Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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300 Paris mardi 29 octobre 1839

Voici vraiment 300 lettres que je vous ai écrites, cela ne nous fait pas honneur. C'est de mauvais arrangements pour des gens qui trouvent du plaisir à être ensemble il y a bien de la maladresse à avoir passé plus du temps de leur vie commune, séparés. Bulwer doit m’apporter ce matin une lettre, selon laquelle il prétend que Paul montre des dispositions à un racomodément. Je verrai. Je ne veux qu’un retour sincère, Je n’en accepterai plus d’autre. Il m’a trop offensé.
Appony est allé annoncer au roi le mariage de son fils, on dirait l’héritier d'un trone ! Ces bonnes gens font une quantité de petites démarches de petits arrangements surtout, qui sont assez drôles. Le fils se met un peu sous ma protection pour empêcher des lésineries, mais cela ne me regarde pas. Je préparerai mon cadeau. Voilà tout ce que j’ai à y faire.

Midi. Vingt marchands deux querelles où j’avais raison, un froid de loup, une quantité de petits embarras qui puissent toujours pas me donner des grands plaisirs pour me moment vous voyez bien qu'il s’agit de mes meubles, voilà l'emploi de cette première partie de la matinée. Mes lettres doivent bien vous ennuyer car je n’ai rien à vous dire du tout. J'ai eu une longue lettre d’Ellice, au fond rien de nouveau. Le ministère très faible tout juste comme il y a un an et les vraisemblances qu’il fera la même campagne. Point de gloire, mais les plans for ever.
A propos, j’ai ouï dire que vous avez une espèce de discussion presque de querelle avec M. Duchâtel pour un préfet je ne sais pas son nom, & on dit vraiment que vous avez tort, que votre préfet est un sot et que vous ne devriez pas vous faire une affaire pour un pareil personnage. Je trouve cela aussi, et je serais bien aise que vous fussiez de cet avis. Soyez sûr que lorsque je m’avise de vous dire de ces choses là c’est que je crois qu’il est bien de vous le dire. Adieu. Adieu, quand m'annoncerez-vous une date? Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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302 Du Val-Richer, mardi 29 octobre 1839
8 heures

Je me lève tard. Décidément le froid s’établit. Je fais des feux énormes, qui ne me réchauffent pas autant que le plus petit feu au coin de votre cheminée. Votre appartement sera très chaud. Sous le règne de M. de Talleyrand c'était une étuve. Mais vous êtes une Reine du Nord. Vous ouvrez les fenêtres.
Est-ce le frère de Bulwer qui vient à Paris à titre de commissaire pour les négociations commerciales ? Il me semble que toute la famille le pousse. Je n’ai pas lu un seul des romans qu’ils ont faits car ils en ont fait tous deux, si je ne me trompe. Les connaissez-vous ? L'Empereur devrait bien ne pas perdre son argent aux sottises du Capitole. Si peu qu’il en donne, elles ne le valent pas. Il y a une région où les souverains font très bien de semer l'argent ; il y fructifie. Mais trop bas, il ne sert absolument à rien. Que de pauvretés je vous dis là ! J’ai pourtant beaucoup mieux à vous dire.

10 heures
Comment ? Votre aigreur pour votre appartement avait été jusqu'à Lady Granville. Je suis ravi qu’elle soit ravie. Je veux que vous soyez très bien. Je me plais à penser que vous resterez là toujours, que je vous y soignerai toujours, que vous y mènerez une vie douce, agréable. J’arrange l’agrément de cette vie. Je cherche ce qui pourra s’y ajouter. Vous n’avez pas d’idée de l'activité de mon imagination sur les gens que j'aime. J’ai tort de dire sur les gens. Il n'y a pas de pluriel en ceci.
Les mêmes nouvelles que vous avez sur l'Impératrice, me viennent par notre gouvernement. On s'attend à une fin, très prochaine. J’ai une immense pitié pour un tel malheur, n'importe sur quelle tête.
Ma mère est décidément beaucoup mieux. C’est une affaire que de lui faire quitter la campagne où elle se plaît beaucoup, et où elle se persuade qu'elle est mieux pour sa santé parce qu'elle marche et se promène. Cependant il est déjà convenu que nous serons à Paris pour le milieu de Novembre. A présent, je prépare la fixation et l'avancement du jour. Ce que je dis là n’est guère français. Mais peu importe. Vous parlez des tracas de votre intérieur. Ce n’est rien du tout que les tracas de meubles. J’aimerai mieux avoir à arranger trente salons que trois personnes. Henriette m’aide déjà en cela. Elle est pleine de tact sur ce qui peut plaire ou déplaire, embarrasser ou faciliter. Elle a l’instinct de la conciliation.
Adieu. Adieu. Je suis au coin du feu, j’ai les doigt gelés. Mais seulement les doigts. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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300 Du val Richer, dimanche 27 oct. 1839
9 heures

Ma mère a été souffrante hier, assez souffrante. Si cela se prolongeait ou se renouvelait d’ici à quatre jours, je presserais mon départ. Son mal, s’il s'aggravait, aurait besoin de secours prompts et décisifs. Je lui en ai dit un mot hier. Cela la contrarie. Mais je n'hésiterai pas. Pauline est parfaitement bien. Mais quelle fièvre que d’aimer des créatures, quand on a tant perdu, quand on a tant éprouvé la fragilité de la vie ! Je ne puis voir malade quelqu'un que j’aime, sans une angoisse, une prévoyance horrible. Je ne vaux plus rien pour un tel fardeau ; mes épaules plient à la moindre apparence qu’il s’appesantisse encore sur moi.
Voici une conversation de Thiers avec un de mes amis ; plus directe que la vôtre mais très analogue, je pense. Thiers : Que pensez-vous du Ministère?
- Qu’il est faible et dans une position fausse.
- Que fera-t-il ?
- Peu de chose sans doute ; ce qu'on peut faire quand on est faible et dans une position fausse.
- Et comment tout cela finira-t-il ?
- Je vous le demanderai à vous- même. "
Ici une pause assez longue. Thiers reprend, et expose ce qu’il pense du Ministère de ses embarras, des difficultés de la session ; la gauche votera contre ; M. Barrot votera contre avec quelques ménagements. Le centre gauche se divisera ; une portion appuiera le Ministère, l'autre votera contre. Et les doctrinaires, que feront-ils ?
- Comme le centre gauche.
- Et M. Guizot, que fera-t-il ? L’avez-vous vu à son dernier passage à Paris ?
- Je l'ai vu ; il agira selon les circonstances sa situation, peut être embarrassante à cause de ceux de ses amis qui sont ministres.
- Autre chose sont ses amis, autre chose est le Ministère."
Thiers revient sur la situation en général, sur l'impossibilité qu’il n’arrive pas quelque chose. On répond que quoi qu’il arrive, il est désormais impossible de parler de coalition. On lui rappelle qu'à la même place, au moment des dernières élections en causant avec lui, en prévoyait la victoire et un grand succès si la conduite était sage et mesurée ; on ajoute que rien n'a été omis de ce qui pouvait et devait tout compromettre. Ceci a paru préoccuper vivement Thiers ; le rouge lui a monté au visage. Après un peu de temps, il a repris :
- Sans se coaliser, on peut tendre au même but. On le peut et on le doit, si en effet on se propose le même but, si on a les mêmes intentions."
Nouvelle pause. Thiers reprend encore pour dire qu’il a pris son parti, qu’il travaille, qu’il veut continuer, qu'il est heureux.
- Vous faites bien. "

10 heures
Lord Brougham n’a pas prolongé assez longtemps sa fantaisie. Il ne faut pas qu’un mort revienne sitôt. Avait-il fait prévenir Lady Clauricard. Vous avez raison de ne pas montrer votre appartement. Mais moi je regrette de ne pas assister à sa création. Vous me parleriez d'autre choses. Vous me permettez cette fatuité. M. Delessert m'écrit que Calamata vient de terminer la gravure de mon portrait. On m'en donnera quelques épreuves quelques unes à Paul Dela Roche ; puis 450 pour les souscripteurs et la planche sera brisée. Voilà des amis jaloux. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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299 Du Val Richer Samedi 26 oct. 1839 7 heures et demie

Je répète ce que nous avons dit souvent ; quand on approche du terme la route devient assommante ; quand on est près de se revoir on ne prend plus de plaisir à s’écrire. Il ne s’est rien passé depuis que nous nous sommes quittés. J’ai des milliers de choses à vous dire, et l’insuffisance des lettres me choque plus que jamais. Il fait très beau et très froid ce matin. J’ai été me promener hier sur ma nouvelle route par laquelle je m'en irai, et qui va être achevée enfin. Tout le monde dit qu’elle a été faite avec une rapidité inouïe. Il est vrai qu'on l’a commencée, l’année dernière. Pour moi, il me semble qu’on y travaille depuis un temps infini, et qu’elle s’est fait attendre outre mesure. C’est qu’on m'en a et que j'en ai beaucoup parlé. La parole allonge et use extrêmement les choses. C’est ce qui fait que, de nos jours, tant des gens sont blasés en un clin d’œil, ou même d'avance. On parle trop. Au fait, ma route sera fort jolie.
Je suis charmé que Lord Brougham ne soit pas mort. Je lui ai enfin répondu il y a huit jours. Lady Clauricard me revient beaucoup. Est-ce depuis le mariage du marquis de Dauro, ou auparavant ? Vous avez peut-être vu dans les journaux l'histoire de cette comédie de Mad. de Girardin, qui a été reçue à l'unanimité par les comédiens dont l’autorité hésite à permettre la représentation, et qui excite beaucoup de curiosité me dit-on. C’est une vengeance de femme. Elle s’appelle l’Ecole des Journalistes. C'est l'histoire du Mariage de Thiers et de toute sa vie politique et privée. M. Duchâtel paraît décidé à ne pas permettre et il a raison. Mais ces Girardins ont bec et ongles. Ils feront du bruit.
L'ouverture de la session pour le 16 ou le 20 décembre. On voudrait bien avoir quelque chose de plus à dire sur l'Orient. On espère un peu que d'orient même, il viendra quelque chose qui fera faire un pas. Au fond, je ne suis pas convaincu que le Roi soit pressé. Il aime assez à avoir sur les bras, un embarras dont il n’a pas peur.

9 heures et demie
Je suis bien aise que vous ayez 24 mille francs de plus. Mais j'ai peur d’une femme de chambre qui ne l'a jamais été. Comment ferez -vous cette éducation là ? Par un drôle de hasard, trois ou quatre de mes amis m’écrivent aujourd’hui même qu'ils ont vu Thiers, et leurs dires s'accordent parfaitement avec votre conversation. Je vous en parlerai demain. D'après ce qu’on me mande, l'Orient est tout à fait immobile, et on ne compte plus sûr quelque chose de nouveau avant la session. Adieu.
Si vous étiez ici, vous ne resteriez pas dans votre chambre. Il fait vraiment aujourd’hui un temps admirable pour se promener. Il y a des gens qui aiment passionnément les beaux jours d’automne, parce que ce sont les derniers. J'aime mieux les beaux jours du printemps, parce que ce sont les premiers. J’aime l'avenir, ce que j’aime encore mieux, c'est ce qui est éternel. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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296 Du Val-Richer, Mercredi 25 oct. 1839
7 heures

Ma journée a été prise hier par M. Hèbert, qui me reste encore aujourd’hui. C’est un homme de quelque importance dans la Chambre. Il a du sens, du courage et de la parole. Il m’a toujours été très fidèle. Mais c'est une terrible chose qu’un brouillard qui rend la promenade impossible, et la conversation permanente. Je ne connais plus que vous au monde avec qui en fait de présence et de conversation, je n’arrive jamais au bout de mon plaisir. Mon hôte ne sait rien. Il vit depuis deux mois à la campagne, en vacances. Sa disposition me paraît être celle des gens sensés du centre, le mécontentement expectant, peu de confiance et peu d’ambition.
Vous verrez que D. Carlos, pour avoir ses passeports, sera obligé de prier sérieusement Cabrera et le comte d’Espagne d'en finir, & qu’ils ne lui obéiront pas. Raison de plus pour ne pas les lui donner de sitôt ; il faut qu’il ait autant d'envie que la reine Christine de voir cesser la guerre civile, et qu’il emploie ce qu’il a d'influence pour nous comme il l'a employée contre nous. Bourges doit être bien ennuyeux, pas plus pourtant qu’Elisando, je pense. Je ne suppose pas que les visiteurs Carlistes suffisent pour charmer le séjour. Quel puérile parti !
Il me paraît que Berryer poursuit sa candidature à l’Académie française car on m'en écrit de nouveau. Parlerait-il du Roi comme il convient dans son discours de réception ? Demandez-le lui tout simplement si vous le voyez. Remarquez-vous, de votre côté un léger, bien léger mouvement pour nous adoucir un peu dans notre refus de faire comme l’Angleterre.
Plus j'y pense, et plus je répète, pour la politique ce que Mirabeau disait pour la morale : " la petite tue la grande. " Et je le répète contre tout le monde.
Pour rien au monde, je ne voudrais épouser la Reine d’Angleterre. Vous n'aviez pas bonne opinion de l'avenir conjugal de la Princesse Charlotte. Je parierais bien plus contre cet avenir-ci. Je ne sais pourquoi, car au fait je n'en sais rien. Mais j’ai cette impression. Peu importe du reste au résultat. Le Prince de Cobourg ne l'en poursuivra pas moins, et ne s'en félicitera pas moins, s’il l'obtient. Puis le temps s’écoulera ; les mécomptes viendront les ennuis, les colères, les regrets peut-être. C'est le train de la vie. Bien peu y échappent, même de ceux qui le prévoient.

9 heures et demie
Je m’attendais, en effet au dénouement de Félix. Vous faites bien de le garder. Moi aussi, j’attends le beau mois de Novembre. Adieu. Adieu. Je vous quitte bien brusquement. Mon hôte entre dans mon Cabinet. Si c'était vous !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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295 Du Val-Richer, mardi 22 octobre 1839
7 heures

Pauline va bien. Je sors de sa chambre. Elle a parfaitement dormi. C’est un enfant prodigieusement nerveux, un petit instrument toujours tendu et qui retentit toujours. L’immobilité et le sommeil sont pour elle de vrais remèdes. Je ne sors jamais sans un serrement de cœur de la Chambre de mes filles. Il n'y a point de sécurité où il n'y a pas une mère. La mienne est excellente pour mes enfants, et de la tendresse la plus dévouée. Mais elle a 75 ans.
Votre appartement doit être en effet très bruyant. Mais vous devez pouvoir vous en défendre à force de sourdines. A côté du bruit, il y a de l’espace pour que le bruit s'y répande et s'y perde. Vous jouirez beaucoup du printemps. La verdure, le soleil et les oiseaux reviendront pour vous aux Tuileries plutôt que pour personne.
A propos de retour, les Granville sont-ils revenus ?
Il faut à présent que quelque incident survienne qui fasse faire à la question d'Orient un nouveau pas. Nous sommes tous en Occident arrivés au point où nous resterons sur cette affaire. Je ne vois pas d’où viendraient la concession et le mouvement. Le statu quo indéfini ne se peut pourtant pas. Je compte sur Méhémet. Avez-vous remarqué, dans le Constitutionnel l'humeur de Thiers sur les faveurs de Madrid pour le Maréchal, la toison la grandesse &.. ? Il va, en fait, de jalousie, sur les brisées de M. Molé. On dit que le Maréchal grogne un peu des 30 000 fr que lui coûte le brevet de la Toison. Voici ce qu’on me dit : " Thiers est ici ricanant. beaucoup, mais sans tapage. Ses amis sont très sombres. Ils sont chargés de faire quelques avances aux centres. Mais le mot d’ordre varie tous les jours. Il n’y a qu’un sentiment qui ne change pas, c’est la fureur contre Dufaure et Passy. " M. Passy a gagné quelque chose auprès du Roi. Le Roi le trouve plus intelligent que les autres sur les Affaires étrangères, et aussi plus large, un peu plus aristocratique en fait de Gouvernement. Il a consenti en effet à demander une dotation pour M. le duc de Nemours. Le Roi traitera toujours bien MM. Passy et Dufaure. Il leur sait un gré infini de ce que Thiers ne leur pardonne pas ! M. Dufaure s'affectionne beaucoup au Ministère.

10 heures
Vous m’arrivez à travers un brouillard effroyable. Vous avez le pouvoir de dissiper tous ceux du dedans. Mais ceux du dehors vous résistent. Je suis charmé que Lady Granville, soit de retour. Je reviendrai aussi. Et plus vous me presserez, plus je serai charmé de revenir. La coquetterie est indestructible. N'est-ce pas ? Adieu. Adieu. Ne vous tracassez pas. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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292 Du Val Richer, samedi matin 19 Oct. 1839
7 heures et demie

Hier au soir à 9 heures, en traversant la bibliothèque pour rentrer dans mon Cabinet, je me suis arrêté devant le plus beau clair de lune du monde. La bibliothèque en était éclairée. J’ai transporté cette lumière blanche et douce, ces bois, ces prairies, le bruit de l’eau et vous et moi, à deux cents lieues vers le midi, sous un ciel chaud et embaumé. C’était charmant. Gardez, je vous prie votre esprit comme il est fait. Je n'accepte pas en place celui du baron de Krudener. Sa mère était-elle vraiment aussi séduisante, qu’on l'a dit ? Elle a fait un roman qui s’appelle Valérie et qui a charmé ma toute première jeunesse. Mais cela ne prouve rien. Je me fais tort pourtant, tous les romans ne me charmaient pas. Aujourd'hui, je les trouve bons au dessous de ce qui se pourrait et se devrait. L’expérience de la vie, m'a appris qu'un jour une heure d'affection et de bonheur vrai est infiniment au dessus de toute l'éloquence et de toute la passion des plus beaux romans.
Je comprends vos ennuis de meubles, & j'en suis touché. Mais pas outre mesure. Ce que je crains beaucoup pour vous, ce sont les ennuis vides. Les ennuis pleins et pressés sont plus supportables. Je ne comprends pas comment vous mettrez la paix entre vos conseillés avec une tenture de soie dans le premier salon. N'a-t-il pas dû toujours y en avoir une ? N'était-ce pas là la place du meuble rouge à ramages jaunes de M. Jennison ? Puisqu'il n’y a pas réussi ; je suis bien aise qu’il ait essayé de vous duper. Il ne m’a jamais plu.
Je vois qu’en effet vous êtes sur le point de vous brouiller avec le pape. On dit que les évêques de Pologne lui ont écrit que l'Empereur avait formé, et commençait à exécuter le projet de renverser systématiquement toute la constitution religieuse et tous les rapports religieux de leur pays. Vous finirez par fournir un fait de plus à l'argument que M. Fox puisait contre la traite des nègres, dans la démence fréquente des capitaines négriers.

9 h.et demie
Quelle façon de faire les affaires d’une mère et d’une sœur ! Je suis pourtant bien aise que ce soit fini. Je ne crois guère à la possibilité de réclamer pour le mobilier de la terre de Courlande. Les plein- pouvoirs donnés à votre frère comprenait celui de transiger à ce sujet. Il en a usé et abusé, mais c’est fait. D'ailleurs, qui vous représenterait qui vous soutiendrait efficacement dans une contestation ? Vous ne pouvez pas avoir de contestation, à cette distance, dans un pays de loups, pour une affaire de vaches et de moutons. Laissez l'affaire là ; partagez le capital de Londres, et si vous dépensez rue St Florentin un peu plus d'argent que vous n'en avez, vendez quelques diamants. Ils vous donneront plus d'agrément en bons fauteuils et un jolis tapis que dans votre écrin. Adieu. Adieu. Nous trouverions bien assez de temps pour placer un Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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288 Du Val Richer, Lundi 14 oct 1839 8 heures et demie

Voici une lettre pour M. Gréterin, directeur des douanes. Je la laisse ouverte pour que Génie la lise et sache bien ce que je demande. Priez-le de la porter de ma part à M. Gréterin après l'avoir cachetée, et de demander la réponse. Je crois qu’il faut une décision du Ministre des finances. Mais M. Gréterin la lui demandera. Je ne veux pas qu'on vous brise le vase en vermeil, et encore moins le buste, en marbre. Est-ce que vous ne pouvez-pas garder Pippin jusqu'à ce que vous ayez trouvé un maître d'hôtel qui vous convienne ? Je sais bien que vous en aurez encore plus de peine à lui faire dire une seconde fois qu’il faut qu'il s'en aille. Cependant j'aimerais mieux cet ennui-là que celui de prendre à la hâte le premier venu. Vous avez quelques fois des hésitations, et quelquefois des précipitations singulières. Entendez-vous dire qu’il y ait quelque chose de sérieux, dans la maladie de Méhémet dont parlent les journaux ? Ce serait encore un dénoue. ment inattendu. Je le regretterais. Le monde n'a pas de gens d’esprit à perdre.

Mardi, 7 heures et demie
Dites moi pourquoi je viens de passer une nuit très agitée, de revoir en rêve toute ma vie, ce qu'elle a eu de plus doux et de plus cruel, vingt cinq ans en quelques heures ! La même Puissance dispose donc de nous, sans nous, la nuit comme le jour, et des chimères comme des réalités. Elle devrait bien laisser la nuit au repos. Je suis brisé ce matin. Quelque confiance qu’on ait dans sa propre vie, si on avait dit au général Sébastiani que son maître d’hôtel, que je connais bien et qui le servait depuis très longtemps serait frappé d’apoplexie avant lui dans Hertford-House, on l'aurait, je crois, bien étonné. Je vous voudrais un maître d’hôtel comme celui-là de fort bonne mine, quoique trop petit, très entendu et très attaché.

Est-il vrai que l'Empereur (il ne me plaît pas de dire votre Empereur) entreprend de miner en Pologne la religion catholique, qu’il a déjà enlevé la moitié des Eglises polonaises au culte catholique pour les donner au culte grec &&. La liberté religieuse était la seule en Russie. C’était même un singulier spectacle que de voir deux états nouveaux, aux deux extrémités du monde, le plus despotique et le plus républicain que le monde ait encore vus, la Russie et les Etats-Unis commencent l'un et l'autre leur carrière, par cette tolérance, qu'au bout de six mille ans le monde civilisé a commencé à peine à entrevoir.

9 h. 1/2
J’aime bien le N°285. Il me rend compte des moindres détails de votre vie, personnes et choses. à cette condition seulement, la séparation est supportable ce qu’elle n'est jamais. Je suis charmé que vous ayez un maître d’hôtel. Mais il faut que le hasard couvre le mal de a précipitation. Cela arrive. Adieu.,Adieu. Non pas mille fois, mais mille vies. G.
J'adresse ma lettre rue Florentin, vous m'auriez averti si quelque chose était changé dans vos projets.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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283 Paris samedi 12 octobre 1839, Midi

Vous m'avez à peine quittée que je tombe dans de nouvelles catastrophes M. Jennisson élève aujourd’hui quatre ou cinq chicanes, et je viens de lui envoyer dire bonjour à lui et à son mobilier. J'aime mieux un gros embarras, que cinq chicanes, et puis reste un sujet. M.Pogenpohl me soutient et est tout révolté du procédé de Jennisson. Voici qu’il fait froid. Je m’en réjouis. Si vous me mandez que vous toussez, je crois que je m'en réjouirais aussi. Soyez sur qu’il n’y a rien d’aussi bon pour vous que Paris. Je n’ai pas été triste hier soir, je vois le bonheur si près de moi. J'ai été bien triste le 10 septembre, je croyais le bonheur si loin. Je me suis trompée alors. Mon Dieu pourvu que je ne me trompe pas à présent ! J’attends Génie. J’ai vu déjà cinq ou 6 marchands, j’ai fait une quantité d'affaires, & je suis fatiguée.
1 heure 1/2 Génie n’est pas venu. Qu'est- ce que cela veut dire ! Adieu. Adieu. Je n’ai vu personne à nouvelles. Je n’ai rien à vous mander, qu'adieu, toujours adieu, & bientôt, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
268 Paris Samedi le 21 septembre 1839,

Je sors tous les soirs malgré la pluie que voulez-vous que je devienne ? Je tue le temps faute de pouvoir l’employer. La femme la plus sotte ne mène une existence plus bête que la mienne. Les journées deviennent bien courtes. La causerie serait si bonne, si douce quand le jour disparaît. Et vous êtes au Val-Richer et moi seule, seule, seule ici. J'ai vu Armin hier au soir chez lui. C'est un ami de désespoir qui m’a pris. Je l’ai trouvé seul bien établi et bien étonné de ma visite. L'étonnement l’a rendu bavard.
L’affaire d’Orient n’offre plus de danger. L'Angleterre s’entend avec nous. Il n’y a que la France qui soit en bravades, sans doute pour les députés. Aussi n’y fait-on pas grande attention voilà à ce qu'il me semble la situation du moment.
M. de Jennisson ne se presse pas de me faire place. Il a cependant remis son bail à Démion. Moi je suis pressée de sortir d'ici d’autant plus qu'on m'en chasse. Il y a des gens qui me disent qu'il faut me hâter. de signer et de conclure avec M. Démion sans cela, s'il trouve 60 francs au dessus de 12 mille je perds l’appartement. Je vais faire cela aujourd’hui.
Je n’ai rien de mon fils, rien de mon frère. Soyez sûr qu'on ne prendra. pas la peine de m'informer de mes affaires. Génie dit que le Val-Richer est bien humide ; cela va mal à votre rhume. Et comment rester tard dans l’année dans un lieu humide ? Songez à cela, si non pour vous, pour vos enfants, votre mère. Adieu. Adieu, continuez-vous à recevoir des lettres de M. Duchâtel ? Vous ne me dites pas une pauvre nouvelle. Il me semble que vous vivez à Kostromé. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
265 Paris le 18 septembre 1839, 10 heures

Vraiment ma vie est si triste, que mes nerfs ne pourront jamais se remettre. Et comme ce qui ne se remet pas s'empire, il en résulte à présent que j'ai peut être deux heures passables dans la journée sur les autres 22 où je souffre. Je n’ai encore pas dormi cette nuit je ne voulais pas vous écrire, mais vous voulez que je continue, c.a.d. que je mente, car je ne vous dirai pas tout ce que je pense, je pense trop de choses, et je suis trop malade.
Je suis étonnée de vous voir si arrière en fait de nouvelles. Bourges a été choisi dès samedi soir pour le lieu de la résidence de Don Carlos. Je le savais dimanche matin, mais je ne valais rien dimanche, ni lundi, ni depuis. La Diplomatie apostolique est fort déconcertée de ce dénouement des affaires espagnoles. La révolution triomphe partout. Cela ne peut pas plaire aux orthodoxes. Bulwer a eu un long entretien avec le roi dans lequel il me parait qu’ils ne se sont guère entendus sur les affaires de l'Orient. Elles ne vont pas, tout est en suspens, et il dépend toujours de Méhemet Ali d'embraser l’Europe. M. de Metternich doit être arrivé hier au Johannisberg. Tous les courriers lui sont adressés à lui et il désignera de là M. de Fiquelmont qui reste chargé à Vienne de remplir ses ordres.
Il fait le plus triste temps du monde. De la pluie, du vent beaucoup. Être seule vis à vis de cela, ah quelle vie ! Votre dernier paragraphe ce matin est bien tendre, il m’a fait du bien. Cela vaut mieux que les remèdes de Chermside. Voyez si votre petite lectrice voudrait de moi, je l'enverrais prendre dans ma voiture. Dites moi aussi ce qu'on donne, ce serait pour une heure dans l'avant soirée. Adieu, les crampes reviennent. J’ai peur de vous écrire. God bless you.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
264. Paris Mardi le 17 Septembre 1839, 9 heures

Je me sens un peu mieux aujourd’hui ce qui fait que j’ai le courage de vous écrire. Hier encore a été une bien mauvaise journée. Mes crampes ont recommencé, mes nerfs ont été dans un état affreux. J’ai passé la journée seule. Si je n’avais pas eu quelque heures de sommeil vous n'auriez pas de lettres ; car décidément je ne risquerai plus de vous écrire lorsque mon cœur ressemble à mes nerfs. Vous avez raison dans tout ce que vous me dites ce matin et mon Dieu, mais ce n’est pas la raison qui est mon culte ; je n’aime pas par raison. Il n’y a rien de raisonnable à aimer. Et vous avez mille fois raison de ne pas aimer à ma façon. C'est une mauvaise façon. On m'a mis ce matin dans un bain d’Eau de Cologne. Je laisse faire sans avoir confiance en rien. Cela ne durera pas longtemps. Je ne m'occupe plus de chercher quelqu'un, je ne m'occupe plus de rien de ce qui me regarde. Je vous ai dit souvent que je craignais de la folie, je la crains plus que jamais parce que je la vois venir.
J'ai une mauvaise affaire sur les bras. Malgré les promesses que j'ai faites à Bulwer de la part de madame Appony il a rencontré sa belle-sœur chez elle hier au soir. Il me le mande dans un billet ce matin, et veut pour conseil. Il regarde ceci comme une insulte personnelle. Il a raison et cependant ce n’est sans doute qu'une bêtise de Madame Appony. Mon conseil sera qu’il n’y retourne pas. Moi, j’ai droit d'être blessée aussi car la promesse m’a été donnée à moi.

1 heures
J'ai eu la visite de Génie. C'est un bon petit homme ; ce qui me prouve ma décadence et ma misère est le plaisir que me fait la visite d'un bon petit homme ! Après lui est venu Bulwer ; j’étais encore dans mon bonnet de nuit. Il n’avait pas fermé l'œil depuis hier, il voulait écrire à Lord Palmerston demander son rappel de Paris à cause de l'insulte des Appony, enfin il était dans un état violent. Au milieu de cela je reçois la réponse de Madame Appony à une petit billet d’interrogation un peu vif que je lui avais écrit, et j’éclate de rire. La belle sœur n’y avait pas été. Bulwer a eu une vision ... Il n'en revient pas. Il soutient qu'il la vue. Je l’ai assuré qu’il se trouvait obligé de croire qu’elle n'y était pas, car mensonge ou non, il est bien certain maintenant qu’elle ne s’y retrouvera plus.
Le billet de Madame Appony est long, plus de tendresses pour Bulwer, d’indignation de ce que nous soyons cru capable de manquer à ses promesses. Enfin c’est fort drôle, et c’est fini. Hier Bulwer causait avec Appony lorsqu'il a eu sa vision. Il a laissé court et est sorti brusquement de la maison.
A propos de maison, Démion est revenu. Je prends l’entresol à 12 mille francs. On dresse un inventaire des meubles. Je prendrai ce qui me conviendra.
Rothschild m’a mandé qu'il avait abdiqué ses droits entre les mains de Démion, il n'y peut donc rien. Et bien, j’ai cet entresol ! Cela ne me fait aucun plaisir, rien ne me fait plaisir. J’ai écrit hier à Benkhausen pour demander les lettres of admisnistration d’après ce que me dit mon frère lui ne le ferait pas. Si j’attends l'arrivée de Paul ce sera encore une complication une fois les lettres obtenues, l'affaire est plus courte & plus nette. Je crois que je m’épargne du temps et des embarras, & que je suis en règle. Le pensez-vous aussi ? Pourquoi attendre. Je chargerai Rothschild de lever le capital et de remettre leurs parts à mes fils voilà qui est simple.
L’affaire de Don Carlos est regardée ici comme un grand triomphe. En effet, c'est une bonne affaire. Si on est sage à Madrid cela peut devenir excellent. Palmerston, & Bulwer ont écrit à M. Lotherne pour qu'il presse le gouvernement de ratifier la convention de Maroto. Mais vu dit qu'il y a de mauvaises têtes dans les Cortes. Adieu, je suis mieux ce matin. Je ne sais comment je serai plus tard. Ne vous fâchez jamais avec moi avec toute votre raison, & laissez- moi vous aimer avec toute ma folie. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
263 Paris le 16 Septembre 1839

Votre lettre reçue ce matin est la première depuis deux ans où je ne trouve pas le mot, adieu. J’en suis très affligé. Le dernier mot de cette lettre me prouve que j'ai eu tort dans ce que je vous ai écrit avant-hier. Comme je me sens de nouveau très malade aujourd'hui par suite d'une nuit passée tout à fait sans sommeil je crains de vous écrire. Je vous préviens que j’aurai grand soin de ne vous écrire que lorsque je serai assez bien pour ne pas craindre qu'il m'échappe des paroles qui puissent vous déplaire, parce que les répliques me font du mal. Je ne suis pas maîtresse de mon cœur, ni de ma plume, mais je suis bien maîtresse de ne point la prendre. Je ne sais par quoi je finirai, mais tous les jours je me sens plus mal. Je n’ai pas de nouvelles à vous donner. Vous ne m'avez pas dit adieu !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
267 Du Val-Richer Lundi 16 sept. 1839
6 heures et demie

J’aurais le cœur bien blessé si je ne me l’interdisais pas. Blessé à ce point que mon envie était de ne pas vous répondre du tout sur ce que vous me dites. Mais vous êtes souffrante, vous êtes seule. Dites, pensez même (ce qui est bien pis) tout ce que vous voudrez. Je ne vous répondrai jamais qu’une chose. Vous n’aurez jamais plus que moi le sentiment de ce qui manque à notre relation, de ce contraste choquant, douloureux, entre le fond du cœur et la vie extérieure, quotidienne. Si ma vie était à vous aussi bien que mon cœur, vous verriez si je sais tout subordonner à un seul sentiment à une seule affaire si je sais être toujours là et toujours le même. Mais cela n'est pas ; il y a des affections, des devoirs, des intérêts auxquels ma vie appartient, et qui ne sont pas vous. Je ne puis pas la leur ôter. Je ne puis pas me donner ce tort à leurs yeux, à mes yeux, aux yeux du monde, à vos propres yeux. Car je vous connais bien ; vous mépriseriez la faiblesse même dont vous profiteriez. Vous avez l’esprit trop droit et le cœur trop haut pour ne pas avoir besoin, sur toutes choses, d’approuver et de respecter ce que vous aimez. Je vous parle bien sérieusement n’est-ce pas ? Pas si sérieusement que je le sens. Ce qui vous touche est si sérieux pour moi ! Mais assez ; trop peut-être, quoique je vous aie dit bien peu. Comment dire ? Comment dire de loin ? Toutes les paroles me semblent froides et fausses. Voilà plus de deux ans ; et pourtant il faut encore que le temps nous apprenne, l’un sur l'autre, bien des choses.
Que me direz-vous aujourd’hui de vos crampes, et de vôtre nuit ? Je vous renvoie la lettre du Prince Metscherzky. Je voudrais bien ne plus vous parler de Paul. Il me révolte. Et puis je ne comprends pas ces mœurs-là, cette façon de repousser insolemment de faire taire un parent qui vous parle d’une mère, parce qu'il n’a pas des pleins pouvoirs, parce que ce n’est pas un procureur ! Et ce parent se laisse faire ! Il ne trouve pas un mot à répondre, un mot bien simple, bien calme, mais qui remette à sa place tout et chacun ! Le Prince Metscherzky m’a l’air d’un excellent homme, bien zélé pour vous ; mais ne le chargez pas d’affaires difficiles ; ne lui donnez pas à traiter avec un frère puissant ou un cousin arrogant. Ne placez pas non plus comme il semble vous le conseiller, toute votre fortune en Russie. Quelques mille livres de rente de plus ne valent pas beaucoup de sécurité et de facilité de moins. Du reste vous avez déjà fait le contraire pour une partie.
Vous avez bien raison ; on nomme les gens aux emplois diplomatiques, en pensant à ce qu’ils sont là d’où ils partent, point à ce qu’ils seront là où on les envoie. On pense à si peu de choses ! Que les affaires humaines se font grossièrement ! On serait bien étonné si tout à coup, par miracle, elles étaient vraiment bien faites, et par des gens vraiment d’esprit. Savez-vous pourquoi on envoie M. de Pontois à Constantinople ? Parce qu'il est terne et tranquille, ne choque personne et ne fera pas les sottises de l’amiral Roussin. Le grand abaissement de notre temps, c'est de se contenter à bon marché ; le tel quel suffit, pourvu qu'on vive.

9 h. 1/2
Vous avez un peu dormi. Il faut absolument qu’on vous trouve une lectrice. J’en vais parler à ma mère. Adieu. Adieu. J’apprends à l’instant même que D. Carlos est en France avec toute sa famille. Les bataillons navarrois acculés à la frontière ont capitulé. Elio, qui les commandait, avait envoyé d'avance un de ses aides de camp au général Harispe. On ne doute pas que les Cortes ne sanctionnent le traité. Vous savez sûrement tout cela. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
260 Paris, Vendredi le 13 septembre 1839
9 heures

J’ai vu hier matin Appony, Brignoles, Bulwer. Le premier avait eu un long entretien avec le Roi dont il était parfaitement content. Le dernier allait en avoir avec le Roi hier au soir dont il pensait que ni le Roi, ni lui ne seraient fort contents, attendu qu'il avait "many empleasant things to tell him. " Appony était surpris de la nomination de M. Pontois qu’il ne connait que comme un homme fort gai avec lequel il a toujours ri et jamais parlé d’affaires.
J’ai vu plus tard M. Pogenpohl fort longuement. Il avait ramené M. Jennisson a des idées plus pratiques et nous n’attendrons que M. Démion pour traiter de nouveau sur les bases que vous connaissez. Je n’achèterai que ce qui me conviendra.
Après mon dîner je fus rendre visite à le P. Soltykoff, que avait passé chez moi la veille, c'est une bonne personne que je connais un peu, une grande dame chez nous, qui fait un coup de tête à ma façon en venant à Paris qui veut y passer tout l'hiver, et qui peut m'être de quelque ressource dans ce moment où j'en ai si peu ici. Voilà donc ma journée. La nuit a été pire que les précédentes, je voudrais avoir répondu à mon frère, tant que cela me restera sur l'esprit je ne dormirai pas. J’attends ce que vous m’en direz demain. Je vois parce que vous m'en dites aujourd’hui que vous l'avez ressenti comme moi. Je pense comme vous sur l'échange des Capitaux. J'ai bien clairement dit que je ne voulais pas d'échange, mais vous remarquerez bien que mon frère allait conclure et que s'il l’a fait, il n’y aura plus moyen de revenir la dessus. Or il n’y a pas de doute que cette augmentation de rente dont il parle ne peut venir que delà car on n’a pas fait la découverte d'une nouvelle. Terra incognita.
J’ai eu une lettre du Roi de Hanovre fort tendre pour moi ; car il est inquiet de ma santé et de mes affaires. Il est ravi de la tournure qu'ont pris les sciences.
Une autre lettre de Lady Granville, qui s'annonce pour le 10 octobre. Elle n’a pas réussi dans la commission que je lui avais donnée pour une demoiselle anglaise de ma connaissance. Je vous ai tout dit maintenant tous les incidents des 24 heures.
Mais je ne vous ai pas dit mon ennui, ma tristesse. Cela sera le fond éternel du tableau jusqu’à votre retour. C'est bien dans le mois de Novembre n’est-ce pas ? J’ai presque achevé le premier des gros volumes, cela m'intéresse infiniment. Dans le temps où M. de Broglie parlait si bien ; nous croyions nous qu'il parlait très mal. Savez-vous ce qu’il faudrait auprès d’un cabinet ? C'est un confident, chef confident de tout le monde, une espèce de mon espèce. Comme on serait mieux éclairé ! Comme on éviterait des bêtises, des soupçons qui ont fait et feront encore bien du mal dans le monde. Adieu. Adieu, les joies de votre intérieur me donnent du plaisir pour vous. Quels souvenirs pour moi. Je frissonne de la tête aux pieds. Adieu. Adieu.

Projet de lettre à mon frère.

J'ai reçu hier votre lettre des 15/27 août mon cher frère. J'espérais qu'elle m’annoncerait la conclusion de mes affaires, mais vous me dite qu’elle est retardée de quelques jours encore à cause d'une proposction que vous venez de faire à mes fils qui augmenterait de 2 milles roubles argent la rente qu'ils auront à me payer. J'espère bien que cela ne proviendrait d’aucun échange de capital car vous savez que je ne le veux pas. Je vous ai écrit sur ce sujet et c’est même par votre conseil que j’ai refusé le 2ème projet qui impliquait la conversion des 15830 roubles argent de l'année de veuve en rente à 7% qu'avait proposé Paul. Je ne veux rien de ce qui peut augmenter ma dépendance. Je ne veux rien aussi de la part de mes fils qui ne me reviennent strictement par la loi. Une mère ne reçoit pas de ses enfants. Elle leur donne, et c'est pour pouvoir donner un jour comme je l’entends, que je réclame ma part de tout l’argent de la succession de mon mari, ou de tout ce que la loi m’accorde. Si c’est là être inoculé de l’amour de l’argent, je suis inoculée de cette façon là.

Dites-moi si c’est bien, je suis pressée car il faut que j'écrive.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
263 Du Val-Richer Jeudi 12 septembre 1839

J’ai beaucoup dormi. J’étais fatigué. La fatigue, la vraie fatigue corporelle est un moyen de sommeil qui n’est pas à votre usage ; mais c'est le meilleur, peut-être le seul quand on a le cœur triste. Ici vous mêlez un regret profond, et presque un remord à tous les détails de ma vie. Mes enfants ont rempli hier ma journée de tout ce qu’ils avaient fait en pensant à moi, en mon absence des vers français, des vers anglais, appris par cœur, la marche de Moïse sur le piano, des coussins de tapisserie. J'en ai joui avec trouble. Je vous le dis avec trouble. Mais je vous dit tout. Tout est charmant avec vous. Mais j’ai besoin de vous partout. Vous verrez demain demain.
Je n’espère guère que Rothschild soit moins juif que lui et vous donne la maison pour 10 000 fr. Cependant ne vous laissez pas aller, et ne concluez rien avant la réponse de Rothschild. Je suis pressé de savoir quand M. de Jénisson s'en ira. N’ayez pas non plus de laisser-aller quant à ses meubles. Ne prenez que ceux qui vous conviennent vraiment. Démion, qui a envie que vous soyez là, trouvera bien moyen de le débarrasser du reste. Quand vous ferez vos achats pour l’arrangement de la maison, n'oubliez par M. de Valcourt. Il est très entendu et vous épargnera de payer trop cher. C’est le risque que vous courez toujours. Vous ne savez pas le prix des choses, ni vous défendre du savoir faire des Marchands.
Le tournoi de Lord Eglington a parfaitement amusé mes filles. Elles ont lu cela comme un roman et elles vous diraient les noms de tous les chevaliers et de toutes les dames comme si elles y avaient été personnellement intéressées.

9 h. 1/2
Non, je ne doute pas. Je suis sûr et ravi de ma certitude. Je l’avais. J’avais tort quand je ne l’avais pas. Mais vous me la donnez encore. Donnez-la moi toujours. Toujours, elle me sera aussi douce à recevoir que la première fois. Moi aussi, je suis blessé, de cette sotte parole inoculé à sa mère ! Autant qu'on peut être blessé d’une sottise venue d’un sot. Pardonnez-moi ma brutalité. Il ne faut répondre à cela que quand vos affaires seront finies bien finies tout-à-fait réglés. Vous verrez alors qui vous devez remercier, et dans qu’elle mesure. Vous n'avez lu dans tout ceci qu’un seul tort, c’est votre laisser aller dans les premiers moments. si on vous propose d'échanger des capitaux contre une augmentation de pension, je n’en suis pas d’avis. Tout ce qui augmentera votre dépendance ne vaut rien. Moins vous aurez à recevoir des mains d'autrui chaque année, plus vous serez tranquille et dans une situation convenable. Adieu. Adieu. Le facteur attend ma lettre. Je vous écrirai demain avec détail sur tout cela. Adieu. Comme si j'étais monté avant-hier à 6 heures en passant sous vos fenêtres !
Adieu. Il ne faut pas aller au delà des 12 000 fr pour Jenisson. Un appartement meublé ne vous convient plus du tout. J’aimerais mieux retourner à la rue de Lille. Quel ennui de n’être pas là pour vous aider à résoudre toutes choses !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
264 Du Val Richer, jeudi 12 septembre 1839 Midi et demie

Je rentre pour être avec vous. Vous savez le peu de cas que je fais des fictions. Mais enfin... Je me promenais tout à l’heure avec ma mère et mes enfants. Je ne sais pourquoi j'ai regardé à ma montre. Midi et demie m’a donné l’envie de rentrer, le besoin d'être seul. Vous êtes seule aussi. Je vous ai promis que vous ne le seriez plus. Je ne tiens toute ma promesse qu’au dedans de mon cœur à votre cœur. Au dehors. dans notre vie, je vous laisse encore seule souvent longtemps... Ah que tout est imparfait.
La nouvelle proposition de Jénisson, me contrarie beaucoup. Vous seriez si bien là ! Je me persuade que M. Démion arrangera la chose et vous fera avoir l’appartement sans meubles. M. de Jénisson se trompe s’il espère le louer sur le champ comme il lui convient. Il ne trouvera pas de chalands avant la fin de l’automne, et perdra ainsi ce qu’il se flatte de gagner. Vous aviez bien raison de prévoir que les affaires vous afflueraient quand je serais parti. Vous aurez vu Génie ce matin. Abouchez-le avec Démion ; il traitera mieux que vous. En tout cas la rue de Lille est toujours à votre disposition. Je viens de relire votre frère. C'est bien ce que j’ai entrevu. Pour en finir, pour se débarrasser de toute contrariété en pensant à vous et de toute peine à prendre pour vous, il a besoin de partager les torts entre vous et vos fils. C'est commode, ainsi font les indifférents de peu d’esprit. Il y a bien de quoi vous blesser. Mais ne vous blessez pas, par fierté. Ne voyez là que des affaires. Je vous demande plus qu’il ne se peut, je le sais bien. J’ai peine à croire que l’augmentation de 2000 roubles de pension soit à la place des capitaux. Elle n'y correspond pas. Le capital Anglais n’y peut-être compris. A lui seul, il vaut plus de 13 000 fr de rente. Ce ne pourrait donc être que pour le capital d’une année de revenu de la terre de Courlande. Il vaut mieux que vous le receviez en masse. Votre frère, est-il autorisé par vos pleins pouvoirs à conclure un tel arrangement, sans votre consentement spécial ?
Voici ce que m'écrit Brougham ce matin : " Mon cher M. Guizot, permettez que je vous exprime mon horreur au sujet d’un bruit qui vient de me parvenir de ma belle-fille à la Haye - et qui m’attribue - je dois dire plutôt m'impute une brochure sur la politique de France, et nommément contre le Roi - Notre roi, j’ose l’appeler. Je n'en sais pas même le titre. Encore moins en ai-je lu même une ligne. Jugez de mon étonnement. C'est probablement une ruse de libraire. "
" Encore une justification. L'on m'accuse d'avoir trop parlé du duc de Wellington aux dépens de l’armée française. Au contraire, le comble de mon éloge était qu'au lieu de se battre contre vos troupes, Napoléon les avait commandées tandis que Wellington les avait combattues. Sachant qu’il y avait des respectables Français près de moi, certes j'aurais eu grand soin de ne pas préférer le moindre mot contre vous autres, quand même j'aurais eu une telle opinion, ce que certes, je n’avais point. " Rendez-lui le service de répéter un peu ses démentis. Il faut obliger les gens d’esprit, même fous. Il ne me dit pas un mot d'Angleterre.

8 heures et demie
Je viens à vous à 8 heures et demie comme à midi et demie avec le même désir et le même serrement de cœur. Vous aviez bien raison avant-hier de vous séparer de moi, avec plus de peine que jamais. Je n’ai jamais passé un peu de temps près de vous sans que le plaisir d’y être ne devint plus vif, et la peine de n'y plus être, plus amère. Et cette fois plus encore que jamais. J’ai oublié de vous dire que, si vous vouliez achever l'histoire de la Révolution de Thiers, je l’avais à votre disposition. Dites à Génie de la faire prendre dans la bibliothèque de l’antichambre du salon, au premier étage. Avez-vous lu les mémoires sur le consulat de Thibaudeau ? Ils vous intéresseraient.
Si M. de Jénisson est intraitable tâchons de voir le bon côté de la rue de Lille. Vous payerez 5000 fr de moins & vous aurez sans embarras, sans qu’il y manque rien, le plaisir d’arranger l’appartement à votre gré. Je me dis et redis cela d'avance, pour être moins contrarié pour vous, s’il faut l'être. Au fait, la rue de Lille est très convenable, parfaitement convenable, et nous mettrons dans le jardin tant de fleurs et de si belles fleurs, que nous le rendrons gai et varié. Vous savez que j'ai le département des fleurs. J’apporterai d’ici, dans ce cas de très belles graines qui me viennent du Jardin du Roi. Nous les sèmerons au printemps sur ce gazon que nous métamorphoserons en corbeille. N'a-t-il pas été convenu que décidément on vous donnerait la grande chambre dont vous avez besoin, au haut de l’escalier ?

9 h. 1/2
Si vous m'êtes nécessaire ? Vous aurez beau faire ; vous pouvez me le demander à moi, mais à vous-même, au fond, de votre cœur, je vous en défie. Je suis sûr que vous serez de plus en plus contente de mon génie, et il vous dira beaucoup de petites nouvelles. Je suis fâché que Rothschild attende Démion. C’est Démion qui règne, au gré de Rothschild. Je m’y attendais. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
262 Du Val-Richer, Mercredi 11 septembre 1839 9 heures

Vous avez embaumé mon voyage. Le parfum de cette charmante minute dure encore. J’aurais voulu que Génie allât vous voir ce matin. Il ne le pouvait pas. Il avait des rapports à faire à sa cour, ce qui l'oblige à s'y rendre de bonne heure. Je vous le répète ; chargez-le de tout ce qui vous embarrassera ou vous ennuiera. Je réponds qu’il le fera bien et avec plaisir. Je suis arrivé il y a deux heures. J’ai trouvé mes enfants, à merveille, ma mère toujours un peu chancelante.
Il fait un temps admirable. Ce matin, à 5 heures, un brouillard affreux. Le brouillard et le soleil, la tristesse et la joie se touchent, se mêlent presque. Les contrastes de la vie ont bien de la peine à se concilier dans notre cœur. Je n’y prétends pas. Si vous pouviez voir au fond, cela me suffirait, et je suis sûr que cela vous ferait du bien. C’est un si grand repos qu’une sécurité parfaite, même de loin. Vous m’êtes nécessaire, nécessaire comme je le suis pour vous. Mais je suis nécessaire en deux endroits. Que j'aurais à vous dire ! Je ne vous ai rien dit. Adieu. Je n’ai pas dormi cette nuit. Je dormirai peut-être une heure dans la journée.
Adieu Adieu. Non pas farewell for ever, mais ever and ever farewell. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
259 Paris Jeudi 12 Septembre 1839 9 heure

J’ai trouvé votre lettre à mon réveil. Je vous remercie. Vous ne me dites pas si vous avez vu encore M. Duchâtel, si vous avez appris quelque chose des rapports de M. de Barante. Je n’ai vu personne hier matin que Mad. de Castellane qui est venu gazouiller chez moi, et M. de Pogenpohl avec lequel je suis convenue de ne rien dire jusqu'au retour de M. Démion. J’ai fait seule, toujours seule, ma promenade au bois. Après, le dîner j'ai été faire visite à Mad. Appony et puis Pozzo. Je n’ai pas appris un mot de nouvelle ni chez l'un ni chez l’autre. Pozzo est dans l’enfance tout-à-fait.
J’ai très mal dormi. Je viens de recevoir une lettre de Buckhausen dans laquelle il me dit que mon frère ayant mes pleins pouvoirs peut obtenir les letters of administration. Je laisserai cela se débrouiller comme cela pourra. J’ai été interrompue par la visite de votre petit homme. J'en suis très contente. Il m’a redit tout ce que vous l’aviez chargé de me dire, et de plus beaucoup de choses qui m’ont intéressée. Nous nous reverrons Samedi. C'est une créature fort intelligente à ce qu’il me parait, et puis, ou avant tout, il a l’air de vous être si attaché !

Midi. Je viens de voir Rothschild un moment sur l’article de la maison il attend Démion comme moi. Il ne sera ici que demain soir. Sur la politique il blâme extrêmement la France dans l’affaire de l’Orient. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Adieu. Oui. Vous êtes nécessaire de deux côtés, c'est là votre grande supériorité sur moi, sans compter toutes les autres. Et moi ; moi, pauvre moi. Est-il bien vrai que je vous suis nécessaire ? Et n’est- il pas bien vrai que je suis de trop à tout le reste ? Ah, que je suis triste. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
258 Paris Mercredi 11 Septembre 1839, 9 heures

Jamais je ne me suis séparée de vous avec autant de chagrin que hier. J’ai été reprendre au bois de Boulogne la route que nous avions fait la veille ! Je suis rentrée, mon dieu était sur la table. Je me suis mise sur le balcon pour attendre les voiture ; quand je vous ai aperçu, mon cœur a bondi de joie comme si je vous retrouvais pour vous garder. Ah si alors vous étiez descendu de voiture si vous étiez entré chez moi, je me serais jetée à vos genoux pour vous demander de ne plus m’abandonner ou de me laisser vous suivre. J’ai pleuré alors, beaucoup pleuré. La voiture vous emportait ! Le soir j’ai refait le triste bois de Boulogne.
M. Henry Greville est venu passer une demi-heure chez moi. Il m’a raconté l'Angleterre, il en revient. Avant de me coucher M. Pogenpoll me fit tenir un billet de M. Jennisson qui dit ceci. " les pertes que j’éprouve en mettant tout mon établissement en vente m’ont décidé à louer mon appartement tel que vous le connaissez, tout compris, non le linge et la vaisselle. Si Madame de Lieven à qui cela me parait devoir convenir pas dessus tout pour 2 1/2 ans à partir du 1er octobre prochain en voulait, nous nous entendrions. " Voyez-vous le nouvel embarras ? il voudra louer pour 16 milles francs, plus peut-être. Cela ne me convient d’aucune façon possible. Je dirai que j’attends Démion pour tout cela, mais vous verrez, je finirai par n'avoir pas l’appartement. car j’ai du guignon en tout ! J’ai passé une nuit détestable. J’ai passé une nuit détestable.
En me levant j’ai trouvé sur une table une lettre de mon frère. Je vous avais dit qu’elle m'arriverait aussi tôt que vous m’auriez quittée : la voici et mes observations. Je suis très blessée. Répondez-moi, dites-moi ce que vous en pensez et ce que je dois répondre, vraiment le courage me manque pour répondre à ces gens-là. Je crois moi qu’on massacre mes affaires et qu'il faudra encore dire merci. J’avais bien besoin de vous auprès de moi, pour me calmer sur cette lettre. Je suis triste, triste, triste à mourir.
Midi 1/2 !! ah comment m’accoutumer à voir arriver ce moment tous les jours sans vos deux yeux qui viennent éclairer ma vie ! Il vous est arrivé de douter quelques fois de moi, de croire que je ne vous aimais pas comme vous le vouliez comme vous l'aviez imaginé. En doutez-vous aujourd’hui ? Dites-moi cela. Adieu, car je ne sais pas écrire quand j'ai le cœur si plein, si plein. Adieu. En me levant j’ai trouvé sur une table une lettre de mon frère. Je vous avais dit qu’elle m'arriverait aussi tôt que vous m’auriez quitté : la voici et mes observations. Je suis très blessée. Répondez-moi, dites-moi ce que vous en pensez et ce que je dois répondre, vraiment le courage me manque pour répondre à ces gens-là. Je crois moi qu’on massacre mes affaires et qu'il faudra encore dire merci. J’avais bien besoin de vous auprès de moi, pour me calmer sur cette lettre. Je suis triste, triste, triste à mourir.
Midi 1/2 !! ah comment m’accoutumer à voir arriver ce moment tous les jours sans vos deux yeux qui viennent éclairer ma vie ! Il vous est arrivé de douter

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
257 Mardi soir 27 août Du Val-Richer. 1839-10 heures

Je rentre dans mon Cabinet. Si j’étais à Paris, je serais chez vous. Vous m'avez gâté la solitude. Moi qui me passe si bien de tant de choses et de gens, je ne sais pas me passer de vous. J'ai bien raison. Je compte toujours que M. Devaines et son fils arriveront après demain. Nous réglerons alors notre moment. Rouen me convient à merveille. Mais vous serez là bien en l’air, dans une auberge, sans établissement. Je ne sais qui vous trouveriez à Dieppe. La saison n'est pas bonne pour les bains de mer. J'en ai tout près d’ici à Trouville, d'où l’on s'en va à cause du froid. Je ne veux pas que vous risquiez rien, rien du tout, entendez bien ceci. J’attends aussi des nouvelles du Duc de Broglie qui est à Evreux, à son Conseil Général. Il viendra me voir, et j'irai le voir en passant. Evreux est sur ma route. Il n’a vu personne du tout en passant à Paris. Les Ministres en ont été un peu étonnés.
Génie, je ne sais pourquoi ne m’a pas encore répondu sur le petit hôtel de la rue Lascazes. Il est peut-être loué (l'hôtel) Sinon voulez-vous que je fasse dire à Génie d’aller vous voir, et de vous le décrire. Mais vous aimerez mieux y aller vous- même. A quelle heure vous promenez- vous ? Je ne saurais vous dire avec quel triste dépit je pense que j’ai passé un mois à Paris sans vous, et que vous allez y passer tant de temps sans moi. Zéa y est encore. Faites-lui dire de venir vous voir. Mais pouvez-vous crier assez fort ? La dernière fois que je l'ai vu il était plus sourd que jamais et il ne voulait pas laisser dire un mot à son frère Colombe qu’il m’avait amené.

Mercredi matin, 6 heures
Dormez-vous ? Que je serais heureux si j'y pouvais voir ! La romance a beau traîner dans les rues ; elle est charmante. C’est une chose charmante de veiller auprès d’une personne, de la personne chérie. Pourvu qu’elle ne soit par malade. Quel supplice ! Je doute qu'on ait bien emmanché l'affaire d'Orient en demandent tout-à-coup, et pour le début, ou Pacha de rendre la folle. C'est une satisfaction d’amour-propre qu'on se donne, mais qui aggrave la difficulté au lieu de la résoudre. Le Pacha rendra la flotte quand on se sera arrangé avec lui ; mais céder ainsi d'avance, sur une première sommation, c’est beaucoup. Pourquoi placer la grosse question sur une si petite circonstance, et avant de l’avoir déballé, et sans donner du temps au Pacha ? Je suis obligé de penser ce que je pense en effet sans le dire. L’esprit manque. Encore une fois, que de choses j'ai à vous dire ! J’y touche ; je vous les dirai bientôt ; mais que le doux moment est loin quand on en approche ?

9 h. 1/2
Certainement, j'irai à Rouen et de là à Dieppe ; mais j'ai besoin que vous me donniez au moins un jour de plus et que vous ne partiez pour Rouen que lundi. Il me faut cette latitude pour mes hôtes. Dites- moi tout de suite quel jour vous serez à Rouen. Vous ne me dites rien de la maladie du Prince de Metternich. J'en conclus qu’elle n'est pas aussi grave qu'on me l'a dit. Politique à part, je le désire. Je ne vous veux pas une impression triste de plus, et celle là serait fort naturelle. Adieu. Adieu. Vous dites qu'il ne vous fatigue pas encore. Ce n'est pas assez. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
255. Du Val-Richer, Lundi 26 août 1839
7 heures

Vous voilà à Paris. Je me le dis comme si je le savais. Je veux me le dire. Je ne le saurai que demain. Demain, je serai heureux. Et quand je vous aurai vue ! Je ne puis partir tout de suite. Il m’arrive cette semaine trois personnes, entre autres M. Devaines qui viennent précisément de Paris passer quelques jours au Val-Richer. Je m’arrangerai pour y aller (à Paris) quand elles y retourneront. Il y aura plus de trois mois que nous ne nous serons vus !
Vous dîtes que vous êtes encore changée ! Ce qui m’est insupportable, c’est que sur votre santé, je ne me fie pas à vous, à vos impressions et à vos paroles. Vous avez tantôt des terreurs, tantôt des insouciances inouïes. Avec moi, cela n'a d'autre inconvénient que de m'agiter, avec d’autres, que vous appelez vos amis, il en résulte ce mal qu’ils sont incrédules à ce que vous sentez et dites de vous même de votre état intérieur. J’ai rencontré cette incrédulité et avec effroi. Vous vous reposerez à Paris.
Je suis bien fâché que les Granville n’y soient plus. Sont-ils partis pour longtemps ? Il n’y a rien de nouveau pour eux en Angleterre. Le Cabinet n’est pas en péril. Ce sera vous maintenant qui me donnerez des nouvelles. On me tient assez au courant, mais pas de votre monde. Pahlen doit être bientôt de retour. Il vous reviendra sûrement aussi fidèle. M. de Pahlen doit être toujours fidèle, quand il est près et oublier beaucoup dès qu'il est loin. Vous aurez le pauvre Pozzo. Pour celui-là, tout déchu qu’il est, je vous répondrai toujours plus de son esprit que de sa fidélité. Ramenez-vous Marie ? Je crois que non. Pourtant vous ne m’avez jamais rien dit de positif.
Vous me direz si vous voulez que je prie ma mère de vous chercher sérieusement quelqu'un.

9 h.1/2
Je respire. Vous n’êtes donc pas malade. Vous êtes venue bien vite. Je n'attendais ce matin qu'une lettre de la route. Vraiment, vous êtes à Paris, et pas malade, et votre médecin ne vous trouve pas si mal que vous l’imaginez. Mais comment avez-vous fait pour maigrir ? Ce n’est peut-être pas vrai, par autant que vous l’imaginez. Trompez vous donc, je vous prie. Et reposez-vous. Il se pourrait bien que les bains de mer vous fussent bons. Laissez-moi y penser un moment avant de choisir entre Paris et Dieppe. Aurez-vous quelqu’un à Dieppe. Et puis, il ne fait pas chaud. Il fera moins chaud tous les jours. Les bains de mer ont besoin de chaleur. Enfin, nous verrons. Vous êtes arrivée.
Adieu. Adieu. Adieu. Je n’en finirais pas. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
250 Du Val Richer, mardi 20 août 1839 6 heures et demie.

Quand nous sommes ensemble je veux bien vous parler de vous-même, vous reprocher vos défauts, vous quereller. De loin, non. tout est si sec de loin, si absolu ! Il ne faut se dire de loin que de bonnes et douces paroles. Il n'y a pas moyen de donner aux autres leur vrai sens et qui sait à quel moment elles arrivent ? Toutes les fois que je me suis laissé aller à vous gronder de loin, j’y ai eu regret. Quand vous voudrez que je vous gâte, allez vous en. Je ne serai tranquille à présent que lorsque je vous saurai quelqu'un pour vous ramener. J’aimerais mieux Mlle Henriette que tout autre. Quel âge a-t-elle ? Est-elle d’une bonne santé ? Je demande tout cela pour chercher à me persuader qu'elle ira vous rejoindre.
Je suis quant à l'Orient, dans une disposition désagréable. Je suis convaincu que si la question ne s’arrange pas, c’est-à-dire ne s’ajourne pas, c'est bêtise, inaction, défaut de savoir dire et faire. Mettez quatre hommes d’esprit en Europe, à Pétersbourg, à Vienne, à Paris et à Londres, avec celui qui est à Alexandrie Faites que ces quatre hommes d’esprit voient l'affaire comme elle est réellement et se voient eux-mêmes comme ils sont réellement, il est impossible qu’ils ne prennent pas le parti, gardant chacun sa position, réservant chacun son avenir, d'agir au fond de concert. Nous avons tous un intérêt dominant, le même, et auquel longtemps encore tous les autres doivent être subordonnés. Vous Europe orientale, qui n’avez point fait de révolutions votre intérêt dominant est qu'elles ne commencent pas. Nous, Europe occidentale, qui en avons fait notre intérêt dominant est qu'elle ne recommencent pas. Nous avons tous à nous reposer, et à nous affermir, vous dans votre ancienne situation, nous dans notre nouvelle. Et territorialement, le fait est le même.
Vous avez gagné en 1815 ; nous ne demandons rien. Nous avons accepté et maintenu en 1830, à la sueur de notre front le statu quo que vous aviez acheté, contre nous en 1815, de tant de votre sang. Le moment est-il venu de le remettre en question ? Et si l'affaire d'Orient ne s’ajourne pas, il sera remis en question, et bien autre chose avec. De quoi s’agit-il au fait ? D'imposer à la Porte l’indépendance réelle du Pacha, au Pacha la paix stable avec la Porte et d'attendre. Si on se met d'accord sur ce but, on y arrivera infailliblement à quelles conditions ? Qui en aura l'honneur? Qui restera à Constantinople avec le plus d'influence ? Qui en aura à Alexandrie ? Questions secondaires, très secondaires, quelque grandes qu'elles soient.
Il faut avoir une idée simple et la placer bien haut au dessus de toutes les autres. On ne se dirige que vers un fanal très élevé et on ne marche réellement que quand on se dirige, vers un but. La révolution française à eu une idée simple ; elle a voulu se faire. La Ste alliance a eu une idée simple ; elle n’a pas voulu de révolution. L’une et l'autre a réussi : réussi quinze ans, vingt ans, comme on réussit en ce monde ; réussi pour son compte et dans ses limites, le seul succès qu’on puisse sensément prétendre. La folie de la révolution française était de vouloir se faire partout. La folie de la Ste Alliance était de vouloir empêcher la révolution française de s'accomplir. L’une et l’autre a échoué dans sa folie et réussi dans sa propre et vraie cause. La leçon est claire car elle est complète, aujourd'hui encore, pour je ne sais combien de temps, l’idée simple de l’Europe doit être la paix. Et si la paix est troublée à cause de l'Orient, ce ne sera pas à causé de l'Orient, mais à cause de la bêtise de l’occident et de l'orient chrétien. Il y a une chose dont je ne me corrigerai jamais, c’est de croire que, quand on a raison on peut réussir.
Mon honnête Washington, qui avait plus d’esprit que bien des coquins, ne se faisait aucune illusion sur les sottises de ses concitoyens ; mais je trouve à chaque pas dans ses lettres cette phrase. I cannot but hope and believe that the good sense of the people will ultimately get the better of their prejudices. Aux mots the people j'ajoute les mots and the governments, et je dis comme Washington. Je me donne pourtant deux sottises à surmonter au lieu d’une.

9 h. 1/2
J’attends chaque matin votre lettre avec bien plus que de l’impatience. Quand n'en attendrai-je plus ? Quand serons-nous réunis ? Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
251 Du Val-Richer, mardi soir 20 août 1839, 9 heures

Je viens de rendre mes filles parfaitement heureuses. Nous avons fini la lecture de Villehardouin, et j’y ai fait succéder un roman de Cooper qui s’appelle Les Pionniers. C’est un village de planteurs établis sur la lisière de la terre sauvage et en lutte avec les forêts, les bêtes féroces, les Indiens. A part même les aventures, la vie agricole, ses intérêts, ses plaisirs, ont évidemment un grand charme, un charme naturel pour les hommes, enfants ou non. Je le comprends avec le bonheur domestique, avec la fixité et le long avenir de la famille. Sans cela, la campagne n'est bonne que pour se reposer dans les entr'actes, ou pour se retirer quand on a fini.
N’avez-vous point de nouvelles de Lady Clauricarde ? Je la suppose retournée à St Pétersbourg. Pour elle, ce moment-ci vaut la peine d'y être. Et je m'en rapporterais assez à son jugement. C’est, si je ne me trompe, une personne très agréable à voir la première fois, et à connaitre intimement. Il y a, entre ces deux termes, un moment où elle est moins agréable. Cela arrive assez souvent avec les personnes distinguées. Le mérite frappe d'abord puis les défauts apparaissent ; puis le mérite revient et surmonte tout. J'essaie de vous parler de toutes choses. Sachez bien que je ne pense qu’à une seule.

Mercredi 9 7 heures
J’ai un besoin inexprimable de causer avec vous. Il me semble que depuis le 1er Juin nous ne nous sommes rien dit. Toutes ces lettres écrites, reçues, tous les jours ce n’est rien, rien du tout. Il n’y en a point, et dans aucune pas une phrase qui ne soit insuffisante, incomplète, fausse. C'est comme si nous étions l'un vis à vis de l'autre, dans un état de réticence et de mensonge. Cela me déplaît horriblement. Et puis, j’ai tant d'envie de vous voir, de voir par moi-même à tout ce qui vous touche, votre santé, vos affaires. Je ne comprends pas pourquoi mon Génie ne m’a pas encore répondu sur le petit hôtel de la rue Lascazes. Je lui ai recommandé de le visiter avec le plus grand détail, s'il est encore à louer. Il doit s’informer aussi pour l’hôtel Crillon.
Le Duc et la duchesse d'Orléans réussissent vraiment très bien dans leur voyage. Il y a, de la part des Carlistes, beaucoup de curiosité pour eux, une curiosité qui combat la malveillance. Quand viendra, un nouveau règne, le parti se coupera en deux ; les uns retourneront à leurs espérances ; les autres regarderont l'usurpation comme couverte par l'hérédité et se rapprocheront. On voit déjà les deux mouvements se préparer.
Il y a un grand trouble matériel, dans les journaux de Paris. Plusieurs des plus bruyants, le Siècle par exemple et la Presse sont, dit-on, en danger de mort. Au fait plus ils durent et plus ils ont d'abonnés, plus aussi leurs actionnaires se ruinent. Jamais on n'a vu une spéculation plus évidemment fondée sur une friponnerie. Le Siècle a perdu, dit-on, beaucoup d'abonnés à cause de ses velléités de ministérialisme.

9 h. 1/2
Quand donc aurez-vous trouvé quelqu'un ? J'en suis plus agité que si je le cherchais moi-même. Adieu. Je vous quitte pour aller recevoir Mad. de Boigne. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
249 Du Val Richer, Dimanche soir 18 août 1837 9 heures

Nos promenades ne se ressemblent pas. Vous avez été voir un vieux château que nous habiterions fort convenablement. Moi, j’ai mené mes hôtes ce matin à travers des chemins, où j’ai beaucoup pensé à vous pour me féliciter de ce que vous n’y étiez pas. Il a plu hier, avant-hier. On travaille à réparer ces chemins. On y a entassé des pierres. La pluie a plongé les pierres dans la boue. Ce n’était pas praticable. C’est dommage. Le pays est charmant. Rien de grand pourtant, ni de la main de Dieu, ni de celle des hommes. Les châteaux y sont aussi petits que les coteaux. Je me suis félicité de ce que vous n’y étiez pas, et j’ai eu tort. Pour vous faire traverser les mauvais endroits, j'aurais été obligé de vous porter souvent, toujours. Cela aurait bien valu le manteau de Raleigh.
Notre Cabinet me paraît fort inquiet de vous. Vous vous êtes tout-à-coup mis en mouvement. Vous avez parlé de guerre. Est-ce sérieux ? Irez-vous réellement à Constantinople pour y soutenir Khosrer-Pacha contre Méhémet Ali qui n'en veut pas du tout au Sultan, et ne fait pas un pas vers Constantinople ? Vous chargerez-vous ainsi de faire durer tous les grands vizirs, et de ramener à la subordination tous les Pachas qui auront envie de se rendre indépendants ? Vous avez très bien fait de faire le traité d'Unkiar-Skélessy, si tout cela y est, et si tout le monde trouve tout simple que tout cela y soit.

Lundi matin, 6 h. 1/2
Il me parait impossible que le Dr Gurckardt (n'est ce pas son nom ? ) ne vous trouve pas un jeune médecin bon pour vous accompagner, assez bon pour que vous acceptiez sa société pendant quatre jours. Je regrette de ne pouvoir vous envoyer le mien, qui a de l’esprit, un caractère doux et une figure agréable. M. Molé me l’a emmené à Plombières.
On me dit qu'à Plombières, il ( M. Molé) parle beaucoup d'adopter une politique téméraire, & que cela convient peu à St Cloud. M. Molé ne sait arriver, comme se maintenir, qu'en flattant ; et comme le maître qu’il faut flatter pour arriver n’est pas toujours le même qu’on flatte ensuite pour se maintenir cette contradiction peut lui devenir très embarrassante. Il a pu se maintenir en flattant le Roi, au nom de la politique de résistance ; mais il n’arrivera jamais que comme il est arrivé le 15 avril, en flattant la gauche, et au nom d'une politique de concession. Si nous sommes emportés dans ce sens là, il sera dépassé ; si nous marchons dans l’autre sens, il ne suivra même pas. Il était sorti du Cabinet avec Casimir Périer et moi le 3 nov. 1830. Quant vint le moment de la grande résistance, au 13 mars, il disparut.

9 heures
Que ne suis-je Melle Henriette ! Je ne ferais pas quinze jours pour aller à Baden. Et je vous soignerais si bien ! Je vous ramènerais si doucement à Paris ! Vous ne rencontreriez pas un caillou une ornière sur la route. Mais les désirs sont vains. Je méprise les désirs, je méprise les paroles. Dearest, les vôtres me vont au cœur ce matin. Elles y vont toujours. Mais ce matin, elles sont si profondes, si tristes ! Je sais un gré infini à Madame de la Redorte de ses soins pour vous. Je serai très aimable pour elle l’hiver prochain. Je serai très aimable l’hiver prochain. Adieu. Adieu. Si je pouvais mettre dans cet Adieu tout ce qu’il y a en moi ! Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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244 Bade Vendredi le 16 août 1839,

Je serai bien heureuse le jour où je ne vous écrirai plus, car je serai avec vous, où je serai morte. Jusque là j’aurai toujours à répéter le même refrain. Je me sens mal et très mal. Je veux partir, je cherche avec qui, je ne trouve pas, et cela me donne une agitation abominable. 5 heures Votre lettre est le seul bon moment de la journée. Quelle bonne invention que l’écriture et les postes. Je n’ai rien à vous dire, et j’ai des vertiges si forts que je ne vois pas bien ce que j'écris pardonnez-moi, ou plaignez-moi. Adieu, voyez quelle lettre, adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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243. Bade le 15 août 1839, jeudi 10 heures.

Encore une mauvaise nuit, par conséquent une mauvaise journée. J’ai commencé par des larmes, je finirai par des larmes. Ah je suis bien malade ! Je cherche, on cherche pour moi quelqu’un, quelqu’âme charitable qui me mène et me protège jusqu’à Paris. Seule, je ne puis pas penser à partir, et le médecin ne le permettrait pas. Si vous saviez comme je me sens humiliée de cette dépendance où je suis de la charité d’autrui, de cette impossibilité morale physique, de me suffire à moi même. Qu’est-ce qui fait donc que tant d’autres personnes savent supporter les malheurs, savent endurer les contrariétés, l'isolement ? Des personnes qui me sont inférieures en esprit, en caractère ? Il faut que ce que J'en ai soit de bien mauvaise, soit tout le monde vaut mieux que moi ; tout le monde se tire de tout, moi je ne sais me tirer de rien. Je suis certainement un des plus misérables être de la création. Sans volonté, sans courage, sans ressources. Ah que j'ai de mépris et de pitié pour moi.

5 heures On m’a beaucoup entourée ce matin, je n’ai pas été seule un instant. C’est qu'on me voit bien malade. Savez-vous de qui je me loue le plus ? C’est de Madame de la Redorte. Vous ne sauriez croire comme cette petite femme à bon cœur et l’esprit intelligent. Mad. de Talleyrand vient d’écrire à Melle Henriette pour l'engager. à venir me trouver de suite. Si elle accepte, elle ne pourra cependant guère arriver ici avant 15 jours, et c’est bien long, bien long ! Car je suis bien malade. Votre lettre me dit un peu ce que je dois penser de la situation des puissances à l’égard de l'Orient, mais vous devriez. me dire aussi ce qu'on pense de nous de nos projets. En vérité c'est une bien grosse affaire. Je vous remercie de vouloir m’arranger l’affaire de mes effets. Je vais écrire à mon banquier pour qu'il m’en envoie une liste exacte. Je lui ai déjà dit de tout envoyer au Havre sous mon adresse aux soins de Messieurs de Rotschild. Adieu. Adieu. Je ne vous écrirez pas le mot qui m'a blessée, je vous le dirai. Adieu quel bonheur quand je pourrai dire; tout dire !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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245 Du Val-Richer, Jeudi 15 août 1839, 7 heures

Vous passez sept heures par jour en plein air. Comment reprendrez vous l’habitude de Paris ? Vous y serez en prison. Je ne sais si je désire que de retour à Paris, vous y restiez ou que vous alliez passer deux mois en Angleterre. Paris est bien plus doux à penser ; de si près, tout est plus sûr, tout est possible. Mais vous vous ennuierez à Paris, et quand vous vous ennuyez là, je me le reproche presque ; j'ai besoin d’un acte de réflexion pour me persuader que je ne puis pas, que je ne dois pas l'empêcher. A Paris, je réponds de vous, et je ne connais pas de pire tourment que celui de la responsabilité sans pouvoir. Quand je vous aurai donné quelques jours, il faudra encore attendre longtemps avant de reprendre nos douces habitudes. Il me semble que nous les attendrions plus patiemment de plus loin. Que le cœur est plein de contradiction et d'impuissance.
Vous avez raison de vous plaire à la Révolution de Thiers. C'est un livre plein de talent, d’art, d’esprit, très curieux, très amusant et très faux. Faux parce qu'au milieu de tous ces acteurs si animés, si bien compris et si bien peints, il en manque un, le seul qui donne à l'histoire son sens, sa vérité et je dirais volontiers sa grandeur, les honnêtes gens, les hommes de bien et de sens qui jugent les événements et les actions qui concluent enfin. Il n'y a point de conclusion dans l'ouvrage de Thiers, c’est un spectacle plein de mouvement et d’intérêt, mais un spectacle de marionnettes et non d'hommes. Rien n’est vrai, rien n'est faux, personne n'a raison, personne n'a tort ; rien ne pouvait arriver, personne ne pouvait faire autrement. C’est une sympathie perpétuelle, universelle, banale, en fait de sympathie, je ne sais si vous êtes comme moi, je n'en sais pas ressentir d’un peu durable sans approuver ou blâmer un peu. Je ne demande pas mieux que de tout comprendre, de tout expliquer, d'entrer dans la situation & les sentiments de tout le monde ; mais je ne saurais en rester là ; j'ai besoin d'arriver à une impression définitive, de savoir et de croire quelque chose après avoir tout contemplé & tout compris. Et ce besoin ne m’est pas particulier, c'est celui du public, celui du genre humain. Il ne regarde pas à ce qui se passe, où s'est passé, uniquement pour s'amuser, et comme s’il assistait à un combat de coqs. Il veut conclure ; il veut approuver ou blâmer, aimer ou haïr. Et cette disposition a existé dans les acteurs de l'histoire comme elle existe dans les spectateurs ou lecteurs. En sorte que là où elle est supprimée, l'histoire est faussée et j’ajoute refroidie. Elle ne s'est point accomplie avec cette indifférence, ce scepticisme, cette complaisance générale et imperturbable. Deux choses manquent selon moi au livre de Thiers, la conclusion et la passion. Et si nous le lisions ensemble, vous verriez à quel point, presque à chaque pas la vérité et la grandeur du récit souffrent de cette double absence. Vous me trouverez peut-être bien sévère. Je suis pour le livre de Thiers comme pour lui-même, d’abord très frappé, très amusé, charmé de ce mouvement, de cette abondance, de cette facilité, flexibilité, variété, naturel, abandon, justesse de vues, justice d’impressions, tout ce que vous voudrez. Puis, quand je le quitte, je ne suis point satisfait, je ne me sens point à l'aise, ni en sûreté. Et quand je me demande pourquoi, je m’aperçois que rien de tout cela, n'est complètement, sérieusement vrai, ni juste, qu’il faut que je repousse, que je me méfie ; et mon jugement définitif lui est beaucoup moins favorable que ma première impression.

9 h. 1/2
Je ne crains pas les complications d'Alexandre. Nous en sommes encore bien loin. Quand je dis que je ne les crains pas, j’ai tort ; je devrais dire comme cette femme des revenants : " Je n'y crois pas, mais je les crains. " Je suis bien aise qui les explications de Benkhausen soient arrivées. J’aurais mieux aimé le contraire, pour votre puissance, et votre plaisir avec vos fils. Mais le doute ne valait rien. Adieu. Adieu. Ce petit papier, m'est tombé sous la main. Mais j’ai écrit fin. à la vérité, ce la ne vaut rien pour vos yeux. Adieu, dearest. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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241 Baden le 13 août 1839, 3 heures

C'est aujourd’hui que je suis vraiment malade. J’ai passé la nuit entière sans dormir avec des crampes continuelles dans les jambes, qui vont encore dans ce moment, et mes nerfs dans l'état le plus déplorable où ils aient jamais été. Le médecin ne sait plus que faire ; je veux partir car je mourrais ici. Mais il me trouve trop faible pour un voyage, et il ne me permettra jamais surtout de l’entreprendre seule. Je le sens bien aussi, moi, que je ne puis pas aller seule. Mais où trouver la créature charitable qui m’accom pagnerait qui me soignerait ! J'ai passé ma matinée à pleurer. Je sens mes forces décroître, tous les jours je serai moins capable de m'en aller et ici je meurs. Je ne sais pas vous dire autre chose aujourd’hui. Je n'ai qu'un vœu, c'est d'aller vers vous, de mourir près de vous. C'est si triste de n'avoir pas un coeur qui m'aime. Et vous m'aimez-vous ? J'en suis si sûre ! Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi vous ai-je quitté ?

5 heures Je viens de recevoir votre lettre. J'ai une pesanteur affreuse sur la tête, des étourdissements, des tremblements dans les jambes, et toujours froid. Vous ne savez pas comme je suis triste, comme je me trouve loin de vous, comme je me sens mal ! Il m'est impossible de vous dire autre chose aujourd'hui. Adieu, adieu. Je ne pense qu'à vous ; sans cesse ; tristement, tendrement, bien tendrement. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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238 Baden le 10 août Samedi 1 heure

Qu'il y a longtemps que nous ne nous sommes vus ! Savez-vous bien que c'est là ce qui m’empêche de me bien porter. Il me semble que si vous étiez auprès de moi je serais bien, tout à fait bien. Que de fois je m'en suis saisie de ce besoin, ce désir d’aller où vous êtes, de causer avec vous, de vous dire tout. Ce n’est qu’avec vous que je sais parler, ce n’est que vous que j'aime à entendre. Je n'ai que tristesse, et ennui là où vous n'êtes pas. Vous me manquez bien plus que moi je ne puis vous manquer. Soyez bien sûr de cela. Les Anglais disent ici que Lady Cowper sera à Wisbade demain. Elle ne m'en a pas dit un mot. Si elle venait en effet cela changerait un peu mes plaies. Je ne retournerai pas à Paris avant de l'avoir vue. Et puis ensuite l'Angleterre ne m'irait plus du tout, car sans elle il y aurait bien de l’isolement pour moi.

5 heures Voici votre lettre. Je suis bien aise de voir que nous admirons Méhémet Ali ensemble et pour la même chose, je crois vous avoir parlé de sa note aux consuls. Aujourd’hui on dit ici que les flottes anglo-françaises ont demandé l’entrée dans les Dardanelles et que le Divan la leur a refusé. Dans tous les cas l’Orient devient une très grosse affaire et qui a un aspect imposant dans son ensemble et dans ses détails. On dirait que l’Europe a disparu ; tout est aujourd’hui à Alexandrie et Constantinople. Le temps est un peu beau aujourd'hui. Nous avons eu froid tous ces jours passés. Je me promène également par le beau et par le mauvais temps, parce que je m'ennuie. Ah, que je m’ennuie. Vous ai-je dit que je lis la Révolution par Thiers ? Je suis au 6ème volume. Et bien, cela m’enchante. Ai-je le goût mauvais ? Adieu, je n'ai pas de nouvelle à vous dire ? Je me lève toujours à 6 heures. Je reste dehors jusqu'à 8. J'y retourne de 10 à 11. J'y retourne encore de 2 à 4. (dans l’intervalle j'ai déjeuné et dormi. J'ai fait ma toilette, & &) Je dîne à 4 heures. Je ressors à 5 1/2. Et je ne rentre que pour me coucher à 9 heures. Je mène toujours quelqu'un avec moi en calèche. Marie et la petite Ellice. ma nièce. Mad Welesley. Aujourd'hui Madame de la Redorte. A 9 1/2 je suis dans mon lit. Mais je ne dors pas.
Adieu. Adieu. Avez-vous bien envie aussi de me revoir ? Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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237 Du Val-Richer. Mercredi 7 août 1839 6 heures

Je ne sais comment s’est passée ma journée d’hier. Je ne vous ai rien dit. Je me lève de bonne heure pour combler cette lacune. J'en reviens toujours à Titus et Bérénice. Il faut que ce soit bien beau pour qu’on y retrouve sans cesse son propre cœur. Les belles choses écrites s'usent-elles rapidement pour vous, comme les choses de la vie courante ! Prenez-vous plaisir à relire ce que vous avez admiré ? Pour moi, je suis fidèle et inépuisable dans l'admiration. J'y rentre avec délices, et je découvre toujours de nouvelles beautés, des perspectives inconnues. Je relis à l'infini. Le nouveau ne manque jamais dans l'infini. Voilà une phrase bien allemande. Elle est pourtant vraie. Et mon pourtant est bien insolent, n’est-ce pas, bien français ?
Vous a-t-on jamais dit le mot de l'Empereur Napoléon à M. de Caulaincourt qui lui parlait des désastres de la retraite de Russie. " On a fort exagéré les pertes, lui dit l'Empereur ; voyons donc, que je me rappelle. Cinquante mille, cent mille, deux cent mille... Oh mais il y avait là bien des Allemands. "
Dieu me pardonne d'envoyer une pareille anecdote au delà du Rhin ! J’ai tort. Je dois beaucoup à l'Allemagne. D'abord, je lui dois vous, qui n'en êtes guère, d’esprit du moins. Je lui dois une partie du mien. De 20 à 25 ans j'ai beaucoup étudié la littérature allemande et beaucoup appris de cette étude ; appris non seulement, matériellement mais moralement. Il m'est venu de là beaucoup d’idées, des jours nouveaux sur toutes choses, une certaine façon de les considérer qu’on ne trouve point ailleurs, notamment en France. Au fait, c’est une sottise de laisser pénétrer dans son jugement sur un grand peuple le moindre sentiment de dédain, je dirai plus d'orgueil national. Ils ont tous, par cela seul qu’ils ont beaucoup fait et joué un grand rôle en ce monde, de quoi mériter l’attention l'estime, le respect des plus grands esprits. Et il y a toujours dans un tel dédain, infiniment plus d'ignorance & d'irréflexion que de supériorité.
Convenez que Méhémet est un homme supérieur. Je suis charmé de ses notes à nos consuls de la forme comme du fond. Il y a beaucoup de grandeur et de mesure. Belle alliance. Nous verrons comment il dénouera sa situation à Constantinople. Il a bien commencé. Il tient la flotte et parle tout haut à son parti dans tout l'Empire turc. Je me rappelle qu’en 1833 il nous revenait fort d'Orient qu’il avait un grand parti à Constantinople, et que, s’il voulait il y exciterait une sédition très dangereuse pour Mahmoud. Il ne voulut pas. Ménagera-t-il autant Khosrer Pacha ? Avez-vous lu dans le journal des Débats la relation du couronnement du Sultan ? C'est assez intéressant. Elle est d’un M. Herbat, un jeune homme que j’avais près de mois au Ministère de l’Instruction publique et qui m’était si attaché que sous le 14 avril, M. Molé enjoignit à M. de Salvandy de le destituer. Il est parti pour l'Orient avec M. Jaubert à qui je l’ai recommandé. Et pendant qu’il voyait passer Abdul. Medgid dans les rues de Constantinople je lui ai fait rendre à Paris la place qu'on lui avait ôtée. Il la trouvera à son retour. Ce sera quelque jour mon Génie second, ou mon second Génie, comme vous voudrez.

9 heures et demie
Je ne sais pas quelles nouvelles on a d'Orient : mais on en a ! Je ne sais pas, ce que les Ministres ont demandé au Roi ; mais ils lui ont demandé quelque chose que le Roi a refusé Trois consuls ont été tenus dans la journée d’hier. Les ministres ont offert leur démission. Alors le Roi a consenti. Il n’a probablement été demandé et consenti, rien de bien grave. Mais enfin je vous donne ce que je sais. Adieu Adieu. L'heure me presse. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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235 (hier devait être 234) Du Val Richer, Lundi 5 août  1839 9 heures

Je n’ai trouvé hier en arrivant que votre 228. Vous voulez que je vous pardonne votre abattement. Je vous pardonne tout. Mais que sert le pardon ? Pas plus que ne ferait le reproche. Vous me donnez un sentiment auquel je suis peu accoutumé, celui de l’impossibilité, sentiment très pénible à placer à côté de beaucoup d'affection. Je ne sais pas si je l’accepterai jamais. Mais nous sommes trop loin pour que je vous dise tout ce que je voudrais ce que je devrais peut être vous dire. Je compatis peu, je l'avoue à votre ennui d’un notaire, deux témoins pour un nouveau plein pouvoir qui finira tout promptement. Finir promptement, c'est votre salut, c'est votre repos ! Je ne l'espérais pas. Et quand mon attente est trompée en bien, je suis un peu content et un peu reconnaissant envers la providence. Une faveur si rare? Jamais peut-être je n'ai plus désiré vous voir et causer avec vous qu'aujourd'hui. Je ne sais si tout ce que je vous dirais vous paraîtrait doux ; mais je suis sûr que ce serait sain pour vous. Car encore une fois, je vous aime trop pour accepter, l'impossibilité.
Parlons d’autre chose. Est-il vrai, comme on me l'écrit, qu'il est question d’un voyage de l'Empereur à Odessa avec le grand duc et M. de Nesselrode ? Personne ne peut prévoir aujourd'hui ce qui arrivera de ce côté. Un enfant Roi, une vieille Sultane-mère, deux jeunes négresses-maitresses, un vieux vizir haineux, un vieux Pacha vainqueur, toutes les habiletés de l’Europe diplomatique ne gouverneront pas cela. Nous sommes au hasard. La discorde est grande dans la gauche. Les projets de réforme électorale déplaisent à la plupart de ceux qui les acceptent, & ne sont pas acceptés de ceux à qui ils voudraient plaire. Ce sera, pour la prochaine session, un grand et bon champ de bataille. Je voudrais que ces deux questions, la réforme électorale et l'Orient restassent un peu longtemps sur le tapis. Nous avons besoin, pour nous former, de questions graves, pressantes, mais suspendues sur nos têtes, qui menacent de devenir, et ne deviennent pas tout à coup de grands événements. J’aurai probablement cette satisfaction.
Ma mère est mieux, et mes filles très bien. C’est demain, 6 août, le jour de naissance d'Henriette. Il y a dix ans. J’étais bien heureux !

9 heures
Voilà le n° 229. Je répondrai demain avec détail sur votre affaire du capital anglais. Je veux revoir le texte des lois. Mais en principe, il ne nous importe pas qu’on soit ou non étranger. Les biens de toute espèce, meubles ou immeubles qui se trouvent sur notre territoire sont régis par nos lois quelle que soit la nationalité du possesseur. Il me manque en effet beaucoup. Vous avez pleine satisfaction. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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232 Du Val Richer, Jeudi 1 Août 1839, 9 h du soir

Vous avez tort de ne pas me dire tout, absolument tout, de loin comme de près, de loin encore plus que de près. Quand je suis près quand je vous vois deux fois par jour, j'ai bien moins besoin que vous me disiez. Je devine, je sais d'avance. Et puis je vous vois ce qui vaut bien des paroles même des vôtres. Essayez de m'en dire autant qu’il en faudra pour me faire oublier un moment que je ne vous vois pas. C'est pourtant là ce que nous nous devrions l'un à l'autre quand nous sommes séparés. Entendez bien qu’il n’y a rien d'insignifiant, ni chose, ni personne, quand elle vous touche. Et puis, ce qui m'importe encore plus que le dehors de votre vue, c'est le dedans. J'aime bien à savoir les incidents de votre journée, encore plus ceux de votre âme. Dites-moi toute votre âme, ce qui l’occupe, ce qui la traverse bon ou mauvais, triste ou gai. J’ai bien envie d’être parfaitement exigeant, et de vous dire que tout ce que vous ne me dites pas, vous me le cachez, car j’ai droit de le savoir. Vous m’avez dit souvent ( quelquefois trop au commencement de notre relation, car cela m'étonnait un peu ) que vous étiez si transparente ! Soyez le de loin comme de près, et toujours, et jusqu'au fond. L’amour, c’est la transparence. L’intimité, c’est la transparence. Et la transparence, c’est que tout paraisse, que tout aille s’offrir de soi-même à des yeux charmés de tout voir. C'est ici, bien plus encore que dans tout ce qui se passe autour de vous, qu’il n’y a rien d’insignifiant pour moi. Savez-vous ce qui vous arrive ? Quand vous êtes fatiguée, ennuyée vous supposez que je le suis aussi. Vous n’avez plus confiance ni en vous, ni en moi, et vous vous laissez retomber même en m'écrivant, dans votre solitude, je veux dire dans votre isolement. Souvenez-vous que la première parole qui nous a vraiment unis a été celle-ci. Vous ne serez plus seule. Qu’elle reste entre nous, éternellement, parfaitement vraie. Ne soyez jamais seule. Je n'admets qu’une raison pour que vos lettres ne m'apportent pas, comme un miroir, toute votre vie, et toute votre âme ; c’est la fatigue physique de tout écrire.

Vendredi 9 heures
Je vois dans quelques journaux que la Belgique demande à entrer dans l’association des douanes allemandes. Je voudrais bien savoir ce qu’il y a de vrai. Je sais bien ce que la Belgique dit et fait dire sur la rive gauche du Rhin, mais je suis curieux de la rive droite. Pouvez-vous en causer avec M. de Blittersdorff, ou quelque autre bien instruit ?
La gauche a nommé un comité chargé de rédiger un projet de réforme électorale d'après les bases que je vous ai dites. Ce sont MM. Barrot, Carnot, Chambolle, Corcelles, Gauthier de Rumilly, de Golbery, Isambert, Larabit, de Sade et de Tocqueville. Il n'y a là de républicain que M. Carnot. Mais il l’est hautement, décidément et a été nommé comme tel par le 6e arrondissement de Paris. C’est à lui que les autres feront des concessions. Jamais assez pour qu'il soit content du projet, mais assez pour qu'il ne le désavoue pas. C’est l’hostilité de M. Garnier Pagès d'avoir mis M. Carnot, dans ce Comité. Il y aura ainsi beaucoup plus d’influence que s’il y était entré lui-même, ce que probablement il n'aurait pas pu.
Je ne suis pas content de la santé de ma mère depuis deux au trois jours. Elle a la tête fort lourde et un petit retour de vertiges. Je crains que le temps orageux et constamment mauvais ne lui fasse mal. Voilà un beau soleil depuis avant-hier. Je mène demain mes filles à Caen. J'en reviendrai après demain. Je m’arrangerai pour que notre quotidienneté n’en soit pas dérangée.
Vous me dîtes que bientôt vous n'aurez même plus Marie. Est-ce qu’elle se marie ? Ou bien avez-vous un parti pris de vous en séparer ? Si vous le faites cherchez quelqu'un pour la remplacer, parmi vos parent on ailleurs. Je sais combien ce choix est difficile et peut devenir ennuyeux. Pourtant il vous faut quelqu'un. Vous ne pouvez rester matériellement seule. Au moins vous faudrait-il une femme de chambre renforcée, de bonnes manières, capable de vous lire. Mais si vous rencontrez quelqu'un ou s’il vous vient quelque idée, ne vous décidez pas tout de suite, et sur votre première impulsion. Cela n’est jamais facile à défaire.

9 h. 1/2
Pourquoi n'ai-je pas de lettre ce matin ? Ceci me déplaît. Vous devez m'avoir écrit. Votre lettre d’hier me le promet. Adieu. Un triste adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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231 Du Val-Richer. Mercredi 31 Juillet 1839 5 heures

Aujourd'hui c’est tout seul que je me suis promené. Je viens de marcher trois heures, au petit pas, dans les bois, les près avec ou sans chemin, pensant à vous et à Washington. Vous vous ressemblez peu. Pourtant c'était une grande matière, et il a bien vraiment accompli sa destinée quand il a vaincu et gouverné. Il l’a fait très simplement et de sang froid, sans vit plaisir, mais aussi sans prétention ni effort. C’est peut-être le seul grand homme qui l'ait été par occasion seulement, poussé en haut par la nécessité des choses et non par l'élan de son propre esprit et de sa propre volonté. Deux choses lui manquaient : la passion et la pensée ; la passion ardente, insatiable ; la pensée spontanée, variée, illimitée dans son activité. Mais appelé à agir, je ne connais point de jugement, plus droit, plus imperturbable dans la vérité, point de caractère plus ferme et plus serein, toujours au niveau des grandes choses sans jamais se croire au dessus. Je vous en dirais long si je vous disais tout ce qui me vient à l'esprit sur lui en lisant sa vie et ses Lettres. J’ai pensé à vous bien plus qu'à lui. J’aime extrêmement à penser à ce que j’aime. On dit que les avares passent des heures à contempler leur trésor. Je suis un avare. Bien certainement je le suis. Je me comptais à regarder mon trésor, & je veux le garder pour moi seul.

Jeudi 6 heures
Le soleil est admirable ce matin. C’est une rareté. Je voudrais que vous vissiez ma bibliothèque au soleil levant. Il y entre à flots par neuf grandes croisées et se répand sur deux vastes jardinières pleines de fleurs et sur une série de gravures, encadrées le plus simplement du monde, en chêne et en sapin de Suède, comme la bibliothèque, mais toutes fort belles, saintes et profanes des Saintes Familles, la communion de St Jérôme, le spasimo de Raphaël, Napoléon à Eylau à Austertitz, à St Hélène, Henri 4 à Paris, Gustave Wasa à sa dernière diète & Je suis sûr que cela serait de votre goût, la bibliothèque et le soleil. Si le Cardinal Fesch qui répand son argent à tort et à travers, m'en avait laissé un peu je ferais du Val-Richer une habitation charmante. J'ai, pour cela la matière et l’esprit. Rien ne me manque que l’argent. Je comprends que l’Europe s'amuse du spectacle des Buonaparte, se disputant cet argent. Quand Fesch fut fait Cardinal, le maréchal Lefèvre ( duc de Dantzick ) homme d’esprit malicieusement grossier, lui dit avec son accent alsacien : « Sap.. Monseigneur, c'est pien heureux que je ne fous ai pas fait pendre ce chour que fous safez pien, quand fous étiez fournisseur ! " A coup sûr tous les Buonaparte trouvent aujourd'hui comme lui que c’est bien heureux. Chaque pays a ses scandales et ses hontes. L'Angleterre a vu le squelette de Cromwell de l'homme à qui elle avait obéi et qui compte au rang de ses plus grandes gloires, pendu à Tyburn et jeté dans la Tamise. Il n'en arrivera jamais autant à Caradoe. Le voilà Pair d'Angleterre. La Princesse Bagration sera-t-elle Pairesse ?

9 h. 1/2
Comment, quatre mois sans nous voir ? Est-ce que de manière ou d'autre, vous ne reviendrez pas à Paris dans le cours de septembre, soit pour y rester, soit pour y passer en allant en Angleterre ? Dans l'un et l'autre cas, j’irai vous y voir. Vous ne comptez certainement pas rester à Baden jusqu'au mois de Décembre. Dites-moi un peu vos projets. Ayez des projets si j'étais près de vous, je m'en chargerais. Je suis décidé à m'en charger désormais jusqu'à la dernière limite du possible pour moi. Mais à présent, je suis loin. Adieu. Adieu. Voilà quatre jours qui me pèseront jusqu'à ce que vous ayez recommencé à avoir des lettres tous les jours. Vous savez que je ne jouis de rien à moi seul. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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229 Du Val-Richer, Lundi 29 Juillet 1839 - 3 heures

Je rattraperai aisément la mesure, car l’air me plaît. Je voulais ménager votre force et vos yeux. Donnez m'en tout ce que vous voudrez. J’ai de quoi vous rendre. C'est, je crois le défenseur de l’archevêque Land qui a dit le premier qu'avec cent lapins blancs ou ne fait pas un cheval blanc. Avec cent lettres de Baden et du Val-Richer, on ne fait pas une conversation de la Terrasse. Mais j’aime mieux cent lettres que cinquante. Pourtant je ne redeviendrai quotidien qu’à partir de Jeudi 1er août.
Je mène demain mes deux filles à Caen, chez leur dentiste de province. Il faut leur ôter deux dents de lait que Brewster a voulu ajourner quand elles ont quitté Paris. Il y a un bon dentiste à Caen. J'en reviendrai après demain soir. Cette course me dérange ; mais je suis mère.
J’attends avec grande curiosité la confirmation des nouvelles d'Orient. On dit que le capitan Pacha est un homme à vous, qui avait beaucoup contribué au traité d'Unkiar-Skelessi et vous fut, aussitôt après, envoyé comme Ambassadeur. Les habiles soutiennent que tout cela n’est pas clair. Pour moi, je me suis décidément retranché les prophéties. Je veux voir.
Avez-vous entendu dire que le comte de Pahlen remplacerait Pozzo à Londres ? J’en serais fâché et pour vous et pour nous. A moins qu'on ne nous redonnât Pozzo mourant. Mais cela ne se peut guère. Votre pauvre ami de Hanovre commence à prendre peur. Il s’est chargé de plus qu’il ne peut porter. Ç'a toujours été un grand métier que celui de despote. De nos jours, il y faut Napoléon. Encore s’y est-il cassé le nez. Est-ce qu’il ne vous vient plus de lettres de là ? Du reste, il me semble qu’il vous parle toujours plus des Affaires d’autrui que des siennes. Il me semble que j'ai vu autrefois. M. de Malzahn à Paris, en 1820 et 1821. N’a-t-il pas été Ministre de Prusse à Munich, ou à Stuttgart ? Je le confonds peut-être avec un M. de Maltzen qui était aussi dans la diplomatie Prussienne ; homme d’esprit, un peu solennel.
L'humeur de la Chambre des Pairs porte ses petits fruits. On aurait voulu qu’elle fit sur le champ un second procès, pour en finir de ces gens du 12 mai, comme on en finit. Il n'y a pas du moyen. Les Pairs n’ont pas voulu en entendre parler. Leur commission d’instruction va en mettre en liberté tant qu’elle pourra, et ceux qui resteront attendront en prison que la Chambre ait un peu repris cœur aux procès. C'est encore un excellent instrument de gouvernement qu’on a bien vite usé. Les fêtes ont été on ne peut plus paisibles. Fort tièdes. Les hommes ne se réjouissent pas par commémoration. Il n'y a de solennité durable, en l’honneur d’un grand événement, que celles qui portent un caractère religieux. On ne puise un peu de durée que dans l'éternité. Notre temps a étrangement perdu l’intelligence de la durée et de ses conditions. Jamais les hommes n’ont vécu concentrés à ce point dans le présent. Petite vie, et qui fait toutes choses, à sa mesure. Et pourtant, il y a dans les idées, dans les sentiments, dans les institutions de notre temps, le germe de grandes choses très grandes. Mais pour que les grandes, choses viennent, il faut extirper les petites. On ne peut pas avoir de taillis sous les hautes futaies. Et de notre temps, les petites choses sont innombrables, petits intérêts, petits conforts, petits désirs, petit plaisirs. Il y a des facilités infinies pour dépenser sa vie et son âme en monnaie. C'est mon désespoir de voir de quoi on se contente aujourd'hui. Parmi vos raisons de me plaire, celle-ci m’a beaucoup touché, vous avez l’esprit et le cœur superbe. Cela coûte cher ; mais n’y ayez pas regret. Cela vaut encore davantage, n’est-ce pas ? Adieu pour aujourd’hui. Je vous dirai encore adieu demain avant de partir. J’oubliais de vous dire que Madane d'Haussonville est fort heureusement accouchée d’une fille. C'est ce qu'elle désirait. J’en suis charmé pour son père. Sa première couche avait été fort pénible et le tourmentait.

Mardi 9 heures 1/2
Bonjour et adieu. C'est la même chose, toujours la même et et toujours charmante. Je vous écrirai demain. Je ne vais à Caen que samedi. Encore adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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228 Du Val-Richer, Samedi 27 Juillet 1839 8 heures

Je suis seul, très seul. Non pas seul comme vous, hélas ! Je suis entouré de gens qui m’aiment, qui s'occupent de moi, qui ont besoin de moi. Mes enfants sont bien gentils bien affectueux. Ma journée est très pleine de personnes et de choses. Mais moi, je vous le répète, moi, je suis très seul. Je suis seul quand je ne me donne pas tout entier. Je suis seul quand je ne trouve pas tout ce qui me plaît, quand je rencontre, non pas des défauts ; que m'importent les défauts ? Mais des lacunes, des impossibilités. On me dit et vous même me dîtes que je suis orgueilleux. Je ne puis pas être heureux de haut en bas. Je ne puis pas aimer de haut en bas. Je veux que les yeux qui me charment soient là, devant moi, à la hauteur des miens ; et aussi les idées, les instincts, les goûts les désirs, comme les yeux. Je veux admirer et me soucier qu’on m'admire. Que personne n'entende jamais, ne sache jamais ce que je vous dis là. Pour rien au monde, je ne voudrais affliger ou blesser une affection tendre, un dévouement vrai ; ils sont si rares, & on les mérite si peu quand on ne les rend pas tout entiers ! Je vous dis qu’avant le 15 juin, j'étais seul et m’y étais résigné, qu'aujourd'hui je suis seul et ne m'y résigne pas.

3 heures
Voilà bien du nouveau en Orient. Le protectorat Européen et le Protectorat Russe se disputaient Constantinople. Elle se place sous le protectorat égyptien. A la barbe des Chrétiens divisés, les Musulmans se rallient. Je suppose que cela déplaira beaucoup chez vous. C'est évidemment un tour de M. de Metternich et du Roi Louis- Philippe. Que dira l’Angleterre ? Elle déteste l’Egypte. Serait-ce tout bonnement un coup de tête du jeune Sultan, et de ses Conseillers qui auraient voulu trancher d’un seul coup & eux-mêmes toutes les questions ? Méhémet. Ali Généralissime de l'Empire Turc ! Méhémet. Ali à Constantinople pour présider au début du nouveau règne. Si toute l’Europe s'en arrange, il n’y a plus d'affaires-là, pour quelque temps. Si elle ne s'en arrange pas, les grandes affaires commencent. Encore une fois, dites-moi qui a fait cela, M. de Metternich, les Turcs seuls, ou peut-être Méhêmet lui-même, par son argent et ses amis à Constantinople. Je ne voir que votre Empereur qui ne puisse pas l'avoir fait. l’acceptera-t-il ?
Il m'est arrivé ce matin bien des nouvelles. Vous savez le dehors ; voici le dedans. Des conférences ont eu lieu ces jours derniers, entre les meneurs de la gauche, députés et journalistes sur la conduite à tenir d’ici à la prochaine session notamment sur la réforme électorale. M. Barrot y présidait. Voici ce qui s’y est passé. La proposition du suffrage universel a été écartée. Il en a été de même de l’élection à deux degrés quoiqu'elle ait été vivement soutenu par quelques personnes. De même aussi de la réunion de tous les électeurs de chaque département en un seul collège siégeant au chef lieu du département, et nommant ensemble tous ses députés.
On a adopté.
1° La suppression de tout cens d'éligibilité. Le premier venu pourra être député sans payer un sou d'impôt.
2° L'admission, comme électeurs de tous les citoyens qui sont admis à être jurés.
3° Une indemnité pour les députés, à raison de 20 francs par jour pendant les sessions.
4° Aucun collège électoral ne pourra être de moins de 600 électeurs, et on admettra pour compléter ce nombre, les citoyens les plus imposés après les électeurs légaux.
5° Les délégués des colonies et les membres de la maison du Roi ne pourront être députés.
6° Les fonctionnaires accusés de corruption dans les élections pourront être poursuivis par qui voudra, et devant les tribunaux ordinaires sans aucune autorisation du Conseil d'Etat.
7° Enfin, il a été question d’interdire à tout député non-fonctionnaire d'accepter une fonction quelconque pendant la durée de la législature même en donnant sa démission. Ceci n'a été ni adopté, ni rejeté. C'est là le thème que les journaux de la gauche vont broder dans l’intervalle des sessions. La personne qui me donne ces détails, venus de source, ajoute : " Je crois cette question de la réforme très importante, en ce qu’elle décidera selon moi, la question ministérielle. Le Ministère actuel n’est assez fort ni pour accepter, ni pour rejeter une réforme électorale.  Parmi les amis des Ministres centre gauche quelques uns vont disant que la crise ministérielle va commencer, et que M. Passy, Teste et Dufaure sont déterminés à ne plus souffrir le Maréchal aux Affaires étrangères, et M. Cunin- Gridame au commerce. Ce sont- là de belles paroles dont les ministres en question bercent leurs amis sans en penser un mot. "
Thiers sera à Paris dans les premiers jours d'août. Il dit beaucoup qu’il n’a d’engagement avec personne et qu’il est parfaitement libre dans ses mouvements. Le journal le Temps vient d'être acheté, dit-on, par M. de Conny, pour les Carlistes. La Presse reste entre les mains de M. Emile de Girardin et devient de plus en plus vive contre le Cabinet. Voilà un vrai Journal. Personne n'a acheté celui-là et il ne se donne qu'à vous.

Dimanche 9 heures
Je vois que les journaux ne donnent pas toutes les nouvelles d'Orient, et que vous ne comprendrez qu’à moitié ce que je vous en dis. La flotte turque est allée. Je mettre sous la protection de Méhémet. Le divan lui a écrit. Le Sultan l’a confirmé dans le gouvernement de l’Egypte et de la Syrie avec l’hérédité pour sa famille. Il l’a nommé Généralissime et soutien de l'Empire Ottoman, et l'a engagé à se rendre à Constantinople pour présider au début du nouveau règne. Il est probable que Méhémet ira, avec les deux flottes réunies. Voilà les faits qui du reste vous sont probablement déjà venus d'ailleurs. Ils ne sont pas officiellement connus, mais presque Certainement. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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218 Paris, dimanche soir 9 heures 14 juillet 1839

Vous vous couchez probablement. Que je voudrais vous envoyer le sommeil, ce sommeil qui fait qu’on se lève le lendemain rafraîchi et fortifié ! La chaleur est accablante ce soir. Encore quelque orage. Cet état de l’atmosphère, n'est-il pas pour quelque chose dans votre extrême malaise ? Tout le monde s'en ressent. On ne craint plus d’émeute pour ce soir. La commutation de peine de Barbès préoccupe beaucoup. On s’y attendait peu. C'est le Roi qui l'a voulue. Le Conseil n’était pas divisé quoiqu'il y ait des indécis. Je voudrais vous raconter quelque chose d’intéressant. Il n’y a rien.
Ce matin, au moment où je sortais pour aller voir Pozzo, le Ministre de l’intérieur est arrivé chez moi et m'a retenu. Je ne puis donc vous rien dire de cette pauvre Lady Flora Hastings. On est convaincu ici que le Cabinet Whig tiendra. Pozzo n’est pas atteint du même mal que vous. Il se tue à force de manger. Le soir après dîner, il a l’esprit bien moins libre que le matin, ses méprises sur les personnes sont continuelles et bien étranges. Il a pris l'autre jour le Maréchal Soult pour M. de Villète.

Lundi matin, 8 heures
Je retourne Jeudi au Val-Richer. Nous finissons à la Chambre ces jours-ci. Adressez-moi donc désormais vos lettres au Val-Richer. Et dites-moi ce que vous aimez le mieux pour notre correspondance tous les jours, où tous les deux jours. Je n'aurai pas au Val-Richer autant de Nouvelles qu'à Paris. Mais j’aime à vous écrire, et encore plus vos lettres. Pauvre ressource pourtant que des lettres ! Vous m’avez grondé une fois de dire cela, et de rabaisser ainsi votre seul plaisir. Et puis, vous avez été de mon avis. Je sais supporter ce qui ne me suffit pas, mais non m'y tromper. Sachez bien seulement, dearest, que pour apporter à vos souffrances quelque distraction, pour jeter un doux moment dans votre solitude, je vous écrirai tous les jours, deux fois par jour, tant que vous voudrez et qu’il se pourra. Et toujours avec un triste plaisir, car c’est bien triste de faire si peu pour qui on aime beaucoup.

Avez-vous vu deux volumes que le comte Appony vient de m'envoyer ? Cezriflan von Gontz c’est un recueil de ses pamphlets politiques. J'en ai parcouru quelques uns qui m’ont intéressé. C'est l’histoire que nous avons vue, et faite. Elle a assez grand air sur le papier. La sœur de Barbès est allée déclarer au Garde des sceaux que cette commutation ne lui convenait pas, et qu'il ne voulait pas des travaux forcés. On le fait partir ce matin. Je doute qu’on l’envoie droit aux galères. Il s’arrêtera dans quelque prison sur la route. Je suis de son avis. Il n'est pas fait pour les galères.

Midi
Votre mot 214 ne me déplaît pas. Il est assez ferme dans sa petite taille. Je n’avais jamais entendu parler de la racine de gingembre. Le monde que j'ai vu ce matin ne m’a rien appris. Je vous quitte pour aller faire ma toilette et de là à la Chambre. Adieu ! J’irai ce soir chez Madame Appony et chez Lady Granville. Mais on n'apprend pas grand chose là. Ils attendent plus qu’ils ne donnent. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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217 Paris, Dimanche 14 Juillet 1839 8 h. 3/4

Comme je fermais hier ma lettre on vint m'avertir qu'il y aurait peut-être un peu de mouvement à la Chambre, car une bande assez nombreuse se formait et voulait y porter une pétition pour l'abolition de la peine de mort. Je ne trouvai en arrivant ni mouvement, ni bande mais beaucoup de précautions prises, les grilles fermées, des troupes dans les cours &. Au dedans, de la part de la Chambre, une disposition très sensée et tranquille. S'il y a un progrès depuis quelque temps, c’est que les pouvoirs publics ne sont plus du tout à l'état révolutionnaire. Non qu’il n'y ait là aussi quelques hommes qui sont encore et qui resteront à cet état. Mais ils y sont pour leur propre compte n'oseraient le montrer, et la majorité serait telle qu’on ne lui donnera même pas l'occasion de se manifester. Vers deux heures, pendant qu’on délibérait sur le budget de l’instruction publique, le rassemblement est arrivé sur la place 7 à 800 hommes, la plupart en blouses, quelques étudiants bien vêtus ; de côté hors de la troupe, deux hommes en habit noir, la canne à la main, qui avaient l’air de diriger les mouvements. Au milieu un drapeau portant abolition de la peine de mort, et la pétition roulée autour du bâton. Le commissaire de police les a sommés de se retirer. Sur leur refus, un escadron de la garde municipale s’en avance au grand trot. La dispersion a été générale et soudaine. Un garde municipal a poussé son cheval sur l'homme qui portait le drapeau, l’a pris, l’a jeté sur la croupe de son cheval et l'a ramené au corps de garde de la Chambre, au milieu des hourras de la garde nationale qui voulait le jeter à la rivière. C’est un pauvre ouvrier tailleur, de mine très timide, et qui semblait se croire au moins mort en entrant dans le corps de garde. Nous avons continué notre budget, et je suis parti à 4 heures et demie pour aller dîner à Châtenay. En en revenant, à 10 heures et demie, j’ai traversé tout Paris parfaitement tranquille.
Je n’entends rien dire ce matin. Châtenay était charmant, l’air doux, les arbres, touffus, les gazons frais. Je me suis donné le triste plaisir, bien plaisir et bien triste de refaire seul notre promenade dans le jardin, mêmes alliés, même pas. Ah, que ne peut-on fixer sa vie à un moment de son choix !

Onze heures
Votre N°213 me désespère. Je vous répète, je me répète à moi-même ce que je vous écris tous les jours. Je ne puis pas décider pour vous. J’en suis, dans l’anxiété la plus douloureuse. Je voudrais avoir un avis, une volonté ; je voudrais vous décharger de tout ce qui vous agite et vous pèse, embarras, indécision, solitude. Je retrouve ce que je connais trop bien, cet horrible sentiment d’impuissance contre les choses, les faits tout le monde extérieur, au moment même où la tendresse la plus infinie, la plus souveraine, remplit l'âme et se croirait toute puissante si elle n'écoutait qu'elle-même. Pardon, pardon de vous parler de ma tristesse à moi. De quoi vous parlerais-je ? Ma tristesse, c’est votre mal, c’est votre faiblesse, votre maigreur, votre abattement, votre ennui. Vous m’avez reproché quelquefois de me trop arrêter avec vous sur ce que vous souffriez, et de m'y associer au lieu de vous en distraire. Dearest, je ne puis pas me distraire de vous, encore moins de loin que de près, encore moins de votre santé que de vos chagrins.
Comment, votre médecin vous engage à quitter Baden, ne fût-ce que pour quelques jours ? Je ne comprends pas cela. Je comprendrais qu'il vous en renvoyât. Après tout, je ne sais vous dire qu’une chose. Faites ce dont vous aurez envie. Ne consultez que votre envie et votre force. Allez où elles vous diront, où elles vous mèneront. Ici le beau temps revient, le chaud, le soleil. Est-ce qu'il ne revient pas aussi à Baden ? et ne vous fait-il aucun bien ? Vous avez eu des nouvelles de Pétersbourg puisque vous savez qu’on fera Paul conseiller d'Etat. N’y a-t-il rien sur vos affaires ? J’ai reçu hier une lettre de M. de Barante, sans intérêt. Que je voudrais mettre dans les miennes de quoi remplir votre journée ! Je vous écrirais volontiers des volumes.
J’ai passé auprès de vous tant d'heures de conversation charmante ; pleine des plus douces choses, des seules douces choses de ce monde, de tendresse et de liberté. Vous ne savez pas quelle vive, quelle inépuisable reconnaissance (quand ce ne serait que reconnaissance) me resterait éternellement dans le cœur envers vous pour de tels moments, pour un seul de ces moments. Le monde est si froid, et si faux ! et par dessus cela si médiocre si vulgaire ! L'âme y meurt de faim et de soif, et de dégoût. J’ai trouvé près de vous, en vous, ce que je n'attendais plus ce que je ne demandais plus. Je me suis senti si heureux près de vous, sans contrainte ni privation aucune, aucune, ni de cœur, ni d’esprit, ni de goût, ni de parole, satisfait, pleinement satisfait, plongé dans le sentiment le seul qui épanouisse toute l'âme point de désir parce qu’on a tout. Que de fois, en causant avec vous, au milieu des effusions de notre intimité, j’ai été tout à coup, et pour une seconde rappelé en moi-même par un de ces éclairs intérieurs qui illuminent tout notre bonheur tout notre plaisir ! Je ne vous ai jamais dit, je ne vous dirai jamais à quel point je vous trouve rare et charmante, ni combien je vis seul sans vous, ni ce que sera pour moi, le jour qui vous rendra à moi, fussiez-vous cent fois plus maigre et plus abattue que vous ne me le dites. Adieu. Adieu.
Je ne puis vous parler d'autre chose. Quand j'ai reçu, quand j'ai relu votre lettre, j'attends celle du lendemain. Ne vous fatiguez pas à m’écrire ; mais ne me laissez pas sans nouvelles. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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215 Paris, Vendredi 12 Juillet 1839 Onze heures

Se peut-il que ce N° 211 me soit un soulagement ? Pour Dieu, faites partir vos lettres tous les jours, longues ou courtes gaies au tristes. Il me faut une lettre ; il me faut quelques lignes ; il me faut vous, vous ! Vous ne savez pas avec qu’elle horrible rapidité l'inquiétude m’envahit, me poursuit. C’est la chemise de Nessus. Je vous en conjure ; ne soyez pas malade et dites-le moi. J'ai grande pitié de vous. Ayez aussi pitié de moi. J’ai beaucoup souffert, en ma vie ; beaucoup plus que je ne l'ai laissé voir à personne. Pourquoi ne mangez-vous pas ? Est-ce pour dégoût ? Ou bien ce que vous mangez vous pèse-t-il sur l'estomac ? Digérez-vous mal ? Si ce n’est que dégoût, surmontez-le un peu ! Pour moi, pour moi. Que je voudrais être là pour veiller à tout, pour tous savoir au moins. Et votre sommeil vous ne m'en parlez pas. Parlez-moi de tout, fût-ce toujours la même chose. Il n’y a en moi, toujours, qu’une même pensée. Je voudrais vous envoyer l'image complète de mes journées de ce qui les remplit en dedans. Vous verriez. Je devrais peut-être ne pas vous dire tout cela, ne pas ajouter mon inquiétude à votre fatigue. Si vous étiez près de moi, je me tairais mieux. Ne renoncez pas à marcher cela vous est bon. J'ai vu par vos lettres que vous dormiez quelquefois dans le jour. Ne vous en défendez pas.
Je veux parler d'autre chose. Nous sommes assez préoccupés ; agités dirait trop. La Cour rendra son arrêt aujourd’hui. Si Barbès est condamné à mort, le parti fera quelque démonstration, sans espoir, sans dessein sérieux même, par honneur, pour ne pas paraître frappé et mort du même coup. Peut-être quelque tentative sur la prison ; peut-être quelque coup de pistolet sur quelque voiture de Pair.
Paris est fort tranquille. Vous y seriez fort tranquille Je regarde votre lettre. Une chose m’en plait. Votre écriture est bonne et ferme.
J'ai vu Pozzo. Affreusement maigri, rétréci rapetissé, les yeux enfoncés dans un cercle de charbon, la parole chancelante, les épaules voûtées, les jambes ployées, les habits trop larges, l’esprit aussi chancelant que la parole. Nous causions seuls dans le premier petit salon de Mad. de Boigne, Edouard de Lagrange est entré. Il l’a pris pour le Marquis de Dalmatie, lui a parlé du Maréchal ; puis M. de Lagrange passé, il m'a dit tout bas : " C’est bien le marquis de Dalmatie, n’est-ce pas ? " en homme qui doute de lui-même. Pourtant, il m’a parlé longtemps de ses dernières affaires à Londres de ses conversations avec Lord Melbourne et Lord Palmerston de tout ce qu'il leur avait dit sur la nécessité de maintenir la paix sur leurs intérêts et les vôtres dans la paix ; tout cela très nettement, très spirituellement, comme par le passé avec verve dans l'imagination, en même temps qu'avec faiblesse et trouble dans le langage. Puis en finissant : " C'est ma campagne de vétéran. Un autre hiver à Londres me tuerait." Il ne s’est pas pris de goût pour l'Angleterre, en y vivant, Madame de Boigne va mieux, beaucoup mieux. Elle est retournée hier à Châtenay. J’irai y dîner demain.
Connaissez-vous un M. de Lücksbourg, bavarois, qui remplacera probablement ici M. de Jennisson ? Il est venu me voir avant hier. Je l’ai trouvé bien. Si M. de Jennisson s'en va, peut-être son appartement se trouvera-t-il vacant. C’est un peu cher, mais bien gai. A présent tout à côté de la maison est arrangé. Vous n'auriez pas de bruit. Adieu. Je vais à la Chambre. On commence de bonne heure. Pourquoi n’êtes-vous pas à la Terrasse ? Adieu. Adieu. J’aurai de vos nouvelles demain n’est-ce pas ? Ah que la vie est mal arrangée ! Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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213 Baden Jeudi 11 juillet 1839 à 9 heures

J’ai passé une bien mauvaise nuit ce qui m’affaiblit encore. Je reprends tout à fait ma nouvelle sur le mariage Darmstadt. Il se fera. Le grand duc est décidément épris. Il reviendra à Darmstatd peut être même avant la fin de l’année. Mon fils aîné sera nommé conseiller d’état, quand on est cela chez nous on ira à tout. Je suis charmée ; cela le figera dans la carrière. Il parait qu’il a du succès à Pétersbourg, & que l’Empereur et tout le reste veulent conserver un Lieven pour de hauts emplois. S'il le veut il ira loin et je crois qu'il voudra.

5 heures
Je me sens bien malade, j’ai de la peine à vous écrire, et puis je m'en vais vous en causer de la peine, vraiment je ne sais que dirait le médecin me prie de quitter Bade au moins pour quelques jours. Je n'y puis pas m’y décider parce que dans cet état de souffrance il est absurde de m’en aller courir seule, toute seule ! Je ne sais où. Ah c'est d’être seule qui est affreux ! Jamais je ne l’ai autant senti qu’à présent. Pardonnez-moi mes lettres, vous voyez que je n’ai pas ma tête à moi. Et si je ne vous écris pas. Vous me croirez morte. Je vous écris donc & je vous dis tout. Je ne mange plus depuis huit jours mes forces diminuent beaucoup. Je dors encore mal, mais je dois. Mon pouls est bien faible, ma mine affreuse, ma maigreur plus grande qu’a Paris ; vous savez tout. Mais vous ne saurez pas me dire ce que je dois faire. Retourner à Paris serait absurde, enfin tout est absurde. Adieu. Adieu. Je n'ai que vos lettres pour me soutenir.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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214 Paris, mercredi 10 Juillet 1839, 5 heures

Votre santé d'abord. Vous me mettez au supplice en me demandant de la gouverner. Je connais ce mal-là. Je frissonne encore en y pensant. Au bord du précipice dans les ténèbres, pousser ou retenir, on ne sait lequel, ce qu'on aime le mieux au monde ! Si vous étiez là, si j’avais là vos médecins, si je ne vous quittais pas un instant, si je voyais, si j’entendais tout mon anxiété serait affreuse. Et de loin, quand je ne sais rien, rien, quand vous me dîtes hier que vous dormez, aujourd'hui que vous ne dormez pas, tantôt que vous faites de longues promenades, tantôt que vous ne pouvez plus marcher. C'est impossible. Je vois bien que Baden ne vous fait pas le bien que vous en espériez. Ne vous en fait-il aucun ? Vous y êtes bien seule. Ou irez-vous ? à Paris quand je vais le quitter. Aux bains de mer ? Où ? En France, vous y serez plus seule que partout ailleurs. En Angleterre ? Dans cette terre de Lady Cowper dont j'ai oublié le nom, près de Douvres, Broadstairs, n'est-ce pas? Je l’aimerais mieux. Si cela se peut je l'approuverais. Cela se peut-il ? Si le cabinet reste, comme tout l’indique Lady Cowper ne viendra pas sur le continent. Tout à l'heure, je crois, elle vous a de nouveau pressée d’aller la voir.
Jusqu'au moment qui nous réunira à Paris, je ne vois que l'Angleterre qui vous convienne un peu, un peu. Et j'y crains pour vous le manque de repos, les obligations gênantes, le climat triste, les souvenirs. Je ne m’arrêterais pas si je disais tout ce qui me vient à l’esprit sur un tel intérêt, dans un tel doute. Ecoutez ; il y a des choses qu'on peut faire, des résolutions qu'on peut prendre quand la nécessité est là, la nécessitée actuelle pratique, quand l'action suivra immédiatement la résolution, quand on est là soi-même pour agir comme pour parler. Mais décider sans agir, par voie de conseil, envoyer par la poste une décision pareille. Cela ne se peut pas vous ne me le demandez pas. Madame de Talleyrand m’avait promis de me donner de vos nouvelles. Pourquoi ne le fait-elle pas ?

Jeudi 7 heures
Après votre santé, vos reproches. Je les accepte et je les repousse. Moi aussi, j’ai été gâté. Je n’ai pas prodigué mon affection ; et j'ai vu, jai toujours vu celle que j’aimais heureuse, très heureuse. Je l'ai vue heureuse à travers les épreuves, sous le poids des peines de la vie. J’ai toujours eu le pouvoir de la soulever au dessus des vagues, de rappeler le soleil devant ses yeux, le sourire sur ses lèvres, de placer pour elle, au fond de toutes choses ce bien suprême qui dissipe ou rend supportables tous les maux. De quel droit me plaindrais-je que, sur vous, le pouvoir me manque souvent ? Qu’est-ce que je fais, qu'est-ce que je puis pour vous ? Une heure, où une lettre tous les jours. C'est pitoyable. Parce que je suis avec vous ambitieux, exigeant, ne me croyez pas injuste où aveugle. Vos douleurs passées, vos ennemis présents, ce qui vous a brisée, et ce qui vous pèse, je sens tout cela ; je le sens comme, vous-même, oui comme vous- même ; et je sais le peu, le très peu de baume que je verse dans ces plaies qui auraient besoin que la main la plus tendre fût toujours là, toujours. Je sais de quoi se fait le bonheur ; je sais ce qu’il y faut, et à tout instant. Vous ne l’avez pas même par moi. Ma tendresse s’en désole ; mon orgueil s'en révolte ; mais je ne m’abuse point et ne vous reproche rien. Pourtant ne me demandez pas de changer. Je ne changerai pas. Je ne me contenterai pas pour vous, à meilleur marché que je n'ai toujours fait. Je ne prendrai pas mon parti qu’il y ait entre nous tant d'insuffisance et d’imperfection. Ce temps que je ne vous donne pas, il est plein de vous. Ce bien que je ne vous fais pas, je m’en sens le pouvoir. Ce qui manque à votre bonheur ne manque pas à ma tendresse. Ce contraste est poignant. N'importe. Je garderai avec vous mon ambition infinie, insatiable, souvent mécontente ; et je vous la montrerai, comme vous me montrez ce mal que je ne puis guérir. Voilà la vanité. Déplorons la ensemble. Pour tous deux cela vaut mieux que de s'y résigner.
Je viens à vos affaires. Ceci est plus aisé et sur ceci, j’ai un parti pris. J’ignore si votre fils fera ce qu’il doit. Mais, s’il le fait, je suis d’avis que vous mettiez de coté tout fâcheux souvenir, & que vous acceptiez de bonne grâce ce qu’il fera pour vous au delà de votre droit. Vous n’avez point cédé à sa fantaisie, à sa colère. Votre dignité est à couvert. Vous pouvez, vous devez vous montrer facile avec lui, quant à la réparation. Et s'il agit convenablement, s’il met votre droit de côté pour faire son devoir, il y a réparation de sa part. Le fait suffit pour que vous présumiez l’intention. Saisissez la et reprenez votre fils dès qu’il reprendra lui la physionomie filiale. Je n'hésite pas dans mon conseil et je souhaite beaucoup que cela finisse ainsi. Onze heures Voilà mes lettres. Point de vous. Pour le coup, ceci m'inquiète. Je ne vois point d'explication. Peut-être quelque orage. Mais la poste est arrivée. Il faut attendre à demain. Adieu. Un tendre et triste Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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212 Paris 8 Juillet 1839. Lundi soir 8 heures

J'ai dîné seul. Je viens de faire seul le tour des Tuileries. Contre la coutume, je n’ai pas rencontré une âme de ma connaissance. J’ai passé solitairement devant cette pauvre Terrasse aussi solitaire que moi. Toujours fermée. Je l’aime mieux. Il me déplairait de la voir en possession d'un autre. Quand vous serez dans Paris, à la bonne heure. Encore cela me déplaira. Ces maisons où tout le monde passe et ne fait que passer cela ressemble trop au monde et à la vie. Il faut quelqu'un qui reste et un lieu où l'on reste. Un Roi anglo-saxon donnait un grand festin à ses guerriers ; deux croisées ouvertes aux deux bouts de la salle bien décorée et bruyante. Un oiseau entra par une croisée et sortit par l'autre, à tire d'aile ; puis un second, puis un troisième. Le Roi les regardait, à peine avait-il le temps de les voir. Quelques uns voltigèrent un moment au dessus de la tête des convives, puis s’envolèrent comme les autres. Un seul vint se poser sur l’épaule du Roi. Le Roi fit fermer les croisées et le garda. Le lendemain, le Roi aimait l'aisance, et l'oiseau le Roi. On rouvrit les croisées. L'oiseau ne s’en alla point.
J’ai eu ce matin une visite qui ne m'a pas donné la moindre envie de la garder. Un prêtre entre dans mon Cabinet, une figure honnête et animée. Il me raconte qu’il est Espagnol, mais depuis quelque temps employé par M. l'archevêque de Paris. Il avait été placé auprès du curé de S. Nicolas des Champs. Le Curé lui a dit du mal du Roi Louis Philippe et a voulu qu’il prêchât contre les Protestants. Cela l’a choqué. Il me demande de le tirer d'embarras. Puis tout-à-coup il se lève me saisit par les deux bouts du collet de mon habit en me disant : " Je vais vous dire la messe ; il faut que je vous dise la messe. " Prenez garde, lui ai-je dit ; ce serait une profanation ; je suis Protestant." Il a été confondu, a pris son chapeau et s’en est allé. Je crois que j’ai de l’attrait pour les fous. J'ai reçu plusieurs visites pareilles depuis quelques années.
Notre séance a été parfaitement insignifiante : des colères contre le chemin de fer de Paris à Versailles par la rive gauche ; très légitimes. Les Pairs ont fini d’entendre les plaidoiries. Ils entreront demain en délibération pour l’arrêt. Ils avaient eu quelque envie d'entrer en séance à 8 heures du matin et de n’en sortir qu'après avoir fini, tout fini. Mais ce serait trop long ; probablement 10 ou onze heures du soir. Ils y mettront deux jours. Le premier jour, ils voteront sur la culpabilité de tous les accusés ; le second, sur la pénalité.

Mardi 10 h. et demie
Je ne sais pourquoi les bains de Houblon vous choquent. Je les ai vu employer avec succès. Ne vous en découragez pas. Je suis du parti de votre médecin. Je n'ai aucune confiance en vous pour le management de votre santé. Il faut écouter avec grand soin tout ce que vous en dîtes, car vous avez des impressions très vives et probable ment très justes, qui doivent fournir des indications précieuses. Mais il ne faut pas vous croire sur ce qu’il y a à faire ou à ne pas faire, car vous n'en croyez jamais, vous que votre impression du moment, moyen très trompeur de gouvernement. Il faut consulter sans cesse le baromètre pour comprendre le temps qu’il fera. Mais Dieu ne règle pas le temps selon les variations du baromètre.
Deux choses me préoccupent sans cesse, votre santé et votre cœur. Je ne demande pas mieux que de regarder dans celui-ci tout au fond. Mais aussi, je suis difficile très difficile. Je suis charmé que vous approuviez mon discours. Vous avez mille fois raison. On ne peut pas faire sur cette question là. Personne ne veut faire, Tant mieux. Le moment n’est pas venu. Adieu. Adieu. Il faut que je vous quitte. J’ai cinq ou six lettres à écrire ce matin. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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210 Baden Dimanche le 7 juillet 1839 8 heures

Il faut convenir que vous prenez bien mal votre temps pour douter de mon cœur, pour douter que mon cœur ma vie sont à vous, pour croire que vous ne suffisez pas à mon âme. Et mon Dieu qu’est ce qui occupe mon âme ? Où trouve-t-elle du repos, de la douceur, si ce n’est en vous. Je suis bien accablée de mes malheurs passés, de mes peines présentes, je le suis plus ici que lorsque j’étais auprès de vous, et cependant avec quel bonheur je pense à vous, comme je retrouve de la joie de la sérénité dans le fond de mon âme en arrangeant le reste de ma vie pour vous, avec vous ! Vous êtes bien le reste de ma vie. Si je ne vous avais pas, je n’aurais plus rien. Dites-vous cela, dites-vous que je le pense sans cesse, sans cesse, et voyez si je ne vous aime pas plus que vous ne pouvez m'aimer ? Car vous, vous avez du bonheur sans moi. Et moi je n’ai plus rien sans vous.
Dites-moi si je dois me baigner ; si je dois rester à Baden. J'ai besoin qu'on me dirige. Je ne sais pas me décider. Je suis certainement plus malade qu’en arrivant, faut-il que j’attribue cela au temps ou aux remèdes. Jamais je n’ai été accoutumée aux bains, ils m'ont toujours affaiblie. Il n’y a que les bains de mer qui me conviennent. Dois-je faire à ma fantaisie c.a.d. ne plus rien faire. J'ai si besoin de vos conseils. Et après tout, ce que je fais ou ne fais pas, c'est pour vous. Il m'importe peu d’engraisser, de maigrir. Mais vous voulez me revoir autre que vous ne m'avez quittée, et je n'oserais pas revenir à Paris si je n’ai fait votre volonté.
J’ai été interrompue par Mad. de Nesselrode. Elle vient quelque fois causer de mes affaires. C’est de la bonté, mais il n'y a rien à dire il faut attendre. Paul va se trouver dans un grand embarras. On ne doute pas là-bas qu’il ne fasse un arrangement convenable, car le droit serait trop peu, et jamais on ne s’en est tenu au droit. Lorsqu'il s’est agi d'une mère. Voilà ce que Mad. de Nesselrode crie sur les toits en vantant à cet égard la supériorité des Russes sur tous les autres. Si elle a raison, encore une fois, le dilemme sera grand pour Paul. Que fera-t-il ? Et moi dites-moi ce que je ferai ? Puis-je accepter son au delà du droit après ce qui s’est passé ! Mon instinct me dit que non. Aidez-moi. Je vois votre réponse ; " Votre fils ne vous mettra pas dans cet embarras." Cependant répondez comme s'il m'y plaçait. Si je mettais mon acceptation au prix d’un retour de sa part, il n’aurait garde de revenir à moi. Répondez, répondez.

11 heures
Je pense beaucoup à votre discours c'est au fond le vrai discours politique dans cette discussion. Il est fort remarqué. Et en général on pense que l’Empereur doit être content de ce que vous avez dit de lui. Je le pense aussi sauf un point, le véritable, et que vous avez traité avec une grande habilité, ne lui imposant des devoirs qui pourraient ne pas rencontrer ses intérêts. Somme toute vous avez fait un beau discours et qui sera fort remarqué chez nous. On me dit que le mariage Dormstadt n'aura pas lieu. On ignorait la naissance lorsqu'on s'est embarqué si étourdiment dans cette affaire. C’est une grande étourderie d’Orloff. Mon mari en eut été incapable. Il est vrai que la bâtardise ne pouvait pas être un grand pêché aux yeux d’Orloff. A Berlin on s’est fort ému de ce choix et on a éclaté. Je ne sais au reste ceci que par des voies détournées. Voici votre lettre, je n'ai plus que le temps de vous le dire, et de vous dire adieu, et bien des adieux.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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210. Paris, samedi 6 juillet 1839 9 heures du soir.

Si je ne me trompe, à partir de demain Dimanche, j’aurai de vos nouvelles tous les jours. Voilà une heure que cette idée fait mon plaisir en me promenant aux Champs-Elysées, sans rien voir que votre image dans ma mémoire, sans rien entendre que le bruit de mes pas. Il n’y a point de montagnes, point de forêts, point de belles ruines ou de belle nature qui vaillent un doux souvenir solitairement recueilli et goûté. C'est une impression singulière que celle des sentiments de la jeunesse éprouvée quand on n’est plur jeune. Il y a je ne sais quel mélange de passion et de détachement. Il semble qu’on soit en même temps acteur et spectateur. On se connait on s'observe, on se juge soi-même comme s’il s’agissait d'un autre. Et pourtant c’est bien réellement et pour son propre compte qu'on jouit ou qu’on souffre, qu’on regrette, qu’on désire, qu'on espère. Et toute la science de la réflexion, toute l'expérience de la vie, est quelque chose de bien superficiel et de bien peu puissant à côté d’une émotion vraie qui remplit le cœur et ne s’inquiète de rien.

Dimanche 8 heures

M. de Bacourt vient quelque fois vous voir à Baden, n'est-ce pas ? Seriez-vous assez bonne pour lui demander ce que c’est qu’un M. Buss membre de la seconde Chambre des Etats de Bade, qui vient de m'écrire en m'envoyant un livre de politique ? Je voudrais savoir ce que c’est avant de lui répondre. Je passerai probablement aujourd’hui toute ma matinée chez moi. Mes visites reçues, je mettrai en ordre mes papiers et ma correspondance. Je suis prodigieusement en arrière. J’aime assez à rester tout un jour sans sortir. J’irai dîner chez Madame d’Haussonville. Point de nouvelles.
En nommant M. de Rumigny à Madrid le Roi lui a dit de bien prendre garde, que s’il prenait la moindre initiative, s’il s’écartait en rien de la ligne, de conduite de son prédécesseur, il aurait affaire à lui. Rumigny appartient tout à fait air Roi. Mais le Roi se souvient qu’en suisse il était assez bien avec les radicaux. Du reste je ne sais ce qui arrive en Espagne. Personne ici n’y pense plus guère. Qu'on en fasse autant ailleurs. Je suppose que Zéa est encore à Londres. Je ne l’ai pas revu.

Onze heures
Zéa sort de chez moi, arrivé de Londres avant hier, hier soir à Neuilly, ce matin ici. Content de son voyage, des dispositions de Lord Palmerston avec qui il a fait sa paix ; encore plus de celles de Lord Melbourne ; encore plus du Duc de Wellington, et de Lord Aberdeen. Il a trouvé le Duc de Wellington, très, très changé physiquement, & moralement plus actif que jamais. L'envoi d'Aston à Madrid lui convient fort ; le départ de Lord Clarendon au moins autant. Il va passer quinze jours ici, puis il ira vous retrouver à Baden. C’est vraiment un loyal homme, et la vivacité de ses émotions me touche. On lui promet d’Espagne que la dissolution des Cortes, qu'il ne voulait pas, donnera une assemblée encore plus modérée. Je ne sais si on l’appelle optimiste ; mais à coup sûr il est bien plus sanguine in his hope que moi.
Voilà votre N°207. Ainsi, à partir de demain nous nous parlerons tous les jours. Je suis charmé que vous ayez retrouvé du sommeil. C’est bien quelque chose, en attendant les bras. C’est la préface des bras. Ne vous découragez pas; ne jetez pas votre médecin par la fenêtre. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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208 Bade le 5 juillet vendredi 1839, 8 heures

Je cherche ce que j’ai à vous conter. Il a gelé cette nuit positivement gelé. Ce matin il y a un beau magnifique soleil du mois de janvier voilà le beau pays que je suis venu chercher ! Personne ne se baigne, personne ne boit, tout est suspendu. J’ai mal dormi, j'ai eu chaud, j'ai eu froid. Cela fait une intéressante 2 lettre n'est-ce pas ? Que je voudrais voir ces deux mois écoulés, car enfin je me crois obligée de rester puisque j’ai dit que je resterai, et je suis cependant que ceci ne convient pas à ma santé. Les bains de mer me feraient du bien, ils m’en ont toujours fait, mais où les chercher ? Ah s je n’étais pas seule, tout serait facile. Mais seule, seule, voilà ma vraie maladie. J’attends avec impatience votre discours. Je n’ai pas lu encore la séance de lundi.

1 heures
Je viens de lire. M. de la Lamartine a dû être très brillant. M. Villemain a eu un grand mérite à savoir si bien lui répondra. Je suis curieuse de la suite du Débat. Il n’en ressortira cependant rien de pratique. Cela est évident. C'est une question sur laquelle on peut parler, mais on ne peut pas faire. Personne ne veut faire. le médecin n’est pas content de moi, et je le suis très peu de lui. Il va changer les bains. Demain on y mettra du houblon au lieu d’aromates et toujours du sel. Tout cela sont des bêtises, rien ne me fera du bien. Dites-moi si je dois continuer à faire la volonté du médecin. J'ai bien envie de ne plus rien faire. Mon pouls est fort affaibli. Vous voulez la vérité et je vous la dis. Mad. de Talleyrand me conseille de partir. Elle a bien raison. Ma vue seule est de l'ennui pour tout le monde.

5 heures
Voici le N°206. C'est le premier c’est le seul bon moment de ma triste journée. Je vous remercie de me le donner. Je serai bien avide de lire votre discours demain matin ; ce n’est que le matin qu'on me l'apporte. Adieu. Adieu mille tendres adieux.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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206 Paris, mercredi 3 Juillet 1839, 8 heures

J’ai parlé hier. Vous lirez cela. Je regrette bien que nous ne puissions en causer à l'aise. Je suis sûr que j’ai bien parlé. J’ai réussi beaucoup auprès des connaisseurs, convenablement auprès des autres. La portée de ce que j'ai dit n'a pas été vue de tous. De M. Dupin, par exemple qui n’y a rien compris. Quelques uns ont trouvé que je parlais trop bien de votre Empereur, & se sont étonnés qu’en parlant si bien, je n'en parlais pas encore beaucoup mieux. Je crois avoir quant aux choses mêmes, touché au fond, et quant à moi pris la position qui me convient. Vous savez que je suis optimiste, pour moi comme pour les choses. A tout prendre, je ne pense pas que mon optimisme m'ait souvent trompé. Et puis si vous étiez là, je vous dirais bien qu'elle en est la vraie source. Mais vous êtes trop loin. En tout, c’est un grand débat. Et n'oubliez pas ce que je vous disais hier. Pour la première fois, la question est entrée très avant dans la pensée publique. Elle y restera. Elle s’y enfoncera. A mesure que les événements se développeront. S’ils se développent, le Gouvernement peut venir demander aux Chambres ce qu’il voudra, elles le lui donneront. Et si les événements se développent sans lui, il aura grand peine à rester en arrière. Du reste, je crois au bon sens de tout le monde, en ceci. Je ne vous dis rien des nouvelles. Les dépêches télégraphiques sont publiées textuellement. M. Urquart, sur qui je vous avais demandé si vous pouviez me donner quelques renseignements est à Paris, et m’a fait demander à me voir ce matin. Tout brouillé qu’il est avec Lord Palmerston, il me paraît un des hommes les plus curieux à entendre sur l'Orient. Si je vous répétais ce que tout le monde dit, je vous dirais que la session est finie, que ceci est le dernier débat que la Chambre est extenuée et n'écoutera plus rien. J’en doute. La Chambre écoute quand on parle. Ce sont des esprits très médiocres, très ignorants, très subalternes, mais au fond plus embarrassés que fatigués, et qui n'hésiteraient pas tant s’ils y voyaient un peu plus clair.

10 heures
J’ai été interrompu par des visites. Elles prennent beaucoup de place dans ma journée. Je ne me lève guère avant 8 heures et depuis que je suis levé jusqu'au moment où je pars pour la Chambre, j'ai du monde. Je ne ferme point ma porte. Je suis seul ici ; je n’y suis pas venu pour travailler. Je travaillerai au Val-Richer. Ici j'écoute et je cause. Bien dans une vue d’utilité car pour du plaisir je n’y prétends pas. Je suis très difficile, en fait de plaisir. J'en puis supporter l'absence, mais non la médiocrité. Je déjeune à 1 heures. Je vais à la Chambre à l'heure. Quelques fois, je sors une demi-heure plutôt pour passer au ministère de l’Intérieur. Je passe à la Chambre toute, ma matinée. Je lis les journaux. Je cause encore. J’écoute un peu. Je rentre au sortir de la séance. Je m'habille. Je vais dîner bien rarement au café de Paris, trois fois seulement depuis que je suis ici ; hier chez Mad. de Gasparin, aujourd’hui chez Mad. Eymard avec le Duc de Broglie. Jeudi chez M. le Ministre de l’instruction publique, Vendredi, chez M. Devaines etc. Je rentre de très bonne heure. Je lis. Je me couche et je dors ou je rêve, quelquefois bien mal, comme vous savez, souvent mieux. Quand je dis que je dors, je me vante un peu. Depuis quelque temps je dors moins bien. Je rallume mes bougies. Je lis ou je pense. Je n’ai pas deux pensées.

11 heures
Voilà votre Numéro 205. Je viens de faire ce que vous me demandez. Je vous ai raconté mes journées. Elles se ressemblent beaucoup. Les vôtres me chagrinent. Vous savez que je déteste les sentiments combattus. Vous m’y condamnez. J’aime le vide que je fais dans votre vie, et celui que vous souffrez ne désole. Je vous pardonne tous vos reproches. Adieu. J’ai ma toilette à faire, et à déjeuner. Je veux être à la Chambre de bonne heure, M. Douffroy résumera la discussion. Ce ne sera pas brillant, mais sensé et bien dit. Adieu. Adieu. Tout est insuffisant, tout ; et c’est le mal de notre relation qu'elle est vouée à l’insuffisance. Je supporte ce mal avec une peine extrême, et je le retrouve à chaque instant pourtant. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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207 Paris, mercredi 3 Juillet 1839, 5 heures 1/2

J'ai vu ce matin, M. Urquhart. Il m'est resté deux heures. C’est un homme d’esprit et un fou, possédé contre vous d'une vrai monomanie. Pendant son dernier séjour en Orient, il ne mangeait rien qu'assaisonné d’une main Turque, bien Turque, Il vous craint pour lui-même autant que pour l'Empire Ottoman et votre Empereur le déteste encore plus que M. Marc Girardin. Il m'a accablé de compliments et d'injures. Nous venons de voter nos dix millions. 313 votants et seulement 21 boules noires. Il n’y en aurait pas eu d'avantage pour 10 millions. N'en croyez pas les journaux. Le marquis de Dalmatie ne va point à Constantinople. Sur mon refus, on y laisse l’amiral Roussin. On l’engagera seulement à ne pas écrire tant de lettres particulières. L’Amiral Lalande, qui commandait notre station, restera aussi à la tête des forces nouvelles. C’est un homme d’esprit, outre le bon marin. Il est vrai.
Après mon rêve éveillé et priant, je vous laissais seule. Je ne m'en excuse pas, mais vous me comprenez. Gardez pourtant toutes vos exigences, et repoussez toutes vos défiances. Celles ci n'auront jamais raison et les autres jamais tort. Un moment j’ai espéré suffire à votre âme à votre vie. Je n'y compte guère plus. Mais vous ne désirerez jamais rien de moi que je ne sois prêt à vous donner, et au delà. Adieu jusqu'à demain. Je vais dîner chez Madame Eynard.

Onze heures
Je rentre. Adieu encore avant de me coucher. La Grèce était là, bien contente de moi. Pauvre Grèce ! J’ai soutenu votre ouvrage. Vous auriez souri d'entendre ce matin, M. Urquhart me raconter toutes vos perfidies, quel immense et imperceptible filet vous aviez jeté sur M. Canning pour l'amener à vous, et comment il était déplorable qu’il fût mort, car il commençait à se reconnaître et à se débattre; il vous aurait échappé ; il se serait vengé ; il aurait vengé et sauvé l'Empire Ottoman. Heureusement pour vous, il est mort. Et pour la Grèce aussi, car, selon, M. Urquhart, il l’aurait défaite. Un jour aussi, vous voudrez la défaire, et c’est encore une des terreurs de M. Urquhart. Je l'ai rassuré. Je ne sais ce qui arrivera en Orient. Mais à coup sûr bien des prévisions y seront déjouées, et beaucoup de choses que nous y aurons faites, vous ou nous, pour notre compte et en passant, subsisteront et prendront une place et joueront un rôle que nous ne leur destinions pas.

Jeudi, 8 heures et demie Les amis de Thiers se désespèrent qu’il n'ait pas été ici pour cette discussion. Si vous lisez ses journaux, vous y verrez qu’'ils ont grand peur que l'envie ne me prenne d'être ministre des Affaires Etrangères. Ils m'attaquent à ce titre comme si je l'étais. A propos de Thiers, un homme de ma connaissance qui arrive de Lombardie me contait l'autre jour qu’en se promenant sur le lac de Côme le batelier qui le conduisait lui avait dit en lui montrant une villa : " C’est là que demeurait ce fameux ministre de France, avec Sa femme et sa fille. "

9 h 3/4
Je suis sans cesse interrompu. Je voudrais vous renvoyer tous les doutes, toutes les inquiétudes que suscite mon discours. Suis- je Anglais ? Suis-je Russe ? Pourquoi ai-je dit que l'Angleterre se trompait quelquefois ? Pourquoi ai-je fait tant de compliments à l'Empereur ? J'admire les badauds et les malices qu’ils voient partout.
Vous avez bien raison sur Lady Jersey. Mais ce n’est pas la persévérance de sa volonté qui fait faire ici attention à elle. Elle a été à la mode à Londres, et la mode de Londres se prolonge à Paris. Elle est partie contente de son petit séjour et un peu malade ; chargée d’emplettes. Je ne sais combien de caisses elle a emportées. Soyez tranquille sur Paris. Je n'aurai pas à faire le curieux. Le procès devient tous les jours plus petit et les précautions plus grandes. Je ne cours pas le moindre risque et la terrasse encore un peu moins que moi. Adieu. Adieu.
Nous avons froid comme, vous ; mais je fais du feu. Adieu. Pas froid. G. Ce pauvre Montrond m'écrit qu'il est malade retenu dans son lit à Versailles, par un érésipèle à la tête et des remèdes assez violents. Il me dit qu’il en a encore pour quelques jours. Si ça va bien.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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207 Baden le 3 juillet. 2 heures 1839

Je n’ai rien à vous dire que mon impatience de vos lettres, ma mauvaise humeur du mauvais temps.
J’ai écrit aujourd’hui à Matonchewitz et à Frédéric Pahlen, je les presse tous les deux de me dire quelque chose, et je les avertis assez clairement que mes fils pourraient vouloir traîner ; que ce qui n'a aucun inconvénient pour eux, parce que leur fortune est assurée, en a de très grands pour moi qui ne sais pas le premier mot de ce que sera ma fortune, & qui suis obligé de vivre en attendant dans un provisoire très pénible. Je crois avoir fort bien expliqué tout cela. Mais il me semble que je fais toujours des merveilles, et je ne vois rien avancer ; c’est plus qu’ennuyeux.

Jeudi 4 à 8 heures
Votre n°204 m’a donné de la joie personne n’a jamais su comme vous redire toujours la même chose sous une forme toujours nouvelle. Et il y a des lignes charmantes dans votre lettre, des paroles si pénétrantes, si douces. Je vous remercie de toute la lettre, et je vous remercie de toutes les lettres que vous me promettez et que je mérite pas le plaisir qu’elles me font, et par ma reconnaissance qui sait être si vive ! Il fait toujours froid, toujours laid. J'en marche davantage, mais je n’engraisse pas. Je me baigne. J’ai quelque idée que les bains ne me conviennent pas. Mais on n'ose pas avoir d'avis avec les médecins aussi absolus que le mien. Cependant si d'ici à huit jours je ne vais pas mieux. Je crois que je romprai avec le Médecin. Qu’est-ce que veut dire un mois de régime qui n’aboutit à rien ? Je me couche à 9 heures, je me lève à 6. Je dors mieux que je ne dormais à Paris dans les dernier temps, voilà ce que j'ai gagné, mais de l’embonpoint non. Et le médecin qui ne saura pas me procurer cela sera un sot.

Le journal de Francfort renferme des commentaires sur le rapport de M. Jouffroy qui sont très bien et très vrais. Lisez cela parce que cela vient de source. Je suis même un peu surprise que nous ayons là quelqu'un d’aussi bien renseigné. Il faut qu’on ait muni à tout événement notre ministre de documents étrangers aux affaires qu'il a à traiter à la Diète. Le grand duc doit être arrivé hier à Petersbourg. Cela pourrait faire époque pour moi si je n’étais payée pour ne plus croire à rien. Ce pauvre grand Duc a éprouvé bien des pertes à Rome. Son chirurgien y est mort très peu de temps avant mon mari. Plus tard son valet de Chambre de confiance qui ne l'avait jamais quitté depuis son enfance. Et tout à l’heure son jeune camarade le comte Wulhomsky élevé avec lui et avec lequel il était entièrement lié. Tout cela mort à Rome. Ce jeune homme était tombé malade pendant que le grand Duc y était encore et n’avait plus été en état de le suivre.

5 heures.
Voici votre petit mot 205. Je ne savais pas que vous attendrez mes lettres comme moi j'attends les vôtres. Puisque vous le voulez vous les aurez tous les jours, mais quelles tristes lettres que les miennes ! Si j’allais vous ennuyer ! Car enfin je ne vous parle que de moi, Et si c'était moi florissante avec des bras, à la bonne heure. Mais moi comme vous m'avez vue ! Ah mon Dieu ! Vous me rendrez bien curieuse de la discussion sur l'Orient. Adieu. Adieu mille fois adieu, From the bottom of my heart.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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203 Paris. Vendredi 28 Juin 1839. Midi

Vous me demandez de vous écrire davantage. Indiquez-moi comment. Ma lettre ne part que tous les deux jours ; mais tous les jours, je vous dis ce que je fais et ce que je sais. Je vous dis tout... sauf ce que je vous dirais à la Terrasse. Mais il n'y a point de remède à ce mal. La distance tue beaucoup de petites choses, et les plus grandes.
Je suis bien aise que vous approuviez ce que j'ai dit à la Chambre. Car votre opinion que deux ou trois Maréchaux, ou un, sont assez pour une armée de huit cent mille hommes, permettez-moi de n'en pas tenir grand compte, pas plus que de la mienne qu'il en faut huit pour une armée de cinq cent mille. Je ne me suis guère inquiété de mon expérience militaire. J’ai vu l’antipathie des grandes situations, le désir d'en retrancher une, deux. Je n’ai pas compté ; j’ai protesté. Je ne sais si je parlerai sur l'Orient. Le débat commencera Lundi. J’ai peur qu'on ne me fournisse aucun bon prétexte. C’est déjà beaucoup pour moi de parler sans cause et seulement sur un prétexte. Au moins il me le faut bon. Il n’est pas nécessaire que je parle ; il faut qu’on le trouve au moins naturel. Je regretterais de me taire. Je crois que ce que j'ai à dire est bon, pour la question et pour moi. Du reste les nouvelles s'accordent de plus en plus avec ce que je vous ai dit. Le Pacha aura le bon sens de ne battre les Turcs que s'il y est forcé. Et quand il les aura battus, de ne faire de conquêtes que d’un côté qui ne mette pas ses amis d’Europe dans l'embarras. Il ne passera point le Taurus. Rien ne vous appellera à Constantinople. Pourtant le Pacha pourra bien gagner son hérédité. Ce sera une nouvelle pierre tombée sans bruit de l’édifice ottoman. A moins qu’un succès momentané des Turcs ne fasse éclater leur folie, et que leur folie ne pousse le Pacha hors de son bon sens c'est-à-dire vers le Nord au lieu de l’Est. Et ce pauvre Prince Miloch. On vous impute fort cet échec du pouvoir absolu en Serbie.

8 heures
J'ai dîné chez M. Devaines. Je rentre. Je m'ennuie d’aller chercher des gens qui m'ennuient. Quand je fais un effort, je parviens à ne pas m'ennuyer même de ceux-là, et à en tirer un passetemps. Je veux tenter ce soir un effort plus doux, celui de me persuader que nous causons, et de causer en effet comme si nous causions. Pauvre ressource pour un homme aussi peu enclin que moi aux illusions, et qui en fait aussi peu de cas !

Nous avons voté ce matin, sans la moindre objection et presque à l'unanimité, ce doublement, de la garde municipale qu’on osait à peine demander. Il y a trois ou quatre ans, nous nous sérions arraché les yeux pendant huit jours sur cette question, et il y aurait eu 160 voix de minorité. Tout le monde est las. Et puis sérieusement parlant, les lois de septembre ont fait leur effet. Le principe que la révolte est illégitime, en paroles comme en actes, est admis par tout le monde excepté par cette poignée de frénétiques que les Pairs jugent depuis hier. Personne ne veut ou n'ose plus les soutenir. Ils ont eu quelque peine à trouver des avocats. Les craintes de nouveaux troubles pendant le procès se dissipent. Non qu'ils ne les annoncent eux-mêmes, et ne se les promettent en effet tous les jours. Mais ils n’ont point d’armes, point de poudre. Je doute qu’ils tentent quelque chose. Ils avaient conçu une horrible idée, celle d'enlever un des petits Princes sur la route du Collège, ou Madame la duchesse d'Orléans sur celle de l’Eglise des Billettes pour s'en faire des otages. Vous pensez bien qu’on a pris toutes les précautions imaginables.
Au milieu des complots et des procès, le monde ordinaire, va son train. Mlle de Janson épouse le Duc de Beaufort, Mad. de Janson a beaucoup hésité. Enfin les paroles ont été données hier. Le bruit du mariage du Duc de Broglie avec Mad. de Stael avait été fort répandu, grâce à M. Molé dit-on. J’y crois moins que jamais.
Il y a une conspiration à la Comédie Française contre Melle Rachel. Elle fait la fortune et le désespoir des comédiens. Là comme ailleurs, l'amour propre est plus fort que l’intérêt. L’une des fontaines de la place Louis XV est près d’être terminée. Cette masse de fer en coupes, en hommes, en amours, en poissons, fait un singulier effet. Il faudra beaucoup, beaucoup d'eau pour couvrir tout cela. On dit qu'il y en aura beaucoup, et par dessous l'eau entre les statues des réverbères qui brilleront à travers l’eau. M. de Rambuteau épuisera là son génie. Il a fait mettre au-dessus des candélabres et des colonnes rostrales, des lanternes dorées qui sont très riches. Voilà mon feuilleton. Vous ne me demanderez plus de vous en dire davantage. Adieu. Je vais me coucher. Je vous dirai encore adieu demain avant d'envoyer ma lettre à la poste. La journée a été encore pleine d'orages. J'espère qu’il n’y en aura pas cette nuit. J'en ai horreur.
Tout va bien au Val-Richer. J’ai eu ce matin une lettre d'Henriette. Très gentille, mais je ne puis obtenir d’elle la moindre ponctuation. Je lui ai répondu, pour lui en faire comprendre la nécessité et le mérite, la plus belle lettre du monde, un petit chef d’œuvre de grammaire. de morale. Vous s’avez que j’ai quelque talent pour la grammaire. Adieu enfin.

Samedi 10 heures
Adieu encore. On m’apporte mon déjeuner, du beurre et du chocolat. Vous ne vous en contenteriez pas. Je suis fâché que vous n'ayez, pas à Baden un bon cuisinier. Je dîne aujourd’hui chez Mad. Eynard, demain au café de Paris, après-demain chez Mad. Delessert. Je ferai meilleure chair que vous. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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203 Baden le 26 juin, 1839 5 heures après midi.

J'ai beaucoup écrit ce matin, je me suis beaucoup promené, je ne vous ai rien dit jusqu’à ce moment et je ne vous dirai pas combien j’ai pensé à vous, vous savez comme on peut penser, toujours pensé à une même chose. Je pense à vous à Baden un peu plus encore que je n’y pense à Paris. C’est beaucoup.
Je suis sérieusement inquiète de ce qui peut arriver à Paris, dites-moi si vous l’êtes. Madame de Talleyrand était tellement persuadé en partant qu’il aurait de gros événements qu’elle n'y a rien laissé du tout. Hors ses combles, elle a tout fait venir à Baden. Moi tout au contraire, j'y ai quatre robes de deuil, et j’ai tout tout laissé à Paris. Pillera-t-on l’hôtel de la Terrasse ? Dites-moi cela, J'en serais très fâchée, cela me manque encore. J'ai écrit une longue lettre à mon frère aujourd'hui, je ne sais plus quoi mais c’était bien, que je voudrais voir mes affaire finies !
J'ai eu une lettre de Lady Cowper. Lady Flora Hastings est très mal . Si elle meurt ce sera une mauvaise affaire pour la Reine. Les Ministres espèrent arriver dans dix jours à la fin de la session. Lady Cowper n’admet pas de discussions dans le Cabinet. Lord Normanby ne pense pas à supplanter Lord Melbourne. Pozzo très faible et hors d’état même de partir. Lady Cowper, Mad. de Flahaut d’autres encore veulent venir à Baden. Je ne crois à rien de cela parce que cela me serait agréable, et je crois à de mauvais moments à Paris parce que j’en serais désolée. Voilà la foi que j'ai dans ma fortune !

Jeudi 27 à 8 h. du matin.
Le temps est beaucoup rafraîchi, il fait même froid et ma promenade hier au soir ne m'a fait aucun plaisir. Ah que les jours coulent lourdement ici ! Je n'en puis plus. Si je voyais mes bras s’arrondir selon votre volonté, je supporterais Baden gaiement peut-être. Mais sans bras, sans société, sans un moment de bon temps ou de plaisir dans la journée, c’est bien dur ! J’ai laissé le lait d'ânesse, il n'allait pas à mon estomac. Je continue les bains, et il me semble qu'ils m’affaiblissent. Ainsi, il y a décadence au lieu de progrès.

5 heures
Merci de votre N°201. Il m'arrive au moment où je suis obligée de remettre le mien. Je n’ai rien de nouveau à vous dire. Je me suis trouvé mal ce matin. Le Médecin trouve mon pouls très affaibli, on va changer en bains. Moi j'aimerais bien mieux ne rien faire. Je suis sûre que tout ceci va me tuer. Je me sens très souffrante. Adieu. Adieu. Pensez bien moi.
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