Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Collection : 1844 (15 juin - 16 octobre) : Louis-Philippe et Guizot reçus par la Reine Victoria (1840 (octobre)- 1847 (septembre) : Guizot au pouvoir, le ministère des Affaires étrangères)

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Fontainebleau Samedi 7 1/2
Le 15 juin 1844

Le 15 juin ! Nous l'avions oublié ! Le voilà qui m'apparait tout juste quand je vous ai quitté. Je suis dans un autre pays ! Il n’y a pas d'à propos. Vous auriez dû venir à Fontainebleau. M. Beauvais est venu m'annoncer que cela ne se peut pas. C’est fini !
La grande Duchesse allait beaucoup mieux. La fièvre l'avait quittée. il est donc vraisemblable que l’Empereur en trouvant cette nouvelle à Berlin ou même avant aura repris la route de Kenzingen. Il y sera d’autant plus disposé que Melle Nélidoff s’y trouve, & qu'au fond voilà la clé de tout cet arrangement et de l’exclusion qu'on donne aux Princes & Rois.
J'ai fait mon voyage en cinq h. 1/4. Je suis arrivée avant le reste de la société. Tout cela dîne et moi j’ai mangé mon poulet dans ma chambre. Je ne suis pas sociable. Tout cela est bien jeune pour moi. L’air est charmant. Constantin m'a cassé une glace, & puis une jalousie, et enfin j'ai fait la route avec un côté éclipse totale. J’ai eu de la peine à ne pas montrer ma petite colère ; adieu, adieu.
Je le répète, l’air est charmant je ne saurais dire autre chose. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Samedi 15 Juin 1844
4 heures et demie

Je n’ai rien à vous dire sinon que cela me déplaît que vous soyez partie. Jouissez bien du beau temps. de la forêt, de l’air nouveau. Au moins faut-il que mon déplaisir vous soit bon à quelque [chose]. Ceci est d’un bon caractère, n'est-ce pas ?
Le Prince de Joinville est venu au Conseil, très content de sa mission et très sensé sur sa mission. Il se donnera beaucoup de peine pour ne pas tirer de canon, quoiqu'il eût beaucoup de plaisir à en tirer. Je crois qu’il n’en tirera pas. Pourtant je reçois à l’instant même une lettre de Bresson qui me dit (10 Juin) : " Le général Narvaez croit savoir qu'Abdel Kader cherche à détrôner l'Empereur de Maroc, et qu'il est près de réussir et de se mettre en son lieu et place, pour ensuite soulever l'Empire et marcher contre nous. Avez-vous quelques indices analogues ? " J’ajoute ceci en post-soriptum à une lettre que j’ai écrite ce matin à Saint-Aulaire sur cette affaire là, et où je lui disais que ce n’était pas à l'Empereur Abdue Rhaman, mais au fugitif Abdel Kader, que nous avions affaire dans le Maroc. On verra à Londres, que nous sommes bien informés, et que si nous avons la guerre, c’est que nous n'avons pu l’éviter.
Je viens de lire dans une lettre de Londres, cette phrase-ci sur l'Empereur : " Pourtant ce Barbare a donné quelques leçons de politesse au Prince Albert qui en a grand besoin; et qui en éprouve beaucoup d’humeur. " La lettre est de Mad. Baring. Ne dites pas son nom. Adieu
Je vais partir pour Auteuil. Je ne sortirai pas ce soir. J’ai conseil demain à Neuilly. Quel dommage que Fontainebleau ne soit pas à Meudon ! G. Adieu. Adieu. Adieu.
Le 1er mai, on a célébré à Jérusalem la fête du Roi avec une solennité & un concours immense des Chrétiens, Juifs, Musulmans, Druses etc. On a dit la messe et prié pour lui sur l’autel du St Sépulcre. Il est le premier Roi pour qui cela ait eu lieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Fontainebleau Dimanche 7 heures
Le 16 juin 1844

J'ai reçu votre lettre ce matin. Je ne sais encore à quelle heure je partirai demain. Je dis dix heures. Mais je ne sais pas si ma voiture sera prête. J’ai donné à refaire tout ce que Constantin m’a cassé, et j’ai peur de Dimanche dans tous les cas vous passerez chez moi en sortant de la Chambre. Si je n’y étais pas, ce serait parce que je n’aurais pas pu partir et il faudra attendre mardi. J’ai passé une nuit atroce. Je ne me suis endormie qu'à 7 heures ce matin. Toute la nuit j'ai fait des plans. Ce qu'il y a de sûr c’est que je ne retournerai pas à Beauséjour, c’est trop triste. Je ne puis pas avaler cela. La vue constante de mon jardin. Mais où aller ? Versailles. St Germain. Il n’y a que cela, car prendre une maison, la chercher d’abord. C'est trop d'embarras car c’est à moi a prendre tous les embarras. Rester en ville, impossible si Fontainebleau n'était pas si loin. On y est très bien, & des roses & un joli jardin sous ma fenêtre. Je vous assure que je me sens très malheureuse de tout cela.
J'ai oublié de vous dire que la Comtesse Moltke est fille d'une comtesse Grégoire Razoumofsky. N’est-ce pas celle que vous avez connue ? La comtesse Léon l’a élevée. Elle est charmante au dire de tout le monde. Depuis dix ans elle habite Florence avec son mari. Sa mère était d’une famille autrichienne. Je crois qu'au fond elle était la maîtresse & pas la femme du comte Grégoire.
J’ai vu le Palais c’est très curieux et très beau. J’ai vu les belles parties de la forêt, j’en suis enchantée. Le temps aussi est superbe. La société ne m'amuse pas beaucoup. Il n y a que Rodolphe, le cousin, pour moi. Il a plus d’esprit que je ne croyais. Adieu. Il me semble que je suis d’assez mauvaise humeur, vous ne savez pas mon adoration pour un brin d herbe, pour une fleur et n'en pas posséder une seule, ne pas avoir la jouissance la plus vulgaire, passer un été, peut-être mon dernier été sans ce bonheur là, j'en pleure. C’est vrai, j’ai pleuré cette nuit. Adieu, adieu. A demain, j'espère. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Auteuil - Dimanche 16 juin 1844.
Midi

Merci de votre billet d’hier soir. Je l'espérais, sans être sûr que ce fût possible. Entre nous, il n'y a de limite que l’impossible. Comment, nous nous sommes quittés le 15 Juin ! Nous avons eu tort. Mais ce tort là ne m'inquiète pas. Nous en sommes à ce point où rien ne peut plus inquiéter. Ayez la même confiance. Vous ne savez pas avoir confiance, toute confiance. Je répète que votre expérience de la vie doit avoir été bien froide, et triste. Vous avez grand peine à croire à l'affection parfaite, à l’intimité parfaite, au dévouement parfait. C’est très rare, mais cela est possible et cela est. Adieu. Adieu.

Je ne finis pas, mais j’ai envie de vous dire adieu. Je n'ai rien ce matin, sinon des nouvelles de Washington qui vous touchent peu. Vous avez tort. Il y a là une question, l’indépendance du Texas qui amènera une rupture entre l'Angleterre et les Etats-Unis. Cette rupture amènera la dislocation des Etats-Unis en deux ou trois Etats séparés. Et nous aurons nous un parti très délicat à prendre dans cette lutte. Mon opinion est presque arrêtée. Je vous en parlerai, s’il y a moyen de vous intéresser à ce monde-là. Mais mon opinion sera difficile à faire adopter autour de moi. N'importe. Je commence à me blaser sur cette difficulté.
On parle beaucoup en Italie surtout dans les Légations du Duc de Leuchtenberg. Les mécontents se servent de son nom. On parle de lui dans des proclamations imprimées. La Cour de Rome ne s'en inquiète pas, mais s'en étonne un peu. Le Duc d'Anhalt Dessau vient à Paris pour consulter les médecins. En demandant à Humann de viser son passeport, il a écrit : " dast es sein Vorsatz wäre, werm der Körperliche zustand es irgend zulässe, Si Majestät dem Könige Louis-Philippe, auf zu warten, und sich dier zus besondern Ehre acchnen wurde. " Humann a visé le passeport. M. Pasquier épousera Mad. de Boigne.
Je viens d'avoir à déjeuner le duc de Broglie, M. Rossi le comte Dalton, M. Libri, Génie & &... Rien de nouveau sinon une vive préoccupation de la nomination de la Commission sur l’instruction secondaire, qui aura lieu demain dans nos bureaux. Thiers désire avec passion en être. Nous verrons. Il a bonne chance, car il est président de son bureau. Adieu. Je vais au Conseil. Toujours pour le Prince de Joinville et le Maroc. Nous en finirons pourtant aujourd’hui. Le Prince part demain. Adieu Adieu.
Génie attend ma lettre pour l'emporter à Paris. Adieu. A demain. Hélas, M. Beauvais ! Je n'y comptais pas. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Malgré votre promesse de retarder la réponse pour Pogenpohl, hélas vous avez signé, et il est obligé de parler sur le champ à moins que vous n'ayez la bonté de prescrire au Préfet du Département d'apporter des délais aux ordres nécessaires pour que le Consul prenne possession du poste.
Je vous prie beaucoup de faire cela. J'ai un air de négligence ou de mauvaise foi qui me fait de la peine. Ce que je vous supplie c’est que la reconnaissance de Pogenpohl ne se fasse qu’après le premier du mois prochain. Toute à vous. Vendredi 21 juin.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Versailles, vendredi 21 juin 1844
8 heures

J’ai trouvé un bon appartement & un détestable dîner. Je reste. Ce bon Constantin m’a accompagnée et me quitte ce soir. Pour revenir me trouver demain. Dans tout les cas, je reste ici demain & dimanche. Demain je dîne chez les Stockhausen, et Dimanche je vous attends ici. Ne manquez pas de venir je vous en supplie, parce que j'écarte tout le monde. Si vous me plantiez là. Je serais parfaitement abandonnée. J’attendrai de vos nouvelles demain avec impatience. Je m'ennuie déjà beaucoup, c’est ce qu’il y a de plus clair dans mon histoire. Adieu. Adieu.
Le temps est superbe. Rappelez- vous qu’après cinq heures demain. Je serai chez les Stockhausen à Marne c’est à côté de Ville d'Avray. Adieu, bonsoir, bonne nuit et surtout, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Versailles le 22 juin samedi 1844 à 3 heures

Je trouve votre lettre à mon retour d’une promenade et d’une visite chez Lady Sandwich, le garde m’a attendu depuis 1 heure. Je dis cela pour le légitimer. Merci de la promesse pour demain, je vous attendrai de pied ferme au réservoir depuis quatre heures. Et nous nous promènerons , nous dinerons, nous promènerons encore, & la causerie !
J’ai assez bien reposé cette nuit. L’air est fort agréable pas autant qu'à Fontainebleau, mais c’est qu’il fait plus chaud. Constantin m’a quitté à 9 heures. Il revient aujourd’hui à 4. Nous irons diner ensemble. Il me ramène ici et s’en retourne à Paris. Si j'ai quelque chose je vous le manderai par lui.
Je vous remercie de l’affaire de Pogenpohl. J'ai lu le Siècle ce matin, et j’ai été étonnée de la causerie avec Thiers. Lady Sandwich lui donne à dîner mardi ici, c’est-à-dire dans une maison de campagne qu’elle a louée ici. Elle m’a fait vos éloges d'une manière très exaltée. Adieu. Adieu
Je n'ai rien à vous raconter que mon ennui. Cela n’est pas touchant, puisque je l'ai voulu. Si vous pouvez m’apporter demain la vie de l'Abbé de Rancé vous me feriez une grande charité. Je n’ai rien à lire. Au fond je ne croyais pas que je trouverais un appartement et je n'ai rien apporté, pas même un bonnet. Adieu mille fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Auteuil, Samedi 22 Juin 1844, 9 heures

Certainement, j’irai dîner avec vous demain. J’irai en sortant du Conseil de Neuilly. Profitez du beau soleil et du bon air. Ennuyez-vous un peu, pas assez pour vous faire mal. Cela durera ce que cela pourra. Le jour où vous reviendrez à Paris, je serai charmé. Mais je ne veux pas que vous y reveniez un jour plutôt.
J’ai fait écrire hier sur le champ, par Génie, au Préfet de Rouen de qui dépend le Havre, pour qu’il retînt par devers lui jusqu’aux premiers jours de Juillet, l'exequatur de Pogenpohl que j’ai signé par mégarde, au milieu d’un tas de papiers insignifiants que je signe sur la foi du Chef de service. Je crois même, d'après ce qu’on m’a dit, que ceci était signé, avant que vous m'en eussiez parlé. Mais c'est réparé. Pogenpohl peut se tenir tranquille à Paris, et n'aller au Havre que du 1er au 10 Juillet.
Je me suis couché hier de bonne heure et levé ce matin de bonne heure. Je vais à Paris après déjeuner. Quel traitre étourneau que Thiers ! Il m'aborde avant Hier à la Chambre, me fait une question sur Montevideo, me demande un rendez vous pour des gens qui en arrivent. Je réponds à la question, je donne le rendez-vous ; et je trouve tout cela ce matin, dans le siécle. Thiers, s'en fait valoir comme d'une preuve de son crédit après de moi. Heureusement je l’avais un peu prévu, et ne lui ai rien dit que je ne puisse dire tout haut. Il y a là encore plus du journaliste que du traître.
J’attends Génie qui vient déjeuner avec moi. Je ne fermerai, ma lettre qu'après. Il m’apportera peut-être quelque chose à vous dire. Je veux que mon garde municipal parte d’Auteuil. C’est un peu plus court. Il attendra votre réponse. Je la trouverai ici en revenant dîner.

10 heures et demi.
Génie est venu, et ne m’a rien apporté. Sinon une sottise de l’archevêque de Turin qui a laissé enlever et fait recevoir dans un couvent la fille du Ministre de Hollande, pour la convertir. Cela fait assez de bruit en Piémont. Le Roi a peur de l'archevèque. M. Abercromby et M. de Truchsess n’ont peur ni de l'un ni de l'autre. Le clergé fait partout des sottises. Adieu. Adieu. A demain. Que c’est loin. Adieu d’ici là. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lundi 24 Juin 1844 5 h. 1/2

Je sors de la Chambre. Nous venons de faire défaire, à 28 voix de majorité, ce qu’on avait eu tort de faire samedi. Ne redites pas textuellement mes paroles qui sont dures mais c’est le fait. Bataille assez vive, quoique je ne m'en sois pas mêlé. Je n’ai pas eu un moment depuis que je suis levé, conversations, conseil, séance. Et je pars pour Auteuil où j’ai vingt personnes à dîner. Hier valait mille fois mieux. Charmante soirée, si animée, et si douce. Lord Cowley est là qui m'attend. Il a quelque chose à me communiquer sur le Maroc. Quel ennui de vous quitter après vous avoir écrit de la sorte ! Je vous écrirai demain matin, et pour vous écrire, et pour vous dire ce que je ferai Mercredi.
Je crois que j'irai vous voir le soir. Adieu Adieu. Je regrette bien hier. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Versailles lundi 24 juin 1844,
1 heure

C’est vraiment aujourd’hui la St. Jean. Le dîner à Chatenay ! Nous massacrons nos anniversaires. C'était aujourd’hui qu’il fallait venir à Versailles. Merci de la bonne journée d’hier. J'ai fait beaucoup de réflexion sur la nécessité absolu, quand on est chef du gouvernement, de tenir les partisans au courant de toute démarche ou ligne de conduite qui a de l'importance. L'exemple de Peel est frappant. Il n'aurait dû rien commencer, sans en prévenir ses amis. Il y a bien des dangers à leur causer de la surprise. Je parlerais longuement sur ce chapitre, j’en suis très préoccupée depuis hier. Quelles séances à la Chambre du commerce ! What a shame !
J’attends mon cuisinier et puis j’attends mon neveu ; avant tout cela j’attends un orage, car le temps est bien couvert. L'orage m’est égal en bonne compagnie. Seule, je ne l’aime pas du tout.

5 heures. L'orage n’est pas venu. Je me suis fait traînée en calèche. Seule là où j’étais hier avec vous ! La lettre de Brünnow à la Duchesse de Somerset a été insérée dans le journal de Hambourg. Je serai curieuse des commentaires ici si on en fait.

Rue St Florentin, 10 heures du soir. J’ai attendu votre lettre. Elle n’est point venue. à 7 3/4 je me suis mise en voyage. J’ai marché, j’ai roulé avec Constantin. J'ai été à Auteuil. J’ai vu des voitures. On m’a dit à votre porte qu'il y avait beaucoup de monde. Je n’ai pas osé vous faire sortir ; et n'ayant pas prévu ce contre-temps. Je n’avais pas de lettre à vous faire remettre. Je vous envoie ceci avant de me coucher. Stryboss va le remettre au foreign office. Adieu. Adieu. Je vous attendrai demain à midi ici. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Quelle pitoyable journée hier. Vous avez bien raison. Nous massacrons nos meilleurs jours. Et pendant que vous veniez à ma porte à Auteuil, j'envoyais Hennequin courir à Versailles pour vous porter une lettre au crayon, écrite à 7 heures et demie en sortant de la Chambre. Il est revenu à Auteuil après 10 heures, et vous a porté ma lettre à Paris. J'y vais ce matin de très bonne heure. Je remettrai ceci à votre porte en passant. Et je serai chez vous à 11 heures et demie car j’ai conseil chez le Maréchal à midi et demie. Mais enfin, je vous verrai ce matin. Adieu. Adieu.
Hier n'a été bon qu'à la Chambre. Adieu. G.
Auteuil mardi 25 juin 7 heures
P. S. Voici le mémoire que je reçois sur le petit marin. Nous en causerons.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Auteuil Mercredi 26 juin 1844,
9 heures

Je commence à vous écrire d’ici, ne sachant quel temps j’aurai à Paris. Je vais à Neuilly tout de suite après déjeuner. De là au Conseil chez le Maréchal. De là à la Chambre, où l’on discutera aujourd’hui le chemin du Nord. Il faut que j'y sois. Vous n’avez pas d’idée de la passion qu'on met à ces chemins de fer. Boulogne était au désespoir. Calais l'emportait. Aujourd’hui Boulogne est dans la joie sans que Calais se désole. Les deux villes auront chacune son chemin. Qu’est-ce que cela vous fait ? Mais on m'en parle tant que j'en rabache un peu.
Vous prenez plus d’intérêt au Hoheit des Ducs de Saxe. Quelque chance leur vient à Francfort. Le parti pris de la France et de l'Angleterre embarrasse. La Prusse a toujours beaucoup d'humeur. L’Autriche est plus douce. On attend le retour du Roi de Saxe pour négocier, par son intermédiaire. On finira par un remaniement Général de toutes les titulatures allemandes et le hoheit des Cobourg passera dans la foule des changements. Mais l’affaire sera longue. Voilà ce qu’on dit à Francfort. A Darmstadt, on ne croit pas l'Empereur content de son voyage en Angleterre. à Biherich, on comptait sur sa visite. Le Duc et toute sa cour ont passé une journée entière à l'attendre en gala. A Florence, on a pris pour huit jours le deuil du comte de Marne.
A Barcelone, les bains réuississent à la petite Reine. Bresson m'écrit : " Sa mère me disait, il y a un quart d'heure, qu'elle n’était déjà plus reconnaissable, et que toute cette écaille noire qui lui couvrait les bras, les mains, les jambes et les pieds tombait à vue d'oeil. " La politique Constitutionnelle espagnole ne va pas si bien. Narvaez veut se retirer avec le marquis de Viluma. Tous les ministres se rendent à Barcelone.
Quel manque de sens dans tout ce monde là ! Il y en a davantage en Turquie. Le Sultan voyage. A Brousse, où il a passé plusieurs jours, il a reçu également bien tous les notables habitants, Musulmans & Rayas, et les uns comme les autres ont été revêtus de pelisses d’honneur. Bourqueney est charmé. Le Sultan le lui avait promis.
A Jérusalem le Conseil d'Angleterre, qui se trouvait absent, n'était pas venu faire visite au Consul de France le jour de la fête du Roi. Mais l’Evêque Anglican était venu avec son clergé. Le jour de la fête de la Reine Victoria, le Consul de France est allé faire visite au Consul d'Angleterre. Et non seulement, il y est allé, mais il y a fait aller le Révérendissime et tout le Discrétoire du couvent Latin. M. Young a été charmé. La tolérance et l’entente cordiale marchent du même pas. On en a encore plus besoin à Athènes qu'à Jérusalem. Un vieux Chef de Pallicares, le Général Privas s'est insurgé parce qu'il a vu qu’il ne serait pas élu à la nouvelle Chambre des Députés. Il s'est enfermé dans un village, avec une centaine d'hommes. On a envoyé le général Travellor pour le persuader ou le réduire. Cela n'inquiète pas Piscatory. Excellent agent ; point aveugle et jamais découragé. Toujours au mieux avec Lyons. Le Roi Othon leur a donné, à tous deux, sa grand croix. Celle de Pise a causé une humeur enragée à Brassier de St. Simon qui n'a pu s'en tenir et s'est plaint qu'on lui eût fait sauter plusieurs grades. Le Roi Othon s’est fâché : " Quand M. Piscatory n'aurait eu que la croix d’argent, je lui aurais donné la grand croix. Je dois une bonne partie de ma couronne et de notre repos à son influence et à ses conseils. " Voilà mon Journal. Adieu.
Je vais faire ma toilette. Je vous enverrai ceci de Paris en vous disant ce que je ferai ce soir. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Je voudrais voir, comment vous êtes, comment vous avez passé la nuit. Il faut que j’écrive et que j'attende. Je serai, chez vous vers 11 heures et demie.
Voilà l’élection de Rouen gagnée. Faites moi dire si vous êtes un peu mieux, car vous ne pourrez probablement pas me l’écrire. Adieu Adieu G.
Jeudi 27 Juin, 8 heures

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Je vois sur l'affiche qu’on ne joue pas ce soir le Mari à la campagne. Ce n’est que pour Mardi. On joue aujourd’hui la Dame et la Demoiselle. Nous sommes des étourdis de n'avoir pas fait demander préalablement ce qu'on jouait. Y allez-vous toujours ? Si on ne vous trouve pas chez vous, & si vous ne me faites rien dire avant mon départ pour Auteuil, je viendrai toujours ce soir à 8 heures et demie. Adieu. Adieu. G.

Samedi 29 Juin 1844,
4 heures

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Je vous envoie Génie si vous avez quelque chose à me dire sur l'emploi de votre matinée, il me le transmettra sur le champ.
Voici une lettre de Londres, qui ne me plait pas, sur l'avenir du Cabinet. L'Empereur de Maroc me paraît bien belliqueux. Il a rejeté la médiation de l'Angleterre dans sa querelle avec l’Espagne, et l'ultimatum de l’Espagne. Je n'ai rien d'ailleurs.
Comment êtes-vous ? Hier soir, je vous ai trouvée mieux, physiquement au moins. Adieu. Adieu. G.
Dim. 30 Juin - midi

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Il n'y a pas eu moyen d'aller vous voir en sortant du Conseil. J’ai été tout de suite à la Chambre, et j'en sors. Séance désagréable, sans autre importance que le désagrément. J’ai soutenu le Moniteur. Adieu.
A 8 heures et demie.
Adieu. Adieu. Votre lassitude de ce matin me déplait. G. Lundi 1 Juillet
5 h. 3/4

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Le Conseil et la Chambre m’ont pris toute ma matinée. Il est 5 heures. Je retourne à Auteuil où l’amiral Mackan vient dîner avec moi. Ne soyez je vous prie, entre Passy et Auteuil qu’à 8 heures et demie. Je ne veux pas vous faire attendre, et j'aurai peut-être besoin d’un quart d'heure de plus.
Je voudrais que vous sussiez combien de fois par jour, je pense à arranger mon temps pour en avoir un peu avec vous. Et toujours si peu !
Je viens de recevoir le courrier d'Orient. Le Cabinet, Mavrocordato ne s’est point retiré. Il n'en est pas question. Cela vous est égal. Vous avez tort, car cela ne m’est pas égal.
Le Prince de Joinville ne part que demain. Nous avons encore conseil demain matin, à 10 heures, pour ses instructions. Adieu. Adieu.
A 8 heures et demie. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Je trouve en arrivant une convocation, chez le Maréchal, à midi. Je viendrai chez vous en en sortant vers une heure et demie. Rien ne m'en empêchera aujourd’hui. Voulez-vous me donner à dîner ? Adieu. Adieu.
Il fait beau. J'espère que ce temps vous sera bon.
Adieu. G.
Mardi 2 - midi

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Vous dormez peut-être déjà. N'importe. Je vous écris. Mon budget est voté, tout entier, sans aucun retranchement et presque sans débat. J'ai pourtant eu l'occasion de bien parler de M. Piscatory. Voici la dépêche qui m’arrive de Tanger (télégraphique - 26 juin à Tanger. " Un exprès arrivé de Fez en quatre jours m’annonce que le Prince héréditaire a envoyé, un nouveau gouverneur à Ouchda avec ordre de faire arrêter, enchainer et conduire à Fez les deux caïds qui ont dirigé ou toléré les actes d'agression des 30 mai et l5 Juin. "
" Cette nouvelle est très probable mais mérite confirmation. " Nous verrons si elle se confirmera. Mes nouvelles de Berlin (4 Juillet) sont très mauvaises sur la grande duchesse et même un peu, sur la santé de l'Empereur. A Copenhague, on dit que l'Empereur fera épouser au Prince de Hesse, veuf de sa fille, une des filles de la grande Duchesse Hélène. On y a pris le deuil du Comte de Marne pour trois jours. Adieu. Adieu. C’est bien long.
G.

Auteuil. Lundi 8 Juillet 1844
9 heures

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris, dimanche 14 juillet 9 heures 1/2

J’a été souffrante cette nuit il me sera impossible de me trouver à 3 1/2 au rendez-vous. Je vous en donne avis, et vous propose de venir à Auteuil un peu plus tard. J'y serai à votre porte entre 4 1/2 & 5 heures pour vous prendre et nous promener si le temps le permet, ou pour vous parler un moment dans ma calèche s’il n'y a pas d’autre ressource.
Je ne compte pas sur la soirée, car je ne suis pas bien et il faudra me coucher de bonne heure. Vous me ferez savoir un mot de réponse. Avez-vous quelque chose de Tanger ou de la grande Duchesse ? Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Voilà une lettre du Roi qui me demande d'aller à Neuilly ce soir avec l'amiral Mackan. Il n’y a pas moyen d'y manquer. Je ne pourrai donc pas aller vous voir. Je sortirai de Neuilly à je ne sais quelle heure. C’est toujours le Maroc qui me dérange. Adieu. Adieu. A demain midi et demie.
J'ai trouvé, la Chambre en train d'aller si vite que la session pourra bien finir quelques jours plutôt du 1er au 3 août. Adieu. Adieu. Que l’été prochain ne ressemble pas à celui-ci. G.
Auteuil. Mercredi 17 Juillet 1844
5 h 3/4

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Le Prince de Joinville a été le 9 à Gibraltar. Il y a été reçu non seulement avec faveur, mais avec acclamations, non seulement par le Gouverneur, mais par la population. C’est au mieux. Il revenait de Tanger où il est allé le 8. Le Pacha de Larache à écrit à notre Consul par ordre de l'Empereur, qu’il désavouait les agressions sur notre territoire, qu’il venait d’adjoindre à son fils d'en destituer et d'en punir les auteurs et qu’il voulait le maintien de la paix. Reste à voir comment l'Empereur fera sa volonté sur notre frontière & se débarrassera d’Abdel Kader. Il nous faut absolument, cela. Adieu. Adieu. Pauvre soirée ! Adieu. G.
Auteuil, jeudi 18. 6 h. 1/4

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Toutes les contrariétés s’amassent. Il faut que je sois à Neuilly à 5 heures pour le baptême du Duc d'Alençon, et puis le dîner. J’ai appris cela au Conseil. Je vous attendrai jusqu'à la dernière limite du possible. Mais si vous n'êtes pas ici à 5 heures moins un quart, il faudra bien partir. Quel ennui ! Tout un jour. Car ce soir, vous vous promènerez encore puis vous vous coucherez. Adieu. Adieu.
Je trouve tout cela très mauvais Dim. 4 h. et demie

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Epernay Mercredi 7 heures le 31juillet 1844

J'arrive, mais la poste a passé, vous n'aurez donc ceci qu'après demain. Cependant j'écris pour vous dire que la journée a été bien, je suis partie à 9 1/2. J'ai couru fort vite, je ne suis pas trop fatiguée. Je vais dîner et me coucher ; il me parait que c'est une soupe, bien vilaine soupe. Vous êtes si loin ! Vous dinez dans la moment chez vous au milieu de votre famille, tranquillement, gaiement. Non pas tout-à-fait. Je vous manque, pas là, mais du reste n'est-ce pas ? Adieu. Adieu.
J’ai chaud, je me fatigue à écrire. Je vous quitte, je vous aime ! Adieu. Comme j’attendrai vos lettres, & Hennequin ! Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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7 1/2
Mercredi 31 Juillet 1844

Que je vous remercie de ces deux pages que je vais importer avec moi et relire, et encore relire jusqu'au successeur. Oui je suis bien triste. Mais je pars. J’étais dans mon lit à 8 3/4. Mon fil est venu encore. Il m’a quittée à 9 1/2. Je suis resté longtemps sans dormir et ma nuit a été fort troublée, mais enfin me voilà debout et à 9 heures je me mettrai en voiture. Adieu. Adieu.
Si vous saviez comme je suis triste et comme je vous aime !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Je ne peux pas vous laisser partir sans savoir comment vous êtes. J’étais désolé, désolé hier de vous quitter, de vous quitter si souffrante. Pendant toute la soirée, j’avais envie d’en demander raison à tous les gens qui étaient là, qui m'empêchaient d'être avec vous. Tout notre dîner est venu, tous les Appony, tous les Cowley. Armin aussi. Je lui ai fait votre commission. Il avait de Berlin exactement les mêmes détails que moi. Il était touché de mon empressement, et de celui du Roi qui a envoyé sur le champ chez lui le Duc d'Estissac. Le Roi m'écrit : " Voilà donc ces horreurs qui se renouvellent. " Evidemment cela lui déplait beaucoup, et je le conçois. Il faudra y veiller plus attentivement que jamais. Il écrira demain une lettre autographe au Roi de Prusse.
Encore assez de monde hier soir. Peu de députés. Ils sont partis. Mais le corps diplomatique, très complet, des étrangers, je ne sais combien de Hollandais amenés par Fagel. Toute sorte de monde. J’ai dit qu’on me trouverait chez moi à Auteuil le mardi matin, de 2 à 5. Imaginez qu'Hennequin n’a trouvé de place à la diligence que pour dimanche. Tout était retenu d’ici là, dans toutes les voitures. Il n’a pas pu retenir sa place plutôt, dans l’incertitude du jour de votre départ. Il sera à Bade mardi.
Aujourd’hui le budget à la Chambre des Pairs. On dit qu'on parlera encore sur le mien. Des rhapsodies, chantées par des doublures. J’irai à Paris à mon heure ordinaire. Je passerai chez vous. Mais vous serez partie. Pourtant il ne fait pas beau. Faire, par la pluie, ce qui fait pleurer ! Je reconnais la convenance, la nécessité. Adieu, Adieu. Adieu.
Deux lignes pour me dire comment vous êtes. Adieu. Je vous écrirai demain puis tous les jours, puis par Hennequin. Adieu
Mercredi 31 Juillet 1844. 6 heures 3/4, Auteuil

P.S. Vous devez avoir le pâté. Je viens de faire lever Guillet qui me dit qu’il vous l’a envoyé hier. Adieu. Adieu. God bless you dearest !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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N°2 Void jeudi 1er août
6 1/2

Je me figure que je vous fais plaisir en vous écrivant des lettres bien insipides. C’est ce qu'on peut faire de mieux en voyage, n'avoir rien à raconter. La seconde journée a été comme la première. Le gros du voyage est fait. Je ne m'ennuie pas trop.
Constantin me fait une très bonne et utile ressource. Que faites-vous, que fait le monde ? L'Afrique, la grande Duchesse ? Vous auriez beaucoup à m'apprendre. Que voulez-vous que je vous raconte ? Ah. Voici. L’automne de l'année 40 le roi de Prusse écrivait à L’Empereur son beau-frère une lettre qui finissait ainsi. " Adieu mon cher Niks. Je reste votre affectionné Fritz et chef de votre avant-garde en cas de Thiers. " L'Empereur a lu cette lettre, devant les aides de camps. J’ai trouvé cela assez drôle pour vous le raconter. Adieu. Adieu.
Ecrivez-moi beaucoup, beaucoup. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Auteuil Jeudi 1 août 1844
7 heures du matin

J’ai donc passé hier tout le jour sans vous voir. Je ne le crois pas. Mon impression est que je vous ai vue que je suis entré dans votre chambre à midi et demie toutes les portes ouvertes, à cause de la chaleur, charmé de vous apercevoir tout de suite en entrant dans le salon, fâché, ensuite que toutes les portes fussent ouvertes. Je ne puis me persuader que mon droit, mon plaisir de chaque jour m'ait manqué. Ma journée a été pourtant bien pleine. A Neuilly, après déjeuner. Longue conversation avec le Roi, et la Reine. De là au ministère. Desages, Brenier, mes affaires. Puis la Chambre des Pairs ; la discussion de mon budget, MM. du Bouchage, de Bussière, Pelet de la Lozère, Boissy. Celui-ci rappelé à l’ordre deux fois par le Chancelier, hué par la Chambre; mais imperturbable dans sa bêtise & ravi de sa gloire. Martyr de la liberté de la tribune, canonisé par la liberté de la presse. J'ai dit quelques paroles sur la négociation du droit de visite et sur l'exequatur du Consul anglais à Alger. Il n’y avait point de question dans l’esprit de personne. La Chambre finira, samedi 3 et nous clorons la session lundi 5. Le Maroc ne va pas bien. La Chimère, partie de Cadix le 25 et arrivée à Toulon le 30, annonce que le 24, le Prince de Joinville était revenu à Cadix en ayant réussi à enlever de Tanger, par ruse, notre consul, sa famille, et quelques uns de nos nationaux. " La Chimère ajoute que les notes diplomatiques de Muley Abdurrahman sont peu satisfaisantes. Il y parait bien. J’aurai les détails après demain. Ce sera une grosse affaire. Rien de plus pourvu que je la maintienne sur le terrain où je l’ai placée : la guerre, s'il le faut, mais point de conquête. Je suis très décidé à y réussir. Lord Aberdeen a reçu de son côté des nouvelles de Tahiti, Pritchard est arrivé à Londres, racontant, comme de raison, dans son sens et à son avantage, ce qui s’est passé. Mais il a tort. On a pu le renvoyer de l’île sans aucun oubli du droit des gens. Il avait amené son pavillon et abdiqué lui-même son caractère de consul, en novembre dernier, quand du Petit Thouars a pris possession de la souveraineté de Tahiti, et en déclarant formellement qu’il cessait ses fonctions pour ne pas reconnaitre cette souveraineté, même provisoirement. Mais ce sera encore un embarras. Il faut que je me redise souvent que mon métier est d’en avoir. La tentative contre le Roi de Prusse fait beaucoup d’effet à Berlin. On regrette que pas un membre de la famille royale ne soit là pour recueillir cet effet et le cultiver. On s'étonne que le Roi, ait continué son voyage. On s'attend au prompt retour du Prince de Prusse. Il y a eu un Te deum d'actions de grâces. Le corps diplomatique n’y a pas été invité. Les Ministres y ont assisté en frac. Les hommes qui gouvernent aux prises avec l’esprit révolutionnaire, sont bien perplexes. Tantôt ils grossissent, tantôt ils atténuent. Ils affectent tour à tour l'inquiétude et l’indifférence. Il faut une attitude plus décidée et toujours la même et regarder et représenter constamment la lutte comme très grave, sans avoir peur du reste, sur Berlin, vous saurez à Bade tout ce qu'on peut savoir. Vous voyez bien que je me fais illusion. Je crois que vous êtes là et que nous causons. Rien de nouveau au dedans. Mad. la Princesse de Joinville n'accouche pas. Elle va bien. Pourtant cet hiver-ci l’a fort éprouvée. De petits rhumes continuels. Elle ira probablement passer l’hiver prochain au château de Pau, assez restauré pour la recevoir. Tout le monde dit que c’est un séjour charmant. Elle occupera l’appartement où Jeanne d'Albret est accouchée d'Henri IV. C'est dommage qu’elle n’y accouche pas. Mad. la Duchesse de Nemours est au mieux. Parlez moi des Princesses Allemandes pour se bien porter. Je vous quitte. Je vous reprendrai à Paris avant d’aller à la Chambre des Pairs. Aurai-je aujourd’hui de vos nouvelles de Sézanne ? C’est-à-dire de Château-Thierry ? Je l’espère peu. Vous serez arrivée après le départ de la poste. Adieu. Adieu.

2 heures Rien de Château-Thierry. Je ne l'espérais pas. Lord Cowley et le ministre de l'intérieur sortent de chez moi. Le premier venait me parler de Tahiti. Les journaux Anglais font beaucoup de bruit. Les communications de Lord Aberdeen m’arrivent ce matin, par Jarnac. Je les lirai ce soir. Plus j' y regarde, plus je trouve que nous sommes dans notre droit. Mas l'un de nos officiers de marine a été bien brutal. Adieu. Il faut que j'aille à la chambre des Pairs. D'autant que Mackan est dans son lit. Il a pris froid l'autre soir sur sa terrasse au milieu du feu d'artifice. Je ferai bien de faire la paix, car les deux ministres de guerre sont sur le grabat. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°2 Auteuil Vendredi 2 août 1844
7 heures du matin,

Hier était mon plus mauvais jour. Je n’ai pas eu de vous signe de vie. Ce matin je compte sur une lettre. A 8 heures, j’enverrai un Garde la chercher. Je vous ai quittée hier pour aller à la Chambre des Pairs. J’ai subi encore le Maroc et Tahiti, le Prince de la Moskowa et M. de Boissy. J’ai refusé de répondre. Tahiti est un gros ennui. Nous sommes parfaitement dans notre droit. J'ai envoyé hier à Jarnac une lettre de Pritchard lui-même, qui écrit à du Petit Thouars, le 7 nov. 1843 : " I have the honour to acquaint you that my functions as British Consul must now lease. I have accordingly struck my flag. " On n’a donc point manqué au droit des gens, en le renvoyant de l’île. Il n’était plus qu’un simple étranger qui troublait l’ordre. Les Anglais ont ainsi renvoyé, sans plus de formalité, vingt, français de l’île Maurice depuis qu’ils la possèdent. Mais c’est très désagréable. Et l’un de nos officiers de marine a été bien violent, bien brutal. Est-ce que je ne vous ai pas déjà dit tout cela hier ? De près, on rabâche sans scrupule. De loin, j’en ferai autant. Cela me gênerait d'y penser. Le Roi de Hanovre prend très vivement l’affaire des hohait. Il a défendu à son fils d’aller à Altenbourg. Je dîne Mercredi à Châtenay. On dirait que Mad. de Boigne a attendu que vous fussiez partie. Peut-être n’en savait-elle rien et vous a-t-elle engagée aussi ?
La Reine d'Angleterre s’occupe toujours du voyage avec un soin aussi minutieux que gracieux. Elle a demandé la liste, nombre et noms de tout ce qui accompagnerait le Roi, même des gens de service. Les affaires du Maroc diminueront un peu notre escorte navale. Nous pouvons avoir besoin de nos vaisseaux dans la Méditerranée. Ils y resteront. Nous n'emmènerons que des bateaux à vapeur. Rien de plus aujourd’hui du Maroc. Je n’aurai que demain les dépêches venues par la Chimère. Albert de Broglie est arrivé de Barcelone. C’est vraiment un jeune homme distingué, d’un esprit net et résolu. Il pense bien mal de l'avenir de l’Espagne, par la faute des hommes bien plus que par la difficulté des choses. On n'a pas d’idée de cette incapacité, de cette légèreté de cette corruption. La passion dans la pourriture. Mon, le plus sensé, et le plus honnête, Narvaez, de bons mouvements, capable de tout, bien et mal. Bresson, bien posé, toujours désespéré et démoralisé, puissant et ne sachant que faire de sa puissance. Personne ne résiste et tout le monde échappe. On ne dit jamais non ; il ne sert de rien qu’on ait dit oui. La Reine Christine abattue, languissante, insouciante, une seule pensée, un seul désir, l'image de l'absence. L'absent l’a probablement rejointe à l'heure qu’il est. La jeune Reine, un enfant intelligent, et intrépide, mais un enfant et malade. Pourtant les eaux lui ont fait grand bien. Castellane écrit qu’il a dîné à côté d'elle et que ses mains sont très nettes. Je demande au Cabinet actuel une seule chose, c’est de durer sans encombre jusqu'aux Cortès. Une fois là, les Cortès auront la responsabilité. des évènements. Albert dit que cela se peut. Adieu. Mon garde part. Je vais faire ma toilette.

Paris 4 heures
Votre billet d’Epernay me plait, parce qu’il me dit que vous n'êtes pas mal. Il me déplait parce que vous me dites qu'il y a un lieu, une heure où vous ne me manquez pas. Je n’ai pas le temps de répondre à cela aujourd’hui. Je vous renvoie à Hennequin. Je sors du Conseil et Lord Cowley me quitte. L'Empereur de Maroc veut traîner en longueur. Il a répondu à notre Consul d’une façon point satisfaisante, évasive, dilatoire, & il a ordonné au Consul Anglais de le suivre de Maroc à Méquinez ou à Fez, où il se rend. Nous ne pouvons accepter cela. Probablement M. le Prince de Joinville a agi à l'heure qu’il est. Grande contrariété. M. de Mackau est malade. J'espère que ce ne sera rien. Mais enfin, il est malade, avec une forte fièvre, au fond de son lit, hors d'état de s'occuper d'affaires. N'en dîtes rien. Tout revient de partout, et sur le champ. Il n'y a pas moyen de penser au Val-Richer. Hennequin part dimanche à 5 heures du matin, et sera à Bade mardi dans la matinée. Adieu. Adieu. Demain de Vitry. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°3 Auteuil-Samedi 3 août 1844
8 heures du soir.

Je m'étais promis tant de plaisir de vous écrire librement, et à mon aise par Hennequin ! Et je suis arrivé à 8 heures du soir sans pouvoir vous dire un mot ! Et il part demain matin ! Il viendra tout à l'heure prendre mes lettres. Depuis longtemps, je n’avais eu une journée si chaude. Tahiti et le Maroc, Jarnac, Peel, le Prince de Joinville, M. de Nion, le maréchal Bugeaud, le maréchal Soult, tout est tombé à la fois sur moi ce matin. Et deux heures de discussion à la Chambre des Pairs pour décider qu'on ne parlerait pas de Peel et de Pritchard. On m'a poursuivi dans la dernière heure du dernier jour. Mais le champ de bataille m'est resté. Le discours de Peel était un lourd fardeau. J’avais dans ma poche son désaveu de ses paroles, c’est-à-dire sa déclaration qu’il n'accepte la version d'aucun journal. Mais j'étais décidé à ne pas m'en servir. J’ai bien fait. Mauvaise affaire que celle-là. Je crains que le public anglais ne devienne aussi badaud, et badaud aussi nervous que le nôtre, et que le Cabinet ne lui résiste pas comme, à la sueur de mon front, j'ai appris qu’il faut résister. Nous avons raison sur ces points-ci: 1° Pritchard n’était plus Consul ; 2° on avait droit de le renvoyer de l'île ; 3° On avait des motifs raisonnables et légitimes de le renvoyer. Nous avons tort sur ceux-ci. 1° On ne devait pas mettre Pritchard en prison pendant six jours ; 2° On devait lui parler et le traiter plus gentleman likely. Il faut arranger nos droits et nos torts, faire la part des uns et des autres, et faire accepter à Londres cette balance. Je ne puis ni ne veux faire ce qu’on me demande, renvoyer Pritchard à Tahiti comme Consul, pour quelque temps. Il faudra qu’on se contente de ce que je puis faire blâmer & plus tard, employer ailleurs l’officier brutal. Gardez ceci pour vous ; mais donnez-moi votre avis. Au fond, je ne suis pas fâché d’avoir une occasion de refuser quelque chose. Je n’aurais pas choisi celle-là ; mais on ne choisit ni le bien ni le mal. Quant au Maroc, la confusion est grande. A l’Est sur terre le vent souffle à la paix ; le nouveau Caïd d'Ouschda l’offre à Bugeaud qui était en train de faire la guerre. A l'ouest, sur mer, le vent souffle à la guerre ; la sotte réponse de l'Empereur l'impose presque au Prince de Joinville qui se tenait à quatre pour rester en paix. Au centre, l'Empereur s’en va de Maroc pour ne pas recevoir M. Drummond-Hay qui y arrive. M. Drummond-Hay, qui ne veut pas se contenter d'être reçu par un Ministre court après l'Empereur dans l’intérieur de l'Empire. L’atteindra-t-il ? Ne l'attendra-t-il pas ? Le Prince de Joinville, fera-t-il la guerre ? Bugeaud fera-t-il la paix ? Je vous le demande. Tout cela est décidé à l’heure où je vous parle. Je n'en sais guère plus que vous. Je parie pour quelques coup de canon. Ma crainte, c’est qu’ils ne finissent rien.
Belle lettre intime ! Je voulais vous parler de tout autre chose. Je voulais vous dire comment, en devenant vieux, je n'ai pas cessé d'être ce que vous appelez romanesque. Ce qui veut dire que vous me manquez en tout lieu, à toute heure au milieu de la douce vie de famille comme dans la solitude de mon cabinet. Je vous l'ai dit dans nos premiers moments ; je vous le redirai dans nos derniers ; cette intimité-là est pour moi au dessus de tout. C'est le fond de mon âme ; ce sentiment-là est le seul qui y pénètre et la remplisse et la satisfasse. Je répète encore :
De tout il me console ;
Rien ne pourrait me consoler de lui.Croyez-moi et revenez.

Toujours rien de Pétersbourg et de la Grande Duchesse. Le marques de Dalmatie part demain pour Berlin. La marquise a mal à la poitrine depuis qu'elle pourrait y aller avec lui. Duchâtel est parti ce matin pour Wisbaden. On a applaudi hier avec fureur à l'Opéra le refrain de Charles VI :
Non, non, jamais en France
L'anglais ne règnera.

Mad. la Princesse de Joinville semble très, très près d'accoucher. La correspondance de son mari est vraiment excellente, pleine de sens et de finesse. Comme le vent d'Ouest empêche les vaisseaux anglais de sortir de Gibraltar, il leur a envoyé de Cadix un de ses bateaux à vapeur, l’Armodée, pour remarquer celui d'entr'eux qui voudrait venir assister à ce qu’il va probablement faire sur la côte du Maroc. Adieu. J'avais bien d’autres choses, il me semble, et tout autre chose à vous dire. Mais Hennequin va arriver. Je n’ai pas encore écrit à d’Eyragues, et au Préfet de Strasbourg. Il faut que je revoie mon épreuve du Moniteur. Appony, que j'ai vu ce matin et qui avait un petit air content a causé de Pritchard, m’a dit qu'on avait arrêté pour vous à Baden un joli logement. Voilà Hennequin. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°3 Paris, samedi 3 août 1844

Deux lignes seulement aujourd’hui. Je remettrai ce soir une plus longue lettre à Hennequin. Pas si longue pourtant que je le voudrais. Je suis écrasé. Le Maroc et Tahiti plus lourds que jamais. Mackan toujours malade. Duchâtel parti ce matin, nous resterons à peu près seuls, le Roi & moi. Les hostilités positives ont du commencer hier 2, par mer, contre le Maroc ; à moins d’une nouvelle réponse satisfaisante de l'Empereur à une nouvelle sommation qui lui a donné un délai de huit jours. Je ne crois pas à la réponse satisfaisante. Ainsi du canon. J’espère que nos français de Mogador et de toute la côte auront été mis en sureté, comme ceux de Tanger. Pas tous malheureusement. Adieu. Adieu.
Je suis charmé que votre voyage se passe bien. Adieu. G.
Rien de Pétersbourg.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3. Saverne Samedi 3 août 1844
6 h. du matin

Je veux encore vous dire adieu sur terre de France. Je serai triste en passant le Rhin ! Hier n’a pas été si bien que les autres journées. Un accident ; le postillon sous les chevaux... La voiture presque renversée. Mon Constantin a sauté dehors avec une prestesse de cosaque. Il a tout fait, coupé les traits, relevé le postillon. Enfin nous nous sommes remis de la frayeur et de l’accident. Cela a fait un délai d'une heure. Le pauvre postillon y perdra un doigt.
Je vais donc revoir mon frère aujourd’hui. Je commence à y penser. J’aurai un peu de plaisir, et quelques conversations curieuses. A propos, si l’envie de voir Strasbourg lui venait, s’il était curieux (ce qu'il sera) d’un exercice des chasseurs d’Orléans, Hennequin serait-il homme à l’orienter pour le jour où cela pourrait se rencontrer ? Ou bien pourriez-vous lui faire tenir quelque autorisation auprès du Chef militaire pour cela ? Cela serait de la bien bonne grâce. Je vous dis ceci en l'air, mais Constantin croit que son oncle serait le plus heureux du monde de voir pareille fête.
Les visiteurs de Bade arrivent à Strasbourg sans passeports. Au reste je vous reparlerai de cela encore quand je l’aurai vu. Je vais déjeuner et partir. Je soutiens bien le voyage. Constantin est tout étonné du peu d'embarras que je lui donne, mais cela vient de ce qu’il est là et que je ne m’inquiète pas de mille détails du voyage. Ma santé va assez bien. Adieu. Adieu. Ecrivez-moi, soignez-vous. God bless you dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Bade, dimanche le 4 août 1844
8 h. du matin

Je suis arrivée hier à 2 heures. Mon frère était là depuis midi. Il nous a reçu avec l'air bien effacé. La vue de son beau frère l'avait consterné. Je voulais aller droit chez lui, il s'y est opposé craignant l'agitation. J’ai donc été prendre possession de mon appartement et je n’y étais pas depuis deux minutes que mon frère entre. Une ombre, un cadavre, quelque chose qui fait reculer d’effroi. J’en ai été extrêmement saisie, il m’a été difficile de reprendre aucune idée, aucun souvenir, et vraiment les premiers moments ont été muets et bien pénibles. Il avait passé la veille par Stutgard. Il était allé pleurer sur le tombeau de mon frère chéri. Cela m’a touchée. Nous avons dîné à quatre heures chez mon frère. Une tenue de Pacha qui me déplait, une conversation de bêtises. L'humeur hautaine et maladive. Après le dîner deux minutes seuls ; il a voulu me parler de l'Empereur. Les enfants sur viennent. Il ne parle plus que de cette conversation de Pétersbourg qui va bientôt me faire l’effet des araignées de Beauséjour. Je n'irai plus dîner là. Je rechercherai les tête-à-tête, je vois qu’il en a envie aussi. Avec lui sont venus quelques subalternes dont un homme d'esprit et honnête homme à ce que dit Constantin. Ce Monsieur m’a fait demander par lui une entrevue secrète. Il avait à me remettre une lettre secrète aussi du comte Michel Woronsov pour m'entretenir de l’état de mon frère, tout ce monde n’espère plus qu'en moi pour le tirer des griffes de Madame de K. et le faire retourner en Russie. On ne voit son salut que dans ce retour J'ai bien étonné l'homme quand je lui ai dit que je le ferai, & que je mettrais Madame de Krudwer dans la conspiration. C'est là ce que je vais faire en effet. En attendant, il renverra le médecin qu’elle lui a donné et qui l'a quasi tué en l'envoyant à Karlsbad qui lui a fait un mal affreux. Voilà le chapitre de la famille terminé.
Je ne sais rien. La grande Duchesse n’avait plus que quelque jours à vivre. Le Roi de Prusse est un arlequin. Voilà comme on l'appelle. Mon prince Emile n’est pas ici. Bacourt y est, cela me réjouit, j’ai avec qui parler. Votre bonne lettre de jeudi m'a été remise à dîner, merci, merci. Quelle distance de la lettre à la conversation où j’étais plongée ? Jamais on n’a vu plus immense contrainte.
Je vous plains des tribulation de Maroc, de Pritchard. Pritchard surtout est bien désagréable. Je suis ravie que Jarnac soit à Londres dans ce moment. Vous ne serez pas désœuvré ! Je voudrais être là pour vous reposer l’esprit. Je suis bien loin. Le Rhin m'a fait mal à traverser mais j’en suis si près, et je suis indépendante, dieu merci. Je suis logée à merveille. Infiniment mieux que je ne le serais à Minne. Propre, élégant mais bruyant ah mon dieu ! et puis un lit élastique, où je danse. Je vous envoie cette lettre bien vite ; je ne connais pas les heures de la poste, personne ne les connait ici. J’irai moi même au bureau régler cela. En attendant je ne veux rien risquer. Que j’aime vos lettres, qu’elles sont charmantes préparez vous à ce que les miennes soient bien bêtes. Quel entourage. Adieu. Adieu.
Midi. La poste est partie à 9 heures quel ennui ! Mais cela n’arrivera plus. Vous aurez tous les jours votre lettre exactement. J'ai été à l’église, et puis chez mon frère que j’ai trouvé couché. Il est effrayant et effrayé, car il se sent mourir. Nous avons été seuls longtemps. Nous avons causé de voyage d'Angleterre, je lui ai appris des détails, et presque tous qu'il ne connaissait pas. Nesselrode n’avait pas idée, à ce qu’il croit, d'aller à Londres. C’est depuis son propre voyage que l’Empereur a décidé que son ministre y irait : mon frère croit très possible qu'il soit question du mariage Cambridge quoiqu’il lui semble " très misérable, mais depuis Leuchtenberg l’Empereur a rendu tout bon établissement difficile pour ses filles. L'envoi d’Orloff à Vienne a été une des plus grande gaucherie c’est de l'invention de l’empereur toute pure. "

4 heures Je me décide à mettre cette lettre à présent sauf à vous envoyer encore un mot tantôt. J’ai vu Bacourt. Nous avons rabâché sur Pritchard, mauvaise affaire les journaux Anglais sont bien vifs. Je voudrais que vous fussiez sorti de ce mauvais défilé. Voici votre lettre d'avant-hier, mais merci. Je vois que Pritchard vous tracasse Lady Palmerston m'écrit qu’Ashley grand ami de Pritchard est furieux & fera du tapage. " Les français se conduisent partout très mal. " et mettant même à part sa qualité de consul, son emprisonnement est abominable. " Voilà Lady Palmerston elle part de Londres le 9. Ils vont s'arrêter à Ems. Toutes les capitales allemandes ensuite, & Paris peut-être pour finir.
Si vous saviez le plaisir, la joie que me font vos lettres ! Je vais relire, relire. Adieu. Adieu. Mille fois, ne manquez jamais un seul jour de m'écrire et assurez-vous bien que votre lettre part. S'il m’arrivait de n'en pas recevoir je ferais mille folies, c’est sûr. Adieu encore et encore.
Mad. de Talleyrand m'écrit de Berlin où elle a été très malade en danger. Le prince de Prusse ne va plus en Angleterre. Encore adieu. Ecrivez, écrivez ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°4 Auteuil. Dimanche 4 août 1844
9 heures

Hennequin est parti ce matin. J'espère que la lettre qu’il vous porte ne vous satisfera pas. Je voulais vous dire tout autre chose. Quand retrouverai-je une telle occasion de vous tout dire ? Mais j'étais excédé de ma journée. Et ma soirée aussi était surchargée. Je me suis couché très tard. J’ai mal dormi. Pourtant je suis reposé ce matin.
Je n'irai pas à Paris. Pas de Conseil. Il est pour demain midi, aux Tuileries. Nous irons de là clore la session. On me dit qu'à la chambre des députés on veut, à cette dernière minute, m'interpeler aussi sur Tahiti et sur le discours de Peel. Nous verrons. Je ne dirai ni plus ni moins au Palais Bourbon qu’au Luxembourg. Le discours d’Aberdeen est plus mesuré que celui de Peel. Il faut laisser trainer cette affaire. Les deux sessions finissent.
Vous avez une assez grosse flotte Russe à l’entrée du Sund, commandée par le grand Duc Constantin. On demande pourquoi elle est là. De Hambourg, on m’écrit que c’est parce que le Prince de Joinville commande une flotte française dans la Méditerranée. Voilà la diète de Suède réunie. Les nobles et le Clergé conservateurs. Les paysans et les bourgeois radicaux. Le Roi, sans avis, ayant envie de dire non, mais prêt à dire oui. Le comte de Björnstierna est allé trouver Jarnac pour lui conter son chagrin, ses craintes et lui demander de me prier de donner Stockholm de bons conseils. Mes conseils seraient très bons si j'en donnais. Mais il faut d’autres prières que celles de M. de Björnstierna pour que j'en donne.

2 heures Point de lettre ce matin. Pourquoi ? Vous aurez manqué les heures de la poste en vous éloignant de Paris. Cela me déplait. Enfin, vous êtes arrivée hier à Bade. La correspondance régulière va commencer.
Le Courrier d'Orient est venu ce matin. Rien d'important. Mavrocordato en train de tomber. Et Sir E. Lyons plein d’humeur, se raidissant pour le retenir. Colettis plein de confiance. Metaxa relevant la tête entre son adversaire qui descend et son adversaire qui monte. Piscatory gardant une assez juste mesure, tenté pourtant, ce me semble de penser à sa politique spéciale plus qu’il ne convient à la politique générale. Je le lui dirai. C’est un bien bon agent. Martinez de la Rosa est venu déjeuner avec moi. Il n'y a pas moyen de lui parler d’affaires. Il m'a amené un M. Sartorius, membre des Cortés, propriétaire de l'Heraldo, le Journal des Débats de Madrid, qui m’a l’air d’un homme spirituel et résolu. On prépare les élections. Les Carlistes iront ; les progressistes non. Boisleconte m'écrit de Lahaye (1er août) que M. de Nesselrode y est ; pour trois jours. Je crois que je commence à voir un peu clair dans le problème. Trois hypothèses. Rien à faire quant à l’une. La même conduite convient aux deux autres. Mackan va un peu mieux. La fièvre a manqué aujourd’hui. Je fais ses affaires. Si la maladie se prolongeait, Il faudrait que je les fisse officiellement. J'espère que ce ne sera pas nécessaire. Voilà le directeur du personnel de la Marine qui arrive et m’apporte le travail. Adieu. Adieu.
Aimez-moi, comme je vous aime. Que je vous manque comme vous me manquez. C’est tout ce que je demande. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°5 Auteuil. Lundi 5 août 1844
7 heures

Je suis levé depuis une heure. Je suis en votre absence d’une activité prodigieuse. Je travaille ou je dors. Il y a quelque chose qui me manque encore plus bien plus que le plaisir de votre société qui me manque pourtant beaucoup ; c'est le charme de votre affection. C'est si charmant l'affection, l'affection vive et vraie ! Se sentir aimé, se voir aimé, aimé de qui on aime, un quart d'heure de ce sentiment là vaut mille fois mieux que tous les plaisirs, à plus de prix que tous les services du monde. Vous m'êtes très utile et infiniment agréable ; mais qu’est-ce que cela auprès du mouvement de bonheur qui s’élève en moi quand vous me dites que vous êtes descendue précipitamment, toute troublée de savoir si j’ai pris à droite ou à gauche, et si je ne suis pas tombé dans la foule ? Ma vue est déjà longue et bien pleine. Plus elle dure et se remplit, plus je mets les joies de l’intimité tendre au dessus de tout, de tout absolument. Portez-vous bien ; soignez-vous bien revenez-moi bientôt ; ne me revenez pas malade. Comme je vous regarderai quand vous me reviendrez ! Mad. de Broglie disait qu’il était impossible, quand je regardais, de ne pas croire que je voyais jusqu'au fond de l'âme. Je voudrais bien pour vous, pour tout ce qui vous tient ou vous touche voir toujours jusqu'au fond, pour tout savoir et veiller à tout.
Je viens de lire mon courrier d’hier. Voilà ces pauvres Bandiera fusillés. Tous les deux. Le père a quitté le service. On dit que la mère mourra. La foudre ravage quelquefois toute une maison. Neuf chefs de la seconde tentative révolutionnaire en Calabre ont été exécutés. Six de la première. Pendant ce temps-là, le Roi de Naples perdait son fils de 4 ans, sans le revoir. Le sort a de la douleur pour tous. Le petit archiduc Reinier, à Florence, est très malade. Joseph Buonaparte est mort. Pour lui, il était temps. Il laisse une très grosse fortune, plus grosse qu’on ne croyait, toute entière à sa fille unique la Princesse de Canino ; rien du tout à son frère, le comte de Montfort, auquel il faisait une pension de 12 000 fr. et qui meurt de faim.
Une dépêche télégraphique de Bayonne me dit que le Chancelier du consulat, et tous les Français qui étaient restés à Tanger ont débarqué à Tarifa en Espagne. Je voudrais bien en être sûr. On dit aussi que tous les sujets anglais et espagnols ont quitté Tanger. Les Consuls sont restés. Le consul napolitain a quitté aussi et est arrivé à Cadix. Je ne tiens pas ces détails pour certains. Je ne les ai que de Perpignan et de Bayonne. Si, comme je le crains la réponse du Maroc, après les huit jours donnés n'a pas été satisfaisante, c'est avant-hier 3 que M. le Prince de Joinville aura tiré les premiers coups de canon.
J’ai passé hier ma journée à Auteuil. Le soir, je suis allé voir un moment Mad. Récamier qui retourne aujourd’hui à Paris. Je vais ce matin de bonne heure au Ministère ; à midi, aux Tuileries, pour le Conseil, à deux heures, à la Chambre, pour clore la session. Je dîne chez Decazes. Adieu. Adieu.
P.S Paris 4 heures et demie.
Je reviens de la Chambre et du Conseil. Mêmes interpellations qu'à la Chambre des Pairs. Très vives au fond, quoique pas violentes dans la forme. On se donne le plaisir de verser sur Sir Robert Peel la colère qu’on a contre moi. La difficulté du moment est passée ; mais ceci fait au fond, une situation grave. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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6. Baden lundi le 5 août 1844
6 heures du soir

Mon frère reprend un peu ses sens. J’ai eu une heure de bonne conversation avec lui ce matin, toute politique. Nous nous sommes trouvés d’accord sur toutes les questions, et sur l’une particulièrement, nos relations avec la France son voyage à Paris l’année dernière devait être le signal d’une nouvelle ère. Acceptée même par le premier personnage. Une puérilité, un article de journal a tout renversé. Comment a-t-on l’esprit arrangé de façon à faire dépendre de si peu de chose un si grand intérêt ? Mais il ne s'agit pas de cela, maintenant je ne pense qu'à Londres & Paris. Peel a été bien étourdi. Aberdeen a mieux fait ! Mais vous qu’allez vous faire. Il faut quelque chose. Je m’imagine que vous vous passerez des notes concertées. C’est impossible de se brouiller pour Tahiti cependant cela, par dessus ce Maroc fort épineux, fait une situation un peu rude. Je vois tout cela d'ici. Je m’impatiente, j'ai mille idées et il faut tout avaler. Je suppose que je vais tomber malade d’un Pritchard et d'un Maroc vendu ? !
J’ai eu votre très petit mot de Samedi. J’attendrai Hennequin avec bien de l’impatience demain. Je n'ai rien fait aujourd'hui un long tête-à-tête avec mon frère. Des promenades à pied en calèche avec Constantin, avec Bacourt. J'ai eu la visite de votre ministre d’Espagne. Il ne manque pas d'esprit. Je cause beaucoup avec Bacourt.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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5 Bade lundi 5 août 1844,
7 heures du matin

J'ai lu tous les journaux Anglais. Et j'ai lu les paroles de Peel au parlement. Cela devient gros et je m’inquiète. Vous aurez beau parler de droit, il n’en est pas moins vrai que le procédé a été horriblement brutal, & que le ministre anglais est forcé de vous demander une réparation éclatante. Mais qu’est ce qui empêche que vous ne la donniez ? Si on avait fait cela à un français considérable, et il faut convenir que Pritchard était considérable dans cette île, jugez quels cris ici ! Vraiment votre d’Aubigny mérite punition ; pour une nation civilisée comme la vôtre ces actes de brutalité sont une honte. On pouvait bien renvoyer je veux dire chez vous. Pritchard ou même le retenir prisonnier sans le tenir au secret de cette façon là. Vraiment cette affaire me tracasse beaucoup, j’y rêve quand je n'y pense pas. Les Cowley doivent être bien fidgety. Et le Maroc ! Probablement la guerre commence.
Je vous ai laissé là de bien mauvaises affaires. J’ai fait hier une promenade en calèche, charmante, après le dîner avec Constantin. Mon frère n’a pas voulu bouger de sa chambre à coucher. Pas une fenêtre ouverte un air de tristesse jusque dans ses meubles. Les courtisans dans le premier salon s’entretenant à voix basse. Ses enfants auprès de lui ne sachant de quoi parler quand j’arrive ils s’en vont pour reprendre haleine, c'est-à-dire de l’air. Je cause avec lui, je l’anime un peu, mais cela le fatigue bientôt. C’est un triste spectacle. Je n'en ai jamais vu de pareil, et il me faut un bien secours moralement pour ne pas fondre avec. Je doute que j’arrive jamais à une conversation intime de sa part. Il n’en a plus la force. Je l’ai quitté à 8 heures pour marcher encore un peu avant de me coucher.
Il fait froid. Décidément il n'y aura pas. d’été. Bade est rempli de monde mais pas une âme de connaissance. C’est plus commode mais c’est laid. Quant au pays, je crois vraiment que le bon Dieu s’est plu à l’embellir encore, que les montagnes sont plus hautes, les forêts plus épaisses. Tout plus pittoresque plus riant. Je n'ai rien vu de plus charmant. Hélène arrive demain. Adieu, adieu. Arrangez-moi Pritchard. C’est un gros souci pour moi. Adieu. Que je serai contente quand je vous dirai adieu à la rue St Florentin ! Est-il vrai que le choléra soit à Lisbonne ? Quelle horreur. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N° 6 ou 7 Selon que j'ai, ou non, numéroté la lettre par Hennequin, ce que je ne me rappelle pas

Auteuil Mardi 6 août 1844
2 heures

Pas de lettre aujourd’hui. Je m’y attendais un peu. C'est le Rhin qui me coute cela. C’est un déplaisir que vous soyez de l'autre côté. Que de petits déplaisirs en ce monde, sans parler des grandes peines ! Je suis très raisonnable sur les petits déplaisirs. Je les repousse ; mais je sens leur piqure. Fagel sort d’ici. J’ai repris mes mardi d’Auteuil. Ils dureront, car je ne peux pas penser au Val-Richer à présent. Fagel m'a amené un de ses amis, un M. Van der Tix, membre des Etats Généraux, homme d’esprit. Il y a pas mal de gens qui ont de l’esprit la première fois. On n'en a vraiment qu’à condition d'en avoir toujours, et toujours plus.
Fagel m’a demandé de vos nouvelles. Je lui crois un sentiment vraiment bienveillant pour vous. Je ne m'y trompe guères.
Voilà donc la session close. J’ai peine à y croire. Elle m'a grandi et je suis debout. Mais debout sur la brèche. Et je serai sur la brèche dés l’ouverture de la session prochaine. Les relations avec l’Angleterre seront la grosse question de l'adresse. Plus grosse peut-être que jamais. J’y pense beaucoup. Mon parti est bien pris, tant que je pourrai pratiquer la politique, que je pratique depuis quatre ans, je resterai. Mais un jour peut venir où il y aura à faire une platitude ou une folie. Ce ne sera pas moi. Le Roi a des hommes pour cela.
4 heures 3/4 Appony, Brignole, Armin, Serracapriela Peruzzi, Koso. J’aurais beaucoup à vous dire. Il n'y a pas moyen. Il faut que j'envoie mes lettres à Paris si je veux qu'elles partent. Adieu. Adieu. Demain j’aurai une lettre. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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7. Bade Mardi 6 août 1844 2 heures

J’attends, j’attends Hennequin & je grille. Mon frère est plus mal aujourd’hui il y a eu une consultation, un nouveau médecin, la guérison impossible. Le soutenir plus ou moins longtemps voilà tout ce qu'on peut espérer. Son médecin ordinaire vient de me dire qu'il doute qu'on le ramène vivant en Russie, en même temps il presse ce départ et nous verrons le médecin et moi d'écrire à Madame de Krudener pour la prier d'arriver à Francfort, Heidelderg, ou tout autre point de rendez-vous et épargner ainsi à mon frère le voyage de Bavière. Bade est impraticable pour la rencontre, à cause des deux filles. J’ai passé ma matinée à ces consultations & arrangements. J’ai peu vu mon frère. Il n’avait pas la force de parler. C’est bien triste ce que je suis venu trouver ici.

4 heures
J'ai reçu le n°4 par la poste. Hennequin n’a pas encore paru. J’ai lu la séance de samedi à la Chambre des Pairs. J’approuve fort votre réserve, bonne leçon à Peel (je suis enragée contre Peel) et Molé qui se mêle de cela aussi. Je suis bien aise de ce que les Débats en disent. Au demeurant cependant, c’est une bien détestable affaire, rendue détestable par Peel. Il vous sera fort difficile ou même impossible de le satisfaire. L'amènerez vous à fléchir ? Vous ne pouvez pas destituer d'Aubigny. Je cherche, je creuse, je ne trouve rien que de très mauvais. Mais ce qui me trouble beaucoup surtout c’est cet esprit des journaux si vivement excité. J’ai peur. Je ne veux pas qu’on vous rencontre à pieds dans les rues de Paris. Promettez le moi. Dites à Génie que j'ai peur, et que je le conjure de me rassurer de veiller sur vous. Je prie Dieu, je ne cesse de penser à vous. Je suis désolée d'être loin. Vous aimeriez que je fusse là à Beauséjour, vous vous contenteriez même de Paris. Ah que ce voyage est malencontreux. Il me déplairait beaucoup quand même je vous saurais tranquille, content, sans souci, et que je n’aurais pas moi même ce triste spectacle de mon frère mourant sous mes yeux. Aujourd’hui tout se réunit, quelle fatalité. Je déteste Bade. Je partirai dès que je pourrai.

5 1/2
Voici Hennequin. Que je vous remercie de votre lettre ! Comment au milieu de ce feu croisé, de toute cette avalanche de tracasseries vous avez pu me faire une pareille lettre ! Que vous êtes bon ! Vous allez vous fâcher de ce bon. C’est égal. Merci, merci. Vous me soulagez un peu. Il me semble que l’affaire ne sera pas si grosse. J’approuve tout ce que vous me dites. Vous ne souffriez pas que Peel retourne, vous ne le pouvez pas. Il faut déclarer cela net. Et je suis tout-à-fait de votre avis, bonne occasion pour vous de refuser quelque chose et d'être raide. Tant pis pour eux, ils vous ont rendu la tâche plus difficile, qu'ils en portent la peine. Peel verra l’explosion que ses paroles ont provoquée ici. He will hold his tong next time. Le petit Hennequin trouve ici votre ministre ce qui l’arrange. Il a remis votre lettre au préfet de Strasbourg. Il trouve Bade charmant. Il va se divertir. Il m’est arrivé bien lavé et bien propre.
Le grand duc Constantin qui est encore un enfant est là dans le sand avec la flotte comme il y est tous les ans et la flotte aussi pour se promener quand notre mer n’est pas prise par la glace. Il avait été envoyé à aourre? assister au départ du vaisseau l’Imper ? qu'on a construit après le naufrage du vaisseau de ce nom l’année dernière. De là il a fait le tour de la Scandinavie, et est venu rejoindre notre flotte de la Baltique. Cela n’est pas autre chose. Ils vont retourner à Kronstadt.

Mercredi 7 août.
7 heures 1/2 du matin. Je viens de relire vos deux dernières lettres 3 et 4. Je répète, vous avez raison votre conduite est bonne ; et celle de Peel vous force à plus de raideur que vous n’auriez eu sans cela peut être. C’est impossible qu'il ne comprenne pas cela. Lui avez- vous fait quelques observations sur son discours ?
La journée hier a été bien mauvaise ici et on vient de me faire dire que la nuit a été de même. Vraiment, si je vous contais ce qui est cause de ce redoublement vous ne croiriez pas !! Il est mourant hélas cela n’est pas douteux. Hélène est arrivée hier, il l’a embrassée mais ne lui a pas dit deux paroles. Il n’a plus la force de se réjouir de rien. Le premier jour il était venu chez moi à pied les deux suivants il était assis dans sa chambre hier, couché sur son lit, étendu comme un mort, les yeux fermés, et c’est à moi seule qu'il a dit huit mots de suite. Ainsi la progression du mal est rapide.
La beauté de Bade surpasse tout ce qu'on peut imaginer en fait de pittoresque et de riant. C'est un enchantement de quelque côté qu’on se tourne. J’en jouis peu, je suis triste, les seules personnes que je vois (ma famille) n’ont qu’une seule et même parole & pensée ; il est bien aimé par tout ce qui l’entoure. Il y a entre autre un brave homme et homme d'esprit avec un nom barbare qui me touche par l'affection, le dévouement extrême qu'il lui montre. Avant hier on a écrit à l’Empereur pour le prévenir des dangers. Je ne sais si lui-même se croit aussi mal. Constantin est parfait, c'est une angélique créature, et si affectueux. Il est plus affligé que les propres enfants. Annette qui est bonne est un peu insouciante parce qu’elle a la vue basse. Rodolphe spécule. Hélène est très très triste, mais toujours aigrie sur Madame de Krudener. Cela vaut bien la peine à présent ! Moi, ce qui me frappe c’est cette pauvre brave femme, ma belle sœur à qui personne ne donne avis du danger et qui ne reverra plus son mari. Elle qui l’a toujours adoré maussadement peut-être, mais enfin elle est irréprochable. Je crois que mon frère apprécie nos soins et notre présence, mais voilà tout.
Adieu. Adieu. Oui, je vous aime autant au moins autant que vous m'aimez et vous me manquez bien plus que je ne vous manque. C'est bien clair, c’est bien entendu. Car vous avez tant ! Et moi je n'ai rien rien que vous, vous seul au monde. Adieu Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°8 Paris, Mercredi 7 août 1844
5 heures

Encore une mauvaise lettre aujourd'hui. C’est bien mal en retour des deux bonnes lettres de vous qui me sont venues à la fois ce matin (N°4 et 5). Mais il n’y a pas moyen. Je suis arrivé d’Auteuil à midi. J’ai été assiégé depuis. huit ou dix députés ; Mackan, Martin du Nord, Dumon, Schachten, Rozier, Armand Bertin. Tout le monde est curieux. C’est vraiment un mouvement vif. J’ai très bon espoir de l'affaire du Maroc. Je crois qu’elle finira doucement après quelques actes de force. C'est le problème à résoudre. Agir fortement en présence de l'Angleterre, tranquille, et aboutir à la paix. M. le Prince de Joinville comprend cela très bien. Il a vraiment de l’esprit. Un de ses officiers, parti de Cadix, le 28 Juillet est arrivé ce matin. Son rapport m'a fort convenu. Le dernier délai donné expirait le 2 août. Ne vous ai-je pas déjà dit cela deux fois ? Nouvelle menace d'une apparition de la flotte Turque devant Tunis. Nous y envoyons de nouveau trois ou quatre vaisseaux. Rien sur Tahiti. Je ne veux suivre un peu activement la correspondance sur ce point que lorsque le Parlement Anglais sera clos, comme le nôtre. Je ne puis courir le risque d’un second discours de Peel.
Ce que vous me dîtes de votre frère est bien triste. Ne vous enfermez pas trop dans cette chambre. Vous êtes bien, n’est-ce pas ? Je veux que vous vous portiez bien. J’y pense encore plus quand vous n'êtes pas là. Pauvre lettre. J’aurais tant à vous dire. Il faut que je passe par Neuilly pour retourner à Auteuil. Le Roi vient de me demander. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°10 Auteuil Jeudi 8 aout 1844,
9 heures du soir

Ma soirée a été agitée. A 6 heures une dépêche télégraphique du Prince de Joinville, devant Tanger, le 2, portant : " Le délai donné à l'Empereur est expiré. Aucune réponse n'a été faite aux demandes de la France. La guerre sainte est prêchée partout. On porte à 25 000 hommes le nombre des troupes qui se rendent à la frontière de l’Algérie. Aucune nouvelle de M. Hay dont on est très inquiet. Par égard pour sa sureté, j’ai consenti à suspendre, pendant quelques jours le commencement des hostilités. " à 7 heures et demie, nouvelle dépêche : " Le grégeois, parti de Tanger dans la nuit du 2 au 3 a touché à Port Vendres cette nuit ( la nuit dernière du 7 au 8) se rendant à Toulon. Au moment où le bombardement de Tanger allait commencer le 2, une lettre de l'Empereur de Maroc a donné plein pouvoir, au Pacha de Larache, de traiter de la paix. L'Empereur le prévenait de plus qu’il allait écrire au Prince de Joinville une lettre qui en assurerait le rétablissement. " Voilà où nous en sommes. C'est excellent. Pourvu qu’il n’y ait pas de nouveau coup de bascule. Vous ai-je dit que, l'escadre Turque menaçant de paraître devant Tunis, nous venions d'y envoyer quatre vaisseaux ? Si c’est Abdel Kader qui suscite ainsi les Musulmans des quatre points de l’horizon, c’est un homme d’esprit. Je ne vous ai pas raconté avant-hier tout le corps diplomatique, qui a rempli ma matinée. Armin, très troublé d’un petit journal allemand, Vorwärts, qui se publie à Paris et qui vient de faire contre le Roi de Prusse à propos de l’attentat, un article abominable. Je lui ai offert de faire poursuivre, s’il voulait porter plainte, comme notre législation l'exige. Il ne veut pas. Tout ce que je puis faire, c'est de chasser de France ces coquins. Il ne demande pas mieux. Ils iront faire leur journal en Suisse. Brignole, content de la façon dont le Roi des Pays-Bas a pris l'affaire de Mlle Heldewier. On la laissera là. Il est vrai. que le Roi de Sardaigne a promis qu’elle ne sortirait pas du couvent pour épouser son avocat. M. Abercrombie est allé la voir, au couvent, pour lui remettre une lettre. Il l’a vue seul, tant qu’il a voulu, et s’en est allé fort refroidi. On dit que Lord Aberdeen l'a blâmé de s’en être mêlé si vivement. Je ne me souviens pas qu'Appony n'ait rien dit. Koss a le cœur léger ; le Roi de Danemark a besoin, pour quelque temps de laisser le comte de Moltke en Suède. Cowley est à merveille dans l’affaire de Tahiti et sur les paroles de Peel. Il me semble que c’est tout. Certainement non. Adieu pour ce soir. Je vais me coucher Mon rhume va mieux. La Reine aussi est enrhumée ce qui ne l'a pas empêchée hier de se lever pour aller fermer, à cause de moi, une fenêtre ouverte. Je serais fort sensible aux gracieusetés royales, si je ne voyais pas, à côté, la prétention de les faire compter pour trop. Ceci est moins vrai avec la Reine qu'avec toute autre personne de sa sorte. Il y a de à la sincérité dans sa bienveillance. Adieu. Adieu. A demain matin. Vendredi 9 - Midi
Charmant n°7. Je suis charmé que vous m’approuviez. Votre avis et le mien, c’est la raison. Mes nouvelles de Jarnac ce matin sur Tahiti, sont assez bonnes, c'est-à-dire douces. Ils sentent leur tort ; ils expliquent les embarras de leur situation, la nécessité, pour eux, d'obtenir quelque chose. Je ne puis d’ici à longtemps rien faire de plus que de reconnaitre que M. Daubigny a eu tort de mettre Pritchard en prison et au secret, qu’il aurait du l'expulser sur le champ. La guerre civile est à Tahiti ; il faut la finir. Nous avons promis le rétablissement du Protectorat pur et simple ; il faut le rétablir. Jus qu'à ce que cela soit fait, que Tahiti soit rentré dans l'ordre, et dans son régime définitif, je n’y enverrai d’ici aucun incident nouveau, aucune personne nouvelle. Voilà, quant à présent, ce que je pense et ce que je veux faire. En attendant nous discuterons les torts de Pritchard ; car là est vraiment la question, & Nous pouvons la débattre longtemps. J’ai une longue lettre de Brougham ; apologétique sur la poste ; pas un mot sur Tahiti. Des recommandations pour ses clients de Provence et des conseils sur des gens que je puis gagner, dit-il, et qu’il me serait bon de gagner. Il est dans le Westmoreland.
Je suis triste pour vous et avec vous. Les liens naturels, même médiocres, sont puissants. Et aux approches de la séparation tous les souvenirs de la vie commune se réveillent. Malgré la tristesse du séjour, et mon déplaisir du voyage, je suis bien aise que vous soyez allée à Bade. Vous auriez regretté de n'avoir pas revu votre frère. Il ne faut pas que le plus petit repentir se lie à des souvenirs de mort. Adieu. Je vais à Paris. J'envoie ceci à Hennequin, pour varier. Rappelez-lui qu’il doit aller tous les jours à la poste voir s’il y a quelque chose pour lui. Adieu. Adieu, my dear love. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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9. Baden Jeudi le 8 août 1844

Vos lettres m’arrivent ici à 2 heures c’est un charmant moment, j’ai bien soin de le passer seule. J’attends aujourd'hui les journaux avec impatience pour lire la discussion de lundi. Plus je pense à Tahiti et plus je me fâche. Vous vous êtes donné là une place éternelle, je ne crois pas que l’avantage de cette possession ou protectorat peut valoir les inconvénients incessants qu’elle vous suscitera. Il y aura d’autres Pritchard. Je suis curieuse des explications qui auront été échangées. Le [blâme] ou le regret de la conduite incivile de M. d’Aubigny peut bien se trouver dans une note, mais son éloignement ultérieur ne devrait pas s’y trouver, à moins que les anglais ne vous aient dans le temps promis par note aussi l’éloignement de Pritchard, ce que j'ignore. Dans tous les cas ils ont bien peu tenu parole, et vous avez tout-à-fait le droit de les imiter certainement ni vous ni aucun ministre quelconque en France ne pourrait risquer. Je ne dis pas même le désaveu mais seulement l'éloignement de M. d'Aubigny dans ce moment. Vous savez bien cela. Vous savez aussi que les Anglais ne se feront aucun scrupule de publier votre note. Vous avez été plein de procédés et de ménagements pour eux. Ils ne vous imiteront pas, j'espère donc que votre réponse si elle est faite peut risquer le grand jour sans me faire évanouir de terreur. Je suis bien fâchée d’être loin car tout ceci me tracasse bien fort. Rassurez-moi un peu.
Je crois que je vous ai écrit une lettre quelque peu anglaise, mais j’étais sous l'impression que Pritchard avait well deserved ce qui lui est arrivé ; j’avoue que je ne trouve pas cela dans ce que je lis dans les journaux. je suppose que les rapports officiels sont plus positifs. Je rabâche, vous n'avez pas besoin que je vous redise de Bade l’affaire de Tahiti. Lady Cowley wishes the whole island at the bottom of the sea ! La journée a été moins mauvaise hier. Il a parlé, & à deux reprises, j’ai même eu une assez bonne conversation avec lui. Il est possible que je le laisse ici vivant.
Il est décidé que Constantin ne le quittera plus, que Mad. de Krudner viendra le rejoindre à Hambourg, et qu’il se rendra d'ici là à très petites journées. Il est très impatient de reprendre ses affaires. L'habitude de l'occupation et de l’agitation est plus forte que la maladie. Je le trouve sensé, modéré, et d’après ce qu’il me dit courageux. Le seul qui ose parler et qui le fasse. Nesselrode bien poltron Orloff secondant mon frère mais en auxiliaire. Il déteste Brunnow et ne lui pardonne pas mon affaire. En tout il se montre non seulement quand il me parle, mais lorsqu'il cause avec Constantin, tout-à-fait mon ami et mon frère.
Je ne sais pas vous rendre compte de mon temps. J’en ai de reste, et en même temps la journée est bien vite finie. Je vais chez mon frère trois, quatre fois le jour. Constantin, Hélène, Annette vont et viennent de chez lui chez moi. Et puis les médecins, les courtisans, on se redit chaque impression. Je me promène avec Constantin, à pieds ou en calèche. Je vais m'asseoir sous les arbres. Je dine seule. Je lis, si on me laisse seule. J’ai reçu un ou deux russes de la dernière insignifiance. Bacourt vient une heure avant mon dîner me raconter tout ce qu’il a lu dans tous les journaux. Nous rabâchons Tahiti ou autre chose. Voilà tout. Je me couche à 9 heures. Je me lève avant 7.
Je pense à vous, je rêve à vous, je prie pour vous. Soyez bien sûr qu’à quelque moment du jour que vous pensiez à moi, vous me rencontrez. Adieu. Adieu. Adieu mille fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°9 Auteuil. Jeudi 8 août 1844
une heure

Le Maroc va bien et Tahiti va un peu mieux. Les Marocains commencent à se persuader que nous voulons sérieusement ce que nous leur avons demandé, et il faut avoir plus peur de nous que d'Abdel Kader. Nous ferons là, j’espère, en face de l'Angleterre inquiète et immobile, un acte de puissance sur notre voisin, son client, et en même temps nous ferons acte de retenue et de loyauté. C'est là le problème à résoudre. M le Prince de Joinville le comprend très bien et ne perd de vue ni l’un ni l'autre but. Bien certainement, la qualité de Prince donne plus d’esprit à ceux qui en ont. La difficulté de cette affaire, c’est de faire marcher de concert et de front la terre et la mer, Joinville et Bugeaud. Pourtant cela va. J'attends à présent tous les jours la nouvelle de ce que l'Empereur a répondu au Prince et de ce que le Prince fait à Tanger. Si l'Empereur n’a pas bien répondu, le Prince aura agi. Soyez tranquille ; il ne bombardera pas Tanger. Du côté de la terre, si les Marocains ne mentent pas, s'ils ne veulent pas uniquement gagner du temps, le fils de l'Empereur, marche, avec un gros corps de troupes contre Abdel Kader, pour l'expulser du Maroc, disent-ils. Ce qui me paraît indiquer qu’ils disent vrai, c’est qu'Abdel Kader s'est mis en garde contre eux, et a déjà fait tirer un courrier marocain pour lui enlever ses lettres. Attendons. En attendant, le Maréchal Bugeaud agit de son côté, comme le Prince de Joinville du sien. Si le Maroc veut gagner du temps, nous ne consentirons pas à en perdre. Suivez-vous bien ce plan de campagne ?
Quant à Tahiti, le Standard vous dit le mieux qui commence. On commence à sentir à Londres qu'on a parlé bien vite, et bien fort, et sans bien savoir. J’ai été réservé. Je reste tranquille, j’espère que les fautes qu'on a faites tourneront à mon profit, et seront prises en compensation des brutalités de notre lieutenant de vaisseau. Bruat s’est bien conduit. Il a fait cesser sur le champ le tort de Daubigny et il avait, au fond, raison contre Pritchard. Z et 99 se désolent d'avoir Tahiti. Il n'y a pas moyen d'avoir des terres et point d'affaires. Je conviens que celle-ci est très délicate. Pourtant je persiste à penser et à dire qu'il est impossible que le mauvais vouloir ou les mauvais procédés d'un prédicateur et d’un lieutenant de vaisseau compromettent sérieusement les rapports de deux grands pays et de deux grands gouvernements dont tous les intérêts sérieux et toutes les intentions réelles tendent à la paix. Il n’y aurait pas, dans le monde, assez de sifflets pour une telle sottise. J’ai fait mon chemin en ayant confiance dans le good sense. Je suis décidé à continuer. J’espère qu’à Londres on en fera autant & qu’en donnant à la foule des deux côtés de la Manche, le temps de sentir le good sense, elle finira par là. Voilà donc un Prince de plus à Windsor. La Princesse de Joinville attend toujours. Et le Chancelier et le grand référendaire aussi qui se désolent de ne pouvoir partir, l'un pour Châtenay, l'autre pour Bordeaux. Je ne suis pas allé dîner hier à Châtenay. J’ai écrit que j'étais enrhumé. Je le suis en effet, par la grâce de Dieu, car cela m'est venu en sortant de la Chambre close. Ce ne sera rien. Je me couche de bonne heure et je dors immensément. Adieu.
Je trouve que vous ne vous portez pas mal. C'est l’air de vos lettres. Nous avons donc manqué bien belle la réconciliation de 86 et de 74. C'est dommage à eux deux, ils auraient fait 160. Jusqu'à ce que je vous aie vue, je ne crois pas à ce coup manqué. Adieu. Adieu. Que je vous dis peu, et que je vous désire ! Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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8. Baden Jeudi le 8 août 1844

Vos lettres m’arrivent ici à 2 heures c’est un charmant moment, j’ai bien soin de le passer seule. J’attends aujourd'hui les journaux avec impatience pour lire la discussion de lundi. Plus je pense à Tahiti et plus je me fâche. Vous vous êtes donné là une place éternelle, je ne crois pas que l’avantage de cette possession ou protectorat peut valoir les inconvénients incessants qu’elle vous suscitera. Il y aura d’autres Pritchard. Je suis curieuse des explications qui auront été échangées. Le blâme ou le regret de la conduite incivile de M. d’Aubigny peut bien se trouver dans une note, mais son éloignement ultérieur ne devrait pas s’y trouver, à moins que les Anglais ne vous aient dans le temps promis par note aussi l’éloignement de Pritchard, ce que j'ignore. Dans tous les cas ils ont bien peu tenu parole, et vous avez tout-à-fait le droit de les imiter certainement ni vous ni aucun ministre quelconque en France ne pourrait risquer. Je ne dis pas même le désaveu mais seulement l'éloignement de M. d'Aubigny dans ce moment. Vous savez bien cela. Vous savez aussi que les Anglais ne se feront aucun scrupule de publier votre note. Vous avez été plein de procédés et de ménagements pour eux. Ils ne vous imiteront pas, j'espère donc que votre réponse si elle est faite peut risquer le grand jour sans me faire évanouir de terreur. Je suis bien fâchée d’être loin car tout ceci me tracasse bien fort. Rassurez-moi un peu. Je crois que je vous ai écrit une lettre quelque peu anglaise, mais j’étais sous l'impression que Pritchard avait well deserved ce qui lui est arrivé ; j’avoue que je ne trouve pas cela dans ce que je lis dans les journaux. je suppose que les rapports officiels sont plus positifs. Je rabâche, vous n'avez pas besoin que je vous redise de Bade l’affaire de Tahiti. Lady Cowley wishes the whole island at the bottom of the sea !
La journée a été moins mauvaise hier. Il a parlé, & à deux reprises, j’ai même eu une assez bonne conversation avec lui. Il est possible que je le laisse ici vivant. Il est décidé que Constantin ne le quittera plus, que Mad. de Krudner viendra le rejoindre à Hambourg, et qu’il se rendra d'ici là à très petites journées. Il est très impatient de reprendre ses affaires. L'habitude de l'occupation et de l’agitation est plus forte que la maladie. Je le trouve sensé, modéré, et d’après ce qu’il me dit courageux. Le seul qui ose parler et qui le fasse.
Nesselrode bien poltron Orloff secondant mon frère mais en auxiliaire. Il déteste Brunnow et ne lui pardonne pas mon affaire. En tout il se montre non seulement quand il me parle, mais lorsqu'il cause avec Constantin, tout-à-fait mon ami et mon frère. Je ne sais pas vous rendre compte de mon temps. J’en ai de reste, et en même temps la journée est bien vite finie. Je vais chez mon frère trois, quatre fois le jour. Constantin, Hélène, Annette vont et viennent de chez lui chez moi. Et puis les médecins, les courtisans, on se redit chaque impression. Je me promène avec Constantin, à pieds ou en calèche. Je vais m'asseoir sous les arbres. Je dine seule. Je lis, si on me laisse seule. J’ai reçu un ou deux russes de la dernière insignifiance. Bacourt vient une heure avant mon dîner me raconter tout ce qu’il a lu dans tous les journaux. Nous rabâchons Tahiti ou autre chose. Voilà tout. Je me couche à 9 heures. Je me lève avent 7. Je pense à vous, je rêve à vous, je prie pour vous. Soyez bien sûr qu’à quelque moment du jour que vous pensiez à moi, vous me rencontrez. Adieu. Adieu. Adieu mille fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°11 Samedi 10 août 1844 Auteuil
10 heures

Je comptais passer ma journée ici tranquillement. Mais nous avons conseil à Neuilly, au lieu de demain. Cinq ministres seulement au conseil, qui va tout de même. Je jouis tous les jours d'avoir un vrai Ministre de la marine. Il n’est plus malade. J’envoie le Duc de Glücksberg à M. le Prince de Joinville pour négocier, conclure et signer avec le Maroc, les arrangements auxquels donnera lieu le rétablissement de la paix si, comme je l’espère, la bonne dépêche est bien vraie & bien définitive. Nous aurons là, pour la délimitation des frontières, une négociation assez longue.
Decazes est charmé pour son fils. Je l’ai pris comme le plus capable parmi ceux qui étaient disponibles, et à portée. Bresson ne sera pas si content. Il est très jaloux et n'aime que les gens bien subalternes bien dépendants de lui seul. Grand signe d'infériorité, quoique j'aie vu cela à des hommes de beaucoup d’esprits, de bien plus d’esprit que Bresson. Mais j’ai toujours trouvé le coin par où ils étaient subalternes eux-mêmes. On dit que sa femme est avare et sans esprit. Je le connais bien à présent, lui et sa position. Il est descendu dans mon opinion, mais il reste capable. Il jouit petitement de la petite position de Bulwer. Et son inquiétude, son humeur viennent de ce qu'elle n'est pas encore aussi petite qu’il le voudrait. Elle est vraiment très petite, du fait de Bulwer lui-même encore plus que du fait des événements. Il a pourtant donné l’idée qu’il était homme d’esprit et bon enfant. Cela le relève par moments un peu ; mais il retombe toujours par manque de tact, de tenue, par les velléités d’intrigue, et ses pitoyables relations. La considération est d’autant plus nécessaire en Espagne qu’il y a fort peu d'hommes considérés.
La Reine Christine a enfin revu le Duc de Riansarès, bien en cachette, bien peu de jours ; mais enfin elle l’a revu ; ils ont réglé leur marche à venir. Leurs confidents sérieux en sont d'accord. Cela lui a remis un peu de joie et de repos dans l'âme. Toute sa vie est là. Elle part, décidément avec ses filles, le 18 pour être à Madrid du 22 au 24. On peut espérer que rien n’arrivera avant l'ouverture des Cortés. La petite Reine commence à être lavée et propre, presque aussi bien qu'Hennequin.

Midi.
Il n'y a point eu de note échangée sur Tahiti. Rien du tout d’officiel. Des conversations particulières d'Aberdeen avec Jarnac et de moi avec Cowley. Si on m'adressait quelque chose d’officiel, je prendrais du temps pour répondre. Je fais dépouiller tous mes documents sur Pritchard. Je veux mettre toutes ses manières en lumière, et j’enverrai cela à Lord Aberdeen, avec ma réponse s’il y a lieu à réponse. Soyez tranquille : elle sera bonne. Ne vous ai-je pas dit que, très cordialement, très amicalement je saisirais cette occasion de montrer que je sais aussi dire non ? Génie est revenu. Il est impossible de n’être pas touché de tant d'affection. Il se désolait d'être loin, de penser que je pouvais avoir besoin de lui, et qu’il n’était pas là. Il a repris son service avec une joie tendre. Vous avez raison ; adressez-lui quelquefois les lettres.
Je viens d'avoir des nouvelles de Duchâtel, d'Ems, le 7. En très bonne humeur. Il a rencontré sur le bateau à vapeur du Rhin Lord Clarendon qui lui a tenu, un bon langage, fort ami de la France et de moi. Mais Lord Clarendon veut toujours plaire. Perpétuel mensonge. Mardi 30 Juillet à notre dernier bon moment, Lady Cowley m'a prié de lui demander quelquefois à dîner. Je l’ai fait hier pour lundi. Cela me plait. Adieu. Adieu. Je vais au Conseil. G.
P.S. 3 heures Je reviens du Conseil. La Princesse de Béna est malade. Don Carlos a écrit au Roi une lettre convenable, pour demander la permission de la conduire aux eaux de Neris. Le Roi le lui permet. Je suis charmé que votre frère soit un peu moins mal. Je désire bien qu’il puisse partir. Adieu Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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10. Bade samedi le 10 août 1844

Vraiment oui vous m'écrivez de pauvres petites lettres ! Essayez donc de trouver ou le soir ou le matin une demi-heure pour moi. Je suis si avide de tout savoir, si inquiète. La seule chose qui me convienne dans la lettre d’hier est votre résolution de ne pas répondre avant la clôture du parlement anglais. Et quand vous répondrez ; si c’est pièce officielle, ne promettez pas l’éloignement de M. d’Aubigny, cela peut se dire mais non pas s’écrire. On a fait de même pour Pritchard il me semble. Le regret ou le blâme de la prison peut être officiel ; mon autre part est une affaire de ménage. Je vous en prie n'oubliez pas cela. Vous êtes assez disposé à regarder à la difficulté du moment sans vous souvenir que dans cinq mois il y aura la tribune. Je vous en conjure pensez bien à cela. La mauvaise humeur anglaise passera ; les susceptibilités françaises restent en permanence et elles ont été justement blessées. Dites-moi donc si Peel sent l’étourderie qu’il a faite ? Si Cowley en convient. Dites-moi l’opinion dans la diplomatie sur ce point, ou du moins son langage. Enfin dites-moi quelque chose. Ne craignez rien. La Russie ne sait pas un mot de ce que vous m'écrivez. Si j’étais à votre place. Je me plaindrais dans une pièce officielle, du langage peu convenable de Peel en parlant des affaires françaises. Car à vrai dire vous êtes ici la partie offensée. Enfin au mois de janvier vous aurez de rudes comptes à rendre, tenez les en règle.
Hier a été, d’abord mal, et puis mieux vers le soir. Cela peut trainer ainsi. On attend les réponses de Madame de Krudner pour fixer l’époque du départ. Je verrai alors à fixer le mien. Il ne faut pas que je le laisse trop mal. Il faut l’assurance qu’il pourra partir. Le marquis de Dalmatie a passé ici. Il a dit qu’il regrettait bien Turin, que Berlin est exigeant, insupportable. Je ne sais pas ici la plus pauvre petite nouvelle. Comme il n’y a personne, je ne vis que sur les journaux. C’est eux qui m'ont appris les couches de la reine d'Angleterre. Vous ne me l'avez pas dit. J’ai eu une lettre de Madame ?. La grande Duchesse ? en s'affaiblissant. Les ? pleurent. C’est toujours la même chose.
Le temps est affreux comme au mois d’octobre très froid, & les montagnes y ajoutent. Je marche ; je ne vais pas en calèche, il fait trop froid pour cela. Constantin me soigne toujours, il ne me quitte que pour son oncle. Hélène passe les nuits auprès de mon frère. Il est bien entouré il est peu sensible à tout cela, il n’a plus la force au moins de se montrer touché du soin qu'on a de lui. Quand je suis là il se [?] un peu, il voudrait parler. On me dit de le ménager. Je prends plusieurs demi-heure réparties dans la journée. Adieu. Adieu.
Ecrivez-moi, aimez-moi. Soignez votre santé. Pensez bien à la discussion de l’adresse. Que je voudrais que le Maroc fait court & bon. Vous avez l'air de le croire. Adieu, dearest, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N° 12 Auteuil - Dimanche 11 août 1844
8 heures

Je vous ai parlé hier de D. Carlos et de la maladie de la Princesse de Beira, vous souvenez-vous d'avoir rencontré dans les journaux, un Père Fulgence, confesseur de l'Infante Dona Carletta, qui était venu à Bourges, après la mort de l'Infante, porter à D. Carlos ses déclarations dernières de repentir ? Il y est venu en effet et D. Carlos lui a parlé de sa disposition à abdiquer en faveur de son fils, pourvu que celui-ci épousât la Reine Isabelle. Avec le père Fulgence, comme avec d'autres. D. Carlos n’a pas dit plus mais l’Infants D. Luis est allé bien plus loin. Il s’est désolé de l’entêtement de son père qui perdrait tout en voulant, tout garder. Il a dit que pour lui, il désirait ardemment retrouver au moins son rang et sa situation d'Infant d’Espagne ; il n’y avait qu'un moyen, c'était de se soumettre purement et simplement à la Reine, & de demander à rentrer, en Espagne pour y vivre comme son fidèle sujet. Le père Fulgence de retour en Espagne a redit tout cela au Général Narvaez, en ajoutant, que le jeune homme avait l’air intelligent, assez décidé et lui avait tenu le langage vivement, fort en cachette de son père. Mervaez l’a engagé à retourner à Bourges, pour son propre compte, sans mission aucune, et à déclarer à D. Carlos que sa cause était perdue sans retour, que tous ceux de ses partisans qui remueraient en Espagne et lui-même au besoin seraient fusiller sans hésiter comme cela venait déjà d’arriver à plusieurs d'entr'eux dans le Maestrazzo et en Catalogne ; qu’il n’avait nul droit d'abdiquer, n’étant pas Roi, que son fils n’était point Prince des Asturies, mais qu’il était toujours l'Infant D. Louis et qu’en se soumettant à la Reine, il en retrouverait les droits et les chances. Le Père Fulgence est revenu à Bourges, et a redit là le Gal Narvaez comme il avait redit à Madrid De Carlos et D. Luis. D. Carlos a été consterné. La Princesse de Beira furieuse. De là sa crise de maladie qui est réelle. Le petit Infant a persisté. Mais toujours fort en cachette. Le père Fulgence est reparti. Voici une autre conversation. Molé rencontré Cowley, et lui parle de Tahiti, du discours de Sir Robert Peel, des interpellations dans nos Chambres &
- Cowley. Moi, je trouve que M. Guizot a très bien fait de ne pas répondre.
- Molé. Ah, je ne peux pas être de cet avis; je trouve qu’il devait dire quelque chose.
- Cowley. Et pourquoi ?
Molé. - A cause de ce qu’avait dit Sir Robert Peel. M. Guisot devait défendre l’honneur de nos officiers de marine. Je le lui ai demandé.
- Cowley. Eh bien il l’a fait. Vous devez être content.
- Molé. Aussi, je suis parfaitement content.
Cowley était plus content de sa petite malice que Molé de ma réponse.
Le corps diplomatique ici juge très sévèrement la boutade de Peel et me loue beaucoup de ma réserve obstinée. La bonne conduite, dans tout le cours de cette affaire-ci, sera difficile et j’y trouverai obstacle en plus d’un lieu. Mais je la tiendrai. L'occasion s'y prête. Adieu. Je vais faire ma toilette. Hier il pleuvait à seaux. Ce matin, le soleil brille. si vous étiez rue St Florentin, je serais peut-être allé en me promenant, causer un quart d’heure avec vous et vous dire ce que je viens de vous écrire là. Cela vaudrait mieux. Adieu. Une heure
Je n’ai point l'humeur chagrine, si ce n’est de votre absence. Ma situation est tendue, délicate, difficile ; mais elle n'a rien qui me déplaise. dans l'affaire de Tahiti, j'ai le haut du pavé et je suis décidé à le garder, en me montrant aussi doux, aussi cordial, aussi amical que je l’aie jamais été, dans la Méditerranée, nous faisons, l'Angleterre présente et immobile, un acte de puissance sur son client, notre voisin à l'ouest ; et en même temps, nous couvrons, contre les attaques de la Porte, notre client à nous vers l'Est, le bey de Tunis. Partout donc, la situation est digne, sensée et active. Qu'elle en sera l’issue ? Nous verrons. En attendant, je suis très occupé, quelque fois inquiet, mais triste, non. Revenez. Vous verrez bien que je ne serai pas triste. Rien de Londres aujourd’hui. Du Maroc, rien de décisif. Les nouvelles qui promettent la prochaine conclusion de la paix sont de Gibraltar du 3. On ne les savait pas devant Tanger, le 2. J’attends qu'elles me viennent de Tanger pour y compter. Vous avez quelquefois l’esprit trop complaisant pour les charlatans de loin du moins. Vous verriez bien, si vous le voyiez, que M. de la Rochejacquelein n'est que cela et assez vulgaire. A le lire, je comprends qu’on y trompe. J’ai d'ailleurs en fait de charlatans l’odorat d’une finesse extrême. Pourquoi votre rhume ? Soignez-le bien. Le mien s'en va. Je dors tant. Adieu. Adieu. Quand donc? Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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11. Baden dimanche le 11 août 1844
7 h. du matin

Mes numéros marchent avec les jours du mois. Je voudrais bien arriver à celui où je n’aurai plus de lettres à numéroter. Et je ne sais vraiment quand il arrivera hier on disait que mon frère n’a plus que huit jours à vivre ! Ce matin, on me fait dire qu'il va mieux. Nous vivons ici dans une tristesse dont vous ne sauriez-vous faire d’idée. Son état est affreux, c'est une agonie horrible. Quel aspect ! Et bien, comment puis-je le quitter au moment où il va expirer peut-être ? D'un autre côté je ne suis bonne à rien du tout. Ses enfants le soignent et veillent auprès de lui. Moi je ne sais rien faire. Je voudrais distraire son esprit. J'essaie de toutes les conversations. Rien ne prend, il n’est plus en état de répondre, ni même de témoigner par signe que cela lui fait plaisir. Par moment il revient, des souvenirs de jeunesse le raniment mais c’est court. Depuis hier il se croit près de sa fin. Hélène est fort touchante. Annette ne se doute pas de sa fin prochaine. Constantin est excellent.
Il pleut sans cesse, je marche un peu malgré cela, mais l’humidité dite ne me vaut rien du tout ici, elle est trop concentrée. Je ne me sens pas bien non plus. Les premiers jours m’ont convenu comme santé. Maintenant je reprends sans griefs contre mon estomac, mes jambes, et les poulets mal rôtis.
Votre lettre est meilleure N°9. D’abord, elle est plus longue, et puis vous me paraissez en bonne espérance. (J'oublie que vous y êtes toujours.) Je serai bien impatiente du Maroc. Je pense beaucoup au voyage. Ne pas le faire ce serait bien gros. Le faire sous les auspices actuels, sera fort critiqué en France. Revenir après avoir tout aplani à la bonne heure. Mais si vous n’aboutissez à rien ce sera un gros péché de plus devant les chambres. Quelle mauvaise invention que ce Tahiti ! Je suis comme quelques autres. Vous êtes allé chercher là un embarras permanent pour les beaux yeux de quelques avantages très médiocres.
Marion m'écrit de Dieppe en grande terreur. Son père ne veut plus s'engager dans un long bail par crainte d’une rupture entre les deux pays. De temps en temps je me dis que c'est absurde, et puis dans d’autres moments j’entre dans le raisonnement que se fait sans doute Peel. " Courte et bonne leçon " comme vous dites du Maroc. Pardonnez-moi la comparaison, mais tenez pour certain que la majorité des Anglais comme cela. Il leur est facile de vous faire beaucoup de mal. Et voici bien des années que les provocations de paroles au moins ont été bien fortes du côté de la France. Enfin, Dieu veuille que tout ceci finisse vite et bien, mais je suis très inquiète.
Ayez la bonté d'envoyer l’incluse le Duc de Wellington est impayable quand il attrape un mot. On dirait un serein qui répète ce qu'on lui a enseigné. [?], et encore et toujours. Le Times est mauvais. Il y a bien dans tout ce qui se dit et s’imprime à Londres un petit retour, mais il est faible. Adieu, je ne sais rien, je ne fais rien je me désole, voilà tout. Faites-moi la grâce de m’envoyer une lettre de recommandation pour que vos douanes me laissent passer sans embarras. Je ne sais encore sur quel point du Rhin je le repasserai. Le pauvre petit Hennequin ne doit pas se divertir par cette pluie. J'espère qu’il aura été au bal hier, car on danse ici. Adieu. Adieu. J’espère que votre rhume est passé. Dites le moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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12 Bade Lundi le 12 août 1844
7 heures du matin

Que je voudrais voir confirmée aujourd'hui la dernière dépêche télégraphique annonçant la paix ! Mais j’en doute, c’est un si étrange pays. J’attends toujours des perfidies et des mensonges. Votre lettre est bonne en général. Je suis toute contente de ce que vous me dites sur Tahiti. Ne bougez pas de votre résolution actuelle. Vous ne pouvez pas faire autrement, et soyez sûr que vous vous en trouverez mieux, même dans vos relations avec les Anglais, ils ont si évidemment tort. Réparation, réparation, quelle prétention ! Pourquoi réparation ? Vous ferez plaisir aussi à toute l’Europe en leur résistant. Il y a trop d'insolence dans leur fait. Enfin je suis parfaitement contente de votre attitude, et je vous conjure d’y persévérer.
J’ai vu hier tous vos diplomates. Fontenay est venu passer un jour ici. D’Espagne Fontenay dit que vous êtes un grand vénérable en Allemagne. Le Roi de Wurtemberg est en Suisse. Le Prince Emile a la fièvre scarlatine à Wisbade. Je ne verrai ni l'un, ni l'autre. J'en suis fâchée. Je n'aurai rien vu à Bade pas même le soleil. La journée hier a été excellente. La meilleure que j'ai vue. Les médecins n’en font pas grand état. Ce que cela prouve cependant évidement c’est qu'il y a milieu une grande force vitale. Il était gai, causant, faisant mille plains pour l’avenir, et toujours toujours les affaires. Aujourd’hui on me fait dire qu'il est moins bien. J’ai dit hier que je comptais partir. Mardi le 20, qu’il le fallait pour les bains de Dieppe. Constantin sera certainement triste de se séparer de moi. Nous nous sommes fort attachés l’un à l’autre. C'est une si bonne nature que la sienne et d'un dévouement pour moi, d’une discrétion. Madame Karchkein a vu sur le Rhin toutes sortes de princes & princesses. Entre autres le prince de Prusse qui va cependant en Angleterre. Il y sera dans dix jours. J'ai été hier à l’église. J’ai marché à deux reprises. Pas de calèche car il a plu tout le jour. Il fait vraiment froid ici, les nuages couvrent les montagnes. Bacourt est fort souffrant. Il se traine. Il vient chez moi de 4 à 5. Ma seule réponse. Il me conseille bien de partir au premier jour de mieux car je ne le pourrai plus si cela allait plus mal. Il me tient bien au courant en s'abouchant avec le médecin du lieu, homme assez habile. Toute la question est de savoir si on pourra le tirer de Bade et quand ? L’opinion de tous est que ce soit. Le plutôt possible, si c'est possible Gaillard le médecin de Bade, dit qu'il me dira cela jeudi. Hier mon frère a reçu un gros courrier de Pétersbourg et écrit tous les matins pendant un ou deux heures, & de la main la plus ferme. C'est une chancellerie toute montée ici. La grande duchesse est toujours dans le même état. L'Empereur extrêmement changé. Adieu. Adieu.
Vos lettres sont ma seule joie, ma grande joie. Aussi comme je les attends et comme je m'inquiète d’un retard de 10 minutes ! Cela m’est arrivé hier. Alors je perds la tête. Adieu. Adieu. Soignez-vous. Aimez-moi. Adieu Je doute du mariage Cambridge, car tous les jours mon frère et moi nous nous disons " où trouver un mari. " Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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12 Auteuil Lundi 12 août 1844,
Midi

Les petites lettres sont finies. Depuis jeudi, je vous en ai écrit de longues. Mais qu'est-ce que des lettres ? Voilà le Maroc fini, bien fini. On fait ce que nous voulons et l'Angleterre y a pris assez de part pour n’être pas blessée de sa nullité. Il faut veiller maintenant à l'exécution, qui aura bien ses embarras et me causera bien des impatiences. Mais je ne vois pas comment elle amènerait de nouvelles complications. Je vois, par ce que m’écrit Jarnac, que l’incident de Tunis a impatienté Lord Aberdeen. Cela leur déplaît de voir la France faire ainsi ; sur toute la côte septentrionale d'Afrique, acte d'autorité. Ils s’y accoutumeront. Je veux qu'ils comptent beaucoup sur mon bon sens et ma loyauté, mais qu'ils sachent bien aussi que dans ces limites, je fais rondement les affaires de mon pays. Le langage de Lord Palmerston sur mon compte m'a plu. Palmerston et Shiel comme Peel et Aberdeen, avec vous, je n'ai point de modestie. Je ne crains pas Tahiti comme évènement La guerre ne viendra pas de là. Mais il peut en venir bien des embarras de situation et de discussion. Vous avez toute raison ; il faut beaucoup penser à l’hiver prochain et à l'adresse. Ils y pensent aussi à Londres, pour leur propre compte et par les mêmes motifs. Le problème, c'est de concilier ces deux exigences. Sans doute, c’est une bonne fortune d'avoir là Jarnac. Je le sens tous les jours. Je vous répète que je crois avoir pris une bonne position et que je m'y tiendrai. Mais précisément parce qu'elle m'est bonne ici, elle leur est incommode à Londres. J'en prendrais plus aisément mon parti si je n’avais rien à leur demander. Mais le droit de visite ! Je ne puis oublier cette question là, qui viendra aussi dans l'adresse.
Vraiment, j'ai assez d'affaires. J‘ai pourtant le sentiment du repos ; hier et avant-hier, je ne suis pas allé à Paris. Je passe ma matinée dans mon Cabinet. Pas de chambres, pas de visites. Je peux lire et écrire. Toujours pas de petit duc de Penthièvre. Le Chancelier, Decazes, M. Barthe et l’amiral Rosamel (les deux témoins) grillent d’impatience. Rosamel avait pris sa dignité au tragique. Quand il a reçu sa lettre close de témoin, il s'est mis en uniforme et s'est enfermé chez lui attendant qu’on vint le chercher. Decazes a eu quelque peine à lui persuader qu’il pouvait en prendre un peu plus à l'aise, se remettre en frac et se promener dans Paris.
Montebello a failli mourir d’une angine ulcéreuse. Il est hors de danger. J’ai eu hier M. Villemain, à dîner avec ses trois petites filles. Il était charmé. De bonnes âmes s'appliquent à lui faire croire que je veux me défaire de lui et prendre M. Rossi à sa place. Il m’a quitté fort rassuré et content. Point d'inquiétude point d'ébranlement dans les personnes. Aucun changement que par une nécessité évidente, involontaire. Cela m'a réussi. Je continuerai. Adieu.
Je vais à Paris à 2 heures. Je vous dirai là un autre adieu. J’évite de passer dans la rue St Florentin. Il a fallu aller l'autre jour au Ministère de la Marine, par cette porte-là. J’en ai eu un vif déplaisir. M. de Nesselrode est à Londres. Les plus clairvoyants persistent à n'y voir qu'une tournée d’observation ordonnée avec affectation et exécutée sans plaisir. Lord Aberdeen comprend très bien qu’il n’y a plus d’entente ou de bon accord avec nous s'il y a un jeu caché ou séparé avec les autres, et on renarde comme certain que tout en acceptant les politesses qu'on lui fait, il ne se laissera entraîner à rien dont nous ayons à nous préoccuper.

Paris 4 heures
Rothschild me quitte. Il part ce soir pour Francfort. Je partirais volontiers avec lui, pas pour Francfort, ses lettres de Londres l'inquiètent. On est bien monté sur Tahiti. Gabriel Delessert m'en disait tout à l'heure autant. On n’est pas moins monté ici. Les plus sensés. Cependant, j’ai le sentiment qu’à tout prendre le flot baisse un peu. Je l’observe et l'attends. Adieu. Adieu. Etienne sort d’ici. Il m’apportait une sommation des contributions pour vous. Il n’avait pas assez d'argent pour payer. Je lui ai donné 150 fr. Adieu donc. G.
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