Votre recherche dans le corpus : 290 résultats dans 4927 notices du site.Collection : 1848-1849 : L'exil en Angleterre (La correspondance croisée entre François Guizot et Dorothée de Lieven : 1836-1856)
Brighton, Jeudi 1er février 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je vous renvoie toutes vos lettres. Mon premier mouvement a été de la colère, en y pensant un peu je ne suis pas si mécontente. L’argument qui me touche le plus est qu'hier dans le plus mauvais moment vous avez envoyé son livre. Après tout c'est de l'académie d’ailleurs, c'est fait, vous voyez que je vous imite. Voici un article du Globe d’hier 31. Vous savez que c’est L. P. qui l'écrit. Je vous renvoie tout ceci de bonne heure dans l'espoir que vous le recevrez encore ce soir. Je vous écrirai encore plus tard s'il y a de quoi. Mes yeux un peu mieux. Adieu. Adieu. J’ai lu moi-même Génie.
Brompton, Jeudi 1er février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Mots-clés : Politique (Angleterre), Politique (France), Politique internationale
Brighton, Vendredi 2 février 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le discours ne ressemble guère à ce que vous pensiez. P. va droit à l’assaut, la Sicile il s’en glorifie. La bonne entente avec la France seulement, la seule puissance nommée les autres, pas. même la phrase. d'usage " Je reçois des assurances des dispositions amicales & & " C’est qu’en effet il ne les reçoit pas. Et le parlement avalera. tout cela ! Rien de tel que de l’audace. Je suis cependant frappée de la tentative d’amendement. Et Brougham ! & Wellington ! Enfin, cela m’est égal. Voici deux très curieuses lettres de Ellice. Je crois qu'il voit très bien. C’est assez mauvais. Je voudrais bien causer de tout cela avec vous. Je suis curieuse de Metternich aujourd’hui sur le parlement d’hier. J’ai été très malade cette nuit des étouffements , c’est passé. Je me réjouis de jeudi, j’ai bien du temps pour m'en réjouir.
8h. Je n'ai rien de plus à dire. Je n’ai pas vu le mari, et la femme ne savait pas dire grand chose. J'attends ce que vous allez m’apprendre. Faites passer les incluses de ma part à Ld Aberdeen. Adieu. Adieu.
Brompton, Vendredi 2 février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Je n'ai pas encore vu le discours de la Reine. Les gens chez qui j’ai dîné hier juges, lawyers, en étaient contents. Mais ils n’entendent rien aux phrases de politique étrangère. J’attends le Times. Je suis devenu singulièrement peu impatient pour tout ce qui ne m'est pas de premier intérêt. Je ne trouve pas que la passion s'affaiblisse avec l’âge, mais elle se retire sur un très petit nombre d'objets et s'y concentre. Ce matin m'ennuie. Lord Holland m'a demandé d’aller à Holland House donner une ou deux heures de séance à son peintre M. Watts pour qu’il retouche et termine le portrait de moi qui est à Holland house. Dans mes bonnes intentions pour le ménage, je n’ai pas voulu refuser. Le temps est très vilain. Pluie et brouillard. Il me semble que, pour vos yeux, cela doit valoir mieux que le froid. Voilà votre lettre et mes lettres. Vous avez pensé et senti comme moi. En dernier résultat, ce qu’on a fait vaut peut-être mieux. Mais j’écrirai de manière à ce qu’on ne recommence pas, en pareille circonstance. Je ne veux pas que dans mes rapports avec les personnes, mes meilleurs amis disposent de moi sans moi. Au fond, ceci me déplait. Quel dommage qu’il n’y ait personne, dans la Chambre des Communes, pour traiter cette polémique du Globe comme elle le mérite ! Lord Palmerston ne dira pas un mot de tout cela à la chambre. Mais il faudrait l’y porter, malgré lui. Il faudrait l'attaquer précisément au nom de ce patriotisme anglais et de cette politique libérale, derrière lesquels il essaie de se cacher. Sa tactique est celle qu'elle a employée contre moi : décrier ses adversaires, au dehors, par des mensonges et des calomnies dont on ne répond pas parce qu'on ne les signe pas, et amortir ainsi d'avance les coups qu'on recevra d’eux dans les chambres, et dont on n'a pas moyen de se bien défendre. Il serait bien aisé de retourner cette tactique contre lui, en la mettant au grand jour. Je n’ai rien de Paris. Le rejet de la proposition de M. Billault achève de déjouer, pour quelques jours, l'intrigue Girardin. Car c’est Girardin qui mène tout cela, et qui se promettait d'arriver au Ministère des finances, avec Lamartine aux Affaires étrangères et Billault à l’intérieur. Il recommencera. Pourtant je penche à croire qu'on arrivera sans secousse à la dissolution de l’Assemblée en mars, et aux élections en avril. Nous verrons le débat de samedi. Adieu. Adieu. Je fermerai ma lettre en revenant de Holland House. 3 heures Je reviens. Personne ne s'attendait au vote du la Chambre des Lords. Lord Holland en était un peu stupéfait et regardait cela comme un grave échec. Deux voix seulement, malgré l'effort du duc de Wellington ! Je n'ai rien lu encore. Je vais tout lire. Et comme je dine chez Lord Lansdowne, je vous dirai demain les figures. Lord Holland part mardi ou mercredi. Il a eu une lettre de sa femme, de Boulogne, et m'en a donné des nouvelles avec une intuition marquée. Ils resteront trois ou quatre mois à Paris. Lady Lilford était à Holland house. Ils m'ont tenu compagnie pendant la séance. Adieu. Adieu. Je voudrais voir Lord Aberdeen. J’irai peut-être demain. Adieu. Adieu. G.
Brighton, Samedi 3 février 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Samedi onze heures
J'écris de bonne heure afin que ma lettre vous soit remise ce soir. N'oubliez pas que lundi vous pourriez m'écrire de chez M. Croker, par dessus la lettre de Londres que vous écrirez avant daller à Claremont. Le Parlement a fini comme on pouvait le penser. Cependant je crois lord P. un peu endommagé par ces attaques. Lord Brougham m'écrit pour me dire que son discours a été très mal rendu. Du reste je n'ai rien. Et Behier qui devait arriver dimanche soir ! Voyez comme je suis rancunière. Très vilain caractère. Pour me guérir de cela, ne me dites jamais que les choses vraies, c.a.d. celles que vous croyez sincèrement vous-même Midi. Je suis bien aise des Holland à Paris, si j’y vais cela me conviendra. Croyez-vous qu’il y avait complot lundi dernier ? Adieu. Adieu. Je crois que Lord Allen viendra me voir aujourd’hui. Adieu.
Brompton, Samedi 3 février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Lord Palmerston a passé son défilé. Médiocre attaque, assez bonne défense. Je n’ai pas encore lu son discours. Macaulay et Lord Mahon avec qui je viens de déjeuner chez M. Hallam, disent qu’il a bien parlé, et pas long, ce dont tout le monde lui a su gré. Il a ajourné les questions même à la production des papiers. Le leadership de M. d'Israeli a déplu à beaucoup de conservateurs. Sir Robert Inglis disait que, si on mettait l'amendement aux voix, il voterait contre. Les Conservateurs nient le leadership de M. d'Israeli ; ils disent qu'ils ont institué un triumvirat, M. d'Israeli, Lord Granby et M. Herrses. Mais en fait, le premier a paru et parlé comme leader. Entre nous deux choses manquent, l’esprit et le courage. On a quelquefois, l’air d'avoir de l’esprit à la surface ; et du courage, pas même l'air. Je ne m'étonne pas du succès. C’est à bon marche. Je n’ai pas eu envie d'aller ce matin chez Lord Aberdeen. Hier, chez Lord Lansdowne, pas un mot de politique. Dîner de pure conversation morale et littéraire, assez agréable. Toujours Macaulay pour [?]. Lady Skelburne change de plus en plus. Elle m'a fait peine à voir. Les lettres d'Ellice sont très intéressantes. Je vais les envoyer à Lord Aberdeen. Les renseignements français ne sont pas d'accord avec les siens. Ils disent que le président et son Cabinet ont gagné plus que ne l'indique leur petite majorité ; qu'ils ont le haut du pavé sur l'Assemblée, qu'entre les deux timidités, celle de l'Assemblée c.à.d. des républicains de l'Assemblée, est la plus timide ; que très probablement le Cabinet gagnera le temps jusqu'aux élections, et fera les élections ce qui est tout. La général Changarnier est si populaire qu'on regarderait comme impossible de le déplacer. Il aura dans huit jours, 100 000 hommes, dans ou autour de Paris. Ces 100 000 hommes feront ce qu’il voudra, le concert avec le Président et son Cabinet ; et la garde nationale qui a confiance en lui, et qui est très lasse de se battre lui laissera faire à lui et à ses 100 000 hommes, tout ce qu’il voudra. Voilà pour la situation générale. Quant aux situations particulières, Molé est pour le moment le conseiller favori. Thiers et Rémusat grognent. Les légitimistes. parlent trop haut. Les Orléanistes se bouchent les oreilles, pour ne pas les entendre. L'accord se maintiendra pour les élections. Après, c’est la nuit. Le Chancelier a eu une petite mésa venture, par suite d’une petite faiblesse. Il est allé à une réception d'Odilon Barrot. Qu’avait-il à faire là ? La première personne qu’il a rencontrée sur l’escalier, en montant, c'est le Président de la République qui descendait. La conversation a été courte mais convenable, et assez à l'avantage du Président qui lui a dit de bonne grâce, en le quittant : " Sans rancune, mon cher juge. " Je vous en prie, pas d’étouffement. Il me semble que, chaque fois que nous nous voyons, nous avons plus de choses à nous dire, et plus de plaisir à nous les dire. Gabriel Delassort repart ce soir pour Paris. Tenez pour certain que, curiosité à part, Ellice a autant aimé ne pas être ici à l'ouverture du Parlement. Adieu Adieu. Adieu. G.
Brighton, Dimanche 4 février 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
8h. Je vous envoie Lady Palmerston et une nouvelle lettre d’Ellice. Il doit être à Londres dans ce moment Metternich est évidemment trés mécontent de ce qui s’est passé au parlement. Je ne sais pas de nouvelles. Quelle attrape pour Bulwer que l'Amérique. Au fond P. à raison. Mais cette pauvre Georgine ! Quel mari et quel poste ! Adieu et adieu.
Brompton, Dimanche 4 février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je crois qu’il y avait complot lundi. C’est à dire un peu plus de complot qu’il n’y en a tous les jours. Le Gouvernement a eu raison de faire ce qu’il a fait. Il en a fait seulement plus qu’il ne fallait, et aujourd’hui on se sert du trop contre lui. La lutte est bien vive ; les deux partis sont bien irrités, bien de même taille et bien corps à corps. J’ai peine à croire que cette situation puisse durer deux mois jusqu'aux élections, cependant je vois qu’on l'espère assez à Paris. Si le Président tient bon avec les modérés, et si les élections se font sous cette influence, il se donne je ne sais quel temps de vie de plus mais certainement assez de temps. La prochaine assemblée aurait, en ce cas, la constitution à refaire. Peut-être la referait-on meilleure sous le manteau de la République que sous tout autre. Ce sera long et obscur. C'est ce que j’y vois de plus clair.
Jour sans nouvelles. J’irai à l'Athenaeum. Mais les journaux français n’y arrivent que tard. D'ailleurs nous n’y aurons que ceux d’hier matin. C'est ceux de ce matin qu’il nous faut. Je vous écrirai demain matin avant de partir pour Claremont. Et puis demain soir, de chez Croker où je n’arriverai pas avant 3 où 4 heures. Mais je ne sais pas à quelle heure la poste part de chez lui. J'écrirai toujours. Si nous étions ensemble Nous parlerions toujours. Ce serait mieux.
Voici ma réponse à votre nouvelle attaque à propos de Béhier. C'est une lettre de lui que Pauline a reçue. Jeudi, et où il explique pourquoi il n’est pas arrivé dimanche. J’ai eu un moment envie de me fâcher. Mais j’aurais eu tort, quoique vous ayez tort. Je n’ai pas toujours été exact. Vous restez méfiante trop longtemps. C’est tout simple. Molière était très jaloux de sa femme qui était très coquette. Et la querellait un jour. Il s’arrêta tout à coup en disant : " Au fait, je n’ai pas le droit de m'étonner qu'elle ne puisse pas s'empêcher d'être coquette, moi qui ne peux pas m'empêcher d'être jaloux. " Je ne pourrais pas m'empêcher d'être jaloux. Mais, je peux fort bien m'empêcher d'être inexact. Et vous faites bien d’insister, même quand vous vous trompez. Vous finirez par n’y plus revenir Adieu. Adieu Votre écriture est bien bonne ce matin. Adieu. G.
Brighton, Lundi 5 février 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voilà un peu de fièvre la gorge prise et les yeux repris. Je ne sais où j’ai pris tout cela. C'est bien ennuyeux. Vous avez un bien bon, caractère. Vous me pardonnez tout. (Je réponds à Béhier) Que va-t-il arriver à Paris ? le Ministère s'il veut continuer doit se livrer à une crise. Il faut chasser l’assemblée. Il n’y a pas deux jours de [?] entre eux et elle. Je suis curieuse de ce que vous me direz sur Claremont. Et la reine ? 8h du soir. Je ne suis pas plus brillante ce soir que je ne l’étais ce matin. Je n'ai vu que M de Metternich qui ne savait rien. Je crois à l'Empire tout de suite. Adieu. Adieu.
Brompton, Lundi 5 février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
West-Molesey, Lundi 5 février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures et demie
Le Roi nous a retenus très longtemps à Claremont. J’ai tout juste le temps de tenir ma parole. Rien de nouveau dans la conversation. Il ne savait rien. La Reine n’est point bien quoiqu'un peu moins faible. J’ai causé avec le médecin. On a aperçu un commencement, d'infiltration d'eau dans les entrailles. On lui met depuis hier des vésicatoires. M. de Mussy est très inquiet. Le Roi ne veut pas l'être et je crois vous avoir déjà dit qu'on ne veut pas qu’il le soit. Les Princes à Londres, sauf le duc et la duchesse de Nemours qui se promenaient dans le parc. Je n’ai vu le Roi seul que deux minutes, Croker était là tout le temps. Adieu. Adieu. Paris est bien chaud. Je dis plus que jamais que deux mois pareils sont impossibles. Ou un autre Cabinet, ou l'expulsion de l’Assemblée. Adieu. Adieu. G.
Mots-clés : Politique (France), Réseau social et politique
Brighton, Mardi 6 février 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Une nuit abominable. C'est un gros rhume, une grosse courbature, & je me sens extrêmement misérable aujourd’hui. Je ne resterai levée que quelques heures. Il faut que je tâche d'être présentable jeudi. Voici Hélène. Vous voyez comme elle est fanatique pour vous et comme elle regrette Paris ! Tout ce que vous mande M. Lenormant prouve que Paris est encore bien malade. 8h. du soir. Je vous remercie de votre petit mot de chez Croker. Cette pauvre reine ! La Princesse de Parme vient ici jeudi dîner, danser, et coucher chez le Duc de Devonshire. J'ai encore eu une lettre de Lady Palmerston disant qu'il faut chasser l'assemblée et que cela se fera. Mon rhume me rend si bête que je ne puis pas continuer même à dicter, d’ailleurs je n’ai rien à dire qu'adieu, et Adieu.
Mots-clés : Politique (France), Réseau social et politique, Santé (Dorothée)
West-Molesey, Mardi 6 février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je ne puis partir d’ici qu'à 4 heures. Je ne sais si j’arriverai à Brompton assez tôt pour le poste. Je ne veux pas qu'une lettre vous manque. Après-demain, à 2 heures nous serons ensemble. J’ai reçu hier au moment où je partais un billet de Lord Aberdeen qui me dit : « Have you any thought of going to Brighton in the course of some days ? I should be very glad, if possible, to meet you there, whenever it may be. " Je lui réponds pour l'engager à être à Brighton vendredi 9, entre 2 et 4 heures. Nous aurons ainsi notre journée préalable. Cela vous convient-il ? Bonne conversation ici. Et utile pour l'avenir. Car je persiste à croire à un avenir. Je trouverai, en arrivant ce soir à Londres, des nouvelles de la journée d’hier à Paris. Le Morning Chronicle m'a fait dire qu’il m’enverrait à midi et demie les nouvelles de la veille, toutes les fois qu’elles auraient quelque importance. Adieu. Adieu. Dans tous les cas, je vous écrirai demain matin de Brompton. Je trouverai votre lettre aujourd'hui en y arrivant. Il n’y avait pas moyen de me la faire envoyer ici. Adieu, Adieu. G.
Brighton, Mercredi 7 février 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai passé ma journée dans mon lit occupée à transpirer et à guérir. Ce qui m’a empêchée de vous écrire moi-même. Je désire bien que vous me trouviez en meilleure condition demain, mais je n'en réponds pas Comme je n’ai pu recevoir personne aujourd'hui je n'ai pas la moindre. nouvelle. La majorité à l'assemblée me déplait. J'aurais préféré une bonne crise. Je serai charmée de voir Lord Aberdeen vendredi. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Réseau social et politique, Santé (Dorothée)
Brompton, Mercredi 7 février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Il n’y a que vos yeux et votre gorge qui puissent me faire perdre patience. Je veux espérer que vous serez mieux demain. Quelques précautions que vous preniez en vous promenant sur la route de Londres, ce temps chaud, humide, et venteux doit vous enrhumer. J’ai trouvé en arrivant beaucoup de lettres. Toutes animées, et sombres. On ne cédera pas, et en espère peu. Les victoires ne servent à rien. Il est vrai que les défaites ne tuent pas. Déplorable état ! Quel poids il faudra pour faire rentrer dans l’ordre tous ces déchainements intraitables ! Je vous apporterai ces lettres. En voici une en attendant pour vos menus plaisirs. Malgré ses succès personnels, mon hôtesse est noire aussi. Je vous apporterai une lettre du vieux Maréchal Soult. Très amicale. Je ne saurais vous dire quel effet de fatigue me font toutes ces lettres ! Tant de mal causé par tant de non sense ! Si peu d'espoir dans tant de mouvement ! Que serait-ce si j'étais au milieu ? Je suis dégoûté avant d'avoir touché. Je suis las avant d'avoir fait un pas. J’ai cent raisons, très bonnes, pour ne pas croire mon pays perdu. Et je n’entrevois pas comment il se sauvera. Nul remède n’est bon si le malade ne veut pas le prendre et le garder, s’il n’y avait point de remède, il faudrait bien essayer de la résignation. Mais il y a des [?] et de la vie dans le malade. Je m'endors de lassitude en y pensant. Endormi, je me fatigue en y rêvant. Il faut attendre encore. Un peu de jour se lèvera peut-être. Je vais faire des visites ce matin. J'en fais très peu. Je suis d’une impolitesse brutale. Je n’ai pas de voiture. Pourtant il y en a quelques unes que je ne puis supprimer. Lady Peel est venue hier chercher mes filles. Lady Monteagle, Mad. Van de Weyer &. Lady Alice est venue aussi hier. Montebello vient déjeuner avec moi ce matin. Il n’est pas du tout pressé de partir. Voilà votre lettre et les journaux. Si vous êtes mieux demain, tant mieux. Si vous n'êtes pas mieux, je n’en serai que plus content d'être avec vous. Les journaux de ce matin me conviennent assez. Les bons ont l’air de croire que la victoire de lundi vaut quelque chose, et que la Montagne ne parviendra pas à prendre le pouvoir avant les élections.
Adieu. Adieu. Je trouve la lettre d’Hélène charmante, et je suis vraiment touché de la vivacité de son langage sur moi. Vous l'en remercierez un peu vivement n’est-ce pas ? Adieu. Adieu, à demain. G.
Brompton, Samedi 10 février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
3 heures
Je ne trouve rien en arrivant que des journaux insignifiants et des invitations à dîner que je vais refuser. On me dit qu’il y a des gens qui disent que l'Assemblée constituante fera durer très longtemps la discussion de la loi électorale, et vivra encore ainsi quatre ou cinq mois. Je ne le crois pas. Je crois que si elle l'essayait, elle attirerait sur elle-même quelque violence. Elle me paraît résignée. Ce sera encore bien assez long. J’ai achevé Macaulay en route, et pensé à vous. Puis à Paris. Je suis presque aussi triste de l'avenir que du présent. Je cherche ce que je puis faire pour aider mon pays à se relever. Je suis bien plus préoccupé de son abaissement que de son malheur. Adieu. Adieu. Je ne veux que vous dire que je n’ai pas été écrasé par le railway. C’est bien ennuyeux de n'avoir rien de vous demain. J'en sais plus long que Raphaël. Adieu. Adieu. Adieu. G.
Mots-clés : Discours du for intérieur, Politique (France), Posture politique
Brighton, Dimanche 11 février 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai été bien désappointée de ne pas recevoir un mot de vous ce matin. Pourquoi ne m'avez vous pas écrit ? Une lettre remise même tard me parvenait. Il n’en est pas de même ici. Il n’y a pas de poste partant le Samedi après 2 heures. Ma journée s’est passée solitaire. Pas même Mad. de Metternich qui dinait de bonne heure pour aller au spectacle français le Domino noir ! J’ai revu Aberdeen après sa visite chez Metternich. Redoublement d’espoir, comptant beaucoup sur la reine. J’ai vu Freddy Leveson. Il m’a parlé d’audace et d'esprit. Ellice en avait parlé aussi à Marion. Elle a donc montré ma lettre. Cela a fait une sorte d'évènement. J’ai dit que j’avais bien entendu ne pas dire une impertinence, je ne l'aurais pas adressée à la femme. J’ai soutenu la différence entre les deux langues au besoin vous le direz aussi. Et après tout je ne regrette pas l’expression, et je parie que lui n'en est pas blessé.
8h. du soir. Naturellement rien de nouveau. On parle beaucoup de la brillante réception chez le Président jeudi dernier, tout le faubourg St Germain, force diamants, l'ameublement du temps de l'Empire, et le Président les mains sur le dos. Les homards de la fête à Molé. Rothschild a été chez Cavaignac, qui l'a assuré qu'il donnerait son appui au gouvernement dans toutes les mesures de finance. Billault est du parti Cavaignac. Adieu. Adieu.
Brompton, Dimanche 11 février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Dimanche est décidément un bien mauvais jour. Surtout quand je vous ai quittée le Samedi. Je n'ai vu personne, que des gens qui ne disent rien, et à qui on ne dit rien. J’irai ce matin à l'Athenoeum, et j'y trouverai Duchâtel. Mais nous n'aurons évidemment pas de nouvelles d’ici à quelque temps. Nous en attendons plus rien que la fin régulière de l'Assemblée dans deux ou trois mois. Deux ou trois mois sans rien, c’est difficile. Milner m'a envoyé hier un pamphlet qu’il vient de publier : the event of 1848, a letter to the marquess of Lansdowne. Lord Lansdowne a le vol des pamphlets. Celui-ci, est au fond Palmerstonien. C’est la politique de l’Europe, dans ses rapports avec l'Angleterre, Italien et anti Russe. Un billet très amical, auquel j'ai répondu par un billet assez franc. Je passerai aujourd’hui et demain à écrire des lettres.
Cornélis de Witt part demain soir pour Paris. Je veux vider tout ce que j'ai à dire à propos de la dernière lettre dont je vous ai laissé un feuillet que j'espère recevoir demain. Plus je pense à ce travail contre moi, plus je trouve cela misérable et au dessous de la situation. C’est décidément le plus grand mal de mon pays que la situation surpasse infiniment les hommes. Ils n'ont ni l’esprit, ni le cœur assez grand pour ce qu’il y a à faire. Les petites passions ne disparaissent jamais, mais elles tiennent bien moins de place dans un horizon plus haut. Adieu, Adieu, si vous étiez à Londres, ou moi à Brighton, nous causerions sans fin. Mais de loin aujourd’hui, je n'ai rien à vous dire. Je m'irrite d'attendre jusqu’à demain pour savoir comment va votre rhume. Il fait bien beau ce matin. Adieu. Adieu. G.
Mots-clés : Politique (Angleterre), Politique (Europe), Posture politique
Brighton, Lundi 12 février 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
4 heures
C'est bien long. Voici deux jours & demi passés sans un mot de vous. J’attends la poste avec impatience Je suis toujours faible. On m’a fait prendre l’air Il fait l’été. Je n'en jouis pas. Je n’ai encore vu personne aujourd’hui et les journaux du matin. sont pauvres. Voici vos deux lettres. Je pensais bien que la poste était mon ennemi. Voici tous les journaux français. Rien. 8 h. du soir. Metternich m'a interrompue et il est resté jusqu'à l’heure de mon diner. Très spirituel, très sensé, inventif. Il vous aurait beaucoup plu et il n'était pas trop long. Je me suis reprise ce soir de mon rhume. Mes yeux. Enfin je suis en pauvre état. Adieu. Adieu.
Brompton, Lundi 12 février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je vous ai écrit samedi. Ma lettre a été portée avant 4 heures Vous l'aurez eu lundi. Deux à la fois. C’est quelque bêtise de la poste de Brompton, concourant, avec l'ennui du dimanche. Vous ne me dites rien de votre rhume. J'en conclus qu’il s'en va. Rien hier à l'Athenoeum. Les journaux français n'étaient pas arrivés. Duchâtel n'est pas venu. Je suppose qu’il fait quelque visite de campagne. J’y passerai demain. Je suis accablé de journaux ce matin. Tranquilles et vides, comme Paris. C’est un des plus grands maux des secousses qu’on ne sait plus s'en passer. Je ne trouve que ce petit article de l'Assemblée nationale qui vous plaira un peu, et aussi à Lord Aberdeen. Vous avez raison de soutenir votre distinction des deux langues sur audace. J’en ferai autant, si on m'en parle. Très mauvaises nouvelles d'Italie ce matin, de Rome et de Florence. Progrès de l’anarchie, et apathie de la réaction. Les révolutionnaires plus sots et les modérés plus poltrons que jamais. Le remède ne viendra pas du dedans. Naples se suffira. Mazzini finira par enlever Gènes comme Livourne, Rome et Florence. Bientôt la banqueroute et le papier monnaie partout, à la suite de Mazzini. Il en parle tout haut et ses amis s’y préparent. On n'entend plus parler des Espagnols devant Gaëte. Cavaignac peut avoir dit à Rothschild ce qu’il a voulu. Vous verrez et que feront ses amis, Billault entre autres, dans la discussion du budget. Ils désorganiseront tout pour se rendre populaire et rendre le gouvernement impuissant. Je viens de voir un bon bourgeois qui arrive de Paris et qui dit qu’on s'y croit sauvé aujourd’hui, mais que demain on s’y croira perdu. Vrais enfants. C’est triste. Voici un ennui qui n’est pas politique, mais qui n'en vaut pas mieux. J'ai depuis dix ou douze jours deux invitations à dîner pour cette semaine, l’une jeudi chez les Collman, l'autre vendredi chez M. Hallam. Précisément quand vous arrivez. J'en ai refusé deux pour mercredi et un pour samedi. Je me puis manquer à ceux que j’ai acceptés. Je trouverai moyen de m'échapper à 9 heures. Mais cela me déplait beaucoup. Adieu. Adieu. Je viens d'écrire de longues lettres au duc de Broglie, à Piscarory; à Génie. Le jeune de Witt part ce soir. Adieu. Adieu. G.
Brighton, Mardi 13 février 1849, Marion Ellice à François Guizot
8 h. La princesse est si fatiguée par la toux qu'elle me charge de vous écrire ce soir. Elle a un peu plus de rhume aujourd’hui Verity est venu ce matin et a été tout surpris de la trouver souffrante. Il lui a défendu de sortir et de jouir de ce beau jour de printemps. Les yeux ne vont pas plus mal, mais ils se ressentent du rhume. Enfin c'est un désagrément, un ennui et une grande fatigue, car la toux est incessante. La journée s'est passée tant bien que mal. M. de Flahaut est venu la voir et elle l’a trouvé très sensé. Elle a été charmée d'un article du Times ce matin. Tout-à-fait excellent. Puisque vous lui mandez que vous êtes pris jeudi et vendredi, cela l'ébranle dans son projet d’aller à Londres après-demain. Elle se décidera demain matin. Elle se couche dans ce moment. Je suis bien désolée de vous annoncer tant de mauvaises nouvelles, et je vous prie de mesurer mes regrets à mon dévouement sincère dont je vous renouvelle l'ordonnance. M. Ellice
Mots-clés : Presse, Réseau social et politique, Santé (Dorothée)
Brompton, Mardi 13 février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Tout ce qui m’arrive directement ou indirectement, me confirme la longue lettre que je vous ai montrée il y a trois jours, et ce que nous nous sommes dit, tant sur la situation générale que sur ce qui m’est personnel. Evidemment le Président gagne, non seulement parce qu’il se conduit bien, mais parce que les partis qui veulent autre chose que lui s’aperçoivent qu'ils ne peuvent. rien, quant à présent du moins et se résignent à lui plutôt que de se rapprocher entre eux pour se passer de lui. Les légitimistes surtout lui témoignent faveur. Il lui savent gré d’avoir soutenu, non seulement son Cabinet, mais spécialement M. de Falloux dans son cabinet. Il l’a soutenu, non seulement contre les attaques du dehors, mais contre les dissentions et les attaques intérieures du cabinet même. Passy voulait qu'on renvoyât MM. de Falloux, et Léon Faucher, et qu’on prit à leur place Dufaure et Gustave de Beaumont. Je le reconnais bien là ; jeter tout de suite par dessus le bord ceux contre qui on crie, pour les remplacer par les voix les moins aigres parmi ceux qui crient. Le Président n'a voulu entendre, ni à la chute, ni au démembrement de son cabinet. Les partis ajournent entre ses mains, leurs espérances et leurs querelles. Aspire-t-il à l'Empire ? A-t-il aussi ses prétentions d'avenir qu’il ajourne aussi, ne pouvant mieux faire ? C’est la question obscure, même pour ceux qui l'approchent. Il est honnête et sournois. Il ne trahit ni ses ministres, ni ses projets. Les plus habiles croient qu’il a une ambition sans bruit, comme son entêtement. On parle plus d'Empire loin de lui, qu'autour de lui. De tous les meneurs Thiers est évidemment celui qui pense le plus mal du Président. Le plus mal, c’est-à-dire le plus légèrement, qui en tient le moins de compte, et croit le moins à son avenir de président ou d'Empereur. Thiers et les Régentistes font de plus en plus bande à part, mécontents de tout le monde et mécontentant tout le monde. Plus de couverts. et plus pressés que les autres ; par étourderie naturelle, par humeur de leur désappointement en Février dernier, et envie de le réparer parce qu'à tort ou à raison, ils se croient les plus forts. Mais comme ils ont tous les autres contre ceux, Légitimistes, Impérialistes, Républicains, ils agissent au fond, tout aussi peu, et montrent plus leurs desseins qu'ils ne les avancent. L’ajournement de toutes les espérances, de toutes les prétentions, plus ou moins cachées, mais toutes impuissantes, c’est là le fait caractéristique de la situation. Soyez sure que, pour tout le monde, il n’y a qu'ajournement, personne ne renonce à ce qu'il veut et n'accepte ce qui est comme une solution. Pour ce qui me touche, curieuse comédie, très mêlée et obscure en apparence, très claire au fond et en tout cas très active. De M. Thiers à ceux de mes amis qui le voient, mêmes protestations qu’il désire mon élection, qu'il l’appuiera, qu’il veut s’entendre avec moi sur toutes choses. De la part de ses amis et de ses alliés, travail très acharné, direct et détourné, contre mon élection. Voici les deux moyens les plus neufs. On dit aux conservateurs, un peu tièdes, ou un peu badauds " Pourquoi faire arriver M. Guizot, dès le début de l’assemblée prochaine ? M. Thiers va si bien ! Il s’engage si vivement dans la cause de l'ordre, avec les amis de l’ordre ! S’il se trouve tout de suite en face de M. Guizot, l'ancienne rivalité pour recommencer ; M. Thiers peut reculer vers les idées et les hommes de la révolution. M. Guizot viendra un peu plus tard. " On ne se contente pas de Paris ; on veut agir par Claremont ; on emploie le Roi pour m’engager à l’attente, à l'ajournement, à l'abdication. C'est de bien loin, bien timidement , mais la tentative a paru dans quelques paroles du Roi à Duchâtel qui y est allé, il y a trois jours. Le général Dumas qui arrive de Paris a apporté cette consigne. Il est venu me voir. Je n’y étais pas. Il reviendra. Mon langage est très simple et très net. Je ne demande rien à personne. Je reste ici, et j’y attends les élections. Mais si mon pays m’appelle, il me trouvera prêt. Je le dis d'avance, et je ne me laisserai éconduire par personne. Toutes les jalousies sont ridicules aujourd’hui. Toutes les coteries seront impuissantes. Je n'en formerai aucune pour moi ; mais je n'en accepterai aucune contre moi. J’ai écrit hier en ce sens au duc de Broglie une lettre que je vous montrerai. Et une aussi à Piscatory, plus propre à éventer les pièges et à les déjouer. Duchâtel a les mêmes renseignements. On l'englobe, nécessairement, dans le même travail ennemi. Il prend le même parti que moi. Il reste ici jusqu'après les élections, malgré l'ennui de chercher une nouvelle maison. Il n'a la sienne que jusqu'au 1er mars. Voici une petite lettre de Barante. Il m'a envoyé sa brochure avec un exemplaire pour vous que je vous apporterai jeudi. A quelle heure arriverez-vous ? Je ne puis dire combien ces deux dîners me déplaisent. J’aimerais presque mieux que nous ne vinssiez que samedi. Dialogue entre Thiers et sa femme. Elle parlait mal du Président, de sa cour, des personnes qui y vont, de l'air et des prétentions de la maison. Ma chère amie, pas de ces propos ; tout cela ne vaut rien ; il faut être plus respectueux. - Ah, par exemple si vous croyez que je me gênerai pour le président, vous n'y pensez pas. Vous ne vous gênez pas pour mieux que lui. Souvenez-vous que vous alliez chez le duc de Nemours, en cravate noire et en bottes. Je ne m'en souviens que trop. J’avais tort, grand tort. Ah, si ce bon temps là pouvait revenir, je n'irais plus jamais aux Tuileries, qu’en cravate blanche, peut-être même, en culotte courte. Pour ceci pourtant, je ne m’engage pas. " Le Maréchal Sébastiani est à peu près en enfance. Très courtisan du Président, chez qui il va à tort et à travers. Même au bal. On en est choqué. D’Haubersaert lui disait l'autre jour, la veille du bal : " M. le Maréchal ne pourriez- vous pas avoir demain, pour ne pas aller au bal, le rhume que vous auriez du prendre sur la place Louis XV, le jour où vous avez assisté à la lecture de la Constitution ? " Voilà un volume. Ce serait bien plus long si vous étiez là. Une heure Je crains que ce ne soit ce froid, qui ravive votre rhume. Vous avez la manie de vous promener par le froid. Adieu, Adieu. Je regrette votre séance avec M. de Metternich. Je disais un jour à M. de Talleyrand : " Le premier plaisir de ce monde, c’est la conversation. " Il me dit : " Non, c'est l’action. Nous ne disions vrai ni l'un ni l'autre. Il y a un autre plaisir qui vaut mieux que ces deux là. Adieu. Adieu. Adieu. G.
Brighton, Mercredi 14 février 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Midi.
J'ai été bien triste hier, car vous l'aurez été ce matin en recevant la lettre de Marion. Une rechute avec redoublement des accès terribles, pas moyen de tracer un mot. Le médecin ce matin décide que je reste encore ici deux jours. Je ne partirai que Samedi. Votre lettre hier est bien longue et intéressante. Quoiqu'on fasse contre vous, vous n'y perdez pas. Je m’étonne de la sottise. Votre tranquillité fait un excellent contraste. Laissez user tous ces gens-là et tous ces évènements. Je crois tout-à-fait à l’Empire. Je n’y vois pas de mal, pourvu que cela ressemble à du despotisme. Hier le Times au jourd’hui le Chronicle sont des articles excellents sur Palmerston. Bulwer dit qu’il ira en Amérique pour [?]. C’est trop tôt montrer la comédie. Je n’ai pas de lettres.
8h. L'enveloppe était faite, et je n’ai pas pu reprendre ma lettre. Marion continue ce soir. Elle prétend que je vois mieux qu’hier à cette heure-ci. Moi, je n’en suis pas sûre. Adieu. Adieu.
Brompton, Mercredi 14 février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’étais sûr que vos promenades par ce froid ne vous valaient rien. Il n’y a qu’une manière de se débarrasser d'un rhume, c’est de rester dans la même atmosphère, et dans une atmosphère douce. J'espère avoir de meilleures nouvelles demain. J'en veux bien à votre toux de vous avoir empêchée de m’écrire vous-même. Je doute que ce soit à votre toux que je doive m'en prendre. Mais je n’y veux pas regarder de plus près. Guérissez-vous de la toux ; elle vous fait mal et vous conseille mal. Au fait ne soyez pas souffrante ; il n’y a que cela qui me préoccupe. Je répète que j’aime mieux que vous ne veniez pas demain. Il vaut mieux ne pas voyager par ce froid. J’ai vu hier le général Dumas. Rien de plus que ce que je vous ai mandé hier, mais bien ce que je vous ai mandé. Très timidement, très indirectement. J’ai très nettement, été toute espérance que je laissasse faire, de moi, un bouc émissaire. Voilà la phrase dans laquelle se résume ma lettre au duc de Broglie : " Je ne demande rien à personne. Rien à mes anciens amis. Rien à plus forte raison, à mes anciens adversaires. Je ne recherche point la réparation qui m’est due. Mais lorsqu'elle vient spontanément à moi, j'ai droit d'attendre qu'on ne se mette pas en travers pour l'empêcher de m’arriver. Et je ne le souffrirai pas. " Ma conversation avec Dumas a été le commentaire de cette phrase. La Reine est dans le même état. Abattu, ne voulant, ni manger, ni marcher, quoique ses médecins l'exigent. Le duc d’Aumale vient de louer, un pied à terre à Londres, entre Charing-cross et la rivière. Il y passe ses journées à arranger une petite bibliothèque. Les nouvelles du général Changarnier excellentes. L'espoir est là. Je viens de voir Montebello. Il part demain pour aller passer quinze jours à Paris, voir sa mère, et aviser un peu à ses affaires électorales dans le dép. du Gers en celui de la Marne. Il y tient et il a quitté la France depuis si longtemps qu'on l'y connaît peu. Il a besoin d’exhorter ses amis. Je l'ai mis bien au courant de la situation. Il est absolument de mon avis. Son attitude et son langage seront très bons. Il regrette fort de n'avoir pas le temps d'aller vous voir. Barante est spirituel, sensé, ingénieux et judicieux, un peu terne, et pas très frappant. ni pour les hommes de beaucoup d’esprit ni pour le gros du public. De plus, un peu confus et incohérent ; les idées se suivent plus qu'elles ne se tiennent. Adieu. Adieu. Il me semble que je vous entends tousser. Cela me poursuit. Adieu. Je remercie la bonne Marion. Adieu. G.
Brighton, Jeudi 15 février 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
3 heures
Ah qu'il y a une mauvaise parole, une mauvaise et injuste pensée dans votre lettre d’hier. En deux mot de conversation je vous ferais honte, je n'ai pas assez de mes yeux pour vous écrire cela. J'approuve complétement ce que vous avez écrit au duc de Broglie. Voilà les amis français ! Je n'ose pas dire que je suis mieux aujourd’hui, ce serait probablement un mensonge se soir. Quoiqu’il en soit à moins de catastrophe j'ai bien le projet d'aller à Londres samedi. Ecrivez moi encore demain. Je suis très contente du Président. Sa visite à la bourse me plait. Il a de bonnes inspirations. Metternich est en pleine sécurité sur Bruxelles. Cette médiation n’ira pas. Je crois qu’on le tient. fort au courant.
8h. du soir. Metternich dit que la fuite du duc de Modène est en Humberg. Les Autrichiens occupent Modène. Il est très noir sur l'Allemagne. Evidemment Vienne et Berlin ne s'entendent pas. Schwarzenberg le dit dans sa proclamation. Cela finira par une guerre civile. C’est l'impression de M. de Metternich. Mme de Rothschild arrive ici demain. Elle sera très intéressante à entendre. Si elle ne vient que tard demain soir. Je ne la verrai pas, ce que je regretterai. Adieu. Adieu
Brompton, Jeudi 15 février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’aime bien votre écriture. Et ce temps doux qui doit vous être bon même ne sortant pas. Soyez sure que ce sont vos promenades par le froid, qui vous ont donné ce redoublement. Que je serai content samedi, car j'y compte et sans rhume. Voulez-vous que je vienne dîner samedi, avec vous ? Ne manquez pas de me dire à quelle heure, vous arriverez. J’attends le vote définitif sur la proposition Lanjuinais. Mais je ne crois au succès d’aucun des amendements tentés pour ajourner les élections. J’ai eu hier une nouvelle lettre de Génie contenant de nouveaux détails sur ce qui me touche. Toujours la même chose. Et Molé se faisant valoir à Dumon de sa bonne conduite, déplorant les passions du centre gauche : " La révolution de Février ne leur a rien appris ; ils sont toujours personnels, jaloux, envieux, mêlés à toute sorte d’intrigues ! " M. Marrast sera renommé président pour le mois prochain, malgré ses mésaventures à l'opéra. Dimanche dernier quand il est entré dans sa loge, les chuts, les Ah ! Ah ! ont été si vifs et si soutenus qu’il n’y a pas eu moyen de rester. Au moment où il sortait, le sifflet de la coulisse a donné le signal de la rentrée en scène. Le public a aussitôt appliqué ce sifflet à Marrast, applaudissant et criant bravo. C’est la troisième fois qu’il est forcé de renoncer à sa soirée d'Opéra. Les républicains sont les seuls qui ne s'amusent pas. Mad. Lenormant m'écrit matin : " Paris est tout en danse. C’est une frénésie. On a hâte de mettre à profit la sorte de trêve dont nous jouissons. Le faubourg St Germain n'est pas le moins pressé de se divertir. La Duchesse de Laynes donne de très beaux bals. Au dernier, on a agité la question de savoir si le faubourg St G. irait au bal du Président (il en donne un vendredi). Après des discours éloquents de ces dames, on a décidé qu’on devait son concours au Président ; concours de sa personne ; c'est pourquoi les hommes prennent toujours les armes au premier coup du rappel ; mais qu’il n’y avait pas urgence à prêter un concours moral, et qu’on s'abstiendrait. Ainsi le concours moral, c'est le concours dansant. " Je vous envoie mes balivernes.
Avez-vous vu celle-ci dans vos journaux ? Au spectacle, je ne sais lequel, on chantait un couplet contre la République. Un coup de sifflet se fait entendre. Un homme se lève de sa place et dit très haut : " Est-ce qu’il y aurait ici un républicain ? " Le siffleur s’est tu. Le public a applaudi. Voilà les consolations de la France. Adieu. Adieu. Vous auriez bien dû me dire si vous aviez dormi. Vous ne savez pas ce qu’il faut dire. Je vous écrirai encore demain. Vous ne partirez certainement pas, samedi avant 11 heures. Probablement à 1 heure, adieu. Adieu. G.
Brompton, Vendredi 16 février 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi
Demain sera charmant. Et je serai charmé que vous me fassiez honte de mes mauvaises pensées. J’ai tort de dire mes. Je ne devrais dire que ma. J’en ai bien rarement. Votre lettre de demain matin me dira si vous voulez que j'aille dîner avec vous. La dernière tentative pour ajourner la fin de l'Assemblée à échouer. Les élections auront très probablement lieu, le 22 avril. Cela met mon retour en France aux premiers jours de mai. Je n’ai point de nouvelles ce matin. Duchâtel, qui sort de chez moi, m’a apporté les siennes. Tout à fait d'accord avec les miennes. Seulement il ne croit pas qu'au fond Molé sait bien en ce qui touche notre élection. Il se croit sûr que Molé, sous main, travaille activement contre lui à Bordeaux. Je lui ai montré ce que j’ai écrit au duc de Broglie. Il approuve complètement et écrira dans le même sens. Thiers a fait sa paix avec le Président. Il a vu que les affaires du Président allaient mieux, et il s'est rapproché de lui. C’est Morny qui l’écrit à Flahault. Flahault toujours très bien, très gentleman et tenant un très bon langage. Dites, je vous prie, au Prince de Metternich que je regrette, et que je regretterai beaucoup mes visites à Brighton. Nous avons à peine commencé à causer, et nous avons ce me semble, de quoi causer des années. J'espère que nous nous reverrons à Londres. Je me désespère même pas de Paris. Faites-moi aussi la grâce de demander pour moi, à la Princesse de Metternich, une petite place dans ses souvenirs de Brighton. Et notre bonne Marion ? Est-ce quelle ne m’écrira pas quelques fois pour son compte ? Est-ce qu’elle ne viendra pas vous voir ? Il y a bien peu de personnes qui gagnent plus on les voit. C'est le sort de Marion. Je la charge de mes amitiés pour ses sœurs. Adieu. Adieu. Il fait plus froid ce matin. Prenez bien vos précautions demain. Adieu. Adieu. G.
Brighton, Vendredi 16 février 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
8 heures Vos anecdotes de Paris. sont divertissantes. 8 h. du soir. Je persiste. Et je partirai demain. Je vois que le Constitutionnel est nul pour l'Autriche. Voilà le donc la République à Rome. C'est dégoutant. Plus contente de Bugeaud. Quel Bavard ! Adieu. Adieu.
Mots-clés : Politique (Italie), Santé (Dorothée)
[?], lundi 5 mars 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Lundi 5 mars-1849
Mots-clés : Santé (Dorothée)
Kimbolton Castle, lundi 19 mars 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
J'arrive. Je viens de m'habiller. On dîne à 6 heures. La poste part dans une demi-heure. Grand château délabré. Vous aviez raison. A coup sûr il n'est pas riche. Deux choses seules l’occupent ; les prophéties hébraïques et les ruines de Ninive. Bon et saint homme, très poli. Il vient de me remettre ses papiers. J'examinerai cela demain matin. Je désire qu’il vaille la peine d'être venu. Car sans cela, j’en serais fort ennuyé. Point de Macaullay. Un beau-frère, M. Calérafh, que j’ai rencontré au chemin de fer, assez d’esprit, ami de Peel. Une jeune fille de 18 ans en grand deuil, jolie, noble, intelligente et gauche. Des chambres très froides. Je m'en doutais. J’ai ma pelisse. Adieu. Adieu. Je vous disais demain à quelle heure je partirai après demain. Adieu. G.
Clarendon, Lundi 19 mars 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Midi
Je commence sans avoir un mot à dire. Êtes-vous content de la rue de Poitiers ? Moi je trouve la proclamation bonne, mais je ne suis pas juge. Certainement elle ne compromet personne. Le temps est horriblement triste. 3 heures Lord Aberdeen a vu une lettre de devant Palmerston du 8. Les propositions d’abord repoussées ont été reprises, et on s’attendait à les voir acceptées. Le Constitutionnel annonce que la guerre en Piémont est inévitable. Le Roi n'a pas écouté les remontrances des alliés. Aberdeen est d’avis qu'il faut rappeler Abercrombie. Peel trouve la situation du Cabinet bien mauvaise ses mesures ne passeront pas. Selon toutes les règles il devrait tomber. Je n'ai encore vu et entendu que ce que je viens de vous dire. Je crains les visites Je vous fais ma lettre, in good time. Adieu. Adieu.
Kimbolton Castle, Mardi 20 mars 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
20 mars ! Quel jour, il y a 35 ans! Louis XVIII avait fui de Paris dans la nuit. Napoléon y entrait le soir. très tard, et en se cachant, quoique le maître. Trois trônes sont tombés à Paris depuis ce jour-là. Trois Rois ont fui de nouveau. Et qui sait ?
Merci de votre lettre. Je l’avais ce matin, à 5 heures et demie. Vous d'abord. et puis des nouvelles. Mais voici un grand déplaisir. Il m’est absolument impossible d’en finir aujourd’hui avec les papiers. Il y en a plus que je n'en attendais. Il me faut la journée de demain. Et Guillaume aura à copier sans relâche pendant ces deux jours. Je ne puis pas être venu ici pour n'en pas remporter ce que j’y ai trouvé. J’en partirai après-demain Jeudi, vers 10 heures du matin, pour être à Bedford à onze heures trois quarts, à Londres à 3, à Brompton à 4, et chez vous le soir avant 8 heures. Pouvez-vous m'envoyer votre voiture à 7 heures et demie ? Je vous écrirai encore demain. J’ai deux déplaisirs, le mien et le vôtre. Ce serait bien pis si je n'en avais qu’un. Je travaille depuis ce matin. Il n'y a pas moyen. Le manifeste de la Rue de Poitiers est ce que j'attendais. Une sonate sans défaut. L'impression universelle sera celle-là. Par conséquent complète impuissance, ce qui n'est jamais bon pour des hommes importants. Il faut parler pour tous, ou parler seul et pour soi seul. Mais parler tous ensemble et tous du même ton, c’est si impossible que cela devient ridicule, quelque irréprochable que soit le ton. Je suis toujours sans nouvelles de Paris. Ce qui fait que j’en suis chaque jour plus curieux. Ce voyage m'a fort dérangé. Si je n’avais pas quitté Brompton, ce que j'ai à écrire eût été écrit cette semaine.
Je crois à l’arrangement des affaires de Sicile. Les Siciliens se résigneront. Le monde a vu des fanatismes qui ne se résignaient pas et qui résistaient, même sans chances de succès. Mais aujourd'hui ce n’est pas au fanatisme, c’est à la folie que nous avons à faire. La folie se décourage bien plutôt. Le Roi de Naples donne aux Siciliens tout ce à quoi ils ont droit, et peut-être plus qu'ils ne pourront porter. Mais cela n'en fera pas moins pour l'Angleterre, en Sicile l'effet d’un abandon honteux après une provocation coupable. Je suis, quant à la situation du cabinet, de l'avis de Peel qui en sait plus que moi. Et c’est l'avis que je trouve ici, parmi deux ou trois hommes simples et sensés qui vivent loin des Affaires. Quand les hommes simples et les hommes d’esprit sont du même avis, ils sont probablement bien près de la vérité. Pourtant je parierais pour le maintien. Adieu. Adieu. Cela me déplait beaucoup de voir les jours s'écouler. Vous partirez dans onze jours, et je serai plus de six semaines, sans vous voir. Ecrivez-moi encore un mot demain. Je l’aurai après-demain à 8 heures et demie, et je ne partirai qu'à 10. Adieu. Adieu.
G.
Clarendon, Mercredi 21 mars 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Midi
Quelle contrariété. Je ne vous ai pas écrit hier parce que je trouvais plus simple que vous vinssiez recevoir ma lettre à Brompton, ignorant si elle vous arriverait à Kimbolton avant votre départ. Voici que vous n’arrivez pas. C'est plus que contrariant, c’est malheureux. Si vous avez de de l’esprit vous le comprendrez. J'ai bien affirmé que vous serez ici aujourd’hui. Ma visite de 2 1/2 y compte. Je n’ai guère de nouvelles à vous donner. Lord Clauricarde est venu m'annoncer hier que Lord Aberdeen fait demain une motion sur l'Italie. Cela a surpris la Chambre haute & moi aussi. J’ai été contente du premier dans des Débats à propos de la proclamation de la rue de Poitiers. Duchatel m’a dit que le manifeste n’a plu à personne. Broglie est parti pour la province. On lui mande qu’il était à l’état d’automate galvanisé. Piscatory a été chez le Président. Quelle platitude. Vitet écrit très lugubrement. Le nouveau roi de Hollande est parti hier matin. Une députation de ministres était venue le chercher. Il était très saisi très ahuri. Mes soirées sont abominables. Personne. Il faut donc encore aujourd’hui subir ma société toute seule.
4 heures. Je dois vous déclarer formellement qu'il faut que vous veniez du chemin de fer droit chez moi, avant d’aller à Brompton. L'heure presse, et cela est de toute urgence. Je pense que vous pourrez être ici à 3 1/2 ou 3/4 on vous y attendra ; j’ai répondu de vous, il est impossible que vous ne compreniez pas qu'il faut faire ce que je vous dis. Morney écrit que Piscatory est de son avis sur votre élection et le lui à dit. D'Haussonville un peu cela aussi, mais avec une [ ?]. La fin de Morny est curieuse. Pourquoi M. Guizot ne dirait-il pas (par écrit je suppose) qu'il faut à la France une Monarchie ? j’ai répondu Ah, Ah on sait donc qu’il n'y a que lui qui ait du courage. La motion pour demain fait du bruit. Le camps ministériel est embarrassé. Lansdowne décidé à se conduire dans son intérêt d’honneur personnel. A demain chez moi entre 3 & 4 sûr. Ma voiture vous ramènera chez vous. Si j’ai quelques personnes vous entrerez droit dans ma chambre. Adieu. Adieu. Je ne saurais vous dire le chagrin de ne pas vous avoir parlé aujourd’hui. Mais demain.
Kimbolton Castle, Mercredi 21 mars 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vif déplaisir ce matin en ne recevant pas de lettre. Puis, je me suis aperçu que j’avais tort, et que vous n'aviez pas dû m'écrire, m'attendant aujourd’hui. Deux lignes seulement pour vous dire que j'aurais bien certainement fini, ce soir mes lectures, et mes extraits et que je partirai demain comme c’est dit. Donc à demain soir. J'espère avoir une lettre demain matin. On m'envoie ici une lettre de Lady Jersey qui m'invite pour hier soir, et à dîner pour Vendredi. Je lui réponds que j’irai dîner vendredi. J’ai tant refusé, qu’il faut bien accepter une fois. Point de nouvelles, car la guerre du Piémont n'en est plus une. Je n’ai pas encore lu le Manifeste du Roi Charles Albert. Si la lutte se prolonge et avec un peu d’incertitude, cela pourrait bien amener quelque complication. Adieu. Adieu. Je retourne à mes papiers deux petites lettres de Paris. Insignifiantes. En voici une de Saint-Aulaire à qui j’avais recommandé un pauvre homme. Vous me la rendrez. Adieu. G.
Brompton, Samedi 2 juin, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures et demie
Je suis toujours horriblement pris du cerveau. J'éternue scandaleusement. Si Lady Lovelace m’a trouvé aimable hier soir, elle n’y est pas difficile. Il y avait là peu de monde, des savants et cet envoyé hongrois dont j'oublie le nom et qui disait à tout le monde : " dans quelques jours, nous reprendrons l'offensive, et il viendra de Hongrie de grands évènements. Je ne suis pas entré en conversation avec lui. Il y a certainement quelque faveur dans le public pour les Hongrois et s’ils s’étaient bornés à défendre leur ancienne constitution en se disant toujours fidèles à l'Empereur, on leur donnerait raison. Mais certainement aussi l’Angleterre ne se mêlera pas de leurs affaires. Personne ne disait rien d'ailleurs. Je suis sorti un moment après dîner. J’ai été voir des maisons à louer, dans mon quartier. Deux qui me conviendraient bien, Onslow square. Reste à savoir le prix. Et restera à attendre les événements. Je les attends avec une impatience où il y a peu de curiosité n'espérant pas grand chose de bon et prévoyant à peu prés tout le mal possible. Il ne m’est venu hier matin, après vous, aucune nouvelle de France. J'ai lu. J’ai reçu M. De Larive et M. Broadwood. J’irai aujourd’hui à l'Athenoeum et je verrai Duchâtel. Je voudrais travailler avec suite. J’ai bien des choses en tête. Que la vie est courte, et que de temps perdu dans cette vie si courte ! Milnes qui était hier chez Lady Lovelace soutient que le Président devrait faire sur le champ un cabinet rouge. Ledru Rollin en tête ; que ce serait le moyen de traverser et d’user ce parti au meilleur marché possible. On dira et on fera peut-être faire à ce pauvre Louis Napoléon tout ce qu’on a dit et fait faire à Louis XVI. Et il ne s’en tirera peut-être guèure mieux. J'attends les journaux. Je vous reviendrai après. Midi. Je n'ai point de lettre et les journaux ne contiennent rien. Cela finira par un Cabinet tiers parti, ou par le maréchal Bugeaud énervé par le tiers parti. On n'a pas le sentiment du mal et on a une peur effroyable du remède. J'espère bien vous voir ce matin. Je vous écris comme, si je ne devais pas vous voir. Je sors. Je vais chez Duchâtel. Je serai rentré à 2 h. Adieu. Adieu. G.
Brompton, Samedi 2 juin 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Brompton, Samedi 2 Juin 1849 4 heures
Mots-clés : Elections (France), Politique (France)
Brompton, Dimanche 3 juin 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Brompton, Dimanche 3 Juin 1849 4 heures
Mots-clés : Inquiétude, Santé (Dorothée)
Richmond, Mardi 5 juin 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le temps est lourd et accablant. Si j’étais à Londres, je serais morte, c’est comme cela que je me console d’être à Richmond. Je ne trouve rien dans les journaux français. Le constitutionnel regrette que Bugeaud ne fasse point partie du ministère, mais il compte que la majorité restera unie. Il ne nomme pas Dufaure. Rome, Rome voilà la curiosité aujourd’hui ! Je vais dîner chez lady Allen. Je ne sais qui j'y rencontrerai. 6 heures. Les Colloredo, la marquise Douglas, et Mme Metternich rien que cela. Les Infants d’Espagne partent ou sont partis pour [?]. Le mariage est rom pu. Il s’est conduit comme un sot. Rien de nouveau du tout. Je n’ai pas eu de lettres. Adieu. Adieu. Demain. J'espère vous voir. Je vous recommande de. lire la lettre du Triumvir à M. Lesseps 24 mai, elle est très bien faite. Les r[?] à lui sont pitoyables. Voici un mot de Metternich que je vous envoie.
Mots-clés : Mariages espagnols, Politique (France), Politique (Italie)
Brompton, Mardi 5 juin 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Hier m’a remis en contentement. Je n'étais pas de mauvaise humeur, ni injuste ; mais je n'étais pas content. Je supporte assez bien à la surface, l’imperfection des meilleures choses de ce monde ; mais, au fond du cœur, je ne l'accepte pas du tout. Rien dans les journaux. Evidemment le nouveau cabinet ne réussit pas dans le parti modéré. L'univers en parle mal. L’Assemblée nationale n’en dit rien. Le Journal des Débats prêche la résignation plus que l’espérance. Si ce cabinet avait pour résultat de compromettre et d’engager les chefs du tiers parti dans le parti modéré, ce serait bien mais ce sont des gens que rien ne compromet, et n’engage. Je les ai vus à l'œuvre. Ils avaient presque tous voté, les lois de septembre. Ils ont été des premiers à les attaquer. Ils en feront autant. Après déjeuner, j’irai voir Duchâtel et Lord Aberdeen de qui j’ai trouvé un billet en rentrant hier soir. Je vous écrirai en en revenant. Ils m'apprendront quelque chose. Quelle bonne chaleur ! Je n’en ai pas moins éternué à tout rompre en me réveillant.
3 heures Duchâtel était à Ascot. Mais sa femme m'a montré les lettres qu’il avait reçues hier de M. Vitet. Mêmes détails et mêmes impressions que dans les miennes. Seulement il n’espérait pas grand chose du cabinet qui ne s'est pas formé. A l’Athenaeum, la 3e édition du Morning Chronicle, que vous verrez ce soir annonce que le Message du Président à l’Assemblée n’a pas été présenté hier. Le nouveau Cabinet y a trouvé à redire, et à changer surtout quant à la question Italienne. Dufaure et Tocqueville en ont, dit-on, trouvé la politique too bold. On prétend que le Président l'a rédigé lui-même. Je n'en crois rien. On ne dit pas à quel jour la présentation est remise. L'ajournement ferait hier un mauvais effet dans l'Assemblée. Des dissentiments dans le Cabinet, des hésitations. Tout le monde s’inquiétait et la majorité s’irritait. Voilà une longue lettre du duc de Broglie, qui m’arrive. Illisible pour vous. Je vous la lirai demain. Une appréciation de la situation générale aussi sombre que possible, pour l'avenir comme pour le présent. Point de faits spéciaux et nouveaux. Voici ce qu’il y a de plus actuel : " Notre Chambre nouvelle, prise en soi est bonne. La majorité est saine, nombreuse, honnête, décidée. Mais, comme elle est composée, pour moitié, de légitimistes, on la traite déjà de contre-révolutionnaire, et les tiers partis qui se forment ou se font par faute de donner les mains à cette prévention. Il n'a pas été possible, pour cette raison, de former un ministère d’une couleur tranchée. Les négociants, les banquiers, les industriels ont demandé, à grands cris, un ministère de la couleur Passy et Dufaure. Le président a dû céder à son grand regret, il faut le dire, et après avoir employé tous ses efforts pour en venir là. A tout prendre je crois que c'est pour le mieux. Dans l'état où est l’armée, il faut mieux qu’elle ait à défendre un gouvernement qui ne soit pas suspect de royalisme, et la médecine expectante que nous allons essayer vaut peut-être autant que la médecine héroïque. " Je ne crois pas du tout que ce soit pour le mieux. C’est à coup sûr pour le pire dans l'avenir, et dans un avenir prochain. Le duc de Broglie regarde la bataille prochaine comme inévitable. J’ai causé longtemps avec Lord Aberdeen. Toujours, et même de plus en plus persuadé qu’il y a, dans le cabinet, un travail aussi actif que sourd, pour se défaire de Lord Palmerston, et que ce travail gagne du terrain, même assez haut. Une douce violence, faite par le Parlement, serait accueillie et est peut-être cherchée. Adieu. Adieu. Adieu. A demain dans la matinée. G.
Brompton, Jeudi 7 juin 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Voici la lettre que vous désirez. Montrez la mais ne la donnez à personne je vous prie dans l'état ou la France est près de tomber de telles vérités, si, par un accident quelconque, on savait qui les a dites, peuvent devenir des questions de vie ou de mort. M. P., en me rendant compte des négociations ministérielles auxquelles il a pris part, finit par cette phrase : " Je n’ai emporté de tout cela qu’une impression, c’est que le Président et La Redorte s'étaient très bien conduits, qu'on pouvait en toute sécurité, être le collègue du second et que le premier très loyal, très simple, très désintéressé sans vanité, sans susceptibilité aurait fait un roi constitutionnel excellent, mais que Dieu ne l'a destiné ni à sauver, ni à fonder des Empires. Qui sait cependant, car il a la foi ? " Hier une heure après votre départ, j'ai reçu de M. Mallac une lettre écrite avant-hier au soir, qui contient ceci : « J'ai vu le Maréchal ce matin. Il se tient à l'écart et en réserve. L'état de l’armée l’inquiète. Les lettres qu’il reçoit des commandants des corps qui forment l’armée des Alpes, ne sont pas rassurantes. L'esprit des troupes se gâte ; les folles idées qui sont répandues dans le peuple, fermentent dans la tête des soldats. Les règles de la discipline sont observés mais il faut les appliquer sans cesse. L'obéissance est devenue grondeuse et lente. Tout annoncé enfin que le mal fait des progrès, et que nous sommes en dérive. L'armée nous échappera comme tout le reste avant peu, s’il n’arrive pas un grand événement qui nous fasse sortir de l'impasse où nous sommes. Faire de l’ordre avec le désordre moral et du gouvernement avec l'absence de tout gouvernement, c'est un problème insoluble ; il faut que cette situation éclate, et qu’il en sorte le despotisme de Louis Nap. ou celui de la rue. Le dernier me paraît le plus probable. J’attache bien peu d'importance à ce que fera le nouveau Cabinet, s'il apporte des lois répressives, il pourra avancer l'heure de la lutte et c’est là notre meilleure chance, s’il se borne à vivre au jour le jour, il fera durer la situation quelques mois encore pendant lesquels tous les moyens de résistance auront péri. Alors le triomphe de la rue me parait certain. Toute la politique se réduit aujourd’hui à comparer les forces de l’insurrection et celles de la résistance et à savoir quand et comment la bataille s’engagera. " Vous voyez que tout le monde est unanimement noir. J’ai vu hier soir, chez la marquise de Westminster, beaucoup de monde rose et blanc qui ne pensait pas à autre chose, qu’à se montrer et à se regarder. Je n’y ai rien appris. J'ai trouvé Kielmansegge assez inquiet de la Constitution de Berlin et de la République des bords du Rhin. Il craint les amours propres d'auteurs et les ambitions populaires. Ici, l'attaque de lord John avant hier soir contre MM. Bright et Cobden, fait assez d'effet. Le mot narrow-minded a beaucoup blessé les radicaux. Les Torys ont beaucoup applaudi. Je le veux bien, pourvu qu'ils n'oublient pas qu’il y a peu de sureté à vaincre par la main de ses adversaires ; on finit toujours par payer les frais de la victoire. Adieu. Je sors à midi, pour aller passer une partie de ma journée en pleine Eglise anglicane, à St Paul dans le banc de l'Evêque de Londres d'où j’entendrai l'Evêque d'Oxford. Puis, j’irai la finir chez les Quakers, au milieu de la tribu des Gurney. On me dit qu'il y en aura cinquante avec qui je dinerai sous une tente. Braves gens, amis, au fond de l’autorité qu’ils tutoient. Et leurs femmes sous leur petite coiffe blanche, ne sont mi moins jolies que d'autres, ni moins charmées qu'on les trouve jolies. Ce que j’ai écrit il y a quelques mois, en parlant de la démocratie a fait son chemin. Lord Chelsea me disait hier à dîner : " Comment peut-on dire que c'est la forme de gouvernement qui fait la sureté ? Il y a aujourd’hui trois gouvernements forts et tranquilles l’Angleterre, monarchie constitutionnelle ; la Russie, despotisme, les Etats-Unis, république. Reste toujours l'embarras de choisir. " Adieu. Adieu. Je vous prie de prier qu’il ne pleuve pas puisque je dois dîner sous la tente. Je n'y resterai certainement pas s’il pleut. J'ai le cerveau encore pris un peu moins. pourtant. Adieu. A demain. G.
Richmond, Jeudi 7 juin 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Rien de nouveau. Ma lettre de Lady Holland renfermant seulement ceci. Le Président a dit dans son intimité la plus intime qu'il faisait ses paquets, & qu'au premier vote insolent ou récalcitrant de l'Assemblée il partirait pour l'Angleterre, laissant une lettre d’adieux à la France & charmé de ce débarrasser d’elle. Aberdeen était venu pendant que j’étais en ville J'ai manqué lord Lyndhurst aussi & Koller. Que faire ! Le soir chez Metternich, rien de nouveau. Je vous écris de bonne heure aussi, comme vous m'avez promis de le faire, afin que ma lettre vous parvienne dans la journée. Une lettre de Marion rempli d'esprit, mais sans un mot de nouvelle. Furieuse de [?] des bombardements annoncés. " Quel prix à payer pour le rapiècetage(sic) du pauvre. Lambeau qui reste de l’honneur français. " Adieu. Nous sommes bien loin l’un de l’autre. Pourquoi n'êtes-vous pas à Richmond & Marion avec ? Voilà des perfections auxquelles on n’atteint pas dans ce monde. Adieu.
Mots-clés : Absence, Politique (France), Réseau social et politique
Richmond, Dimanche 10 juin 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici un mot de Metternich. Vous ne m'avez pas envoyé la revue, je n'ai absolument rien à lire, & ceci m’aurait aider à traverser un peu mieux le Dimanche. J’étais prié hier au soir chez Lord John, mais arrivée là à 9 1/2. J’ai attendu une demi-heure. On ne sortait pas de table, je les ai planté là, je n’ai donc vu personne, & je n'ai rien à vous raconter, sinon que je n'ai pas dormi cette nuit, & que j’ai fait mille plans dont pas un agréable ; c’est qu’il n’y a plus moyen pour moi de rien trouver, de rien rêver, qui me convienne, ou qui soit convenable. Triste destinée ! Je crois que le choléra dispensera des explications à l’Assemblée. Ils auront peur d’être pris de la maladie, on ne siègera pas. 3 heures. J’ai vu lord John un moment. Il ne fait pas l’éloge de Bugeaud, et dit sur lui à peu près ce que Piscatory m'écrit . Il affirme. que le gouvernement français nie qu’on soit convenu de quoi que ce soit à [Gach] Il déplore beaucoup l'attaque sur Rome, et il dit après que fera-t-on ni le Pape, ni les Romains ne veulent rien devoir aux Français. Réflexions générales sur ce qui se passe dans le monde, la faute c’est qu'on ne parvient pas à l’entendre sur aucune question. Voilà à peu près. Il fait aussi froid ici qu'à Pétersbourg. Adieu. Adieu.
Brompton, Dimanche 10 juin 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
2 heures
Voilà donc Rome pris, ou à peu près pris, ou près d'être pris. Je ne sais encore que le Morning Chronicle, 3e édition, que je n'ai pas même lu. Guillaume m'a rapporté les nouvelles du bureau du journal. Il y a trop de détails pour que le fond ne soit pas vrai. Pourtant je ne trouve pas ce fond bien clair. Je désire que tout soit vrai. Amour-propre à part, un échec à Rome serait bien mauvais à Paris. Je veux bien qu’on se batte avec les Montagnards ; mais je ne veux pas que les Montagnards se battent en ayant le vent pour eux. Un échec devant Rome dégoûterait l’armée, l’armée de Paris. Il faut qu’elle ait cœur à se battre pour le Gouvernement. Les raisons abandent. Que d’embarras suivront la victoire ! Autant qu’il y aurait de périls dans le revers. Le Dimanche est plus insupportable, aujourd’hui que jamais. Rome, la santé du Maréchal Bugeaud. Ledru Rollin mort ou vivant. Attendre m'impatiente aujourd’hui presque autant que vous. Je ne me suis pas ennuyé hier chez Lady Alice. A table, j'ai assez causé avec elle, de vous surtout. Elle vous aime. Je ne m'y trompe pas. Elle a un peu trop de peine à comprendre ce qu'on lui dit. Le marquis, et la marquise d’Exter, le duc de Ruttand, Lord Granby, Lord Chelsea, Lord Jermyn, Lord Forrester, Sir James Gaham, M. Goulburn, Kielmansegge, Lady Aylesbury, Lord Jocelyn. J’étais chez moi à onze heures. Duchâtel sort d’ici. Il ne savait rien.
4 heures
J’ai été interrompu par Paul Dara qui arrive de Paris en passant par St Léonard.. Il a eu le choléra. 14 personnes dans la maison de son frère avec qui il habite, ont eu le choléra. Deux sont morts, le beau père de son frère et le cuisinier. Toujours brave mais aussi triste que brave. De mon avis pourtant en ce point que, s’il est vrai que le mal à beaucoup, grandi, il est vrai aussi que les moyens de résistance ne manquent point la majorité, le Président, encore l'armée. C'est le courage qui manque, et encore plus le courage de l’espérance que celui de la défense. On se croit perdu. On se défendrait si on croit relever la tête et regarder l'ennemi. Les légitimistes sauf la petite coterie de M. de la Rochejacquelin sont sensé, dans l'Assemblée. Il est convenu contre les grands partis, qu’on n'élèvera aucune question politique aucune question de prétendant, qu’on ne pensera, d'ici à trois ans qu’à se défendre du danger commun. On cherche un successeur au Président actuel qui ne sera point réélu. On ne pense qu'au Prince de Joinville. C'est le seul roi dans l’air. La duchesse d'Orléans arrive le 25. Le Prince et la Princesse de Joinville vont la voir à Eisenach. Le duc de Nemours ira la prendre à Ostende. Je vous donne pêle-mêle ce que m'a donné Daru. Il passe ici quelques jours. Adieu. Je vais à l’Athenaeum. Il fait froid, gris. Beaucoup de vent. Les Delassort m'ont fait demander, si je serai chez moi ce voir. Ils viendront à 9 heures. On me reparle d'élection dans le Calvados à propos de la mort de M. Deslongrais. Je nous montrerai ce que je réponds. Vous approuverez. Adieu. Adieu. G.
Brompton, Jeudi 14 juin 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Adieu. Adieu. Jeudi 14, 3h. 1/2
Mots-clés : Enfants (Guizot), Relation François-Dorothée (Dispute)
Richmond, Samedi 16 juin 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
le 16 Juin
J’ai dormi, je m'étais couchée le cœur content & réveillée de même. Je trouve que demain est loin ! Voici une lettre de Marion que vous me rendez. Quelle charmante fille. Comme la tirer de là. Quel péché de la lasser croupir dans ce sot ménage. Je n’ai pas vu les Metternich hier, il n'était pas bien. Lady Allen est revenue au moment où j’allais me mettre au lit. Elle avait manqué le chemin de fer. Adieu. Je suis encore fatiguée, mais quand on a le cœur en place. Le reste est peu de chose. Adieu. Adieu.
Brompton, Samedi 16 juin 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
J'espère que vous êtes mieux. Je suis mieux aussi. Si nous avions vu parfaitement à découvert jusqu'au fond du cœur l'un de l'autre, nous n'aurions pas eu cette mauvaise journée. Les petites choses n’ont de valeur que parce qu'elles inquiètent sur les grandes. C’est absurde. Mais dites-moi que vous êtes mieux. Je n’ai pas une ligne de Paris ce matin. Ni Duchâtel non plus ; je viens de le voir. Ses nouvelles, d’hier sont les mêmes que les miennes. Les modérés sont d'autant plus heureux de la victoire qu'elle leur à moins coûté. Au Morning Chronicle, à 2 heures les lettres d'hier n'étaient pas arrivées. C’est un grand ennui, car demain nous n'aurons, rien du tout. Je ne crois pas que vous veniez à bout d'attirer les Duchâtel à Richmond. Elle veut décidément aller voir sa mère à Spa ; et lui s’effraie un peu de la solitude de Richmond. Il dit que vous vous couchez de trop bonne heure et que les Metternich tous les soirs, ait trop, même avec le whist. Sans compter, ajoute-t-il, que M. de Metternich ne joue pas bien. Il (Duchâtel) est convaincu que si le cholera cède, il faudra retourner en France dans le cours de Juillet, ou d’Août et il s'y prépare. Il ne doute pas que cette victoire-ci n'assure la tranquillité pour la fin de l'année. Je n’ai pas vu une âme d'ailleurs. Je ne vous ai rien dit hier de la lettre de Constantin qui est intéressante, mais qui prouve qu’on croit la guerre de Hongrie sérieuse, et qu’on s’y prépare sérieusement. J’aime mieux cela que si l’on croyait aller à une promenade. On ne gagne jamais rien à croire les choses plus faciles qu'elles ne sont Adieu. Adieu. J’aurais mille choses à vous dire et très bonnes si nous étions ensemble. Rien à vous écrire. Il ne faut pas être loin quand on a ou quand on a eu le cœur gros. A demain, 5 heures. Le train passe à Putney à 4 h 3/4, comme les autres jours de la semaine. Adieu. Adieu. Adieu. G.
Richmond, Lundi 18 juin 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lundi 5 heures
Hier les John Russell tous seuls copiant des vers de lord Byron. Il croit que l’assemblée va statuer quelque chose sur la situation du Président. Il ne sait quoi. Drouyn de Lhuys sera nommé ambassadeur ici. Dufaure a dit à Normanby. " Les soucis de tribune, c’est des bêtises ! Le pouvoir c’est tout, je l'ai, et je le garderai. " Mon Empereur mécontent de roi de Prusse. Voilà tout ce que j’ai relevé de la conversation hier. J’ai rencontré Duchâtel dans la rue. Delessert lui mande qu'on s’est fort battu à Lyon, on a tiré des forts. Cela a bien fini, & tout cela est bon. Je rentre, le temps est charmant, & la promenade avec vous serait plus charmante encore. Des visites. Adieu. Adieu.
Brompton, Lundi 18 juin 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
3 heures
J’ai bien aimé notre journée d’hier. N'en ayons jamais d’autre. Nous avons tort, tous deux quand elles ne sont pas toutes exactement comme celle-là. Que croyez-vous qu’il en fût, si nous étions toujours ensemble. Je crois que toutes nos journées seraient également, charmantes. C'est l'absence qui en gâte quelquefois. quelques unes. Toutes les idées, ou les impressions, qui ne valent rien ont pour cause l'absence. Je viens de passer une heure avec Lord Aberdeen. Pure conversation, et pas un mot des Affaires anglaises. La France, l’Europe, et les mariages Espagnols. Il dit qu'on a plus que jamais envie ici de se raccommoder avec Narvaez. Mais on ne sait plus comment s'y prendre. Mon vient de régler, à la satisfaction du commerce anglais, l'affaire des tarifs Espagnols que Lord Clarendon n’avait jamais pu faire faire à Espartero. Et Mon est en train de régler aussi l'affaire de la dette étrangère Espagnole et de donner aux créanciers anglais ou français, une certaine satisfaction. On s'étonne ici de ce gouvernement là, mais on ne peut pas ne pas voir les faits. On voudrait bien ne pas être brouillé. Narvaez ne fait point d'avance. En sortant de chez Lord Aberdeen, j’ai été rendre à Benoit Fould sa visite. Je ne l'ai pas trouvé, mais sa femme. Elle m’a montré des nouvelles de Lyon d'avant hier 16. On s’y est bien plus battu qu'à Paris. Certaines postes ont été pris et repris plusieurs fois par la [?] et les insurgés. Au faubourg de la Croix Rousse, il a fallu employer le canon. La [?] était maîtresse partout le 26. L'état de siège était proclamé. On se promettait une nuit tranquille ; et en tout cas on était sûr de son fait. Point d’autre lettre de Paris que cette longue petite lettre de Béhier que je vous envoie parce qu’elle contient quelques détails qui vous amuseront un peu. Renvoyez le moi, je vous prie. J'ai vu deux personnes de Paris ce matin. Des gens obscurs et sensés. Ils croient les Montagnards à bas pour plusieurs mois, et se promettent pleine tranquillité pour tout 1849. Je ne fais pas grand cas de leur prévoyance ; mais l’impression est forte et générale. Il y a une grande indignation contre Emile de Girardin. Adieu. Adieu. Il fait bien beau. Vous aurez Aberdeen. Mercredi. Il m'a fort pressé pour l'Ecosse ; mais il est tout à fait d’avis que j'ai raison de profiter de cet intervalle lucide pour rentrer en France et y reprendre possession de mon état, sauf à faire ensuite ce qui me conviendra. Adieu. Adieu. Avez-vous complété votre lettre à M. Albrecht ? G.
Richmond, Mardi 19 juin 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
C’est cela. L'absence est cause de tout. Ensemble, toujours ensemble, et il n’y aurait jamais de nuage, et je suis condamnée aux accident de nuages ! Ma vie ne sera plus longue et je crains qu’elle ne soit triste ! Qu’allons nous devenir. Je ne vois rien de clair, rien de bon. Je passe mes nuits à penser à cela. Je vous renvoie la lettre de Beyier. Elle m’a intéressée. Vous voyez, lui aussi pour le président. Il m'est venu hier beaucoup de monde. La duchesse de Beaufort, lady Wilton, la princesse [Crasal?] les Delmare. Le soir j’ai passé un moment chez les Metternich. Il est bien tout-à-fait !
5 heures Je rentre de ville. Déjeuner manqué à droite et à gauche, j’ai fini par le prendre au Clarendon. La duchesse de Cambridge sombre pour l’Allemagne je ne sais pourquoi. Une longue lettre de Constantin du 8. Des forces immenses le 14 ou 15 au plus tard on attaquera sur toute la ligne. Lui-même venait de recevoir l’ordre de départ n'osant pas dire où. Paskevitch parti le 10. L'Empereur allait à Cracovie. Le 14. Lenchtenberg. Mouralt ainsi que la fille du G. D héritera. L'Empereur toujours en pleurs. Le temps est laid. Je ne suis pas sûre d'aller demain en ville. Il faut que je sois ici à 4 h. En tout cas je serais pressée. Si je ne viens pas vous m'écrirez, & puis lundi vous viendrez. Adieu. Adieu. Adieu.
Je vous envoie le relevé des forces.
205 bataillons
187 Escadrons
370 Pièces d’artillerie
Voilà Russes et Autrichiens
De plus Tellachich 45 000 hommes & les Services venaient d’offrir 50 000.
Brompton, Mardi 19 juin 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
3 heures
Je reviens de la Tour où j'étais allé à onze heures. J’ai revu Jane Grey, Sir Walter Raleigh, Strafford, les enfants d'Edouard, je ne sais combien de grands noms, de grands crimes et de grandes douleurs. Je vis beaucoup dans le passé et je commence à y entrer moi-même. J'ouvre hier un livre qui vient de paraître, intitulé : Prince Rupert and the Cavaliers, livre curieux et qui contient des documents nouveaux publié par un M. Elias Warburton que je ne connais pas du tout. Une des premières phrases que j'y rencontre est cette- ci : «M. Guizot's account of the trial of Lord Strafford is given with his usual perspicasity and point : but it is singularly reserved as regards expression of opinion on te merits of the case. The reader will easily supply a parallel between the fortunes of the great English Minister and those of a recent French one. The former, when his arm was paralysed in the north by the Kings want of nerve to carry out measures of which he had already reaped all the [?] and danger, and only required courage to grasp at the success for which he had so dearly paid ; the latter when his labours long directed towards the transmutation of the bases elements of France were ruined in the very moment of projection, the timidity of his master, and those, claments let loose to desolate the Empire. " Je ne me plains point de ce jugement. Mais ne trouvez-vous pas que c'est le ton de l'histoire sur les morts ? Je ne sais pourquoi je n’ai point de nouvelles de Paris. J'en attends de tout le monde. Les gens que j'ai vus hier soir, chez Lady Stanley de Alderley, et ce matin, chez moi, ne savaient rien. On croyait généralement que Ledru Rollin est à Londres. Je ne crois pas. On le saurait positivement. On parlait aussi d’une vive attaque d'Oudinet sur Rome, de monuments détruits, de statues brisées, de tableaux percés. Je ne connais pas de pire condition que celle de ce pauvre homme ; il faut qu’il prenne Rome et qu’il n’y gâte pas une image. M. Benoist Fould vient de venir chez moi pendant que j'étais à la Tour. Je le regrette. Personne n'est mieux informé que lui de Paris. Il se fait tout envoyer et quelquefois des courriers exprès. Il va aujourd'hui même s'établir à Richmond, Mansfield house, en face du Star and garter. Par M. de Stieghz, si vous voulez, vous saurez ses nouvelles. Je ne doute pas qu’il ne la connaisse. Tous ces banquiers sont compatriotes. Si, comme il m’a paru vous n’avez pas grande envie de venir demain à Pelham Crescent, je veux vous dire que je suis obligé de sorti à 3 heures avec M. et Lady Charlotte Denison, pour aller voir l’exposition des fleurs à Regent's Park. Mon désir est et mon plaisir sera de vous voir auparavant ; vous venez en général à 2 heures et demie. Mais je veux que vous sachiez à quelle heure je serai pris. Un quart d'heure en bien court. Pour moi, je l’aime infiniment mieux que rien du tout. Adieu. Adieu. Adieu. G.