Voici ce que j’apprends de positif. Si l’on forçait la Prusse de sortir de sa neutralité pour des intérêts qui ne seraient ni prussiens, ni allemands. Mantenffel se retirait décidément. Les procédés violents de l’Autriche contre nous ont excité à Berlin une réprobation générale, & rappelé les mauvais temps du prince Schwarzenberg contre la Prusse. Midi. Voilà la poste venue et point de lettres. Est-ce qu’elle va reprendre ses allures hostiles. Je suis bien triste de n’avoir rien. Adieu, adieu.
152. Bruxelles, Mercredi 25 octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
La dernière dépêche de Menchikoff du 18 annonce bien les horreurs de la guerre de siège. L'Amiral Korniloff tué commandait la place, notre meilleur officier de marine et d'une bravoure sans pareille. C’est une perte bien grande. Tous les jours nous allons apprendre des nouvelles c.a.d. des horreurs.
Voici vos deux lettres. à la bonne heure. Je suppose que les journaux Français répètent les bulletins russes que le télégraphe apporte ici le 6ème jour.
Constantin m’a enfin écrit à Pétersbourg, on craignait que l'ennui se retirât sans même offrir la bataille. Voilà les rêves dans lesquels on vit ! Les Holland viendront probablement me voir. Montebello ne m’a pas répondu. Je commence à souffrir de rhumatismes, & hier J'avais vraiment bien mal. Il y a des courants d’air dans mon appartement. L'hiver n'y serait pas tenable. On me mande que Compiègne est remis jusqu’après Sébastopol. Brockhausen est bien mal noté à Berlin, c’est Constantin qui le dit. Cela n'empêche pas que je me réjouisse bien de le revoir. Adieu. Adieu.
Mad. Crept. est d'une vivacité de patriotisme qui fait enrager ou rire, comme Hélène qui a tant étonné van Praet. Je crois que ces dames me méprisent bien, & même je le vois. Les jeunes grands ducs vont en Crimée. Ils y sont sans doute. Le G. D. héritier aura son quartier général à Vilna. Adieu.
153. Bruxelles, Vendredi 27 octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le bulletin du 21 arrivé hier soir (quelle vitesse) promet beaucoup malgré que les termes soient sobres. Nos renforts arrivaient. Le siège dure. Crept. croit savoir que le 22 il a dû y avoir 40 000 h de plus, dont 20 mille de cavalerie. C’est formidable. Est-ce que ce que je traitais de bêtise dans ma dernière lettre pourrait devenir Quel événement ! vrai ?
Ceci est devenu la source des nouvelles. Crept. me lisait hier soir 26. La dépêche du Prince Menchikoff du 21. Imaginez le tour de l'Europe. Et le télégraphe on commence qu'à Moscou. Nous sommes restés Van Praet et moi livrée à de vastes conjectures. A propos votre petit message d'amitié lui a fait un bien grand plaisir.
Il y a à Paris dit-on des lettres anglaises qui font un très triste tableau de l’état de souffrance de l’armée anglaise. Le Times le dit beaucoup aussi. Hier il disait en toutes lettres. Nous avons envoyé 31 m homme. Nous en avons perdu 10 m le tiers.
La situation entre les deux gros allemands est éclaircie. La Prusse ne doit des secours à l’Autriche que si celle-ci est attaquée. L’Autriche prétend qu'on lui doit assistance si les circonstances la forçaient à entrer dans la lutte. Décidément la Prusse tiendra à son dire et sans doute le reste de l’Allemagne lui donnera raison. Il faudra que l’Autriche cède. Voilà ce qu’on croyait hier.
J’ai lu ce matin avec beaucoup d’intérêt une longue lettre d'un officier Français dans le [Journal] des Débats. A propos lisez-vous le feuilleton dans le Moniteur. [Gerty] Il me charme. Il y a tant de naturel. Adieu, pas de lettre aujourd'hui. Il faut attendre demain. Ollif me mande que Morny est encore malade à la campagne. Il n’est pas venu à Paris. Adieu. Adieu.
154. Bruxelles, Dimanche 29 octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
[Calochim] revenu hier de Berlin rapporte que mon neveu et Budberg sont fort tristes, ils ne savent rien des renforts que Crept. m'annonçait l’autre jour comme arrivés. Pourquoi mentir ? le profit est si court. Me revoilà donc aujourd’hui croyant tout-à-fait à la chute de Sébastopol. Le capitaine Belge est revenu hier matin, pour me dire que le Prince Menchikoff est un sot. Il n’a qu’un moyen de se sauver. C'est de livrer bataille. S'il a assez de monde, il vous met en grand péril. Si non, Sébastopol est perdu. Selon cette même autorité, la place ne peut tomber que le 6 ou 7 Novembre. Quelle longue attente, on ne le saura que le 18. Car le télégraphe Menchikoff ne racontera pas cela.
J’ai eu une bonne lettre de Morny mais toujours de sa campagne. Il ne sera en ville que vers le milieu de la semaine, alors il me dira quelque chose, maintenant il n’est occupé que d'un renard apprivoisé dont il a fait son unique société. Il ne lit pas de journaux ; on l’attendait à Paris on ne lui envoie rien.
Une lettre de Lord Brougham, de cas, rien, des lieux communs. Une réponse de Sainte-Aulaire dictée à sa femme sa signature tremblante. Il est très malade. Pauvres gens c’est désolant. Vous avez vu que les Sutherland ont perdu leur second fils en Crimée. Au fond on croit que les Allemands vont s’arranger. Quand nous arrangerons-nous ? Tout ce que vous me dites sur cela est de l'or.
La pluie a cessé. J’ai pu hier recommencer à marcher, mais autour du parc seulement. Et puis j'en fais le tour onze fois en voiture. Cela me prend 70 minutes. Et voilà ma révélation de la journée. Adieu. Adieu, quand verrai-je le bois de Boulogne !
J’ai revu Lord Howard, le jour même de son retour à Bruxelles. Il est venu. Une visite de 2 heures. Nous avons parlé de tout, vous savez que tout me va. Il a été bon enfant. Ici il passe pour un brutal. Adieu encore.
155. Bruxelles, Mardi 31 octobre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai été assez malade cette nuit, je viens d’envoyer chercher le médecin. C’est sans aucune confiance car vous savez que je n’ai confiance qu’en Andral mais il faut essayer d’aller encore.
Notre dernier bulletin du 23 que vous aurez lu ne dit pas grand-chose. Le siège avance. Le fils aîné de L. Clanricarde a été fait prisonnier. Cela l’embarrassera un peu. D’autant plus qu’il sait bien sûr qu’il sera bien traité chez nous. Les Allemands attendent Sébastopol.
Les petits veulent rester grouppées autour de l'Autriche. La Prusse y sera forcée aussi. Je saurai des nouvelles par Brokhausen qui s'annonce pour la fin de la semaine.
Van Stratten est revenu de Vienne. Tout ce qu’il raconte est curieux. La veille Autriche a disparu. C’est la démocratie. qui règne. Bach tout puissant. L’Empereur complètement dans ses mains. Metternich tout-à-fait délaissé. On ne rencontre plus chez lui personne. Bourqueney joue un très grand rôle. Il a plus d’esprit que tous les autres. Notre ministre, invisible mais toujours là. On ne voit pas trop comment cela s’entamera. Ni nous ni l’Autriche ne veut attaquer. Sa veine financière est inévitable. Je suis bien fâchée d’y avoir quelque chose.
Mes têtes à tête avec V Praet sont rompus, c'est bien ennuyeux il y a toujours un fâcheux qui arrive. J’ai vu longtemps Brouckère, il a beaucoup d’esprit.
C’est étonnant, mais toutes les lettres de Pétersbourg disent qu'on y est sans inquiétude Et plein de confiance dans Menchikoff. Est-ce possible ? Quant à traiter si Sébastopol tombe, il n’y faut pas songer. Hélas où sont les espérances de paix ! Vous me citiez l’autre jour l’Emp. Napoléon offrant & faisant brusquement la paix tout de suite après une Victoire, mais vous oubliez que c’était des paix honteuses pour l’Autriche, pour la Prusse, & que mon Empereur n’est pas de la trempe de ces souverains là. Ils avaient raison ce reste. Ils sauvaient leur pays. Je ne suis pas d’avis que l'honneur et la dignité doivent aller jusqu'à tout perdre. Adieu, adieu.
Mots-clés : Conversation, Diplomatie, Femme (diplomatie), France (1804-1814, Empire), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Napoléon 1 (1769-1821 ; empereur des Français), Politique (Allemagne), Politique (Angleterre), Politique (Autriche), Politique (Prusse), Réseau social et politique, Santé (Dorothée)
