La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)

La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)


35. Monge à sa femme Catherine Huart

Auteurs : Monge, Gaspard

Transcription & Analyse

Transcription linéaire de tout le contenu
Modène, le 25 vendémiaire de l'an V de la République
 
J'ai reçu hier soir, ma chère amie, ta lettre du 15 de ce mois qui m'a fait le plus grand plaisir, par la promptitude avec laquelle elle m'est arrivée ; ainsi je suis tranquille sur ta santé.[1] Mais j'ai été désolé de l'erreur dans laquelle a été la citoyenne Moitte, et des plaintes qu'elle a portées au Directoire sur la prétendue pénurie dans laquelle nous nous trouvons.[2] Nous avons dans tous les temps été parfaitement traités et en finances et en égards ; nous n'avons qu'à nous louer du général en chef et des deux commissaires du gouvernement[3] avec lesquels je suis ici seul, les autres devant venir dans deux ou trois jours.[4] Ces plaintes ont donné lieu à des lettres un peu aigres que le général et les commissaires ont reçues du Directoire et qu'ils ne méritaient pas. Bonaparte m'a même fait quelques reproches de ce que je ne l'avais pas prévenu des besoins que nous pouvions avoir.[5] Toutes ces explications sont désagréables, surtout lorsque nous avons toujours été dans l'abondance et absolument sans inquiétudes à cet égard, mais en voilà assez sur cet article.

Tout est ici dans l'exaltation. Le patriotisme se manifeste d'une manière charmante à Modène, qui, pour être venue la dernière, n'en marche pas moins bien.[6] C'est aujourd'hui que se rassemblent ici les députés de Bologne, Ferrare, Modène et Reggio pour conférer sur les moyens de sauver la liberté dans cette partie de l'Italie et de la mettre en état de défense contre le pape et contre le roi de Naples,[7] si, comme on paraît le croire, ils osaient se mettre en marche de ce côté.[8] Aujourd'hui toute l'assemblée dîne à une grande table dressée dans la cour du palais du ci-devant duc de Modène.[9] Le ciel est superbe et formera un dais magnifique; cela sera sûrement très chaud et très gai. Je ne crains qu'une chose, c'est la timidité que les Italiens auront peut-être de la peine à vaincre.

Hier j'étais au spectacle, et il était bien doux de voir les élans généreux de tout le peuple, et même des belles dames des loges, en faveur de la liberté de Paris. La pièce avait sa scène à Rome, ce qui donna lieu aux acteurs d'improviser quelques vers analogues à la situation actuelle de l'Italie, les vers furent débités avec zèle et reçus avec le plus grand enthousiasme.

Tu m'engages à revenir à Paris, ma chère amie.[10] Ah si je pouvais au contraire vous faire venir tous en Italie, je n'y manquerais pas. Le spectacle des nations qui courent après la liberté est charmant, celui d'une nation qui la foule aux pieds est pitoyable et désolant. Adieu, ma chère amie, mille tendres compliments à toute la maison, en quelque nombre soient ceux qui la composent, et à tous nos amis. Compte sur les sentiments bien vifs de ton ami
                                                 Monge

[1] La lettre de Catherine du 15 Vendémiaire an V [6 octobre 1796] n’a pas été conservée dans le fonds familial.

[2] Adélaïde-Marie-Anne CASTELAS (1747-1807) femme du commissaire Moitte, Louise écrit le 14 vendémiaire an V [5 octobre 1796] : « La citoyenne Moitte que nous voyons souvent nous assure que vous êtes sans argent elle veut absolument faire une pétition au Directoire pour qu’on vous en fasse passer, mais comme on nous assure que vous avez des pouvoirs pour vous en faire donner maman ne s’occupe pas beaucoup de cela. »

[3] Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Pierre-Anselme GARRAU (1762- 1829) et Antoine-Christophe SALICETI (1757-1809).

[4] Voir lettre n°34 et 36. Le lendemain Monge part avec Miot et Saliceti à Livourne.

[5] Bonaparte au Directoire exécutif le 4 brumaire an V [25 octobre 1796] : « Il paraît, citoyens directeurs, par votre lettre du 14 vendémiaire [5 octobre], que les savants et artistes se sont plaints d’avoir manqué de quelque chose. Il serait très ingrat de notre part de ne pas leur donner tout ce qui leur est nécessaire, car ils servent la République avec autant de zèle que de succès ; et je vous prie de croire que, de mon côté, j’apprécie plus que personne les services réels que rendent à l’état les arts et les sciences, et que je serai toujours empressé de seconder de tout mon zèle vos intentions sur cet objet. » (1016, CGNB).

[6] Voir les lettres n°26, 27 et 34.

[7] Pie VI, Giannangelo BRASCHI (1717-1799) et Ferdinand IV, roi de Naples et de Sicile (1751-1825). Voir la lettre n°29.

[8] Bonaparte au Directoire le 26 Vendémiaire an V [17 octobre 1796] « Bologne, Modène, Reggio et Ferrare se sont réunis en congrès, en envoyant à Modène une centaine de députés. L’enthousiasme le plus vif et le patriotisme le plus pur les animent déjà ils voient revivre l’ancienne Italie : leur imagination s’enflamme, leur patriotisme se remue, et les citoyens de toutes les classes se serrent. Je ne serais pas étonné que ce pays-ci et la Lombardie, qui forment une population de deux à trois millions d’hommes, ne produisissent vraiment une grande secousse dans toute l’Italie. […] Une légion de 2500 hommes s’organise, habillée, soldée et équipée aux frais de ce pays-ci et sans que nous nous en mêlions. Voilà un commencement de force militaire, qui réunit aux 3500 que fournit la Lombardie, fait à peu près 6000 hommes. Il est bien évident que si ces troupes, composées de jeunes gens qui ont le désir de la liberté, commencent à se distinguer, cela aura pour l’Empereur et l’Italie des suites très importantes. Je vous enverrai par le prochain courrier les actes et les manifestes publiés à cette occasion. […] Dès l’instant […] que je saurai quelles sont vos intentions sur Naples et où en sont vos négociations, je prendrai avec Rome le ton qui convient. » (1002, CGNB) et sept jour plus tard « Je vous prie de vous reporter aux circonstances où je me trouvais : Rome imprimant des manifestes fanatiques ; Naples faisait marcher des forces ; la régence de Modène manifestant ses mauvaises intentions  et rompant l’armistice en faisant passer des convois à Mantoue. […] Modène, Reggio, Ferrare et Bologne, réunis en congrès, ont arrêté une levée de 2800 hommes, sous le titre de 1ère légion italienne. L’enthousiasme est très grand […]. La parfaite harmonie règne entre nous et les peuples. » (1009, CGNB).

[9] HERCULE III DE MODÈNE (1727-1803). Voir lettre n°36.

[10] À la suite du soulèvement antifrançais, le 26 thermidor an IV [13 août 1796] (voir la lettre n°22), Catherine incite Monge à rentrer à Paris à plusieurs reprises : le 29  fructidor an IV [15 septembre 1796] : « Voilà quatre mois que vous êtes partis, votre mission doit être finie. Revenez bien vite, les poignards italiens sont encore plus dangereux que les persécutions en France, au moins on meurt au sein de sa patrie et de sa famille. » et le 30 fructidor an IV : « Je te réitère mes instances d’hier, pour revenir le plus promptement possible. Voilà l’hiver, viens le passer avec nous. Voilà un an que nous sommes séparés, cela est bien long […].» Mais c’est d’abord, dans une lettre de Paris le 11 fructidor an IV [28 août 1796] que Catherine exprime son souhait. Monge ne la reçoit qu’à la fin de vendémiaire an V [octobre 1796] (voir la lettre n°38). Elle écrit : « Je désire bien votre retour, voilà un an que nous sommes séparés, je ne m’y accoutume pas. Quoique dans mes précédentes lettres, je te montrais le désir de te voir passer l’hiver en Italie, pour te remettre la tête de tous les assauts que nous avons éprouvés et que tu as sentis plus vivement qu’un autre. Je faisais le sacrifice d’être séparée de toi au bonheur intérieur qu’il devait en résulter, mais en vérité, il faut mieux jouir que d’espérer. Le ralentissement de notre correspondance me fait faire d’autres vœux et diminue mon courage, [et]  ajoute à tout cela l’incertitude de ne savoir si tu reçois mes lettres, [et] ne me donne pas le même plaisir en t’écrivant. » On peut voir apparaître dans le discours de Catherine qu’une des raisons du départ de Monge est la volonté de se mettre à l’abri des attaques politiques (voir la lettre n°1). Ce qui est surtout exprimé, ici, est qu’elle acceptait le départ de Monge parce que cela pouvait le protéger. À la fin de sa mission à Rome, en juillet 1797 Monge lui demande à son tour s’il peut rentrer en toute sécurité à Paris. Voir la lettre n°117.

Analyse

Lettre datée et signée par G. Monge à son épouse lors de la Campagne d’Italie dans laquelle G. Monge exprime à sa femme toute son exaltation lors de la Campagne d’Italie

Relations entre les documents


Ce document n'a pas de relation indiquée avec un autre document du projet.

Notice créée par Marie Dupond Notice créée le 12/01/2018 Dernière modification le 11/02/2022