Votre recherche dans le corpus : 1140 résultats dans 5493 notices du site.Collection : 1850-1857 : Une nouvelle posture publique établie, académies et salons (La correspondance croisée entre François Guizot et Dorothée de Lieven : 1836-1856)
Schlagenbad, Dimanche 18 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Duchatel est venu un voir hier, longue conversation dans laquelle je lui ai beaucoup plus appris que lui ne m’a raconté. Il ne savait rien. Il quitte Kreuznach le 24 et passera quelques jours à Paris avant de se rendre à Lagrange. Le soir nous avons eu en tiers le duc de Parme, qui ne l'a pas beaucoup amusé. La princesse Grasalcovy est allé passer sa journée à Wiesbaden. Je suis très perplexe & j’attends de plus amples informations. Constantin m'écrit que la grande Duchesse Hélène ne reste à Ems que huit jours et qu’elle se rend ensuite à Bade si elle y va en droiture nous ne nous rencontrerons pas. Mais on prétend qu’elle vient à Wiesbaden en passant dans ce cas c'est là que j’irais la trouver. Voilà une occasion de rencontrer le comte de Chambord, il n'y en a pas d’autre, car je ne suis pas assez curieuse.
Je n’ai pas eu de lettres de vous hier, mais vous m’en aviez prévenu. Le temps est toujours détestable. Le duc de Noailles m’écrit tout à l’heure, & me presse d’aller voir sa femme. Je verrai, je n’aime pas à me déplacer. Adieu. Adieu, car je n'ai rien absolument à vous dire. Adieu.
Schlagenbad, Dimanche 25 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vos lettres d'Angleterre sont curieuses. Si notre ami vous ressemblait un peu ce serait fait. Quant à Lord Palmerston, il me revient de tous côtés qu'il essaye de se modifier. C'est de la comédie. Je suis charmée de la dégringolade. de Bunsen. Le duc de Noailles m'écrit de Wiesbaden, qu'il sera. prêt à partir avec moi, après-demain. Si le temps était beau j'aimerais autant aller à Bade qu'à Paris.
D'un coup de filet trois grandes duchesses de Russie. Cela ne se rencontre guère, et puis je crois que tout cela m'amuserait un peu. Je voudrais bien y entraîner le duc de Noailles, mais il ne le laissera pas prendre il est plus vraisemblable. qu'il m’amènera à Paris. Hier toute la journée, une pluie battante. Ma seule ressource a été une promenade dans le corridor de la maison que j'occupe. Jugez, voilà mon seul divertissement de la journée ! J’en ai assez de Schlangenbad. Je n’ai pas un mot de nouvelle à vous dire. Vos lettres sont bien différentes des miennes ! Adieu. Adieu.
C'est un G. et non C. pour le nom de la vieille étourdie.
Schlagenbad, Jeudi 22 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
D’abord Fleichmann. Il n'y a pas idée de mariage pour son fils. Mais votre ouverture lui plaît beaucoup il va écrire à sa femme qui est à Paris. Il sait que son fils a pour vous et votre famille une grande adoration et qu’il serait heureux sans doute d'un lien avec elle. Si la dame n'est pas laide et qu’elle aie la fortune que vous dites je crois bien que cela ira. Ce bon Fleichmann vous dit tout ce qu'il est possible de tendresse & de respect. Il m’avait presque entraîné à aller à Bade où la grande duchesse Olga doit se trouver la semaine prochaine, mais l’idée des embarras & de la fatigue m'a tenu éveillée toute la nuit, et j’y renonce. Je ne veux que du repos, pas de tracas pas de mouvement, j’en ai eu assez.
Le duc de Parme est bien content. Il a reçu hier la nouvelle qu'on lui rend tous ses biens en Espagne. Le voyage de la reine d'Angleterre à Ostende pique ma curiosité rien que pour savoir si Palmerston l’accompagne ou non. S’il n’en est pas, l’injure est grosse. Savez-vous que j’admire beaucoup le discours du Président à Lyon ? Chaque fois qu’il parle il y a de l’inattendu dans ses paroles. Ceci est frappant. On dit ici que la grande duchesse Stéphanie & Thiers iront le saluer à Strasbourg. Je n’entends plus parler de Wiesbade. Sans doute on lèvera le camp dans peu de jours. Le comte Nesselrode a passé quelques jours à Stuttgart. Il a un peu blâmé Wiesbaden. Il trouve que le fracas n’est jamais utile, mais c’est très Français de faire du fracas. Rappelez-moi au chancelier et à Mad. de Boigne. Adieu. Adieu.
J’espère qu'il n’est plus question de maux d’entrailles.
Schlagenbad, Lundi 19 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Et hier encore pas de lettres ! Cela n’est pas juste. Hier une estafette de la grande duchesse pour me supplier de venir à Ems où elle ne passe que 3 jours, & hier soir pendant mon thé avec le duc de Parme & la Princesse Grasalcovytch un aide de camps du duc de Nassau venant me répéter l’invitation d'aller à Ems aujourd’hui pour le cas où la lettre et l'estafette ne seraient pas arrivés. J’ai accueilli cela avec un grand éclat de rire moi, faire cette escapade comme si j’étais un officier bien leste. Je viens à mon tour d'envoyer une estafette à la grande Duchesse. Je lui explique que c’est impossible. Elle passe à Bierich après demain, je lui demande là un rendez-vous. Et elle l’accorde c’est bien, si elle se fâche je me console. La duchesse de Noailles est venu hier ici avec son mari évidement pour m'obliger à lui faire visite. Je la ferai aujourd’hui, j’aime expédier les choses vite.
Vous voyez que je suis dans les aventures, mais je trouve détestable de n’avoir pas eu de lettre de vous. Le duc de Noailles va demain à [Kreuznach]. On attend aujourd’hui 380 Français de plus à Wiesbaden des ouvriers entre autres. Quelques centaines de personnes. sont déjà réparties. Il n'y reste plus que 4 représentants. Adieu. Adieu, toujours mauvais temps, & moi assez mauvaise santé. Je crois Schlangenbad trop humide pour moi. Ce ne sera plus long. Adieu.
Schlagenbad, Lundi 26 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je me décide à aller à Bade. Adressez-moi vos lettres là, grand duché de Bade. C'est plus correct & peut être c’est plus amusant que de me morfondre déjà à Paris. Il est vrai que j’y perds la société du duc de Noailles pour mon retour. J’en trouverai peut être une autre. Je ne sais rien vous dire, pas un chat, pas une lettre. Je ne resterai certainement à Bade que jusqu'au 4. Mais j’aurai le temps d'y recevoir deux ou trois lettres car là elles arrivent vite. Adieu. Adieu.
Schlagenbad, Lundi 26 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je reçois de Fleichmann de si mauvais renseignements sur les chemins de fer, que je renonce à Bade, & je pars demain pour Paris. C’est donc là que vous continuerez à m’adresser vos lettres. La paix est à peu près faite entre Vienne & Berlin, mon Empereur a arrangé cela. L'Autriche a fait des concessions. C'est Constantin qui me mande cela. Adieu. Adieu. Je porterai ceci à Cologne.
Schlagenbad, Mardi 20 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
À mon retour de Wiesbaden hier j’ai trouvé ici vos deux lettres du 15 & de 16. Je vois que Trouville est noyé comme Schlangenbad. Je vous plains moins que moi ; j'ai besoin de chacun pour les bains chauds, et je prévois que sous le rapport de la santé et de la beauté ce séjour ne m’aura été bon à rien. La grande Duchesse arrive demain à Bierich ou Wiesbaden. Je lui ai écrit, j’attends ce qu’elle m’indiquera mais comme elle ne reste en tout quinze jours, ce sera vite expédié. Et alors comme il ne me reste à prendre que cinq bains. Je ne sais ce que je deviendrai. Il est possible que je m'en retourne à Paris avec le duc de Noailles. Nous verrons encore, vous serez prévenu à temps pour la direction à donner à vos lettres.
J'ai été hier faire visite à la duchesse de Noailles. Il y avait un petit coup monté pour m’en traîner plus loin. Je n'ai pas compris. Il y a eu au moins cinq ou 6 lettres écrites. Imperturbable, j’attendais mon dîner. On s'agitait autour de moi, enfin à 4 heures le comte de Chambord est venu faire visite à la duchesse de Noailles. Il est resté une demi-heure. Eh bien, tandis que le duc de Noailles maudissait le prince, moi je fondais en larmes. Voilà ce qui m’est resté de la vue de ce Prince. Les détails c’est trop long. Envoyez-lui ses ennemis. Quelle expression, quel visage ! Quelle attrape si le bon dieu a fait cette tête là pour rien ! mon émotion m’a étonnée mais c’est comme je vous dis là. Son aplomb, sa grâce sont remarquables. Et si naturel et si gai, et fin, charmant. J’étais si lasse en rentrant que je me suis couchée à 8 heures. J’ai renvoyé le duc de Parme. Molé écrit à son gendre que Salvandy va venir ici. Il le mande aussi que les nouvelles du roi sont bien mauvaises. Wiesbaden finit dans huit jours je crois. Adieu. Adieu. Adieu.
Schlagenbad, Mercredi 21 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Hier en faisant ma promenade vers Biberich je rencontre pédestrement ce bon Fleischmann qui venait de débarquer. Il avait appris que j’étais ici et il arrive du fond de son Wurtemberg pour passer quelques jours avec moi. J'ai été bien touchée de cela. Il est très allemand militaire, nous jaserons. Il est en parfaite dissidence avec son roi.
La grande duchesse Hélène m'écrit pour me dire qu’elle ne s'arrête pas à Biberich, elle va à Wiesbaden visiter le tombeau de sa fille, et repartir de suite pour Bade où elle passera quatre semaines. Je ne la verrai donc pas, ce n’est pas ma faute, à Bade Thiers la divertira. Il y a là, le Roi de Wurtemberg, la Reine de Hollande, la grande duchesse Stéphanie, & la grande duchesse Olga y arrive la semaine prochaine au fond cela me tente un peu, mais je ne me crois pas assez de force pour ce long voyage. Le duc de Parme me fait toutes ses confidences. Ah comme il déteste sa belle fille ! Il ira passer l'hiver à Paris. J'ai eu une longue lettre de Wesenberg pas fort spirituelle, un peu en blâme de tout le monde.
Le temps est très froid, je gèle. La princesse Grassalcovitch croit qu’elle est déjà rajeunie, j'en suis bien aise car cela la fait rester. Le soir on prend le thé chez moi. On c'est elle & le duc de Parme. Adieu. Adieu.
Hier pas de lettres, c'est parce que j'en avais eu deux avant hier. Sottes postes, celles de Nassau. Adieu.
Schlagenbad, Vendredi 23 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le bon Fleichmann m'a quittée hier soir. Excellent homme, mais très [unitaire] beaucoup de détails curieux, très sensé et amusant. Le duc de Noailles me mande que Salvandy arrive Dimanche. Madame de La Ferté aujourd’hui. Tous les jours, foule nouvelle. Hier 60 nouveaux arrivés. Le duc de Noailles retourne à Paris Mardi. Il est très vraisemblable que nous ferons route ensemble. Mais je suis encore un peu flottante pour Bade. Aujourd’hui que j'ai bien dormi le courage me reprend. Mon incertitude me déplait pour vos lettres. Ce qui me paraît le plus sûr et que vous les adressiez à la rue St Florentin. Je donnerai là des directions pour le cas où je ne revienne. pas tout de suite. Voici ce qui est l'alternative. Je pars le 27 avec le duc septembre de Noailles, ou 7 septembre avec Paul Tolstoy dans ce dernier cas j'aurais fait ma [?] sur Bade.
Le temps est affreux toujours, j’ai eu bien du guignon pour ceci. La princesse Grasalcovitz va être ma seule ressource car je crois que le duc de Parme part aujourd’hui. Je suis curieuse de votre opinion sur le discours du Président. Je persiste à le trouver habile. On ne m'en dit rien de Wiesbade. Au reste je n’ai vu personne de là depuis et je n'ai eu qu’un mot insignifiant du duc de Noailles sur ces mouvements. Adieu. Adieu.
je n'ai rien du tout à vous mander de ces montagnes. Adieu.
Schlagenbad, Vendredi 23 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vous me parlez aujourd’hui du discours du Président à Lyon à peu près comment j’en pense. Il est très frappant & original. L'union y a répondu assez habilement. Cela n'empêchera pas que ce discours ne produise beaucoup d'effet, & un effet qui durera. J’ai oublié de vous conter que lorsque le comte de Chambord est arrivé à Cologne, il y a trouvé M. de Larochejacquelin & une cinquantaine de Français. Ils l'ont reçu avec des fanfares de la musique. Le comte de Chambord a dit " vraiment Messieurs nous avons un peu l'air de marchande d’Eau de Cologne ", et il a fait cesser ce bruit, mais comme il a remarqué que cela blessait M. de Larochejaquelin l'impressario il a ajouté " pensons les demains sur le bâteau à vapeur, cela nous fera passer le temps ". Vous voyez là du bon gout & du bon cœur. La lettre de Larochejacquelin montre bien du dépit. Je vous ai dit que c’est Berryer qui gouverne.
Samedi 24 août Le temps est atroce & si froid, qu'il y a vraiment de quoi tomber malade. Aussi je pars, au plus tard Mardi. Le duc de Parme m’a quittée. Des adieux très tendres. Me voilà réduite à cette vieille princesse hargneuse, c’est vraiment trop peu. Je n’en puis plus, il est impossible de s'ennuyer plus complétement que je ne m'ennuie et la pluie et le brouillard et tout cela glacé, & ni cheminés, ni poêles. Ah mon Dieu ! Adieu. Adieu.
Schlangenbad, Dimanche 3 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le temps est superbe, mais ma tête ne va pas bien. C’est long. Voilà huit ou dix jours que je suis comme cela. Savez-vous que c'est cette maudite question d’argent qui m'a mis dans cet état. Cette fameuse lettre de [Coutte]. niant le dépôt m’a été remise au moment où je sortais de mon bain. L'émotion a été grande. Très honteuse je le répète ; mais que faire. Je ne suis pas sublime. Au reste Ellice m'envoie une lettre de [Coutte] bien humble. Mauvaise affaire pour lui, mais sa tête ne lui fait pas mal comme la mienne. La poste n’arrive ici que dans l’après-midi à 4 heures je crois, et quel retard dans ces montagnes. Le facteur vient à pied.
Il y a ici un Ministre du Roi de Prusse M. de Westphalen. Je crois ministre de l’intérieur. Je ferais bien quelqu’avance mais je crois me souvenir qu'il a été question de lui tout dernière ment dans une complication ministérielle, et je ne veux pas me bruler les doigts. Le roi de Prusse sera à Stolzenfels le 16. Je n’espère ici personne, absolument. Cela me serait peut-être égal si je me portais bien.
Lundi 4 août. Un seul mot car je me lève tard j’ai pris médecin, je suis assez misérable. Hier Marion m’est revenue de bonne heure, elle était escorté de Richard Metternich & son cousin, radieuse, heureuse, adorée au Johannisberg, surtout pas le vieux prince. Il vit là une grande gloire. Toutes les puissances se courbent devant lui. Je suis bien aise qu'il ait ces jouissances-là. Adieu, adieu.
Vos lettres seront ma seule société ici. Adieu
Schlangenbad, Dimanche 11 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
8h. du matin
Je suis arrivée hier à 4 heures. J’ai trouvé votre lettre de Bruxelles, très agréable lettre. Je n’en aurai pas à vous écrire de cette façon. La solitude ici est complète, Madame Molorti qui part dans quelques jours, voilà tout ce que je trouve. Je l'ai essayée hier pendant une demi-heure & je suis arrivée au fond. Il n’y a rien. Voilà où j'en suis et où j’en serai.
La princesse de Prusse est retournée à Coblence, c'est là où elle aime à régner. La route d’Ems ici n’est belle que près de Nassau, et puis, près de Schlangenbad le reste est montagneux & aride. Mon appartement est agréable. Tout est riant et charmant excepté le ciel. Il pleut, il ne fait que cela. Ce sera agréable ! Pas une âme. La petite Grasalcovitz ne vient que jeudi. Adieu. Adieu. Voici la poste qui part.
Schlangenbad, Dimanche 17 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je ne fais que dormir, signe certain de bile. Je n’ai pas voulu prendre mon bain aujourd’hui. Je suis découragée. Je crois que je quitterai ceci le 23 ou 24. Mais je ne veux rien décider encore avant d’avoir vu Constantin. Lundi 18. Constantin ne sera ici que le 21. Il va avant voir à Kissingen Prince [Czernichoff] qui est très malade. Toujours je crois que je quitterai ceci le 23 ou 24. J’irai lentement. Il me semble que dès le 20 je ferai bien de vous adresser ma lettre à Paris. Mais après à Londres à qui ?
Léon Faucher qui est à Londres a beaucoup dit à C. Greville pleine assurance de la réélection du Président. Fort préoccupé d'empêcher tout renoncement du côté de l’Elysée ou du [gouvernement], convaincu qu'en se tenant tranquille on arrive. Voulant dépenser 100 millions en ouvrages à Paris. Cela tient le monde en bonne humeur. Granville a mortellement offensé les Ministres français en ne faisant de visite à aucun d'eux. Il a eu grand tort.
Il y a eu un gros orage cette nuit. Hier la journée était charmante. Une troupe de chanteurs Tyroliens nous a donné un charmant concert sur la terrasse. Les auditeurs en groupes en amphithéâtre. C’était un coup d'oeil ravissant mais pas une âme de connaissance. La duchesse de Hamilton a l'air brisé par le chagrin. Sa fille est toujours à Venise avec son amant. Adieu. Adieu. J’attends vos récits de la dernière matinée à Paris. Il me semble que vous êtes assez content. De quoi ? Adieu. Adieu.
Schlangenbad, Jeudi 14 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je viens d'écrire une lettre à L. Aberdeen qui ne lui plaira pas, car je lui dis de bonnes vérités sur sa faiblesse d'avoir permis à Gladstone de lui adresser ces détestables lettres. Vous voyez la joie de L. Palmerston. 8 heures. Voici un mot de vous de Paris, lundi, mais si petit, si court, trop court. J’espère que vous vous serez donné de meilleures proportions le lendemain. Je rentre d'une longue promenade avec la duchesse de Hamilton, personne très digne, très convenable, parlant le Français à merveille, et voilà tout. Les journaux m'apprennent que vous & la Marseillaise avez été très honorés à la distribution des prix. Quel singulier accouplement ! Je suis charmé des succès de Guillaume.
Vendredi 15. Je relis votre billet. Vous trouvez les choses en meillleur train que vous ne croyez. Je suis interrompue par l’arrivée de vos deux lettres perdues 31 & 2. Elles avaient été envoyées à une Princesse de Lieven. Ma nièce à Kreuznach. L'une, elle l’a ouverte. C'est bien égal, c’est une brave femme qui n'y aura pas compris un mot. Je suis ravie d’avoir retrouvé mon bien.
Je me repose ici de Francfort, les deux jours que j’y ai passés m'a vaient vraiment fatiguée, déjà l’idée que je ne m’appartenais pas, que je faisais un peu la volonté d'une autre. Cette idée me chiffonnait. Vous comprenez cela pour moi ? Adieu. Adieu.
Je crois que Constantin sera ici demain ou après- demain. Adieu.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Conditions matérielles de la correspondance, Enfants (Benckendorff), Enfants (Guizot), Femme (portrait), Politique (Angleterre), Politique (France), Portrait, Réception (Guizot), Relation François-Dorothée (Politique), Réseau social et politique, Santé (Dorothée)
Schlangenbad, Jeudi 15 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'avais eu deux lettres hier. Je n’en ai point eu aujourd’hui c’est juste. Je suis mécontente de moi ici. Depuis trois jours un rhumatisme universel, et aujourd’hui par une gaucherie impardonnable le bain, froid, au lieu d’être chaud. J’ai poussé des cris d’horreur, j’ai fait ce que j’ai pu pour me bouillir plus tard mais cela n’a pas réussi. Le temps est affreux, pluie & brouillard.
La princesse Grasalcoviz est venue, elle n'apporte que des belles robes, voilà son contingent. J’ai eu une lettre de Berryer. Il reste à Wiesbaden jusqu'au 20. Il viendra me voir ici ; il voudrait que j’allasse là, je ne le ferai pas. Je ne sais rien. Thiers écrit à la princesse Grasalcoviz pour l'inviter à venir dîner chez lui à Bade. Il y reste jusqu'à la fin de septembre. Elle a la tête tournée de Thiers. Je lui pardonne d’être folle, mais elle est méchante. En y pensant un peu, quel drôle de spectacle que cette réunion de Wiesbaden, d'abord sans doute des intrigues, des querelles à cette cour. Comment Berryer & Larochejacquelin peuvent-ils aller ensemble ensuite, ou plutôt avant, tous ces représentants (on dit qu'il y en a 9 qui font partie de la commission du 25 chargée de veiller à la sûreté de l’état, aux institutions du pays), au lieu de résider à Paris, comme c’est leur devoir, sont là, grossissant la cour du prétendant. C’est fort singulier. Mais la république sera bonne fille, elle n'y fera pas attention, pas comme vous pour Belgraw Square, & certainement ceci est plus gros. Le 16. Triste journée hier. Malade, de la pluie, personne, pas même le duc de Parme, je crois qu'il était à Weisbaden. La princesse Grasalcoviz, Mad. [Malorte] et celle-ci est partie ce matin. Vraie perte pour moi, car elle est vraiment charmante, & m'a beaucoup soignée. Adieu, adieu. J'aurai certainement des visites intéressantes ces jours ci. Adieu.
Schlangenbad, Lundi 4 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Marion est toute éprise du Pce Metternich (à propos et pour ne pas l'oublier il est dans une grande admiration de votre lettre insérée au Journal des Débats & Ass. nationale) Elle a écouté tous ses récits, tous ses raisonnements avec curiosité, intérêt, & esprit. Elle fait sur tout cela de réflexions pleines de justesse. Il me paraît que lui a été très frappé de son mérite à elle. Ils étaient ensemble tout le jour. Se promenant en tête à tête. On allait se coucher, elle restait seule avec un vieux professeur à l'écouter, & discuter avec lui. On adore Marion là. D’abord elle a été revue en reine. Le fils & la fille sur la rive opposée du Rhin à Bingen. La Princesse Metternich sur le rivage au pied du château. Le Prince sur le péron, et des Ambassades ! La Princesse l'a reconduite jusqu’à moitié chemin de ceci. Elle veut venir me voir, & et espérant que j’irai passer quelques jours chez eux. Mais je ne sais pas si bien écouter que Marion. Certainement cette fille a l’esprit mieux fait & plus solide que le mien. Elle cherche et trouve le mérite dans les profondeurs du rabâchage. Je n’aime pas à prendre tant de peine.
Mardi 5. Pas de lettres hier ! Est-ce que ma combinaison Francfort serait mauvaise ? C’est-ce que je vais apprendre aujourd’hui en attendant cela me contrarie vivement. Cela et mon mal de tête qui continue. Rien n'y fait. Mauvaise année. Le temps est charmant, le lieu aussi. Marion aussi. Mais ma tête, j’en perds la tête. Je n’ai pas un correspondant à Paris, il n’y a que vous qui me donniez des nouvelles. La commission de permanence me semble bonne. Adieu. Adieu.
Schlangenbad, Mardi 5 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Jugez mon chagrin ! Encore pas de lettre aujourd’hui. J'écris à Francfort de nouveau. Je ne conçois pas ce que cela veut dire. Il est bien certain que vous m’aurez écrit. Maudites postes. Je n’ai rien, je ne sais rien, & mon mal de tête continue. Vrai supplice.
Mecredi 6 août 7 h. du matin. Ellice est arrivé tard hier soir. Il dort encore je suppose. Je ne l’ai point encore vu : voilà une petite distraction dans ma solitude, & mon absence de lettres. Ma tête va un peu mieux. J’ai pu dormir cette nuit. Et le temps est charmant, mais vos lettres ! J'en ai une d'Aberdeen regrettant la publication de Gladstone, mais craignant que le fond ne soit vrai. Sur le bill Catholique, il prédit des malheurs à l'Angleterre. Quant à la réforme promise par Lord John, elle le renversera, ou le consolidation mais il lui faudra de nouveaux éléments dans son cabinet. Vienne et Londres très mal ensemble. Je vous envoie tout ce qui me revient dans mon trou. Adieu. Adieu.
Aurai-je une lettre aujourd’hui ? Il m’en faut trois. Adieu.
Schlangenbad, Mardi 12 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
La grande duchesse m’a comblée. Mais elle m'a bien fatiguée, aussi. Hier jusqu’à minuit. Ce matin dès huit heures ! Elle est partie à 10 heures pour Bade & moi un quart d’heure après pour revenir ici. Cette petite rencontre s’est passée parfaitement. C’est comme si je ne les avais jamais quittés cela m’a vraiment touchée. Ainsi n’ai-je rien marchandé, & pendant 48 heures je me suis admirablement conduite. Je ne sais comment cela [?] qui se soutenir même un jour de plus.
Je n’ai pas fermé l'oeil la nuit dernière. J’ai été prise du mal de Thiers à la langue, & j'en souffre beaucoup. J'espère me reposer ici. J’en ai bien besoin. Votre petit mot ce matin me donne bien à penser. Une intrigue avec la montagne pour le Prince de Joinville. Il est capable d’accepter ce secours. J'ai bien mauvaise opinion de vos Princes. Je leur souhaite de tout mon cœur d'échouer.
Marion est revenu de Johannisberg toujours chérie là. Elle y a vu Hubner pendant deux jours. Il se rendait à Venise & retourne à Paris pour la fin du mois. Tout le corps diplomatique a été aux fêtes en uniforme. Vraiment on a fait du Lord mais un empereur Nicolas, c'est un peu drôle. Au reste les fêtes ont été superbes, & le ciel s’en est mêlé aussi. Constantin sera probablement ici Samedi ou Dimanche. La duchesse de Hamilton est ici. Je ne sais si ce sera une ressource, j’en doute. Adieu. Adieu. Ma tête est un peu mieux, mais ma langue me fait bien mal. Elle m'empêche de manger. Adieu.
Fini Mercredi 13 août
Schlangenbad, Mardi 13 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Les journaux me paraissent fort occupés des dîners militaires du Président. Vous ne manderez quelque chose de Paris sur ce sujet. Est-ce que je retrouverai la république. J’ai eu un mot de Chreptovitch de Kissingen. Il partait avec son beau père pour Vienne. Il avait été question de lui donner l’initiative de Londres pendant l'absence de Brunnow mais on a trouvé que c’était faire trop d'honneur à l'Angleterre, et afin de faire le contraire on y laissera M. de [Bey], parfaitement bête, chargé de ne rien faire.
4 heures Voici votre lettre du 10. Merci, merci. Constantin me fait un long bulletin de Berlin. Le roi enchanté de votre enchantement de Stalgenfeld. S'il avait su, il vous aurait fait préparer un appartement. Le roi aussi bien que le Prince de Prusse mécontent de la Duchesse d’Orléans. Occupés de l'avenir de la France, écoutant Constantin avec curiosité et de son avis. Le comte de Chambord a passé la journée du 6 à Postdam. Il y a fait une impression très favorable. On l'a traité avec de grands égards. Le roi & son frère avaient [mis] le St Esprit. Périgny en est désolé. L’Empereur va faire un voyage d’inspection à Kiev & & et rejoindra plus tard à Varsovie l’Impératrice qui y va dans trois semaines. Venise est possible pour l'hiver, mais rien n’est décidé.
Le 14. Je vous écris de mon lit. Le temps humide ne me va pas. Je n’ai pas dormi. J'ai des douleurs partout. Quel ennui. Hier Mad. Malorte a été à Wisbaden. Elle a vu le Général de Changarnier et lui a même parlé. Elle est dans l’enthousiasme de sa bonne grâce de son grand air. Il lui a dit à revoir à Paris car tant que je n’y serai pas il n’y aura pas de repos en Europe. C’est gros. Il me semble qu'il a la même confiance que le Président. C’est l'effet qu'il a fait sur Mad. M. C'est une personne très sensée, & je crois à ses impressions. Pour moi, je n’irai pas à Wiesbaden malgré ma curiosité. C’est loin c’est fatigant, & j’ai ici une détestable voiture. Le duc de Parme a passé la soirée chez moi. Il me plonge dans l'Italie. Cela ne m’intéresse pas encore beaucoup. Si je suis réduite à sa société il faudra bien que cela vienne. Adieu. Adieu. Je suis bien contrariée de mon lit.
Schlangenbad, Mardi 19 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Merci de votre très intéressante lettre du 14. Vous me trouverez probablement à Paris à votre retour de Londres. Je crois que j'y serai le 30. Je vous adresserai ma prochaine lettre à Paris. Et puis je n’ai plus votre adresse où allez-vous à Londres ? J'espère que vous aurez songé à me le dire. De Paris adressez-moi une lettre à Bruxelles poste restante, de Londres la première aussi car je resterai certainement un jour à Bruxelles. Ensuite à Paris.
Le temps est bien rafraîchi. Et Schlangenbad alors est détestable. Enfin, c’est bientôt fini. Je partirai sans doute dimanche. Constantin sera ici après-demain.
Quelle joie dans tous les journaux radicaux de ces lettres de Gladstone. Vous devriez bien en faire honte à lord Aberdeen. Moi je lui ai parlé assez durement de cela, un petit mot plus doux de vous ferait bien de l’effet, et vraiment il mérite une leçon. Le Roi de Prusse a passé hier à Mayence le jour de la fête de l’empereur d’Autriche ou plutôt ses 21 ans. Samedi le roi reçoit l'hommage de ses nouveaux sujets de Hohenzollern. Grand speech historique à cette occasion. Adieu. Adieu. Que voulez- vous que je vous dise de ce lieu solitaire ? Pas une âme. Adieu. Adieu.
Schlangenbad, Mardi 19 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
La nouvelle de cet empire est la visite faite hier par le roi de Prusse au Johannisberg. Il s’y est arrêté une demi heure en se rendant de Stolzenfels à Mayence. Je suis charmée que le Prince Metternich ait eu cette petite satisfaction mais voilà le roi aussi compromis que possible vis-à-vis des libéraux. La journée a été bien froide & pluvieuse, je n’ai pu sortir qu’en voiture fermée.
Montebello me mande les couches de sa femme & ses inquiétudes. Vous ne m'en avez rien dit. Peut-être au reste cela s'est-il passé depuis votre départ de Paris. Il a l'air bien tracassé de la santé de sa femme. Le 20. Mauvaise nuit, ma tête, mon estomac, ma langue tout va mal. Triste, voyage.
Ce sera curieux de revoir en son temps les acteurs revenir à Paris, & Changarnier sur tout. Que de pitoyables. manœuvres. Quelle pauvre figure he cults. Je reviens à Aberdeen. Il faut absolument que vous lui fassiez sentir la lourde faute qu'il a commise en permettant à M. Gladstone de lui adresser de pareilles diatribes. C’est vraiment honteux. Il devrait faire quelque chose pour se relever de là. Mais Je me rabache. Adieu. Adieu.
La duchesse de Hamilton femme douce & sensée, connaît beaucoup le Président. Elle parle de lui très bien elle vante son esprit, son bon sens, son bon cœur, bon gout. Elle dit tout cela très simplement. Adieu encore adieu. Je vous écrirai encore demain à Paris. Donnez ordre là où vous envoyer ma lettre. à Londres.
Schlangenbad, Mercredi 6 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Longue promenade avec Ellice à avec et en calèche. Il est allé à Schwalbach avec Marion et me reviendra pour dîner. Il me quitte demain soir. Il trouvera à Londres Duchâtel et de là ils vont le 12 en Écosse. Palmerston a envoyé de nombreux exemplaires des deux lettres de Gladstone à ses missions à l’étranger. Celle de Francfort en a déjà fait d’abondantes distributions.
Jeudi le 7 Enfin une lettre ! Celle du 1er. Le 31 me manque et le 2 aussi qui aurait dû arriver hier. Cela s’arrangera j’espère. Je suis heureuse d'avoir reçu une lettre au moins ma journée s’est bien passée. Un peu de jaserie, beaucoup d’air, mauvais dîner. Le piquet le soir. Ellice est ravi de Schlangenbad, il veut y revenir l’année prochaine, certainement c’est le plus joli site, le plus pittoresque. Je vois par les journaux que la candidature Joinville & le rapprochement des légitimistes de l’Elysée font beau coup de fruit. Comme personne ne m'écrit de Paris, je ne sais jusqu’où cela est vrai. Mad. d’Huilot à qui j'ai parlé à Ems du Prince de Joinville, réponse : cela comme une indignité. Elle affirme que jamais le Prince de Joinville ne se prêterait à cela. Moi, je ne crois pas beaucoup à la dignité de vos Princes. Adieu. Adieu. Vous allez trouver mes lettres bien bêtes.
Schlangenbad, Mercredi 13 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je n'ai jamais entendu dire un mot de l’idée du Roi George IV de rendre la bibliothèque royale à l’Empereur, c'est un conte. Dites cela à M. Croker. À votre question maintenant. C'est l’Assemblée nationale qui a raison. Nous avons écrit à nos représentants en Italie exactement ce que le journal a cité. Je le sais par Bouteneff notre Ministre à Rome à qui j'ai fait lire le journal. À propos il s’abonne, à l’Assemblée nationale je l'ai recommandé à mes autres ministres aussi. Voici ce qui me reste du peu de mots que m’a dit le prince de Prusse de ses conversations à Londres. La Duchesse d’Orléans dit " Henry V doit être rappelé. Nous serions élus. Cela rentre dans le principe de ma maison." " Et voilà entre nous la différence. " Je vous ai dit que la grande Duchesse survenant au milieu de cela, il n’y a plus eu moyen de reprendre & quelques instants après Le Prince voguait sur Cologne.
Ma langue va un peu mieux, mais j’ai un grand échauffement à la tête. C’est ennuyeux de le sentir mal arrangée par ce bout là. J’ai vu la duchesse de Hamilton. Ce sera si non une ressource, du moins quelqu’un. Jeudi matin le 14. Rien à vous dire. J’ai passé une mauvaise nuit. Il y a intermittence. On me conseille la quinine. Je ne me soucie pas de ces conseils là. Dans 10 jours j’aurai fini ceci je suppose, mon voyage n’a pas bien été. Que faire ? Adieu. Adieu. Je suis avide de vos lettres de Paris. Adieu.
Schlangenbad, Mercredi 14 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
2 heures
Je ne me lève que dans ce moment. Le fils du duc de Noailles est venu me voir de Weisbaden. J'ai été obligé de le recevoir quoique dans mon lit. Il m'apportait une lettre de son père d'Aix en Savoie, qui s'annonce pour ce soir à Weisbaden. Il veut savoir où je suis. C’est très commode, je suis tout près. Le comte de Chambord a témoigné une grande joie quand il apprit hier que le duc de Noailles arrivait. Jules a été trouvé le prince à Cologne, il l'a vu arriver avec Berryer et autre qui s'étaient portés à sa rencontre à Hanovre. A Cologne il a simplement passé la nuit. Tous les Français ont fait la navigation du Rhin avec lui, à Weisbaden ils ont trouvé beaucoup d’arrivés de Paris. 9 ou 14 représentants (l'un ou l’autre chiffre j’ai oubliée) et entre autres Benoist d'Azy et quelques autres qui sont de la commission de permanence tous ravis du comte de Chambord. On dit une tête remarquable avec beaucoup de vivacité dans le regard, et une manière digne et charmante. Hier on lui a présenté M. Vezin représentant orléaniste je crois. Il accueille tout le monde avec beaucoup de bonne grâce. Tous les jours 20 personnes à sa table, la maison bien montée. Tous les deux jours soirée. Hier une centaine de personnes. Des dames. La duchesse de Noailles arrivée aussi avec son mari. Tout cela va faire bien du bruit. Probablement de la fumée. Berryer reste là encore. Le prince s’occupe tout le jour. Il n’est encore sorti qu’une fois pour se promener. Il a sa livrée et cela a bon air.
Voilà mes nouvelles de la ville voisine. J'ai bien peur que le duc de Parme ne m'ennuie. Il a l’air parfaitement heureux. de venir chez moi le soir. Il est très intime. Il ne manque pas d'esprit, mais il est un peu bruyant. Décidément je n’irai pas à Weisbaden, ma curiosité ne pourrait être satisfaite qu’en faisant savoir au comte de Chambord que je suis curieuse de lui, et cela je ne le ferai pas. On ne le rencontre pas à la promenade, ainsi je me passerai de le voir. Le 15. Vite je finis. Je me suis levée tard, je ne suis pas bien pardon pardon. J’ai eu deux lettres hier 11 et 12. J’ai peur de n’avoir rien aujourd'hui
Schlangenbad, Mercredi 20 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Mes journées sont si monotones qu’il n’y a vraiment pas de quoi remplir trois lignes. J'ai eu une lettre d’Alexandre aujourd’hui. Il a demandé son passeport. Il ne doute pas qu’on ne le lui accorde vu l’état de sa santé. S' il y a quelque anicroche il s’adressera au Comte Nesselrode. Si cela n’allait pas, je serais la dernière instance, mais je crois que nous n'aurons pas besoin de tout cela.
Le 21. Vous devez avoir reçu toutes mes lettres et entre autres celle où je vous redisais les quelques paroles de la D. d’Orléans au Prince de Prusse. C'est absolument tout ce qu’il a eu le temps de me dire. Constantin est arrivé à Francfort. Il a perdu sa malle sur les chemins de fer, cela le retarde, mais il viendra ce soir tard. Adieu. Adieu. Car il n’y a pas un mot à vous dire. Mon médecin a mis tout Schlangenbad hier en émoi. Il a donné un bal. On n'a jamais vu de bal dans ces montagnes. Il est pour mourir de rire. C’est notre seul amusement à Marion & moi. Adieu.
Schlangenbad, Samedi 2 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
On m'emballe, et pendant ce temps je vous écris un mot. La comtesse Chreptovitz est arrivée de Londres hier. Elle me raconte à propos du nouvel oukaze pour les passeports, que Nesselrode & Orloff l'ont appris en même temps que le public. L’Empereur l'a fait promulguer d'une manière soudaine, ses ministres l’ignoraient. L’étonnement & le mécontentement ont été grands. J'essaye avec les Chreptovitz de parer le coup qui attend peut être mon pauvre Alexandre. si on lui refuse de sortir du pays, quelle triste affaire. On vient de refuser à une de ses cousines aussi une sœur du petit cousin.
J'ai eu la migraine hier tout le jour, & tout le monde est venu, beaucoup de monde. Je me suis couchée de très bonne heure. J’espère aller mieux à Schlangenbad. Je vous quitte. Adieu. Adieu.
Schlangenbad, Samedi 16 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Schlangenbad le 16 août 1851
Enfin une lettre, celle de mardi mais pourquoi suis-je arriérée d'un jour ? Cela vous n'y pouvez pas répondre. Ah les maudites postes. On me mande de Londres que le duc de Wellington est menacé d'un procès très ridicule a breach of promise of marriage. De la part de Lady Georgia Fane, soeur de Lord Westmorland. Elle a 1600 lettres du Duc, [?] brutales, un peu de tout. Elle les a livrées à son avocat. Elle veut plaider, & obtenir dommages & intérêts, ou le mariage. Cela fait beaucoup de bruit, et certainement le ridicule est grand à 83 ans ! Ellice et C. Greville me mandent cela tous les deux.Dimanche 17 Certainement l’Ems de cette année m’a été mauvais. Je ne me remets pas de l’effet des eaux, la tête, la langue, le palais, tout est en souffrance, et les forces s’en vont. Voilà une belle équipée. Quel dommage ! Je n’ai rien à vous dire du tout. Je ne vois que la duchesse de Hamilton et je regrette la Princesse Grasalcoviz. Marion est une grande ressource. Demain probablement. Je vous donnerai une autre indication d’adresse. J’attends Constantin. Adieu. Adieu.
Schlangenbad, Samedi 17 août 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai eu hier la visite du duc de Noailles & de M. Berryer. Ils sont venus à 3 h. & m'ont quitté à 7. Le duc de Noailles. est dans le ravissement, du comte de Chambord, il ne le connaissait pas. C'est de l’enthousiasme qu'il inspire d'abord, par sa superbe figure, à la fois de la grandeur, de la vivacité marquée par le bonheur. Ensuite sa conversation excellente, pleine de sens, de tact, voyant les choses par les côtés vrais et pratiques. Le fond parfait, susceptible de développement, mais dés à présent de l’autorité, une autorité naturelle simple. Noailles en est enchanté. Berryer bien content aussi. Il avait fait venir celui-ci à Hanovre en même temps que le M. de la Ferté (gendre de Molé) & Fernand de La Ferronnays. Ces deux-ci font chez lui le service de chambellan. Tous les trois demeurent chez lui & font partie, de sa suite, à tel point que Berryer a dû demander hier au prince la permission de venir me faire visite. Il y avait avant hier trente représentants à la soirée du comte de Chambord. Sur ceux-là 9 sont de la commission, je ne me suis rappelé que les noms de Benoist d’Azy, [Watis], [?] & Renneville. M. de Neuville gendre de M. de Villèle est là aussi et partageant l'enthousiasme général.
Larochejaquelin est parti avant hier sans dire adieu, mécontent de ce que le comte de Chambord aie donné toute sa confiance à Berryer. Quand on a annoncé hier matin son départ, le comte de Chambord a dit " j'en suis plus fâché pour lui que pour moi." Ce même jour il s'apprêtait à lui faire une forte réprimande. Il lui déplait fort de voir la discussion dans le camps de ses fidèles, et il exprime à toute occasion sa ferme volonté qu’on se conduise autrement à l’avenir. L’esprit le plus conciliant le plus patient, & le plus confiant dans l’avenir. On dit qu'il est impossible en le voyant de ne pas s’en croire certain comme lui. Une heureuse physionomie. La plus grande aisance, tenant son salon comme s'il était Roi depuis dix ans. Sa journée commence à huit heures. Depuis ce moment jusqu’à 5 heures, une audience après l’autre. Sans un instant d'intervalle, à 5 dîners de 20 couverts. Il ne se promène qu’après 7 heures jusqu’à 8, en rentrant réunion chez lui jusqu'à 10. Les dames tous les deux jours. Voilà le récit.
Berryer retourne à Paris le 22 je crois. Le duc de Noailles. restera peut être un peu plus longtemps. Le comte de Chambord part à la fin du mois. Ces Messieurs avaient ouï dire que la Grand duchesse Hélène venait à Wiesbaden tout de suite. Je m'en vais m’en informer, si cela était je serais dispensée d d'Ems. et j’irais la trouver à Wiesbaden. Mais je doute que cela soit ainsi. Mon rhumatisme va mieux mais le temps reste mauvais. On dit qu’on ne voit que des Français à Wiesbaden c’est bien autre chose que Belgrave square. Mad. Alexandre Girardin y est aussi. Adieu. Adieu.
On tient à Wiesbaden les meilleurs propos sur la famille d’Orléans.
Mots-clés : Politique (France), Portrait, Réseau social et politique, Salon, Santé (Dorothée)
Schlangenbad, Samedi 23 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre du 17 me prescrit de continuer à vous adresser les miennes au Val Richer. C’est drôle. Certainement vous ne recevrez plus celle-ci à Londres, & je ne vous écris que par obéissance. Constantin est arrivé il ne me dit rien de nouveau mais bien des détails. Aujour d’hui je vais avec lui dîner au Johannisberg. Ensuite coucher à Bibérich. Demain je m'embarque pour aller coucher à Cologne, de là vous savez. Cela me ramène à Paris bien plutôt que je ne voulais surtout par ce beau temps mais je suis tracassée de ma santé. Ma langue, ma tête. Il faut aller consulter mieux que Kolb. Adieu. Adieu.
Cette lettre ne vous arrivera jamais. Quelle idée de ne pas laisser vos ordres au moins à Paris.
Schlangenbad, Vendredi 8 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je pense bien à la désagréable. situation que vous fait cette sotte conduite de Claremont. Evidemment la fusion qui devrait être le salut de la France en sera le fléau. c.a.d. que la division éclatant chaque pas, il faudra bien deux bannières. Eh bien ce qu’il y a de mieux à faire, c'est de ne s'en plus mêler. Vous irez à Claremont pour la messe funèbre, dites-là la vérité pour la dernière fois, & souhaitez leur le bonjour. Et puis restez tranquille. Qu'ils fassent leurs affaires à leur façon cela ne peut pas être la vôtre. J’espère que la France restera comme elle est plutôt que de retomber aux mains de ces Princes gamins. Je suis convaincue que tel est aussi le sentiment de l’Europe. C’est toujours la lettre de Duchâtel qui m'a mis dans ce train là, car hélas vos lettres il y a bien longtemps que je ne les connais plus. Je suis impatiente d’arriver à Francfort pour tout vérifier.
7 heures. Voici enfin deux lettres le 3 et 4. Le 31 juillet & le 2 août me manquent. Où sont elles ? Vous serez donc à Paris après-demain, & lundi & Mardi. Sans moi, je ne le comprends pas. Arrangez votre course à Londres de façon à être à Paris le 2 ou le 3 septembre j'y serai certainement alors. Vous donneriez bien quelques jours à l'exposition. Ou bien voulez-vous que je revienne plus tôt ? Je puis abréger. J’attends Constantin après le 20. Ici ou autre part. Le 9 samedi. Vraiment je suis toute malade, ma pauvre tête, je ne sais qu'en faire. Je viens de prendre une médecine il fallait me donner cela plutôt. A 4 heures je vais à Francfort mauvaise condition pour reprendre mon rôle de courtisan. Adieu. Adieu.
Vous me direz des nouvelles de Paris. Adieu.
Schlangenbad, Vendredi 8 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Ah la vilaine chose que l'absence & les postes allemandes. Rien, rien de vous hier. Je crois vraiment qu'on me vole vos lettres pour les garder et les publier un jour. Je fais du fracas à droite et à gauche. Enfin je vais demain moi-même à Francfort. Voyons comment cela me réussira. Tous les Metternich jeunes sont venus ici voir Marion. On ne parle que des inondations. Le Rhin a quadruplé. Le soir je m'en suis assurée, moi-même en conduisant Ellice jusqu’à Biberich où il a dû s'embarquer ce matin. A Bade il y a eu des dégâts effroyables. Le chemin de fer coupé. Les ponts emportés.
Duchâtel m'écrit de Paris. Il trouve tout bien gâté. Votre prince de Joinville a fait de la belle besogne et Changarnier aussi. Enfin si tout cela tourne au profit de la réélection du président je n’en serai pas fâchée. On serait bien avec une tête comme Joinville !!
La mienne me fait toujours mal, mais elle ne me fait pas faire de sottises encore. Adieu. Adieu. Constantin m'écrit qu'il a grand peur qu'on ne donne pas de passeport à mon pauvre Alexandre. Quelle tristesse cela va lui faire. Je suis bien troublée de cela. Je cherche le moyen de lui être utile. Adieu.
Schlangenbad, Vendredi 15 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je commence par vous quereller. Je remarque que vous ne m'avez pas écrit du tout dimanche le 10. Pourquoi ? J'aurai fait pendant mon voyage une nouvelle connaissance importante, Mirabeau ah qu'il a d'esprit ! Et quel courage, quelle confiance en lui-même, quelle énergie, quelle puissance de volonté. Un homme comme celui-là aujourd’hui ! Que cela ferait de bien ! Il y a des lettres de lui merveilleuses, vraiment je vous remercie de m’avoir donné cette lecture. Je vous la rapporte en bon état.
7 heures Voilà qui est trop fort. Après m’avoir planté là le dimanche & donné quatre lignes seulement. Lundi vous ne me dites rien du tout. Mardi. Pas de lettres. Et j’en attendais une très intéressante. Les dissipations de Paris font que je vous passe du souvenir. J’étais bien fatiguée, bien harassée à Francfort je vous écrivais tout de même.
Samedi 16 Je ne me console pas de n’avoir pas eu de lettre, & j’allais dire, je ne pardonne pas. Voyons aujourd’hui mais il faut attendre jusqu'à 4 h. Et il est huit heures ! Pas une âme hier. Je me partage entre la promenade, les journaux & Mirabeau. Ce soir un peu de piquet avec Marion & mon lit à 9 heures. Et incendie aux Invalides tous les drapeaux brûlés. Sébastiani ne valait pas cela. Adieu. Adieu.
Ma tête & ma bouche vont toujours mal, je ne sais ce que c’est.
Trouville, Dimanche 18 août 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous avez dû bien rire, en effet, vous et le duc de Parme, au moment et après. Vous avez du bonheur, dans vos aventures. C'est juste.
Je dîne aujourd’hui chez Madame de Boigne. Je la divertirai, elle et le Chancelier de votre récit. Il ne se passe rien de si amusant à Trouville. J’ai été hier passer trois quarts d'heure au salon, pour un concert de charité. Un chanteur célèbre, dit-on, et dont je ne savais pas le nom a chanté, pour me faire plaisir le non pui andrai de Mozart, et quelques boléros espagnols. Il s’appelle M. Geraldy. Pas plus de personnes de connaissance qu’il y a huit jours. Beaucoup de gens évidemment riches et fort en train de vivre. Une société inconnue pullule autour de nous. Peu spirituelle, peu honnête, peu fière mais puissante par le nombre et le mouvement. Que d'efforts, et de mal et de temps il faudra pour la faire rentrer dans les bonnes règles, si elle y rentre ! Quelle produise du moins ses propres chefs, des hommes à elle, capables de la conduire. Jusqu'ici elle est aussi stérile que forte.
Le voyage du Président tourne à un assez grand effet. On m’a toujours dit que Lyon serait le lieu de son plus brillant triomphe, malgré les efforts contraires. Je ne vois encore de clair que ce résultat ci, un coup de fouet donné à tous les partis, un accès de fièvre au milieu de l’apathie générale. Les Conseils généraux, qui vont se réunir dans le feu de ce mouvement en seront peut-être un peu excités. Cependant ce qui me revient de ceux de la Normandie n’annonce pas grande ardeur. Ils se disposent à demander la révision de la constitution, sans s'expliquer sur la prolongation des pouvoirs du Président. Ce n’est pas la peine. Wiesbaden et Lyon en même temps. Si bizarre spectacle !
Une personne d’esprit m'écrit : " Rien n'empêchera que le public ne répète et ne croie que vous avez vu le comte de Chambord. Je sais des gens que cette idée console fort. " Ils sont bien bons. Peu m'importe du reste, J'ai besoin que dix ou douze personnes sachent positivement ce qui en est et elles le savent. Le surplus m'est, et est réellement indifférent.
Voici qui est bien loin de Wiesbaden. Notre consul en Californie homme intelligent, m’écrit de Panama, après avoir traversé les Etats-Unis : " M. Bulwer a gagné beaucoup de terrain à Washington. Avec son esprit et ses bons dîners, il mène le sénat. Il serait difficile de placer maintenant les relations entre la France et les Etats-Unis sur l'ancienne base d’une hostilité commune ou d'une méfiance commune à l'égard de l'Angleterre. Personne en Amérique ne croit à la république française. C'est, aux yeux des démocrates comme des Whigs, une expérience faite et manquée. Les Américains se sont sentis humiliés des hommes qu'on leur a envoyés. "
Midi.
Moi aussi, je suis bien contrarié de votre lit. C’est bien dommage que je ne sois pas là, nous nous soignerions mutuellement, car je ne suis pas non plus tout-à-fait en bon état. L'humidité paraît vouloir cesser ici. Adieu Adieu. Lisez dans la Revue des deux mondes (15 août) un article intéressant sur la première campagne du Maréchal Radetzki Adieu. G.
Trouville, Dimanche 23 juin 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi
Je passe la journée ici. Je retourne au Val Richer demain matin. Le temps est admirable. Je viens de me promener, une heure au bord de la mer. Vous trouveriez Trouville embelli, et plusieurs bonnes maisons de plus. Mad. de Boigne est arrivée ; elle est venue hier voir mes filles. J’irai la voir tout à l'heure. Le chancelier arrive mardi. Peu de monde encore du reste. On dit qu’il y en aura beaucoup. Votre dernière lettre à St Léonard (du 18 ) est venue me rejoindre ici ce matin. Je compte en trouver une demain en arrivant au Val Richer. Je n’ai rien à vous dire aujourd’hui sinon que je suis venu de Paris au Havre sans ouvrir la bouche. A qui et pourquoi aurais-je parlé ? Je serai très impatient des nouvelles de demain lundi ; plus de celles de Londres que de celles de Paris. Pourtant si les trois millions étaient rejetés, ce serait un plus gros événement, et qui aurait des conséquences plus graves que la prolongation de la vie maladive de Lord Palmerston. Je ne crois pas à ce rejet. Et je suis très curieux de savoir ce que fera Peel dans le Débat des Communes. Adieu, adieu.
Jeudi et vendredi ont été deux jours charmants. Adieu. G.
Trouville, Jeudi 15 août 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai passé hier au Val Richer où j’avais des papiers à prendre. Je suis ici jusqu’au 28 ou 30 août. Je serai bien aise d'être rétabli au Val Richer. Quand je ne suis pas avec vous, je ne me trouve bien que chez moi. Je ne suis pourtant pas mal accommodé à Trouville. J’ai un assez bon cabinet, et une petite chambre où presque rien, ne me manque du comfort devenu presque nécessaire. C’est beaucoup à Trouville, encombré de monde et dans une maison que mes enfants et leurs deux familles remplissent jusqu'au toit.
Bien peu de monde du reste qui vous convînt. Toujours le chancelier et Mad. de Boigne Dumon qui m'attendait et que j'ai vu hier mais qui va repartir Quelques Delessert que vous ne connaissez pas. Hors de là personne de notre société et même à ce que disent mes enfants, un peu de mauvaise compagnie. Dumon ne m’a rien appris. Il venait de lire une lettre de M. Molé, triste et découragé. Triste pour lui-même ; il s’aperçoit de son peu d'influence. Son été de la Saint Martin est passé. Personne ne fait plus guère attention à ce qu’il dit et à ce qu’il fait. Sans parler de ses peines de coeur dont il ne parme qu'à Mad. Kalerdgi et dont il ne lui parle même plus. Je doute de cela. Je parierais qu’il y est retourné. Il est en fait de fierté comme pour tout le reste, tout apparence, rien au fond. Le Duc de Broglie toujours aussi noir et sans avenir que jamais. Changarnier de mauvaise humeur et impatient. Un homme d’action qui ne fait rien, c’est une situation difficile à prolonger. Il est d’une commission de l'assemblée qui prépare une loi bonne, dit-on, sur le recrutement et l’organisation de l’armée. Lamoricière qui en est aussi y fait meilleure mine et y a plus d'influence que lui. Lamoricière a des idées à tort et à travers, et parle bien. Changarnier se déplait là. Ceci inquiète quelques personnes. Je vous ai redit tout Dumon. Je vous quitte pour aller faire ma toilette. La poste arrive ici à 10 heures et part à 2 heures. C'est mieux arrangé qu’à Ems.
Midi
Je reçois votre dernière lettre d’Ems et la première de Schlangenbad. Si Schlangenbad vous engraisse c'est bien ; mais je crains pour vous cette complète solitude. La Princesse de Prusse aurait mieux fait de rester. Si vous retournez à Ems comme vous en aviez le projet, pour voir la grande Duchesse, soyez assez bonne pour m'acheter deux garnitures de boutons de gilet, en pierres du Rhin, comme celle que vous m'avez choisie pour Guillaume. Huit boutons pour chaque garniture ; cela coûte 8 francs. C’est pour mes deux gendres. Les cailloux du Rhin ont été trouvés très jolis.
Le Journal des Débats donne bien des pièces de votre cour. Il les tient de la bonne source. Je suis bien aise que tous ces documents soient publiés. Il vous font honneur. Les pièces venues de Pétersbourg sont mieux rédigées que celles de Brünnow. Adieu. Adieu. Je regarde un peu à ces récits du voyage, du Président. Je vous en dirai mon impression. Adieu adieu. G.
Trouville, Jeudi 22 août 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous rendez compte dans la perfection. Reste à mettre à sa juste valeur l'impression et le dire de vos deux interlocuteurs, vous feriez cela à merveille aussi. Si vous aviez vu vous-même. Pourvu que vous laissassiez aussi à votre propre impression le temps de s'apaiser et de le juger. En tout cas, ce que vous me redites est très curieux et très important. Et il y a au bout des paroles, un fait très significatif, l’attitude prise envers. M. de la Rochejaquelein. Le jour où les hommes sérieux et sensés dirigeront au lieu de suivre, le parti sera un parti politique. Cela lui a manqué jusqu'ici. Strasbourg et Wiesbaden, la rive gauche et la rive droite, étrange spectacle ! J'attends avec curiosité des détails sur le Président à Strasbourg. Je les aurai ce matin. Il ne me paraît pas que Besançon, ait été merveilleux. Je suis frappé de ce bal où le Président s’est vu obligé d'aller et dont il s’est hâté de sortir. M. de Montalembert devrait régner à Besançon.
J’ai fait hier ma course chez Mad. Denois par une tempête de pluie, en allant et une tempête de vent en revenant. Ce que c’est que d'avoir promis. Je ne puis souffrir de faire manquer ce que les gens ont pris peine à arranger. C’est un très joli cottage dans un joli pays un peu sauvage. De bons conforts et de beaux tableaux au au milieu des bois et au bord de la mer. J’ai assez conservé la faculté de prendre intérêt quand j'y suis, aux choses dont je ne me soucie pas du tout quand je n’y suis pas. Wiesbaden est très populaire dans cette maison-là. Ce qui n'empêche pas le Président d'y être populaire aussi. On voudrait bien l'avenir qui plaît mais à condition de ne rien risquer dans le présent.
Midi
Je ne m'étonne pas que Duchâtel n’eût rien à vous dire. Il paraît que Creuznach est un vrai trou. Thiers à Bade, Duchâtel à Creuznach pendant que le comte de Chambord est à Wiesbaden, et personne ne leur en demande raison. M. Royer Collard redirait bien encore : " pour M Guizot, on ne lui passe rien. " J’avais raison sur Besançon. Evidemment le Président n'y a pas été bien reçu, s’il ne l'est pas bien à Strasbourg, le voyage sera médiocre. On comptait beaucoup sur la Lorraine et la Champagne, Nancy, Metz, Châlon, Reims. Nous verrons. Ici c'est-à-dire à Cherbourg, il n’aura ni désagrément, ni grand agrément. On l’y attend le 4 ou le 6 septembre.
M. de Daunant m'écrit des Pyrénées où, il se promène depuis six semaines, qu’il n’y trouve pas l'ombre d'un rouge ou d’un socialiste. Rien d’ailleurs dans les journaux. Est-il vrai que Radowitz tombe tout-à-fait ? Adieu, Adieu.
Je voudrais, pour votre plaisir, que vous rencontrassiez votre grande Duchesse. Elle vous intéresserait quelques heures. Adieu. G.
Trouville, Lundi 24 juin 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je pars tout à l'heure ; mais je crains de trouver le facteur parti quand j’arriverai au Val-Richer. Deux lignes donc d’ici. Pour ne vous rien dire du tout, car je n’ai pas entendu depuis deux jours une parole à redire ; quoique j'aie vu deux fois hier Mad. de Boigne. Bien fusionniste, pourvu que la fusion ne soit pas une cause de secousses, car le repos avant tout. Je trouve dans le journal l'Opinion publique que mon gendre reçoit une lettre de Claremont. empruntée à l'Univers, qui est assez piquante sur Thiers. Faites vous lire cela. C'est curieux comme la vérité perce vite, confusément, mêlée de mensonge ; mais elle perce. Ce temps-ci est fait pour le malheur des finesses et des situations doubles. La finesse n'est plus possible qu'aux esprits assez grands pour savoir s’en passer. Adieu, Adieu. Je rentrerai aujourd’hui en possession de notre correspon dance. Quel dommage que vous n’ayez pas été à Trouville hier et aujourd’hui ! Ciel et temps et mer sont charmants. Adieu. G.
Trouville, Lundi 26 août 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je vous ai dit, il y a déjà bien des jours, que je retournai au Val Richer demain mardi 27. J'espère que vous aurez pensé, depuis deux jours, à m'adresser à vos lettres. Je laisserai ici des instructions pour qu'on me renvoie sur le champ celles qui arriveraient encore. Mais j’aimerais bien à ne pas éprouver de retard.
Le Chancelier m'apporte toutes ses nouvelles. Pas grand chose ; mais il est plein de soin. Barthe va ces jours-ci à Claremont. Son langage n’y sera pas tout-à-fait sans valeur. Le Roi le regarde comme très sincère et bien à lui. Les nouvelles du Roi sont toujours mauvaises.
Voici ce que m’écrit de Colmar un ancien magistrat, homme d’esprit : " Nos tribuns ont mal accueilli notre Imperator. Il s’était hâté de quitter Mulhouse où les ouvriers le regardaient de travers. Cela fait qu’il est arrivé à Colmar plutôt qu'on ne l'attendait. Là, trois officiers de garde nationale, avec lesquels Flocon avait fraternisé, il y a trois jours, ont crié à tue tête avec leurs compagnies : Vive la République toute seule ! Cela a fait au Président un assez long charivari. Il en a eu de l'humeur et n'est pas allé au bal. On le dit fort mécontent. L’absence n’est plus que la patrie d'Emile Girardin. Tel n'est pas cependant l’esprit général, et si un libre scrutin pouvait s'ouvrir, la Monarchie mettrait la république à l'abri du danger de l'Empire. " J’ai vu hier des gens qui craignent un peu que ces explosions démagogiques n'intimident le président, et ne le poussent à se reporter vers le tiers parti républicain, Dufaure, Gustave de Beaumont &, pour apaiser un peu l'hostilité. Cela ne serait grave que si cela se faisait au moment des élections.
Midi
Merci de votre rapport sur Fleischmann. Je vous en ai parlé hier. Maintenant il est indispensable de savoir ce qu'aura le fils en se mariant, et ce qu’il peut espérer un jour. La Dame n’est pas du tout laide ; au contraire, plutôt bien ; grande, belle taille, l’air noble, blonde, du yeux bleus grands et doux : beaucoup de sens, un bon caractère, entendue et économe. Dix mille livres de rente, bien à elle, en se mariant, en fonds Hollandais, français et belges et cinq ou six mille livres de rente bien assurées. Je viens de passer quelque temps avec elle. J'en pense vraiment très bien. Le coeur très fier ; elle voudra connaître un peu elle-même avant de rien dire.
Vous aurez vu que le discours du Président à Lyon m’avait frappée comme vous. Il est bien rare que nous ne soyons pas instinctivement du même avis. Le discours à Strasbourg aussi est assez bon. Par contre, j'ai beaucoup causé hier du Président avec un homme d’esprit qui l’a beaucoup vu, et qui en pense très médiocrement.
Décidément Palmerston n'a pas accompagné la Reine à Ostende. La grosse injure est acquise. D’autant plus qu'elle a emmené Baring. Je ferai ce matin votre commission à Mad. de Boigne, et au Chancelier. Adieu. Adieu.
Je vous écrirai encore d’ici demain. Je ne pars qu'à 2 heures pour aller dîner au Val Richer. Adieu.
Ce pays-ci n’est plein que de l'escadre de Cherbourg. On ne pense pas à autre chose. Tout le monde y va. Plus moyen de se loger à Cherbourg. On se loge dans les villes environnantes, à Valogne, St Lô, à plusieurs lieues de distance. Tout le yacht club anglais s'y rend, 80 yachts, dit-on. Je saurai bien comment les choses s’y passeront, M. de Witt, va s’y promener. Adieu, Adieu. G.
Trouville, Mardi 20 août 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
J'ai bien des lettres d'Angleterre. Je commence par la plus intéressante. Lord Aberdeen m'écrit de Haddo. "I have still no distinct view of the manner in which parties will be permanently affected by this deplorable loss. With more friendly personal feelings towards each other. I see no rent approxi mation in the different sections of the conservative body. Many look to me as the means of effecting this union, from my good with towards all and the absence of any extreme opinions on those subjects, by which they are divided. But the difficulty would be enormous, and probably insur. mountable. I must confess also that, although by no means insensible to the blessedness of hte peace makers, I feel no great disposition for a work requiring so much exertion and the result of which is so doubtful."
Ne trouvez-vous pas qu’il ne nous en a jamais tant dit sur son rôle possible, ni si clairement fait entrevoir sa disposition à l'accepter ? Il continue : " you will have seen, if you follow the proceedings of the house of Commons that our Ministers have recently been roughly handled both by friends anr enemies. Indeed, their position is pitiable enough ; and in spite of the difficulty of finding any one to replace them, it seems to be generally thought that their existence cannot be much prolonged. At any other time, they could not have stood for an hour ; but under present circumstances, I will not undertake to say what may be their fate."
" We shall have the Queen in Scotland the end of this month ; and I believe her stay will be longer than usual. She will be accompanied by Sir George Grey, who is deservedly the most agreeable to her of all her servants : but I suppose that he will be relieved in good time by Lord John. "
Voici un autre son d’une autre cloche. Mr Reeve a passé à Paris allant en Suisse ; il a déposé chez moi ce qu’il m’apportait et il m'a écrit : " Je n’ai qu'une chose à vous dire de quelque importance ; c’est que tout indique un changement sérieux et radical dans la conduite politique de Lord Palmerston. Il a rompu avec la Prusse et dit pis que pendre de Bunsen, et il a donné en haut lieu les assurances les plus formelles d'une modification sérieuse. Il n’y attache pas une foi sans bornes ; mais il faut accepter avec empressement toute velléité de mieux faire. " Ceci signifie à mon avis, qu'on est bien aise de nous faire parvenir à vous et à moi, cette déclaration, pour nous amadouer un peu. Et Charles Greville est, vous le savez, un truchement universel. Reeve me dit qu’il viendra me voir au Val Richer, en revenant de Suisse.
Mad. Austin me reparle encore de la " foreign conspiracy et elle ajoute : " I believe with some I figure as a very humble link in the chain." Paris commence à s'émouvoir assez du voyage du Président. Le succès de Lyon surtout, le Roi de Piémont envoyant son Ministre de la guerre pour le complimenter, fait de l'effet. Un connaisseur m’écrit : “ C’est tant pis pour le Roi de Piémont ; mais qu’en dira-t-on à St Léonard et à Claremont ? Quel malheur qu’on n'y comprenne pas que les masses prendront nécessairement le chemin à gauche si on leur barre le chemin à droite ! Les nôtres donneront le signal. "
Midi
Votre rhumatisme me déplaît. L’Allemagne n’est pas une atmosphère bonne pour guérir des rhumatismes. Vous avez toute raison de ne pas aller à Wiesbaden. Ne pas éviter ce qui vient vous chercher et n'aller rien chercher, c'est le bon sens comme le bon goût. Ce qui se passe là pourra bien faire naître à Paris quelques embarras. Soyez-y tout-à-fait étrangère. Du reste, je crois comme vous que la République sera bonne fille. On m'envoie un journal de la fusion, du dimanche, le Henri IV, infiniment plus bête. que n'était le Napoléon. Adieu, adieu, adieu. Plus de rhumatisme et des bains chauds. Adieu. G.
Trouville, Mardi 27 août 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Est-ce que vous vous sentez plus fatiguée que de coutume ? Vous me parlez de votre besoin de repos en personne vraiment fatiguée. Vous renoncez à passer par Baden qui vous amuserait. Cela me préoccupe. Donnez moi quelques détails. Les eaux fatiguent quelque temps, même quand elles font du bien. Tout le monde le dit. Il me semble que Schlangenbad vous a moins réussi qu’Ems. Je sais gré à Fleischmann d'être venu vous y voir. Il aura un peu rompu votre solitude. Et je suis sûr qu’il ne vous aura pas rendue germaine unitaire. Cette question Allemande me déplait parce que je n'y vois pas clair. J’ai un instinct plutôt qu'un avis. Mais un instinct ne satisfait pas. Je ne veux pas de ce qu’on veut faire, et j’entrevois qu’il y a quelque chose à faire. Cette passion d’unité qui tient tant d'Allemands ne doit pas être uniquement l’ambition Prussienne ou la folie révolutionnaire. Il y a probablement là dessous quelque chose de sérieux et de nécessaire. Comment s'y prendre pour reconstituer la confédération germanique et la diète de Francfort d'une façon qui donne satisfaction à ce qui n’est ni révolution, ni bouleversement territorial ? Ou bien serait-ce là un but chimérique ? Et l'Allemagne, en serait-elle venue à l'une de ces époques où les gens sensés comme les fous, les honnêtes gens comme les coquins, sciemment ou aveuglément, veulent absolument refondre toutes choses et se lancent au hasard dans les nouveautés, n'importe à quel prix. La France en était là en 1789. J’ai peur que l'Allemagne n’y soit à son tour, si cela est, la guerre européenne est infaillible, et nos 34 ans de bon gouvernement et de paix n'auront été qu’une oasis dans le désert, une halte dans le chaos.
Je conjecture et je spécule comme si nous causions. J'ai peur aussi que M. de Nesselrode n'ait raison, et que Wiesbaden n'ait fait plus de fracas qu’il ne convient. Le fracas rouge sur le passage du Président est une compensation. Mais tenez pour certain qu’à son retour il y aura à Paris un effort en faveur d’un ministère tiers-parti.
Je suis bien aise de retourner au Val Richer. Le temps est superbe ce matin. J'ai droit à un beau mois de septembre. Août a été affreux excepté les jours d’Ems.
Je suis très occupé de mon Monk. J’y ai pas mal changé, ajouté. Je crois que c’est amusant et à propos. Une grande comédie politique remise en scène devant des spectateurs acteurs eux-mêmes. Et on veut réimprimer en même temps mon Washington. Comment on rétablit une Monarchie et comment on fonde une République. Choisissez. Pourvu qu'on ne me réponde pas : ni l’un ni l'autre ! Hélas je suis un peu, pour la décadence de mon pays comme Mad. Geoffrin pour les revenants " Je n’y crois pas, mais je les crains. "
Onze heures
Pas de lettre ici. Je suppose que vous m'avez écrit au Val Richer, et que j’y trouverai votre lettre en arrivant. J'ai de bien mauvaises nouvelles de Claremont d'avant-hier. Dumas mécrit : " Il est douteux que l'état du Roi permette que S. M. aille s’installer à Richmond où se trouvent déjà M. la Duchesse d'Orléans et Mad la Duchesse de Saxe Cobourg. Les forces déclinent, tous les organes s'affaiblissent, à l'exception des facultés intellectuelles qui restent entières. J'ai dû faire une absence de quatre jours pour aller porter à Dreux le Corps de l’enfant morte dont est accouchée Mad la Duchesse d’Aumale. J’ai trouvé à mon retour avant hier, les progrès de l'affaiblissement très notables. Le Roi a fait appeler les docteurs Chamel et Fouquier. Mad. la Duchesse d'Orléans est aussi bien que possible. La Reine se maintient en bonne santé. Le Duc de Nemours est très souffrant d’un Anthrax. M. le Prince de Joinville qui a été en Belgigue chercher sa soeur la Duchesse de Saxe Cobourg et qui a dû séjourner deux jours à Ostende, à cause du mauvais état de la mer, y a été l'objet d’un accueil remarquable de la part du grand nombre de Français qui y résident. Cela s’est passé sous les yeux du Roi des Belges. "
Adieu, Adieu. Je voudrais vous envoyer ce soleil. Adieu. G.
Mots-clés : Conversation, Famille royale (France), France (1848-1852, 2e République), Histoire (Angleterre), Histoire (France), Mariage, Monarchie, Politique (Allemagne), Politique (Analyse), Politique (France), Régime politique, Relation François-Dorothée, République, Réseau social et politique, Révolution, Santé (Dorothée), Travail intellectuel, Washington, Washington, George (1732-1799)
Trouville, Mercredi 21 août 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je me suis longtemps promené hier seul une ou deux lieues le long de la plage. En revenant, j’ai fait visite au Chancelier, à notre ami Olliffe et à Charles Laffitte. Le Chancelier et Mad. de Boigne, sont aux petits soins pour moi. Il est bien aisé de reprendre possession des gens. Il est vrai qu'on les reperd aussi aisément. Plus on avance dans la vie, plus le fossé devient profond entre les relations ordinaires et les vrais liens.
Ollife vient de faire bâtir ici pour lui-même une bonne et jolie maison absurde au dehors, gothique, mauresque, italienne mais très commode et bien arrangée au dedans et très bien meublée. Il est tout à fait riche, bien établi, content, et toujours très reconnaissant pour moi qui lui ai fait faire les premiers pas dans sa fortune.
Charles Laffitte est décidément légitimiste. Cela seulement est une fin ; mais tant que les légitimistes mèneront aux-mêmes leur barque, ils n'aborderont pas. Le Président leur doit une belle chandelle. Ils lui donnent les trois quarts des Orléanistes.
Voilà ce que j’ai appris dans mes visites. Aujourd'hui je vais dîner à la campagne, prés de Honfleur chez Mad. Denoix, femme de notre consul général à Milan, grande ancienne armée du chancelier. Elle habite un cottage dans un site qu’on dit le plus beau du pays.
Pauline avec son mari, et Guillaume, part samedi pour l’Angleterre, et je retourne mardi prochain au Val Richer, avec Henriette. Il fait froid à Trouville, décidément le mois d’Août a été laid. Mes huit jours d'Ems sont le seul beau temps de l'été.
Vous m'apprenez que la Princesse Crasalcovitch est méchante. Mais cela ne m'étonne pas. Cela va à son air et à ses gestes. Est-ce pour lui donner à dîner que Thiers est venu à Baden ? Le Chancelier est convaincu qu'il est venu pour Wiesbaden. Je le croirais si je n'étais pas sûr que j'ai été à Ems et que je n'ai pas vu M. le comte de Chambord. Je voudrais que le Chancelier eût raison.
Est-ce Crasalcovitch, comme je dis, ou Grassalcovitch comme vous dites ? Je soupçonne que chez ces peuples encore un peu barbares personne ne sait bien quel est vraiment son nom. Shakespeare signait trois ou quatre orthographes différentes. Adieu jusqu'à l'heure de la poste. Je vais faire ma toilette. J’ai vu hier des nouvelles de Claremont. Toujours mauvaises. Le Roi n'a plus de jambes du tout. Il ne peut se soutenir d'un fauteuil à l'autre, dans sa chambre.
Midi
Voici votre lettre. Très intéressante. Je souhaite de tout mon coeur que tout cela soit vrai. Le départ brusque de M. de La Rochejaquelein est un bon symptôme. Adieu, Adieu. Je vais lire le séjour du président à Besançon. Adieu. G.
Trouville, Samedi 24 août 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je trouve les animosités des légitimistes entre eux bien vives. Ceux qui sont ici sont bien amers contre Berryer, tout en parlant fort légèrement de M. de La Rochejaquelein. J’ai peur que les défauts du caractère national, qui nous ont déjà coûté si cher ne soient encore plus dominants dans les légitimistes que partout ailleurs.
On me parle beaucoup d'un abbé Trébuquet (je crois que c’est bien le nom) qui a été dans l’éducation de M. le comte de Chambord, et qui est resté auprès de lui. C'est, me dit-on, l'influence la plus intime, et un homme de peu d’intelligence politique, plus étranger même que le gros du parti au monde réel et actuel. Pouvez-vous faire quelques questions à son sujet ?
Nous n'avons plus à voir que la fin du voyage du président. On dit qu’elle sera meilleure que le milieu. Je doute qu’elle change l'impression générale déjà produite, et qui n'est certainement pas très encourageante. Les choses ont paru telles qu'elles sont en effet ; la démagogie violemment ennemie ; les autres classes bienveillantes froidement et précairement sans confiance ou uniquement par un calcul momentané, si je ne me trompe le président et l’Assemblée se retrouveront au mois de novembre, l'un et l'autre plutôt refroidis qu’échauffés et sentant qu’ils ont besoin l’un de l'autre. Ni l'un ni l'autre ne feront d'évènement. Dieu leur en enverra peut-être.
Midi
Pas de lettre ce matin. C’est très déplaisant. Elle viendra peut-être plus tard dans la journée. Cela arrive quelques fois.
Je ne vois dans mes journaux que le voyage du président ; toujours très mêlé ; même des projets d’assassinat. A Strasbourg plus de mauvais que de bon. Que pense-t-il à présent de son étoile ? Adieu, Adieu.
J’écris en Angleterre par ma fille qui part aujourd’hui, à M. Gladstone, à Marion & Adieu. Je voudrais bien avoir ma lettre. G.
Trouville, Samedi 24 août 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Quatre heures
J'ai votre lettre. Je suis moins étonné que vous de votre émotion. Vous pouvez passer très vite d’un accès d’indifférence à un accès d'attendrissement. Il y a bien des cordes à toucher en vous. M. le Comte de Chambord a touché, la bonne. Est-ce sa figure, son nom, sa situation, sa conversation ? Peu importe.
Le chancelier, vient de m’apporter le dire de M. Benoist d'Azy revenant de Wiesbaden. Il dit comme vous quoique moins ému. Très probablement vous avez raison, et j'en suis fort aise. Votre court récit me plaît beaucoup. Si Salvandy va là, il en dira plus long. Je crains un peu qu’on n'abuse du portrait. Cela inspire bientôt plus de méfiance que de sympathie aux gens qui ne voient pas l'original. Et M. le comte de Chambord ne peut pas faire à beaucoup de monde la visite qu’il vous à faite.
Les visages sont moins gais à Clarmont, car c'est encore à Claremont qu’ils sont. Le Roi va toujours s'affaiblissant. Madame la Duchesse d'Aumale vient d'accoucher à huit mois, d’un enfant mort, une petite fille si chétive et si mal constituée qu’elle n’eût probablement pas vécu. Le chagrin est peu de chose, mais le dérangement, est grand. On devait partir le surlendemain pour Richmond. Il faut attendre à l'extrême déplaisir du Roi qui a pris Claremont en dégoût. On y laisserait bien Mad la Duchesse d’Aumale qui va à merveille, et à qui Mad, la Princesse de Joinville tiendrait compagnie. Mais M. le duc de Nemours a des clous, mal placés et dont l’un ressemble un peu, dit-on, à un Anthrax, et pourra exiger une petite opération chirurgicale. Tout cela fait un intérieur triste et agité. Mad. la Duchesse d'Orléans est déjà établie dans la maison qu’elle a louée à Richmond, près du Star and Garter. J’entrevois dans ce qu'on me dit que le médecin n’est pas très pressé de transporter le Roi à Richmond, qu'il le trouve bien faible et qu’il trouve Claremont un lieu plus convenable pour un tel malade, si malade.
Je ne sais rien du tout de la lettre que les journaux attribuent à M. le Prince de Joinville. Mad. Mollien est à Claremont. Chomet est allé voir la Reine des Belges et ne trouve rien d'inquiétant dans son état. C’est du moins ce qu’on dit de son dire.
Dimanche, 8 heures
J’ai eu hier successivement la visite de trois conseillers à la cour jadis royale de Caen. Hommes assez considérables par leur fortune, et leur fonction. Deux conservateurs, et un légitimiste. Bons échantillons de la bonne opinion. Fusionnistes, tous trois, disant tous trois exactement les mêmes choses, mais vaguement et froidement avec peu d'espérance et pas plus de courage. Parce que la fusion, n'est encore qu’une idée, un désir. Ce n’est pas un parti politique hautement proclamé, ayant son drapeau et son camp. Il y a beaucoup de fusionnistes, tous encore classés et enrôlés, dans les anciens partis. Les anciens partis seuls subsistent. Personne n’ose en sortir ouvertement et décidément, et en disant pourquoi. Tant que cette situation durera, rien ne se fera. Non seulement on n’arrivera pas mais on ne marchera pas. Tout le monde voudrait arriver sans marcher, tant on a peur de se compromettre et d'être pris pour dupe. On voudrait que Dieu se chargeât seul de toute la besogne. Ce n’est pas son usage ; il fait beaucoup, beaucoup plus que nous ; mais il veut que nous fassions quelque chose nous-mêmes. Il ne nous dispensera pas d'avoir une volonté de prendre une résolution de mettre la main à l'œuvre. Nous attendons Dieu et Dieu nous attend.
Midi
J’espère que vous aurez fait à ce bon Fleischmann mes plus vraies amitiés. J’aurais été charmé de le voir. Si vous l’avez encore avec vous, sachez, je vous prie, ce qu’il donnerait à son fils, s’il le mariait à son gré, et ce que son fils pourrait espérer un jour. Il faut savoir cela. On me dit qu’ils sont pauvres. Trop pauvres serait trop. On me dit aussi que Fleischmann est un peu avare. Il vous sera facile d'éclaircir ces deux faits. Je me crois sûr, par des renseignements venus ces jours ci, qu’il n’y a eu chez les Nottinguer, ni chez les Delessert, pas la moindre idée de ce mariage.
Pourquoi n'iriez-vous pas un peu à Baden si vous en avez envie? Il n’est pas plus fatigant de vous arrêter quelques jours à Baden, en revenant que de revenir droit à Paris. Adieu, Adieu. G.
Trouville,Vendredi 16 août 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Moi aussi, je suis abreuvé de pluie. Pas un rayon de soleil depuis que je suis ici. Je me suis promené hier une heure et demie avec Dumon sous mon parapluie. Si ce temps là continue, je ne resterai pas longtemps à Trouville, enfermé pour enfermé, j’aime mieux l'être au Val Richer, dans mes meubles, et avec mes livres.
Mad de Boigne et le Chancelier restent ici jusqu'au 15 octobre. Le dernier mois doit être un peu rude. Mais ils se plaisent dans cette maison autant qu'on peut se plaire quelque part quand on n’est plus occupé que de vivre. Le Chancelier se porte à merveille, se promène tout le jour et cause tant qu’on veut, ou tant qu’il veut lui-même. Au fond, je crois que la fin de sa vie lui convient assez ; il est tombé avec la Chambre des Pairs. ( Il n'y a pas d'autre Chancelier.) On vient de donner à la rue dans laquelle est ici sa maison, le nom de rue du Chancelier. Il croit que le président durera bien autant que lui. Il a assez de sécurité, beaucoup de confort, et pas mal de petits plaisirs d’amour propre. Cela lui suffit. Il a plus de sens que M. Molé. Mes enfants sont allés hier soir danser au salon. Je suis resté seul. J’ai lu à mon aise toutes vos pièces diplomatiques. Décidément, celles de M. de Brünnow sont très inférieures aux autres. L'embarras y perce à chaque ligne, et la platitude, envers Lord Palmerston, n'y manque pas. On s’occupe assez du voyage du Président. Dumon croit que ce succès, tout contesté qu’il est, pourra lui tourner la tête et lui faire faire quelque sottise. Nous avons, en France, en fait de réceptions impériales et royales, une routine magnifique qui s'applique à lui aujourd'hui et qui peut lui faire illusion. Nous verrons. On dit toujours que Strasbourg est le gros écueil.
J’ai oublié, je crois, de vous dire que les Saint-Aulaire m'avaient bien recommandé de vous parler d'eux vraiment avec amitié. Et aussi que j’ai demandé de votre part des nouvelles de Melle Augustine, la femme de Chambre qui vous a bien soignée. Elle est venue m'en remercier, rouge comme une écrevisse. Sainte-Aulaire passe ses journées à écrire ses mémoires. J’en suis bien aise. Il dira beaucoup de choses qui me conviennent, et qui ne seraient pas dites sans lui.
J'attends la poste. Elle m’apportera votre lettre, et peut-être quelque nouvelle. Adieu en attendant.
Midi
Pas de nouvelle, excepté votre aventure que j'espère bien avoir demain. Mad. de Clairville était bien étourdie et M. de Clairville bien bon homme. Evidemment la réception du Président à Dijon a été très mêlée. Ce voyage donnera de l'excitation à tout le monde, à ses ennemis comme à ses amis. De tout ceci pour peu que ceci dure encore, et quoiqu'il arrive après, il résultera que le parti républicain, modéré ou rouge restera un gros parti qui donnera d'immenses embarras. L’avenir est bien obscur. Adieu, Adieu. Cette abominable humidité me porte un peu sur les entrailles. Rien de sérieux. Adieu encore, et toujours. G.
Trouville, Vendredi 23 août 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai eu la visite d’un Mr Caulfield membre de la Chambre des Communes et Whig. Il se promet bien que le Cabinet ne tombera pas. Le temps est maintenant contre eux. Si on laisse du temps aux Peelistes et aux Protectionnistes, ils se réconcilieront. Il faut que Lord John fasse la dissolution lui-même, et qu’il se hâte. C'est ce qu’il fera. La Jew-question sera l'an prochain une grosse affaire, la question de cabinet, si la Chambre des Lords la repousse, comme on s’y attend, dissolution immédiate de la Chambre des Communes et appel au pays contre la bigotry des Lords who stop the way. Voilà le plan. Je ne sais s’il sera exécuté, mais je doute qu’il réussisse. Cependant je le comprends ; s’il doit tomber, Lord John veut tomber sur une question libérale, et avec tout son parti. Je ne sais pas ce que vaut le dire de M. Caulfield. Il a l'air intelligent, résolu et léger.
Les détails que vous me donnez sur le comte de Chambord ont fort intéressé le chancelier. Intéressé avec quelque méfiance. Evidemment il trouvait dans l’impression de vos deux visiteurs, excès d’enthousiasme et de satisfaction. Il m'est revenu hier que M. de la Rochejaquelein à Paris se disait fort content de son voyage, investi de la confiance du comte de Chambord et sûr que les affaires du parti seraient désormais conduites selon son sens. Il en est bien capable. On dit qu'il a un petit secrétaire radical qui exerce sur lui beaucoup d'influence et le tient en intimité avec la montagne et la quasi-montagne. Là est la plaie et le danger du parti légitimiste ; les conservateurs ont toujours sur le cœur cette intimité, qu’ils voient toujours continuant, ou près de recommencer.
Vous ne me dites encore rien de votre départ de Schlangenbad. Nous voilà au 23. Vous n’y voulez rester que quinze jours. Êtes-vous engraissée ?
Le beau temps revient ici, mais avec le froid. Il n'y a pas moyen cette année d'avoir le chaud, et le sec ensemble. Les blés souffrent : la récolte ne me vaudra pas ce qu’on en attendait. On commence à s'en aller de Trouville.
Midi
Je ne comprends pas que ma lettre vous ait manqué. Un jour, oui mais deux c’est absurde. Vous aurez eu deux lettres le lendemain. Vous avez raison de ne pas postillonner au gré des estafettes.
Votre grande Duchesse vous donnera surement rendez-vous à Biberich. Je suis curieux de votre visite à la Duchesse de Noailles. Il vient d’arriver ici ce matin quelques uns des légitimistes les plus vifs, peu amis de Berryer, en méfiance de Thiers. Ils me font demander à me voir. Je causerais avec eux. Colmar et Strasbourg n'ont pas été mieux que Besançon. Le bien et le mal sont très mêlés dans ce voyage, et le mal est bien vif. Je ne crois pas que le Président en revienne très confiant, ni qu'il en reçoive un grand élan vers les grandes aventures. Toutes les fois qu’on enfoncera un peu dans cette société et on sentira la nécessité de remettre ensemble toutes les forces d’en haut pour contenir le chaos d'en bas. Je rabache cela tout le jour à tout le monde. Cette vérité là est notre levier. Adieu, adieu.
Après Schlangenbad, quoi ? Probablement Paris. C’est encore là que vous aurez à la fois le plus de repos et le moins d'ennui. Adieu, Adieu. G.
Val-Richer, Dimanche 2 juin 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures et demie
Voici votre lettre. Je suis bien aise que vous ayez vu beaucoup de monde. Je veux bien que vous soyez triste, mais non pas ennuyée, voilà la mesure de mon égoïsme ; le trouvez-vous bien dur ? Vous avez très bien fait de mettre mes amis au courant de ma dernière matinée. Si Lord Stanley et Lord Aberdeen ne sont pas in earnest, il faut qu’il y ait, pour eux, impossibilité absolue de former un cabinet qui dure car ils n'auront jamais une meilleure occasion de renverser celui qui existe ; une occasion qui ne les engage à rien sur les affaires intérieures, qui n'élève aucune question entre les free-traders et les protectionnistes, qui laisse possibles toutes les combinaisons & &.
J'ai peur que, là comme en France, il n’y ait, parmi les meilleurs, une grande horreur de la responsabilité et un goût immense du repos. Le monde périra par la mollesse des honnêtes gens. Je crois au motif qu'on vous a dit du retard de Mad la Duchesse d'Orléans à rejoindre le Roi à St Léonard. Il y a encore plus d'illusion que de toute autre chose dans son esprit. Je crois aussi à l’inimitié de votre nouveau visiteur pour le général Changarnier. Pensez-y quelque fois en causant. Au fond, le n°31 du faubourg St Honoré est bien avec et pour l'Elysée malgré les airs de salon et les apparences de langage quelques fois contraires. Le voyage de Fontainebleau m'a assez frappé. Que d’embarras toutes ces inimitiés frivoles jettent dans les affaires !
Midi.
Je vous reviens après déjeuner. Je me hâte. Je vais être assiégé de visites, le beau temps, le Dimanche et de nouveaux mariés à voir. Ils sont très contents l’un de l'autre, et je crois qu’ils ont raison. Voilà donc la loi électorale volée. Certainement elle a produit partout, un effet d'intimidation pour les rouges, d'encouragement pour les modérés. Je vois cet effet autour de moi. Il passera vite s’il n’est pas nourri ; mais il est réel. Bien moins grand pourtant ici qu’à Paris. Je trouve, à tout prendre, la situation peu changée. Il est vrai que je n’ai encore vu presque personne. Mais l’air qu’on respire est le même.
Que votre Empereur se garde bien des assassins. La perte serait immense. Il commence son grand rôle en Europe.
Je ne puis pas croire à un coup de main de Lord Palmerston sur Naples ; et s’il tentent j’espère que le Roi de Naples résistera. Pour le coup, ce serait le coup de grâce pour Palmerston, malgré tous les partis pris de l’opposition anglaise. Adieu, adieu. Mes journaux sont venus ce matin. Adieu. G.
Val-Richer, Dimanche 2 novembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je ne suis pas malade comme vous, mais j’ai eu hier et cette nuit une forte migraine ; ce qui fait que je me lève tard, et que vous n'aurez qu’une courte lettre.
J’ai beaucoup travaillé depuis quelque temps, et je veux travailler beaucoup cette dernière semaine. Je sais le peu de temps dont je dispose à Paris. Si ma réponse à M. de Montalembert n’est pas tout-à-fait finie quand je partirai, elle en sera bien près.
J’espère bien apprendre ce matin que le mieux s'est soutenu pour vous. Ce sera parfait si je l’apprends de vous-même. Vous aurez vu que j’avais fait grand attention à l'article du Constitutionnel sur M. de Persigny, et que j'en savais le sens. Si cela aboutissait à son renvoi, ce serait en effet très significatif, et une facilité pour reculer.
Je ne suis pas inquiet de la reculade, pourvu que le débats de l'Assemblée n'enveniment pas trop les plaies. Si elle le conduit aussi sensément que sa commission de permanence, si elle cherche le succès plutôt que le bruit, elle aura certainement le succés. L’ajournement de la proposition Créton et probablement aussi de la candidature de M. le Prince de Joinville me paraît être la résultat naturel et obligé de la situation actuelle. Il n'y a de majorité qu'à cette condition.
Le Duc de Montmorency est-il bien réellement parti ? J’ai des nouvelles de Duchâtel. Rien de nouveau. Mêmes observations, même impressions et mêmes conjectures que les miennes. Il ne reviendra qu'à la fin de novembre.
Onze heures
Je suis moins content aujourd’hui qu’hier. Je maudis Pétersbourg. Je sais avec qu’elle lenteur vous vous remettez de secousses pareilles. Adieu, adieu. Je ne vous ferais pas grand bien si j'étais là, mais je suis bien pressé d'y être. Adieu. Je remercie toujours Marion, vrai trèsor. G.
Val-Richer, Dimanche 3 août 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
M. Molé m'écrit pour se chagriner de l'Assemblée nationale. Il n'est pas content de la rédaction, ni de la direction ; il trouve que les articles politiques sont souvent impolitiques. Il a raison. Il me demande quand je pourrai aller à une réunion du Comité. Je n'irais certainement pas à Paris pour cela. Pendant la dispersion de la saison, l'Assemblée nationale ira cahin caha, c'est inévitable. Mais je vais à Paris dimanche prochain 10, pour la distribution des prix au grand concours de l'Université. Je n’ai jamais manqué à mon fils ce jour-là. J’y passerai les 11 et 12. Je me mets à la disposition de Molé pour ces deux matinées. Nous ne ferons pas grand chose de plus que nous donner mutuellement le plaisir de la conversation. Duchâtel a dû arriver hier à Paris. Je règlerai notre course à Claremont pour la fin de ce mois. Je n’ai rien dérangé à notre correspondance. On me renverra mes lettres deux jours. Il n'y a pas moyen à cette distance et avec les Postes allemandes, de cadrer parfaitement juste. Mais ne manquez pas de me dire, dés que vous le saurez, quel jour précis vous serez de retour à Paris pour que je m’arrange en conséquence.
Le choléra l'emporte donc, dans Ellice, sur l'amour. A-t-il jamais été très amoureux ? Il me semble que, même jeune, le choléra devait toujours être le plus fort. Aurez-vous quelqu’un à Schlangenbad ? L’été dernier, vous aviez au moins la Princesse Grasalcovitch. Qu'a-t-elle fait cet été ? Est-elle aux Pyrénées avec Thiers ?
Les légitimistes à la fois intelligents, et un peu pointus sont bien préoccupés de celui-ci. L’un deux m'écrit : " Il se brasse, sous main, la plus splendide des mystifications. Figaro exerce, depuis longues années, une déplorable influence sur notre orateur, trop sensible aux douceurs d’une vie paresseuse. Et dont l’éloquence, toute grande qu'elle est, n'équivaut pas à l'astuce et à l’esprit de persistance de Figaro. Les événements vont se succéder rapidement. Une commission permanente formée à l'exclusion des Montagnards commencera à fournir aux Pyramidaux l'occasion de prendre le pas sur les Rivoliens, gens de nature inerte et molle, privés qu’ils seront de l'activité que leur donnerait un simple appoint de Montagnards, à la rentrée de l'Assemblée reprise de la proposition de retour des exilés ; application de la loi actuelle d'élection qui doit ajouter aux Pyramidaux le nombre de représentants qu'elle enlèvera certainement aux Rivoliens. Le surplus n'a nul besoin de développement. Tous les hommes du triomphe à Figaro. "
Vous retrouvez-là, ce singulier mélange de clairvoyance et d'aveuglement que donne le violent esprit de parti. Mon pointu croit trop à ce qu’il craint ; mais il y a des chances pour ce qu'il dit. Le jeu est bien compliqué.
10 heures
Vous serez bien seule en effet à Schlangenbad. Depuis que j’ai passé dix jours absolument seul, je ne crains pas la solitude pour moi, et je la crains encore plus pour vous. Adieu, Adieu Je n'ai rien de Paris. Adieu. G.
Val-Richer, Dimanche 5 octobre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Changarnier voudrait bien vous enrôler dans sa candidature. Je ne sais ce qui sera utile, et possible dans les derniers moments. Quant à présent tenez pour certain qu’il n'y a dans le grand public, que trois candidatures sérieuses. Louis Napoléon, de Prince de Joinville, et Ledru Rollin, les trois inconstitutionnelles. Tant la France respecte la Constitution ! Toute tentative pour produire en ce moment une autre candidature la perdrait. Il en arriverait ce qui est arrivé de celle du Prince de Joinville qui a infiniment plus perdu que gagné à être mise en avant si longtemps d'avance. Il y a des forces et des chances qu’il faut réserver, comme ressource de la dernière heure. Je ne sais si Changarnier sera, une de ces chances là. Cela se peut. Et cela ne se pourra plus s'il est mis en scène et ballottée dès à présent.
Plus je vis, plus je prends en mépris l'impatience ; c’est la mère des trois quarts des sottises. Que sert aussi à Changarnier, de faire un tel étalage de son humeur contre Berryer, Falloux, Molé, et même moi qui suis ici dans mon coin ? Pourquoi nous fait-il attaquer tous les jours dans son journal, le Messager de l'Assemblée ? Que ne ménage-t-il Berryer comme il ménage Thiers qu'il semblerait ne pas devoir ménager du tout puisqu'il soutient que, lui Changarnier, n'est-pas du tout Orléaniste, et puisque Thiers, est bien plus encore que Berryer opposé à sa candidature ? Il ne faut pas être si agressif d'un côté et si timide de l'autre. Il ne faut pas surtout, quand on aspire à un grand résultat, se mettre mal patiemment avec les grands chefs, des grands partis pour n'être bien qu'avec les chefs des coteries dissidentes, comme M. Nettement ou tels autres, qui font beaucoup de bruit dans les journaux de peu d'abonnés ou dans les couloirs de l’Assemblée où l'on ne fait rien que bavarder, mais qui n’exercent en définitive aucune action réelle, ni sur les dispositions, des masses, ni sur les votes législatifs.
Je ne peux pas répéter les mêmes mots ; tout cela, c'est de l'impatience, de la boutade ; ce n'est pas de la politique. Changarnier peut avoir des chances éventuelles et qui, à un moment donné, peuvent devenir grandes ; et les galavaude, et les perd en voulant les fixer et les proclamer dès aujourd’hui. Il commet la même faute qu’il reproche à ceux qui lui demandent de se déclarer ouvertement et sur le champ pour Henri V. On sert aussi mal l'avenir de Changarnier, en disant aujourd’hui : " Changarnier est mon président. " qu’il servirait mal, lui-même l'avenir de Henri V en disant : " Henri V est mon roi. "
La correspondance de Lord Londonberry avec le Président sur Abdel Kader est fabuleuse d'impertinence et de niaiserie. Et c’est pour un chef d’Etat, une situation pitoyable que de se croire obligé d'y répondre si sérieusement. On sent là dessous les ménagements pour le grand salon de Park-Lane, dans le passé et peut-être aussi dans l'avenir. Toute cette affaire est parfaitement simple ; le général Lamoricière a fait une convention avec Abdel Kader ; M. le duc d’Aumale l’a ratifiée. Ils étaient bien les maîtres d'accepter ce qu'Abdel Kader leur proposait et de lui donner leur parole ; mais ils n'avaient nul droit d’engager la parole et la conduite du gouvernement. J’ai refusé de ratifier la parole de M. le Duc d'Aumale et du général Lamoricière. C’était mon droit, et j'ai dit dés lors et je maintiens aujourd’hui, que j'ai bien fait d'en user comme j'en ai usé. Que M. le Duc d’Aumale et le général Lamoricière usent le droit de se plaindre et de donner leur démission. Je le reconnais. Leur démission eût été pour moi un embarras ; mais je l’aurais certainement acceptée plutôt que de relâcher Abdel Kader. Je ne sais pas ce qu’ils ont écrit ; mais si lord Londonderry publie leurs lettres, ils n'ont qu'une chose à faire c’est de reporter sur moi la responsabilité du refus de ratification de la parole qu’ils avaient donnée. Ils seront dans la vérité des principes et des faits. Il leur restera, j'en conviens, l'embarras de n'avoir pas donné leur démission. Est-il vrai, comme le dit le Messager de l'Assemblée, que Lord Palmerston lui-même ait écrit au président pour Abdel Kader ? Je ne puis le croire tant ce serait inconvenant. Je suppose que le messager se sera mépris et aura attribué à Lord Palmerston une des lettres du marquis de Londonderry.
10 heures et demie
Je suis bien aise que les légitimistes soient si décidés. Ils ont raison, comme honneur et comme succès. Adieu, Adieu. G.
Val-Richer, Dimanche 6 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je suis désolé que vous n'ayez pas vu tout de suite mon visiteur. Il faut qu’il ait passé la journée hors de chez lui, car je suis sûr de son zèle. Je n'en espère pas moins qu'on aura été à temps. Je suis de plus en plus convaincu que cette femme a besoin d'argent, et qu’on ne lui offre pas, d’un autre côté, ce qu’elle dit. Elle ne me paraît pas personne à ne commettre qu’une demi-infamie, si l’infamie entière lui eût été plus profitable. Enfin, les raisonnements ne servent à rien. Il faut attendre. à quoi sert aussi de vous dire que je regrette du fond du cœur de n’être pas près de vous quand vous êtes triste et agitée. Mais plus j'y pense, plus je suis convaincu qu’il valait mieux ne pas paraître du tout, rester directement, tout-à-fait étranger à la chose; ce qui ne serait certainement pas arrivé si j’avais été là. Je ne puis guère me déplacer sans qu’on y cherche une raison ; et la curiosité trouve presque toujours quelque chose de ce qu’elle cherche ; ou bien elle met autre chose à la place, ce qui ne vaut pas mieux. Dieu veuille que cet ennui finisse bientôt.
Pauvre reine. Je n'espérais pas que ce coup lui fût épargné ; mais j'espère qu’elle aura revu sa fille. Quelque affreuse que soit la séparation, je trouve bien plus affreux de se séparer sans se voir. Tout ce que vous m’avez écrit sur la reine Louise et sur la position du Roi m’est encore revenu de plusieurs côtés. J’ai peine à croire aux conséquences extrêmes. Au fond, les Belges sont sensés, et le Roi Léopold aussi. Il faut être un vieux poète antiquaire, comme le Roi de Bavière, pour défendre jusqu'au bout Lola montes.
Le Journal des Débats revient ce matin, c’est-à-dire recule sur sa polémique avec les légitimistes. Il ne serait pas impossible que tout cet incident eût son utilité, et que de part et d’autre, on comprit mieux sa position et la nécessité de s'accepter, tout au moins de se ménager mutuellement.
Dans ce pays-ci, la circulaire a blessé les conservateurs, comme partout, et reculé la fusion ; mais il y a eu plus de tristesse que de colère, un certain regret que la fusion fût si difficile, peut-être impossible. On s'en est éloigné, mais on ne lui a pas tourné le dos.
Avez-vous remarqué l’article de la Gazette d’Autriche sur Radowitz ? Je l'ai trouvé bon, point flatteur et point irritant, propre à agir sur l’esprit d’un homme d’esprit et à le rendre attentif sur sa position. Je me persuade que là comme ici, il faut une nécessité absolue, un danger imminent pour obliger deux puissances à s'entendre au lieu de se quereller. On ne se fera pas la guerre pour M. de Hassenpflug. Adieu, Adieu.
Moi aussi, je ne sais pas vous parler d'autre chose que de ce qui me préoccupe, c’est-à-dire de vous. Adieu encore. G.