Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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105. Ems le 26 juillet 1854

Toujours ici encore. Vos lettres se promènent mais elles m'arrivent je n’ai pas fixé de jour, je lèverai le camps du soir au matin. Je suis restée emballée depuis 8 jours. Morny est bien malade, et découragé. Il ne veut pas rester ici, mais il ne se décide pas. La conversation me plaît et m’amuse, je m'ennuierais à Schlangenbad profondément. Hélène m'écrit pour m'exhorter à rester. Elle sait que l'ennui est ma plus grande maladie. Enfin je suis encore là, sans savoir si j’y serai demain. Nous avons des chaleurs excessives. On ne peut pas bouger le jour. On ne peut pas dormir la nuit.
Pas de nouvelles. D'Orient rien militairement & politiquement on élabore quelque nouveau protocole qui voudra dire que nos propositions ne sont pas acceptées. Je sais ce pendant qu'on les a trouvé pas sables et que sans y donner suite à présent, on les regarde comme des jalons pour l’avenir. L’Espagne. Que va-t-elle devenir ? Je crois que c'est Espartero qui va reparaître et régner.
Je ne sais sur la mort du général Aurep que ce qu’en disent les journaux. Sa femme avait passé ici il y a une dizaines de jours. Elle ne s’y est arrêté que quelques heures pour me voir. Les journaux sont si menteurs que je ne crois pas encore à cette mort. Si l'Espagne était arrivée dans la belle saison du bavardage de mon salon, que de choses à se dire, et Dumon comme il parlerait ! Adieu. Adieu, que se passera- t-il encore jusqu’au temps où nous nous retrouverons tous ? Ce temps viendra-t-il ? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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103. Ems Samedi le 22 juillet 1854

Morny est arrivé hier au moment où je venais de vous écrire. Je ne lui trouve pas mauvais visage mais il se plaint beaucoup de puis un mois il ne peut ni manger ni dormir. Olliffe est avec lui. J’ai eu un grand plaisir de cette arrivée. Nous avons beaucoup causé. Je n’ai rien recueilli de bien nouveau. La détermination de pousser jus qu’au bout. Point de conquête, point de restitution, mais liberté du Danube. Protectorat collectif des pptés, et dans la mer noire régler les choses de façon à donner sécurité à la porte, c.a.d. limiter le nombre de nos vaisseaux de guerre et posséder un point de la côte qui serve d'abri aux vaisseaux anglais & Français. Je crois que ces trois points sont arrêtés & convenus avec l'Angleterre. de plus on parles d'indemnité des frais de la guerre, mais cela ne peut pas être sérieux.
Le plus intime accord avec l'Angleterre et celle dans les plus grande coquetterie pour vous. En vous offrant ses vaisseaux pour le transport de vos troupes dans la Baltique, elle les défraie de tout.
On compte toujours sur l’Autriche et le langage de Hubner y autorise. On est mécontent de la Prusse mais on est convaincu & je le suis aussi, qu’elle sera forcée de faire comme le voisin. On est très préparé a une longue guerre, et comme elle nous ruinera et qu’elle ne ruinera pas la France on compte sur la désaffection qui se produira chez nous, & qui forcera à faire la paix. On se trompe, il n’y aura jamais chez nous ni découragement, ni désaffection et tout cela me paraît éternel. Et je suis parfaitement malheureuse. La cour ne reviendra guère à Paris que pour le [?].
On ne se mêlera pas de l'Espagne. Cependant si le désordre s’établit là, comment laisser faire ? Je trouve toujours que c’est une très grosse question. Il fait une chaleur effroyable. 26 degrés à l'ombre (réaumur) Comment me trainerai-je à Schlangenbad ? Je ne sais encore si j’y vais demain ou après demain. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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102. Ems vendredi 21 juillet 1854

Encore Ems. Tout était prêt ; mes gens à peu près partis & moi sur le point de monter en voiture hier, j’attendais seulement la poste & mes lettres. En voilà une d’Olliffe qui m'annonce que lui & Morny seront ici aujourd’hui. Je remets mon départ, je les attends. Hélène n’a pas pu attendre, elle est partie et mon fils aussi. Ce matin une lettre de Morny du même jour mais plus dubitative. Cela me vexe. Je n’attendrai pas au delà de demain, et je partirai. Par quoi finira ma tristesse ? Je ne me sens de courage à rien si vous étiez là ! Ah mon Dieu quelle bénédiction, quel bonheur ! Mais personne à qui dire ce que je pense, personne même avec qui causer de ce qui se passe et dans quel moment !
Je ne crois pas du tout à la soit-disant dépêche de Nesselrode à Budbery. C’est trop absurde et d'un ton qui n’est pas à notre usage. Les minoteries à droite et à gauche sont incroyables. Constantin est toujours à Peterhof. La mort du Comte Vorontsov a causé là un vif chagrin. Tout de suite après les couches malheureusement de la Grande Duchesse Catherine, femme du Duc George de Mecklembourg. Elle était très mal et l’enfant mort. On ne parle plus des flottes à Peterhof, ni de la guerre.
Évidemment l’Autriche hésite encore. Cela ne peut cependant pas se prolonger. La Prusse est toujours en grande tendresse pour nous. Les petits allemands attendent avec curiosité. Il me paraît que l’Espagne tout entière à fait son prononciamento. Ce n’est pas mauvais, mais cela peut nous donner du nouveau. L’Europe est bien arrangée ! Adieu & Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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101. Ems le 13 juillet 1854
Mardi

Je n'ai rien. Rien qu'un nouveau rhume que je dois au beau temps. Il fait chaud depuis trois jours et j’ai été assez habile pour en profiter de cette façon. Hier presque tout le jour dans mon lit. Cela ne m'empêchera pas cependant d’aller après demain à Schlangenbad. J’y vais sans plaisir comme tout ce que je fais depuis 6 mois. Je ne sais plus de vos nouvelles depuis Mercredi dernier. C’est bien long.
Voici votre lettre de Vendredi bien courte. Nous ne savons plus que nous dire. Il y a trop pour moi j’étouffe. Une longue lettre de Morny, il a vraiment été bien mal, il l’est encore. On ne sait encore où l'envoyer, Oliffe l’accompagnera. Pas l'ombre d'espérance de la paix. Des bonnes paroles pour moi de St Cloud.
Brockhausen s'écrit ainsi. Il est à Spa avec Hasfeld. Tous deux se lamentent, hopeless case. Au fond j'aimerais aller à Spa. Je suis d’un appétit vorace pour la conversation. L’idée de n'en avoir pas du tout me met dans un vrai désespoir.
Le gros comte Woronov que vous avez vu à Paris le gendre de M. Narchikein vient de mourir subitement du choléra à Peterhof où il était allé pour la fête de l’Empereur. Grande consternation à là cour. Il était fort aimé. Je n'ai rien à vous dire ; tous les jours je suis plus triste. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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99. Ems le 15 juillet 1854

Je ne crois pas un mot de la lettre que vous me citez de mon empereur au roi de Prusse. Si une telle lettre pourrait exister, elle ne serait pas connue. On reste très curieux de ce que sera la réponse de Vienne. Certainement il y a hésitation je n’en vois hélas aucun à Londres & à Paris si j’en juge sur les journaux.
Hier l’Indépendance annonçait une rencontre entre votre Empereur & la Reine d'Angleterre. Si cela se confirme ce serait un fait bien grand et bien brillant pour l’Empereur. Je suis curieuse de la confirmation. Dans ce moment une lettre de Greville. L’Autriche n’avance pas, nous restons, et on s’attend à une grande bataille sur le Danube. Les alliés pourrait bien y prendre part. La Prusse lie les mains à l’Autriche. Il est évident qu’elle fait tout pour se détacher de l’alliance et se joindre à nous. Mais osera-t-elle provoquer l’inimitié de l’Occident. [?] which are in a considerable fix.” Voilà la lettre de mon correspondant. Il n'accuse pas l’Autriche. Son traité avec la Prusse lui interdit de rien faire sans se concerter avec elle. J’attends avec beaucoup d’impatience ou des coups, ou le débrouillement de la situation des Allemands. Je pars décidément pour Schlangenbad jeudi le 20. C'est là duché de Nassau que vous m’adresserez vos lettres. Adieu. Adieu.
Paul est arrivé hier.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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98. Ems jeudi 13 juillet 1854

Voici jeudi, votre dernière lettre était de samedi, c’est bien long. J'ai reçu de bonne source hier les renseignements suivants sur notre réponse.
" Les [principautés] ne peuvent être totalement évacuées parce qu'il faut conserver un champs de bataille autre que la mer noire et la mer baltique. Jamais nous n’avons ni l’intention d’y rester & de les garder.
Nous sommes prêts à négocier sur trois points. 1. intégrité de l’Empire ottoman
2. égalité des Chrétiens et des Musulman
3. traité des détroits et de la navigation.
Le langage du Prince Gortchakoff est trés modéré, très pacifique. L'impression transmise à Paris et à Londres. est celle là."
Que pensez-vous de ceci ? Il me semble qu’on pourrait se parler. Voilà votre lettre de Dimanche comme c’est long, ce que dit Barante me paraît très sensé, à quoi sert-il d’être sensé ? Tout ce qui se passe est insensé. Je ne puis vous dire mon découragement profond, et puis c'est si triste de n’avoir avec qui discourir de mes peines. La semaine prochaine toute ma société s’éparpille. Cela m’est égal à moi, Schlangenbad, ou ceci, ou autre chose, c’est de la tristesse partout. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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97. Ems le 12 Juillet 1854

Des lettres de Londres. On n'y veut pas entendre parler de nos réponses. L’Autriche ne peut pas les accepter, à plus forte raison ni l'Angleterre ni la France. On croit toujours que Sevastopol. peut-être pris du côté de terre. Grande désapprobation de la guerre de pirate qu’on nous fait dans le golfe de [Bothein] même Napier en est disgusted mais il n'ose pas le témoigner aux officiers. Le public en est enchanté. Brûlez, saccagez. Constantin me mande notre grande victoire en Asie. J'aurais préféré en Europe.
Les flottes se sont retirées. Il n’y a plus une voile devant Cronstadt. Le Maréchal Paskévitch est rétabli et reste à Yassy. Constantin me quitte qu’après la fête de l’Impératrice qui est demain.
Voilà toutes mes nouvelles Greville ajoute : " à moins de catastrophe à Pétersbourg jamais la paix ne se fera. " L’Empereur se porte bien. Ne trouvez-vous pas qu'on pouvait négocier sur nos réponses.
Montebello s’annonce à Schlangenbad. Je n’y crois pas. Je ne crois à rien d’agréable. jusqu'à nouvel avis adressez toujours à Ems. Adieu. Adieu.
Je suis jaune comme une orange. Le temps est affreux pas une belle journée. Le Connery de Vienne est un cousin de celui de Paris.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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96. Ems le 10 juillet 1854

Je n’ai absolument que les journaux pour me guider dans l'appréciation de notre réponse à l’Autriche. S’ils disent vrai je la trouve très modérée, mais j’entend crier de tous côtés qu’elle ne peut convenir à personne. Je suis fâchée de n’avoir pas un petit bout de diplomate ici avec qui bavarder. Je rabâche avec Brignoles, mais c'est plutôt de l’histoire ancienne. La poste se met à nous manquer ici, c’est désolant. Pas de lettre de vous depuis deux jours.

6 heures.
Voici le 112 du 6. Rien a répondre, et rien à vous dire, car je n’ai de lettres de personne. Je vous envoie ceci afin que vous ne vous inquiétez pas de mon silence. Quelle triste situation, quelle sombres perspectives. Que deviendrons-nous vous et moi ? C'est à pleurer. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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95. Ems le 8 juillet 1854

Il n’y a pas moyen de trouver un appartement à Schlangenbad, je ne sais ce que je vais devenir. Voilà un souci de plus, par dessus mes malheurs. Ma vie ici se passe assez agréablement. Mes écritures, les bains, quand le temps me permet de les prendre ; la promenade, ditto. A 3 heures je dîne ; Brignoles vient causer avec moi. Il a beaucoup plus d'esprit que je ne croyais. Ou bien est-ce Ems qui fait cela ? Après une longue promenade en calèche. à 8 heures mon monde, toujours les mêmes. Le Prince George & le bel aide de Camps. Les Melas, les d’Ayne Hélène et Olga. Musique superbe. Le public s’assemble sous les fenêtres pour entendre ces belles voix. De la conversation pas trop. à 10 heures tout le monde est rentré chez soi. A propos du Pce George. Je lui montre de vos lettres. Grande fête pour lui. Il a de l’esprit, il comprend, & il admire avec fureur.
Si j'en crois l’Indépendance il y aurait dans notre réponse de quoi s’arranger. Mais ni vous ni les Anglais ne le voudrez. Il me semble que l’Espagne donne de l’inquiétude à Paris. Je ne crois pas comme vous que la Reine s’en tire maintenant. Et si elle tombe, quoi ? Restauration ? Règne ? L’infante Montpensier ? La réunion au Portugal ? La république ? Rien de tout cela ne peut vous convenir. Vous finirez par aller occuper Madrid, et de quatre. On peut tout croire, & surtout on peut tout rêver quand on s'ennuie à Ems. Adieu. Adieu.
Ma santé n'est ni mieux, ni pire. Dîtes moi que vous n’éternuez plus. Je compte que le soleil vous viendra un jour. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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94. Ems le 6 juillet 1854

J’ai vu ce matin une lettre de Pétersbourg expliquant nos mouvements. 250 m dans les principautés 150 m en Podolie & Pologne, prêtes à marcher sur Cracovie et Vienne. On a abandonné Silistrie & partir de la Valachie à cause de l'attitude de l’Autriche. Mais l'Autriche est-elle de bonne foi ? Le correspondant émet cette idée comme un doute. On dit toujours que nous voulons la paix. Certainement l’Autriche la désire. Qu’est-ce qui ressortira de tout cela. Rien n'est éclairci. Constantin me mande que le prince Gortchakoff avait eu son audience de congé le 27, mais qu’il ne partait que dans quelques jours. Sa lettre est du 29 depuis l’approche des flottes toutes les promenades de la cour se dirigent vers les points d’où on peut les apercevoir. C’est l'élégance. L'[Empereur] & l’[Impératrice] sont toujours de ces promenades-là. Le temps superbe, la mer calme. Les Anglais ont tiré un coup, une bombe sur le Vladimir. Le ton est toujours à la gaieté. Quel étrange spectacle. On doute beaucoup qu'ils attaquent Cronstadt, mais ils sont là et au complet.
Greville me mande que vous allez embarquer sur des vaisseaux Anglais des troupes destinées à une descente dans la Baltique. Brignoles est arrivé hier, cela va me faire une bonne causerie.
Le 7 Vendredi. J’ai des nouvelles sûres de Peterhof de quelqu'un ici qui a causé une heure avec l'Empereur il y a 10 jours. La réponse à l’Autriche n’a dû arriver que hier 6, celle pour la Prusse sera portée par Constantin. C’est à peu près ce que disent les journaux. Toujours le tête-à-tête avec la Turquie pour la question religieuse. Négociations avec tout le monde pour les autres. (qu’est ce que c'est que les autres ?) position prise sur le Sereth et attente. "
L’Empereur très bien portant, très calme, prenant les choses de haut. Aucune irritation contre l’Autriche ni contre la Prusse. Il ne sait pas ce qui se passe en France et en Angleterre.” Constantin me dit qu’on demande mes lettres à grands cris. Si ce sont là leurs seules nouvelles, je les plains. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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93. Ems le 5 juillet 1854

On demandait à un cosaque chargé d'amener à Pétersbourg douze anglais, faits prisonniers en Finlande, ce qu'il pensait d'eux." Pas grand chose. Ce sont de bonnes gens, mais c’est un peuple bien que civilisé ces anglais."
J'ai eu une lettre très aimable de Fould. Mais il ne m’envoie pas la paix. L’Emp. & l’Imp. vont à Biarritz pour quelques semaines. Fould reste à Paris avec ses maçons. La place Louis XV sera achevée dans 6 semaines pour la fête du 15 août. Le Louvre sera achevé inauguré, le 1er mai 1855 à Bruxelles on ne connaissait pas encore exactement notre réponse à l’Autriche, mais il n'y a pas de doute sur ce qu’elle sera. La Prusse, dit-on là, restera expectante. Elle sera entraînée, il le faudra bien. Avez-vous lu les discours très belliqueux du roi de Suède à ses troupes ? Enfin ce sera toute l'Europe.
Le Maréchal Pasking va dans son château en Pologne. Bouderie ou disgrace on ne sait pas. Le public de Pétersbourg accuse ses lenteurs. On ne lui pardonne pas de n’avoir pas pris Silistrie. Vous n'avez pas idée comme mes soirées sont brillantes. Cercle extrêmement choisi, trop exclusif peut-être pour une popularité, mais je n'y vise pas. De la musique charmante. On s’attroupe sous les fenêtres pour l'écouter. Olga serait la prima donna de l'Europe si elle montait sur la scène. Quelle puissance de voix. Cerini chante très bien. Le prince George accompagne toujours, cela le rend heureux. La duchesse d'Ayen est là comme une poupée. Son mari est très bien, et très agréable. Melas chante pas mal, sa femme ne sait pas si on pleure ou si on rit. Vous savez qu'il lui arrive à dîner de prendre le grand os d'un poulet pour son éventail, et de s’étonner qu’elle s’évente sans se rafraîchir. Les Brignoles vont arriver. Richelieu nous quitte. Le 20 Schlangenbad pour moi, mais hélas Hélène à Schwalbach, c'est à une très petite distance, mais il n'y a pas de quoi se voir deux fois le jour. Toujours de la pluie et l’air froid. Summer postpond on account of the war, comme on dit à Londres. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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92. Ems lundi le 3 juillet 1854

Constantin me mande en date de 25 de Peterhoff que les flottes s'approchaient de Cronstadt. Elles n'en étaient plus qu'à 30 kilomètres. Nous sommes enchantés de cette visite. Toujours de très mauvais propos sur les Anglais, sur le Français pas du tout. Le Lt du Tigne était à Pétersbourg. L’Empereur lui a fait rendre son épée, & permis qu’il retourne en Angleterre. Il n’a pas envie il craint une cour martial.
Le prince Gortchakoff est parti le 25 pour Vienne. Avec une mauvaise réponse naturellement. La guerre avec l’Autriche est inévitable. La première depuis l’existence de l’Empire russe ! Greville me mande que la publication de la dépêche d'Aberdeen lui a été très utile. Il s’est remis sur jambes tout-à-fait. On envoie de nouvelles troupes en Turquie. Il n’y aura plus de troupes régulières en Angleterre du tout dans très peu de temps. On pense toujours là que la pression contre la Russie nous obligera à la paix, je crains qu'on ne se trompe nous ne fléchirons pas aurions-nous toutes les puissances sur les bras. Mon Dieu comment cela finira-t-il ? On croit savoir à Londres qu’entre toutes les tristesses du moment l’Empereur a encore le chagrin de voir la querelle entre ses deux fils aînés, qui serait arrivés à un haut degré de vivacité !
Constantin archi russe, le G. D. héritier bien plus modéré. Je ne crois pas que cela aille très loin, ils ont trop peur du Père ; mais il est certain que les frères ne s’accordent pas. Le roi de Portugal après Bruxelles se rendra à Berlin, de là à Vienne, Cobourg, Paris, St Omer. Voilà toutes mes nouvelles aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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91. Ems le 1er juillet 1854

Plus je pense à tout ceci, plus je suis humiliée de la façon dont nous conduisons nos affaires. à ce train là, il vaudrait mieux faire la paix tout de suite. Dieu sait tout ce qui nous est réservé encore si nous continuons cette triste guerre.
Le dernier petit mot de votre lettre du 28 me prouve que vous êtes en pleine espérance. C'est comme vous étiez à la dernière heure à Bruxelles. Hélas, en sera- t-il autrement.
J'ai un besoin énorme de parler de tout ceci, et je n’ai avec qui. Hélène n’est plus praticable. Elle veut pour pendre les Autrichiens elle n’a plus que cela en tête, elle donnerait toute sa fortune pour les anéantir. Richelieu est sensé et nous jasons & rabachons quelque fois. Je suis fâchée que mon fils ne soit pas ici. Avec lui cela irait mieux. Le Times fait un grand éloge de la dépêche d'Aberdeen de l'année 1829 en effet elle est bien faite. Je n'ai de lettre de personne aujourd’hui, je relis la lettre de Constantin. évidement notre retraite n’est pas de la bonne grâce pour l’Autriche, d’après cela c’est seule ment un ennemi de plus. Je suis frappée des soupçons de l'Angleterre contre l'Autriche. En France la nouvelle n’est pas non plus accueillie avec plaisir. Tout me paraît plus confus que jamais. Débrouillez cela. J'aurai demain je crois quelque chose. Ma lettre aujourd’hui est bien bête. Adieu. Adieu.

Dimanche le 2. Elle était si bête, qu’elle n’est pas partie ; elle attend son camarade aujourd’hui. Rien, rien, que mes réflexions qui sont tristes, décidément ce sera une longue guerre. Comment me tirer de là.
Je viens de lire les journaux. Nous ne cédons pas à l’Autriche, Nous cédons à la nécessité de nous mettre en garde contre C'est bien différent, et il est clair que nous nous battrons. Nous n’avons pas battu les terres, que ferons nous des autres ? Vous comprenez que je ne partage aucune de vos espérances. Je n’ai pas ni de lettre de vous, ni de personne, et la seconde porte est arrivée.
Le temps est bien laid, et mon humeur plus laide encore que le temps. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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90. Ems le 30 juin 1854

Voici ce que je trouve dans mes vieux papiers.
" Lord Chatham disait en 1760 que quand il entendait quelqu’un soutenir que la question ottoman n'était pas pour l'Angleterre une question de vie et de mort, il ne parlait plus à cette personne."
Je tourne et retourne dans mon esprit, les nouvelles perspectives que nous ouvre notre reculade. Elle est si étonnante pour un homme du caractère de l’[Empereur] Nicolas, et pour l'orgueil & le fanatisme russe. Je prends Hélène pour type. On ne peut plus lui parler. Son caractère en est changé tout à fait. D’abord elle ne croit pas. Je regrette que Paul ne soit pas ici. Il saurait la mettre à la raison. Elle soutient que nous allons faire la guerre à l’Autriche ; son point de départ est une lettre de la Grande Duchesse Marie qui est parfaitement dans ce sens. Les journaux Allemands disent que notre armée manque de vivres. Quand on ne mange pas, on ne se bat pas. Cela pourrait bien expliquer ce que vous dites des pertes que nous éprouvons dans nos officiers supérieurs. Quelle opinion nous donnons de nous en Europe ! Quelle tappe sur la fatuité Russe. Je serai bien aise de ne pas ressembler beaucoup à mes compatriotes, je me sentirais bien humiliée. Vous figurez-vous le contentement de Hubner.

Midi. Voici une lettre de Constantin de Peterhof le 21 juin. " Au Danube notre position militaire change en présence de l'absence de sécurité que présente l’Autriche. Notre droite se trouvant exposée par la concentration de troupes en Transylvanie Silistrie n’a plus aucun prix pour nous, aussi allons nous, aussi allons nous en abandon ner le siège et nous concentrer sur le Sereth. C'est là qu'on est invité à nous parler pour le moment quitte à mieux sauter plus tard. La conclusion qui a atteint le Maréchal le met hors de combat pour quelques semaines. Il se rendra à Passy." Le reste de la lettre est du fanatisme superlatif. J’ai peine à tenir pour ne pas répondre par quelque sottise à tant d'exagération, d’adulation. Il reste encore. là heureux, si heureux qu'il dit qu’il en oublie sa femme et ses enfants. Voilà ce qu’on devient, voilà ce qu'était devenu mon mari. Que de réflexions à faire. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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89 Ems le 29 Juin 1854

J’ai trop de correspondants. Je me fatigue à répondre et j’aime cependant à bavarder. Une longue lettre ce matin de Greville bien de la mauvaise humeur de notre reculade par la crainte que cela satisfasse l’Autriche et la détache par conséquent de l'accident. Le mieux qu'on pourra espérer sera sa neutralité. (Je crois que je viens de faire là trois fautes de Français c’est égal.) La rage en Angleterre va en grossissant. On veut la Crimée, la destruction de nos flottes, l'indépendance de la Circassie. à quatre on arrivait plus vite au but, à deux cela l’éloigne ainsi toute cette nouvelle aventure sert que la paix. Mais quelle pauvre mine nous avons là. Ce que nous proposait L’Empereur Napoléon valait mieux que ce que nous cédons maintenant à l’Autriche. Il offrait le retrait des flottes ici point de compensation. Si ce n’est l'espoir de détacher l’Au triche. Mais lever le siège de Silistrie, c.a.d. nous avons vaincu par les terre, & nous dessaisir de pptés ! Tout cela est bien humiliants, et doit avoir bien conté à l'orgueil impérial. C’est même si fort que j’ai peine encore à y croire. cinq heures. Je viens de recevoir des nouvelles de Bruxelles. On n’est pas fixé là encore sur la valeur de ce qui vient de se passer. On ne sait que les faits. Ils sont bien gros. On regarde la position de l’Autriche comme prépondérante et ne regardant la chose dans son acception la plus simple on trouve que cela conduit plutôt à la paix qu’à la guerre. La situation d'Aberdeen est raffermie par son dernier discours, c’est-ce qu’on me mande de Bruxelles aussi. Adieu.
Je suis bien impatiente de ce que vous allez me dire de tout ceci. Comme nous aurions à parler ! Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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88. Ems le 27 juin 1854
Mardi

Quelle étonnante nouvelle celle du Moniteur d’hier. On me la mande par télégraphe de Bruxelles. Ce changement de front, est-ce pour tomber sur l’Autriche ? Laissant là la guerre de Turquie. C'est là ce que je crois. Voyez où cela nous mène. C’est le feu en Europe. Je n’ose pas espérer que ce soit le prélude à des négociations. Nous sommes trop exaspérés. Enfin je grille de curiosité et il faudra encore attendre ! Que je voudrais avoir avec qui causer. En attendant je vous dis ce pauvre mot qui ne dit rien. Adieu. Adieu.

Le 28. Je n’ai pas envoyé ce chiffon. Il était trop bête. J’ai reçu dans journée un bout de lettre de Brockhausen de Bruxelles qui me montre que là on croit que ceci annonce la paix serait-ce possible ? Too good to be true. Je n’y crois pas du tout. Mais comment allons nous expliquer cette reculade. Ah que de fautes ! Je n'ai rien à vous dire, je suis absorbée par cette dernière nouvelle. Elle va bien vous occuper l’esprit aussi. Mais vous ne parviendrez pas à nous en donner. Adieu. Adieu.
Est-ce qu’en faisant ce que nous demandent les Allemands nous les détacherions de l’alliance ? Enfin je ne comprends rien.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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87. Ems le 26 juin 1854

Vos réflexions sur le débat de la chambre des Pairs sont frappantes. Toute votre lettre est pleine de bonnes et utiles vérités. J’en ferai passer quelques unes plus loin, mais à quoi sert d'éclairer des gens qui ne veulent pas voir. Cependant mon empereur est un homme d’esprit, je ne comprends pas que cet esprit l’ait tout-à-fait abandonné. On est bien monté à Pétersbourg contre le grand voisin. La [Grande Duchesse] M. écrit : " la conduite de l'Autriche est infâme", suit une kyrielle d’inventions. Il n’y a donc rien à espérer de la réponse et nous voilà avec cet ennemi de plus sur les bras.
Après nous être adorés, car c'était un culte personnel, comme la rancune sera profonde ! Je vous envoie une lettre d’Ellice. Malheureusement je ne puis pas la lire vous me direz un peu ce qu'il me dit ... Ne prenez pas cette peine je viens de relire, je devine un peu. Elle est élevée, vous me la renverrez. Greville m'écrit une nouvelle lettre toujours la même chose Je crois savoir que le M. St Arnaud regarde Silistrie comme perdue. La levée de siège était donc une fausse nouvelle. Mais nous y perdons beaucoup de monde, & des personnes de la société. Mais il faut prendre cette forteresse. Je regrette la retraite de Persigny. C'est un honnête homme, & si dévoué. Je ne sais pas du tout pourquoi il se retire. Il y a longtemps que Morny ne m’a écrit. Adieu. Adieu.
I am very desponding. Il faut prendre ou détruire notre flotte de Sevastopol. Pas de paix à [?] de nous avoir humiliés & affaiblis. St Arnaud aura le 15 juillet des personnes de la société. Mais une armée de 145 m h. 70 m. turcs il faut prendre cette forteresse. 50 m. Français, 25 m. Anglais.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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86. Ems le 23 Juin 1854

Quel discours celui de lord Lyndhurst clair, complet, mauvais pour nous, étonnant de verdeur et de force pour un homme de cet âge. J'aime bien le discours de Lord Aberdeen. C’est le duc de Laval qu'il cite comme ayant appellé Lyndhurst le colonel de Dragons, ce mot était resté. Greville m'écrit. On croit là à la levée du siège de Silistrie je ne puis pas y croire. On veut à toute force nous prendre Sébastopol et brûler notre flotte. On est décidé à nous faire sentir humiliation et pertes. L'occasion est trop bonne. L’Autriche a passé à l’accident.
Tout cela est fort triste, car on ne réduira pas la Russie. Savez-vous ce qui peut arriver ? Il peut arriver la 3ème invasion des barbares, nous ne la verrons pas peut être, peut être aussi sera-t-elle prochaine. Pensez à l'orgueil des barbares. Samedi 24.
J’ai gardé ma lettre espérant quelque chose, rien n’arrive. Vos réflexions sont aussi tristes que les miennes. Je suis fâché de votre mémoire, ma maussaderie au Val Richer. C’est vrai, comment ai-je pu me conduire ainsi ? Ah que de choses dont je me repends. Je pense souvent à présent comme j'aimerais à avoir un petite maison à Lisieux. Ma petite société d’Ems est quotidienne chez moi le soir. Le prince George est le plus heureux du monde de s’être laissé prendre par moi. Il périrait d'ennui. Il est bon musicien. La soirée commence toujours par le chant, Olga et Cerini, le prince les accompagne, & puis il joue des opéras très bien. L'Aide de camps est très beau, les petites filles s’occupent de lui. Le duc de Richelieu dispute, la petite Melri est folle & nous fait mourir de rire. On va comme cela de 8 heures à près de 10. Dans ma promenade du matin je cause avec le duc de Richelieu, devant Hélène c’est impossible elle est fanatique Russe. Richelieu a beaucoup de good sense et nous nous entendons très bien. Les Débats ont aujourd’hui un article extrêmement bien fait de M. de Sacy sans doute, cela lui est envoyé de Vienne. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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85. Ems le 22 juin 1854

Quand je ne vous écris pas cela veut dire simplement que je n’ai pas un mot à vous dire. Ne prenez pas exemple sur moi, vous savez toujours parler, parce que vous pensez. Moi je ne pense plus. Je suis tout-à-fait déroutée. No hopes.
Ma seule nouveauté ici. C’est les Melri, elle est un peu folle. Cela fait bien à Ems, un petit changement. Le journal de Francfort qui nous appartient un peu a une lettre de Pétersbourg où les Anglais sont traités de corsaires, les Français des chevaliers courtois, cela m’a fait plaisir. Je n’ai pas une lettre de nulle part. Marion seule m'écrit et naturellement pas une nouvelle. Si fait, elle me dit en grand secret que son oncle est très amoureux de je ne sais qui, dans la société. Voilà des bêtises dont il n'y a que les hommes qui soient capables. Avez-vous jamais ouï dire qu'une vieille femme fût éprise ? Nous avons plus d'esprit que cela.
Ma bouche s’est remise un peu. Mais j’ai une multitude de petits maux très passagers. C’est l'effet des eaux, et quelle saison. Hier à 4 h après-midi 22 degrés à l'ombre, 3 heures après 12.

Le Prince George de Vienne n’est pas animé, & presque pas aimable. En revanche le duc de Richelieu nous divertit, querelleur, moqueur et vraiment de l’esprit. Les d’Ayen vont arriver. On vient chez moi tous les soirs, avec le monde d'Hélène nous sommes 10, c’est beaucoup pour mon petit salon que vous connaissez. Mes prussiens nous trouvent charmants & nous ne le somme guère.
Adieu. Adieu. Quand saurons-nous quelque chose ? et du bon. Adieu.

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84 Ems le 20 juin 1854

Ce que vous me dites de la retraite de Reschid Pacha est très vrai. Mais comment saurons-nous la vérité sur ce qui s’est passé là ? Il y a un grand progrès dans le management des affaires, c'est le secret. La règle est bonne, pas pour les curieux.
Le Prince George de Prusse est ici avec un très bel aide de camps. C'est bon pour mes jeunes demoiselles. Ils sont chez moi le soir, je suis la seule ressource à Ems. Grande incertitude à Berlin et grand mystère aussi. Me voilà prise par la bouche. Une enflure intérieure très incommode, pourvu que je puisse manger. Voilà cette pauvre Mad. Narishkin morte à Heidelberg, depuis trois semaines elle avait le gosier fermé. Elle est littéralement morte de faim. Les Melzi viennent d’arriver. Ce sera quelque chose. Lui ne fait pas un doute que l’Autriche va nous combattre. J’attendrai encore pour croire.
Hélène demeure au [?] c’est devant la promenade, assez loin de chez moi. Cela rend les relation moins fréquentes. Cependant je la vois 2 fois le jour ordinairement. Serait-il possible que l’Autriche occupe les [principautés] ? Est-ce que nous leur ferons place ? Tout est étrange dans cette guerre. Je n’ai avec qui jaser de tout cela ici. Comme cela me va de me taire ! Adieu. Adieu.

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83. Ems le 18 juin 1854 Dimanche

J'ai eu hier des nouvelles de Bruxelles on pense là que la réponse de mon Empereur à la demande de l'Autriche quand sortirez-vous des [Principautés] [?] sera quand finira la guerre que me font les 3 puissances.
Il y a bien une petite division en Allemagne, et les rois ne se soumettent pas trop aux deux grandes puissances.
J'ai eu hier une curieuse relation de Russie par un vieux général Offenberg aide de Camps général de l’Empereur, très bien venu de lui et qui vient encore de dîner avec lui il n’y a pas 15 jours. Il est malade, il se soigne afin de pouvoir rencontrer à cheval en août. Et bien il me dit que la tranquillité d'esprit chez le maître et les valets est complète. On rit des journaux français des rapports difficiles. On ne s’effraie de rien. On attend l'ennemi de pied ferme, on désire qu’il vienne. On défie l’Europe. La plus grande liberté de langage à la Cour. Dans le public un enthousiasme général, immense. On est très préparé à une guerre de 10 ans, préparé à tous les sacrifices, rien ne coûte volontiers.
On donne son argent & sa personne. Adoration pour l’Empereur. Rien ne peut se comparer à ce mouvement. Le [général Orloff] a fait la guerre de l'année 12. L'exaltation alors n'était rien à côté de ce que c'est à présent. Les provinces allemandes se distinguent & la Finlande est la plus affectionnée de toutes. Vous ne pouvez rien ici contre Cronstadt ni contre Sveaborg, pas mieux Sevastopol imprenable, une descente en Crimée impossible, nous sommes prêts partout. Vous ne pouvez prendre que ce que nous abandonnons. L’Empereur est plus puissant que jamais monarque russe ne l’a été. Il n'y a qu'une chose qu’il ne puisse pas faire la paix. Il y aurait un soulèvement général. Nous voulons la paix à Menchikoff. Je vous redis tout cela parce que à moi cela m’a fait une impression très vive et profonde. Cet homme me dit la vérité. C'est un allemand ce n’est pas un courtisan, pas beaucoup d’esprit, mais l’esprit droit, honnête. Je le connais depuis longtemps, il est fort respecté chez nous. Je crois parfaitement ce qu’il dit. Je m’étonne. Il dit ce qu'il croit & ce qu'il a vu.
Les Anglais honnis, les Français non. L’Empereur compte tout-à-fait sur le Roi de Prusse, moins sur l’Autriche, mais il ne renonce pas. Vous voilà au courant de la Russie. Cela ne me promet pas mon retour à Paris. Le temps est plus doux, et j'en souffre. Le froid m’allait mieux.
Le grand duc Constantin reste à Pétersbourg. Il est ministre de la marine et commande la flotte de la Baltique. Je m'étonne comme vous que les jeunes [Grands Ducs] ne soient pas en Turquie. L'ainé, l'héritier, commande toute l’armée du nord. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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81. Ems le 14 juin 1854

Voilà une longue et bonne lettre de vous, & je ne vous crois plus malade.
J'ai eu des nouvelles de Londres. On accuse fort John Russell d’avoir empêché les arrange ments ministériels sur les quels le public comptait, & on lui en veut fort en conséquence. Sir Ed. Lyons nous a pris [?], & des prisonniers cela est regardé comme une smart affair. On croit là, à Londres, que toutes les forces de terre et de mer vont être employées contre Sévastabol, qu'on ne croit pas imprenable.
Constantin est parti avec le roi jusqu’à Stelin. De là il va pour huit jours à Pétersbourg et revient de suite. Le roi est revenu assez content de son entrevue à Tetschen. L’Autriche n’est pas encore perdue pour nous. Meyendorff a fermé la porte à son beau frère c'est ce qui fait qu’il ne peut pas rester. Gortchakoff le remplace pour le moment.
Nous croyons à la reddition de Silistrie dans 15 jours. Nous n'irons pas cette année au delà de la ligne du Danube. Voilà toutes mes nouvelles. Je suis fatiguée des bains que j’ai commencé & du mauvais temps qui se soutient. Adieu, adieu.
Dites-moi si le petit carré rouge & jaune remplit son but d'af franchir la lettre.

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80. Ems Mardi 13 juin 1854

Votre petit mot de Samedi 10 m'attriste. Il était si court, l'écriture mauvaise, seriez-vous malade ? Il ne manquerait que cela à mes misères. Je vous prie portez-vous bien, & dites le moi dans chacune de vos lettres.
Le duc de Richelieu nous est arrivé hier, très inattendu. Voilà un homme au moins. Tout ce qu’il raconte est sensé, & ressemble à ce que me mandent Molé, Noailles. La disposition à Paris est de la curiosité, pas d'inquiétude. Du contentement, du bien-être de la confiance dans la main qui gouverne, et grande obéissance à sa volonté.
On me mande de Bruxelles que l’Empereur Napoléon a en effet offert à la reine Marie-Amélie de traverser la France. On est là à Bruxelles comme partout, très curieux de la remonter des deux grands souverains Allemands & de la réponse que nous allons faire à Vienne. Elle est sans doute déjà arrivée. Je n’espère rien, je tâche de ne penser à rien, je n’y réussis pas. Je trouve bien pauvres les changements faits dans le ministère anglais. Le Times en est dans une grande colère. Je m'étonne de n’avoir rien de mon correspondant. Hélène est toujours bien touchée de votre souvenir, & la petite honorée et étonnée. Comme elle vous amuserait si vous la connaissiez. Cerini est bien bonne & affectueuse & soigneuss mais elle ne sait rien faire du tout. Perfectly useless.
Adieu. Adieu, nous sommes tous deux bien tristes, mais au moins portons nous bien.

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79 Ems lundi 12 Juin 1854

Voilà votre lettre, aussi triste que je le sens moi même. Des âmes en peine, & qui ne prévoient pas quand elles sortiront de cette peine. Vous avez bien de l’esprit dans la manière dont vous me racontez cela, mais ici votre esprit ni celui de personne n’y pourra quelque chose.
On écrit à Hélène de Pétersbourg, la disgrâce de Meyendorff est publique. Il a été trop vif & cassant, il ne fallait pas se brouiller avec son beau frère. Le Maréchal attend et lambine parce qui il veut savoir d’abord s'il a ou non l’Autriche pour ennui. On trouve l’Empereur d’Autriche ingrat et tartuffe. Tout ce que je vous dis là c'est le public de Pétersbourg qui parle. Je ne sais rien de la cour.
Aujourd'hui il fait beau. Si le temps se soutient ainsi je commencerai un bain demain. Pas une âme de plus à Ems. Nous nous sentons bien perdus & ennuyés. Je n’ai pas le courage d'écrire à mes correspondants, je ne sais que leur dire. Nous voilà bien arrangés vous et moi. Union complète. Adieu. Adieu.

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78. Ems dimanche 11 Juin 1854

Je n’ai pas de lettre aujourd’hui et comme vous me parliez de vos éternuements dans la dernière me voilà inquiète. Je vous en prie ne me donnez pas d'inquiétudes, je ne saurais pas les supporter.
Paul est parti tout à l’heure Il va passer un mois à Aix la Chapelle et puis nous revenir. Il a besoin de ces eaux. Son départ nous laisse sans un seul homme, c.a.d. sans protection. Les mutations qu'on annonce dans le ministère anglais me semblent bonnes. John à la [Chambre] Haute. Cela fera de Palmerston le leader à la [Chambre] basse. Je ne sais ce que sera l’entrevue de l'Empereur] d’Autriche avec le roi de Prusse. Je persiste à douter que l’un ni l’autre passe à l’action contre nous.
Je serais bien curieuse de savoir tout ce qui s’est passé et ce passe à Constantinople. Evidemment Redcliffe est le tout puissant, et peut être faites vous bien de ne pas essayer de lui donner un rival. Il serait battu. Mais enfin comment la France vit-elle là avec l'Angleterre ?
Ni hélène, ni moi n’avons un mot de Russie ou de Berlin. Et comme nous ne connaissons pas ici une âme nous ne savons rien du tout de cette partie du monde.
J'ai eu ce matin une lettre très longue et très sensée du Comte Molé, très amicale aussi. J’aime qu'on se souvienne de moi et qu’on me le dise. Ah combien moi je pense à tout le monde. Mon monde. Hélène est plus que jamais excellente pour moi. Certainement c’est une personne d'un vrai mérite. Beaucoup de coeur et d’une charité, si intelligente & si soutenue. Elle a une bien bonne influence sur mon fils. Vous voyez que je n’ai pas une nouvelle à vous dire, et je ne prévois pas qu’il m’en arrive ici. Je regrette beaucoup mes pratiques de Bruxelles. Adieu. Adieu, je vous prie portez vous bien, et écrivez-moi tous les jours.

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77. Ems samedi le 10 juin 1854

Vos lettres font toujours mon plus grand plaisir. Elles vont être maintenant ma seule ressource. Plus de causerie, personne. Il n’y a pas un chat ici. Le temps est affreux, très froid. Je suis gelée. On ne peut pas se baigner par cette température. Mon voyage m’a fatiguée et j’ai eu une attaque de bile bien désagréable à mon âge, il ne faut plus se déranger. Et combien je vais l’être encore.
Les nouvelles du théâtre de la guerre me paraissent bien confuses. Je ne sais que croire. Je me méfie de nos bulletins. Je n’ai pas grande confiance dans les autres non plus 3 heures. J’étais si triste en vous écrivant tantôt que je n’ai pas que continuer. Je reprends après avoir fait quelques pas à pied. J’ai été chercher un piano et des fleurs, leur vue me ranime un peu. Vous ferez bien de me plaindre.
Je vois dans le journal de Francfort que le Gal. St Arnaud se serait plaint à Paris de l'embarras que lui donne Le Prince Napoléon à cause de la protection publique qu'il accorde à tous les réfugiés & aventuriers politiques. Le journal ajoute qu’après un conseil tenu à St Cloud on aurait promis le rappel du Prince si sa présence nuit aux affaires. Je ne sais ce qu'il y a de vrai là à Bruxelles je n’en avais pas entendu parler. Je n’ai pas eu un bout de lettre de personne depuis mon départ. Adieu.
Voilà la pluie, et du vent, & de froid. Ah c est bien laid ici Adieu. Adieu.

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76 Cologne jeudi le 3 Juin 1854

J’entreprends ce voyage avec une grande tristesse. Jusqu'ici je le faisais assez joyeusement. Espoir de santé, de beau temps, & parfaite certitude de Paris au bout de cela. Maintenant quelle différence. Le temps aussi est affreux, froid, pluvieux du brouillard. " Le ciel n’est pas plus noir que le fond de mon cœur. " Enfin que faire.
J’ai eu encore vos 85 & 86 à Bruxelles hier matin. Tout le monde m’a accompagnée au chemin de fer. Russie, Autriche Prusse, Brunnow. A propos avant hier matin quelques personnes chez moi, autres Kisseleff. Je dis ah ah très haut, il s’approche comme un petit garçon. Princesse je viens vous demander pardon, j’ai eu bien tort, grand tort, je vous prie d'oublier. Monsieur en ce cas c’est oublié & puis de la causerie générale. Et puis il se lève pour partir. Encore veuillez me pardonner, j’ai eu bien tort.
Monsieur, je regrette que vous m’ayez dit cela si tard. Et voilà qui est fini j’étais restée 6 semaines sans apercevoir le bout de son nez & avant vous savez. On rit beaucoup. Il n’est pas possible de se conduire plus sottement. Un petit enfant. Je lui ai trouvé bien mauvais visage.
Je ne sais pas de nouvelle naturellement la lettre de Morny m’a fort attristée. Il n'y a rien à espèrer. Adieu. Adieu. Je ne me sens pas bien un mauvais dîner d'auberge hier me rend malade. Hélène & Olga sont charmantes. Cette petite me charme tout à fait. Paul nous mène à Ems, & nous laisse pour aller à Aix-la-Chapelle. Adieu.

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75 Bruxelles le 5 juin 1854

Je fais mes paquets & mes adieux. & je rentre de l’Eglise où j’ai commencé. Ici cela se passe le lundi de la Pentecôte. Brunnow part jeudi, décidement il reste en l’air pour le moment, il retourne à son petit Darmstadt. Kisseleff part également cette semaine pour Wisbade et puis l’Italie. Ces deux messieurs ne sont pas en bonne odeur à Pétersbourg, surtout dans le public. Creptovitch est ravi d’être débarrassé d'eux. Cela le gênait et l'offusquait. Il ne restera plus un russe à Bruxelles.
Pas de nouvelles. On s’étonne des lenteurs partout. Ceci ne ressemble aux choses qui se passaient jadis. Quand on était en guerre on se battait. Cela a passé de mode. Mais comment viendra la paix ? C'est indevinable. Adieu. Adieu. Je suis triste, et vous aussi. Adieu.

Mardi le 6. Voilà une lettre de Morny, il me dit ceci. " Il va se passer en Orient des événements importants, mais seront ils décisifs ? Si nous croisons décidement le fer nous serons en guerre pour bien longtemps. Je crains bien que votre Empereur ma bonne Princesse ne se repente amèrement d’avoir entrepris ces choses. Je devrais dire, j’espère bien, car je suis Français & bon Français. Si l’Allemagne se joint à nous, Dieu sait quel mal on peut lui faire. Et puis toutes les flottes qui n'osent pas sortir du port même à nombre supérieur, ce n'est pas une preuve de grande force ici de confiance en soi. Maintenant chez nous la confiance a repris. Les fonds ont remonté. On ne s’inquiète plus beaucoup de la guerre, on s’y intéresse voilà tout, et si elle est heureuse on s'en amusera. Il n’y aura plus de raison pour qu’elle finisse. Au fond pour nous et notre Empereur nous y avons gagné une position inespérée que 10 ans de paix n'auraient pas produite. Que Louis Philippe serait jaloux s'il vivait encore. "
La reine Amélie passe aujour d’hui. Le roi ira la trouver à Malines et l’accompagnera à moitié chemin d'Ostende. Elle n’a pas voulu s’arrêter ici ni à Laken. Ma lettre était restée hier je la trouvais bête. Je la trouve bien triste aujourd’hui comme je suis triste. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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73 Bruxelles le 2 juin 1854

C'est bien malheureux que vous ne soyez pas à Paris et que Génie soit un étourdi. Le 3. 6. 9. qui est l'usage pour tout le monde est converti pour moi en 9 absolu. Si cela me garantit l’occupation, de l’autre côté cela m’expose à avoir un Club sur ma tête.
Et la faculté de résilier au bout de 3 ans était au moins une ressource. C’est là ce que je veux obtenir, c'était dans le contrat primitif. Il me semble que j’ai parfaitement raison.
Le 3 juin samedi. J'ai été prise au milieu de ma lettre par une longue visite que j'ai faite à la campagne, en revenant J’ai trouvé un notaire avec le quel j’ai dû m'occuper de cette d... d’affaire de loyer, l'heure de la poste a passé.
C’est de Mardi 6 que vous m’adresserez vos lettres à Ems. Duché de Nassau près Coblence. Jusque là ici.
Je ne relève rien de nouveau quoi que j’ai eu beaucoup de causeries. On vous trouve bien puissants au dehors comme à l’intérieur, et l'esprit de l'Europe est bien changé à votre profit. La paix est possible, mon Empereur doit la vouloir, car les sacrifices pour la guerre sont immenses et les profits pas possibles. L'Angleterre qui voulait nous humilier et nous diminuer a déjà réussi.
Les Allemands ont tout intérêt à amener la paix, et si les Turcs font ce que vous leur demandez pour les Chrétiens, les Grecs y profitent assez pour que l'Emp. puisse dire à son peuple qu'il a obtenu plus même qu’il ne voulait. Et tout le monde serait content. Moi surtout !
On ne croit pas que l’Autriche passe à l’action. On puisse ici comme vous sur la situation de Lord Aberdeen (faible), et de l'Angleterre. L’union entre l'Ang. & la France durera. Je m’occupe de mes paquets. Quel ennui que ces ennuis-là ! Savez-vous que Cerini ne sait ni lire, ni écrire en Français. Mais pas un mot ! Du reste très convenable. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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72. Bruxelles le 31 Mai 1854

Pas de lettre aujourd’hui. Ni de vous, ni de personne. Si cela doit prendre ce train là je serai vraiment bien malheureuse, et pour commencer je ne vous enverrai pas ceci. D’ailleurs je n'ai rien à vous dire. Il n'y a rien absolument rien.
Le 1 Juin. Aujourd’hui deux lettres. A la bonne heure. Il y a toujours tant d’esprit & de good sense dans ce que vous me dites. J'en envoie quelques extraits aujourd’hui au roi de Prusse connaisseur et amateur.
On dit beaucoup que l’armée turque à la Turquie elle même sont dans un état déplorable et l’on doute beaucoup que de ce côté-là on puisse rien entreprendre contre nous cette année. On dit aussi que les querelles d’ambassadeurs à Constantinople ont eu quelque chose dans les Camps. Je ne sais jusqu'à quel point ceci est vrai. On mande de Paris que le camps de St Omer ne sera pris que le 15 juillet, & qu’il ne se composera que de 50 m hommes.
J'ai remis mon départ à mercredi le 7. Génie m’a enfin envoyé le bail, mais avec soumission. C’est trop ennuyeux d’avoir à discuter article par article par lettre. J’aime mieux perdre quelque chose et en avoir fini.
Pas un mot d'Angleterre. Les courses d'Epsom absorbent. On me dit (Ly Allice) que les d'Aumale voient beaucoup de monde. Ils sont tout-à-fait. lancés. Adieu. Adieu. Et Adieu.
Je crois que Cerini me plaira.

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71 Bruxelles le 30 mai 1854

Melle Cerini m’est arrivée hier saine et sauve. Et aujourd’hui j’ai eu votre premier mot du Val Richer. Nous ne sommes guère avancés ici, ici pour la guerre ni pour la paix. Tout ce que vous & d’autres me disent me fait regarder celle-ci comme désespérée. Quand je pense à notre joie le 5 avril, jour de votre départ ! 24 heures d’illusion ! Que vais-je donc devenir si cela dure ? Pas un Russe ne peut rentrer en France pas plus qu’un Français en Russie.
En attendant je me tracasse de ne pas entendre parler de mon bail. Grande bêtise, je ne reverrai peut-être Paris jamais, mais je veux garder mon nid. Vos troupes vont donc garnir Athènes. Rome, Athènes, Constantinople ! Certainement votre Empereur fait très bien ses affaires et nous ne l'y avons pas mal aidé.
Mes habitués commencent à se chagriner de mon prochain départ. Je vais faire vide ici comme à Paris. à quoi cela est-il bon, je n’y ai pas le plus petit plaisir de vanité. Je n’ai plaisir à rien. La guerre m’a complètement démoralisée.
Pas de Montebello, ni de ses nouvelles. Vous verrez qu'il arrivera lorsque je serai partie. Tout va de travers. Je n’ai point de lettre. Constantin me néglige fort. Nous nous querellons un peu. Il est vraiment un peu ... bête. Adieu. Adieu. Hélène parle souvent de vous. Olga est devenue ma grande favorite. Elle m’accompagne à la Cambre & me divertit fort. Très exaltée & spirituelle, et si jolie. Vous savez comme j’ai le culte de la beauté. Adieu

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70. Bruxelles le 29 mai 1854

Deux jours sans lettre après avoir reçu comme testament un petit chiffon de papier. Tout cela est naturel, mais c’est triste.
Je ne sais rien. Nous attendons la reddition de Silistrie. J'en voudrais d’autres encore, autant de gages de plus pour la négociation de la paix. Nous serons plus faciles. Au reste ce n’est plus pour qui nous faisons les difficultés. Elles viendront de l'Angleterre. On me dit qu'il y a quelqu'un de bien plus affamé que moi de la paix, c’est l’Autriche et les connaisseurs ajoutent qu’elle se conduit habilement. Je ne suis pas juge, c’est bien confus & complexe.
Il va se faire en Angleterre un changement qui vexe beaucoup la cour. Un ministre de la guerre, c.a.d. ce département rentrant dans le domaine du parlement. Adieu les plaisirs et les profits de l’arbitraire & de la fantaisie. Le prince Albert ne gouvernera plus cela.
On a trouvé l'armée anglaise si rouillée, la vieille routine, pour accostement tenu & & cela comparé à l'allure vive & leste de votre soldat faisant un contraste si fâcheux qu’on est décidé à changer tout cela.
Palmerston sera Ministre de la guerre, cela lui revient très naturellement. Mais je répète c’est un gros, échec à la cour, à la personne du Prince, et à l’autorité de la Couronne. Pas un mot de mon bail. Pas un mot de personne. Adieu. Adieu.

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69. Bruxelles le 28 mai 1854

Je n’aurai pas de lettre aujour d'hui, cela me désole. Génie ne m’a pas écrit un mot. Vous ne m'avez pas dit non plus où en est mon affaire. Voilà huit jours de perdus pour quelque chose qui peut être réglé dans un quart-d’heure. Cela m'impatiente de ne pas être à Paris pour faire moi-même mes affaires. Puisque j’ai tout accepté, il n’y a pas de quoi lambiner. Je voudrais que ce fut fait et signé cette semaine. Je pars Mardi de l’autre.
Il n’est venu aucune nouvelle. Moi je n’ai pas de lettre, & je n’ai pas de nouvelle invention en tête. Je trouve seulement que tout s'embrouille davantage de jour en jour. Brunnow le trouve plus que moi encore. Il est très frondeur, je serais même étonné que dans cette disposition qui dit être comme chez nous, on lui donnât un poste important. Ah que je m'impatiente de tout. Cette maudite guerre ! Demain Melle Cerini m’arrive. Voyons comment je pourrai m'acclimater à elle ? Adieu. Adieu.
Comme vous êtes loin !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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68. Bruxelles le 27 mai 1854

Très vilain petit mot de Paris. Vilain, car il était si court. Et j'aurai eu besoin de distraction. Je suis fort ennuyée d'un vol fait chez moi, quelques lettres pas compromettantes car je serais comme disait de moi Dumon une personne dé-compromettante, mais des lettres d’autres personnes pas aussi bien pensantes que moi p. e. ce bon neveu qui me conseille de lire la [? ?] et de faire de la charpie. Tout juste cette lettre est dans le paquet perdu avec je ne sais quoi encore. Pas de remède mais une leçon de prudence. Je n'ai rien vu ni su depuis hier. Mad. Sebach babille. L’Empereur a été très gracieux pour elle. Persigny aussi. Mais elle étouffe à Paris car elle est très orthodoxe, et je suis bien en défaut disant toutes ces exaltations. En général les Russes se méfient un peu de moi. Je suis cependant très fidèle, mais trop française pour eux. I cannot help it.
Les diplomates mandent de Pétersbourg que nous faisons beaucoup la cour aux Etats- Unis, & que nous sommes fort contents d'eux. Au mois de juillet nous aurons un million 300 mille hommes sous les armes. Les particuliers donnent le 10ème de leur revenu dans tout l’Empire. Hélène en est pour 250 mille Francs par an. Tout cela c’est bien des sacrifices. La cour est allé s’établir à Peterhof et espère bien y voir venir les flottes alliées. Voilà le ton.
Adieu. Adieu.
Génie ne me dit pas un mot. Je ne sais pas même ce que Rothschild a dit de ma lettre, à ce train mon affaire n'ira pas vite, & elle est cependant bien simple. Puisque je paie qu'on m'envoie donc mon bail. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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67 Bruxelles le 27 mai 1854

Comme il y a toujours de l’esprit dans vos lettres vos observations sur M. de Stahl sont charmantes. L'ascension qui nous relève les journaux ne nous laisse que des commérages. Hier Paskevitch avait passé le Danube. Silistrie allait toucher dans quatre jours. Je ne crois à aucune nouvelle. On ment de tous côtés. La Grande Duchesse Olga est revenue à Stuttgart on y arrive aujourd’hui. Elle a laissé l’Empereur rétabli. Tout le monde confiant et charmé de l’occasion de secouer la Russie et de montrer à l’Europe ce que nous sommes. Ah que je me serais passée de cette exhibition !
Ce qu'il y a de triste dans cette maudite affaire c’est que l’Europe entière ne nous fera pas fléchir. Nous ne sommes pas assez civilisés pour cela.
Greville compte sur des révolutions de palais ou autre. Cela ne sera pas. La force & la puissance de l’Empereur sont dans sa résistance à l'ennemi. Toute la nation l'appuie. Il n’y aurait de danger pour lui que s’il voulait céder quel malheur d’être encore des barbares.
Le temps est affreux, je n'ose pas sortir et j’ai tout le temps imaginable pour m'ennuyer. Si mes yeux me permettaient de lire !
Adieu. Adieu, je n'ai rien à vous envoyer qu’adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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65. Bruxelles le 24 mai 1854
Jeudi

Brockhausen est revenu hier de Paris. Enivré de Paris, malheureux de retrouver Bruxelles. Il dit qu'on sait bien moins là qu'ici. Je suis dans mon lit aujourd’hui c’est bien ennuyeux, j’espère que ce n’est pas dangereux. Redcliffe a fait ses embarras. Il n’a pas voulu aller au dîner donné pour le prince Français, Raglan non plus, c’est drôle. Les spectateurs trouvent cela un singulier début pour l’action commune.
Il y a des gens qui prétendent qu'il y a quelques nuages entre Paris et Londres, c’est des mauvaises langues.
Quelle misère d’aller nous trouver vous en Normandie, moi en Nassau. Ce pauvre Constantin me conseillait l’autre jour de penser comme la Grande Duchesse de Weimar qui dit que le bon Dieu n’aurait pas fait autre ment que l’[Empereur] son frère, j’ai répondu que c’était bon pour un orthodoxe de le croire, mais que moi j’étais Luthérienne, et je crois au bon Dieu plus d'esprit que cela. J'ai été prise d’un accès de sommeil après une nuit blanche, et voilà qu'il est tard. Je suis obligée de fermer ma lettre. Je viens d'en recevoir une de Greville un peu bête. Evidemment l’intéressant il ne veut pas me le dire. Adieu. Adieu.
N'oubliez pas de me donner l’adresse de Génie.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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64. Bruxelles le 23 Mai 1854
Mardi

Je vous remercie d’avoir remis mon affaire entre les mains de Génie. Il traitera fort bien avec Rothschild et cela pourra aller vite. Mais reverrai-je jamais mon appartement ? D’abord la paix, quand viendra-t-elle ? & ma santé qui s’en va au grand galop. J’ai tous les jours quelque mal nouveau. Maintenant mal à la poitrine, hier névralgie à la tête. C'est une misère. Je crois le climat de Bruxelles bien mauvais. Quelle est l’adresse de Génie ? J'ai lu des choses curieuses. Il paraît que la faction allemande est débordée à Pétersbourg. Et nos agents diplomatiques sont tous allemands. En Autriche, Prusse, Danemark, Brunnow est à Vienne. Tout cela est pour la paix et la prêche. On dit même que Paskevitch aurait dit : "Je ne sais pas pourquoi je vais faire la guerre." Et bien tout cela n'a pas cours chez nous. Je commence à croire que le petit Grand Duc Constantin gouverne.
Comme vous voyez beaucoup Mad. Mollien depuis quelques temps je suis devenue jalouse et j’ai demandé ce qu’elle était. De bonnes manières, je le sais je la connais, mais après on me dit qu’elle est très ennuyeuse, de la prétention, de l’affectation de la flatterie & des phrases. Cela ne vous va pas il me semble et je me rassure. C'est bien long toute une journée avec elle.
Le ministre Belge chez nous raconte Odessa comme nous l’avons raconté nous-même. Pas une grosse affaire, pas grand dommage à la ville même point, et celui fait à vos vaisseaux c’est les 4 canons de notre petit lieutenant d’artillerie qui l’a causé. Tout cela est donc peu de chose. Les préparatifs à Cronstadt, Sveaborg et surtout Pétersbourg formidables, & même exagérés. La Finlande très dévouée. La Suède pas de danger qu’elle tourne contre nous. Vienne l'hiver & elle aurait tout à craindre de notre part. Elle ne peut pas s'y exposer. Levorin, Courlande, Estonie, les plus affectionnées provinces de l’Empire. Enfin nous sommes en pleine confiance. Ai-je raison de dire que nous sommes très mal à l'aise, mais pas ridicules ?
Comme je suis triste de penser que vous allez être si loin. Et que moi je m'éloignerai à mon tour. Quel espace entre nous ! Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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62. Bruxelles le 20 Mai 1854

Vous aurez eu mon N°60 plus tard car je n’ai pas manqué un jour de vous écrire. Je remets ceci à votre petit ami. Je l’attends car hier je n’ai pas pu causer avec lui.
Ici on croit tout-à-fait que l’Autriche passera à l’action. Le roi Léopold répète que la guerre ne peut pas durer. Je voudrais bien savoir comment elle peut finir ?
Evidemment même d’après la lettre de la Grande Duchesse, l'Empereur est abattu mais autour de lui c’est toujours de l'encens, de l’exaltation, et il a vraiment tellement échauffé les têtes qu’une pauvre paix pourrait lui coûter cher. Greville m'écrit encore charmé de l’Autriche et sur d’elle, très mécontent de la Prusse mais trouvant sa fidélité à nous très naturelle. L'armée prussienne est tout à fait dans le sens Russe. Je suis curieuse de la Suède. Je flaire la défection.
Je vois beaucoup Brunnow. et je lui trouve beaucoup d’esprit. Son grand régal est quand je lui montre une de vos lettres. Il dévore Cromwell. Pour Kisseleff c’est comme s’il était en Chine. Fini tout-à-fait. Cela devait être, je l’avais trop bien traité pour qu'une désertion tion peut être supportée par lui.
En Angleterre on voudrait toujours chasser ces deux messieurs de Bruxelles. à Paris leur présence ici n'incommode pas du tout. Je suppose qu'on la trouve évidente ce qu’elle est en effet. Cela ne pourra pas durer. Le corps diplomatique ici est fâché de leur présence. La cour ne veut pas donner de dîners craignant autant de les inviter que de les exclure. Depuis février personne n’a vu le roi. Van Praet ici est toujours bien fidèle et bien agréable. Infaillible, tous les soirs. C’est lundi matin que Brockhausen quitte Paris si vous savez quelque chose vous savez où le trouver Hotel de Londres rue Castiglione. Adieu. Adieu.
Voterez vous pour Fortoul ? J'ai été charmée de l’Evêque d’Orléans & de M. de Sacy. Génie porte ma lettre à Rothschild Il la trouve très bien, mais il se concertera d’abord avec vous. Si vous ne trouvez pas l’intermédiaire bien laissez cela, mais envoyez simplement ma lettre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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58. Bruxelles le 16 mai 1854

Je n’ai rien eu hier le 66 manque. N’ayant rien d’autre part & rien à dire je ne vous ai pas écrit. Aujourd’hui voici le 67. Qu’est encore devenu l’autre ?
Je n’ai pas besoin de vous demander ce que vous aurez dit de la lettre de l’Empereur à Osten Saken !!
C’est inquiétant. L'Autriche a fait une démarche chez nous. Si nous passons Les Balkans, elle nous attaque. La forme donnée à cet avertissement est tel, dit-on, qu'il pourrait servir de base à une négociation quand on voudra négocier. Mais quand voudra-t-on ? La Prusse a été d’avis de ce que je vous dis là, cela prouve que ce n’est pas mauvais.
La fugue du Prince de Prusse produit un prodigieux effet et a fait cela bien légèrement. C’est après demain que les grands allemands communiqueront leur traité aux petits à Francfort. Les 4 royaumes sont très russes c.a.d. les rois, pas le public. Ils adhéreront, il le faudra bien. Cette Grèce est une grande complication. La Bavière est très animée pour le roi Othon. Je m’intéresse à cause de vous au procès des assassins de Rossi. Je vois qu’ils sont condamnés. Si vous voyez Mlle Cerini dites-lui que je n’ai besoin d’elle que depuis le 1er juin. Non qu’elle ne me soit agréable avant, mais il pourrait peut- être lui convenir de traîner jusque là. J'espère qu’elle sait faire la lecture. J’ai plus que jamais besoin de cela, mes yeux me tracassent, & mon foie, & ma toux. Tout plein de petits maux. Ils finiront avec la guerre. Finira-t-elle ?
Le roi Léopold est convaincu de la paix en automne. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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56. Bruxelles le 13 mai 1854

Je n’avais pas eu de lettre hier, il en est venu deux aujourd’hui. De mon côté, je ne vous ai pas écrit n’ayant vraiment rien à vous dire. De longue lettres de Greville pas grand chose de neuf. Très sûr que l’Autriche marchera avec, & que la Prusse ne le fera pas. Se vantant du forbearance à Odessa. La flotte n’a pas été contente, elle aurait voulu plus Le Havre. Hamelin a été plus que Dundas opposé à ce qu’on devastat la ville. Ici on est très convaincu que l’Autriche marchera avec les alliés. Ce que l’Autriche ne supportera pas c'est la révolution à ses portes, & c’est pour cela qu’elle irait occuper là Bosnie & la Grèce. Montebello m’a écrit il y a huit jours qu’il viendrait après le 15. J’ai donc le droit d’y compter & je viens de m'en rappeler.
Je recommence à maigrir. Cela prouve déclin dans la santé. Le temps est meilleur et le bois de la Cambre charmant, les oiseaux chantent. Mais ce n’est pas vous. [Boldingue] est ici venant de Stuttgart. Le roi de [Wurtemberg]. nous est très fidèle.
Voilà, je n’ai plus rien. Les russes ici m'impatientent un peu. Pleins d’assurance, à la bonne heure, mais je ne sais pas comprendre. Adieu. Adieu.

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55. Bruxelles le 11 mai 1854

Quelle curieuse lettre que la vôtre ! Charlemagne. J’ai envie de l'envoyer, mais de la savourer d’abord.
Berlin a été dramatique. Bonin renvoyé sans préface et pour un discours tenu. il y a 5 semaines dans la commission de la Chambre où il disait que se joindre à la Russie serait un Parricide, crime pour lequel les romains n’avaient pas trouvé de punition. Étrange comparaison. C’est égal, il en porte aujourd'hui la peine. Cela a fait une sensation immense. Le prince de Prusse est parti sur le champ pour Bade, sans dire Adieu au Roi, & se démettant de son commandement sur le Rhin, voilà ce que le télégraphe mandait hier soir.
On dit que Manteuffel veut quitter aussi, le Prince lui a fait les plus vifs reproches d’avoir permis le renvoi de Bonin. Il paraît qu’à Vienne comme à Berlin on rêve toujours aux moyens d’arriver à la paix. Mais comment ? A présent c’est impossible. Adieu. Adieu, voilà du monde.

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54 Bruxelles le 10 mai 1854

Je ne trouve vraiment rien à vous dire. Nous attendons les corps dans la Baltique. En Prusse toujours les derniers efforts pour rester à la fois, bien avec la Russie, et bien avec les alliés nos ennemis. Comment cela pourra-t-il aller ?
J'ai eu une longue lettre d’Ellice. On est mécontent de Gladstone & il ne croyait pas que sa demande d’argent avant hier peut-être aussi bien reçue que la première.
Il est très alliance française. Qui ne l’est pas aujourd’hui en Angleterre ? Le pauvre Meyendorff est bien malade, s'il reste encore un peu de temps à son poste. mourra. Que de victimes de cette maudite guerre, ce n’est pas le canon seul qui tue. Je suis retournée hier au bois de la Cambre pour la première fois depuis 3 semaines. Il est vert, charmant. En revenant un violent orage. Le roi de Portugal s’annonce entre Londres & Paris, ou après les deux.
Vous voyez que je n’ai pas de nouvelles. Décidément Seymour m’a fait dire que c'était de peur de rencontrer Brunnow ou Kisseleff qu'il n’est pas venu. Je crois que je me répète. Adieu. Adieu.

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53. Bruxelles le 9 mai 1854

J’ai lu une lettre d’un homme d’affaires d’Odessa qui rend compte ici à une dame russe de ce qui s’est passé à Odessa. Le palais de cette dame à côté de celui de Woronzoff n’a pas souffert. Woronzoff un peu endommagé pas beaucoup. Les vaisseaux du port marchand brûlés, une batterie détruite, une poudrière sautée. Une femme tué par un boulet au milieu d'une place. Voilà tout. La lettre est du 28 avril. Les flottes étaient parties depuis deux jours. Le rapport d'Osten Saken parle d'une descente de 1800 hommes repoussés avec perte. Vos rapports n'en parlent pas du tout. Vous voyez qu’au bout du compte ce n’est ni très gros ni très nul. Le conseil de Belgique dit exacte ment la même chose. En fait de vaisseaux étrangers 3 grecs 3 Sardes, & un autrichien brûlés. Bronkers était ici hier soir et m’a compté les détails. Rothschild est reparti. Je n’ai pas un bout de lettre de Paris ni d’autre part.
Vous voyez que les voyages de Bruxelles vous font mieux que ceux du Val Richer. Vous n'êtes pas fatigué en venant ici. Je vous porte bien envie d’avoir un coin et un joli coin à vous. Toute ma vie j’ai désiré cela. J'ai de quoi payer le coin, mais pourra-t-il me plaire si je n’ai pas de quoi le peupler ? Vous ne savez pas comme je jouis d’un brin d’herbe, mais comme j’ai besoin de le dire ! Adieu. Adieu.

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52. Bruxelles Lundi le 8 mai 1854

C'est bien triste deux jours sans nouvelles de vous ! Je n'ai de lettres de personne non plus de sorte que je vis du Moniteur et du Journal des Débats devenu très bon courtisan.
Rothschild est arrivé hier pour quelques heures. Il est guerroyant et croit à la durée de la guerre. Il dit que c’est une expérience à faire mais que jusqu’ici loin d’être ruineuse elle profite à l’industrie du pays. Toutes les actions de chemin de fer montent. L'augmentation de l’armée fait marcher les fabriques. Enfin il est très content et confiant et croit que la guerre ne peut être mauvaise qu’à la Russie. Je suis un peu de son avis.
On m'envoie nos bulletins sur Odessa, je pense que vos journaux n'oseront pas les publier. La prétendue insulte au parlementaire est une fausseté, on n’a pas tiré sur lui, mais sur une frégate qui avait voulu s’approcher après le départ du parlementaire. Le récit de l’affaire ressemble assez à ce que vous dites. Quelques ouvrages détruits, quelques maisons de commerce brûlées. La ville épar gnée. Au fond cela n’a été ni très brillant pour vous, ni très désastreux pour nous. La perte d’hommes insignifiante, 4 tués, 45 blessés.
Rothschild est convaincu que l’Autriche nous fera la guerre ; & la Prusse aussi plus tard. Le temps est affreux et l'ennui est grand. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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51 Bruxelles le 8 mai 1854
Dimanche

Voilà le 58 retrouvé, il vient de m'arriver mais sans le timbre de Paris. Je me trompe, le timbre y est, mais du 6 au lieu du 4 qui est la date de la lettre, il y aura eu négligence chez vous.
On ne sait rien ici. L'emprunt à Londres ne réussit pas. Il y a beaucoup de faillite dans la cité, tout cela peut servir la paix. Je ne sais que penser d'Odessa. Pourquoi ne donne t-on pas le rapport de l’amiral Hamelin ? C’est évidemment tronqué. Nous allons voir la version Russe. Car encore faut il écouter tout le monde. Meyendorff disait le Palais Woronzoff & la statue du duc de Richelieu détruits. Clarendon annonce que les flottes sont allées à Sevastopol.
Avez-vous remarqué dans l’Indépendance qu’on avait trouvé à Vienne Hubner trop anti russe ? Les lettres le disent bien plus encore que les journaux. Je pense qu'il va bientôt revenir et qu’il passera par Bruxelles. Je n’ai vraiment rien à vous dire mais je pense qu’il vous faut un papier vert au Val Richer. Avez-vous chanté, avez vous froid ? Ici il continue à faire très laid. Il y a quinze jours que je n’ai vu le bois de la Cambre. Adieu. Adieu.
M. de Lazaroff à Masa. Cela divertit toute la Colonie russe. It serves him right. La sortie de M. Bonin du Ministère prussien nous débarrasse du dernier ministre anti russe.

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50 Bruxelles samedi 6 mai 1854

Je vous écris encore de mon lit et avant la poste. Je suis dans la plus vive attente de cette poste. Il me faut une lettre, car j’ai passé hier toute la journée dans l’inquiétude.
Pas de nouvelles ici. Le silence du Moniteur sur Odessa étonne. Il y a à Londres beaucoup de faillites cela commence à inquiéter l'insurrection grecque va mal, et l’intervention anglo-franco-autrichien va sans doute l'achever. Car cette intervention parait résolue.
La légion populaire se forme. On recrute partout, & Adam Czartoryski mène tout cela successfully.
Seymour est reparti sans venir me voir. Il a eu peur de rencontrer l'un de nos ministres. Je vous ai dit que son langage sur l’Empereur était trés bon. Il ne trouve pas que son gouvernement fasse assez de cas de lui, le public le comble, mais il n’y a aucun profit à ces démonstrations.
Voilà votre lettre d’hier le 59. Pas de 58. Qu’est-il devenu ? Où le réclamer ? Que concluait-il ? Vous en souvenez-vous, pourriez-vous recommencer, ou du moins vous souvenir un peu ? C’est le jeudi 4 qui me manque. Celui-ci est bien court, & vous voilà bien loin. Cet éloignement me désole. Se parler & se répondre dans 48 heures c’est encore charmant quand on n’a pas mieux.
Mlle Cerini (c’est bien cela famille Italienne de Florence) est repartie ce matin. Nos arrangements sont faits. Elle est tout ce que vous me dites d'elle reste à m’accoutumer à elle et à oublier Marion, ce qui est bien difficile. Elle viendra for good vers le 25 de ce mois. Je compte aller le 6 juin à Ems. Ce sera avec une grande tristesse. M'éloigner de vous encore davantage, c’est à pleurer ! Le Moniteur de ce matin est encore maigre sur Odessa. Il y reste au 22. Je suis curieuse de votre relation, et enfin, de la fin. Brockhausen deux fois le jour, Van Praet une, les Creptovitch, Brunnow souvent, Labensky, voilà sur quoi je roule. La petite Olga me plait bien, elle lit & m’amuse. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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49. Bruxelles Vendredi 5 mai 1854

Point de lettre ce matin. Pourquoi ? Je m’étonne, je m'inquiète, je m'effraye. Voilà les degrés. Ma journée va être gâtée. C'est si charmant d’être sûr de son plaisir tous les matins.
Une longue lettre de Londres. Mais rien de nouveau. Le duc de Cambridge a rendu compte à Clarendon d'une longue audience auprès de l’Empereur d’Autriche, très satisfaisante pour la politique anglaise. On augmente les forces de terre et de mer, cela est encore populaire. On ne se dégraisse qu’à la fin de l’été si la campagne est stérile. Il parait que vos canons ont fait des dégâts dans la ville d’Odessa. Le palais Woonsore vraiment brûlé. Lui le plus anglomane des hommes. Et boudé par le fait de son propre neveu Sidney Herbert Ministre de la guerre. Seymour retourne à Londres aujourd’hui ; il n’est pas venu me voir quoi qu'il se soit fait annoncer. Je vous ai dit qu’il parle de l’Empereur très bien, de ses serviteurs très mal.
Brunnow a appris qu’on tracasse, et qu'on s’inquiète à Londres de son séjour ici. Il a dit : " si cela continue je prendrai une maison, & si cela continue encore après, je prendrai une maîtresse."
Je vous ai dit que tous les consuls sont rappelés respectivement de partout. Nous avons renvoyé assez rudement les Anglais, très grande politesse pour les Français.
Les vraies nouvelles d'Odessa manquent encore. Le silence du Moniteur est curieux.
Melle Cérini réussit. Cela sera réglé dans la journée. Mais où est ma lettre ? Je ne pense qu’à cela, et en voilà jusqu’à demain matin. C'est bien long. Ah que vous m'êtes nécessaire et cher. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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48. Bruxelles le 4 mai 1854

J’ai retrouvé quatre de vos lettres commencement de l'année dernière, de juillet. Admirable de jugement, de prévision, et d’actualité comme on dit. Tout ce que vous annoncez s’est fait et se fait. C’est vraiment bien curieux. J'en ai régalé Brunnow qui entre pétrifié. Vous connaissiez l'Angleterre mieux que lui. [?] auquel j’ai donné aussi la joie de lire cela, dit, qu’il vaut bien la peine de rester en exil quand on reçoit de pareilles lettres. Elles sont vraiment frappantes.
Mlle de Cérini est arrivée hier, elle est tout ce que vous me dites et la première vue lui a été toute favorable. Nous verrons. J’apprends de bonne source de Londres qu’on est inquiet de se voir si dégarni de troupes. Il ne reste plus rien. Tout cela s'est fait bien à la légère ; on accuse Palmerston d’avoir poussé à la guerre. La cour lui en veut. On appelle la milice pour avoir une force armée quelconque. En Prusse, haine énorme contre l'Angleterre, le roi, enragé. Il voulait mettre Bunsen sous jugement, des fureurs. Il est très ferme dans son amitié pour nous. Le parti opposé est cependant bien fort.
Manteuffel donne la nouvelle que dans l’attaque sur Odessa, on a démonté deux de nos pièces, brûlé 4 vaisseaux anglais, 3 Français un prussien, après quoi et avec quelques dommages à ses propres navires la flotte alliée a pris le large. Si tout cela est vrai voilà une expédition peu glorieuse. J’attends avec curiosité ce Moniteur. Et les nouvelles étrangères. Adieu. Adieu.
Demain je vous écrirai au Val Richer. C’est ennuyeux de vous voir vous éloigner. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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47 Bruxelles le 3 mai 1854

Constantin me mande en date d’avant hier qu'en Asie nous allons avancer en Arménie et assiéger Kars. De ce côté-ci nous mettons le siège devant Silistrie tout en conser vant notre position dans la [?] Nous évacuons toute la petite Valachie par égard pour l’Autriche et parce que militairement cette occupation n’est qu’une charge. En juin, nous aurons 700.000 hommes d’infanterie, le reste à l’avenant. Sur lesquels 200.000 en Pologne. [...]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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46 Bruxelles le 2 mai 1854

Je commence par reprendre les chevaux blancs et les acclamations à Bourguenay. J'avais la France pour Fiancée c'est un peu différent. Mauvais griffonnage & des mauvais yeux. C’est très ridicule de vous avoir mandé cela & nous en avons bien ri le soir. Ensuite bonne nouvelle pour moi. Le médecin d'ici a de son propre mouvement (pas trop propre soit dit bien entre nous) renoncé complètement à Spa pour sa malade. & c’est à Ems que nous allons tous. Si vous n'avez rien fait ne faites rien. Si c’est fait tant mieux cela confirme. Merci, pardon, & surtout merci.
Sir H. Seymour est ici. Il parle très bien de mon Empereur, très mal de tous ses serviteurs. Pour lui plaire on le trompe, et il ne s’étonne que d'une chose c’est qu’il ne soit pas trompé davantage. Il ne veut voir aucun Russe ici excepté moi. Il y a recrudescence d’irritation. Chez nous l’approche du danger excite à ce sentiment. Meyendorff a demandé à Bual si l'évacuation de la petite Valachie ne produisait pas une bonne impression sur son cabinet. Pas le moins du monde. On ne sera satisfait que de la retraite absolu des [Principautés]. J'ai beaucoup écrit hier à Pétersbourg pour le courrier de Hatzfeld qui devait passer cette nuit. Brockhausen m’a dit que ce ne serait que la nuit prochaine. C’est ennuyeux. Brunnow vient de louer ici une maison, il se lance dans le monde. Hier deux heures de tête-à-tête avec lui. C’est drôle ! Si intime avec Brunnow et brouillé avec [Kisseleff] car c'est fini, il ne revient plus. Adieu. Adieu.
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