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2. Beauséjour, Jeudi 31 août 1843, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai été en ville. J’ai remis à Génie ma lettre et une lettre de Lady Palmerston reçue après coup, et que vous me renverrez. J'ai fait visite aux Appony. Vraiment il est trop bête. "-Et bien, elle vient donc cette petite reine ? Caprice de petite-fille un Roi n’aurait par fait cela. - Pourquoi pas ? S'il en avait eu l’envie ? - Mais c’est que l’envie n’en serait pas venue. - C’est possible. Mais voilà toujours un grand événement et qui fera beaucoup d’effet partout. - Je ne crois pas. On dira que c’est une fantaisie de petite fille. - Fantaisie accepté par des Ministres qui ne sont pas des petites filles. - On sait qu'ils sont très plats et qu'ils tremblent devant elle. - En tous cas voilà parmi les souverains de l'Europe le plus considérable peut être, et celui qui ne se dérange jamais qui vient faire visite au Roi. C’est un grand précédent. (avec une mine et un geste très ricaneur) Il se trompe bien s'il croit pour cela que les autres feront autrement qu’ils n’ont fait jusqu'ici. Personne ne viendra. - Et bien on se passera mieux des autres visites depuis qu'on aura eu celle-ci. - Je suis bien sûr cependant que le roi eut été beaucoup plus flatté de la visite du roi de Prusse. - En vérité je ne sais pas pourquoi et certainement elle n’aurait pas fait autant d’effet que celle-ci. - à Vienne on n'y pensera pas. Je me mis à rire et je lui dis : - Savez-vous qu'il y a des rapportages en ville & que j'ai entendu moi-même dire à Molé que le corps diplomatique montrait beaucoup de dépit. Il est devenu rouge. Certainement pas moi. Nous sommes si bien avec l'Angleterre et si sûrs d’elle que nous serons même bien aises de cette visite. Je n’en avais pas assez et j'ai dit que Molé avait été assailli par des : " Avez-vous lu le National ? Décidément ceci l'a interdit. Il avait même l’air un peu colère, Armin est entré ; la conversation a fini. Il me semble que je vous envoie assez de commérages. Ce qui est bien sûr c’est que l'humeur de l’Europe sera grande et cela doit bien vous prouver que le continent sans exception est malveillant pour ici. Gardez l'Angleterre. C’est votre meilleure. pièce. Beauséjour vendredi 8 h dim. matin La journée a été bien mauvaise hier. Si vous n'aviez pas à recevoir une Reine je vous en conterais tous les incidents. Tout a été de travers, pas de fête, pas un coin et je me suis vu forcée de revenir coucher ici où j’ai failli ne pas retrouver mon lit. Je vous conterai tout cela à votre retour. Heureusement Pogenpohl était avec moi, ce qui a contenu ma colère, quoique pas trop. Il a un peu d'esprit et avant que j'eusse pris l’initiative il m’a parlé du voyage comme de quelque chose de très grand, très important et qui doit avoir un grand effet, ici et partout. Il a ajouté " à présent, les bouderies de l’Empereur n'ont plus la moindre portée. " Il ne fera peut-être pas autrement qu'il n'a fait mais cela ne veut plus rien dire. " Voilà qui est vrai. Le bon de ce voyage, c’est que tout le reste dévient égal. Ecrivez donc ou faites écrire à d’André de bien vous mander tout ce qu’il entendra dire. Vos autres après auront bien l'esprit de le faire sans attendre un ordre. J’ai fait prier Kisseleff de venir ce matin, je serai bien aise de lui parler. Fluhman viendra probablement aussi. 10 heures Que de choses utiles et bonnes à dire à Aberdeen. Vous n'oublierez surement pas de donner une bonne bais [?] à vos entretiens. Vous rappelez que le bon langage des Ministres anglais au parlement a bien puissamment contribué à calmer les folies françaises. Il me parait que vous devez, que vous pouvez vous établir sur un pied de si bonne amitié et franchise avec lui. Surement comme étranger vous lui cèderez le pas aux dîners, & & & Je vous dis des bêtises. Vous savez tout cela. Mais n’importe. Qu’est ce que l’affaire de votre consul et du drapeau français. à Jérusalem ? C’est mauvais. Sébastiani a eu je crois une affaire pareille à Vienne ou Constantinople. Ou bien n'était-ce pas Bernadotte ? Je reviens à Appony. Vraiment je suis un peu étonnée. Le meilleur !!! Metternich était bien tant qu’il croyait être seul à vous protéger car c’est bien là le sentiment. Sa vanité était en jeu et de là venait sa bonne conduite. Aujourd’hui il est débordé, son dépit sera grand, en attendant son ambassadeur est trop sot Voici votre N°1. Merci, merci. J’aime autant, et même mieux que la Reine ne vienne pas à Paris. On n’aura plus le droit de dire, petite-fille curieuse de s'amuser. Et puis. Vous serez libre plutôt. J'aurais aimé à causer avec Lord Aberdeen, mais vous n'oublierez rien, seulement j'aurais eu le contrôle. Je suis charmé que ce soit Andral j'espère qu'on choisira son meilleur rôle. Passé minuit est un peu trop leste pour la vue ; car il sort de son lit avec le stricte nécessaire. However I don't know. Les tapes sont une grande habitude en Angleterre ; peut-être par la chaleur aimera-t-elle la nouveauté d’un parquet. Si j’avais Lord Cowley sous la main je lui soufflerais la mauvaise humeur du corps diplomatique. Il se croyait si sûr de la probité autrichienne ! Nous en causions le dernier jour et il me disait : " pour ceux-là ils ne seront surement pas. jaloux. " Je regarde beaucoup le ciel. Quel bonheur s'il reste aussi beau ; ce sera superbe. Le danger qu’a couru le Roi et la famille fait faire d'étranges réflexions. Dans l’accident de l’an passé, il n’y avait pas de quoi se donner une entorse, et le Duc d'Orléans y a péri ! A présent ils devaient être tués tous, et il n'est rien arrivé qu'un bain à 3 chevaux ! Vraiment, vraiment la main du duc est bien visible. Elle protège toujours le Roi. jaloux. " Je regarde beaucoup le ciel. Quel bonheur s'il reste aussi beau ; ce sera superbe. Le danger qu’a couru le Roi et la famillie fait faire d'étranges réflexions. Dans l’accident de l’an passé, il n’y avait pas de quoi se donner une entorse, et le Duc d'Orléans y a péri ! A présent ils devaient être tués tous, et il n'est rien arrivé qu'un bain à 3 chevaux ! Vraiment, vraiment la main de duc est bien visible. Elle protège toujours le Roi. Je repense à ma conversation avec Molé. Certainement, il a retrouvé son esprit. C’est de très bon gout de dire son contentement du voyage, et il le fait avec un air très naturel, irréprochable. Le diable n’y perd rien peut-être, mais c’est égal.. Je vous écris des lettres énormes. Aurez-vous le temps de les lire ? On vient de me faire dire de Versailles qu'il y a un appartement. Je me décide donc à retourner. Si je puis entraîner Fluihman, je l’emmène si non j’irai seule. Adieu. Adieu mille fois adieu. l wish you success. Je serai bien contente d’apprendre que la Reine est actually arrived. Adieu. J'ai oublié encore à l’article Appony ceci : il me dit, j'espère que M. Guizot et ses collègues ne montreront pas trop d’orgueil de cette visite. Soyez tranquille. Ce sont des gens d’esprit. And now good bye for good. Mais encore adieu.
3.Versailles, Samedi 2 septembre 1843, Dorothée de Lieven à François Guizot
6 heures du matin
Me voici bien véritablement à Versailles, mais cela ne me plait guère. L’appartement que j'occupe est au midi. J’étouffe. J’ai passé une nuit détestable. J’ai fait hier un mauvais dîner qui me dérange l’estomac. Enfin cela commence très mal. Je commence à me croire bête. Je ne sais pas les arranger. Kisseleff est venu hier à Beauséjour avant mon départ. Je voulais lui dire que le corps diplomatique se conduisait très sottement et lui insinuer par là la convenance de faire et dire autrement. Il s’est avoué coupable du pari, il les regrette extrêmement. Je l’ai rassuré, j’ai dit que quoiqu'on les sût on n’y ferait pas attention mais il faut qu'il règle son langage ou il a affirmé et je le crois qu’il dit à tout le monde en parlant du voyage " c’est un très grand événement ", & lorsqu'on lui jette à la face la petite fille. Il dit une petite fille qui est un roi, qui arrive flanquée de ses vaisseaux de ligne ; et accompagnée de son ministre, c'est le gouvernement, c'est l'Angleterre. Je l'ai loué et exhorté à continuer. Quand on a de l'esprit c’est comme cela, qu'il faut faire. Je voulais sérieusement rendre service à Kisseleff, et je suis sûre de mon fait en faisant ressortir que tous ses collègues sont des sots.
Ce pauvre Fluihman que j’attends qui est venu a été renvoyé brutalement par ce sot de Stryboss. Pauvre homme dans cette chaleur. Je lui ai écrit pour l’inviter ici aujourd’hui mais il ne me croira plus.
J’ai quitté Beauséjour à cinq heures, seule. J’ai dîné un peu tristement et mal. J'ai marché sur le pavé dans les ténèbres suivie d’Auguste. Comme c’est gai. Je suis entrée un moment chez Mad. Locke dont l'appartement touche au mien. Elle est très bête, sa fille a un ton de village, le mari ne dit plus un mot. Ce trio n’est pas soutenable si l'on ne vient pas me voir de Paris cette solitude sera intolérable.
J’attends votre lettre. Je voudrais bien savoir cette reine arrivée. Si elle tarde c’est autant de jours de pénitence de plus pour moi, et je les trouve déjà bien longs. Serra Capriela donne demain une soirée diplomatique au comte de Syracuse. Appony devait venir passer la journée chez moi, ceci l’en empêche.
Une heure. Voici votre lettre. Je vous en prie pas de galanterie en mer. Que le Roi n’aille pas au devant. La bonne grâce serait quand elle approchera et lorsque son bâtiment sera en rade. C'est-à-dire en parfaite sécurité, que le Roi monte en bateau ouvert pour la recevoir. Il est clair qu'il faut un bateau dans tous les cas. Je ne connais pas votre Tréport mais s’il est fait comme d'autres ports le bateau à vapeur n’arrivant pas jusqu’au bord il faut toujours se mettre en chaloupe pour aborder. C’est donc chaloupe que je voulais dire, et encore j'ai bien envie de m’en dédire. Je ne suis pas le moins du monde de votre avis sur ces sortes d’entreprises. " Là où il y a la plus petite chance d’un très grand malheur il faut s’abstenir ! " (traduction littérale d'un dicton Anglais.) Que le Roi reste chez lui. Et surtout pour Dieu que vous y restiez. Je n’aime pas toutes ces aventures. Ah que je voudrais qu’elle fut déjà là ! Votre lettre me fera trembler jusqu'à demain. Et puis je recommencerai. Vous me rendez très nervous par cette chance d’une promenade en mer si la Reine n’est pas arrivée demain quand vous lirez ceci, suivez-mon conseil. Je vous en conjure ; écoutez-moi.
Je vois que vous me voulez à Beauséjour. J’y retournerai puisque c’est votre volonté. Je coucherai encore ici aujourd’hui. Vous ne savez pas comme vous venez de m’inquiéter, et puis quand je me rappelle que nous nous sommes quittés si gais j'en reviens à un pressentiment triste. Je vous demande à genoux de ne pas vous embarquer, de ne pas embarquer le Roi. Adieu, adieu.
J'écris à Génie pour le prier de venir ici. Peut-être viendra t-il. Madame Narychkine revenue de Bade me rapporte la nouvelle que les trois filles du Grand Duc Michel se marient. L'ainée au Duc royal de Wurtemberg. La seconde au Duc régnant de Nassau. La troisième au Prince héréditaire de Bade. Tout cela d’excellents mariages. Et l’Empereur qui ne parvient pas à en faire de bons pour ses filles. Qu’est-ce que je vous dis là ! Je n’ai plus autre chose dans la tête que cette navigation du roi. Abominable idée jetez la par terre je vous en supplie. Adieu. Adieu. Adieu. Non pas gaiement du tout mais avec une horrible inquiétude. Adieu.
4. Versailles, Dimanche 3 septembre 1843, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le télégraphe annonce le passage devant Cherbourg hier à 6 h. du matin, elle sera donc arrivée hier à Eu. Et que vous ayez été en mer à sa rencontre ou non, Dieu merci le temps est et a été beau, je suis donc un peu tranquille et j’attends la nouvelle et vos nouvelles.
Hier Pogenpohl est arrivé, pendant que je dinais, je suis bien aise. Il dinera et promènera avec moi, that is a great help. A 8 heures Génie est venu. Nous nous sommes réciproquement communiqué au fond, c’étaient les même choses. Il ne voit pas pourquoi je me dérangerais. Si elle vient à Paris c’est autre chose, c'est-à-dire si on apprend qu’elle doit y venir. Vous voyez que tant qu’elle reste à Eu, je peux bien rester à Versailles, car ou on a rien à faire ou à décider à Paris, aucun conseil ou idée possible à donner parce qu'on n'en a pas besoin. J'ai bien envie qu’elle n’y vienne pas. Un accident, serait quelque chose d'épouvantable quand on s'engouffre dans cette idée cela fait maigrir sur place de terreur. La demeure aux Tuileries est mauvaise pour cela, car elle sort le matin de bonne heure à pied. Elle voudra sortir dans le jardin. La retenir prisonnière est si gauche. L'exposer est si terrible. Au fait l’Elysée Bourbon si elle veut Paris, c'est-ce qu’il y a de mieux. Mais j'aime mieux qu’elle ne veuille pas. Elle devrait traverser Paris incognito, voiture ordinaire, coucher à St Cloud. Voir Versailles and go home that would be the good thing. Vous allez me dire tout cela. Que vous devez être content ! Savez-vous que plus on y pense plus on trouve qu’il y a de quoi. C'est superbe et excellent. Pogenpohl me dit qu'à Paris l’effet est immense. Dans les rues partout, on ne parle que de cela. C'est une époque dans un règne. Quel joli petit paragraphe cela fera dans le discours d'ouverture des Chambres. Je voudrais bien être à Vienne, Berlin & Pétersbourg pour une demi-heure. Certainement, le soufflet est gros. Génie croit savoir qu’Armin en est le plus non pas dépité, mais chagriné par le mauvais air que cela donne à la maussaderie de son Roi il y a 1 an 1/2. Il dit savoir aussi que le langage d'Appony s'est amendé. Je verrai cela. Je suppose qu’ils viendront demain ne pouvant pas venir aujourd'hui.
Midi. Voici Génie qui me fait la gracieuseté de m’envoyer un homme exprès pour m’annoncer l'arrivée de la Reine, et m’envoyer en même temps votre lettre N° 3. Dieu merci, et merci que je suis contente, et que j'ai été bête hier avec mes terreurs. Mais vous ne vous serez par fâché. Vous ne vous fâchez pas contre moi vous savez d’où viennent mes bêtises.
Ce que vous me dites de Metternich à propos du mariage de Don Carlos m'amuse. C’est bien lui ! Qu'il va se trouver nigaud avec son idée correcte ! Mais savez-vous ce qui arrivera ? C’est qu’entre ceci dont l’Espagne ne voudra pas, Naples que l’Autriche empêchera. Les autres retrouvés par d’autres motifs, quand il ne se trouvera plus de Bourbons, que personne ne peut vouloir un de vos fils, et que vous ne pouvez pas permettre un Autrichien, on finira par trouver le Cobourg le plus inoffensif, en même temps que le lien entre l'Angleterre et la France. Prenez garde à la possibilité que l’affaire prenne cette marche-là. Arrangez-vous pour Naples avec Angleterre. C'est la bonne affaire. Pogenpohl qui a des correspondances beaucoup à Florence où il a longtemps résidé dit que le Lucques est un charmant garçon. Pourquoi pas Lucques si Naples n’allait pas ? Adieu. Adieu.
Je rabâche. Je suis in the highest spirits de savoir la Reine en France, à Eu. C'est une perfection. J'oublie de vous dire que j’ai bien dormi, que je suis mieux. à 7 1/2 j’étais sur la terrasse du palais, pas une âme que la sentinelle. Un air pur excellent. Adieu. Adieu. Que je suis impatiente de votre prochaine lettre. Adieu ever adieu. Remettez ceci à Lady Cowley.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Conditions matérielles de la correspondance, Diplomatie (France-Angleterre), Inquiétude, Mariages espagnols, Politique (Espagne), Relation François-Dorothée (Diplomatie), Relation François-Dorothée (Dispute), Réseau social et politique, Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne)
5. Versailles, Dimanche 3 septembre 1843, Dorothée de Lieven à François Guizot
3 heures
Je vous écris un mot encore parce que j’ai peur que ma lettre de ce matin ne vous arrive pas. Etienne n'étant pas venu comme de coutume à midi j’avais renoncé à le voir, et j’ai été mettre moi-même à la poste ma lettre adressée à Génie. Deux minutes après Etienne était là, Il n’y a plus moyen de retirer ma lettre, mais comme c’est dimanche Dieu sait si elle sera remise à Génie à temps pour partir par le courrier ordinaire et si vous ne recevez rien vous me croiriez morte. Je vis. Je me porte bien, & je suis dans le ravissement de l'arrivée de la Reine, voilà ce que je vous dis bien courtement encore après vous l’avoir dit plus longuement tantôt. Adieu. Adieu.
J’attends Fleichman. Je le ferai bien jaser sur ses collègues. Adieu. L’article des Débats ce matin, est excellent. Tous les articles dans les journaux ce matin sont autant de fêtes & de succès. Cela a bien bon air. Voici Barante qui m’écrit pour me dire qu’il ne croit pas à l'arrivée de la Reine.
6. Versailles, Lundi 4 septembre 1843, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures
Quel charmant récit ! Votre N°4 est une peinture vivante de cette magnifique rencontre. Je suis ravie. La Chaloupe est bien à la bonne heure. Et puis quand elle partira la Chaloupe encore s'il fait beau et pas plus et pas autre chose, je vous en prie.
J’ai eu votre lettre à 5 heures par un spécial que m’a envoyé Génie. Il s’offrait à venir lui même après son dîner, mais je lui ai mandé le principal de ce que vous me dites pour l’en dispenser.
Avant cela, à 3, est venu Fleichman. Bon homme et même pas sot mais trop peu au courant. Ainsi ébahi quand je lui dis qu’Aberdeen était du voyage. Il a ouvert ses plus grands yeux, c'est alors seulement qu'il a compris que ce voyage était quelque chose, au reste il parle bien, et il n'a jamais mal parlé car il n’était même pas à cette fameuse soirée de mardi chez Appony qui a fourni de si curieuses observations à Molé. Il trouve que c’est immense. Il croit que son Roi rira de ce que cela vexera les autres. C’est tout-à-fait dans le caractère du Roi de Wurtemberg.
La jeune comtesse est arrivée ici avec du monde russe, elle m’a amusée et m’amusera encore jusqu’à ce soir. Elle retourne à Paris. Mes voisins les Locke m'ennuient moins. Ils sont bonnes gens. Je les ai vus hier plusieurs fois. Je suis un god send pour eux avec mes nouvelles sur leur reine.
Je trouve les premières paroles d'Aberdeen excellentes, vous aurez soin que le remplissage ressemble au cadre. J'espère bien que vous lui parlez Français. Un Anglais s’offense quelque fois quand un étranger lui parle autrement. Pour le Roi c'est autre chose, c'est sa coquetterie et il fait bien. Fleichman nie fort et ferme le mariage de son prince royal avec une fille du grand duc Michel. Porte-t-on à dîner la santé de la reine d'Angleterre. Je crois que vous aviez oublié de mettre cela sur votre mémorandum. On dit que les deux voleurs sont très ennuyeux. C'est de l'opéra comique.
1 heure. Voici le N° 5. Merci toujours merci car au milieu de tant de distractions et d’affaires vous m'écrivez de bonnes lettres. Dites-moi quand vous revenez. Quel jour, quelle heure. Je ne m’ennuie pas ici, mais je ne me porte pas bien, je ne sais ce que c’est, peut-être la chaleur ne m’a-t-elle pas convenu. Aujourd'hui il fait frais. J’attends Appony et Armin. Comment trouvez-vous l’adresse de la fête à Espartero ? Adieu. Adieu, j’irai voir Trianon avec la jeune comtesse. Adieu tendrement, adieu.
7. Versailles, Mardi 5 septembre 1843, Dorothée de Lieven à François Guizot
Merci de deux bonnes lettres hier. La seconde avec l'incluse de lady Cowley m'est arrivée tandis que j’étais à dîner avec Appony et Armin. Comme elle était fort innocente. Je leur ai donné le plaisir de la lire. C'était pour eux un treat. Ils sont venus de bonne heure, j’étais dans les bois en calèches avec Pogenpohl qui me tient fidèle compagnie pour la promenade et pour le dîner. Nous avons eu encore de la causerie avant le dîner à nous trois.
Vraiment Appony est impayable. Il me dit maintenant on ne pourra plus dire que c'est un caprice d'une petite fille curieuse puisqu’elle ne vient pas à Paris. On était tout juste lui il y a 3 jours. C'est de moi qu'ils ont su qu’elle n’y venait pas. car en ville on l’attend encore. Tous les deux m'ont dit avec bonne grâce " c’est plus flatteur puisque c’est personnel. " Enfin le ton était tout-à-fait changé. Mais j’arrive à l’essentiel. Tous deux m'ont parlé du mariage Espagnol. Vous ne serez pas sorti de votre voiture en arrivant à Paris qu’ils seront là pour vous presser au sujet du mariage Don Carlos. Armin en a reçu l’ordre formel de sa cour. Appony s’est longuement étendu sur le fait. Bon pour tout le monde. Bon pour l’Espagne puisque cela confond et réunit les droits et écarte les dangers d’une guerre civile que ferait naître un prétendant. Bon pour l'Angleterre pour la France (qui veut un Bourbon) pour toutes les puissances puisqu’elles sont d’accord sur la convenance et l’utilité de ce mariage. Bon encore pour l'Espagne puisque c’est la seule combinaison qui lui assure la reconnaissance immédiate de la reine par les 3 cours. Enfin rien de plus correct, de plus irréprochable, de plus désirable. J’ai dit amen. Mais deux choses, l’Espagne voudra-t-elle ? & Don Carlos voudra-t-il ? pour l'Espagne nous en sommes presque sûrs pour Don Carlos c’est difficile, mais si l'Angleterre & la France voulaient seulement concourir, l’Espagne serait sûre & on pourrait l’emporter à Bourges. Au reste ajoute Appony je vous dirai que Lord Aberdeen est excellent et qu'il a dit à Neumann qu’il était tout-à-fait pour le mariage Don Carlos, en êtes-vous bien sur ? Parfaitement sûr.
Nous sommes revenus à la visite de la Reine, à l’effet que cela ferait en Europe. Ils en sont tous deux curieux, au fond ils conviennent que cela ne plaira pas, que c’est comme une consécration de la diplomatie et que certainement pour ce pays-ci c’est un grand événement ; nous avons parlé de la Prusse, et moi j’ai parlé. du peu de courtoisie des puissances envers ceci. Appony s’est révolté ; comment ? Au fond la France nous doit bien de la reconnaissance si nous ne lui avons pas fait des visites au moins l’avons- nous toujours soutenue, toujours aidée. Le solide elle l’a trouvé en nous. C’est vrai mais les procédés n’ont pas été d’accord. Les princes français ont été à Berlin, à Vienne, d’ici on a toujours fait des politesses. On n’en a reçu aucun en retour, et depuis quelques temps vous devez vous apercevoir que le Roi est devenu un peu raide sur ce point. Alors Armin est parti. Le Roi a été très impoli pour nous. C'est une grande impolitesse de n’avoir envoyé personne complimenter mon roi quand il s’est trouvé l’année dernière sur la frontière. Nous avons trouvé cela fort grossier & M. de Bulow l’a même dit à M. Mortier (quelque part en Suisse) mais votre Roi n’avait pas été gracieux six mois auparavant. Il a passé deux fois à côté de la France sans venir ou sans accepter une entrevue. Oh cela, c'est Bresson qui a gâté l’affaire. Il a agi comme un sot. Il a voulu forcer la chose et l’a fait échouer par là. Je vous répète tout. Ensuite rabâchant encore sur Eu, Appony me dit au moins la Reine ne donnera certainement pas la jarretière au Roi. C’est cela qui ferait bien dresser l’oreille dans nos cours ! Pourquoi ne la donnerait-elle pas ? Vous verrez que non.
Ils ont ensuite parlé de la légion d’honneur au prince Albert comme d’un matter of course Je crois que j’ai expédié mes visiteurs dans ce qu’ils m’ont dit de plus immédiat. Faites donner la jarretière au Roi. Vous avez tous les moyens pour faire comprendre que cela ferait plaisir ici. Commencez par donner le cordon rouge au Prince. Mandez-moi que vous n'oubliez pas cette affaire. Car c’est une affaire.
Direz-vous quelque chose à Aberdeen de vos dernières relations avec ma cour ? Il ne faut pas vous montrer irrité, mais un peu dédaigneux ce qu'il faut pour qu'il sache que vous voulez votre droit partout. Cela ne peut faire qu'on bon effet sur un esprit droit et fier comme le sien. J'espère que vous êtes sur un bon pied d’intimité et de confiance et qu'il emportera l’idée qu'il peut compter en toutes choses sur votre parole. Faites quelque chose sur le droit de visite. N'oubliez pas de dire du bien de Bulwer. C'est bon pour lui en tout cas qu’Aberdeen sache que vous lui trouvez de l'esprit et que vous vous louez de son esprit conciliant.
Après le dîner que je fais toujours ici à cinq heures, j’ai été avec mes deux puissances faire une promenade charmante mais un peu fraîche en calèche. Ils m'ont quitté à 8 1/2 et comme je n’ai plus retrouvé Pogenpohl je suis allée finir ma soirée chez Madame Locke. J’ai passé une très mauvaise nuit. Mes attaques de bile. Décidément les dîners d'Auberge ne me vont pas et j’ai envie de m’en retourner aujourd'hui à Beauséjour.
10 heures. Génie, notre bon génie m’envoie dans ce moment votre n°4 excellent je vous en remercie extrêmement. Je suis bien contente de penser que tout va bien. Quelle bonne chose qu'Aberdeen ait vu le Roi, vous. Quel beau moment pour vous en effet. Je me presse, je remets ceci à ce messager, sauf à vous écrire plus tard par le mien. Adieu. Adieu. Adieu.
N’allez pas dire un mot à Aberdeen des vanteries d'Appony. C'est-à-dire ne dites pas que c'est moi qui vous le dis. Ne prononcez pas mon nom quand vous parlez affaires. Pardon vous savez tout cela, mais j’aime mieux tout vous dire, tout ce qui me traverse l'esprit. Adieu. Adieu à tantôt.
Pourquoi ne faites-vous pas donner la part du Diable ? C'est décidément charmant. Opéra comique.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Diplomatie, Diplomatie (France-Angleterre), Diplomatie (Russie), Europe, Louis-Philippe 1er, Mariages espagnols, Politique (Espagne), Portrait, Relation François-Dorothée (Diplomatie), Réseau social et politique, Santé (Dorothée), Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne)
8. Versailles, Mardi 5 septembre 1843, Dorothée de Lieven à François Guizot
Midi
Voici ma seconde lettre aujourd’hui en vous expédiant vite la première pour ne pas faire attendre l’homme de Génie. Je n’avais pas lu encore ce que vous m'avez envoyée. Je viens de le lire avec attention, c’est excellent et vous êtes vraiment très vertueux. La pièce jointe est parfaite à lire et même à donner. Il y a dans le compte-rendu des choses qu'il faudrait soustraire ce qui fait que je me bornerai au récit. Je ne sais pas encore, si je m'en chargerai moi-même où si le dirai à mon petit homme. Je vous rendrai votre papier " Si j'avais le temps, elle m'aimerait " vous me disiez cela hier en me parlant de Lady Cowley. C'est charmant et cela a fait éclater de rire l'Autriche et la Prusse.
Une heure.
Vraiment je me sens très souffrante, et je partirai. J’attendrai 5 heures parce que je crois que le duc de Noailles doit venir me voir. Adieu Je n'ai rien à ajouter. Je trouve tous les journaux aujourd’hui fort bons. Les fonds ont beaucoup haussé. Enfin ce voyage est ce qu’il devait être un grand et bon événement. God bless you et revenez. Je vous conjure de ne point vous embarquer du tout jeudi si le temps était gros ou seulement pas bon. C'est des bétises. Il ne faut rien rien risquer. Que je serai heureuse de vous revoir ! Vous ne me dites pas quand ? Je doute que vous reveniez avant jeudi minuit ainsi vendredi de bonne heure. Mais vous me ferez dire que vous êtes arrivé vendredi à mon reveil n’est-ce pas ? Ayez bien soin de vous je vous en conjure. Adieu. Adieu. Vous concevez que si vendredi à 8 h. du matin, je n’ai pas un billet de vous qui me dise que vous êtes à Auteuil j'irai me jeter dans la Seine. Adieu.
9. Beauséjour, Mercredi 6 septembre 1843, Dorothée de Lieven à François Guizot
Me revoilà dans mon home et j'en suis bien aise. J’ai encore dîné hier à Versailles et j’étais ici à 8 heures, & dans mon lit à 9. J'ai bien dormi jusqu'à 6 heures. à 7 heures j’étais sur les fortifications, je viens de faire ma toilette et me voici à vous. J’attends votre lettre. Le Galignani et les journaux ont devancé votre récit. Je sais que Lundi s’est bien passé. Belle promenade & concert. Je voudrais que tout fut fini. Dieu merci c'est le dernier jour.
Kisseleff est venu me trouver à Versailles hier sur les 3 heures, nous ne nous sommes vus seuls que dix minutes. Le Duc de Noailles est arrivé. Dans les 10 minutes il m’a dit qu'il avait écrit à Brünnow ceci : " On dit que le corps diplomatique (de Paris) montre quelque dépit de l’entrevue royale, quant à moi je me tiens dans un juste milieu. Je dis que c'est un événement très favorable au Roi et à son gouvernement et voilà tout. Si les autres disent plus ou autrement je trouve que c’est de la gaucherie. " Je l'ai encore loué. Il me dit qu'Appony avait changé de langage. Je le savais moi-même de la veille. Il est évident que c’est le rapportage de Molé et La confidence que je lui en ai faite qui ont amené ce changement. C'est donc un service que je lui ai rendu. Mais il n'en sort pas sans quelque petits blessure.
J’ai régalé le duc de Noailles de tout ce récit qui l’a fort diverti. Il a jugé l'homme comme vous et moi. Je lui ai dit qu’on savait que son langage à lui était très convenable. Cela lui a fait un petit plaisir de vanité. Il est évident que tous les jours ajoutent à son éducation politique, et qu’il meurt d’envie de la compléter. Je lui ai lu ainsi qu'à Kisseleff les parties descriptives de vos lettres. Cela les a enchantés surtout le duc de Noailles. Il trouve tout cela charmant, curieux, historique, important. Non seulement il n’y avait en lui nul dépit mais un plaisir visible comme s’il y prenait part. Je lui ai lu aussi un petit paragraphe, où vous me parlez du bon effet du camp de Plélan. Il m’a prié de le lui relire deux fois. Il est évident qu'il voudrait bien qu'on se ralliât. Il suivrait, il ne sait pas devancer. Il m’a parlé avec de grandes éloges du Roi, et de vous, de votre fermeté de votre courage, de votre habileté, de votre patience sur l’affaire d’Espagne. Il est très Don Carlos il a raison, c’est la meilleure combinaison parce qu'elle finit tout et convient à tous. Mais se peut-elle ? Il regrette que la Reine ne soit pas venue à Paris. " Un jour pour Paris, un jour pour Versailles. Elle aurait été reçue parfaitement. Le mouvement du public est pour elle aujourd’hui tout à fait. Une seconde visite sera du réchauffé. Aujourd’hui tout y était, la surprise, l’éclat. " C’est égal j’aime mieux qu’elle n'y soit pas venue. Kisselef m’avait quittée à 4 1/2 pour s’en retourner par la rive droite. Comme le Duc de Noailles partait par la gauche nous avons eu notre tête-à-tête jusqu'à cinq. Kisseleff partait triste, il avait peu recueilli. Tous les deux avaient dû dîner en ville et n'ont pas pu rester. J’ai dîné ave Pogenpohl que j’ai ramené jusqu’ici. J’ai remarqué qu'il en avait assez de Versailles. Un peu le rôle de Chambellan. La promenade et le dîner, et encore par la promenade quand j'en avais un autre. Mais c’est juste sa place.
Onze heures. Voici le N°8 merci, merci. Que vous avez été charmant de m'écrire autant ! Enfin vendredi je vous verrai c’est bien sûr n’est-ce pas ? Passez-vous devant Beauséjour ou bien y viendrez-vous après avoir été à Auteuil ? Vous me direz tout cela. Que de choses à me dire ; nous en avons pour longtemps. Et puis, l’Europe a-t-elle donc dormi pendant Eu ? Comme nous allons nous divertir tous les jours des rapports de partout sur l'effet de la visite ! J’irai ce matin en ville mais tard. Je passerai à la porte de Génie pour causer avec lui. Et puis commander ma robe de noce pour lundi. Ensuite en Appony pour voir le trousseau. J’y resterai pour dîner. Voici donc ma dernière lettre. Adieu. Adieu. Adieu. Apportez-moi moi la jarretière, je m’inquiète que vous ne m'en parlez pas. Ce que vous dites de la princesse de Joinville est charmant ! Adieu encore je ne sais pas finir. Adieu. Prenez soin de vous demain. J’ai si peur de la mer. Et puis j’ai peur de tout. Revenez bien portant, revenez. Adieu. Je me sens mieux aujourd'hui.
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Diplomatie, Diplomatie (France-Angleterre), Femme (diplomatie), Femme (politique), Inquiétude, Louis-Philippe 1er, Politique (Espagne), Politique (France), Portrait (François), Réception (Guizot), Relation François-Dorothée (Politique), Réseau social et politique, Salon, Santé (Dorothée), Santé (François), Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne), Voyage
9. Beauséjour, Mercredi 6 septembre 1843, Dorothée de Lieven à François Guizot
3 heures
Ayez la bonté de remettre ceci à Lady Cowley. Cette lettre a été oublié sur ma table à Versailles et je voudrais qu’elle l’eût. Je n’ajoute que ce mot. Je n’ai vu personne et je vais en ville dans ce moment. Adieu. Adieu.
A vendredi. Quel plaisir. Adieu.
Fontainebleau, Samedi 15 Juin 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le 15 juin 1844
Le 15 juin ! Nous l'avions oublié ! Le voilà qui m'apparait tout juste quand je vous ai quitté. Je suis dans un autre pays ! Il n’y a pas d'à propos. Vous auriez dû venir à Fontainebleau. M. Beauvais est venu m'annoncer que cela ne se peut pas. C’est fini !
La grande Duchesse allait beaucoup mieux. La fièvre l'avait quittée. il est donc vraisemblable que l’Empereur en trouvant cette nouvelle à Berlin ou même avant aura repris la route de Kenzingen. Il y sera d’autant plus disposé que Melle Nélidoff s’y trouve, & qu'au fond voilà la clé de tout cet arrangement et de l’exclusion qu'on donne aux Princes & Rois.
J'ai fait mon voyage en cinq h. 1/4. Je suis arrivée avant le reste de la société. Tout cela dîne et moi j’ai mangé mon poulet dans ma chambre. Je ne suis pas sociable. Tout cela est bien jeune pour moi. L’air est charmant. Constantin m'a cassé une glace, & puis une jalousie, et enfin j'ai fait la route avec un côté éclipse totale. J’ai eu de la peine à ne pas montrer ma petite colère ; adieu, adieu.
Je le répète, l’air est charmant je ne saurais dire autre chose. Adieu. Adieu.
Fontainebleau, Dimanche 16 Juin 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le 16 juin 1844
J'ai reçu votre lettre ce matin. Je ne sais encore à quelle heure je partirai demain. Je dis dix heures. Mais je ne sais pas si ma voiture sera prête. J’ai donné à refaire tout ce que Constantin m’a cassé, et j’ai peur de Dimanche dans tous les cas vous passerez chez moi en sortant de la Chambre. Si je n’y étais pas, ce serait parce que je n’aurais pas pu partir et il faudra attendre mardi. J’ai passé une nuit atroce. Je ne me suis endormie qu'à 7 heures ce matin. Toute la nuit j'ai fait des plans. Ce qu'il y a de sûr c’est que je ne retournerai pas à Beauséjour, c’est trop triste. Je ne puis pas avaler cela. La vue constante de mon jardin. Mais où aller ? Versailles. St Germain. Il n’y a que cela, car prendre une maison, la chercher d’abord. C'est trop d'embarras car c’est à moi a prendre tous les embarras. Rester en ville, impossible si Fontainebleau n'était pas si loin. On y est très bien, & des roses & un joli jardin sous ma fenêtre. Je vous assure que je me sens très malheureuse de tout cela.
J'ai oublié de vous dire que la Comtesse Moltke est fille d'une comtesse Grégoire Razoumofsky. N’est-ce pas celle que vous avez connue ? La comtesse Léon l’a élevée. Elle est charmante au dire de tout le monde. Depuis dix ans elle habite Florence avec son mari. Sa mère était d’une famille autrichienne. Je crois qu'au fond elle était la maîtresse & pas la femme du comte Grégoire.
J’ai vu le Palais c’est très curieux et très beau. J’ai vu les belles parties de la forêt, j’en suis enchantée. Le temps aussi est superbe. La société ne m'amuse pas beaucoup. Il n y a que Rodolphe, le cousin, pour moi. Il a plus d’esprit que je ne croyais. Adieu. Il me semble que je suis d’assez mauvaise humeur, vous ne savez pas mon adoration pour un brin d herbe, pour une fleur et n'en pas posséder une seule, ne pas avoir la jouissance la plus vulgaire, passer un été, peut-être mon dernier été sans ce bonheur là, j'en pleure. C’est vrai, j’ai pleuré cette nuit. Adieu, adieu. A demain, j'espère. Adieu.
Versailles, Vendredi 21 Juin 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
8 heures
J’ai trouvé un bon appartement & un détestable dîner. Je reste. Ce bon Constantin m’a accompagnée et me quitte ce soir. Pour revenir me trouver demain. Dans tout les cas, je reste ici demain & dimanche. Demain je dîne chez les Stockhausen, et Dimanche je vous attends ici. Ne manquez pas de venir je vous en supplie, parce que j'écarte tout le monde. Si vous me plantiez là. Je serais parfaitement abandonnée. J’attendrai de vos nouvelles demain avec impatience. Je m'ennuie déjà beaucoup, c’est ce qu’il y a de plus clair dans mon histoire. Adieu. Adieu.
Le temps est superbe. Rappelez- vous qu’après cinq heures demain. Je serai chez les Stockhausen à Marne c’est à côté de Ville d'Avray. Adieu, bonsoir, bonne nuit et surtout, adieu.
Versailles, Vendredi 21 Juin 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je vous prie beaucoup de faire cela. J'ai un air de négligence ou de mauvaise foi qui me fait de la peine. Ce que je vous supplie c’est que la reconnaissance de Pogenpohl ne se fasse qu’après le premier du mois prochain. Toute à vous. Vendredi 21 juin.
Versailles, Samedi 22 juin 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je trouve votre lettre à mon retour d’une promenade et d’une visite chez Lady Sandwich, le garde m’a attendu depuis 1 heure. Je dis cela pour le légitimer. Merci de la promesse pour demain, je vous attendrai de pied ferme au réservoir depuis quatre heures. Et nous nous promènerons , nous dinerons, nous promènerons encore, & la causerie !
J’ai assez bien reposé cette nuit. L’air est fort agréable pas autant qu'à Fontainebleau, mais c’est qu’il fait plus chaud. Constantin m’a quitté à 9 heures. Il revient aujourd’hui à 4. Nous irons diner ensemble. Il me ramène ici et s’en retourne à Paris. Si j'ai quelque chose je vous le manderai par lui.
Je vous remercie de l’affaire de Pogenpohl. J'ai lu le Siècle ce matin, et j’ai été étonnée de la causerie avec Thiers. Lady Sandwich lui donne à dîner mardi ici, c’est-à-dire dans une maison de campagne qu’elle a louée ici. Elle m’a fait vos éloges d'une manière très exaltée. Adieu. Adieu
Je n'ai rien à vous raconter que mon ennui. Cela n’est pas touchant, puisque je l'ai voulu. Si vous pouvez m’apporter demain la vie de l'Abbé de Rancé vous me feriez une grande charité. Je n’ai rien à lire. Au fond je ne croyais pas que je trouverais un appartement et je n'ai rien apporté, pas même un bonnet. Adieu mille fois.
Versailles, Lundi 24 juin 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
1 heure
C’est vraiment aujourd’hui la St. Jean. Le dîner à Chatenay ! Nous massacrons nos anniversaires. C'était aujourd’hui qu’il fallait venir à Versailles. Merci de la bonne journée d’hier. J'ai fait beaucoup de réflexion sur la nécessité absolu, quand on est chef du gouvernement, de tenir les partisans au courant de toute démarche ou ligne de conduite qui a de l'importance. L'exemple de Peel est frappant. Il n'aurait dû rien commencer, sans en prévenir ses amis. Il y a bien des dangers à leur causer de la surprise. Je parlerais longuement sur ce chapitre, j’en suis très préoccupée depuis hier. Quelles séances à la Chambre du commerce ! What a shame !
J’attends mon cuisinier et puis j’attends mon neveu ; avant tout cela j’attends un orage, car le temps est bien couvert. L'orage m’est égal en bonne compagnie. Seule, je ne l’aime pas du tout.
5 heures. L'orage n’est pas venu. Je me suis fait traînée en calèche. Seule là où j’étais hier avec vous ! La lettre de Brünnow à la Duchesse de Somerset a été insérée dans le journal de Hambourg. Je serai curieuse des commentaires ici si on en fait.
Rue St Florentin, 10 heures du soir. J’ai attendu votre lettre. Elle n’est point venue. à 7 3/4 je me suis mise en voyage. J’ai marché, j’ai roulé avec Constantin. J'ai été à Auteuil. J’ai vu des voitures. On m’a dit à votre porte qu'il y avait beaucoup de monde. Je n’ai pas osé vous faire sortir ; et n'ayant pas prévu ce contre-temps. Je n’avais pas de lettre à vous faire remettre. Je vous envoie ceci avant de me coucher. Stryboss va le remettre au foreign office. Adieu. Adieu. Je vous attendrai demain à midi ici. Adieu.
Paris, Dimanche 14 juillet 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’a été souffrante cette nuit il me sera impossible de me trouver à 3 1/2 au rendez-vous. Je vous en donne avis, et vous propose de venir à Auteuil un peu plus tard. J'y serai à votre porte entre 4 1/2 & 5 heures pour vous prendre et nous promener si le temps le permet, ou pour vous parler un moment dans ma calèche s’il n'y a pas d’autre ressource.
Je ne compte pas sur la soirée, car je ne suis pas bien et il faudra me coucher de bonne heure. Vous me ferez savoir un mot de réponse. Avez-vous quelque chose de Tanger ou de la grande Duchesse ? Adieu. Adieu.
Paris, Mercredi 31 juillet 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Mercredi 31 Juillet 1844
Que je vous remercie de ces deux pages que je vais importer avec moi et relire, et encore relire jusqu'au successeur. Oui je suis bien triste. Mais je pars. J’étais dans mon lit à 8 3/4. Mon fil est venu encore. Il m’a quittée à 9 1/2. Je suis resté longtemps sans dormir et ma nuit a été fort troublée, mais enfin me voilà debout et à 9 heures je me mettrai en voiture. Adieu. Adieu.
Si vous saviez comme je suis triste et comme je vous aime !
Mots-clés : Amour, Eloignement, Relation François-Dorothée, Santé (Dorothée), Tristesse
Epernay, Mercredi 31 juillet 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'arrive, mais la poste a passé, vous n'aurez donc ceci qu'après demain. Cependant j'écris pour vous dire que la journée a été bien, je suis partie à 9 1/2. J'ai couru fort vite, je ne suis pas trop fatiguée. Je vais dîner et me coucher ; il me parait que c'est une soupe, bien vilaine soupe. Vous êtes si loin ! Vous dinez dans la moment chez vous au milieu de votre famille, tranquillement, gaiement. Non pas tout-à-fait. Je vous manque, pas là, mais du reste n'est-ce pas ? Adieu. Adieu.
J’ai chaud, je me fatigue à écrire. Je vous quitte, je vous aime ! Adieu. Comme j’attendrai vos lettres, & Hennequin ! Adieu.
2. Void, Jeudi 1er août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
6 1/2
Je me figure que je vous fais plaisir en vous écrivant des lettres bien insipides. C’est ce qu'on peut faire de mieux en voyage, n'avoir rien à raconter. La seconde journée a été comme la première. Le gros du voyage est fait. Je ne m'ennuie pas trop.
Constantin me fait une très bonne et utile ressource. Que faites-vous, que fait le monde ? L'Afrique, la grande Duchesse ? Vous auriez beaucoup à m'apprendre. Que voulez-vous que je vous raconte ? Ah. Voici. L’automne de l'année 40 le roi de Prusse écrivait à L’Empereur son beau-frère une lettre qui finissait ainsi. " Adieu mon cher Niks. Je reste votre affectionné Fritz et chef de votre avant-garde en cas de Thiers. " L'Empereur a lu cette lettre, devant les aides de camps. J’ai trouvé cela assez drôle pour vous le raconter. Adieu. Adieu.
Ecrivez-moi beaucoup, beaucoup. Adieu.
Mots-clés : Enfants (Benckendorff), Ennui, Relation François-Dorothée, Voyage
3. Saverne, Samedi 3 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
6 h. du matin
Je veux encore vous dire adieu sur terre de France. Je serai triste en passant le Rhin ! Hier n’a pas été si bien que les autres journées. Un accident ; le postillon sous les chevaux... La voiture presque renversée. Mon Constantin a sauté dehors avec une prestesse de cosaque. Il a tout fait, coupé les traits, relevé le postillon. Enfin nous nous sommes remis de la frayeur et de l’accident. Cela a fait un délai d'une heure. Le pauvre postillon y perdra un doigt.
Je vais donc revoir mon frère aujourd’hui. Je commence à y penser. J’aurai un peu de plaisir, et quelques conversations curieuses. A propos, si l’envie de voir Strasbourg lui venait, s’il était curieux (ce qu'il sera) d’un exercice des chasseurs d’Orléans, Hennequin serait-il homme à l’orienter pour le jour où cela pourrait se rencontrer ? Ou bien pourriez-vous lui faire tenir quelque autorisation auprès du Chef militaire pour cela ? Cela serait de la bien bonne grâce. Je vous dis ceci en l'air, mais Constantin croit que son oncle serait le plus heureux du monde de voir pareille fête.
Les visiteurs de Bade arrivent à Strasbourg sans passeports. Au reste je vous reparlerai de cela encore quand je l’aurai vu. Je vais déjeuner et partir. Je soutiens bien le voyage. Constantin est tout étonné du peu d'embarras que je lui donne, mais cela vient de ce qu’il est là et que je ne m’inquiète pas de mille détails du voyage. Ma santé va assez bien. Adieu. Adieu. Ecrivez-moi, soignez-vous. God bless you dearest.
Mots-clés : Enfants (Benckendorff), Famille Benckendorff, Récit, Santé (Dorothée), Voyage
4. Bade, Dimanche 4 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
8 h. du matin
Je suis arrivée hier à 2 heures. Mon frère était là depuis midi. Il nous a reçu avec l'air bien effacé. La vue de son beau frère l'avait consterné. Je voulais aller droit chez lui, il s'y est opposé craignant l'agitation. J’ai donc été prendre possession de mon appartement et je n’y étais pas depuis deux minutes que mon frère entre. Une ombre, un cadavre, quelque chose qui fait reculer d’effroi. J’en ai été extrêmement saisie, il m’a été difficile de reprendre aucune idée, aucun souvenir, et vraiment les premiers moments ont été muets et bien pénibles. Il avait passé la veille par Stutgard. Il était allé pleurer sur le tombeau de mon frère chéri. Cela m’a touchée. Nous avons dîné à quatre heures chez mon frère. Une tenue de Pacha qui me déplait, une conversation de bêtises. L'humeur hautaine et maladive. Après le dîner deux minutes seuls ; il a voulu me parler de l'Empereur. Les enfants sur viennent. Il ne parle plus que de cette conversation de Pétersbourg qui va bientôt me faire l’effet des araignées de Beauséjour. Je n'irai plus dîner là. Je rechercherai les tête-à-tête, je vois qu’il en a envie aussi. Avec lui sont venus quelques subalternes dont un homme d'esprit et honnête homme à ce que dit Constantin. Ce Monsieur m’a fait demander par lui une entrevue secrète. Il avait à me remettre une lettre secrète aussi du comte Michel Woronsov pour m'entretenir de l’état de mon frère, tout ce monde n’espère plus qu'en moi pour le tirer des griffes de Madame de K. et le faire retourner en Russie. On ne voit son salut que dans ce retour J'ai bien étonné l'homme quand je lui ai dit que je le ferai, & que je mettrais Madame de Krudwer dans la conspiration. C'est là ce que je vais faire en effet. En attendant, il renverra le médecin qu’elle lui a donné et qui l'a quasi tué en l'envoyant à Karlsbad qui lui a fait un mal affreux. Voilà le chapitre de la famille terminé.
Je ne sais rien. La grande Duchesse n’avait plus que quelque jours à vivre. Le Roi de Prusse est un arlequin. Voilà comme on l'appelle. Mon prince Emile n’est pas ici. Bacourt y est, cela me réjouit, j’ai avec qui parler. Votre bonne lettre de jeudi m'a été remise à dîner, merci, merci. Quelle distance de la lettre à la conversation où j’étais plongée ? Jamais on n’a vu plus immense contrainte.
Je vous plains des tribulation de Maroc, de Pritchard. Pritchard surtout est bien désagréable. Je suis ravie que Jarnac soit à Londres dans ce moment. Vous ne serez pas désœuvré ! Je voudrais être là pour vous reposer l’esprit. Je suis bien loin. Le Rhin m'a fait mal à traverser mais j’en suis si près, et je suis indépendante, dieu merci. Je suis logée à merveille. Infiniment mieux que je ne le serais à Minne. Propre, élégant mais bruyant ah mon dieu ! et puis un lit élastique, où je danse. Je vous envoie cette lettre bien vite ; je ne connais pas les heures de la poste, personne ne les connait ici. J’irai moi même au bureau régler cela. En attendant je ne veux rien risquer. Que j’aime vos lettres, qu’elles sont charmantes préparez vous à ce que les miennes soient bien bêtes. Quel entourage. Adieu. Adieu.
Midi. La poste est partie à 9 heures quel ennui ! Mais cela n’arrivera plus. Vous aurez tous les jours votre lettre exactement. J'ai été à l’église, et puis chez mon frère que j’ai trouvé couché. Il est effrayant et effrayé, car il se sent mourir. Nous avons été seuls longtemps. Nous avons causé de voyage d'Angleterre, je lui ai appris des détails, et presque tous qu'il ne connaissait pas. Nesselrode n’avait pas idée, à ce qu’il croit, d'aller à Londres. C’est depuis son propre voyage que l’Empereur a décidé que son ministre y irait : mon frère croit très possible qu'il soit question du mariage Cambridge quoiqu’il lui semble " très misérable, mais depuis Leuchtenberg l’Empereur a rendu tout bon établissement difficile pour ses filles. L'envoi d’Orloff à Vienne a été une des plus grande gaucherie c’est de l'invention de l’empereur toute pure. "
4 heures Je me décide à mettre cette lettre à présent sauf à vous envoyer encore un mot tantôt. J’ai vu Bacourt. Nous avons rabâché sur Pritchard, mauvaise affaire les journaux Anglais sont bien vifs. Je voudrais que vous fussiez sorti de ce mauvais défilé. Voici votre lettre d'avant-hier, mais merci. Je vois que Pritchard vous tracasse Lady Palmerston m'écrit qu’Ashley grand ami de Pritchard est furieux & fera du tapage. " Les français se conduisent partout très mal. " et mettant même à part sa qualité de consul, son emprisonnement est abominable. " Voilà Lady Palmerston elle part de Londres le 9. Ils vont s'arrêter à Ems. Toutes les capitales allemandes ensuite, & Paris peut-être pour finir.
Si vous saviez le plaisir, la joie que me font vos lettres ! Je vais relire, relire. Adieu. Adieu. Mille fois, ne manquez jamais un seul jour de m'écrire et assurez-vous bien que votre lettre part. S'il m’arrivait de n'en pas recevoir je ferais mille folies, c’est sûr. Adieu encore et encore.
Mad. de Talleyrand m'écrit de Berlin où elle a été très malade en danger. Le prince de Prusse ne va plus en Angleterre. Encore adieu. Ecrivez, écrivez ! Adieu.
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Diplomatie, Diplomatie (France-Angleterre), Famille Benckendorff, Femme (diplomatie), Femme (éducation), Politique (Maroc), Politique (Russie), Portrait, Récit, Relation François-Dorothée, Réseau social et politique, Santé (famille Benckendorff), Voyage
5. Bade, Lundi 5 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
7 heures du matin
J'ai lu tous les journaux Anglais. Et j'ai lu les paroles de Peel au parlement. Cela devient gros et je m’inquiète. Vous aurez beau parler de droit, il n’en est pas moins vrai que le procédé a été horriblement brutal, & que le ministre anglais est forcé de vous demander une réparation éclatante. Mais qu’est ce qui empêche que vous ne la donniez ? Si on avait fait cela à un français considérable, et il faut convenir que Pritchard était considérable dans cette île, jugez quels cris ici ! Vraiment votre d’Aubigny mérite punition ; pour une nation civilisée comme la vôtre ces actes de brutalité sont une honte. On pouvait bien renvoyer je veux dire chez vous. Pritchard ou même le retenir prisonnier sans le tenir au secret de cette façon là. Vraiment cette affaire me tracasse beaucoup, j’y rêve quand je n'y pense pas. Les Cowley doivent être bien fidgety. Et le Maroc ! Probablement la guerre commence.
Je vous ai laissé là de bien mauvaises affaires. J’ai fait hier une promenade en calèche, charmante, après le dîner avec Constantin. Mon frère n’a pas voulu bouger de sa chambre à coucher. Pas une fenêtre ouverte un air de tristesse jusque dans ses meubles. Les courtisans dans le premier salon s’entretenant à voix basse. Ses enfants auprès de lui ne sachant de quoi parler quand j’arrive ils s’en vont pour reprendre haleine, c'est-à-dire de l’air. Je cause avec lui, je l’anime un peu, mais cela le fatigue bientôt. C’est un triste spectacle. Je n'en ai jamais vu de pareil, et il me faut un bien secours moralement pour ne pas fondre avec. Je doute que j’arrive jamais à une conversation intime de sa part. Il n’en a plus la force. Je l’ai quitté à 8 heures pour marcher encore un peu avant de me coucher.
Il fait froid. Décidément il n'y aura pas. d’été. Bade est rempli de monde mais pas une âme de connaissance. C’est plus commode mais c’est laid. Quant au pays, je crois vraiment que le bon Dieu s’est plu à l’embellir encore, que les montagnes sont plus hautes, les forêts plus épaisses. Tout plus pittoresque plus riant. Je n'ai rien vu de plus charmant. Hélène arrive demain. Adieu, adieu. Arrangez-moi Pritchard. C’est un gros souci pour moi. Adieu. Que je serai contente quand je vous dirai adieu à la rue St Florentin ! Est-il vrai que le choléra soit à Lisbonne ? Quelle horreur. Adieu. Adieu.
6. Baden, Lundi 5 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
6 heures du soir
Mon frère reprend un peu ses sens. J’ai eu une heure de bonne conversation avec lui ce matin, toute politique. Nous nous sommes trouvés d’accord sur toutes les questions, et sur l’une particulièrement, nos relations avec la France son voyage à Paris l’année dernière devait être le signal d’une nouvelle ère. Acceptée même par le premier personnage. Une puérilité, un article de journal a tout renversé. Comment a-t-on l’esprit arrangé de façon à faire dépendre de si peu de chose un si grand intérêt ? Mais il ne s'agit pas de cela, maintenant je ne pense qu'à Londres & Paris. Peel a été bien étourdi. Aberdeen a mieux fait ! Mais vous qu’allez vous faire. Il faut quelque chose. Je m’imagine que vous vous passerez des notes concertées. C’est impossible de se brouiller pour Tahiti cependant cela, par dessus ce Maroc fort épineux, fait une situation un peu rude. Je vois tout cela d'ici. Je m’impatiente, j'ai mille idées et il faut tout avaler. Je suppose que je vais tomber malade d’un Pritchard et d'un Maroc vendu ? !
J’ai eu votre très petit mot de Samedi. J’attendrai Hennequin avec bien de l’impatience demain. Je n'ai rien fait aujourd'hui un long tête-à-tête avec mon frère. Des promenades à pied en calèche avec Constantin, avec Bacourt. J'ai eu la visite de votre ministre d’Espagne. Il ne manque pas d'esprit. Je cause beaucoup avec Bacourt.
7. Baden, Mardi 6 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’attends, j’attends Hennequin & je grille. Mon frère est plus mal aujourd’hui il y a eu une consultation, un nouveau médecin, la guérison impossible. Le soutenir plus ou moins longtemps voilà tout ce qu'on peut espérer. Son médecin ordinaire vient de me dire qu'il doute qu'on le ramène vivant en Russie, en même temps il presse ce départ et nous verrons le médecin et moi d'écrire à Madame de Krudener pour la prier d'arriver à Francfort, Heidelderg, ou tout autre point de rendez-vous et épargner ainsi à mon frère le voyage de Bavière. Bade est impraticable pour la rencontre, à cause des deux filles. J’ai passé ma matinée à ces consultations & arrangements. J’ai peu vu mon frère. Il n’avait pas la force de parler. C’est bien triste ce que je suis venu trouver ici.
4 heures
J'ai reçu le n°4 par la poste. Hennequin n’a pas encore paru. J’ai lu la séance de samedi à la Chambre des Pairs. J’approuve fort votre réserve, bonne leçon à Peel (je suis enragée contre Peel) et Molé qui se mêle de cela aussi. Je suis bien aise de ce que les Débats en disent. Au demeurant cependant, c’est une bien détestable affaire, rendue détestable par Peel. Il vous sera fort difficile ou même impossible de le satisfaire. L'amènerez vous à fléchir ? Vous ne pouvez pas destituer d'Aubigny. Je cherche, je creuse, je ne trouve rien que de très mauvais. Mais ce qui me trouble beaucoup surtout c’est cet esprit des journaux si vivement excité. J’ai peur. Je ne veux pas qu’on vous rencontre à pieds dans les rues de Paris. Promettez le moi. Dites à Génie que j'ai peur, et que je le conjure de me rassurer de veiller sur vous. Je prie Dieu, je ne cesse de penser à vous. Je suis désolée d'être loin. Vous aimeriez que je fusse là à Beauséjour, vous vous contenteriez même de Paris. Ah que ce voyage est malencontreux. Il me déplairait beaucoup quand même je vous saurais tranquille, content, sans souci, et que je n’aurais pas moi même ce triste spectacle de mon frère mourant sous mes yeux. Aujourd’hui tout se réunit, quelle fatalité. Je déteste Bade. Je partirai dès que je pourrai.
5 1/2
Voici Hennequin. Que je vous remercie de votre lettre ! Comment au milieu de ce feu croisé, de toute cette avalanche de tracasseries vous avez pu me faire une pareille lettre ! Que vous êtes bon ! Vous allez vous fâcher de ce bon. C’est égal. Merci, merci. Vous me soulagez un peu. Il me semble que l’affaire ne sera pas si grosse. J’approuve tout ce que vous me dites. Vous ne souffriez pas que Peel retourne, vous ne le pouvez pas. Il faut déclarer cela net. Et je suis tout-à-fait de votre avis, bonne occasion pour vous de refuser quelque chose et d'être raide. Tant pis pour eux, ils vous ont rendu la tâche plus difficile, qu'ils en portent la peine. Peel verra l’explosion que ses paroles ont provoquée ici. He will hold his tong next time. Le petit Hennequin trouve ici votre ministre ce qui l’arrange. Il a remis votre lettre au préfet de Strasbourg. Il trouve Bade charmant. Il va se divertir. Il m’est arrivé bien lavé et bien propre.
Le grand duc Constantin qui est encore un enfant est là dans le sand avec la flotte comme il y est tous les ans et la flotte aussi pour se promener quand notre mer n’est pas prise par la glace. Il avait été envoyé à aourre? assister au départ du vaisseau l’Imper ? qu'on a construit après le naufrage du vaisseau de ce nom l’année dernière. De là il a fait le tour de la Scandinavie, et est venu rejoindre notre flotte de la Baltique. Cela n’est pas autre chose. Ils vont retourner à Kronstadt.
Mercredi 7 août.
7 heures 1/2 du matin. Je viens de relire vos deux dernières lettres 3 et 4. Je répète, vous avez raison votre conduite est bonne ; et celle de Peel vous force à plus de raideur que vous n’auriez eu sans cela peut être. C’est impossible qu'il ne comprenne pas cela. Lui avez- vous fait quelques observations sur son discours ?
La journée hier a été bien mauvaise ici et on vient de me faire dire que la nuit a été de même. Vraiment, si je vous contais ce qui est cause de ce redoublement vous ne croiriez pas !! Il est mourant hélas cela n’est pas douteux. Hélène est arrivée hier, il l’a embrassée mais ne lui a pas dit deux paroles. Il n’a plus la force de se réjouir de rien. Le premier jour il était venu chez moi à pied les deux suivants il était assis dans sa chambre hier, couché sur son lit, étendu comme un mort, les yeux fermés, et c’est à moi seule qu'il a dit huit mots de suite. Ainsi la progression du mal est rapide.
La beauté de Bade surpasse tout ce qu'on peut imaginer en fait de pittoresque et de riant. C'est un enchantement de quelque côté qu’on se tourne. J’en jouis peu, je suis triste, les seules personnes que je vois (ma famille) n’ont qu’une seule et même parole & pensée ; il est bien aimé par tout ce qui l’entoure. Il y a entre autre un brave homme et homme d'esprit avec un nom barbare qui me touche par l'affection, le dévouement extrême qu'il lui montre. Avant hier on a écrit à l’Empereur pour le prévenir des dangers. Je ne sais si lui-même se croit aussi mal. Constantin est parfait, c'est une angélique créature, et si affectueux. Il est plus affligé que les propres enfants. Annette qui est bonne est un peu insouciante parce qu’elle a la vue basse. Rodolphe spécule. Hélène est très très triste, mais toujours aigrie sur Madame de Krudener. Cela vaut bien la peine à présent ! Moi, ce qui me frappe c’est cette pauvre brave femme, ma belle sœur à qui personne ne donne avis du danger et qui ne reverra plus son mari. Elle qui l’a toujours adoré maussadement peut-être, mais enfin elle est irréprochable. Je crois que mon frère apprécie nos soins et notre présence, mais voilà tout.
Adieu. Adieu. Oui, je vous aime autant au moins autant que vous m'aimez et vous me manquez bien plus que je ne vous manque. C'est bien clair, c’est bien entendu. Car vous avez tant ! Et moi je n'ai rien rien que vous, vous seul au monde. Adieu Adieu. Adieu.
8. Baden, Jeudi 8 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vos lettres m’arrivent ici à 2 heures c’est un charmant moment, j’ai bien soin de le passer seule. J’attends aujourd'hui les journaux avec impatience pour lire la discussion de lundi. Plus je pense à Tahiti et plus je me fâche. Vous vous êtes donné là une place éternelle, je ne crois pas que l’avantage de cette possession ou protectorat peut valoir les inconvénients incessants qu’elle vous suscitera. Il y aura d’autres Pritchard. Je suis curieuse des explications qui auront été échangées. Le blâme ou le regret de la conduite incivile de M. d’Aubigny peut bien se trouver dans une note, mais son éloignement ultérieur ne devrait pas s’y trouver, à moins que les Anglais ne vous aient dans le temps promis par note aussi l’éloignement de Pritchard, ce que j'ignore. Dans tous les cas ils ont bien peu tenu parole, et vous avez tout-à-fait le droit de les imiter certainement ni vous ni aucun ministre quelconque en France ne pourrait risquer. Je ne dis pas même le désaveu mais seulement l'éloignement de M. d'Aubigny dans ce moment. Vous savez bien cela. Vous savez aussi que les Anglais ne se feront aucun scrupule de publier votre note. Vous avez été plein de procédés et de ménagements pour eux. Ils ne vous imiteront pas, j'espère donc que votre réponse si elle est faite peut risquer le grand jour sans me faire évanouir de terreur. Je suis bien fâchée d’être loin car tout ceci me tracasse bien fort. Rassurez-moi un peu. Je crois que je vous ai écrit une lettre quelque peu anglaise, mais j’étais sous l'impression que Pritchard avait well deserved ce qui lui est arrivé ; j’avoue que je ne trouve pas cela dans ce que je lis dans les journaux. je suppose que les rapports officiels sont plus positifs. Je rabâche, vous n'avez pas besoin que je vous redise de Bade l’affaire de Tahiti. Lady Cowley wishes the whole island at the bottom of the sea !
La journée a été moins mauvaise hier. Il a parlé, & à deux reprises, j’ai même eu une assez bonne conversation avec lui. Il est possible que je le laisse ici vivant. Il est décidé que Constantin ne le quittera plus, que Mad. de Krudner viendra le rejoindre à Hambourg, et qu’il se rendra d'ici là à très petites journées. Il est très impatient de reprendre ses affaires. L'habitude de l'occupation et de l’agitation est plus forte que la maladie. Je le trouve sensé, modéré, et d’après ce qu’il me dit courageux. Le seul qui ose parler et qui le fasse.
Nesselrode bien poltron Orloff secondant mon frère mais en auxiliaire. Il déteste Brunnow et ne lui pardonne pas mon affaire. En tout il se montre non seulement quand il me parle, mais lorsqu'il cause avec Constantin, tout-à-fait mon ami et mon frère. Je ne sais pas vous rendre compte de mon temps. J’en ai de reste, et en même temps la journée est bien vite finie. Je vais chez mon frère trois, quatre fois le jour. Constantin, Hélène, Annette vont et viennent de chez lui chez moi. Et puis les médecins, les courtisans, on se redit chaque impression. Je me promène avec Constantin, à pieds ou en calèche. Je vais m'asseoir sous les arbres. Je dine seule. Je lis, si on me laisse seule. J’ai reçu un ou deux russes de la dernière insignifiance. Bacourt vient une heure avant mon dîner me raconter tout ce qu’il a lu dans tous les journaux. Nous rabâchons Tahiti ou autre chose. Voilà tout. Je me couche à 9 heures. Je me lève avent 7. Je pense à vous, je rêve à vous, je prie pour vous. Soyez bien sûr qu’à quelque moment du jour que vous pensiez à moi, vous me rencontrez. Adieu. Adieu. Adieu mille fois.
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Diplomatie (France-Angleterre), Eloignement, Enfants (Benckendorff), Famille Benckendorff, Politique (France), Politique (Internationale), Pratique politique, Relation François-Dorothée, Relation François-Dorothée (Diplomatie), Réseau social et politique, Santé (famille Benckendorff), VIe quotidienne (Dorothée)
9. Baden, Jeudi 8 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vos lettres m’arrivent ici à 2 heures c’est un charmant moment, j’ai bien soin de le passer seule. J’attends aujourd'hui les journaux avec impatience pour lire la discussion de lundi. Plus je pense à Tahiti et plus je me fâche. Vous vous êtes donné là une place éternelle, je ne crois pas que l’avantage de cette possession ou protectorat peut valoir les inconvénients incessants qu’elle vous suscitera. Il y aura d’autres Pritchard. Je suis curieuse des explications qui auront été échangées. Le [blâme] ou le regret de la conduite incivile de M. d’Aubigny peut bien se trouver dans une note, mais son éloignement ultérieur ne devrait pas s’y trouver, à moins que les anglais ne vous aient dans le temps promis par note aussi l’éloignement de Pritchard, ce que j'ignore. Dans tous les cas ils ont bien peu tenu parole, et vous avez tout-à-fait le droit de les imiter certainement ni vous ni aucun ministre quelconque en France ne pourrait risquer. Je ne dis pas même le désaveu mais seulement l'éloignement de M. d'Aubigny dans ce moment. Vous savez bien cela. Vous savez aussi que les Anglais ne se feront aucun scrupule de publier votre note. Vous avez été plein de procédés et de ménagements pour eux. Ils ne vous imiteront pas, j'espère donc que votre réponse si elle est faite peut risquer le grand jour sans me faire évanouir de terreur. Je suis bien fâchée d’être loin car tout ceci me tracasse bien fort. Rassurez-moi un peu.
Je crois que je vous ai écrit une lettre quelque peu anglaise, mais j’étais sous l'impression que Pritchard avait well deserved ce qui lui est arrivé ; j’avoue que je ne trouve pas cela dans ce que je lis dans les journaux. je suppose que les rapports officiels sont plus positifs. Je rabâche, vous n'avez pas besoin que je vous redise de Bade l’affaire de Tahiti. Lady Cowley wishes the whole island at the bottom of the sea ! La journée a été moins mauvaise hier. Il a parlé, & à deux reprises, j’ai même eu une assez bonne conversation avec lui. Il est possible que je le laisse ici vivant.
Il est décidé que Constantin ne le quittera plus, que Mad. de Krudner viendra le rejoindre à Hambourg, et qu’il se rendra d'ici là à très petites journées. Il est très impatient de reprendre ses affaires. L'habitude de l'occupation et de l’agitation est plus forte que la maladie. Je le trouve sensé, modéré, et d’après ce qu’il me dit courageux. Le seul qui ose parler et qui le fasse. Nesselrode bien poltron Orloff secondant mon frère mais en auxiliaire. Il déteste Brunnow et ne lui pardonne pas mon affaire. En tout il se montre non seulement quand il me parle, mais lorsqu'il cause avec Constantin, tout-à-fait mon ami et mon frère.
Je ne sais pas vous rendre compte de mon temps. J’en ai de reste, et en même temps la journée est bien vite finie. Je vais chez mon frère trois, quatre fois le jour. Constantin, Hélène, Annette vont et viennent de chez lui chez moi. Et puis les médecins, les courtisans, on se redit chaque impression. Je me promène avec Constantin, à pieds ou en calèche. Je vais m'asseoir sous les arbres. Je dine seule. Je lis, si on me laisse seule. J’ai reçu un ou deux russes de la dernière insignifiance. Bacourt vient une heure avant mon dîner me raconter tout ce qu’il a lu dans tous les journaux. Nous rabâchons Tahiti ou autre chose. Voilà tout. Je me couche à 9 heures. Je me lève avant 7.
Je pense à vous, je rêve à vous, je prie pour vous. Soyez bien sûr qu’à quelque moment du jour que vous pensiez à moi, vous me rencontrez. Adieu. Adieu. Adieu mille fois.
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Diplomatie (France-Angleterre), Enfants (Benckendorff), Famille Benckendorff, Femme (diplomatie), Politique (Internationale), Pratique politique, Presse, Relation François-Dorothée, Relation François-Dorothée (Diplomatie), Santé (famille Benckendorff), VIe quotidienne (Dorothée)
10. Baden, Samedi 10 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vraiment oui vous m'écrivez de pauvres petites lettres ! Essayez donc de trouver ou le soir ou le matin une demi-heure pour moi. Je suis si avide de tout savoir, si inquiète. La seule chose qui me convienne dans la lettre d’hier est votre résolution de ne pas répondre avant la clôture du parlement anglais. Et quand vous répondrez ; si c’est pièce officielle, ne promettez pas l’éloignement de M. d’Aubigny, cela peut se dire mais non pas s’écrire. On a fait de même pour Pritchard il me semble. Le regret ou le blâme de la prison peut être officiel ; mon autre part est une affaire de ménage. Je vous en prie n'oubliez pas cela. Vous êtes assez disposé à regarder à la difficulté du moment sans vous souvenir que dans cinq mois il y aura la tribune. Je vous en conjure pensez bien à cela. La mauvaise humeur anglaise passera ; les susceptibilités françaises restent en permanence et elles ont été justement blessées. Dites-moi donc si Peel sent l’étourderie qu’il a faite ? Si Cowley en convient. Dites-moi l’opinion dans la diplomatie sur ce point, ou du moins son langage. Enfin dites-moi quelque chose. Ne craignez rien. La Russie ne sait pas un mot de ce que vous m'écrivez. Si j’étais à votre place. Je me plaindrais dans une pièce officielle, du langage peu convenable de Peel en parlant des affaires françaises. Car à vrai dire vous êtes ici la partie offensée. Enfin au mois de janvier vous aurez de rudes comptes à rendre, tenez les en règle.
Hier a été, d’abord mal, et puis mieux vers le soir. Cela peut trainer ainsi. On attend les réponses de Madame de Krudner pour fixer l’époque du départ. Je verrai alors à fixer le mien. Il ne faut pas que je le laisse trop mal. Il faut l’assurance qu’il pourra partir. Le marquis de Dalmatie a passé ici. Il a dit qu’il regrettait bien Turin, que Berlin est exigeant, insupportable. Je ne sais pas ici la plus pauvre petite nouvelle. Comme il n’y a personne, je ne vis que sur les journaux. C’est eux qui m'ont appris les couches de la reine d'Angleterre. Vous ne me l'avez pas dit. J’ai eu une lettre de Madame ?. La grande Duchesse ? en s'affaiblissant. Les ? pleurent. C’est toujours la même chose.
Le temps est affreux comme au mois d’octobre très froid, & les montagnes y ajoutent. Je marche ; je ne vais pas en calèche, il fait trop froid pour cela. Constantin me soigne toujours, il ne me quitte que pour son oncle. Hélène passe les nuits auprès de mon frère. Il est bien entouré il est peu sensible à tout cela, il n’a plus la force au moins de se montrer touché du soin qu'on a de lui. Quand je suis là il se [?] un peu, il voudrait parler. On me dit de le ménager. Je prends plusieurs demi-heure réparties dans la journée. Adieu. Adieu.
Ecrivez-moi, aimez-moi. Soignez votre santé. Pensez bien à la discussion de l’adresse. Que je voudrais que le Maroc fait court & bon. Vous avez l'air de le croire. Adieu, dearest, adieu.
11. Baden, Dimanche 11 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
7 h. du matin
Mes numéros marchent avec les jours du mois. Je voudrais bien arriver à celui où je n’aurai plus de lettres à numéroter. Et je ne sais vraiment quand il arrivera hier on disait que mon frère n’a plus que huit jours à vivre ! Ce matin, on me fait dire qu'il va mieux. Nous vivons ici dans une tristesse dont vous ne sauriez-vous faire d’idée. Son état est affreux, c'est une agonie horrible. Quel aspect ! Et bien, comment puis-je le quitter au moment où il va expirer peut-être ? D'un autre côté je ne suis bonne à rien du tout. Ses enfants le soignent et veillent auprès de lui. Moi je ne sais rien faire. Je voudrais distraire son esprit. J'essaie de toutes les conversations. Rien ne prend, il n’est plus en état de répondre, ni même de témoigner par signe que cela lui fait plaisir. Par moment il revient, des souvenirs de jeunesse le raniment mais c’est court. Depuis hier il se croit près de sa fin. Hélène est fort touchante. Annette ne se doute pas de sa fin prochaine. Constantin est excellent.
Il pleut sans cesse, je marche un peu malgré cela, mais l’humidité dite ne me vaut rien du tout ici, elle est trop concentrée. Je ne me sens pas bien non plus. Les premiers jours m’ont convenu comme santé. Maintenant je reprends sans griefs contre mon estomac, mes jambes, et les poulets mal rôtis.
Votre lettre est meilleure N°9. D’abord, elle est plus longue, et puis vous me paraissez en bonne espérance. (J'oublie que vous y êtes toujours.) Je serai bien impatiente du Maroc. Je pense beaucoup au voyage. Ne pas le faire ce serait bien gros. Le faire sous les auspices actuels, sera fort critiqué en France. Revenir après avoir tout aplani à la bonne heure. Mais si vous n’aboutissez à rien ce sera un gros péché de plus devant les chambres. Quelle mauvaise invention que ce Tahiti ! Je suis comme quelques autres. Vous êtes allé chercher là un embarras permanent pour les beaux yeux de quelques avantages très médiocres.
Marion m'écrit de Dieppe en grande terreur. Son père ne veut plus s'engager dans un long bail par crainte d’une rupture entre les deux pays. De temps en temps je me dis que c'est absurde, et puis dans d’autres moments j’entre dans le raisonnement que se fait sans doute Peel. " Courte et bonne leçon " comme vous dites du Maroc. Pardonnez-moi la comparaison, mais tenez pour certain que la majorité des Anglais comme cela. Il leur est facile de vous faire beaucoup de mal. Et voici bien des années que les provocations de paroles au moins ont été bien fortes du côté de la France. Enfin, Dieu veuille que tout ceci finisse vite et bien, mais je suis très inquiète.
Ayez la bonté d'envoyer l’incluse le Duc de Wellington est impayable quand il attrape un mot. On dirait un serein qui répète ce qu'on lui a enseigné. [?], et encore et toujours. Le Times est mauvais. Il y a bien dans tout ce qui se dit et s’imprime à Londres un petit retour, mais il est faible. Adieu, je ne sais rien, je ne fais rien je me désole, voilà tout. Faites-moi la grâce de m’envoyer une lettre de recommandation pour que vos douanes me laissent passer sans embarras. Je ne sais encore sur quel point du Rhin je le repasserai. Le pauvre petit Hennequin ne doit pas se divertir par cette pluie. J'espère qu’il aura été au bal hier, car on danse ici. Adieu. Adieu. J’espère que votre rhume est passé. Dites le moi. Adieu. Adieu.
12. Baden, Lundi 12 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
7 heures du matin
Que je voudrais voir confirmée aujourd'hui la dernière dépêche télégraphique annonçant la paix ! Mais j’en doute, c’est un si étrange pays. J’attends toujours des perfidies et des mensonges. Votre lettre est bonne en général. Je suis toute contente de ce que vous me dites sur Tahiti. Ne bougez pas de votre résolution actuelle. Vous ne pouvez pas faire autrement, et soyez sûr que vous vous en trouverez mieux, même dans vos relations avec les Anglais, ils ont si évidemment tort. Réparation, réparation, quelle prétention ! Pourquoi réparation ? Vous ferez plaisir aussi à toute l’Europe en leur résistant. Il y a trop d'insolence dans leur fait. Enfin je suis parfaitement contente de votre attitude, et je vous conjure d’y persévérer.
J’ai vu hier tous vos diplomates. Fontenay est venu passer un jour ici. D’Espagne Fontenay dit que vous êtes un grand vénérable en Allemagne. Le Roi de Wurtemberg est en Suisse. Le Prince Emile a la fièvre scarlatine à Wisbade. Je ne verrai ni l'un, ni l'autre. J'en suis fâchée. Je n'aurai rien vu à Bade pas même le soleil. La journée hier a été excellente. La meilleure que j'ai vue. Les médecins n’en font pas grand état. Ce que cela prouve cependant évidement c’est qu'il y a milieu une grande force vitale. Il était gai, causant, faisant mille plains pour l’avenir, et toujours toujours les affaires. Aujourd’hui on me fait dire qu'il est moins bien. J’ai dit hier que je comptais partir. Mardi le 20, qu’il le fallait pour les bains de Dieppe. Constantin sera certainement triste de se séparer de moi. Nous nous sommes fort attachés l’un à l’autre. C'est une si bonne nature que la sienne et d'un dévouement pour moi, d’une discrétion. Madame Karchkein a vu sur le Rhin toutes sortes de princes & princesses. Entre autres le prince de Prusse qui va cependant en Angleterre. Il y sera dans dix jours. J'ai été hier à l’église. J’ai marché à deux reprises. Pas de calèche car il a plu tout le jour. Il fait vraiment froid ici, les nuages couvrent les montagnes. Bacourt est fort souffrant. Il se traine. Il vient chez moi de 4 à 5. Ma seule réponse. Il me conseille bien de partir au premier jour de mieux car je ne le pourrai plus si cela allait plus mal. Il me tient bien au courant en s'abouchant avec le médecin du lieu, homme assez habile. Toute la question est de savoir si on pourra le tirer de Bade et quand ? L’opinion de tous est que ce soit. Le plutôt possible, si c'est possible Gaillard le médecin de Bade, dit qu'il me dira cela jeudi. Hier mon frère a reçu un gros courrier de Pétersbourg et écrit tous les matins pendant un ou deux heures, & de la main la plus ferme. C'est une chancellerie toute montée ici. La grande duchesse est toujours dans le même état. L'Empereur extrêmement changé. Adieu. Adieu.
Vos lettres sont ma seule joie, ma grande joie. Aussi comme je les attends et comme je m'inquiète d’un retard de 10 minutes ! Cela m’est arrivé hier. Alors je perds la tête. Adieu. Adieu. Soignez-vous. Aimez-moi. Adieu Je doute du mariage Cambridge, car tous les jours mon frère et moi nous nous disons " où trouver un mari. " Adieu. Adieu.
13. Baden, Mardi 13 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
7 heures du matin
Excellente idée d'envoyer Gluksberg. J'en suis charmée. Pourvu que ce soit vrai que l’Empereur veuille traiter de la paix. Votre lettre aujourd’hui me dira quelque chose sans doute. Je suis bien contente aussi des articles dans le Herald et le Sun. They all come round. Et tout ce que vous me dites de votre côté sur ce sujet me convient parfaitement.
J’ai eu du plaisir à savoir hier que vous diniez chez Lady Cowley. Je vous voyais d'ici, depuis 7 à 9 vous étiez sans cesse devant mes yeux. Vous aurez parlé de moi. Peut-être vous aura-t-on donné la petite Galère pour vous divertir. J’espère qu’elle ne vous aura pas trop diverti.
J’ai appris par de bonnes sources que le Roi de Prusse est souffrant. Les sangsues ont amené l’inflammation. Que savez-vous de votre côté ? En Allemagne l’effet du coup de pistolet a été très grand. En Prusse beaucoup moins. On fait si peu de cas de ce roi ! En général l’esprit là est détestable et les Allemands sensés sont pleins de terreurs : craignent une explosion même assez prochaine. Je répète que tout ceci vient de bonne part.
Et bien, mon frère va mieux. C'est incroyable. Il est vivant, il est gai, je partirai sans inconvenance et même sans inquiétude ; je me mettrai en route le 20 au plus tard. Continuez à m'écrie ici jusqu'à ce que je vous dise de cesser. Monsieur Tolstoy me ramènera à Paris. Je ne sais s'il sera amusant. Cela m'est assez égal, c'est de la protection et de la ressource en cas d'embarras, d’accident, & & car je vois toujours toutes les catastrophes. Jamais je n'ai fait de voyage aussi lestement. Eh bien qu’avec Constantin, j’étais en pleine sécurité. Nous serons surement tristes tous les deux de nous séparer. Je crois qu’il m'aime bien. Ici il me divertit beaucoup. Il est l’intermédiaire entre le Pacha et les courtisans c’est une puissance. Et puis il sait tout. Il n’y a rien de secret pour lui. Mais tout ce qu'il fait ou dit est tranquille, discret. C’est un excellent jeune homme.
J'ai pu faire hier une promenade en calèche, mais pas longue ; car la pluie est survenue. J’ai vu Fontenay il a un peu d’esprit d'observation mais il bavarde trop. Il retourne à Stuttgart aujourd'hui et me fera savoir si le Roi qui est en Suisse passera par ici avant le 20. Je l'ai bien troublé quand je lui ai dit que le Roi avait été [?] à Paris il y a un an. Il le savait, mais depuis peu seulement, et n’avait pas où vous le mander après un si long temps. Bacourt est plus souffrant ; et retourne à Nancy ces jours ici.
Je me trouve ici ni mieux ni plus mal. J'ai eu un mauvais jour cela a passé. L’air ne peut pas en faire du bien. Il est constamment humide et froid. Quel été ! J'ai l’esprit tranquille depuis que je sais que Génie vous est revenu. Vous n’irez pas à votre conseil général j’espère ? C'est impossible, vous ne pouvez pas quitter Paris dans un moment où chaque heure peut vous amener quelque grosse nouvelle d’Afrique. Je vous en prie n'y allez pas, j’aurais peur de tout. Et puis c’est juste lorsque je vous reviens ! Mon souvenir de ma rencontre avec mon frère sera au fond rien du tout. Je ris le soir quand j’examine ma journée, et elles se ressemblent toutes. Il ne me fait pas une question intéressante ; j’ai essayé quelques fois de causer, cela touche bien vite. Et je n’ennuie tout de suite de rencontrer si peu d'écho. Il me raconte bien longuement tout ce que le regarde lui dans tous les genres. Il a n'a jamais parlé de moi, je ne commence pas. Il est concentré dans sa gloire et son importance. avec cela il est très bon homme ; on l'aime beaucoup. Il est utile. Adieu. Adieu. Je serai bien heureuse de me retrouver auprès de vous. Et d'abord de repasser le Rhin. Envoyez-moi vite je vous prie l’ordre pour la Douane je ne le passerai pas à Strasbourg je ne suis pas venue par là non plus j'ai abrégé. Ainsi que ce soit un ordre général. Kisseleff est-il parti pour l'Angleterre ?
Adieu. Adieu God bless you dearest.
14. Baden, Mardi 13 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
2 heures
J’ai reçu hier une lettre de Rothschild de Paris m'annonçant un décret hollandais qui m’oblige à retirer un capital que j’ai dans ce pays là, ou à me contenter de 4 ans ? de 5%. De plus l'obligation de dire oui ou non de suite parce que l’avis doit être donné à Amsterdam avant le 20. Voilà qui m’ennuie, je ne sais qui consulter. I am quiete helpless. Je vous dis ceci, comme si vous pouviez me souffler ma réponse d’ici à demain matin.
Mon frère est vraiment mieux. C’est étonnant. Le médecin qui disait Samedi qu’il n’irait pas jusqu’à Samedi prochain ! Je me suis promenée à pied avec Constantin entre de fortes averses. Le ciel est bien noir J’attends votre lettre, c'est le moment où le cœur me bat bien fort.
Mercredi 14 août, 7 heures du matin.
Merci de la lettre. J'ai bien besoin de vos lettres pour me tenir l'esprit éveillé et le cœur content. Depuis peu l’état de mon frère ne m’alarme plus autant, je m’ennuie profondément et je songe à partir au plutôt. Il n’est pas impossible que ce soit même samedi. Je verrai ; je ne suis pas sûre ; n'y comptez pas du tout, écrivez jusqu'à nouvel avis, je vous en prie, car un jour sans lettre serait un complet désespoir. Je suis impatiente de voir arriver l’ordre pour la donner, je crois que je vous l'ai demandé dimanche, & que je pourrai l’avoir demain. Peel a l’air honteux, son silence sur Tahiti dans sa réponse à Palmerston est un grand contraste avec ses paroles brutales & étourdies. Il s'est conduit là bien sottement, & vous avez certainement aux yeux de tous un avantage immense sur lui. Je suis bien contente de votre attitude. dans cette affaire, je ne puis assez vous le dire et vous exhorter à y persévérer. Le Maroc, le Maroc, j’attends avec une impatience extrême. J'ai mal passé la nuit. J’ai l’estomac en révolte. Il est possible que ce mauvais temps agisse aussi sur moi. Pas un rayon de soleil & de la pluie, un air froid. C'est abominable.
J’ai pris, mon parti, je me convertis au 4 %. J’ai fait consulter un juif qui m’a dit qu’il fallait le faire. Mon frère me fait dire qu'il a bien dormi, [voici] quatre jours de mieux. Le médecin me dira aujourd’hui, si c’est du progrès. Il doit, je crois, décider aussi aujourd’hui on demain l’époque de son départ. Je n’ai rencontré de visage connu de Paris que le marquis de [M ?]. Il a de l’esprit, et il s'ennuie ici beaucoup. C’est tout-à-fait juste. Adieu. Vous me pardonnez de vous écrire des lettres si bêtes. Quel retour pour les vôtres. Adieu. Adieu, demain je déciderai le jour de mon départ. Adieu
15. Baden, Jeudi 15 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
7 heures du matin
Ne m'écrivez plus. Je pars samedi ou dimanche au plus tard et je serai à Paris, Mardi ou Mercredi. Vous saurez cela exactement par ma lettre de demain. Ah que je serai contente, et vous aussi. Il ne vaut vraiment plus la peine de rester ici. Je suis sans inquiétude immédiate pour mon frère. Il est infiniment mieux, mais ce mieux n'amène pas davantage sa conversation. Rien ne semble l’intéresser, lui même parle extrêmement peu, de sorte qu’il n'y a aucun échange d’idées entre nous. Et nous nous sommes dits les deux premiers jours tout ce qu’il est capable de donner ou d’entendre.
Le temps est tous les jours plus exécrable. Hier des torrents tels que je n'ai plus pu bouger depuis deux heures de l’après-midi et cette nuit quelle tempête ! J’ai prévenu Hennequin, il partira le même jour ou le lendemain de mon propre départ.
Vous m'annoncez la paix avec le Maroc. J’ai peine à y croire encore, et je ne saurais me réjouir tout-à-fait. Cependant l'essentiel est que vous êtes irréprochable dans la conduite de cette affaire. J’espère que la négociation aboutira. Je reste très inquiète de vos relations avec Londres, ou plutôt de l'embarras où les paroles de Peel placent le Cabinet Anglais, du ton des journaux là et ici, surtout à Londres. Le Times est très mauvais. Je ne me rend pas compte des possibilités du voyage. Cependant comme il serait nécessaire de causer ensemble ! Jarnac me désappointe un peu. Il a fait de sots speeches à un certain meeting, & le Journal des Débats est plus sot encore de les avoir répétés. Il y a là dedans un manque de tact que je ne soupçonnais pas dans Jarnac.
Tenez pour certain que Nesselrode est en Angleterre pour des affaires, je le sais. Merci et pardon des 150 francs à Etienne ; je crois que c’est pour vous les rendre que je hâte mon retour ! J'ai eu hier une lettre de [Cramkoido] qui m'annonce du mieux. On commence à espérer que la grande Duchesse vivra. Il y avait eu une crise horrible. Mais tout le monde avait repris à l’espérance Adieu. Adieu, vous aurez encore une ou deux lettres ! Adieu, que je serai heureuse de vous revoir adieu.
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16. Bade, Jeudi 15 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je me réjouis bien de me retrouver auprès de vous dans quelques jours. Nous aurons de quoi parler. Votre nouvelle d'Alexandre est très curieuse. elle a beaucoup frappé mon frère. Il ne pense guère qu'à ce qui nous regarde directement. Il s'en suit donc que ceci nous regarde ou au moins nous intéresse. N’y a-t-il pas là quelque parti à tirer pour Tahiti ? (cela ressemble un peu à l'attentat contre le Roi de Prusse que je pensais qui devait déranger mon voyage !)
Vraiment c’est très curieux comme l'Afrique est devenu le théâtre de la politique. Alexandrie, Turin. L’Algérie. Le Maroc. Cette rivière Gabon où je ne sais quoi : votre nouvel établissement près de Madagascar. Une certaine guerre au cap de bonne Espérance.
C’est drôle que Nesselrode retrouve à Londres précisément dans ce moment de tension dans vos rapports avec l'Angleterre. Le hasard le favorise. Je pense cependant qu’aucun grand cabinet ne peut désirer une rupture. Il y a trop de périls pour chacun attachés aux conséquences de cette rupture, mais il faut convenir que l’entente cordiale a été courte.
Vendredi 16. à 7 heures du matin
Mon frère continue à aller bien. Le changement est miraculeux. Je lui ai annoncé hier que je partais demain, il a essayé de causer un peu plus que de coutume, mais cela lui coute ou cela l’ennuie, je ne sais lequel. Au reste il est comme cela pour tout le monde. Hier des averses continuelles. Aujourd'hui s'annonce de même. Je crois que je vous arriverais à la nage. La Colonie s’est réunie hier soir chez Madame [?]. Annette a chanté. J'y ai passé une heure. A 9 heures je me couche tous les jours. J'éprouverai un vrai chagrin à me séparer de Constantin. Bon, excellent, jeune homme, et qui a, je crois, vraiment de l'attachement pour moi. Tous ses petits soins de tous les instants me manqueront beaucoup. Mon frère restera encore trois semaines à Bade. Hélène partira avant lui. Le pauvre petit Hennequin ne sera pas fort édifié de son séjour ici. Il n’a pas pu faire une seule bonne promenade. Il partira le même jour que moi, mais je veux qu'il me voie partir. C’est plus sûr. Je peux à peine croire que je suis si près du moment de vous revoir. Cela me parait si charmant que voilà toutes les terreurs qui recommencent : il m’arrivera quelque chose en voyage. Je suis d’une poltronnerie ! Le Tolstoy qui m’accompagne est aussi effrayé que moi, et demande de tous côtés des renseignements. Il a peur de moi. Adieu, Adieu.
Je vous écrirai encore un mot demain avant de me mettre en voiture. Et puis de la route pour vous mander un accident, s'il arrive. Adieu mille fois adieu.
Mots-clés : Diplomatie, Diplomatie (Russie), Enfants (Benckendorff), Famille Benckendorff, Femme (diplomatie), Politique (Afrique), Politique (Analyse), Politique (Internationale), Portrait, Relation François-Dorothée, Réseau social et politique, Salon, Santé (famille Benckendorff), VIe quotidienne (Dorothée), Voyage
Bade, Samedi 17 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
à 7 heures du matin
Je pars ; mes chevaux sont là. Je vous écrirai encore de la route. Mon frère est moins bien, mais si je restais, je ne partirais plus. Adieu. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Santé (famille Benckendorff), Voyage
[Sarrebourg], Dimanche 18 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
à 6 h. du matin,
Je veux que vous receviez encore ce mot avant mon arrivée. Je serai à Paris, Mardi tôt ou tard selon l’état des routes et de ma santé. J’ai trouvé des fortes inondations, & le ciel en menace encore. Hennequin m’a encore vue à Kehl. Il ne vous porte pas de lettres parce qu'il n'y a pas de quoi. Il a été pour moi très aimable & soigneux. Adieu. Adieu.
Au revoir que c’est joli ! J'espère que nous nous reverrons. Adieu.
[Paris], Mardi 27 août 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je suis bien fâchée de voir dans la dépêche télégraphique le mot " pris possession. Ne pouviez-vous pas faire mettre " nous avons occupé " ? Il me parait que vous devriez ne pas tarder un moment à faire à Londres cette rectification. Car si je juge sur mon impression ce mot en produira une très vive en Angleterre. Je m’inquiète de tout, c’est que vous savez comme je trouve qu'on est léger ici.
J'ai une lettre de Constantin. Mon frère traîne. Il parait que l’hydropisie se déclare. Il est plus triste que jamais. On lui mande de Pétersbourg que l’Empereur mène l’Impératrice à Berlin. Je n’ai pas vu une âme encore.
J’attends votre billet, et je viens de prier Génie. Le voilà qui entre et me remet votre billet. Vous ne me dites rien sur ce qui m’inquiète. Je répète hâtez vous de réparer à Londres. De dire à Cowley, occupation temporaire cela ne peut être que cela. En général, le ton de la dépêche télégraphique est de mauvais goût. Ecraser la ville comme c'est fanfaron. Vous voyez que je suis de mauvaise humeur vous avez un peu tort de ne pas vous mêler davantage de tous ces détails.
Voici mon fils qui sort de chez moi. Avez-vous lu le rapport de Lloyds compagnie d'assurance. Cela n’est pas suspect, qui dit qu'à Tanger à cinq heures de l’après-midi seulement la flotte française s’est retirée et les batteries tiraient encore sur elle tandis que la dépêche disait : L’attaque commence à 8 h. du matin au bout d'une heure on avait tout détruit. Accordez cela. Le Lloyds ajoute : toutes les batteries sont restées debout. C'est drôle !
Si je puis j’irai vous voir un moment mais je ne suis pas sûre de le faire, d'abord il faut absolument que je rende enfin les visites que m’ont faites Mad. Appony & Mad. Brignole, & puis je ne vous trouverais pas seul, quel profit ? Mais ne manquez pas de venir à 8 1/4. J’aurai certainement vu Lady Cowley, je la chercherai même car j’aime le cœur [?] la possession. What could possess you to write that word. Adieu. Adieu. Peut-être encore me verrez-vous arriver. Adieu.
Au fond, c'est vous qui avez tort d'être à Auteuil dans ce moment. C'est un anxious moment, où votre présence à Paris est nécessaire à tout instant. Vous pourriez y aller dîner tous les jours. Cela conclurait tout. Je pense que vos collègues seraient charmés s’ils savaient que je vous propose cela. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Diplomatie (France-Angleterre), Enfants (Benckendorff), Famille Benckendorff, Mariâ Aleksandrovna (1824-1880 ; impératrice de Russie), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (France), Politique (Internationale), Politique (Maroc), Pratique politique, Relation François-Dorothée, Relation François-Dorothée (Diplomatie), Santé (famille Benckendorff)
Paris, Mardi 3 septembre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je viens de me promener aux Tuileries. J’ai rencontré Mackau, il a l’air un peu épouffé mais cependant stout. Hier Harry Vane a dit à Kisseleff " dans quinze jours l'Angleterre peut avoir 300 bateaux à vapeur pour bloquer la France. " Greffulhe est dans la plus grande épouvante. Moi, je ne suis pas du tout tranquille. Adieu. Adieu.
Grande semaine, mauvaise semaine. Bonne soirée j'espère. Adieu.
Midi
Paris Mardi 3 7bre midi
Paris, Mardi 10 septembre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je pars à 1 1/2, Je serai de retour à 6. Je vais mieux. Je n’ai vu personne, et je n’ai pas reçu de lettres de nulle part. Adieu. Adieu, à ce soir adieu.
Midi 1/2
Mardi 10 Septembre 1844
Paris, Dimanche 15 septembre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Dimanche le 15 Sept. 1844
Paris, Mardi 17 septembre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai eu des nouvelles de Constantin. Mon frère était au plus mal, malgré cela ils sont partis d’Amsterdam le 14. Adieu. Adieu, à ce soir.
Mardi 1 h 1/2
17 Sept. 1844
Paris, Vendredi 20 septembre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vendredi 20 Septembre.
9 heures
Mots-clés : Inquiétude, Relation François-Dorothée, Santé (Dorothée)
Paris, Samedi 21 septembre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Samedi 21. 9 heures
Mots-clés : Enfants (Benckendorff), Inquiétude, Santé (François)
Paris, Dimanche 22 septembre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je suis allée hier à 8 heures chez les Appony. Une demi-heure après les enfants arrivaient. La pauvre Annette bien touchante, elle était si contente de me trouver là. Ce matin, ils viennent tous ici dans l’espérance de trouver une lettre de Constantin. Ce que Rodolphe me raconte est effrayant. Il est impossible qu'il arrive vivant à Pétersbourg !
De là j'ai été chez Madame de Castellane. Molé l’avait chargée d’arranger avec moi Champlatreux. Je promets pour octobre. Rossi est venu, pas de conversation politique du tout. L’histoire ancienne réveillée, par Lord Malmesbury. A 10 heures je suis rentrée, & Génie est venu me donner de vos nouvelles. Il espérait la bonne nuit qui est venue. Adieu. Adieu. Je vous en prie portez vous bien, faites tout pour cela. Adieu, à quatre heures.
Dimanche 9 heures le 22 7bre 1844
Paris, Lundi 23 septembre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai vu hier après vous Lady Cowley pas autre chose. Elle ne dit rien de nouveau. Elle s'occupe de vous, et désire bien que vous preniez le plus de repos possible.
J’ai dîné et passé la soirée avec mon fils. Il va retourner à Londres. J'en suis fâchée. Adieu.
Adieu, à quatre heures.
Lundi 23 Sept. 9 1/4
Mots-clés : Enfants (Benckendorff), Réseau social et politique, Santé (François)
Paris, [Mardi 24] septembre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai passé ma soirée chez les Appony. Ils étaient seuls. Cinq du nom. Pas un mot intéressant. Le pauvre Planta a eu une sorte d'apoplexie avant-hier. J’ai vu Lady Cowley, elle ne savait rien non plus, & se désole de votre indisposition. Adieu, adieu, à quatre heures. Adieu.
10 heures Mercredi 24
Mots-clés : Réseau social et politique, Salon, Santé (François)
Paris, Mercredi 25 septembre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Mercredi 10 h 1/2
Paris, Jeudi 26 septembre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Jeudi 9 1/2
Paris, Vendredi 27 septembre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vous venez de me quitter, et il faut que je vous dise deux mots encore avant de partir. Ce beau temps me donne un remord horrible. Moi seule j’en profiterais et vous vous restez en ville, et c'est moi qui vous ai enlevé au bon air de la campagne. Vous avez de bonnes nuits ici, mais les journées auraient mieux valu à Auteuil. J'avais raison quand il pleuvait & faisait froid. J’ai tort quand il fait chaud. J'ai mal prévu et je m’accuse, et je pars très triste. Ne pourriez-vous pas aller passer les bonnes heures du jour à Auteuil y prendre vos enfants ou les y envoyer. Avoir du feu dans le salon qui donne sur la terrasse, et rester là de midi à 3 ou 4 heures. Cela vous ferait du bien, c’est juste le moment du jour le meilleur, si ce beau temps se soutient. Je pense à tout cela, je ne penserai qu'à vous, je prierai Dieu, et j’attendrai vos lettres avec une immense impatience.
Paris, Vendredi 27 septembre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vendredi 27, 9 heures.
Mots-clés : Santé (Dorothée), Santé (François)
Ferrières, Samedi 28 septembre 1844, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je viens de recevoir votre petit mot de hier 3 1/2. On dirait presque que je suis à Bade. Voici une occasion de vous faire parvenir de mes nouvelles. Je partirai demain à 10 h. ou à 1 heure. Plutôt 10 heures aussitôt que je serai arrivée vous le saurez mais j’espère que vous passerez la matinée à Auteuil ou enfin à l’air. C'est tout-à-fait essentiel pour vous. Que je vous ai désiré ici aujourd’hui. C’est si tranquille & si joli, & un temps si beau ! Mais je n'en jouis pas je pense trop à vous. Adieu. Adieu, je n’ai pas un mot de nouvelle à vous dire. Mangez, dormez, promenez vous, ne songez qu’à votre santé. Je vous en conjure. Adieu. Adieu dearest.