Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Collection : 1838 : Réflexion politique et élaboration historique (1837-1839 : Vacances gouvernementales)

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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180. Paris, le 31 octobre 1838

C'est aujourd'hui que je devais vous revoir. J’ai pensé à ce jour depuis le mois de juin ! Hier j’étais bien triste. Je suis restée seule depuis 4 1/2. J'aurais eu tant, tant à vous dire ! Le soir encore nous aurions recommencé. Enfin, il me faut prendre mon parti, comme de tant peines.
J’ai vu chez moi le soir la Duchesse de Talleyrand mon ambassadeur, & Lord Granville rien que cela. On va beaucoup à la Tragédie, & aux Italiens cette année. Tout le monde veut avoir vu Mademoiselle Rachel. Les opinions sont diverses. Mais je crois que vraiment ce n’est pas grand chose, et qu’elle est seulement meilleure, que tous les autres qui ne valent rien.
Ce que vous me dites aujourd’hui de notre situation politique est d'une grande vérité. Je voudrais bien faire voyager cela plus loin. C’est étrange que tandis que vous me parlez des progrès du protestantisme, moi j'en fais la même observation ; et c’est sur moi que je la fais. Et j'ai l'habitude de me prendre en beaucoup de choses comme exemple de la masse. Le juste milieu entre les gens d'esprit, & les gens qui n’en ont pas. Enfin la majorité.
J’ai eu ce matin une longue lettre de la Reine de Hanovre bonne & tendre comme toutes ses lettres. Mais rien de nouveau. Elle n’est pas aussi choquée que moi du mariage Lunchtemberg. On dit beaucoup en Russie que la petite fille de la grande Catherine épouse le petit fils de la maîtresse de Barras.
Je n'ai pas un mot de nouvelle à vous dire ! Je viens de faire une longue promenade aux Tuileries. Il fait froid ; mais un air pur, & du soleil tel quel. Adieu, je suis bien ennuyée de ces adieux là, nous en avons usé et abusé. J’attends le 6, ils vaudront mieux.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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181. Paris, le 1er Novembre Jeudi

Ce vilain mois sera donc un joli mois ! Voyons. Je viens encore de recevoir une longue lettre du Roi de Hanovre. Une bonne lettre pleine de sens ; c’est dommage qu'il n'y ait que moi qui lui en trouve. On commence à dire et à croire que Lord Durham restera au Canada. L’affection pour lui s’y manifeste d’une manière si éclatante, que sa vanité sera prise. Ce sera drôle.
J’ai eu mon monde habituel hier au soir. Humbold est fort amusant pour moi, il nous déteste (la Russie) et il dit cela au quatrième mot. Or il m’a dit bien des mots ! Le Roi de Prusse serait blessé au vif. du mariage Lenchtemberg. En général, le beau-père et le gendre sont parfaite ment mal ensemble comme politique.
Je commence à m’inquiéter de ce que je n’ai pas de réponse de mon banquier à Pétersbourg. Le silence complet de mon frère est étrange aussi. Me prépare-t-on une nouvelle surprise ? Quelles gens !
Il pleut, il fait le temps le plus triste du monde, & je suis bien triste. Les troubles à Cologne sont quelque chose. Quelque chose de plus que ce qu’en disent les journaux. Je n'ai rien, rien du tout à vous mander. Je vous dis donc adieu de tout mon cœur.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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182. Paris vendredi le 2 novembre 1838

Vos lettres sont vraiment joyeuses ; et je crois tout de bon au 6, et je me réjouis comme vous. Mais vous savez j’espère que ma vue ne vous récréera pas. Vous me trouverez changée, maigrie, je vous préviens de tout cela. J'ai beau faire je ne puis pas me remettre. Point d'appétit, un mauvais sommeil. L'esprit constamment inquiet de mes relations avec mon mari. Cela va trop mal.
Après que le monde s’est écouté hier au soir j’ai gardé M. de Pahlen, et nous avons longtemps parlé de mon Empereur. Il n’est plus sous le charme de Toplitz, ce qui fait qu’on peut causer avec lui. L'histoire du mariage Lenchtemberg l’indigne. mais savez-vous qu’ici, outre qu'on en rit, on se fâche. On croit voir de l’intention dans le choix d'un allié des Bonaparte. quelle idée ! En Russie cela fera un vrai mécontentement parmi les gens bonnets. Les petites gens ne sauront pas qui c'est. & les courtisans applaudissent à tout. M. de Pahlen, et moi nous ne sommes pas des courtisans.
Il n’y a pas de nouvelle ; à moins que vous vous intéressiez à M. de Castellane qui dit-on épouse Pauline. Cela me parait pas grand chose. Le Duc de Noailles, est venu causer pendant deux heures chez moi hier matin. Il ne sort pas encore le soir.
J’ai été voir Madame de Boigne. Toute sa maison sent la peinture. Elle m’a reçue au second, bien haut. c’est propre mais très petit. Elle est assez souffrante. Les gens du château disent que la Princesse de Würtemberg n’arrivera pas jusqu’à Gènes. Je ne sais ce qu'il y a de vrai.
Je vais dîner aujourd’hui chez Lady Granville à peu près seule avec l’ambassade, cela me convient parfaitement. Adieu, adieu. Il me semble que je ne vous écrirai plus que deux fois n’est-ce pas ? Il y a une page bien triste et bien touchante dans votre lettre. Vous savez si je vous comprends !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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168. Paris, vendredi le 19 octobre 1838

J’ai passé une bien mauvaise journée hier. J’avais les nerfs tout à fait dérangés. Je me suis promenée assez longtemps au Bois de Boulogne avec mon fils ; le temps était passable. Avant le dîner, j’ai eu une longue visite de Montrond. J’ai dîné seule avec Marie, Alexandre dînait chez M. de Pahlen. Le soir, mon fils est allé au spectacle, Marie à l’Ambassade d'Angleterre, et moi dans mon lit. J'ai un peu dormi, & je me sens moins malade aujourd’hui.
Montrond est assez questionneur, assez causant, et assez en bonne humeur. Il a certainement beaucoup d'esprit. Il dit que Thiers est en bonne disposition. Il espère que vous l’êtes. Il ne dénigre personne, mais il exalte le roi. La Duchesse de Talleyrand a vu le Roi hier elle est bien traitée là. Elle essaye d’être bien un peu partout. M. Salvandy va beaucoup chez elle. Ma grande Duchesse Marie épouse vraiment le Lenchtemberg, les Russes jettent les haute cris avec raison, c'est égal, il sera notre gendre. On lui prépare un beau palais à Petersbourg, il doit y arriver dans huit jours. Nous aurons l'honneur d’être cousin de Louis Bonaparte. Il entre au service de Russie, (le gendre par Louis Bonaparte).
Le comte Woronzoff s’est démis de son gouvernement de la mer noire. Il était trop populaire. On a fait sa femme ce que je suis; ou espère par là calmer son mécontentement. Je suis ravie des dîner d'Adieux. Les Adieux de Normandie ne sont pas comme les nôtres.
On s'occupe beaucoup de l’Espagne. Je ne crois pas du tout que le dénoue ment soit prochain mais je crois sûrement au triomphe définitif de Don Carlos. Selon les propos de Montrond je croirais qu'on n’est pas tout-à-fait content du duc d’Orléans, ne savez-vous quelque chose. A propos, la cour désirerait le retour des Flahaut. On trouve qu’il n’y a plus un salon à Paris, & c’est vrai. M. de Talleyrand, Madame de Broglie, Madame de Flahaut de moins, c’est beaucoup. Quelle pauvre ville que votre grande ville, quand on en est réduit à avoir besoin de Marguerite. Adieu. Adieux.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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166. Paris le 17 octobre 1838

Vous avez bien raison, et je suis très fatiguée, et je suis très maigrie, c’est trop pour moi, et je ne me résigne parce que cela va cesser. J’ai passé presque ma journée entière hier avec les Sutherland ; aujourd’hui encore. Après demain ils partent. Je vois même très peu mon fils, heureusement il reste quelque jours de plus. Le Roi de Hanovre me mande que l’Empereur était très triste et a battu à Postdam, on ne sait de quoi. Du reste, il est en santé parfaite.
Je ne m’accorde pas du tout avec vous sur l’Orient. Je ne vois pas à quelle bonne fin, nous perdrions l'Angleterre dans nos conseils sur cette question. Ce n’est pas avec elle qu’elle s’arrangera jamais, ce sera contre elle. Il y a d'autres puissances qui feraient meilleur ménage avec nous sur ce point & vous les connaissez. Mais en attendant que cette affaire arrive au point où il faudra la résoudre. Il est bon qu’elle reste comme elle est. Miraflores vient d'être nommé ambassadeur ici, ce qui le comble de joie. Il n'y avait rien de nouveau hier de Madrid.
Vous savez qu’on a reçu hier la nouvelle que Louis Bonaparte est parti le 14 & qu'il sera le 19 à Londres. C’est donc vraiment fini. Lord Granville a vu le Duc de Broglie hier. Il l’a trouvé extrêmement abattu & changé. Il lui a dit qu'il ne songeait pas à aller à Broglie. Il ne quittera pas Paris. J'ai dîné hier chez Lady Granville ; rien qu'Angleterre, 20 anglais. Je n’ai pas fermé l’œil cette nuit. C'est déplorable. Lady Jersey me mande qu'elle a vu mon mari à Munich, à Innsbruck, et que le grand Duc a parfaitement bonne mine. Adieu, je vous écris en me levant dans la crainte que plus tard je ne trouverai plus un moment. Voyez aussi comme je griffonne. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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149. Paris, dimanche 30 Septembre

Mon pauvre Ambassadeur est très préoccupé de l'ensemble de la situation ici. Je l’ai rencontré hier à Auteuil ; il m'a beaucoup entretenu de tous ses chagrins. La maison est le plus gros de tous. Il craint, (& il a raison car M. Molé me l’a confirmé hier à dîner) que M. de Barante n’ait l’ordre de quitter son hôtel à Pétersbourg aussi vite que possible ; dans ce cas, lui Pahlen sortirait immédiatement du sien, et comme il n'y en a aucun à trouver, il ira en hôtel garni, imaginez ! Il prétend que ce qu'il a de mieux à faire c'est de chercher à quitter son poste. J’en serai certainement très fâchée.
A dîner, j’ai eu M. Molé pour voisin comme de coutume. Je n'ai rien appris de nouveau. Il me semble que c’est pour le 20 décembre qu'est fixée l’ouverture des Chambres. Il n’a pas l'air soucieux. Il ne pense pas que la partie raisonnable de l'opposition puisse se montrer hostile, c'est vous sans doute, et en effet sur quoi le seriez-vous ? L'attitude que vous aviez l’année passée à l’époque de l'ouverture sera difficile à reprendre vu ce qui s’est dit à l'occasion des fonds secrets. Mais cependant ce qu'il y aurait de mieux à faire serait de se rapprocher de cette première position plutôt que de continuer dans la seconde. Thiers s'est assez bien tiré de la session, il a senti que la situation était mauvaise. Il s’est effacé ; après en avoir compromis d'autres. Voilà à peu près.
La dépêche télégraphique sur Genève a été démentie par une autre dépêche le lendemain. C’était un faux bruit de voyageur. Le dîner hier était pour Holland, toute l'Angleterre. Je suis restée la dernière jusqu'à 10 heures. Demain je dîne à Suresnes chez les Salomon Rotschild. Jeudi chez Lady Sandwich, vendredi chez Mad. de Castellane. & puis chez les petits Pozzo. Me voilà fort dissipée. Lady Granville est malade ; je ne l’ai pas vu depuis jeudi. Son mari a la goutte. C’est là ce qu’on rapporte des Eaux. Les Palmella me pressent fort d'aller à Versailles, les Holland y vont aussi. Mais je crains la fatigue de voyage ; car c’est une fatigue. Je vous vois triste dans vos lettres, est- ce que moi j'y ajoute ! Il me semble que oui.
Eh quand serons-nous ensemble ! J'ai eu un mot de M. de Broglie hier ; je lui avais écrit le lendemain de son malheur. Adieu. Adieu. Votre pauvre reine me fait bien de la peine ; mais elle a bien dû jouir sur cette terre cependant. Adieu, encore adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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156. Paris, dimanche 7 octobre 1838. Champs Elysées

Comment cette année encore. je n’ai pas su quel était le jour anniversaire de votre naissance ? Et cependant ce jour-là à ce que vous dites je vous aimais mieux & je vous le disais ! Je me sais gré au moins de cet instinct là, mais je devais le savoir et je ne le savais pas. C'est bien maladroit, c’est bien mal.
J’ai couché ici encore cette nuit, mais tout a passé à la Terrasse et moi-même je vais y porter cette lettre. Je me suis sentie si malade hier qu’après être rentrée de chez Mad. Apony je me suis couchée. Il y avait beaucoup de monde, un bal en règle. Et je ne puis plus supporter la musique d'un bal surtout quand il y a des enfants. J’y ai mené le petit Coke que j’ai laissé à d’autres. Pahlen était de meilleure humeur. Il croyait avoir trouvé une maison.
Marie m’est revenue hier au soir, engraissée & avec une fort bonne mine, et fort belle humeur. La Déclaration de Lady Granville arrivera dans un ou deux jours.
Je suis triste, triste de rentrer à la Terrasse. Je ne sais pourquoi. C'est reprendre l’hiver sans avoir joui de l’été. Car le passer comme je l'ai fait, c’est n'en avoir pas du tout. Et moi qui aime tant le beau temps, la campagne. Il fait gris et froid ; je n’ai pas dormi, j'ai reçu éveillée. Je suis en mauvaise disposition, en disposition de mauvais pressentiments. Il me semble si facile de mourir.
On me disait hier que Madame d’Haussonville était arrivée. Personne n’a vu M. de Broglie que M. Rossi. Lord Granville ne savait même pas qu'il fut en ville. Madame de Talleyrand a tout-à-fait captivé ma nièce. Elle a été à Valençay aussi ; le petit duc y fait les honneurs à merveille. On a trouvé le petit amant Lecouteux à la dernière couchée en revenant à Paris.
Adieu. Je suis souffrante et maussade. Je me porterai très bien le 1er Novembre. Adieu. Adieu, vos lettres iront me trouver à la Terrasse. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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150. Pars lundi le 1er octobre 1838

J’ai eu une longue visite hier du C. Appony et une autre longue de mon ambassadeur. Le premier que j’avais beaucoup engagé à s’approcher de Villiers a fait comme je lui ai dit et était fort content de son entretien avec lui. Il l’a trouvé moins révolutionnaire qu’il ne pensait. De son côté Villers m’a dit qu'il trouvait Appony beaucoup moins carliste qu'on ne lui avait dit. Voilà pour commencer les Anglais me savent gré de la toute petite peine que je prends à rapprocher les gens, je ne le ferais pas si je n’avais vraiment le cœur anglais. Au surplus ceci est du bien pour tout le monde. Je suis fâchée que vous ne connaissiez pas Villiers, il vous plairait surement. M. Molé est enchanté de lui. M. de Pahlen était venu pour déverser encore son spleen. Nous avons regardé sa situation sous toutes ses faces. Nul doute qu’elle ne soit mauvaise. Nous finirons par n’avoir que des chargés d’affaires.
Après ma promenade au bois de Boulogne, j’ai été voir Lord Granville qui est couché sur son canapé en très mauvais état. Sa femme est dans son lit sans voir âme qui vive. Granville était bien content d'un petit moment de causerie avec moi. J’ai dîné seule et le soir mon salon a été rempli de monde, beaucoup trop c’est décidément ennuyeux. La France tout changera tout cela. Mais je n’y passerai que le 10, j’attendrai Marie. A propos, elle ne m écrit pas, je commence à être inquiète. Je lui écris cependant souvent.
On est fort fâché ici, & nous le sommes aussi du traité de commerce conclu entre la Porte et l'Angleterre. Cela va déterminer l'indépendance de l’Egypte et nous regardons cela comme la guerre en Orient. Nous verrons. Voici le mois d'octobre ; c’est-à-dire 6 semaines d’écoulées depuis que je ne vous ai vus. Combien ne passera-t-il encore ? Adieu, adieu. Pensez à moi beaucoup toujours, & tendrement

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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151. Paris, Mardi le 2 octobre 1838

Votre explication du redoublement de griefs contre mon Empereur pourrait bien être la vraie. J’y regarderai. Mon Ambassadeur envoie demain un courrier qui sera chargé de bien de soupirs & lamentations. Il perd la tête sur la question de la maison. J’ai couru hier matin les boutiques, j’ai vu ensuite Lady Granville, qui est toujours bien souffrante. J’ai été dîner à Suresnes, j’y ai rencontré l’Autriche, la Russie. La Belgique. M. de Montalivet, quelques autres. Je suis revenue avec M. d’Armin que j’ai pris dans ma voiture afin de ne pas m’endormir. Il a un peu plus d’esprit que d’autres mais pas beaucoup d’esprit. Il parait que la conférence ira. Mais Lord Palmerston n’a pas tout-à-fait satisfait Léopold. M. Molé qui devait être du dîner hier s'est fait excuser à la dernière heure. Mon voisin le maître de la maison m'a beaucoup divertie. D'abord nous avons parlé allemand, et quand un Allemand n’est pas schwarmerische, il est bouffon. Celui-ci est parfaitement, simple, naïf, rond. Il raconte sa misère passée comme sa richesse présente et il tire même un peu plus variété de la première que de la seconde. Et puis il rit de ce que n’étant pas né pour approcher de la société, il y est gauche. Il remarque de ses officiers de maison qui bâtissent les mets : ainsi quand on lui offre des boudins à la Richelieu. " Was ? Der ist ja schon lange todt. " En parlant le français il me dit : le Ministre des intérêts. Et il se reprend, le Ministre des intérieurs. Enfin il m'a fait rire tout le long du dîner, et puis il m’a attendri, en me disant comme il aimait sa femme, comme c’était une brave femme, comment ils passaient leurs soirées ensemble, tête-à-tête jouant à l’écarté jusqu'à 10 heures, & puis ils vont se coucher, à 6 heures il est à son travail. Tout ce tableau d’intérieur, & liebe goth qui arrivait vingt fois au milieu de tout cela m’a fait plaisir, & puis m’a fait soupirer.
Tout le monde est heureux, tout le monde a un intérieur. Moi seule, je n'ai rien. Le dîner au reste m’a rappelé beaucoup de dîners Anglais, où en prenant place, flanquée à droite et à gauche par des ennuyeux, je finissais cependant, par m'accommoder de mon sort, & même par le trouver profitable. Ainsi hier entre Rotschild & Löwenkielm, J’ai su tiré parti de l’un & de l’autre. Le Suédois m’a raconté l’arrivée, & tout le séjour de l'Empereur à Stokholm, et ensuite tout est intérieur de la cour de Suède qui est assez étrange. N’ayant plus rien à tirer de lui je l’ai fait taire. Savez- vous que j'ai l’une et l’autre capacité à me degré très convenable, c'est de faire parler, & de faire taire. Il est vrai que le métier de femme y aide. Les Sutherland arrivent lundi, & mon fils, & Marie & beaucoup d’autres. c’est trop à la fois, la Duchesse de Talleyrand me mande que Marie se porte très bien, qu’elle s’amuse. Elle ne m’écrit pas, elle ne répond pas même à mes lettres, c'est mal. Le temps se soutient, charmant. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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152. Paris, le 3 octobre 1838

J'écris aujourd’hui à mon frère par un courrier de Pahlen. Votre gouvernement en a envoyé un à M. de Barante avant- hier, je crois entre autre pour lui prescrire de sortir de l'hôtel aussi tôt que possible. Cela sera le signal de la sortie de Pahlen, de la maison qu'il occupe, il s’en va contant à tout le monde ces douleurs, & dans un désespoir comique.
J’ai fait visite à Auteuil hier matin ; on dit qu'on ne sait pas encore le départ de Louis Bonaparte de Suisse et que cela tracasse un peu ici. Le soir, j’ai été voir les Granville malades. Il est couché, immobile. Elle va un peu mieux tous les jours.
Il arrive de normaux anglais qui passent. Je les vois, je ne vous les nomme pas, vous ne les connaissez pas du tout. Alava est venu me voir aussi, il a bonne mine. Il va à Londres dans quinze jours. Les Holland sont à Versailles, ils y ont mené aussi le poète Rogers. Vous le connaissez sans doute ?
Le soleil est superbe, je ne me lasse pas de profiter de ces derniers beaux jours. Je me promène encore le soir en voiture ouverte. Je m’enrhume, je me dé-rhume tout cela est égal, il me faut de l'air. Le petit Sneyd va partir pour l’Italie j'en suis très fâchée, car je l’ai fort à mes ordres. Ainsi quand il n'y a rien de mieux, je le prends dans ma calèche et il se laisse toujours prendre.
Marie m’a enfin écrit. Elle se dit parfaitement remise, & arrive samedi. Nous verrons. L’Empereur le prolonge un peu à Berlin. Il veut retourner chez lui par mer. Quelle idée dans cette saison et après que ses filles ont failli périr. Je suis bien aise d’apprendre que votre mère est bien. Adieu, je cherche si j’ai quelque chose à vous dire. Je ne trouve rien qu'une quantité d’adieux.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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153. Paris, le 4 octobre 1838

Il y a des jours, il y a des moments, où ma pensée vous cherche avec plus de tendresse que dans d’autres moments. Ainsi hier, j’ai été plus occupée de vous que de coutume. Vous n'êtes pas là pour que je vous le dise. Je n’ai pas là une plume & du papier pour vous l’écrire & voilà comment ces impressions si vives pour moi sont perdues pour vous. Il faut être ensemble, toujours ensemble, rien n’est perdu alors. J'ai fait par un temps charmant une promenade charmante hier, mais j’étais seule, toute seule. C’est bien triste !
J’ai admiré dans les bois ces innombrables toiles d'araignée, ce merveilleux travail. Mais l’araignée est seule aussi au milieu de cet admirable tissus. Elle me parait bien égoïste, et bien orgueilleuse, c’est qu’il lui plait d'être seule. Moi cela ne me plaît pas du tout, aussi n'ai-je aucun de ces sentiments. Que je serais heureuse d'habiter la campagne. Je l’ai désiré toute ma vie. La plus imperceptible des merveilles de la nature est pour moi un sujet inépuisable d’admiration & de ravissement, mais il me faut à qui le dire. Avec vous quel bonheur que la campagne !
J’ai dîné hier chez Lady Granville, avec mes Anglais bonnes gens mais que vous ne connaissez pas. Lord Granville n’a pas dîné avec nous. Je l'ai vu après. Il est faible & malade. Je le crois en mauvais état. J’ai fait plus tard une courte visite à Madame de Castellane. J’y ai trouvé M. et Mme Deleferst. M. Molé y est venu plus tard. Il destine l'hôtel de Pahlen au Turc qui vient d'arriver. Il a mandé à M. de Barante comme avis privé, qu’il serait de bon goût qu'il quittât l’hôtel de l’ambassade immédiatement fût ce pour aller provisoirement dans une auberge. Je ne puis pas m’empêcher de trouver que M. Molé a raison.
Le 28 sept. Louis Bonaparte n’avait pas encore quitter Aremberg. Il ne parvient pas à avoir de passeport. Le ministre de Prusse les lui a refusés parce qu’il ne dit pas par où il passe. Cela me parait une querelle d’Allemand. On espère que c’est en Toscane qu'il va se rendre. En attendant l’affaire Suisse n’est pas fini.
Je griffonne horriblement aujourd’hui. C'est que j’ai les nerfs bien mal arrangés & les genoux tremblants. Je ne sais de quoi ma vue est trouble aussi. Je lis Sully et je l'aime comme vous. J’ai toujours eu une vraie passion pour Henry IV. L’espèce est perdue.
Adieu, car je n’ai pas la forme de continuer. Je ne sais ce que j'ai. Mais je vous aime bien, comme hier. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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154. Paris, le 5 octobre 1838

Oui, vous avez-raison, je sais trop peu accepter ce que la Providence me destine seulement quand je vois des gens heureux qui souvent le sentent si peu ; quand je sens qu’avec cela, justement cela, je jouirais si intimement si profondément de mon bonheur. Quand l’aspect du ménage le plus obscur. Tenez hier, de pauvres gens, un mari, une femme, cette femme portant son enfant sur les bras, & le mari portant un panier recouvert d'une toile, je crois que c’était une blanchisseuse, quand cela frappe ma vue, quand partout je vois des êtres vivant ensemble, et que je me regarde et que je suis seule, moi qui ai si besoin d'être aimée, d'être soutenue. Je sens mon cœur se briser. Je n’offense pas Dieu en l’accusant. Je m’accuse moi, je m’accuse beaucoup, de tout, même de mes malheurs. Ah si vous saviez tout ce qu’il y a dans mon âme ! Mais je vous en parle trop. Venez, je ne vous en parlerai plus ; & comme vous dites, & comme je le sens, oui je ne serai plus seule.
J’ai vu Lady Granville longtemps hier matin. Après elle, j’ai vu le bois de Boulogne, et puis un dîner fort gai et agréable chez Lady Sandwich mais que nous avons attendu jusqu'à près de huit heures. C’est trop anglais ! Il y avait la petite princesse, les Holland, mon Ambassadeur. Il est tous les jours plus malheureux, & je crois que cela va devenir de la folie. En sortant de table, je suis rentrée chez moi. Il m’est venu beaucoup de monde, surtout des Anglais, entre autres Lady Browlon qui sous le dernier règne avait assez d’influence. Le Roi et la Reine l’aimaient fort.
Humbold serait allé vous voir au Val-Richer, s’il n'avait eu M. Arago pour compagnon de voyage. Alava a bavardé sans que personne ne l’écoute. Villers me plaît parfaitement, mais il part après demain. Le soleil est parti, & je sens que la Terrasse vaudra mieux que ceci. J’y serai surement la semaine prochaine. Lady Holland en est très pressée, parce que ni elle, ni son mari ne peuvent monter mon escalier ici. Ils ont été à Versailles & ils en sont revenus ravis. Mais ils avaient bien autant, d'injures à dire sur l'Auberge où on leur a donné deux fois de suite la même nappe à dîner, que d'éloges à faire des galeries. Il est bien vrai que pour des Anglais les habitudes ici sont intolérables. Le petit Suisse part la semaine prochaine et j’en suis fâchée. Adieu. Adieu, comme vous me le dites. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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155. Paris Samedi 6 octobre 1838

Vous n'aurez qu’un mot aujourd’hui. J'ai eu une nuit abominable qui me démoralise complètement. Je suis obligée d’aller de bonne heure à Auteuil, je déménage aujourd’hui à la Terrasse. J'attends Marie, & mon fils Alexandre. Voilà toutes mes raisons, et un rhume par dessus tout cela, si vous en voulez encore.
J’ai dînér hier chez Madame de Castellane avec M. Molé, le Chancelier, M. Salvandy, M. de Pahlen et la petite princesse. J'ai été le soir chez Lady Granville. J'y ai rencontré Montrond qui me semble rajeunir. Il a passé son temps chez Thiers qui parait l’avoir diverti. Votre Princesse Marie est bien malade Les médecins en sont inquiets. Il n'y aura point de Fontainebleau en conséquence.
Léopold arrive la semaine prochaine. Les affaires ne marchent pas. Palmerston ne veut rien faire, & on ne sait pas du tout ce qu’il en pense. Il est très vrai que vous m’apprenez M. Jacqueminot. La diplomatie ne s’en est pas émue. M. de Médem mande à M. de Pahlen, que mon frère est bien monté contre moi. Est-ce que par hasard l'homme d’esprit m’aurait plus mal servi que les sots ? Car à moins que Médem ait dit des choses de nature à irriter mon frère, je ne conçois pas ce qui peut être survenu.
Voyez la sotte lettre. Pardonnez moi. Je me sens fatiguée & malade. Que je vous remercie de me dire que le temps avance, c’est la plus agréable parole que je puisse entendre. Adieu. Adieu. Que je suis impatiente de l’autre espèce d’adieux !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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157. Paris lundi le 8 octobre 1838, La Terrasse

Je n’ai vu hier que Palmella et Fagel. J'ai fermé ma porte à tous les autres & le soir on a fait comme on a pu, mais vraiment je me suis sentie trop malade pour recevoir. Je me suis couchée à 9 heures. J'ai un peu mieux dormi et je verrai à me conduire mieux. Je viens de recevoir une lettre très ministérielle de Matonchewitz, qui me laisse croire qu'il viendra me voir secrètement à Paris ou dans les environs, ce qui me fera un grand plaisir. C’est mon premier confident, et privy counciler ; à lui est due ma première révolte. Lui même s’est mal trouvé de ce système. Il a fait une reculade, j'espère ne jamais en faire.
Il fait très froid, très désagréable et les arbres du Tuileries sont de toutes les couleurs hors la vraie. On dit beaucoup que M. de Broglie est dans un désespoir qui rend toute idée d’affaire impossible. M. Decazes raconte qu’il ne quitte pas la Chambre de sa femme, qu’il y conserve le lit ou elle couchait à côté du sien. Enfin pour le moment on assure qu’il n’a pas une autre pensée. Je suis persuadée qu'avant la fin de l’année il en aura bien d’autres, et je trouve très bien et nécessaire qu’un homme se voue plus que jamais à la vie publique lorsque la vie privée à été détruite. Voilà ce que fait qu’un homme vit encore et doit vivre après avoir essuyé les plus grands malheurs et que pour une femme, c'est fort inutile.
J'ai fait des courses ce matin, je m’arrange c’est-à-dire que je me fatigue. Vous me demandez des nouvelles de mon sommeil dans le moment où j’ai un très mauvais compte à vous en rendre. Je m’endors à 10 h. Je me réveille à 3 et tout est fini. C’est trop peu.
Adieu, mon petit cabinet me plait ; je vous y retrouve, partout. Vous y pensez n’est-ce pas ? Adieu. Adieu. Je ne sais ce que j’ai fait de mon papier, je ne retrouve pas mes enveloppes et Félix a trop couru pour que je l'envoie en chercher. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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165. Paris mardi 16 octobre 8 h.

Il y a longtemps que je ne vous ai écrit de si bonne heure. Ma nuit a été. mauvaise. Le 16 octobre est une date qui me rappelle tant de bonheurs passés ! Ne me répondez pas à ceci ; ne m'en parlez pas. Je ne sais pas encore, je ne saurai jamais peut être parler de ces choses-là. Elles me sont trop avant dans le cœur. J'ai vu chez moi hier matin un petit ministre étranger à Londres. Je le traitais un peu comme une petite espèce lorsque j’y étais, et j’ai éte touchée de voir le bon souvenir qu'il conserve de ce temps. Cette diplomatie ne se console pas encore de nous avoir perdus. votre lettre m'arrive dans cet instant. C’est à peu près comme aux Champs- Elysées, peut-être un quart d’heure de différence, c.a.d. de ceci plutôt.
J’ai passé ma soirée chez Lady Granville avec les Sutherland. J’ai été fort émue en les revoyant. Le temps que j’ai passé chez eux il y a un an, un été si rempli de sensations douces & pénibles. La Duchesse est engraissée c’est trop. Le mari est comme il était. Je l'aime bien. Ils ne restent ici que trois jours. Les nouvelles de Madrid parlent d'une grande fermentation dans cette ville. On s’attend à un mouvement. Frias est brave & décidé à rester ministre. Il me semble que cette résolution aide assez à le demande. On est inquiet de Villers. Il pourrait bien tomber, entre les mains de Cabrera.
Vous avez des enfants charmants, vous êtes bien heureux, & vous le méritez. Je vous écris fort à bâtons rompus. Mon fils est dans ma chambre. La Duchesse de Sutherland m’a de suite demandé de vos nouvelles. Elle est fâchée de ne pas vous trouver ici. Je relis toutes vos lettres depuis le commencement. Il y en a quelques unes que je montre à Matonchewitz. Il en est extrêmement digne. Je m'occupe de vous beaucoup, à peu près toujours. Le temps approche, c'est de la joie pour mon triste cœur, car il est bien triste ! Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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158. Paris mardi 9 octobre 1838

Matonhewitz est arrivé. Vous ne sauriez concevoir le plaisir que cela me fait et comme je l'ai reçue avec joie. Je le garde ici une huitaine de jours. Nous n’avons pas causé encore. Il est arrivé au moment où je faisais ma toilette pour aller dîner chez les petits Pozzo. Ils ont ouvert leur maison hier. C’est beau très magnifique, et très peu confortable. M. Mole & le chancelier y étaient. On racontait hier que les Christinos ont été parfaitement. battus. Leur général tué, 2000 prisonniers, enfin une grosse affaire. Le Moniteur n'en dit rien cependant. Les Holland sont toujours les héros de tous les dîners, lui était mon voisin à table. Son humeur est charmante, la plus aimable du monde. Quand on rencontre une gaieté naturelle avec beaucoup d’esprit, & beaucoup de connaissances, cela me parait la chose du monde la plus charmante. Et il me semble alors que moi aussi j'ai été gai, j’ai su rire et puis je ne sais plus rien. Ah, votre chancelier est un drôle d’homme. Il a voltigé hier pour arrivé au sommet du lit de Pozzo. C'est vraiment un tour de force que d'aller se coucher sur ce lit là aussi cela ne lui a-t-il pas réussi. Lord Holland a appelé cela un lit de justice. M. Molé a été parfaitement aimable.
Mon fils m’est revenu de Londres, l’Angleterre l’a engraissé. Il va rester huit jours avec moi. Il me dit que nos relations avec l'Angleterre prennent une tournure très grave. La Prusse, la Turquie, tout cela est bien embrouillé. savez-vous que les Anglais ont mis la main sur la flotte Turque. Il y a du mystère sous tout cela, je ne sais comment cela se débrouillera. La conférence ne va pas encore. Je vous écris en même temps que je parle a mon fils.
Je n’ai pas dormi de toute la nuit , tout cela fait que je ne sais ce que je vous dis. Pardonnez-moi mon mauvais h ce que vous me dites sur mon frère & mon mari est parfaitement vrai. Je crois aussi que c’est Médem, avec ses déclarations tranchantes qui aura fâché mon frère et que c'est là la cause de son silence. Adieu, je vous écris à tort & à travers aujourd’hui on reste autour de moi ce qui m’ôte toutes mes facultés. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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159. Paris mercredi 10 octobre 1838

Je vais m'occuper de suite de madame de Pontalba. Je n’ai vu hier que Madame de Talleyrand qui m’a fait une très longue visite. Il me parait qu’elle a du temps à perdre et des nouvelles à apprendre. C’est un grand changement. Deux fois hier elle vous a nommé, et savez- vous ce qui m’est arrivé. Il m’est arrivé de rougir comme on dit jusqu’aux oreilles, mais c’était si fort que ce disait être presque de l'embarras pour elle aussi. Quelle sotte habitude et comme je dois lui paraître étrange. Assurément elle ne comprend pas cela. Je me suis promenée avec mon fils, il faisait très froid. Le soir j’ai causé avec lui, je me suis couchée de bonne heure. encore une mauvaise nuit. J'aime le dernier mot de votre lettre. " je m’impatiente beaucoup." Soyez sûr que ce sont ces petits mots là que j’aime le mieux. Je vais vite les chercher. Vous me parlez de feu, comment vous en avez dans votre chambre ? Cela me parait incroyable.

2 heures
J’ai été interrompue par Matonchewitz, plus tard par Alava. Voici l'heure de ma promenade et de la poste. Je vous quitte et je vous dis adieu with all my heart. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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160. Paris le 11 octobre 1838

Vraiment mon temps est tellement pris par mon fils, par Matonchewitz, par des visites, que je ne parviens pas à vous écrire comme je le voudrais comme j’en éprouve le besoin. Comprenez-vous que je vous aime, que je vous aime beaucoup, que je voudrais causer avec vous sans cesse, sur toute chose, que je m’impatiente contre tout le monde qui me prend mon temps. Matonchewitz repart je crois ce soir. Nous ne nous serons pas dit la vingtième partie de ce que nous avons à nous dire comme un homme d’esprit, & un galant homme est une affaire rare à rencontrer ! J’aime Matonchewitz extrêmement.
Quand je vous reverrai j'aurais bien des choses à vous dire, si le temps qui doit s'écouler encore d'ici là n’efface pas bien des choses de ma tête. Car c’est étonnant comme ce qui semble d'un si vif intérêt dans le moment est diminué au bout de huit jours. J’ai dit hier à un habitué que je les recevrais tous les soirs. Ils sont venus, la portière les a renvoyés, moi je les attendais. Enfin j’apprends qu'on a chassé tout le monde. Il n’est venu plus tard qu’Alava, qui s'avise de se trouver mal. Je l’ai livré à Marie et je suis allé me coucher.
Je ne me porte pas bien. Le sang à la tête, très froid aux genoux. Il faudrait marcher et je n’en ai pas la force. Venez me donner le bras. Pas de nouvelles de mon mari. pas de nouvelles en général, mais un horizon très bien partout. Ici cependant on est content. Votre lettre ce matin est fort bonne à lire. Que de fous dans le monde ! Mais il me semble qu'il n'y a des fous que dans les temps de paix et de calme. Je crois donc qu'ils sont un bon signe. On dit dans le monde que vos amis sont très enragés & qu'ils menacent de s’allier à Odillon Barrot s'ils ne trouvent pas meilleure compagnie.
Je suis fort aise que vous ne fassiez pas de dîner public, & de speech politique. Je trouve toujours qu'on doit ménager ces paroles pour le moment de l'action. les professions de foi, les prédictions, tout cela est du stuff quand ce n'est pas à propos, et je ne verrais aucun à propos à cela dans ce moment. Il me semble que j'aurai bien des belles choses à vous dire sur ce chapitre quand nous nous verrons. Adieu, car je crains encore les interruptions. Adieu. Adieu, toujours de même.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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161. Paris, vendredi 12 octobre 1838

Je ne dors pas, c'est une mauvaise habitude. Pour que je dorme il faudrait que je puisse me coucher tous les jours à 10 heures et je ne sais comment m’arranger pour cela. Hier j’ai eu assez de monde. Mais pas de quoi accuser les Holland qui sont venus s’établir chez moi. Lui est un homme vraiment charmant quel dommage que vous ne les voyez peu ! Ils en sont très contrariés, ils partent. le 25. Matonchewitz passe encore huit jours ici. Plus je cause avec lui et plus je l’aime, nous parlons beaucoup de vous. Je lui ai fait lire votre lettre hier. Il en a été bien frappé. J’ai vu à l’impression qu’il en a reçue que moi je suis bien accoutumée à votre supériorité. Je jouis beaucoup de l’effet qu’elle produit sur les autres. C’est charmant d'être fière de ce qu'on aime.

2 heures
Je crois qu’il me faudra prendre le parti de vous écrire la nuit. Le matin. je suis interrompue, sans cesse. Matonchewitz est venu à 11 1/2 & ne me quitte que dans cet instant, et nous avons tant et tant à nous dire que je ne veux pas abréger ses visites. Vous me pardonnez n’est-ce pas ? On dit que l'Angleterre se joint à nous autres sur la question Belge. Ce serait drôle. Du reste point de nouvelles. Adieu. Adieu. bien vite & bien tendrement.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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162. Paris, le 13 octobre samedi

Vous ai-je dit que la grande Duchesse Olga ne veut pas du prince royal de Bavière. Elle l’a trouvée trop laid. Voilà ce que raconte M. Jennisson. Vos ministères déclament plus que jamais contre la presse. On ne peut pas croire avec elle. On ne sait que penser des affaires d’Orient. Les gestes de l'Angleterre donnent du soupçon à tout le monde. On ne les comprend pas plus ici qu’autre part. Je vous dis bien vite tout ce qui ne me regarde pas. Et pour passer à ce qui me regarde, j’ai fermé ma porte hier, je deviens un peu capricieuse dans mes allures. Mais vraiment je ne suis pas bien ; je me sens fatiguée, accablée. J'ai besoin de mon lit à 10 heures. Je ne sais comment m’arranger pour satisfaire cette fantaisie et en même temps celle de voir du monde. Au reste dans ce moment-ci encore le monde est peu amusant.
Savez-vous que le temps devient bien froid ; cela n’est pas naturel pour cette saison. Je compte sur l'été au mois de janvier. Marie est d'une douceur, d'une égalité d’humeur, & d'une bonne humeur charmante. Le speech de Lady Granville devient tout-à fait inutile. Nous l’avons ajourné à la première boutade au plus léger signe. Vous serez sans doute la pierre de touche. Elle est charmante pour mon fils. Je prétends qu’elle le soit pour vous, & tout le monde ; sans cela, bonjour.
Que je suis impatiente de voir finir ce mois ! Mais je m'en vais être horriblement envieuse. Vous allez revenir engraissé avec des joues, et moi, j'ai une très pauvre mine. Votre premier absence m'avait si bien servi. La seconde ne m'a rien valu du tout, au contraire. Palmella n'a jamais vu de sa vie Madame de Pontalba. Personne de ma connaissance ne la connait. Adieu. Adieu. Je compte les jours Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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163 Paris, le 14 octobre Dimanche

J'ai mal dormi ; je me suis levée très tard. J’attends Matonchewitz tout à l'heure, & je n’ai pas encore fait ma grande toilette. Voyez comme tout cela est enrageant. Et puis dimanche par dessus le marché ! Hier il a fait si froid que j'ai du prendre la voiture fermée. J'ai été à Auteuil où j’ai trouvé beaucoup trop de monde je n’y suis restée que cinq minutes. J'ai dîné chez la D. de Talleyrand avec Alava de là j’ai été de bonne heure chez Lady Holland. M. Molé y dînait. Mad. de Castellane y est venue après, et tout mon monde.
M. Molé a envoyé l’ordre que le corps d'observation reste sur la frontière, attendu que Louis Bonaparte n’a pas quitté encore son château. C’et décidément en Angleterre qu'il doit se rendre & de là aux Etats-Unis/ M. Molé n’avait pas l'air de bien bonne humeur. Il est parti aussi tôt que Mad. de Castellane est entrée.
Le Roi ne rentre en ville que mardi ce jour là aussi on attend Léopold. La conférence ira à ce qu’on croit & dans notre sens, parce que l'Angleterre se joint à nous. a propos Lord Palmerston a proposé d’établir à Londres une conférence pour régler les Affaires de l’Orient Nous avons décliné péremptoirement. Ce sont nos affaires. Demain sera vraiment la moitié du mois d'octobre !
Adieu. Cette semaine sera bien remplie pour moi. Mon fils, Matonchewitz, les Sutherland. Tout cela me quitte avant vendredi. Les derniers arrivent ce soir ! Ils me prendront beaucoup de mon temps aussi. Je voudrais partager toutes ces ressources, tous ces plaisirs, et tout cela vient à la fois ! Ecrivez-moi ; il est bien vrai que j'ai de vous une lettre tous les jours, mais cela ne me parait pas assez. Adieu. Adieu. Je suis bien casée & j'aime bien notre cabinet. Adieu encore.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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164. Paris lundi 10 octobre 1838

Trois heures de causerie avec Matonchewitz, et puis une promenade bien froide en calèche avec mon fils, ensuite le Prince Paul de W. et au moment de ma toilette Lady Granville Voilà ma matinée hier. J’ai dîné chez le duc de Palmella, où je me suis ennuyée ; je suis rentrée chez moi au sortir de table ; j’ai eu beaucoup de monde que j’ai chassé à onze heures. Ma journée a été remplie c'est à dire dissipée. Cependant les visites de Motonchewitz comptent. J'aimerais bien le garder ici, & il en a une grande envie, mais au bout du compte, il en sera encore plus profitable à Pétersbourg. Il part jeudi. Lady Clauricarde va demeurer dans ma maison, dans ce Palais si beau, si horrible pour moi. J’ai été saisie hier quand on me l’a annoncé.
Pozzo a une ample permission de venir à Paris et d’y rester jus qu’au mois de février. Il en est enchanté et moi aussi. Tcham est tout ahuri de ce que l’affaire suisse n’est pas finie tant que Louis Bonaparte y reste vous continuez votre attitude guerrière. Il a déposé cependant entre les mains du Gouvernement de Thurgovie une déclaration dans laquelle il se dit français. Mais ces gens sont un peu à sa dévotion, et ils ne donnent pas de publicité à cette déclaration.
Je vous remercie de me parler de nos habitudes d’hiver. J'y pense bien moi. J’arrange aussi, quel plaisir que tout cela ! J’ai fait la paix entre la Duchesse de Talleyrand et Lord Holland. Elle était désirée des deux partis. Ils se verront aujourd’hui. Je voudrais bien parvenir à montrer Berryer aux Holland, mais il n’est pas ici ; et ils partent le 25, encore une fois quel dommage que vous ne les voyez pas ! Ils en sont très contrariés. Ne me trouvez-vous pas bien égoïste dans ce que je vous dis sur Matonchewitz ? Un grand défaut est de ne jamais prendre le temps et la peine d’expliquer ma pensée. Ainsi ce que je vous dis à son égard qui me regarde, le regarde lui bien davantage encore. Il faut qu'il parte, car sa carrière est finie, s'il reste à Paris. Pour mon plaisir, pour le profit de ma curiosité, il me serait bien agréable ici. Il sait tout. Il est au courant de tout. Il est discret, prudent; sûr. C’est bien rare.
Voilà un temps doux & mou. Le même degré hier au thermomètre, et une sensation charmante au lieu de la plus désagréable. Madame de Castelane m'accable d’attention et de cadeaux. Il faut que je rende, les cadeaux s'entend. Je viens de m'arranger pour cela avec Fossin. Vous doutiez-vous en me faisant l’éloge de Lord Halland dans votre dernière lettre que vous faisiez un peu, non pas un peu, tout-à-fait ma critique ? Je vous en remercie, cela me fait toujours du bien, quoique je ne réponds pas que je me change. Je suis bien vieille pour changer. Il y a vingt ans de cela que je devais faire votre connaissance, comme je serais autre, comme je vaudrais mieux !
Adieu. Adieu. J'écris toujours à mon mari, mais vous verrez qu'il va reprendre son silence. Celui de mon frère me surprend. Adieu de tout mon cœur.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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111 Paris lundi 21 août 1838

Vous aurez bien vu ce matin que je n’ai pas manqué un jour de vous écrire. J’espère que vous avez reçu deux lettres à la fois. Il était tard en effet quand j’avais oublié. J’ai remis ma lettre, le dimanche. Vos émois intérieurs me font bien de la peine, et je ne sais comment m’y prendre pour vous le dire mieux que cela. Lorsque je me suis trouvée menacée d’un grand embarras, tout le monde s’est offert à m’en tirer ; et je vous assure que si les menaces avaient été effectuées, je n’aurais pas balancé à en écrire à Lady Cowper. Est-ce que je ne vaux pas Lady Cowper pour vous ? Je voudrais une réponse toute simple à ceci, car cela me parait la chose du monde la plus simple.
Le Duc de Devonshire est venu me prendre bonne partie de la matinée hier. Et il est si sourd que je suis sortie parfaitement fatiguée de ce tête à tête. Il ne m’a rien dit de nouveau, mais dans sa qualité de Whig et de patron des gouvernants actuels j’ai été frappée de l’entendre parler avec beaucoup de dégout de la persistance de Lord Melbourne de conserver le pouvoir à des conditions se humiliantes. On est très curieux en Angleterre d savoir ce que va faire lord Durham. Les ministres espérant beaucoup qu’il restera au Canada. Le Duc de Devonshire repart demain pour courir après sa sœur. J’ai dîné hier chez Palmella comme je vous l’ai dit. Lord Alvanley m’a fait rire, & Palmella ne m’a pas ennuyée. J’en suis sortie à 9 1/2 et j’ai été encore me promener sur la route du Val Richer.
J’écris une longue instruction pour Lady Clauricarde. J’aurais bien aimé trouver une Mad. de Lieven il y a 25 ans lorsque je suis allée en Angleterre. Il a fallu que je trouve tout, toute seule. Pour en revenir à Lady Clauricarde. Vous ne sauriez concevoir comme cela est complet j’en suis étonnée moi-même et très fatiguée. Il me semble que je n’ai rien à vous dire de nouveau. Je n’ai reçu de lettres de personne. M. Molé l’autre jour parlait bien mal de la situation de l’Angletere je crois qu’il se trompe, les radicaux y sont faibles en dépits de toutes les sottises qui se disent & s’impriment. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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127. Paris, le 6 septembre 1838

Ma lettre d’hier a répondu à votre lettre d’aujourd’hui. Je laisse donc tout-à-fait ce sujet. Ah que c’est peu de chose de s’écrire comme cinq minutes d’entretien valent mieux que dix lettres ! Vous me disiez l’autre jour que vous n'aimez de jardin et de pare que le jardin ou le parc qui vous appartient, que ce qui appartient à un autre vous lasse vite. C'est très vrai, c’est ce que j'éprouve aussi, et cela s appelle de l’envie. Cette définition est peu brillante, mais elle est vraie. Soyez sûr que nous sommes des êtres horrible ment jaloux, et que la belle nature toute simple nous charme parce que nous ne sommes pas jaloux de Dieu. A propos, j’ai cependant été à Versailles hier, mais seule avec mon fils & le le petit Coke. Celui-là nous pouvions le mettre à l'abri dans ma calèche sans nous gêner, il n’en eut pas été de même de Marie, du prince Howard & de M. Acton qui devaient tous aller avec moi. A 10 heures le matin il y a eu un orage épouvantable, j'ai envoyé ma circulaire pour renoncer à la partie. A midi le temps est redevenu beau, mon fils avait une grande curiosité de Versailles, et nous y sommes allés comme je viens de vous dire.
Eh bien je dis de Versailles ce que tout le monde en dit, me réservant de penser toute autre chose. C’est de l'hérésie, c'est de l'impolitesse et voilà pourquoi je me tairai. Les ordres avaient été donnés, j’ai tout vu à mon aise ; traînée dans les petites chaises. J’ai été ensuite regarder la façade du château dans le jardin. J’ai fait un très mauvais dîner au réservoir, et je suis revenue pas l’orage le plus horrible que j'ai jamais vu nous nous sommes abrités sous une porte cochère à Sèvres. La grêle était grosse comme des prunes. Je me suis couchée à 9 heures, & à me voici. Il y a deux jours que je n’ai pas vu une âme. Je n’ai pas un mot de nouvelles à vous dire. Je suis curieuse de la Suisse. Mon fils me quitte après demain. Il reviendra le 25, pour repartir le 2 ou le 3 octobre.
Que va devenir cette affaire de la Suisse, cela commence à devenir très curieux, et cependant vous verrez que cela s'en ira en fumée. Adieu Adieu. Dites-moi toujours adieu avec le même plaisir que je le dis, je suis bien triste et bien douce aujourd'hui. Je pense bien à vous.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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109. Paris, Dimanche 19 août 1838

J’ai reçu votre lettre de Broglie. Je suis fâchée que M. de Broglie ne vous ait pas laissé dormir. J’ai si mal dormi cette nuit qu’il me semble dans ce moment que rien ne peut être plus charmant que le contraire. Le duc de Noailles est entré chez moi hier au moment où je fermais ma lettre. Ce n’est pas lui qui a parlé. il avait mille choses à apprendre. Il m’a retenue un peu. J’ai été à Longchamp. M. Greville est venu m’y voir. Il n’y avait cependant rien de nouveau d’Angleterre. On espère que le discours de Lord John Russell disposera Lord Durham à rester à son poste en dépit de l’acte d’indemnité. Son retour serait un grand embarras.
J’avais été voir un moment la petite Princesse hier matin. Quel sale ménage ! Je les ai trouvés au déjeuner j’en ai eu mal au cœur. Elle est toujours dans les désespoirs et les terreurs de sa femme de chambre. Cette pauvre folle croit toutes les nuits qu’on attente à son honneur, & le jour elle essaie de se pendre. Cela jouit au perroquet, au chat, au chien, à la nourrice & au prince Schonbery fait un intérieur inconcevable. Je suis allé à Auteuil hier au soir ; j’y ai mené lord Clauricarde et Lord Coke. Il y avait fort peu de monde. Appony m’a dit que selon leurs lettres du prince Metternich le grand duc fera comme il était convenu le voyage d’Italie dans les provinces autrichiennes mais qu’il n’y acceptera pas de fêtes, et ne sera que simple voyageur. L’Empereur Nicolas était attendu sur le lac de Constance le 15. Après, on ne savait pas où il devait se rendre. Le 15 septembre il sera à Berlin aprés les manoeuvres de Magdebourg.
Je vais dîner aujourd’hui à Auteuil avec le Duc de Noailles. Le prince Metternich a été extrêmement content de ses entretiens avec l’Empereur ; Appony a ajouté avec une joie évidente que les récits de Vernet étaient faux, qu’il n’y avait rien de changé. Pahlen reviendra donc comme il était parti. C’est mercredi qu’il arrive. Vous voyez que je cause avec vous comme si vous étiez ici. Mais quelle différence ! Comme je la sens ! Adieu, le dimanche on me demande ma lettre de meilleure heure. Adieu & de tout mon cœur.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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83. Paris, Vendredi 6 juillet 1838 Je sais fort bien ce que c’est que les mouches, la verdure, les oiseaux et le brillant soleil et le charmant parfum de l'air à 5 heures du matin. Comme vous j’adore tout cela, & comme vous je ne puis pas adorer seule, dès lors je ne recherche pas ce qui me donne une sensation penible, car tout dans ce genre m’attriste. Vous me connaissez bien, & cependant vous ne me connaissez pas tout à fait. Vous ne savez pas tout ce qu’il y a dans mon cœur. Il y a tant tant de tendresse, tant de sentiments que je ne sais pas exprimer. Tant de douleur surtout si profonde ; si éternelle. Je veux vous parler d’autre chose. J'ai eu des lettres de Londres, du duc de Sutherland entre autre ; mais comme elle a pour épigraphe a frivolous one Je n’ai rien à vous en dire, ce n’est en effet que dîners, cérémonies. Quelques querelles de préséance, des pauvretés. Plus de chaises pour les ambassadeurs. J’aurais bien voulu voir cela de mon temps ! Aussi me fait on l’honneur de m’écrire qu'on pense beaucoup à moi depuis toutes ces fêtes. Le Duc de Nemours est parfaitement blessé par votre Ambassadeur, et en général par les Ambassadeurs. Au fait ce n’est pas là l’occasionde la présence d’un prince, mais du maréchal Soult, quelle popularité. Le dîner de la reine aux Amb. du quadru ple traité et au Pce de Lejus, c.a.d. aux amb. constitutionnels tandis que les despotes ont dû se contenter du dîner de Lord Palmerston, aura fait un peu de bruit dans la diplomatie. M. Fleickman qui revient J’ai enfin vu de Stoutgard & qui est venu me chercher quatre fois sans me trouver. Il m’a dit bien des petites nouvelles de la part de son maître qui a été à Berlin comme vous savez. Il n’a reconnu aucun change ment dans les dispositions du Tzar, & il y a même sur ce sujet un mot assez piquant que je ne puis pas vous redire. Ils ont beaucoup causé ensemble. L'Emp. désaprouvee cependant la marche du Roi de Hanôvre et trouve qu’il va trop loin dans le bon sens. L'affaire de la Prusse avec le Pape va s’arranger. La querelle avec la Bavière avait été poussée très loin. Cela aussi s'applanit. Le duc de Nassau ami intime de mon Empereur a passé par Compiègne pour se rendre à Londres. Il n’a pas voulu toucher Paris ; il a fait venir Fabricius à Compiègne. Cela à un peu blessé ici à ce qu’on dit. J'ai eu hier matin une longue visite d'Appony. J'ai dîné en Angleterre. En effet rien que des Anglais. Un temps charmant. La lune su perbe. Vous l’aurez vue comme moi. J’ai oublié de vous dire plus haut que L’Empereur ira sur le lac de Constance au mois d’août, Je ne doute pas qu'il ne parcours les bords du Rhin. Le Roi de W. a trouvé mon jeune grand Duc, doux, beau, & un peu simple. Je vous remercie de m'avoir mandé les departures de Broglie. Vous me connaissez moi et toutes mes bêtises. Adieu, adieu, mille fois, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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95. Paris, le 18 juillet 1838

Ah qu’il me faudra une bonne lettre demain pour me faire oublier la mauvaise lettre de ce matin ! Quand on n’a qu’une lettre pour le plaisir de toute une journée convenez que la taille de la vôtre est tout à fait J’attendrai donc. inconvenante Hier j’ai eu matin longue visite de M. Molé. Après quoi j’ai mené à Auteuil M. Ellice que j’avais enfermé avec Marie pendant mon tête à tête avec le président du conseil. Ellice n’a pas cessé de parler un seul instant pendant une promenade de deux heures. A propos & pour expédier tout de suite le plus pressé, pouvez-vous me faire une grande grâce ? Mais il me le faut tout de suite, ou que vous me disiez tout de suite que vous ne le pouvez pas. Pouvez-vous me procurer un homme de 20 à 30 ans pas plus, qui soit en même temps instituteur & même (tutor and companion) d’un garçon de 15 ans. Qui ne sache pas un mot d’Anglais, qui enseigne à cet enfant, la langue française à l’entretienne d’histoire, qui ne le quitte pas un instant, qui fasse au besoin avec lui quelques courses aux environs de Paris ? Enfin un homme actif, gai & sûr. Cette tutelle ne doit durer que quatre mois, peut être un peu plus. Le petit garçon Lord Coke fils du Earl of Leicester sera établie aux environs de Paris dans une famille française, tout cela est déjà réglé, il ne manque donc que ce précepteur. Nous ne le voulons pas pédant, pas trop doctrinaire. Le but du séjour de cet enfant ici est tout simplement d’apprendre bien le français et de savoir quelque chose de plus que faire des latin verses. Si M. l’instituteur peut par dessus le marché l’entretenir dans l’habitude du Latin il n’y aurait mais cela n’est pas essentiel pas de mal, l’essentiel est le français, la surveillance et l’entrain. Si vous connaissez une espèce qui répond à ces exigence. Ayez la bonté de lui écrire pour qu’il se rende de suite à l’hôtel Bristol place Vendôme chez M. Ellice de votre part. La question pécuniaire sera largement réglée, le jeune homme est héritier d’une fortune de 50 m £ de rente ! Vous savez ce que vent dire £ ? Des guinées. Vous me ferez un grand grand plaisir. Mandez-moi aussi l’adresse du précepteur. Je me suis chargée de cette affaire croyant que par vous tout se pouvait
Il m’est impossible de vous redire tout ce que m’a dit Ellice. C’est trop. Le plus important, est le remaniement positif, selon lui, du ministère, dans quel sens ? C’est ce qui restera à voir vraisemblablement plus Torry que Whig. Il déteste Palmerston et dit que Lord Melbourne le déteste aussi. M. Molé ne l’aime pas trop. M. Molé m’a conté bien des choses qui m’intéressent. Une conspiration avortée à Varsovie. Défaites de nos troupes dans l’Abazie. L’Empereur, d’une activité qu’ on qualifie étrangement. Et puis une drôle de chose, M. de Stackelberg intermetteur des secours aux Carlistes d’Espagne. Cela quoique il l’affirme, je ne puis pas le croire. Il a l’air d’en être bien sûr. Nous avons causé de tout. Il n’a pas d’inquiétude pour l’Orient du moins pas pour le moment. Il est content de l’Angleterre sur ce point. il me semble que je vous ai redit en gros, tout ce que je sais. Je m’en vais dîner aujourd’hui à Auteuil, je médite une fuite à Varsailles avec Ellice & Aston. Ce sera dans la semaine prochaine. pour y passer trois jours. Le Maréchal sera ici je crois le 25. Le duc de Nemours demain.
Adieu. Je voudrais bien vous faire comprendre combien vous me manquez. Combien j’ai des moments de tristesse de mélancolie affreuse, mais il ne faut pas trop vous le dire. Adieu. Adieu.
J’ai eu une lettre encore de la Duchesse de Talleyrand. Elle est insatiable. Elle veut des nouvelles et m’en donne de son côté de tout à fait saugrenues, sa meilleure source est M. Jennison. Imaginez. Quelle chute !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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94. Paris mardi 17 juillet 1838

Votre programme de dîners me déroute mais Lisieux me parait nous rapprocher et j’y gagne je crois. Lady Granville est vraiment partie ce matin, je l’ai encore vue deux fois hier et j’ai revu M. Ellice ce qui me fait un gros plaisir. Je vais le faire bien parler en attendant j’ai eu une énorme lettre de Mad. de Flahaut pas mal amusante, mais plus remplie de petites tracasseries que d’autre chose. Les diplomates se font la petite guerre. L’Orient ne veut pas inviter l’Occident, ni aller. chez cet accident. Il y en a même qui ne se calment pas. La guerre de principes a commencé. Cela doit être fort ridicules. nous soutenons les mêmes principes lorsque j’étais à Londres, mais les représentants constitutionnels trouvaient à manger et à danser chez moi comme les autres. Le bal du Maréchal Soult a été fort ridicule il avait invité le Lord Maire et sa femme, gens qui ne passent jamais le Temple-Bar. Et il a été plein d’attentions pour la Lady Mairesse. Vous ne sauriez croire comme cela est drôle en Angleterre. On a trouvé sa maison fort mesquine ; le seul luxe remarqué a été des bouquets offerts aux femmes et on a dit qu’il avait mis quatre cent mille francs en bouquets. Ni lui, ni les Sébastiani n’ont invité une seule fois M. de Flahaut a dîné vous concevez la fureur de Marguerite. Le Duc de Nemours a déplu généralement, à tout le monde. On le trouve mal élevé et sot. Ceci ne vient pas de Marguerite. M. de Fabricius m’a fait savoir hier que le grand Duc avait renoncé à visiter la Hollande. Son indisposition se prolonge à Copenhague, et l’Empereur veut qu’il se trouve demain à Toeplitz ! Je n’ai rien de direct.
J’écris aujourd’hui à mon mari en adressant ma lettre à mon frère. Ce voyage manqué ou tronqué est une fort désagréable affaire pour mon mari. On dira que c’est maladroit et qu’un vrai Russe n’aurait par été aussi gauche. Quelque absurde que ceci vous paraisse, je vous dis vrai. Nous verrons les conséquences. J’attends M. Molé ce matin, et puis j’irai à Auteuil si j’en ai le temps. Voici qu’on m’interrompt. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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93. Paris lundi 16 juillet 1838

Que je vous remercie de la douce musique qui m’attendait à mon réveil. J’ai lu et relu ces paroles si sérieuses ; si tendres, si intimes, si vraies. Je vous dois une grande jouissance. Vous avez remis. bien du calme dans mon âme. Non sûrement mon humeur ne s’adressait pas à vous. Elle ne s’adressera jamais à vous. Mon Dieu que je serais coupable si je me permettais jamais une injustice, une impatience envers vous. Mais je suis triste, je resterai triste jusqu’à ce que je revoie l’éternité dans huit mois. Car c’est bien comme cela qu’ils m’étaient apparus le 1er novembre 1837. Lady Granville est venue me prendre hier pour aller au bois de Boulogne il faisait un temps charmant.
Après le dîner, j’ai recommencé, jusqu’à l’heure où j’ai ouvert ma porte. J’ai eu toute la diplomatie. Angleterre, Autriche, Prusse, Hanôvre, Naples, avec une quantité de jeunes Anglais qui vous sont inconnus. La Duchesse de Poix & sa mère. M. Berryer. La chaleur l’a fait maigrir ; il était presque joli, car il faut vous dire que je ne trouve un homme joli qu’à la condition d’être maigre. C’est juste l’inverse pour une femme. Berryer ne veut voir que des souvenirs d’Empire dans le ovations au Maréchal Soult. Savez- vous que cela devient vraiment absurde, et que je comprends que cela ne plaise pas du tout ici. Le duc de Nemours fait là une triste figure.
Les conférences à Londres vont s’ouvrir. Elles ne serviront qu’à attester qu’on ne peut pas s’entendre, ici on veut des modifications au traité, du moins quant au partage de la dette, nous n’en voulons pas, et on s’arrêtera Léopold a causé avec tout court. nos représentants ici. Ils l’ont trouvé assez modéré et assez embarrassé. Il n’est point venu me voir. Je suppose que nous avons fini notre connaissance.
Le prince Paul de Wurtemberg m’a fait une longue visite hier matin. Il est plus que jamais monté contre le château. M. Ellice arrive aujourd’hui à Paris. Voilà pour moi une petite distraction au chagrin que me cause le départ des Ganville. Ils restent encore aujourd’hui pour causer avec Ellice. Le Duc de Noailles me demande de Dieppe de lui faire la charité, mais il a bien de la prétention. Il veut l’Egypte, la Belgique, le cœur de mon empereur. Il veut tout savoir. Je lui dirai quelques unes des choses que je ne sais pas. Les cours d’Allemagne sont fort contrariées de la maladie du grand Duc. Partout où l’a annoncé à jour fixe. On a fait des préparatifs, rassemblé des troupes cela coûte de l’argent on reste en suspens. Je pense que si cet état se prolonge il faudra qu’il renonce a son programme. Comme l’Empereur va être furieux. Il ne peut pas souffrir qu’on soit malade. Il ne le promet pas. Ce n’est pas dans le code militaire. Je suis sûre que le pauvre grand Duc est aussi malade de peur que de la maladie.
La petite princesse est malade d’une fluxion à la tête. Son mari s’amuse au Havre, il y est depuis 3 semaines. Adieu, cet adieu que j’ai trouvé au bout de la lettre de Dimanche à 8. h. du matin. Je vous le rends lundi à midi 1/2. Quand le dirons-nous ensemble ? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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92. Paris Dimanche le 15 juillet 1838

Enfin je respire, il pleut, j’ai dormi quelques heures cette nuit, c’est bien nouveau pour moi. Soyez sûr qu’Henriette a été malade tout bonnement par l’excès de la chaleur.
Je viens de recevoir une lettre de la reine de Hanovre du 9. Le grand Duc qui s’était annoncé pour le 4 était, encore le 9 à Copenhagen attaqué à ce qu’elle croit de la fièvre tierce. La Dernière fois qu’il s’était montré à un cercle diplomatique chez lui on lui avait trouvé une mine terrible. Dans quelles angoisses mon mari doit se trouver. Moi je vous assure que de loin j’en suis triste. J’ai une vraie tendresse pour ce jeune homme. Je l’ai laissé si doux, si bon, si aimant. Il me semble que mes enfants seront heureux sous son règne. Je prie bien sincèrement pour sa conservation.
J’ai été hier matin à Longchamp, seule ; il y avait de l’air. Le soir j’ai été à Auteuil, beaucoup de monde. Le plus élégant jeune homme était le chancelier. Il m’a fait marcher dans le jardin avec un air de conquête fort divertissant. Je vous prie de croire que c’était dans des allées obscures. J’ai trouvé de la causerie hier, il y avait à peu près toute la Diplomatie, les Granville encore. Il ne partent que demain. Il n’y a pas l’ombre d’une nouvelle.
Que voulez-vous que je vous dise ? Je m’ennuie parfaitement. Mes journées commencent & finissent sans un moment, un mouvement de plaisir. Après votre lettre lue j’attends le lendemain matin. Je n’ai que cela. Adieu, que le mois de juillet est long ! God bless you.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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91. Paris, le 14 juillet 1838

La chaleur m’a parfaitement démoralisée. Je n’en puis plus et si’cela dure j’en tomberai malade. Je ne puis fermer l’œil, j’étouffe. Si je vous dis des bêtises aujourd’hui je vous prie de ne pas vous en étonner. Je viens de recevoir votre lettre de Broglie. Y serons-nous ensemble ? Je vous demande à vous ce qui ne dépend que de moi. Je ne sais pourquoi cependant, je répugne un peu à y aller. Mad. de Broglie je crois n’aimerait pas ma visite, & je n’ai jamais été que là où l’on m’a beaucoup désirée.
J’ai passé ma matinée hier enfermée chez moi, bien barricadée contre le soleil, l’air, le jour, à peu près dans les ténèbres, par conséquent à peine un peu d’occupation. à 7 heures je fus dîner chez Lady Granville il n’y avait d’étranger que la petite princesse, & Mad. de Caraman que Lady Granville soigne beaucoup parce qu’elle plait à son mari. Voilà ce que je ne puis souffrir. On dîne en bas, le jardin est éclairé, et c’est là que se passe la soirée. M. Molé y est venu nous nous sommes dit peu de choses nous réservant de nous dire beaucoup chez moi. Il m’a enfin demandé le jour & l’heure. Mardi, je parie qu’il ne viendra pas. selon ses nouvelles de Hambourg mon mari a envoyé des courriers pour annoncer partout que l’arrivée du grand duc était retardé. Il a toujours la fièvre à Copenhagen. Je plains mon mari il sera bien inquiet. Jamais encore son jeune prince n’a été malade.
M. Molé a une mine de santé superbe. J’ai eu une drôle de lettre de Lord W. Russell. Je vous l’envoie pour votre divertissement. Renvoyez la moi. Vous voyez que le grand sujet est que je suis descendue. Ah mon Dieu je laisse bien volontiers à d’autres le plaisir d’être bien haut. Ce n’est pas comme cela que j’entends la vrai élévation. Vous voyez aussi avec quel dédain on traite tout ce qui est étranger. They don’t care !
M. Aston m’a fort intéressé, & je compte l’exploiter beaucoup après le départ des Granville. La populace de Londres a été étonnante, pleine d’égard et de respect pour tout ce qui est étranger mais surtout pour la qualité des Français, un million de spectateurs, et pas un désordre ; c’est là ce qui semble avoir confondu les étrangers. Car il n’y avait pas un militaire pour contenir la foule. Puisque je grossis mon paquet je ne m’arrête pas, et je vous envoie en même temps Lord Aberdeen & Lady Cowper. Vous me renverrez tout cela par la même voie.
Adieu. Adieu, est-il possible que vous aimiez la chaleur ? Je ne vis pas depuis quatre jours. Je fonds il ne restera de moi personne comme après la toilette de certains ministres.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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90. Paris, le 13 juillet 1838

Il me parait que vous êtes mécontent de moi. Vos lettres ne sont pas aimables. Je suis sure que vous avez raison & que vous me traitez comme je mérite de l’être. J’ai une si immense confiance dans votre équité. Mais comment ferons-nous si nous continuons ainsi ? Notre séparation me donne de l’humeur, c’est vrai, beaucoup d’humeur, et je vous montre tout ce que j’éprouve. J’ai bien senti que mon été serait affreux ; je ne m’y suis pas résignée d’avance, je m’y résigne bien moins aujourd’hui que j’éprouve tout l’ennui, toute la tristesse, de votre absence. Elle est affreuse pour moi, et puis l’atmosphère de Paris est horrible dans les chaleurs, Je ne sais ni dormir, ni manger. Il n’y a plus de promenade possible jusqu’à 8h du soir.
Hier je n’ai pas bougé, je n’ai vu personne jusqu’à 9 h. Alors on s’est réuni chez moi jusqu’à onze. Lady Granville, la petit Princesse, les Poix, les Durazzo, les Statelberg, cette insoutenable Mad. de Caraman, & les diplomates des puissances qui ne dînent pas chez la Reine d’Angleterre. Si je vous reparle de ce dîner, c’est qu’en effet il a fait et fait encore beaucoup de bruit à Londres. Lady Cowper m’écrit 12 pages sur cela c. a. d. pour excuser le dîner constitutionnel. " C’était un hasard, pas d’intention du tout. Les Ambassadeurs ont fait du bruit. Enfin hier on devait les faire manger chez la Reine. la petite reine est fort tourmentée de toutes les prétentions ; Melbourne en est  accablé aussi. Lord Durham donne beaucoup de souci au Gouvernement." Voilà à peu près la lettre que j’ai livré à Lord Granville pour son divertissement.
Mon grand Duc a été malade à Copenhaguen il allait mieux ; je sais cela par M. de Médem, car moi je n’ai rien, toujours rien, & quand j’aurai, soyez sûr que ce sera une lettre désagréable j’ai bien envie de ne pas l’ouvrir. M. Aston est arrivé & les Granville partent, mon dernier plaisir s’en va. Je crois vraiment que je partirai aussi. Ce qui est sûr c’est que j’essayerai autre chose que Paris, car vraiment j’y tomberais malade de la chaleur et de mauvais air. Ah si la Normandie était plus près, j’irais dans quelque bois. Et si la France était un pays plus civilisé, et qu’on fut sûr d’une chambre propre comme on en est sûr dans la plus petite auberge du plus obscur village de l’Angleterre, je sortirais des barrières tout de suite. Mais rien n’est facile ici dans ce genre, ou bien je suis trop difficile.
Ce que vous me dites des inconvénients possibles de l’hôtel Talleyrand, me dégoûte tout à fait du projet, vous avez raison Je n’y tiendrais pas. Adieu Dites-moi que vous m’aimez encore malgré mon abominable caractère. Dites- moi quelque parole douce. Je vous en envoie tant en idée. Je pense tant à vous. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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89. Paris Jeudi 12 juillet 1838

Vous m’avez écrit un petit mot bien enrhumé. Je n’ai point de rhume mais je n’ai rien à vous dire. J’ai chaud, c’est bien pis que votre rhume. Je dors à peu près en plein air et j’étouffe cependant. Si cela continue, je serai fondue. Hier Longchamp ne m’a pas rafraîchie. C’était un rout. La petite Princesse, Mad. Appony, Mad. de Caraman, & toute l’Angleterre, principal, attachés, enfants, tout le monde. Après, le dîner je me suis fait mener vers la Normandie le plus loin possible, & puis je suis revenue fort tristement chez moi pour me coucher. Vous causiez en attendant avec le duc de Broglie, et puis en remontant chez vous, vous aurez pensé que tout était possible, et cette pensée là ne faisait pas suite à votre entretien politique.
L’Infant Don François de Paul est attendu à Paris avec toute sa famille. On a loué pour eux le premier de l’hôtel Gallifet au dessus de la Duchesse de Talleyrand. L’ambassadeur d’Autriche n’a pas la moindre certitude d’avoir l’hôtel qui appartient à la liste civile ; on ne sait où prendre l’argent pour le mettre en état.
Vous voyez bien que je ne sais aucune nouvelle. Vous pourriez bien m’en dire. Est-il vrai que la presse abandonne le gouvernement, je parle de la presse en général, & qu’il ne lui reste plus que les Débats ? En tout cas le ministère peut se moquer de tout le monde jus qu’à la fin de l’année. nouvelles J’attends aujourd’hui des d’Angleterre. M. Aston aussi doit arriver et hélas les Granville partent après demain. Demain je vais encore dîner chez eux.
Adieu, donnez-moi des nouvelles de votre rhume, pour me dire qu’il est fini. On me promet du ragoût ce matin, mais je ne l’aime plus, je ne sais pas manger quand il fait chaud. Je ne mange que des fraises. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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89. Paris, le 11 juillet 1838

La journée hier a été bien chaude. Je suis à Longchamp. J’y restée jusqu’à 6 1/2 ai reçu quelque visites, les Durazzo, Henry Greville. A propos je parle de Long champ comme de ma propriété, c’est que je l’ai pris en effet pour le temps de l’absence de Lady Granville. J’y porte j’y trouve des livres. Hier mon ouvrage, j’ai les quelques lettres de Fénelon.
A 7 heures j’allai trouver un grand dîné chez Lady Granville, et à mon très grand plaisir le Duc de Broglie. Nous avons reparlé un peu de la Normandie, suffisamment pour confirmer mes droits. J’aime beaucoup M. de Broglie, indépendamment même de le Normandie. J’ai causé assez avec M. de Sturner, l’internonce d’Autriche à Constantinople. Il affirme que le Pacha d’Egypte n’aura pas déclarer son indépendance. M. de Sturner a de l’esprit assez, et cela me parait un homme sage, prudent. il y a 20 ans que je le connais, il était à Ste Hélène auprès de Bonaparte. On dit vraiment que M. Molé n’est pas du tout enchanté du triomphe du Ml Soult en Angleterre. La France ne sera plus assez grande pour lui. Il m’est revenu quelques commérages de Londres, entre autres que le P. Esterhazy est allé au nom du corps diplomatique oriental demander a Lord Palmerston raison du dîner constitutionnel donné par la Reine. Ce qu’il y a de sûr c’est que ce dîner a été très remarqué, & que les Ambassadeurs despotes sont fort mécontents. Le maréchal revient le 20. Les autres restent tous jusqu’à la fin du mois. Votre lettre de ce matin me fait supporter que celle-ci ira vous chercher à Broglie. Je vous souhaite d’y avoir moins chaud que je n’ai ici, mais j’oublie que vous aimez la chaleur. A propos votre rose me rappelle que cette même citation ma été faite par hasard en Angleterre par plusieurs personnes les premiers mois de mon arrivée dans ce pays, et que je me demandais si tous les Anglais n’avaient qu’une seule et même chose à dire. Depuis je ne l’ai plus entendue. Vous m’envoyez une vieille connaissance. Sans avoir pensé à elle hier au soir, je me disais bien lorsque le Duc de Broglie était assis prés de moi. S’il pouvait lui porter de moi quelque chose. Et puis quand il m’a demandé mes ordres pour la Normandie il m’a été impossible de vous nommer à côté d’une phrase vulgaire, et je l’ai chargé de mes souvenirs pour sa femme toute seule.
Mes yeux sont touchés par hasard ce matin sur la dernière lettre de mon mari de Stettien. " Il est urgent de reprendre nos N° afin d’exercer un certain contrôle." Puis reviennent les vues sordides & & vraiment c’est trop drôle car il ne m’a plus écrit depuis du tout Je me sais toujours mauvais gré quand je pense à mon mari. Je trouve qu’il y a rien de plus bête, ni de temps plus mal employé.
Adieu, combien de fois vous dirai je ce mot, jusqu’au jour où je ferai mieux que le dire ? Adieu Adieu. Prenez soin de vous. J’ai peur de vos promenades à cheval à Broglie, vous n’en avez pas l’habitude songez toujours a ma poltronnerie.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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87. Paris Mardi le 10 juillet 1838

Vous vous levez de bien bonne heure. Votre lettre ce matin est datée de 6 1/2 vous avez raison, il doit faire charmant à cette heure là. Je voudrais veiller et dormir à l’air. J’y passe tout mon temps, l’air de Longchamp est excellent mais celui des Champs-Elysées, c’est une autre affaire. Je j’y pense pour pense bien à vos bois autre chose encore que pour l’air ! Je n’ai vraiment rien à vous dire sur ma journée d’hier. Lady Granville a la petite Princesse le matin, le soir la duchesse de Poix, qui est arrivé pour passer deux jours à Paris. Vous concevez que cela ne me fournisse pas grand chose. J’ai manqué le duc de Noailles. Il a passé chez moi lorsque j’étais dehors, & ce matin de bonne heure il doit être réparti. Vous ai- je dit que j’ai eu une lettre de la d. de Talleyrand de Bade ? Cette lettre est si insignifiante qu’il cet clair qu’elle ne l’a écrite que pour que je lui en réponde une qui ne lui ressemble pas du tout. ce que j’ai fait. Je lui ai donné toute l’Angleterre.
A propos, la Reine distingue le marquis de Douglas, vous l’avez vu un soir chez moi. Il est fort beau et un peu bête. Les fiers Hamilton, comme ils vont lever la tête ! Je n’ai pas pu apprendre si le Duc de Broglie est venu. Je dîne aujourd’hui chez Lord Granville, s’il est à Paris, il y dînera aussi. Savez-vous que je n’ai pas un mot à vous dire aujourd’hui ? Je racontais tout à midi 1/2. Je ne sais pas écrire ce que je sais raconter. Ah quelle différence ! Comment il n’y a pas encore quinze jours depuis votre départ ? C’est incroyable. Cependant quinze jours est la huitième partie de quatre mois ; je cherche à me persuader que c’est quel que chose de gagner quand je sens su bien tout ce qu’il y a de perdu ! Adieu
Vous deviez aller le 11 à Broglie, mais le procès n’est pas jugé encore. M. de Broglie n’y sera pas. Comme vous ne m’avez rien dit pour mes lettres je continue à les adresser chez vous.
Adieu. Adieu. Moi aussi je ne me souviens d’aucune joie d’enfance, ni d’aucune peine non plus. Comme tout s’efface qui n’est pas un vrai sentiment, et comme dans ce genre la douleur laisse plus de trace que le plaisir !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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86. Paris lundi le 9 juillet 1838

Je ne sais quel est le mot du 83 qui vous a déplu. Je ne sais jamais ce que je vous ai écrit une heure après que ma lettre est partie. Mais ce que je sais, c’est que mes lettres doivent se ressentir de la disposition de mon esprit ; que celle-ci est mauvaise ; je ne veux pas vous montrer de l’humeur, du chagrin ; je ne veux pas non plus me laisser amollir le cœur en vous écrivant. Je veux subir sans me plaindre cette longue séparation. Si je me laissais aller à la plaindre, je deviendrais injuste, ou je deviendrais trop tendre. Je fais comme vous, je cherche à me distraire en vous écrivant, car vous me dites cela dans le N°. de ce matin. Je cherche même plus. Je voudrais me rendre le cœur un peu dur ; cela va mieux à ma situation, je reprendrai mon naturel vers la mauvaise saison, qui sera la bonne. Ne trouvez-vous pas que voilà bien de la philosophie, & que cela ne me va pas du tout ?
J’ai fait hier matin quelque visite. Une entre autre à Mad. Rotschild de Boulogne, visite très intéressée, car je venais d’apprendre qu’on va louer l’entresol de l’hôtel Talleyrand, & je veux l’avoir. Elle m’a promis qu’il me serait réservé. Elle va m’envoyer M. Desniou pour les arrangements. Je verrai. Toute la diplomatie est venue chez moi hier soir, c.a.d. les grandes puissances. Et puis les Stackelberg, Durazzo, Acton, la petite princesse et quelques jeunes Anglais nouvellement arrivés. Médem ne pense pas que les conférence pour la Belgique puissent reprendre. La France ne veut s’en mêler que pour terminer et il n’y a aucune apparence encore de nous entendre. Lord Granville part à la fin de la semaine. Quelle perte pour moi. Comme je n’ai plus entendu parler de l’accident de la Duchesse d’Orléans, je suppose qu’il n’aura pas eu de suite.
La petite Mad. Pozzo s’était trompée à ce qu’il parait. Les médecins ici ont dit qu’elle n’avait jamais été grosse. Voilà qui est pire que la fausse couche. J’ai eu une bonne longue lettre de Lord Aberdeen. Il persiste à croire que la réaction augmente, & que les Torrys arriveront au pouvoir en dépit de la prédilection immense & affichée de la Reine pour Lord Melbourne. L’affaire de Lord Durham devient embarrassante. Vous lisez les discussions, à la Chambre haute ? Lord Granville pense que cela aura des conséquences. N’attendez jamais de moi des nouvelles françaises. Je n’en sais que par vous. Les diplomates étrangers n’en savent jamais, & et ce n’est qu’eux que je vois. Pas un mot de mon mari. Il m écrit sans doute de Hanovre par respect humain ; c.a.d. par respect pour la reine. Quel mari ! Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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85/ Paris, dimanche 8 juillet 1838

Que je vous remercie de me raconter si bien mon caractère. Vous avez mille fois raison dans ce que vous me dites de moi, dans l’explication de mon humeur, surtout dans ce que vous me dites de ce sentiment profond de ma douleur. Voilà ma passion, intime, immense ma douleur. Dieu m’a retiré ce que j’aimais tant, parce que je l’aimais trop. Que serai- je devenue en avançant dans la vie ? Je frémissais d’avance en songeant à l’avenir de mes enfants. Quel pays, quel maître, quel dieu hélas ! Tout cela me donnait des angoisses inexprimables pour eux, pour eux, pas pour moi. Ils n’étaient déjà plus faits pour cette horrible patrie. Ils en ont trouvé une. Ah monsieur et je n’y suis pas avec eux ! Dites-moi que j’y serai, bien sûr. Je vous ai dit que le dimanche je suis toujours plus triste qu’à l’ordinaire. Votre lettre y a ajouté aujourd’hui, mais je vous en remercie, je vous en remercie beaucoup, bien tendrement.
J’ai passé une matinée hier à Longchamp. Il me semble que je puis me dispenser de vous le dire, je n’y manque jamais. Mon temps passe doucement gaiement avec Lady Granville. J’ai même ri & beaucoup. Le soir nous nous sommes retrouvés chez Mad Appony. Il y avait beaucoup de monde. J’en suis partie lorsque la musique commençait c’était un petit prodige de 9 ans qui allait jouer. Je ne peux pas supporter les prodiges, & il n’y a que mon enfant à moi que j’aimerais écouter. Le Kielmansegge y est venu. Je me suis fait conter tout le Hanovre. Il en vient. Il adore son roi qu’il trouve le Roi le plus gai, le plus franc le plus courageux & la plus bon enfant du monde. Il ne pense pas qu’il rencontre d’embarras sérieux dans son chemin. On l’aime dans les masses, et il est parfaitement sans souci. La reine fort vieillie, toute occupée d’Étiquette et de magnificence. La cour la plus somptueuse, & le revenu de l’état passant dans des habits brodés. Voilà à peu près ce qu’il m’a dit. Il a une grande vénération pour moi, par tout ce qu’il a vu que ces royautés me portent de tendresse. Outre lui j’ai causé avec M. d’Arnim. Il n’y avait que cela pour moi.
Le matin j’avais eu de longues visites de la petite princesse. Mad. Appony & la Duchesse de Montmorency. Quelle ménagère que cette grande dame française. Elle ne m’a vraiment parlé que pounds and shillings, et je sais au bout des doigts tout ce qu’elle est obligé de nourrir, éclairer et chauffer dans sa maison. Elle m’ a assurée qu’elle avait une fortune très modique. Cela m’est bien égal.
La petite Pozzo a fait une fausse couche de 6 mois. C’est hier que cet accident lui est arrivé. Jugez comme le vieux Pozzo va être désolé.
On disait hier que la Duchesse d’Orléans s’était blessée dans la chambre. Je ne sais si c’est grave.
Je recevrai ce soir ; s il y a qui recevoir. Le salon de Mad. Appony ne me guide pas, il y avait trois dames anglaises divorcées, quatre dames françaises qui auraient dû l’être si les maris français ressemblaient aux Anglais. 14 petites filles, et des hommes beaucoup mais sur lesquels je ne connaissais que trois diplomates. Je me suis retrouvée dans mon lit à 10 1/2. Je n’ai pas de bonne raison pour y entrer, car le sommeil n’y entre pas avec moi. Adieu, adieu, je voudrais bien causer avec vous mais de près.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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84./ Paris le 7 juillet 1838 Je vois que j'ai le style trop Anglais, et que vous n'êtes pas à la hauteur de mon style quand je vous remercie de vos carpes, je parlais de leurs avantures, et vous avez cru que j’attendais leurs personnes. J'écris très mal, faites-vous à cela s il vous plaît. Je vous en donne assez l’occasion. Vous jugez très équitablement & courtoise- ment, les applaudissements au Maréchal Soult. En général vous sugez tout avec bienveillance et justice. Vous avez fort raison aussi de douter qu'il puisse y avoir réciprocité ici. La supériorité est de l’autre côté de la Manche. Je voudrais bien voir M. de Broglie le 9. Je tâcherai. Je n’ai rien à vous dire de nouveau sur mes mouvements. La matin d’hier s'est passé comme de coutume à Longchamp seulement nous êtions établis sur des tas de foin au lieu de l'être sur des chaises. Et puis nous avons passé sur l’autre rive. Lady Granville m’a entraînée dans une visite à Mad. Salomon Rothschild. Sa campapne est charmante, mais l y a trop de toute chose ; et je n’avais jamais su jusque là qu'il peut y avoir trop de fleurs. C’est cependant exact. Ce qu’il y a de joli, et de très nouveau c'est une espèce d’eau d’artifice, comme on dirait feu d’artifice, qui arrose à la fois les gasons, les fleurs, les arbres et sous mille formes variées, des gerbes du ? des cascades & & c’est en vérité charmant et si frais ! Comme elle parle le Français cette Madame Salomon ! " barsque Poulogne est si brés, ma ville fient une fois peaucoup de vois dans la chournée." Le Reine a été faire visite à Mad. Salomon. Ce qui n’a pas empêché cette pauvre femme d’être confondue de la mienne. J'ai dîné seule comme de coutume. Le soir j’ai pris l'air en calèche et j'ai fini par la petite princesse, qui sort enfin de couches aujourd’hui. Elle va dîner à Auteuil, e j'y irai le soir. Il n'y a pas de nouvelles à vous dire. Je ne sais rien du tout. Vous voyez que je vis principalement avec les Anglais. A propos j’ai vu les abtrion. Ils ont passé quelques jours à Paris. Elle retourne en toute hâte en Angleterre pour y faire ses couches. Emilie Flahaut épouse décidement le fils de Lord Lansdowne. Ce mari mourra avant deux ans et puis elle verra ce qu'il lui plaira de faire. le contrat de mariage stipulera un très beau domaine. Adieu. Les journées passent cepen dant. Mais comme c’est heavy ! J'en suis accablée. Adieu. Adieu. Mon Rmpereur a aujourd’hui 42 ans. Il arrive surement dans la journée auprès de sa femme en Silésie. Une surprise très attendue.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris, Jeudi le 5 juillet 1838, 82./ Il n'y a plus qu’une question non répondue au sujet du courronnement. Le M. Soult n’était pas le second des premiers, mais le second des derniers. Dans les cérémonies c’est les plus jeunes qui commencent, ainsi son carosse était après celui du Turc, si je ne me trompe, qui était arrivé à Londres après lui. Vous voyez que je viens de lire votre lettre. A l’Abbaye dans la tribune. Le maréchal était placé sur le second gradin. Il y avait ou lt front serte les quatre amb. ordinaires, & l'Autriche, et les Pays-Bas extraordinaires. J’ai passé toute la matine hier à Longchamp c'est délicieux, toute l'Angleterre vieille moyenne et jeune y était réunie. Je ne suis rentrée qu'à 6 h. 1/2. Après, encore la colèche jusqu’à 9 heures. Puis une petite visite à la petite princesse et mon lit à 10 h. C'est une vie de campaqne tout à fait. Je voudrais m'en trouver bien et il n'y parait pas. J’ai eu ce matin une lettre de la Reine de Hanovre, rien d’extraordinaire, si non que l’un de mes pêchés est d’avoir vécu dans l’intimité de M. de Talleyrand. Ainsi le jour où l'on a appris sa mort à Berlin l’Impé ratrice a dit en plein cercle. " Voilà l’ami de Mad. de L. mort. " La Reine a protesté contre l'ami. Tout cela sont des petits détails sans importance, mais l’humeur est grande. Le prince impérial à l’ordre de chercher une femme. Il en avait trouvé une à Berlin qui lui plaisait. Le fille du g. D. de Muk. Strelitz. Mais l’Empereur ne l’a pas trouvé assez grande et elle a été discessed. C’est comme on choisit les reines. Aujourd’hui jour de courrier d'Angleterre c.a.d. celui où il arrive. J'en suis toujours avide. Vous saurez ce que je saurai. Je vais dîner chez Lady Granville. Et dans ce moment midi je vas m’asseoir dans mon jardin. Vous aimeriez peut être à y venir avec moi ? Adieu vous êtes bien loin, horriblement loin.

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97. Paris, Vendredi le 20 juillet 1838

Je ne fais que penser à votre belle institution du jury. J’ai pour elle un grand respect. J’ai passé ma matinée hier à Longchamp. M. Ellice, M Granville et le petit Howard sont venus m’y trouver, j’ai ramené Ellice à Paris, il est revenu chez moi le soir ainsi que la petite princesse, les Durazzo & &. Lorsque j’ai dit à Ellice que vous serez ici le 31 il a décidé de remettre son départ pour vous attendre en vérité il est très curieux à écouter sur toute chose, et il bavarde comme je n’ai jamais entendu bavarder, on tire de lui tout ce qu’on veut. Ne croyez pas que le duc de Sussex sont ici comme le racontent vos journaux. Il ne bouge pas de Londres et il boude les ministres parcequ’ils ne veulent pas lui donner d’argent. Sir George Villers est arrivé hier de Madrid.
Pourquoi croyez-vous que je vous ai dit une bêtise en vous disant que je recevrais les représentants constitutionnels ? Vous oubliez que mon temps à été longtemps, et que je suis restée jusqu’en 34. En 34 donc j’ai fait dîner Miraflores, ambassadeur de Christine, & danser Van de Weyer, ministre de la révolution Belge. J’espère que c’est du libéralisme, nous avons cru que ce serait le pousser trop loin de faire manger le petit van de Weyer. Et puisque je parle de la Belgique, quand je me suis plaint que Léopold ne venait pas chez moi, c’est qu’il y est venu jus qu’à présent lorsqu’il était à Paris. Il cesse tout bonnement parce qu’il sait que j’ai perdu mon importance, jusqu’à l’année dernière il s’imaginait que je l’avais conservée. Pas de nouvelle de mon mari, rien du tout. Rien sur les mouvements du grand duc rien de nulle part le monde est fort ennuyeux. Je vous quitte pour Longchamp. J’y prends du bon air. Adieu. Adieu. dans onze jours !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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81. Paris Mercredi 4 juillet 1838

J’ai reçu votre lettre, vos poissons. Comme tout à coup tout a changé pour nous. C’est si abrupt. Des habitudes si étrangères à nos habitudes. Des sujets de conversation se différents. Au lieu de politique vous m’envoyez des carpes. C’est égal, j'accepte tout ce qui me vient de vous. Je vous prie de ne pas manger beaucoup de carpes, de têtes de carpes surtout. J’ai vu M. de Talleyrand à Londres, très près de mourir de cela.
J'ai été hier un moment chez la petite Princesse. Il est très vrai que je la néglige il est très vrai que je suis difficile. Il faut me plaire beaucoup pour m’intéresser un peu, et elle a trop de petit esprit & de petites manières gentilles pour me convenir beaucoup. Cependant, je conviens qu’elle me fera une ressource, quand je n’aurai plus rien. J'ai été à Longchamp jusqu'à cinq heures, & puis un moment à Auteuil. C’était une matinée de réception & il n'y avait à peu près personne. Lady Canterbery qui lorsqu’elle m’a vu venir de loin a vite quitté son siège pour se promener seule dans le jardin. Ici on la comble de politesse & une Anglaise comme moi ne la salue pas, la pauvre femme a erré longtemps et puis elle est partie sans vouloir s'approcher de la maîtresse de la maison.
Je suis rentrée pour mon dîner ; je me suis fait traîner après, & j’ai fini par Lady Granville encore. Ah, pour celle-là, elle me plait.
Les conférences pour la Belgique vont commencer à Londres. Ce ne sera ni une petite, ni une courte besogne. Je ne sais ce que fera Pozzo. Il voulait quitter le 15 pour venir passer 3 mois à Paris ! Si Matonchewitz n’avait pas été déserteur on l'enverrait à la conférence. Je ne sais si l’Empereur voudra se donner cet air de faiblesse.
La petite insurrection à Stockolm qui a misé de si près la visite de l'Empereur me parait un fait curieux. Cette visite n’aurait donc flatté que le Roi. Je ne sais rien de vos affaires ici, et il n’est pas vraisemblable que j'en apprenne rien. Je ne fais attention qu'à ce qui me vient de sources directes et celles-là ne sont pas à ma disposition. M. Molé m'a promis une visite, mais je ne fais pas le moindre cas de ses promesses.
La Reine est dit-on inquiète de la taille énorme de sa fille. Elle accouche dans quinze jours.
Je n’ai pas de lettres de mon mari. J’ai écrit aujourd’hui à mon frère.
Il fait chaud. Et le temps passe bien lentement. Il me semble même qu'il s’arrête. Ah mon Dieu qu'il y a loin jusqu’à de bons moments ! Adieu. Adieu. Est-ce que je ne vous parais pas d’un peu mauvaise humeur ? Je crains que mes lettres ne soient maussades. Je suis si transparente. Et mon chagrin prend quelques fois de si vilaines formes. Vous êtes bien mieux élevé que moi. Adieu adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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80. Paris, Mardi 3 Juillet 1838 9 h.

Ma matinée s’est passée hier à Longchamp. Le soir j'ai été faire une visite à Boulogne, et avant 10 heures j’étais à ma toilette pour me mettre dans mon lit. Je ne sais rien , je n'ai rien à vous conter, et je n’ai pas encore votre lettre. Je reviens sur des vieilleries. M. Molé m’a dit qu'à vous la rétractation de M. de Talleyrand n'a pas fait le moindre effet, d’ailleurs on n’a pas trouvé que les termes de cette pièce fussent assez humbles ni assez forte.
On calcule que le jour du couronnement le prix des places payées s’est élevé à 200 m £ c'est-à-dire cinq millions de francs. Cinq cent mille âmes de plus dans la ville, & au moins un million de spectateurs. Je ne puis par digérer encore les applaudissements au Maréchal à l'abbaye. Sébastiani en fait un rapport pompeux qui veut dire qu'il a eu raison de s'opposer à la nomination de Flahaut. Imaginez Marguerite et sa fureur lorsqu’elle a entendu les bravos ! Quand au Maréchal il en reviendra plus glorieux que s'il avait gagné la bataille de Toulouse.
Est-il donc vrai que ce soir il y a huit jours nous étions encore ensemble ? Que vous me donniez le bras sur le trottoir. Ah mon Dieu. Il me paraît qu’il y a quatre mois ; & que vous devez revenir ce soir, si vous voulez tenir votre promesse. " que le jour me dure " & & Je sais très bien cette chanson. Voici votre lettre. Cela me parait si peu de chose. Comprenez-vous bien que ce n’est pas une grossièreté que je vous dis là. Dans quelque temps je trouverai peut être que c’est beaucoup. Aujourd’hui encore cela m'est impossible.
J’ai écrit un peu à tout le monde en Angleterre. J'ai bien plus de temps ici. Je n’attends personne à midi 1/2 Je n’attends personne jamais. Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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79. Paris le 2 juillet. Lundi.

Je vous remercie de votre lettre, de vos conseils, ils sont bons, je les suivrai & dès aujourd’hui. Je suis un peu indignée, ce qui fait que je crains le ton de ma lettre, mais il faut la faire Je n’ai pas encore ouvert le paquet de livres. La petite fille me touche, nous verrons si elle me plaira cela n’est pas aussi sûr parce que comme vous le dites ce n’est pas facile. En fait de lecture depuis que vous m'avez quittée, j'ai lu les Mémoires de Knighton deux gros volumes, remplis de niaiseries, mais où je croyais toujours trouver mieux que cela ; (c’est mon temps) et il n'y a que deux ou trois lettres de George quatre qui m’ont intéressée et cela encore parce qu'elles prouvent des faiblesses de caractère incroyables, mais je l'y retrouve. Les journaux français anglais. je les dévore, les détails de ce couronnement, où je me retrouve encore m’intéressent ridiculement, et puis j’ai lu l’article de Croker sur le Maréchal Soult Il a eu en effet singulier; celui de faire applaudir Le maréchal non seulement dans les rues, mais dans l'abbaye, oui dans l'abbaye, c’est trop, car là il n'y a pas de mots, rien que les hautes classes. Vous jugez comme il en est enflé. Les lettres que j’ai reçues, celles que j'ai lues sont remplies de détails intéressants. La Reine a été vraiment étonnante. Mon fils aussi me mande qu’il n'a rien vu de plus gracieux, de plus digne ; de plus charmant que toute sa tenue, tous ses mouvements, toutes ses inspirations pendant les cinq heures entières qu’elle est restée en scène dans l’église.
La Reine n’est pas contente du duc de Nemours. Il est entré dans sa loge à l'opéra pour lui faire visite. Elle a trouvé cela très familier, et elle a raison. Nous nous sommes communiquées nos lettre & nouvelles hier matin Lady Granville & moi. Nous étions un peu émues l’une & l’autre. Le froid Lord Granville l’était bien aussi. On dit que Melbourne a pleuré comme un enfant à l'église. Le Duc de Wellington aussi. On cite ceux-là, il y aura eu bien d’autres larmes. La reine en a versé un peu pendant le sermon. Elle a été abîmée de fatigue.
J'ai reçu hier au soir. Tout ce qui reste ici est venu. Lord Granville revenait de Neuilly. Il me dit qu'on y est inquiet de l'Egypte. L’affaire devient grave. Je vous ai quitté pour écrire à mon mari, cette lettre m’a été odieuse à écrire. Je l’ai adressée à la reine de H. pour qu’elle la lui remette. J'écrirai à mon frère par un courrier. Me voilà fatiguée, & les nerfs un peu agacés. Je vous quitte. Il me semble que je sais aussi peu vous écrire que vous parler. Je ne puis pas traiter le sujet de notre séparation. Elle m’est insoutenable. J'en ai de l'humeur autant que du chagrin. Il me faut du temps, du temps pour m’accoutumer à cette horreur. Est-ce qu’on s'habitue à cela. Adieu. Le temps est tourd, et je suis si triste !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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78. Paris, dimanche 1er Juillet 1838

Voici un mois qui ne nous a pas appartenu l’année dernière. Sera-t-il à nous davantage cette année-ci ? J’ai pour lui de mauvais pressentiments.
Je viens de recevoir votre lettre que nous sommes loin ! Comment ce n’est qu’une réponse à ma lettre de jeudi ? Je voudrais un peu plus de civilisation à la France, et ce n’est pas à vous seul que je parle mal d’elle. Hier j'ai blessé M. Molé qui demandait à Lady Granville une cuvette pour y placer des roses coupées très court. Elle n'a jamais pu comprendre ce que c’était qu’une cuvette et elle apportait l'une après l’autre tous les grands bassins de la maison. Enfin j’ai expliqué à chacun d'eux que les Anglais se lavaient les mains jusqu’au poignet, & les français le bout des doigts. M. Molé s’est récrié, et puis il a fini par convenir que les grands bols étaient de toute fraîche date. C’était M. de Decazes qui avait apporté toutes les roses du Luxembourg. Ces deux messieurs Monsieur Maréchal et Tcham, voilà tout le dîner. En sortant de table, M. Molé a pris place sur le petit tabouret et nous avons causé seuls pendant une heure, de tout. Il ne veut pas attacher une grande valeur aux rentes de M. H Vernet. Il dit qu'il y a quelque petits amélioration, mais rien de marquant. Le voyage de Stockolm lui paraît de la folie. Je lui trouve l’air préoccupé, pas de très bonne humeur. Il ne quittera pas Paris : les conférences pour la Belgique le retienne. Il est venu des lettres de Londres. Le couronnement a été superbe, touchant. Il me semble que vos journaux aussi en parlent bien. Je pense beaucoup à Londres. Mais je pense encore plus au Val-Richer. Et puis je pense à moi, si seule, si triste. Je vous remercie d’être triste aussi et de me le dire, cela ne me fait pas de mal. Cela me fait du bien, j’aime votre chagrin. Quel horrible égoïsme !
Je ne vous parlerai plus de mes nuits jusqu'à ce que j'ai à vous les annoncer bonnes. J’ai été à Longchamp, & à Auteuil hier matin. J’avais de l’air tant que je peux, cela m endort de rien. Il faut que ma lettre soit à la poste de bonne heure. Adieu, les choses sont bien mal arrangées dans ce monde, je pousse un gros soupir, il ne me soulage pas. Je sais bien ce qui me soulagerait. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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77. Paris, le 30 juin Samedi Midi.

J’ai passé ma matinée hier à Longchamps. Avant de m’y rendre j’ai été voir Bagatelle. La plus charmante maison, le plus joli jardin de l'Angleterre ! C’est beaucoup ce que je dis là, et ce n’est pas trop. Il est convenu que vous ne vous offensez pas de mes propos dans ce genre ; mais il n’y a rien qui approche de cela en France. Venez voir Bagatelle transformé par un Anglais. Nous n’avons parlé qu'Angleterre le matin, Angleterre le soir, car je suis retournée à l’Ambassade après dîné. à 9 h 1/2 je suis rentrée pour me coucher. La nuit n’a pas été meilleure c’est pitoyable. Cependant rien ne me manque ici. J’y suis très bien.
Les lettres d'Angleterre sont remplies de petites bêtises. Je n'en ai point reçues. Je vous redis les lettres des autres. Ainsi Madame de Strogonoff avait reçu dans la seule journée de Dimanche mille & 74 visites ou cartes de visite, tous des gens qui veulent être invités à son bal. Des querelles d’étiquette interminables. La procession arrangée ad libitum et sans en donner avis aux diplomates. Pozzo dans tous les embarras, les tracas de toute petites choses. Il ne va pas à cela du tout. Il me semble que je manque beaucoup. Vous ne sauriez croire comme je dépasse vite des embarras de cette espèce, & la grande réputation que j'avais pour cela, on venait toujours me soumettre ces choses et j’éclaircissais tout tout de suite. Au reste aujourd’hui, je mourrais du train et de la fatigue de Londres. On dit que jamais on ne vit pareille chose ; et que c’est en même temps un spectacle fort singulier que l’aspect de tout le monde fou sans savoir pourquoi ?
Pardon de ma demi feuille, je ne m’en étais pas aperçu en commençant. Lord Granville a lu les rapports du ministre anglais à Stockolm. L’empereur a été aimable pour tout le monde, mais cédant toujours le pas à son fils, attendu que lui même n’y était qu'incognito. Le Roi de Suède comblé, flatté. Les Suédois aussi.
Que faites-vous ? Je ne vous demande pas à quoi pensez-vous. J’aurai bien de la peine à m’accoutumer à ma vie présente. J’ai un profond dégoût pour toute chose, et pour tout le monde. Je n’ai pas encore été voir la petite princesse, je n’ai pas reçu une créature vivante. Il n'y a que les Anglais que j’aime à voir. Je suis bien triste, bien triste. C'est si long ! Adieu demain matin j’attendrai un adieu de vous. Cet échange est plus joli de près. Voilà mon expression favorite comme vous dites. God bless you.

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76. Vendredi 10h. du matin 29 juin 1838

Vous ne sauriez concevoir la triste journée que j’ai passée hier. Pour la première fois depuis que j'habite Paris je n’ai pas vu une âme, personne absolument personne. J’étais si lasse et si triste que j’ai fermé ma porte il est venu quelques habitués. Ce soir on les a renvoyés. Je me suis couchée à 10 h. Je n’étais pas sortie du tout. La pluie a été incessante. J’ai dormi jusqu'à 3 heures, alors les oiseaux m'ont réveillée. Ils m’ont parfaitement impatientée. Ils ne chantaient pas en cadence, il n'y avait pas moyen de battre la mesure c’était insupportable. Voilà donc ma nuit finie. Cependant, je suis bien ici, l’air est meilleur que dans la rue Rivoli, les chambres plus hautes, enfin je serai bien je crois, si je n’accoutume à la musique désordonnée des oiseaux.
A 9 heures j'ai eu votre lettre de Lisieux. A thousand thanks ! J’attendrai dimanche et dites-moi bien ce que je dois dire à mon mari. Ma lettre écrite ce jour là le trouvera à Hanovre. C’est étonnant comme un changement d'habitation éloigne les impressions de la veille. Il me semble que je ne suis plus à Paris, je ne sais plus ce qui s'y passe, je ne me rappelle personne. La Normandie à la bonne heure, je m'en suis rapprochée. Comment ai-je pu être accoutumée à vous voir. tous les jours. Deux fois le jour ? Vous ai-je montré assez de joie de cette douce habitude, ne m’est-il pas arrivé quelques fois de ne pas assez l'apprécier. Aujourd’hui si je pouvais me dire à midi 1/2 que je serai heureuse.
Adieu, je ne vous mande par de nouvelles. Je n'en ai point, je ne sais rien. Demain je dîne avec M. Molé chez Lady Granville. Aujourd'hui j’irai chez elle à Longchamps, si la pluie ne vient pas déranger cela. Adieu. Adieu, que de fois nous allons écrire cette triste et charmante Parole !

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75. Champs Elysées Jeudi 28 juin 1838 Midi 1/2

Je vous ai rencontré hier, j’ai vu le visage réjoui de Guillaume. J’ai vu, entrevu le vôtre, tout cela si rapidement que cela avait l'air d'une mauvaise plaisanterie. Je n'ai pas su si j’étais aise ou fâchée de cette rencontre ; ce matin j'ai lu cette lettre si tendre, si bonne ; je vous en remercie, si tendrement ! Je me suis donnée hier bien du mouvement pour me distraire. J'ai hâté le déménagement. Je me suis fatiguée, j’ai parfaitement mal dormi. Il y a une heure que je suis ici. Vous voyez à mon écriture que je n'ai pas les nerfs en bon état. Il pleut à verse, je me reposerai au Val-Richer. Je n'ai pas la force d'écrire, et j’ai tant tant à vous dire !
Lady Granville est à Versailles. Je ne verrai pas une âme aujourd’hui. Je me caserai. Je crois que je serai bien ici. Je viens de recevoir une lettre de Pétersbourg de mon banquier. Il me dit que mon mari a sanctionné les payements faits & ordonnés pour l’avenir 4000 fr. par mois qui m'a mis à 48 au lieu de 55, qu'il me donnait jusqu’ici. C'est une décision pitoyable. Que me conseillez vous ? Faut-il réclamer auprès de lui ou de mon frère ? Doucement ou fortement ou pas du tout ? Vous voyez que je ne suis rien sans vous.
Ah que le temps va être lourd, insoutenable, j'en suis accablée d’avance. J’ai envie de pleurer vingt fois le jour. Je suis si abandonnée. Il me semble qu'il y a un an que je ne vous ai vu. Où trouver du courage ? Adieu Je vais relire votre lettre, mais la relire, c'est pleurer. Donnez-moi de la force. Adieu. Adieu, que le ciel veille sur vous. Je suis si accablée qu'il faut que vous veniez chercher un adieu, je ne saurais me lever pour vous le donner et j’en ai besoin, bien besoin. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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106. Paris, Dimanche 29 juillet 1838

Vos fêtes dérangent tout. Ma lettre est venue à la poste trop tard hier. Aujourd’hui je vous l’envoie en me levant ce qui fait que je vous écris bien vite. Après demain nous nous verrons je n’ai donc rien à vous dire que ma joie, ma vive joie. Ellice est venu à pied encore me trouver hier à Longchamp. Il arrivait armée d’un formidable Vines qui renferme une lettre de M. Urgethart à Lord Palmerston dans cette lettre le ministre des Affaires étrangères est accusé de complicité dans la publication du Portfolio cette affaire va être grave pour Lord Palmerston. Ellice espère & croit qu’elle lui coutera sa place ; nous verrons. J’ai été hier soir à Auteuil. Il y avait assez de monde, mais pas de conversation. Je voudrais voir cette journée finie. Ce sera un bruit effroyable. Je m’en vais à Longchamp à midi, pour autant de temps que possible, mais il faudra bien finir par revenir. Adieu. Adieu.
Mardi à 4 h. du matin vous passerez devant mes fenêtres. Et j’aurai la bêtise de dormir ! à midi & demi je serai bien éveillée, bien impatiente, bien heureuse. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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105 Paris Samedi le 28 juillet 1838

Je vous remercie de votre bonne lettre nous n’avons plus en tête vous et moi que le 31. Il est si près et ce sera si joli qu’il me semble qu’il ne viendra jamais. N’y aura-t-il pas une émeute demain ? Ne serai je pas tuée ? Voilà qui est possible. Mon fils Alexandre n’a pas renoncé à ces projets de mariage. Il attendra 6 mois comme je lui ai dit de le faire, et puis je crains qu’il n’attendra plus. J’ai parlé de la religion des enfants comme une condition de rigueur, c.a.d. les fils luthériens, et je crois que cela fera la grande difficulté. Sa lettre est une bonne lettre et me touche. M. Ellice et le petit Howard sont venus un voir à Longchamp hier matin. J’ai ramené Ellice qui était venu à pied.
Le soir j’ai fait visite à Madame j ai trouvé M. de la Rovère de Steakelberg un très drôle homme. Quelle idée d’aller épouser Melle de Steakelberg. Ellice m’a lue des lettres de Londres selon lesquelles vraiment le parti libéral (Whigs libéraux) veut absolument une modification dans le ministère. Le Cabinet est fort divisé. Minto et Melbourne, à la Chambre haute, Horwich & John Russell à la Chambre basse se donnent des démentis en pleine séance. Cela a une étrange mine, et ne peut pas durer ainsi. Votre gouvernement ne veut mettre la main à la question Belge que pour la résoudre. Ainsi plus de protocole qui ne soit le dernier. Nous verrons.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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104. Paris le 26 juillet 1838

Les bons jours approchent, et puis les mauvais viendront tout aussi vite. Je voudrais ne penser qu’aux premiers, mais la peine se présente à mon esprit plus aisément encore que le joie. Cette disposition n’était pas dans ma nature. Elle n’y est venue que depuis que j’ai tant aimé. Je vous ai dit comme j’ai tremblé cent fois au milieu de mon bonheur. plus mes enfant m'étaient chers & plus je frémissais de tout, de tout. Vous n’étiez pas comme cela. Vous ne l’êtes pas encore. Savez vous pourquoi ? C’est que vous êtes français. Le plus grave, le plus sérieux, peut-être le plus passionné des Français. Mais encore une fois, français. Je ne dis pas cela en blâme. Je le dis en envie. Et puis, non ; je ne vous envie rien, je vous aime trop pour vous rien envier. Oui, je vous aime, de toute mon âme, de tout mon cœur, de tout mon esprit. Je trouve que j’ai si raison de vous aimer, que je fais une si bonne action que je deviens meilleure auprès de vous tous les jours. Mais défendez-moi d’être si triste, si triste. Comment se fait-il que pour moi le temps ajoute à la douleur ? On m’avait tant dit qu’il la calme. Vous le voyez. Je vais de vous à ces horribles souvenirs, et puis je vous cherche, je vous retrouve, j’ai besoin de vous, de votre impensable patience, de votre affection.

Longchamp 4 h.
Je vous demande pardon de la pauvre petite lettre que la poste vous portera demain matin. Le prince Kotchoubey entrait tandis que je vous écrivais, et l’heure de la remettre est venue pendant sa visite ! C’est un fils de ce lui que vous avez connu. Il a un peu d’esprit et la disposition à la fronde comme tous les jeunes gens en Russie. Il vient dans ce moment de Londres, & voit Paris pour la première fois. Il trouve la France & Paris abominables, c’est fort naturel quand on vient de ce merveilleux pays. Mais il s’amusera ici et dans huit jours il aura changé d’opinion. Il fait bien tranquille ici, peut-être trop tranquille pour moi, cela ne me vaut rien du tout. Quand nous y serons ensemble ce sera charmant, car je vous y mènerai n’est-ce pas ?
Vendredi 10 heures.
On m’a fait veiller hier jusqu’à minuit. J’en ai mieux dormi. Je vais remettre ceci à M. Génie. L’occasion est bien bonne et cependant je ne sais pas écrire tout ce que je dis si aisément vous verrez Mardi comme je reprends vite et avec joie mes habitudes, que je suis impatiente de mardi ! Je ne vous ai pas logé encore dans mon salon. Je ne sais quel est le fauteuil, le canapé sur lesquels vous vous plairez. Tout cela me préoccupe, tout cela m’amuse même et puis le jardin. Ces belles fleurs nous les regarderons ensemble. Enfin j’ai mille petits plaisirs en perspective, il me semble que je me suis levée plus gaie aujourd’hui. J’ai vu beaucoup de monde hier au soir mais presque rien que des hommes, toute la diplomatie et Berryer et le petit Dino, Médem et Nicolas Pahlen restant toujours les derniers et me font veiller. Lady Clauricarde m’a écrit enfin, mais pour m’annoncer qu’elle est nommée Ambassadrice à Pétersbourg. Elle dit qu’elle en est fâchée, je n’en crois pas un mot. Elle est enchantée. Elle me demande des conseils. Je l’engagerai à venir les chercher ici. Ellice est furieux de la nomination. Il ne les aime pas. Le Duc de Noaille m’écrit ce matin. Il est toujours à Dieppe. Fabricius qui était hier ici est-en grande colère contre M. Molé d’un certain discours à la chambre des pairs dans lequel M. Molé dit à propos de la Belgique qu’il a fait ses preuves l’année 30. Il ne veut plus remettre les pieds chez lui. De son côté M. Molé m’a parlé mal de Fabricius qu’il appelle un mauvais homme. Son Duc, le Duc de Nassau a été assez mal traité à Londres. On n’y a pas fait la moindre attention. En vérité les promenades & les speech au Maréchal & du maréchal Soult sont parfaitement ridicules. Il est bien temps que cela finisse. Il quitte Londres le 29.
Vos glorieuses commencent. On a fait beaucoup de dépenses en bois et en couleurs mais pas beaucoup de dépenses d’esprit dans la décoration. Imaginez que tout le long des Champs-Élysées il y a 27, 28, 29 juillet sur des poteaux comme j’ai marqué là et entre ces quatre poteaux un plus grand portant le nom d’un département. Ainsi les chiffres répétés 86 fois. C’est exact comme je vous dis là. Ce qui me divertit & me plait, c’est que j’ai juste devant mon appartement - Calvados. Est-ce de la malice de M. le décorateur ?
Adieu. Adieu. Je vous aime, je vous aime. Je vous attends. Je vous le dirai autrement. quand vous serez là, devant moi, près de moi. Quel plaisir. Adieu.
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