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199. Bruxelles, Mercredi 27 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vous savez mon bonheur, mon passeport & séjour sans terme. Après ma joie je pense à la vôtre. Mais tout de suite après je songe avec effroi aux tribulations qui s’attendent bien loin. Cela sera rude à traverser ! Il me faut quelques jours d’arrangements ici et surtout à Paris. Je vous tiendrai informé du moment, dans ce moment. J’ai la tête pleine, je n’en puis plus. Ecrivez-moi. Je trouve le discours modéré et très convenable. Adieu. Adieu.
198. Bruxelles, Mardi 26 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’attends, j’attends et j’attends après avoir dit cela je ne sais plus que dire. Je n'ai jamais manqué de vous écrire que le 20 et le 22.
Je ne sais rien. On croit que Gortchakoff, & les Occidentaux y se rencontreront par hasard et entameront un peu de parlage. De conférences, il n'en est pas question. Tout cela marche aussi pauvrement, aussi gauchement qu’a marché toute l’affaire. Et a propos de cela il me parait que la mienne y ressemble comme deux gouttes d’eau. Chaque pas m'enfonce & me recule. Je fais ce qu'on me conseille de faire. Je n’ai plus ma liberté de jugement. Je ne comprends rien. P. 2. Vous me dites que vous avez lu. Qu'avez-vous pu lire ? Je ne m'en fais pas une idée. Des soupçons oui, mais des faits ? L'Anglais est bien l'animal le plus soupçonneux de la terre.
Je suis curieuse du discours d'aujourd’hui si je suis encore curieuse d’autre chose que de moi. Adieu. Vous et moi nous nous impatientons bien, à quoi sert d’avoir de l’esprit. Adieu. Adieu.
La codéine me gâterait l’estomac dit le Médecin et c’est toujours la partie faible. Remarquez que mes insomnies c’est ma tête. Chez vos filles c’était autre chose. Guérissez ma tête. Adieu. Adieu.
197. Bruxelles, Lundi 25 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Il est superflu sans doute de vous recommander de ne pas dire que j’ai écrit directement. Mais j’aime mieux cependant vous faire souvenir, que ce fait s’il venait à être comme plus loin ne me serait jamais pardonné. Et tous les commérages font leur chemin. Je mène une vie bien triste. Van Praet est maintenant entraîné dans des dîners, il ne vient pas tous les soirs. Quand il ne vient pas, je reste seule. Concevez-vous ce supplice pour moi. Hier, j’ai pris le bras d’Emilie pour faire le tour de mon salon, car je ne marche plus sans un bras. Cerini était en soirée, elle y est beaucoup. Elle ne m’est vraiment bonne à rien. Elle ne s’en doute pas.
Il me prend des révoltes de cœur, de raison. Comment suis-je abandonnée ainsi. Comment ai-je mérité d’être traitée aussi. Les événements du jour ne me touchent plus. Comme ils ne mènent pas à la paix, je ne saurais m’y intéresser. Ainsi tout ce qui vous anime à Paris est bien peu de chose pour moi. J’ai pitié de moi-même & je me répète plus souvent ce que je vous ai dit une fois. il serait plus simple de mourir.
Adieu. Adieu.
196. Bruxelles, Dimanche 24 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Il faudra donc finir cette année & commencer l’autre dans l’exil. Jamais je n’aurais cru cela possible, ni possible de le supporter. et je vis encore. Je ne parviens pas à fixer mon attention sur ce qui se passe, quoique ce soit bien grand, bien terrible. Je pense cependant beaucoup à l’Impératrice. On me dit qu'à Berlin, cette préoccupation domine tout à fait la politique. On ne s’inquiète que des bulletins. de Patchina. Le retour des grands ducs me parait une mesure extrême et qui prouve le danger où l’on croit leur mère J’ai vu hier quelqu’un arrivant de Vienne. Tout à la guerre et les préparatifs formidables. Le public très mécontent, très russe. Gortchakoff inquiète. Il y a des gens qui croient qu'il est ou qu'il va devenir fou. C’est très possible tel que je le connais. Et j’ai toujours trouvé qu'on avait fait là un choix malheureux.
De bien grands éloges de Bourqueney, mon rapporteur l’a vu et beaucoup cause avec lui. Tous les jours je me persuade davantage de notre ardent désir de la paix, mais de l'humiliation, nous ne l'endurerons pas. Je le répète, nous ne sommes pas battus. Je vais toujours mal, & pas de sommeil. Quand je cause, je m'anime, mais hors de là je tombe.
Ah si j’avais Marion. Cerini, ou rien, c’est tout un. Adieu. Adieu.
195. Bruxelles, Samedi 23 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Très malade hier. Aujourd’hui. un peu mieux, parce qu’après 3 nuits d'insomnie j’ai un peu dormi, j’ai écrit directement. puisque M. le recommandait. J’ai cru au fond que c’était plus sûr. J’ai conjuré de n'en garder le secret.
" On m’envoie tous les jours le bulletin sur l’Impératrice. Elle va mieux mais l’inquiétude n’a pas cessé. L'Emp. fait revenir ses fils, on le lui a annoncé avant-hier. C’est la comtesse Brandsburg qui me transmet tout cela. Je n’ai pas encore écrit un mot à Constantin. J’ai eu hier de lui une lettre où il emplore son pardon. A la bonne heure. Les nouvelles diplomatiques sont mauvaises. Cette affaire n’ira pas. Comment voulez-vous que nous souffrions qu'on nous parle de Sébastopol ? Qu'on le prenne d’abord, mais on ne peut pas nous demander de nous reconnaitre vaincus quand nous ne le sommes pas. Je doute qu'il y ait même le semblant d'une conférence. La démarche de la Prusse à Londres et à Paris restera parfaitement stérile. Cela ne mène à rien. Je vous prie continuez vos lettres, elles sont ma seule consolation. Je suis bien malade mais je serais encore en état d’aller trouver Andral. Adieu. Adieu.
194. Bruxelles, Mercredi 20 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le Prince Gortchakoff a reçu des pleins pouvoirs pour traiter. sur les trois premiers points pas d'objections, sur le quatrième, révision du traité. Si l'on élève les prétentions de la dépêche de M. Drouin de Luys. Il se retire de la conférence. Décidément nous ne céderons pas sur ce point. Nous tenons Sébastopol, qu'on nous le prenne. Meyendorff est très péremptoire sur ce point, aussi, pas de commission de cette nature-là.
La vive opposition au Foreign unlistement bill provient. de ce qu’on croit que le Prince Albert y a le doit dans l’intérêt des Allemands. C’est très impopulaire. Jeudi 21. Je n’ai pas pu continuer hier, je me suis trouvé mal. L'heure de la poste a passé. Je n’ai pas encore écrit. Je flotte entre le direct & l’indirect dirait, ce sera sans doute celui-ci.
Avez-vous lu le Times du 18 ? La correspondance de l’armée. Quel était pitoyable, quel tableau il en fait. Cholera, dénuement, dans l’armée anglaise. misères de tout sortes ! C’est très curieux à lire tâchez de l’avoir. Cela vaut la peine que vous y prendrez. Kisseleff est très malade. comme moi. Cet atroce climat.
Le général Osten Sacken est mort en Crimée à la tête de 36 m grenadiers, corps d’élite après la garde impériale. Je ne vois pas que les opérations avancent. Le Times dit que le Choléra enlève tous les jours 80 hommes dans l’armée anglaise. Adieu, je suis très faible depuis 3 jours dans mon lit. La[ ?] m’y a laissé hier. Adieu. Adieu. Flahaut arrive à Paris demain. Voyez-le et parlez lui de moi. Et puis parlez moi de lui. Tous vos numéros m’arrivent régulièrement.
193. Bruxelles, Mardi 19 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je n’ai pas été en état hier de traiter une ligne votre lettre de Samedi m’avait bouleversée. Elle m’a donné mes attaques de bile des plus violentes. J’ai passé hier tout le jour dans mon lit. J'y suis encore aujourd’hui. mais mieux que hier. Ces secousses ne me vont plus. Que puis-je vous dire ? Mon esprit et mon courage m’abandonnent. Tout ce que je perds de ce côté-là, je le gagne en tendresse de cœur, et mon cœur déborde, et mess yeux pleurent. J'écrirai peut-être à l'Empereur. Ce sera mes résolution soudaine, car par réflexion je ne le ferais pas.
Je me suis fait lire votre discours, très beau, mais la fin n’a pas été de mon goût Nous avons sur certaines choses des gouts différents, et j’ai trouvé le moment mal[ ?]. La Prusse ne se joindra pas encore à l’alliance. C’est le plaisir de trainer, car il faudra bien qu’elle y arrive. Je ne puis pas continuer. Je suis trop faible. Adieu.
233. Paris, Jeudi 21 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Montebello n’est pas venu hier me parler de sa visite. Je présume qu’il en sera sorti trop tard, et je compte qu’il viendra aujourd’hui dans la matinée. Votre lettre d’hier me montre que la résolution d’agir directement peut vous venir tout à coup. Vous aurez vu que j'étais de votre premier avis, et que les moyens indirects me semblaient devoir suffire. Vous me direz sans doute aujourd’hui à quoi vous vous arrêtez.
Voilà le Ministère anglais hors de danger. C'est bien ridicule qu’il y ait eu là, pour lui, un danger. Ridicule pour le pays et pour son bon sens. Il faut qu'à côté de la puérile opposition du pays à la mesure, l’intrigue combinée de toutes les oppositions dans le Parlement, et de toutes les ambitions cachées, ait été bien forte pour ameuter 202 voix contre le Cabinet.
Je n'ai rien appris hier. Je ne suis pas sorti du tout le matin. Le soir, chez Mad. de Staël, peu de monde. Mad. d’Haussonville, M. de Sahune, Viel-Castel. Conversation rétrospective ou littéraire. Les absents reviennent presque tous la semaine prochaine, Broglie, Duchâtel, Montalembert, Molé. Vous ai-je dit que le feu avait pris dans la maison de Duchâtel, feu sourd, provenant du calorifère, et qui a été découvert par la désobéissance d’un concierge qui est entré par curiosité dans un salon où on lui avait défendu, d’entrer ? Il a trouvé le parquet ombragé. Il y avait, dans ce salon, de beaux tableaux, entre autres, un Téniers que M. Vitet venait d'acheter pour Duchâtel 25 000 francs Rien du tout n'a souffert. Le feu a été éteint sur le champ. Je vous l’ai peut-être déjà dit.
1 heure
Je suis obligé d'aller de bonne heure à l'Académie où j’ai une commission. Je sors sans avoir eu de lettre. Montebello viendra me voir à 5 heures. Il sait qu’il n’a réussi trouver sa visite que ce matin. Adieu, Adieu. G.
232. Paris, Mercredi 20 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Pourquoi n’ai-je pas eu de lettre hier ? En temps ordinaire, une lacune d’un jour ne m'inquiéterait pas ; mais aujourd’hui tout m'inquiète. Je suis bien pressé de la porte d'aujourd’hui.
J’ai vu hier Montebello, il fera aujourd’hui, de votre lettre, l’usage que vous désirez. J’ai achevé de le mettre bien au courant. Il a encore son fils, le marin, pour quelques jours, et le second fait, ces jours-ci même, ses examens pour entrer à l'Ecole militaire.
On veut avoir un grand nombre de jeunes officiers à sa disposition. On a plus que doublé le chiffre des admissions à l'Ecole. Montebello ne savait rien d'ailleurs, ni aucune des personnes que j'ai vues. La guerre, en se prolongeant ne gagne pas en popularité. On m’a dit hier soir que le projet de loi pour le nouvel emprunt avait été porté le matin au Conseil d'Etat. On n'en savait pas le chiffre.
A en croire les apparences, le cabinet anglais s'est créé une assez grosse difficulté, en demandant à former une légion étrangère. L'opposition à ce sujet est bien absurde. Pour quoi n'épargnerait-il pas les vies et les douleurs anglaises s’il trouve au loin de bons soldats à employer au loin ? J’ai peine à croire du reste que l’embarras soit sérieux.
Une heure
On me dit qu’il sera sérieux. Je viens de voir deux ou trois personnes, et des lettres de Londres qui croient à la chute du Cabinet. Je n'y crois pas. Ce serait trop absurde. Pourtant je ne crois plus qu'aucune absurdité soit impossible. Ce serait l'Angleterre livrée à Lord John et à Lord Palmerston, et à sa passion populaire du moment. Nous saurons bientôt ce qui en est. Mais je suis bien plus pressé d'avoir une lettre de Bruxelles. Pourquoi n'est-elle pas encore venue ?
2 heures
La voilà. Je craignais bien cette attaque de bile. Je vous le demande en grâce, par affection pour moi, ayez du courage, vous êtes bien triste, vous avez bien des raisons d'être triste ; mais il y a des maux bien pires. Et si vous avez du courage les vôtres, les nôtres ne deviendront pas pires. J’attends votre réponse à ma lettre d’hier. Vous aurez vu que j’avais, sur la lettre à écrire, la même impression que vous. Je crois qu’on doit et qu’on peut vous en dispenser. Montebello doit venir me voir ce soir, ou demain matin, après sa visite. Nous verrons ce qu’on peut attendre de ce côté. Adieu. Adieu. G.
231. Paris, Mardi 19 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Quand je vous dirai que vos quelques lignes d’hier m’ont désolé, je vous dirai bien peu. Les paroles sont si peu. Et des paroles de loin. Je trouve que vous avez raison de ne pas faire une démarche directe pour un demi-résultat. Je vous aime fière dans votre tristesse. Je ne puis pas ne pas croire que si vous voulez accepter le demi-résultat, vous l'aurez sans le demander directement. C'est bien le moins qu’on vous doive, après vous avoir promis tout autre chose. Je tiens pour impossible que M. et F. ne s'y emploient pas efficacement. Maintenant faut-il insister auprès d'eux. Voulez-vous de ce demi résultat, obtenu sans la demander directement. Voulez-vous aller passer l'hiver à Nice, ou à Pau, en traversant la France et en vous arrêtant quinze jours à Paris pour consulter votre médecin ? Je tourne et retourne dans mon âme cette question-là. Si votre santé continue à souffrir du climat de Bruxelles, si l’hiver, qui n’a pas encore commencé, devient rude, si vous ne parvenez pas à vous défendre là du froid et de l'humidité, assez pour ne pas être vraiment malade, il n’y a pas à hésiter ; il faut aller passer l'hiver dans le midi et agir indirectement pour l'obtenir. A votre ennui. Le climat vaudra beaucoup mieux cela, une chance est toujours attachée, une bonne chance qui sait ce qui arrivera quand vous passerez par Paris, pendant les quelques jours que vous y passerez ? Sébastopol peut être pris pendant ce temps-là, et alors ! … Vous voyez que je ne compte pour rien le triste plaisir de nous voir un moment pour nous séparer sitôt. C'est votre santé qu’il faut consulter ; si elle a absolument besoin du midi, le midi à tout prix. Je dis à tout prix, car je ne me dissimule pas qu’à Nice ou à Pau, vous aurez comme société, comme conversation, moins de ressources qu’à Bruxelles. Point de diplomates, ni petits, ni grands ; point d'atmosphère politique, point de passants. Des indigènes qui vous ennuieront, des étrangers malades qui ne vous distrairont pas. Paris plus loin. Je résume en quelques mots ce qui nous fournirait d’interminables conversations si nous causions. L'affection remplit de charme le rabâchage, et on n’a tout dit que lorsqu’on a rabâché. Mais enfin, pesez, comme je le fais tous ces pour et ces contre votre santé avant tout. Seulement, pour votre santé, tenez compte de votre ennui. Le climat vaudra beaucoup mieux dans le midi, l'ennui y sera plus grand. Mais ne vous permettez pas le laisser aller désespéré, les sentiments sinistres. Puisque vous savez combien je vous aime, vous ne pouvez pas vous les permettre. Ceci est un défilé détestable, déplorable, avec de la patience et du courage, nous le passerons ; nous arriverons à la paix ; et la paix revenue, vous n'aurez plus besoin de la bonté, ni peur de la timidité de personne. J’ai eu ce matin, indirectement des nouvelles de Hübner ; il est plein de confiance dans la paix, convaincu qu’on la désire ici, que votre Empereur la désire vivement, et qu’il faudra bien que l'Angleterre l'accepte. Mais je vois bien, sans qu’il le dise, que c’est toujours sous la condition de Sébastopol pris. On croit généralement à une grande attaque prochaine, bataille contre l’armée Russe, assaut contre la place. Nos troupes le demandent à grands cris l'immobilité dans la boue leur est insupportable.
J’ai passé hier chez Montebello sans le trouver. Je viens de lui écrire pour le prier de venir me voir avant dîner, ou demain matin. Il faut qu’il cause avec M. Mais dites-moi votre dernier mot en réponse à mes questions. Je n'irai revoir M. et lui dire que vous vous refuserez à la démarche directe pour un demi résultat, que lorsque je saurai positivement. Si vous voulez, ou non, du demi-résultat. J’ai dîné hier chez le chancelier ; Noailles, Villemain, Cousin, duc de Fésenzac, Flavigny, Vitet & Pure conversation académique. J’ai pourtant causé de vous avec le Duc de Noailles. Je suis rentré de bonne heure pour me coucher, et j'aurais mieux fait de ne pas sortir. Je me renrhume. Pour ma santé, le Val Richer vaut beaucoup mieux que Paris. Adieu, dearest, Adieu. G
Mots-clés : Absence, Amour, Armée, Conversation, Diplomatie, Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Angleterre), Politique (Russie), Portrait (Dorothée), Relation François-Dorothée, Réseau académique, Réseau social et politique, Salon, Santé (Dorothée), Santé (François), Tristesse
230. Paris, Lundi 18 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je suis resté hier soir chez ma fille, à faire une partie de Whist. Je n’ai vu le matin que Mad. Mollien qui ne m’a rien appris, et trois ou quatre personnes pour des questions d'Académie. Les Académie m'assiègent, M. Léon Faucher vient de mourir à Marseille. On le ramène à Paris. C’était la règle que, comme président, je fisse un discours sur sa tombe. J’ai dit non ; cela ne me convenait, ni pour ma santé, ni à cause du personnage. Deux discours d'ailleurs en huit jours, c’est trop pour aujourd’hui, nous ne sommes plus au temps des discours tous les jours. Mais il a fallu arranger que le vice Président s'en chargeât. Delà des billes à écrire, des visites à recevoir, Mignet, Thierry & Bref, cela s'est fait comme il le fallait bien, et je resterai demain chez moi.
Autre affaire d’Académie. M. de Falloux, est arrivé hier et m'a demandé un rendez-vous. Je le verrai ce matin. Je sais que quelques personnes l’engagent à persister dans sa candidature malgré celle du Duc de Broglie. Il se ferait le plus grand tort dans l'avenir pour avoir, dans le présent, un gros échec. Je ne vois rien dans les journaux. Je suis assez curieux de savoir comment a été pris, dans l’intérieur du Cabinet anglais, le discours, de Lord John sur le traité autrichien, et jusqu'à quel point les articles du Times sont l'écho d’une humeur de collègues. Je dîne aujourd’hui chez le Chancelier, avec le duc de Noailles, Berryer &. On dira là quelque chose.
3 heures
M. de Falloux sort d’ici. Longue conversation spirituelle. Mais pas de lettre de vous encore. Je suis bien ennuyé qu’on me les apporte, si tard. Et encore plus triste qu'ennuyé. Je ne vous montre pas toute ma tristesse. Je voudrais lutter contre la vôtre. Adieu, Adieu
Bruxelles, Dimanche 17 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je commence ceci pour une occasion. Je suis frappé. tout à coup de l’idée que M. ne désire plus mon retour à Paris, et voici comment j’arrive à ce soupçon. La bonne volonté de l’Empereur. pour moi s’est arrêtée devant les objections de Lord Palmerston. Il n’a pas que les trouver sérieuses, il a trop d’esprit pour ne pas savoir, que fussent elles fondées, il dépendait de lui d'empêcher toutes mes iniquités et toutes mes trames et que venant dans les C'est bien triste tout cela. Mais j’ai assez d’équité dans l’esprit pour comprendre tout cela & même pour le pardonner. Je voudrais cependant qu'on s'est à quel point je mérite peu ce qu’on peut craindre de moi. Revenue à Paris, ma correspon dance Russe cesse tout à fait, cela m’a été insinué pas intermédiaire car secrétement on n'a rien à en dire encore, je n’y ai pas donné lieu. Le bonheur de retrouver encore mon home & mes amis me fera donner à tous les. ... (C’est affreux ce que je n'ose pas dire là) toute pensée de me mêler de quoique ce soit que puisse donner ombrage. Je veux bien que M. me néglige. Je croirai cependant toujours qu'il m’aime. Et comme je l'aime moi, je serais bien fâchée de lui donner du tracas. Son silence, son impuissance seraient inexplicables, s’ils n'étaient expliqués par tout ce que j’ai dit là.
Midi
Voilà votre lettre 228 triste, triste lettre. Non, pour n’obtenir que le passage, je n'écrirai pas. Pau ? L'ennui me ferait mourir et le divorce avec la Russie serait aussi complet qu’à Paris. Voulez-vous y venir avec moi ? Ah que Je m'y abonnerais volontiers. Je ne sais pas au fond pourquoi je n'essayerait pas mon crédit en Angleterre. Le pire serait de ne pas réussir, mais évidement il n’y a rien à gâter. Je ne sais dans quel état vous aurez cette lettre. Le courrier prussien qui la portera travera ici la nuit. Il faut donc que je la remette le soir. Mais cela peut tarder des jours dans ce cas, j’ajouterai tous les jours. Pour aujourd’hui Adieu.
Le 19. Je n’avais rien de plus à dire, & je n’avais pas la force de dire. J’ai passé toute la journée dans mon lit. Votre lettre m’avait renversée. J’ai eu une attaque violente de bile. Conséquence infaillible de toute émotion. J’ai vu le médecin plusieurs fois dans la journée. Adieu. Adieu.Je crois que je me suis trompée de N° dans ma lettre de ce matin je devais dire 193.
229. Paris, Dimanche 17 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Beaucoup de monde hier matin à l’Académie ; mais comme déraison, point de conversation. Le discours a bien réussi. Le soir, chez Mad. de Boigne ; le Chancelier, les Salvo, la Princesse Grasalcovich et son acolyte, Mad. de La Grange, la jeune et jolie qui est devenue énorme, le général d'Arbouville Boislecomte & d'Arbouville, intéressant à entendre sur la guerre de Crimée, triste de n’y pas être un Changarnier, non exilé ; convaincu qu’on prendra Sébastopol et qu’on chassera de Crimée, le Prince Mentchikoff. Mais quand ?
Dieu veuille que vous ayez raison dans l'impression que vous avez en ce moment ; sur les intentions du gouvernement anglais ! Une chose, une seule me le fait un peu partager ; c’est le ton plus décidé, et plus confiant de Lord Aberdeen. Sans sortir de sa réserve et de sa brièveté, il parle en homme qui se croit sûr de son fait et son fait, c’est certainement la paix. Plus j'y pense, plus je me persuade que le traité autrichien est vers ce but un très grand pas. Et la satisfaction qu’on en témoigne ici indique qu'ici aussi on désire la paix. Je suis curieux de voir si le Moniteur répétera ce matin l'article du Times sur le discours de Lord John. Bien vif et bien mérité.
Une heure
Le Moniteur n’a pas répété le Times. C’est plus convenable. Je suis bien fâché que Van Praet vous manque le soir, sa conversation avec vous me reposait un peu la pensée. Vous avez bien fait de ne pas répondre à votre neveu. Il ne faut pas discuter ces choses-là.
J’ai tous vos numéros. Je vous ai envoyé hier les livres dont vous aviez besoin. Le texte du traité autrichien ne m’apprend rien de plus. On me dit toujours qu’il y a un article secret, où l'alliance de guerre est plus expressément stipulée. Adieu, Adieu.
192. Bruxelles, Dimanche 17 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai reçu votre lettre d’hier. Je n’avais pas dormi cette nuit, & je suis trop triste, pour vous écrire. La démarche directe pour n’obtenir qu'un demi. résultat, je ne la ferai pas. Le plus court sera de mourir cela supprimera les embarras à tout le monde. Il n'y a que vous que je plaigne, car vous m'aimez bien.
Mais moi, vous avoir si prés, et ne pas être avec vous ? Voyez-vous cela me déchire le cœur, et ma santé n’y tiendra pas. Il m’en reste si peu de santé. Pardonnez-moi de ne vous dire que cela aujourd’hui. mais ma pauvre tête n'y tient pas. Et mon coeur brise. Adieu. Adieu.
Pourquoi Montebello ne montre-t-il pas ma lettre à F. ? Cela ne peut faire aucun mal, et cela pourrait faire du bien.
228. Paris, Samedi 16 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai reçu hier, tard, vos deux lettres par occasion, 187 et 189. Leur tristesse et leur tendresse me vont au cœur. Non certainement, je n’ai pas perdu l'espoir ; il me semble impossible qu’on vous refuse ce que vous demandez aujourd’hui. Et quand une fois nous aurons obtenu cela, nous verrons. Je n’ai pas trouvé M. Hier ; il était sorti. Je lui ai écrit en rentrant ; il m’a donné rendez-vous pour ce matin avant midi. J’irai tout à l'heure, dés que ma toilette sera faite, et je vous dirai tout de suite ce qu’il m'aura dit. Je n’ai pas voulu parler de M. à Montebello, avant d'en avoir causé avec M. Je crains toujours de gâter quelque chose de ce côté-ci qui est le seul efficace. Ce soir, ou demain d'après ma conversation avec M. Je verrai Monteb, et je le mettrai en mouvement s'il le faut. Il fera certainement, et de bon cœur, tout ce qu’il pourra. Mais je doute qu’il aille vous voir avant le départ de son fils. Il ne vous l’amènera pas au moment de le perdre pour trois ans, la mère ne voudra pas s’en séparer trois jours.
J’ai vu hier Lord Mahon qui retourne à Londres, revenant de Rome, et Sir Henry Ellis qui reste toujours à Paris. Ni l’un ni l'autre ne m’a rien appris. Ellis est toujours très sensé et assez clairvoyant. Frappé du peu d'habilité et du peu de convenance du discours de Lord John qui ne peut plaire ni à Vienne ni à Paris. Frappé aussi de la principale conséquence de ce traité qui est de rendre l'Emp. Nap arbitre de la paix ; le jour où il la voudra, il sera deux contre un. Et trois, si la Prusse adhère au traité, comme on le croit en général.
Deux nouvelles d'Italie qui ne vous intéressent guère ; les Jésuites sont expulsés de Naples et le cardinal Antonelli vient de tomber à Rome. Le plus capable des cardinaux, peut-être le seul capable ; mais il a un frère dont la vénalité et le décri ont, dit-on, fait sa chute.
4 heures
Je reviens de présider la séance publique de l'Académie. Il est tard. Je vous rendrai compte un peu à la hâte de ma conversation avec M. Trois quart d'heure. Même bon vouloir de l'Empereur Nap ; mais bon vouloir mêlé de tristesse et d'humeur. On a de nouveau fortement insisté de Londres. Il a répondu : " J’ai promis ; mais il a fait la concession. Après la prise de Sébastopol. " Si Sébast. était pris demain, vous auriez demain votre passeport pour venir vivre à Paris. Mais aujourd’hui il faut attendre. On est piqué et un peu honteux ; j’ai dit " entre nous ce n’est pas agréable de n'être pas plus puissant pour une si petite chose." On en tombe d'accord. J'en suis venu au passeport pour Nice en s'arrêtant à Paris pour consulter votre médecin, et vous reposer un peu : " Cela ne peut pas être refusé ; quelle le demande directement à l'Empereur lui- même, par une lettre sur ce thème en deux parties. 1ère Partie. " Je ne puis comprendre les méfiances dont je suis l'objet ; leur conséquence me désespère et leur injustice me révolte. Quand je voyais beaucoup de monde, je n’ai jamais été, pour l'Empereur, la cause du moindre embarras, du moindre ennui. A plus forte raison quand mon intérêt m'en ferait une loi et ma reconnaissance un devoir. Je vivrais dans la retraite la plus absolue ; je ne verrais personne, je n'écrirais à personne, absolu ment à personne. 2ème partie " si, en ce moment cela est jugé impossible, je prie instamment qu’on me donne un passeport pour traverser la France, consulter à Paris mon médecin, et me rendre dans un climat doux dont ma santé, ma vie ont absolument besoin. " Nommez Nice et Pau, une ville de France dans le midi, aussi bien qu’une ville étrangère ; l’un ne sera pas plus difficile à obtenir que l'autre, et il y aura avantage à pouvoir rester en France, si cela vous convient.
Envoyez votre lettre à Fould, en le priant de la remettre à l'Emp. Comme ministre d'Etat, c’est sa charge naturelle. Il est au courant de tout ce qui vous touche, et a bonne envie de vous servir. Morny a envoyé à l'Emp. votre longue lettre, celle dont je vous avais transmis le thème. Il a écrit à l’appui en l'envoyant. Mais l'Emp. ne lui en a point parlé depuis, ni lui à l'Emp. La timidité est grande. J’ai essayé d’insinuer la prolongation, de votre séjour à Paris un passage indéfini. Je suis forcé de vous dire que cela a fait peur, grand peur. Non qu’on demande un terme fixe, au passage, un nombre de jours déterminé ; mais la tentative de profiter du passage pour le trans former en séjour à toujours ne réussirait évidemment pas. A moins qu’il ne survînt quelque événement favorable, Sébastopol pris des négociations ouvertes, un armistice. Tout cela est possible.
Je vous demande deux choses, du courage et de prendre les faits, comme ils sont aujourd’hui en en tirant tout le parti qu’on en peut tirer aujourd’hui. On en tirera davantage avec le temps. Le point capital c’est de rentrer en France d'être revue à Paris. Si Pau ne vous paraît pas trop solitaire, je l’aimerais mieux que Nice. Il est plus aisé de se rapprocher quand il n’y a pas de frontière à passer. Le traité modéré autrichien donne de l'humeur à Londres, à l'opinion passionnément guerrière.
On sent qu’il donne à la paix des chances et à l'Emp. Nap de l’indépendance. Lord John l’a bien indiqué. On ne veut pas donner à cette humeur des prétextes de plus, même les plus petits. Vous en seriez un. Tout l’essentiel est là. L’essentiel comme résumé de ce qui s'est dit, et comme indication de la conduite à tenir. Dearest, je vous le demande encore : du courage, et ce qu’il faut pour votre santé. Nous ressaisirons peu à peu le reste.
Adieu, adieu. Mon fils va porter ceci chez Hatzfeld. Adieu. Ma fille va bien. G.
Mots-clés : Académie des sciences morales et politiques, Conditions matérielles de la correspondance, Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Jésuites, Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Politique (Angleterre), Politique (Italie), Politique (Russie), Politique (Vatican), Santé (Dorothée), Tristesse
191. Bruxelles, Samedi 16 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
On entre ici dans la saison des dîners, ce qui me prive. de la seule ressource que j'avais le soir, van Praet Il ne sort de là qu'à 10 h. C’est trop tard pour moi. Je ne sais plus que devenir.
Je fais la patience, je tricote ! Quel emploi de mon temps ! Je ne peux pas Cerini ne sait pas lire. Auguste lit quelques lire. fois. N'avez-vous pas pitié de moi ?
Et en hiver, et à l’auberge, et dans cette époque si abondante en événements dont le plus petit aurait défrayé la conversation de mon salon pendant la semaine, n’avoir personne quel exil pour mon esprit.
L’Impératrice va décidement mieux. Je le sais par le télégraphe de Berlin que j'ai fait interroger ce Comme je n’ai matin. pas répondu un mot à la lettre menaçante de mon neveu, il a cessé de m'écrire. Je ne saurai des détails de l’Impératrice que par Meyendorff. On me dit que la Prusse ne se pressera pas d’adhérer au traité du 2 Xbre. Elle a tort, d'autant plus qu'il faudra bien qu’elle y passe. Je trouve les remarques des Débats sur le discours de Lord John très juste. Adieu, toujours avec tristesse, plus que jamais avec tendresse. Adieu.
Tous mes N° sont ils exactement rentrés ?
227. Paris, Vendredi 15 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
On ne parlait hier soir que des deux discours, celui de la Reine et celui de Lord John. On trouve l’un bien sec et l'autre bien moqueur. Le traité Autrichien n’a pas plu à Londres autant qu’à Paris. Les quelques phrases d'Aberdeen, à ce sujet ont été bien modestes. Personne n’a dit le fond de sa pensée. Quelle glace à rompre dans ce Parlement s’il y avait quelqu’un qui n’eût pas peur de se couper les doigts en la rompant !
Evidemment il n’y aura pas même un commencement de négociation sérieuse tant que Sébastopol ne sera pas pris, et détruit.
Serez-vous assez bonne pour remercier de ma part, le capitaine van de Velde qui m’a envoyé, sur les événements et l'état actuel de la guerre en Crimée, une brochure pleine d’intérêt et frappante de clarté ?
Je n’ai pas cru hier soir à la dépêche télégraphique de Vienne qui donnait au Sun les plus mauvaises nouvelles de la santé de votre impératrice. Vous en auriez su et vous m'en auriez dit quelque chose. J'espère que vous n'aurez pas de chagrin. Pauvre femme ! Elle quitterait ce monde triste, mais dispensée peut-être de bien autres tristesses. Avez-vous quelque idée de l'effet que produisait ce malheur sur votre Empereur, s'il en était frappé ?
1 heure et demie
Je n’ai pas encore votre lettre, et je sors pour aller me promener aux Champs- Elysées. Je viens de lire attentivement le discours de Lord John que je n’avais fait que parcourir. C'est comme toujours le soin exclusif de sa position personnelle, et la constante cajolerie des opinions, et des préventions, et des passions momentanées, de son parti. Adieu, Adieu. Ne vous conseille t-on pas de prendre, pour vous aider à dormir, un peu de codéine, comme j'entends dire ici. Mon médecin assure que c’est efficace et innocent. Mes filles s’en sont souvent bien trouvées.
Adieu. G. G.
190. Bruxelles, Vendredi 15 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici ce qui fait suite aux notes du 28 & 30 Nov. Autre Gortchakoff et Bual dont je vous ai parlé. Lorsqu’est survenu le traité d’alliance signé le 2 Xbre Gortchakoff est allé exprimer au Cte Bual son profond étonnement.
Il a été vif et a fini par demander ses passeports. A quoi Bual, lui a répondu : demandez plutôt des pleins pouvoirs, car nous allons négocier. Ceci m’a été dit en confidence mais vous pouvez tenir pour certain d’autres côtés tout en confiance dans l’idée que la paix ne dépend que de l’Empereur et qu'on ne la lui rendra pas trop dure.
10 heures. Voilà votre lettre avant tout, que je vous félicite du petit garçon. Félicitez votre fille de ma part. Je m’associe bien à toutes les joies de famille. Vous n'oubliez pas que Hatzfeld à demain une occasion de me faire passer des livres.
Lord Howard vient me voir souvent. Il connait les heures de tête à tête. Je suis très contente de lui. Vraiment l’idée de la paix possible. Toute l’apparence belliqueuse est nécessaire pour inspirer confiance & flatter. La passion populaire. On en sera plus libre d'aboutir à la paix. Je crois donc moi à la sincérité du [gouvernement] Anglais dans ce but. Mais là on doute de la nôtre. On a tort. L'Empereur désire la paix ardemment, et la maladie mortelle de sa femme doit bien augmenter le désir. Il y avait quelque mieux avant hier. C’est toujours ses inquiétudes pour ses fils, mais comment les rappeler tant qu'on se bat ?
Pas un mot de M. Mes souffrances & mon chagrin augmentent. Adieu. Adieu.
226. Paris, Jeudi 14 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je n’ai eu votre lettre hier qu'après 4 heures, en rentrant de l’Académie. J'écrivais à Montebello pour le prier de me venir voir ce matin quand il est entré. Je l’ai mis au courant. Il sera discret. Il a vraiment de l’amitié pour vous. Du reste comme vous le dites, il n’y a plus de mystère. On a beaucoup parlé de vous, et de vos désirs, et de ce qu’on vous avait répondu. Evidemment les indiscrétions étaient anglaises, et ils ne disaient point les obstacles qu’ils apportaient eux-mêmes. Hatzfeld, qui est venu me voir avant hier, savait à peu près tout, vaguement et inexactement pourtant. Il n’y avait de ce côté, nulle envie de vous nuire. On parle moins de vous depuis quelques jours. Cela vaut mieux. Si M. ne vient pas me voir aujourd’hui, j’irai chez lui demain ou après-demain. Il faut lui laisser le temps de faire usage de votre nouvelle lettre. Je lui remettrai votre P. S. que je trouve à propos.
Montebello veut toujours aller vous voir. Il a ici, pour quelques jours encore, son fils le marin qui va partir pour le tour du monde, trois ans d'absence ; et un autre fils qui va faire un nouvel examen pour entrer à l'Ecole militaire ; il a manqué le premier. Le père dit qu’il ira vous voir tout de suite après. J’espère que ce sera trop tard.
On trouve en général le discours de la Reine d'Angleterre un peu sec, sec sur toutes choses, et pour tout le monde. Impression Française ; il faut ici plus de démonstration et de variété. Du Parlement, je n’ai encore vu que les commencements insignifiants du Débat. J’attends la fin aujourd’hui, Aberdeen et Sidney Herbert.
2 heures
Ma fille Pauline vient d'accoucher d’un gros garçon qui se porte très bien, et elle aussi. Cela s'est passé aussi régulièrement et aussi promptement que possible. Je reverrai Montebello. Je n’ai vu personne ce matin. Je vais à l'Académie. Adieu, adieu. G.
Mots-clés : Académie des sciences morales et politiques, Circulation épistolaire, Enfants (Guizot), Femme (diplomatie), Femme (maternité), Femme (santé), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Politique (Angleterre), Réseau social et politique, Salon, Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne)
189. Bruxelles, Mercredi 13 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je vous ai envoyé mon 187 par occasion, le comte Caroly. En voici une autre. J'écris quoique je n'ai rien à dire qu’un nouveau sujet d'angoisse. L’Impératrice est très mal. Elle était très mal avant hier. Si j’ai le malheur de la perdre voilà mon dernier lien avec la Russie rompu ?
Que va devenir l’Empereur, je ne puis pas me figurer sa situation, & dans quel moment !
Le ministre d’Autriche qui est venu me voir ce matin est encore plein d'espérance de la paix. Le 28 Nov.; nous avons adhéré par note aux quatre points simplement formellement. Le 30 Bual exprime par note au Prince Gortchakoff la vive satisfaction de son maître. Le 2 on signe le fameux. traité exige dit-on très rudement par Bourqueney & Westemorland. Bual nous déclare que c’est dans le but de rendre la paix plus facile. Trouverons-nous cela ? Dans les préliminaires qui ont dû nous être envoyé, Sébastopol ne sera pas mentionné. L'Angleterre dit-on est fort désireuse de la paix. Je ne crois pas trop. La Prusse va être forcée de se décider. Adieu. Je n’ai rien de nouveau sur mon compte. Mon découragement s’arcroit tous les jours. God bless you. Adieu. 8 heures du soir.
188. Bruxelles, Mercredi 13 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Comment n'avez-vous pas eu ma lettre du 11. J'écris tous les jours. J'écris aujourd’hui à Montebello et je le prie d’aller vous voir. Dites-lui de montrer ma lettre à F. Il va chez lui souvent, il pourrait bien y aller à mon intention. Il y a là tout ce qu'il faut. Je passe régulièrement deux nuits de suite sans sommeil c.a. d. Trois heures tout au plus. La troisième nuit 6 h. de sommeil, c’est réglé. Imaginez ce qu'on devient à un pareil régime.
J’attends la poste. Votre lettre y est toujours, que Dieu vous en récompense. Mais M. pas un mot. Mon Dieu, on est donc sans pitié et sans souvenir. Lord Howard dit que l'Angleterre va voir en Crimée 55 m hommes, qu’elle en mettra plus s'il le faut. Il faut Sébastopol, à Londres, à Paris, c’est résolu. Si j’étais l’Emp. Nicolas, je laisserais prendre pour que cela finisse. On devient féroce à Londres, la poste n’accepte plus de lettre à l’adresse de St Pétersbourg. Ce que je vous ai dit de Mme Kalerdgi me parait vrai, quoique les Crept. nient. La source des informations est bonne. En tous cas samedi elle quitte Paris.
Adieu bien vite, on m'interrompt.
225. Paris, Mercredi 13 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Votre lettre ne m'est arrivée hier que tard, et j’ai reçu hier aussi seulement les livres que vous m'avez envoyés, et dont je vous remercie. Les préoccupations sont toujours les mêmes. Votre Empereur veut-il réellement la paix ? L'Empereur Nap veut-il réellement la paix ? Personne ne sait répondre positivement. Pour mon compte, je suis disposé à dire, ou pour l’un et pour l'autre ; car à mon avis, ils ont l’un et l'autre un grand intérêt à la paix. Votre Empereur en a besoin, car il ne peut résister à toute l'Europe, et pour l'Empereur Nap ce sera un succès capital de rétablir la paix après avoir fait la guerre avec éclat. Mais à quelles conditions ? Si Sébastopol était pris, tout serait bien plus facile, car les Anglais disent toujours : we must have Sébastopol, et pour eux, l'[?] est là. Mais Sébastopol n’est pas pris et ne le sera probablement pas avant le printemps prochain. Comment suppléer à ce fait ? On dit que la limitation, pour tous les Etats du nombre de vaisseaux de guerre que chacun d'eux pourra entretenir, ou faire entrer dans la Mer Noire devenue libre, serait considérée à Londres, et ici comme une des garanties les plus efficaces, et que votre Empereur pourrait l'accepter. Tenez pour certain que, tant que Sébastopol ne sera pas pris, on me déplait beaucoup. J’ai peur que Mad. exigera beaucoup plus de vous. On parle d’un arrangement qui assimilerait la libre navigation du Danube et de ses embouchures à celle du Rhin, en lui donnant pour garantie l'établissement d’une commission mixte et permanente qui veillerait incessamment au maintien de cette liberté, et à l'abolition de tous les obstacles que vous pourriez lui susciter. Vous accepteriez sans doute aussi cela. Bref, dans notre public, on cherche, et on cherche sincèrement car on désire de plus en plus la paix, tout en étant décidé à faire la guerre tant que les conditions de la paix ne seront pas telles que l'Angleterre s'en contente comme nous. Le discours de la Reine Victoria est bien guerrier dans sa simplicité brève. Pas un mot sur les chances de paix. Je n'attendais pas plus de paroles sur le traité autrichien. Le texte sera public dans deux jours. Ceux qui s’en félicitent le plus n'osent pas s'en vanter. Le courage manque là au bon sens.
Votre nouvelle sur l’avis qu'a reçu Barrot me déplait beaucoup. J’ai peur que Mad. Chrept ne soit la cause de la mesure. Elle a passé et repassé ici sous un nom supposé. Je n'entends pas dire qu’il soit question de renvoyer Mad. Kalergis. J’attends bien impatiemment de savoir si vous avez écrit à M. sur Nice. Vous me le direz probablement aujourd’hui.
Une heure.
Décidément, on ne m’apporte vos lettres que tard. Je vais à l'Académie faire et entendre des lectures pour la séance que je dois présider samedi prochain. Adieu, Adieu. G
Mots-clés : Académie des sciences morales et politiques, Armée, Conditions matérielles de la correspondance, Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Marine, Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Angleterre), Politique (Russie), Salon, Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne)
224. Paris, Mardi 12 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je n'ai guère vu hier que les candidats aux Académie, ni la guerre ni la paix, ni Pétersbourg, ni Sébastopol n'existent pour eux ; ils font un autre siège. C'est curieux à quel point chacun peut s'adonner exclusivement à ses préoccupations personnelles.
Salvandy dit beaucoup de bien du discours de Berryer qu’il a entre les mains. C’est maintenant lui, Salvandy, qui fera attendre. Cette réception n'aura pas lieu avant le milieu de Janvier.
Le public a bien envie de la paix, plus d'envie que d'espérance. L’idée qu’il faut que Sébastopol soit pris est entrée dans les esprits ; sans cela, la paix semblerait un échec. Il y a des officiers, et des officiers de rang qui écrivent ici que c’est plus aisé qu’on ne croit, que Sébastopol serait pris depuis longtemps, si l’on avait voulu, que les Généraux hésitent trop à entreprendre et veulent trop faire mousser leur succès. Je ne crois pas du tout à ce reproche ; on est encore plus pressé d'avoir le succès que de le faire mousser En tout, on se plaint des généraux, surtout de Lord Raglan. On lui attribue les pertes cruelles du régiment des gardes à la bataille d'Inkermann, comme celles de la cavalerie légères à Balaklava. On dit qu’il aurait pu soutenir les gardes et qu’il ne l’a pas fait, disant toujours que c'était une affaire d'avant postes. Ce sont les blessés de retour qui propagent les plaintes.
On m’apporte les journaux. Le dernier. rapport de Canrobert donne à croire qu’on restera longtemps immobile, si la pluie dure. Je ne vois rien de plus.
2 heures
Je n’ai pas de lettre. Elle me manque. Il m’en faut une tous les jours. Dumon sort de chez moi. Je lui ai dit vos bonnes paroles pour lui. Il en a été vraiment touché. Il parle de Nice comme tout le monde trouvant cela parfaitement naturel, nécessaire, disant que vous devrez consulter et vous reposer à Paris aussi longtemps que votre santé l'exigera, et ne comprenant pas que d'aucun côté, il puisse y avoir la moindre difficulté à vous donner les autorisations dont vous avez besoin. Aucune nouvelle. Nous attendons le discours de la Reine Victoria. Nous l'aurons dans deux heures. Adieu, Adieu. G.

Mots-clés : Académie (candidature), Académie des sciences morales et politiques, Académie française, Armée, France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Politique (Angleterre), Politique (France), Politique (Russie), Presse, Santé (Dorothée), Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne)
187. Bruxelles, Mardi 12 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici encore une occasion sure j’en profite. Quand vous m'écrirez sous couvert de Cerini faites faire l'adresse par un autre et n'employez pas votre cachet. J’attends, et j’attends. Je ne vois pas le terme. Voici l’histoire. Le 10 Nov. M. revient à Paris et me le mande, en me demandant de lui écrire de suite une lettre qu'il puisse montrer. Il la montre le 15 fête de l’Imp. On est touchée de ma lettre. On veut que je revienne. On me fait la promesse seulement comme j’ai affaire à un allié ombrageux. Laissez-moi la lettre pour que je la montre à Lord Cowley." Morny me dit l'Emp. va de suite m'envoyer le passeport. Dites-moi le jour, j'irai vous chercher au chemin de fer. Je ferai préparer votre dîner. & &. Vous savez mieux que moi le reste. La seule lettre que j’ai eu depuis de Morny est du 28. " hier 27 l’Impératrice m’a dit diabolique effet en Angleterre, mes affaires d’état, mais c’est égal je ne changerai pas, je l’ai promis. Si sur cela M. heureux & moi plus que lui. Il me dit au revoir ici. Seulement il ajoute "attendez patiemment". C’est ce petit mot qui me jette dans le désespoir. Y a-t-il un terme. Le [?] me tue.
J’ai écrit le 6 ce que vous m'avez dit d'écrire. Pas un mot. Est-ce que je com promets M. ? Je me tâte je voudrais bien savoir si je suis moi. L'objet aujourd’hui des soupçons de tout le monde ! Ah que j'espère cruellement l'importance que j’ai pu avoir, ou plutôt qu'on m’a cru.
Je demande mon repos ma santé, mes amis ; je dis volontiers adieu à toutes les correspondances à tout, pourvu qu'on me rende Paris.
Depuis le 20 Nov., le jour où vous y êtes rentré, je ne tiens plus d'impatience jusque là ma résignation était douce.
Il y a eu quelque chose de mal heureux l’arrivée de Palmerston va était prévenu cependant qu'il n'était pas de mes amis. Enfin je ne veux pas chercher les toutes. Je suis touchée de l’amitié, mais je crains qu’elle ne se fatigue ou qu’elle perde sa puissance. Je vous ai demandé si Fould était bien pour moi. Je le crois. M. se fâcherait-il si jefFrappais à cette porte.
Voici votre lettre d’hier sur ce & j’y ai répondu sujet entre autres & par ma lettre ce matin.
Je crois que chez nous on veut décidément la paix, mais il n’y aura pas moyen si on nous la rend trop dure. Nous sommes extrêmement forts du côté de l’occident. Que je voudrais que Sébastopol tombât (ne répétez pas cet horrible propos) tout serait plus facile. Mais on dit que ce sera imprenable. N'oubliez pas que le 16 Hatzfeld envoie son courrier.
Ah que je voudrais que Montebello veut me voir. Qu'il m’amène son fils. Un jour de causerie avec lui. Des paroles de vous intimes quelque direction. Ou bien le duc de Noailles ou Dumon ferait-il cela ? Mon Dieu quelqu’un à qui parler, me confier. Je suis bien malheureuse. Adieu. Adieu. Adieu. Que cette semaine en octobre a été charmante. Quel inépuisable bavardage. Quel impensable plaisir. Adieu. Vous connaissez le mot de Thiers pour chez vous. J’aime la cuisine. Je n’aime pas le cuisinier. Je ne conçois pas que ma lettre du 6 à Morny soit resté sans réponse.
6 heures
Il est peu utile, il est même dangereux de se plaindre. mais comment ne pas me plaindre au fond du cœur de la publicité donnée à tout cela lorsque M. savait à quel point je tenais au secret. Cela devait rester entre lui l’Empereur et moi. Au lieu de cela, voyez ? Quand on m'en parle, je nie que j'ai fait une démarche. Bavardage provenu de ce que je parle de mon ardent désir d’aller à Paris et que je l'écris à tout le monde. Je vous écris à toutes les heures. J’ai la fièvre. Ah si vous étiez au Val Richer comme je me soucierais que de Paris. Adieu. Adieu.
Il me semble entrevoir dans vos lettres que vous avez peu d'espoir. Au fond je ne comprends pas l’Empereur. C’est montrer trop sa subs[?] à l'Angleterre. Je lui croyais plus d'orgueil que cela. Moi à Paris qu’est-ce que je puis faire. Ne suis je pas en son pouvoir ? Enfin je ne comprends pas. Encore et toujours Adieu.
8 heures Encore un mot. Je vous ai parlé ce matin de Montebello. Il est excellent et peut être très utile. Il voit souvent Fould, ils ont souvent parlé de moi depuis mon départ. Son amitié & son témoignage ont une grande valeur parce qu'il est plein d'innocence et de sincérité. On l’aime là. Il pourrait dire bien des choses qui me seraient très utiles car j’ai toujours causé bien librement avec lui. Mettez-le au fait et je parie qu’il trouvera moyen de me servir.
Mots-clés : Armée, Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Correspondance, Diplomatie, Diplomatie (Angleterre), Enfants (Guizot), Femme (diplomatie), Femme (maternité), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Angleterre), Politique (Russie), Réseau social et politique
186. Bruxelles, Mardi 12 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Mon Dieu, moi vous accuser ! Mais comment ai-je pu si mal exprimé ma pensée. C’est par vous que me viennent de tristes lumières voilà tout ce que j’ai voulu dire. Je suis si faible que je ne puis pas entrer en raisonnements. Je vais aux aujourd’hui faits. J'écris à M. pour lui dire le projet de Nice. Je frémis cependant à la seule mention de ce projet mais il faut vivre. Je lui demande aussi s'il serait bon que j'écrivisse à F. Pauvre innocent Montebello qui me conjure de venir à Paris où je serais reçue par tous à bras ouverts. Parlez lui dites lui. Il est excellent, il peut-être utile, très utile. Ne négligez pas cela et tout de suite. Hélas il n’y a plus d'amitiés. Cependant ce que vous lui direz à lui ne doit pas être dit à d'autres. Molé est parfait, mais sans doute impuissant. Mes protecteurs sont des puissances morales qui devraient compter.
Les jeunes grands ducs sont toujours à Sébastopol, & y restent. L’Impératrice a été très mal, en grand danger. Elle allait mieux. Que va-t-elle devenir quand elle verra la Prusse se joindre à l’alliance. tournez.
Mon empereur doit être dans un état d’esprit terrible je ne me le figure pas réduit à cette extrémité. Hélas il ne se rendra pas. Et on a bien soin en Angleterre de lui dire. Si vous cédez - vous êtes déshonoré.
Je suis curieuse du diner de la Reine aujourd’hui. Ah cent fois le jour, je voudrais vous avoir auprès de moi, pour moi, pour tout ce qui se passe. Adieu. Adieu. J’ai écrit Je suis lasse. Ma faiblesse est grande. Adieu. Adieu.
Que votre affection ne se fatigue pas. Adieu. tournez. Je crains les susceptibilités. Voilà pourquoi je vous envoie la feuille volante. A remettre si vous le jugez bon, si non à bruler.
Mots-clés : Conversation, Correspondance, Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Prusse), Relation François-Dorothée, Réseau social et politique, Santé (Dorothée), Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne)
223. Paris, Lundi 11 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Votre N°184 m’arrive de bonne heure. Comment pouvez-vous dire que vous ne “ recevez plus de moi, pour ce qui vous regarde, que des paroles de soupçons et de découragement. " Est-ce de moi-même et de mes propres sentiments que je vous parle quand je vous redis ce que j'entends dire, ce qu’on me donne à lire, et ce qu’on me laisse entrevoir quand on ne me le dit pas. Je vous le redis pour que vous sachiez exactement ce qui en est, première condition pour faire ce qu’il faut. Je ne veux pas croire un moment que vous ayez regardé un moment comme venant de moi ce que je vous envoyais de la part de mes conversations. Je vous gronderais trop fort, et à aucun prix, je ne veux vous gronder. Votre santé et votre tristesse me poursuivent tout le jour. Je cherche tout le jour quelque moyen de presser. la solution que nous désirons. Malheureusement je n'en trouve guère, et je crains que si nous voulions trop presser, nous ne fissions que nuire. Je suis charmé que vous ayez renoncé de vous-même à l’idée d’écrire à l'Emp. Nap. ; je trouvais cela peu convenable. En tout cas, il n’eût fallu le faire que de l’avis et de l'aveu de Morny. C'est lui que vous avez chargé de votre affaire là. Il est, sans comparaison, le plus capable de réussir et le mieux disposé. Je ne suis pas d'avis que vous écriviez à Fould sans avoir demandé à M. s'il le croit utile. Fould vous a écrit plusieurs fois ; vous lui avez écrit ; il est naturel que vous lui parliez de ce qui vous intéresse si fort, et peut-être étant toujours là, pourrait-il trouver le moment de vous servir. Mais ne le faites que M prévenu et consentant. Vous avez ce me semble, une très bonne et très naturelle raison de réécrire à M. sans attendre sa réponse à votre dernière lettre. Parlez-lui, de l’idée de Nice ; mettez-vous sur ce terrain là qui facilite tout pour lui et pour l'Empereur lui-même. Je l'éprouve dans la conversation ; hier à dîner chez Mad. de Boigne, elle m’a parlé de vous, de vos projets. J’ai répondu par votre santé, Andral et Nice. Non seulement à elle, mais au chancelier, à Dumon, à Viel Castel qui étaient là, cela a paru naturel et faisable. Si vous écrivez sans retard à M. sur ce thème, avertissez-moi ; j’irai le voir pour en causer avec lui. J'hésite à aller le voir uniquement pour le presser, sans rien de nouveau à lui demander ou à lui dire. Je sais que c’est très triste et très dur de vous prêcher la patience quand vous êtes dans l'impatience et la souffrance ; mais avant tout et par-dessus tout je ne veux ni vous conseiller, ni faire pour vous que ce qui peut réellement vous servir.
Il court ici toute sorte de bruits. Mad. Kal. a dit à celui de qui je le tiens qu’elle tenait de Mad Chreptovitch. qui sans doute a passé par Paris en revenant de Stuttgart comme en y allant, que le Prince Gortschakoff avait écrit de Vienne à la grande Duchesse Olga qu’il avait porté au comte Bual l'acceptation pure et simple des quatre points par votre Empereur, sur quoi Bual s'était grandement réjoui, disant : " Nous ne vous battrons donc plus qu'autour de ce tapis vert." Mad. Kal. a dit en outre que son père lui écrivait de Varsovie qu'au tour que prenaient les choses, elle pourrait passer tranquillement l’hiver à Paris, ce qu’il ne croyait pas du tout quelques jours auparavant. Qu’il y a loin de ces perspectives là aux derniers articles du Times répétés par le Moniteur ? Je reçois à l’instant une lettre de Duchâtel qui me dit : " Il n’y aurait que la paix de sensée pour tout le monde, si toutefois l'Emp. Nicolas comprend sa position et consent à des conditions raisonnables. Je doute qu’il le fasse. Ces concessions jusqu'à présent n’ont été que des ruses diplomatiques, et il agit toujours, en vrai grec, retenant par dessous main, ce qu’il semble donner et cherchant, sans cesse à filouter ses adversaires. Pardon des expressions ; mais voilà l'impression actuelle des spectateurs intelligents et pas malveillants.
Duchâtel me demande de vos nouvelles en ajoutant : " Voudriez-vous lui offrir l'hommage de mon respectueux, et triste attachement ? " Il arrive aussi ce matin, dans ma maison, une lettre de Sébastopol d’un petit soldat au 20e d'infanterie légère qui écrit à sa mère. nourrice de ma fille Pauline, qu’il a été blessé d’un coup de baïonnette à la main, dans la dernière sortie des Russes et qu’il a tué de la sienne, le Russe qui l’avait blessé : " C'est le premier que je tue avec ma baïonnette ; j’aime mieux les tuer avec des balles ; c’est moins triste. Au moment où je t'écris le 22 Nov.) le canon gronde toujours ; nos tranchées ne sont pas à 200 mètres de la ville. Ils établissent des batteries jusques dans les maisons, ce qui fait qu’elle sera un peu abimée. On attend de nouveaux renforts pour donner l’assaut, car il fait froid. On nous a donné des capotes à capuchon, ainsi que des paletots en peau de mouton, ce qui est très chaud, et on doit nous donner aussi des guêtres fourrées." Voilà le dire des soldats. La lettre n’offre aucune trace de découragement.
Adieu, Adieu. Du courage, je vous en conjure. Adieu. G.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Conditions matérielles de la correspondance, Correspondance, Femme (diplomatie), Femme (politique), Femme (statut social), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Russie), Relation François-Dorothée (Dispute), Réseau social et politique, Salon, Santé (Dorothée)
185. Bruxelles, Lundi 11 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre est excellente. Je vous remercie. Je reste toujours sans réponse d’autre part. Vos conseils sont très sensés. J’ai besoin qu’on m’en donne car je me livre à des amis de désespoir et je ne comprends pas que je vive encore.
Lord Howard vient plus souvent et nous causons beaucoup et à fond. Il croit que nous pouvons accepter de commencer à parler, admettre la discussion. Dans ce cas, il y aurait suspension d’hostilités. Il a été charmé d’apprendre que Brunnow serait employé dans cas qu’on se parle mais comment espérer, avec les exigences anglaises, ce que dit le Times au moins & qui est surement la vérité. Je suis de votre avis l’adhésion de la Prusse faciliterait.
2 heures.
J’apprends que Barrot a reçu tout rement avis qu'on ne permette plus à aucun Russe d’entrer en France. Jusqu'ici il y avait tolérance après examen. C'est une mesure toute nouvelle. On me parle vaguement du renvoi de Mad. Kalergis. Je saurais tantôt si c’est vrai. Mad. Creptovitch est revenu hier de Paris.
Imaginez que je ne dors pas du tout c.a.d. Trois ou tout au plus
4 heures dans la nuit & point de tout le jour. Quelle chose, étonnante que je continue à exister. Je n’ai pas parlé à M. de mon projet de Nice. parce que je ne lui ai pas écrit depuis que j’y songe. Adieu. Adieu et encore merci.
222. [Paris], Dimanche 10 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ne vous livrez pas à votre premier mouvement de révolte. Il en résulterait, pour vous d'abord une lutte puis un isolement que vous ne supporteriez pas. Ce qu’il faut consulter avant tout, dans ses résolutions, c’est sa force, force d'âme et de corps. Nice est le moyen terme dans lequel il me paraît possible et convenable de vous établir, le but qu’il faut pour tout le monde, assigner. à tous vos mouvements. Cela explique et facilite tout, à Paris et à Pétersbourg, à présent, et plus tard.
Constantin me déplait ; non pas pour vous dire ce qu’il pense et vous blâmer de ce qu’il suppose, mais pour vouloir se brouiller avec vous. Il y a des liens que rien ne peut rompre & des amitiés qui doivent survivre à toutes les dissidences. Je ne puis croire que les projets de brouillerie aillent jusqu’à ne pas vous payer ce qu’on vous doit. Ceci dépasserait toute permission. Les dettes d’affaires sont indépendantes des peines de cœur. Il serait trop commode de s’acquitter avec du chagrin.
Voilà deux visites qui m’arrivent. Je n’ai pas le temps de vous dire plus, adieu, adieu. G.
184. Bruxelles, Dimanche 10 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre est désespérante. Je ne reçois plus de vous pour ce qui me regarde que des paroles de soupçons et de découragements. Comment ai-je mérité cela ? Je me croyais des amis dans le monde. Qu’ai-je donc commis ? Nous sommes en guerre ; Dieu sait que je ne suis tout au plus qu’Européenne dans mes vœux. Je n’ose pas dire tout ce que je sens. Mais enfin dans mon vœu d’aller à Paris, vous savez à quel point c’est le cœur, l’esprit, les besoins de ma santé qui m’en poussent. Je veux bien prendre le solennel engagement de ne plus écrire une ligne. Prescrivez-moi ce que je dois faire. Au fond je suis indigne d’avoir à me défendre. Qu'on vienne me parler je saurai répondre.
Et comment votre empereur se méfierait-il de moi ? Qui sait mieux que vous combien il se trompe ! A Pétersbourg on m’accuse de Napoléonisme ; chez vous, je prie encore qu'on m'explique de quoi on m'accuse, à Londres c'est la rancœur de Lord P. rancœur personnelle, car vous savez que j’y ai des amis et des amis puissants. Mon grand défaut est de compter sur ma parfaite innocence à voir tout ce qui m’arrive aujourd’hui. Je suis certainement bête.
Envoyez-moi Montebello ; je voudrais tant ouvrir mon cœur à quelqu’un. C'est un si honnête homme. Quel bonheur s'il venait. Je suis sûre qu'il pourrait ensuite. Mon ami de Sch. s'est-il refroidi dans son amitié, ou a-t-il perdu de sa puissance ? Ce n’est qu'à lui cependant que je puis me remettre et me fier. Je renonce à l’idée d'écrire plus haut. Il y aurait inconvenance. Comment n’ai-je pas un mot ? Vous m'avez dit de ne pas trop frapper à la porte. Fould est-il mon ami ? Je l'ai toujours pensé, y aurait-il inconvénient à me tourner vers lui aussi. Il a l’accès quotidien, il pourrait rappeler. M. trouverait-il cela mauvais ? Pourquoi ne pas chercher secours auprès de tous ceux qui pourraient me secourir. Je cherche à penser à nulle ressource mais je n'ose rien faire de si loin, sans avis.
Vais-je vous ennuyer aussi ? Ah mon Dieu, il me manquerait Plus que cela. Je ne vous parle que de moi. Quel grand moment dans l’histoire de l’Europe ! Tout est changé. Cela a été bien mené chez vous ; bien pitoyablement chez nous, ah mon Dieu ! Comme la presse a été mortifère. Que de réflexions curieuses à vous communiquer si nous étions ensemble & dans un moment pareil personne à qui dire mes impressions ou de qui en recevoir ! Je suis touchée du bon souvenir de Dumon. Il me semble que je l’entends trouvant sur tout ce qui se passe des réflexions et des mots si piquants & si vrais. Que vous êtes heureux de vivre. avec des gens d’esprit. J’ai toujours ici Mérode, mais ce n’est bon que pour rire avec, & je ne sais plus rire. Adieu. Adieu.
Savez-vous que Thiers est fort. consulté par Vaillant & par Thouvenel. Il a dîné avec celui-ci chez Hubner et il y a huit jours chez Rémopf. outre les autres rencontres.
221. Paris, Vendredi 8 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
L’amiral Hamelin revient Bruat prend le commandement de la flotte Française. Aussi bon marin, et plus entreprenant. Vous aurez vu, dans le Moniteur, qu’il était à terre le 14, au moment où le grand ouragan a éclaté, et qu’il s'était sur le champ mis à la mer, dans un canot, pour aller rejoindre son vaisseau, ce qu’il a fait avec la plus grande peine et le plus grand péril. Le récit de cet ouragan, par un officier à bord du Napoléon, est très dramatique. Vous ne l'aurez peut-être pas remarqué.
On raconte que la Princesse Mathilde passant sur le quai des Tuileries, et apercevant un homme de sa connaissance, le duc Blanchot à qui elle avait quelque chose à dire, a fait arrêter sa voiture. Elle avait à la main en lui parlant, un petit portefeuille, et elle lui a dit : " Vous ne devineriez pas ce que j’ai là dedans ? - Quoi donc ? - Vingt cinq mille francs que l'Empereur vient de me payer. - Et pourquoi ? - J’avais parié contre lui que, quand on se battrait à l’armée, mon frère n'y resterait pas. Il a reconnu que j’avais gagné et il m’a payé."
On raconte aussi beaucoup de paroles, de colère de votre Empereur contre l'Empereur d’Autriche ; trop violentes pour que je vous les redise.
2 heures
Je reçois votre lettre trop tard pour y répondre. aujourd’hui comme vous le désirez. Je le ferai demain. Il y faut le ton et la mesure, justes. Vous avez trop d’esprit pour croire que les foudres de Constantin, quand elles éclateraient, dissiperaient les préventions dont vous êtes l'objet, les préventions résisteraient à de bien autres témoignages. Ce ne serait pas le premier exemple d’un souverain se brouillant. avec son serviteur et le maltraitant pour le mieux accréditer. Tenez pour certain que ce serait là ce qu’on dirait et ce qu’on croirait. Il faut toujours voir les choses comme elles sont Adieu, Adieu.
183. Bruxelles, Samedi 9 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai envie d'écrire à votre Empereur lui-même. Qu’en pensez-vous ? Dernier moyen qui m’a toujours été bon. Naturellement, je ne pense qu'à moi. Dans ma lettre à l’Impératrice hier j’ai dit que je songeais à Nice, voilà tout. Aujourd’hui j'écris à Meyendorff même thème sans autre développement que ma santé. Espèce de paratonnerre contre la foudre. Rien de M. encore. C'est bien long !
Certainement l’alliance avec l'Autriche c'est une énorme affaire traité de Vienne, Sainte Alliance tout détruit. La Prusse a été jouée. Elle est prise, elle ne peut pas se tirer de là. Il y a des gens qui craignent pour le roi. Evidemment nous n’accepterons pas la démarche de l’Autriche. En attendant et comme prévoyant on me dit que Brunnow est l’homme qui aurait à se mêler d’une négociation, mais il n’y a aucun moyen de croire qu’on en vienne là. Je ne vous redis pas l’état d’esprit, de corps où je suis. Dans toute ma vie je n’ai rien éprouvé de semblable. Adieu. Adieu.
Mon ami de Schlangenbad sera-t-il encore heureux ? Comme c’est long !
219. Paris, Jeudi 7 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ce n’est pas un délai de trois mois qui est donné à l’Autriche pour vous amener à la paix, ou se décider elle-même à la guerre. Vous devez avoir répondu définitivement à ses nouvelles ouvertures, avant le 1er Janvier prochain. Ce terme passé, si vous n'avez pas accédé, les trois puissances alliées se concerteront immédiatement, sur les mesures militaires à prendre en commun. C'est le sens positif d’un article secret joint au traité. Les articles publics confirment ce qui a été fait ou dit jusqu'ici dans les protocoles de Vienne maintiennent les quatre bases, en réservant aux trois Puissances. La faculté de les étendre selon les événements de la guerre, déterminent avec plus de précision la portée de ces quatre bases, surtout de la dernière, chargent l’Autriche de la nouvelle sommation à vous adresser, et la lient en tous cas, aux puissances occidentales qui lui garantissent en cas de guerre, toutes ses possessions actuelles. On ne doute pas ici, dans le gouvernement que si votre réponse n’est pas favorable, l’Autriche n'entre en campagne contre vous sur le Danube, aussitôt que la France et l'Angleterre y entreront elles-mêmes.
Le délai du 1er Janvier a été assez brusquement substitué à celui de trois mois qui avait d'abord été à peu près convenu.
On a donné de Vienne à Berlin, avis de ce qu’on faisait, 48 heures avant la signature, assez tard pour qu’on n’est pas le temps de faire des objections.
La Prusse s'était décidé à se mettre d'accord avec l’Autriche parce qu’elle avait vu qu’elle serait en grande minorité dans la Diète.
Les dernières nouvelles de l’armée alliée en Crimée sont bonnes, les lettres particulières voudraient bien se combattre sans se brouiller. comme les rapports officiels. L’arrivée des renforts a rendu à nos troupes leur entrain. On s’arrange pour l'hiver. La gaieté des Français gagne et soutient les Anglais. Le Duc de Cambridge est réellement malade, malade du cerveau ; il s’est très bravement. conduit dans la journée du 5 ; mais le spectacle de la lutte et du carnage lui a frappé l’esprit au point de le déranger. Il a absolument besoin de repos.
Mon rhume va mieux, sans être tout-à-fait fini. J’ai recommencé hier à sortir. J’ai rendu une visite au Ministre des Etats-Unis d’Amérique, homme de sens qui m’a paru bien convaincu que son pays ne se mêlerait d'aucune façon, des affaires de l'Europe. Bien pour vous et décidé à être bien, sans sympathie. Le soir chez Mad. de Boigne, le chancelier, le général de la Rue, les Salvo, Mad. Mollien, Viel Castel. J’y dîne dimanche.
J’ai eu hier une longue lettre de Molé, sur les élections de l'Académie. Il appartient, corps et âme à M. de Falloux. L’intervention du nom du Duc de Broglie l’embarrasse fort. Grande confusion dans cette affaire. Les hommes voudraient bien se combattre sans se brouiller. Si le Duc de Broglie ne dit pas formellement qu’il n'en veut pas, c’est lui qui sera nommé. Molé me demande beaucoup de vos nouvelles. Une heure. J’approuve tout-à-fait votre idée. Vous venez consulter votre médecin pour aller ensuite à Nice s’il le juge nécessaire et si vous en avez la force. Cela est bon à dire partout, et ici encore plus qu'ailleurs. L’autorisation en sera plus facile à donner et à justifier auprès de ceux qui en prendront de l’humeur. Il y aurait de la barbarie à vous la refuser.
Vous me direz positivement si vous voulez qu’on réponde dans ce sens, aux questions faites à votre sujet.
Adieu, adieu. Dumon sort d’ici et me demander de vous présenter ses respects vraiment affectueux. Duchâtel arrive demain ou après-demain, pour cinq ou six jours. Adieu. G.
220. Paris, Vendredi 8 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai eu quelques personnes hier soir. Tout le monde a, du traité autrichien, la même impression, une impression favorable à la paix ; mais on doute de deux choses, l’une que vous acceptiez purement et simplement, et immédiatement, ce qu’on vous propose ; l'autre que l'Angleterre veuille sérieusement la paix tant que Sébastopol ne sera pas pris et détruit. J’ai aussi les deux doutes. Quand Sébastopol sera-t-il pris ? Pour le moment, je vois là trois assiégés, Sébastopol Canrobert à Mentchikoff. Tous les trois se retranchent dans leurs lignes pour se prémunir contre les attaques imprévues. On peut passer ainsi tout l’hiver. Sébastopol ne tomberait alors que l'été prochain, devant une campagne encore bien plus grande et plus rude que celle-ci. Tenez pour certain que si vous ne faites pas la paix à présent, vous aurez la guerre au printemps sur une bien autre échelle ; après quoi vous ferez une plus mauvaise paix. Si vous êtes décidés à ne pas la faire de 15 ou 20 ans à perdre vos provinces frontières, à vous retirer de plus en plus loin de l'Europe, peut-être aurez-vous le dernier ; il y a, dans cette hypothèse, quelques chances pour vous, mais dans cette hypothèse seulement. Je ne pense pas que même dans cette hypothèse, le succès valût, pour vous, ce qu’il vous aurait couté.
J’ai fait deux ou trois visites hier en revenant de l’Académie. Mad. de Staël est de retour. Montebello est venu me voir comme je rentrais, très préoccupé du traité. Son frère doit arriver en ce moment même, à Balaklava ; il en reviendra promptement. Il n’est allé que porter des récompenses et des encouragements et chercher des renseignements précis sur les besoins. Dumon, qui est venu aussi, avait rencontré Morny au Club des chemins de fer et l’avait trouvé très convaincu de la paix.
Avez-vous lu les discours des généraux San Miguel et Bonnell sur la reine Isabelle, et n’avais-je pas raison de vous dire qu’elle survivrait à cette secousse ? L’esprit monarchique et l’esprit révolutionnaire existent en Espagne ; lequel des deux étouffera l'autre ? Je n'en sais rien ; mais il faudra bien des années, des siècles peut-être, pour l’une ou l'autre victoire.
2 heures
Pas de lettre ce matin. Je n’ai rien à ajouter à celle-ci. Adieu, Adieu. G.
183. Bruxelles, Jeudi 7 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Dimanche
Je n'ai absolument rien à vous mander. La preuve est que ce commencement de lettre est restée sur mon bureau. jusqu’aujourd’hui 8. Mais j'ai à vous dire depuis une heure, et bien mal ! Mad. Sebach a traversé Berlin ; à l'heure qu’il est, elle est à Pétersbourg et raconte qu'aux Tuileries on annonce mon arrivée à Paris. Constantin sur cette nouvelle me dit que je dois me préparer à ce que l’on me renvoie de Péters. les lettres que j'écrirai de Paris à ce que l’Impératrice me redemande son portrait et à ce que je me brouille avec lui Constantin & mes fils, ce qui veut dire sans doute qu’ils me retireraient toute la pension qu’ils sont tenus à me faire. Voilà donc la préface de la bombe. J'avais bien raison de la craindre.
Maintenant où en suis-je ? Je n’en sais plus rien. Mon premier mouvement est la révolte. Est-ce le bon ? Ah, que n'êtes vous auprès de moi. Il y a des termes moyens. Mais il me faut des conseils, de l’esprit. Je ne sais prendre aucun parti. Je mourrai de cette angoisse, cela coupera court à tout. Il y a longtemps que je prévois cette fin là à mes misères.
C’est de la tranquillité, du repos qu'il me faut pour vivre au lieu de cela voyez-mon agitation. Ah, vous n'en avez aucune idée. Dans tous les cas tenez ce langage-ci : " Si Mad. de L. vient à Paris ce sera pour consulter son Médecin, et s'en aller à Nice s'il le lui prescrit et qu’elle en ait encore la force. Elle crache le sang, elle est bien malade. "
Le climat de Bruxelles doit être trop rude pour moi. & puis vous me conjurez de prendre mon parti vite & de ne pas attendre qu'il soit trop tard. Soyez très inquiet et très pressant, j’ai besoin de cela & j’y compte. Du reste votre lettre ordinaire, seulement pas de sentences désobligeantes pour nous & je suis vraiment bien misérable et assez intéressante pour motiver que je l'envoie. Adieu. Adieu, je perds la tête.
Ah que le passeport est pressant. Il faudrait que Je l'eusse avant que l'écho de Mad. Sebach ne me revienne de Petersbourg. Ce sera au plus tard dans huit jours, peut être plutôt car la grande duchesse Olga savait cela à Stuttgart. Jusqu’à présent il n'y a que Constantin. J’ai le droit de n'y pas faire attention.
218. Paris, Mercredi 6 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je serai bien court aujourd’hui.
J’ai eu des affaires ce matin et du monde jusqu'à présent. Je reçois le 180. Je suis presque fâché qu’il fasse beau ici ; je voudrais vous envoyer ce soleil ; pâle, mais soleil. Je vous en prie, pour moi, ne vous livrez pas à l'abattement.
On se calme sur le traité. On le trouve bon, mais moins gros qu’on ne croyait. Meilleur pour l’Autriche elle-même que pour les deux autres. Le parti de la guerre générale et du remaniement de l'Europe, on est très mécontent. Je serais curieux de ce qu’en dira Lord Palm. J’ai reçu un mot d'Aberdeen à qui j’avais écrit dans l’intérêt de mon ancien chancelier à Londres, M. de Rabaudy. Il me répond qu’il fera ce que je désire, puis, il ajoute : " Shall we ever met again ? I do not become at all more reconciled to this long suspension of interecourse, but I Know not how, it is to be avoided. Doubtless, there is much to be said, and I would give a great deal for an hours conversation with you. But these are vain désires. " Ce n’est pas d’un homme près de quitter le pouvoir.
Le langage de Hatzfeld est amer sur un traite signé si promptement et si incognito.
3 heures
J’ai été encore dérangé pour ne rien apprendre. Tout le monde dit qu’au mois d'avril, la France et l'Angleterre auront en Crimée, 250 000 hommes. Adieu, adieu. Il faut que je ferme ma lettre. G.
182. Bruxelles, Mercredi 6 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Quand vous avez quelque chose de plus intime à m'écrire écrivez-moi sous l'enveloppe de Mademoiselle Cerini. Hotel Bellevue. Et intérieurement Mad. de L.
Je resterai dans une grande anxiété de savoir si ma lettre d’aujourd’hui à M. a été bonne à quelque chose. J'ai si peu l’assurance du bonheur pour mon compte ! Il me semblait que ma lettre était bien mais j’aurais mieux aimé vous l’avoir montré avant. Si cela ne va pas, j’ai envie d'écrire à l’Emp. lui-même. Qu’en pensez vous ? J’ai toujours mieux réussi à la source.
Ah que j'ai besoin d’être tiré d'ici ! Depuis le jour où vous m'avez quitté le 20 octobre, je n’ai pas eu un instant de tranquillité d’esprit, ni de repos de corps, plus de sommeil. Mes pensées. auprès de vous sans cesse. Ceci vous arrive par une occasion sûre. Dites-moi que vous l'avez reçu en me disant que vous avez reçu des livres. Adieu.
Le 9 Décembre Voici l’adresse extérieure. Mademoiselle la Baronne de Cerini. Hotel Bellevue. Adresse intérieur rien qu'un D au coin de l’enveloppe.
181. Bruxelles, Mercredi 6 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre d’hier est des plus intéressante et sage. C’est un charme de les recevoir. Vous avez raison l'annexion de l'Autriche c'est un grand et bon événement. Après tout elle se sera conduit habilement et il peut en ressortir la paix. Je la désire tant que je ne puis pas y croire.
Si j’attends ce que j’attends et désire si ardemment pour amortir l’effet au loin je dirai que je vais consulter mon médecin, & que s'il juge le cas pressé & que j’en ai la force j’irai à Nice Il n’y aura pas moyen de se mettre en grosse colère.
Ce serait ce que je dirais à tout le monde. Approuvez-vous et dans ce cas ne trouveriez-vous pas bon que ce fut dit à Paris aussi. Cela mettrait plus à l’aise. Vous me répondrez à cela. J'écris aujourd’hui à mon ami de Schlang. Je vous enverrai copie si j’ai la force de copier. Je suis vraiment faible extrêmement. J’ai fait comme vous m’avez dit. Merci, merci de vos longues et bonnes lettres. L’affaire de l’Autriche fait un énorme effet, plutôt un effet d'espérance. On trouve que la France a été très habile & votre Empereur heureux, selon son habitude. On ne saura rien jusqu’à la réponse de Petersbourg, et nous ne savons pas encore si la sommation de Vienne est partie. La Prusse se dit contente. Puisque tout le monde est content, nous devrions bien l’être aussi. Adieu. Adieu.
Bruxelles, Lundi 3 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je suis bien malade. Je vois et vous me dites qu’à Londres, on se fait un monde de mon retour à Paris. Certainement je n’aime pas les Anglais autant que vous et je n’adore pas votre alliance, mais je vous aime, j’aime votre empereur et je ne voudrais pas lui créer le moindre ennui. Quand à mon salon, pourrais-je en avoir ? Et si j’en avais un il serait encore plus ce qu’il était quand j’étais libre c.a.d. une influence favorable à l’Empereur et à l’Impératrice. Elle peut se le rappeler mais que je suis loin de ces deux sauveurs. Seulement l’Empereur attend un succès. Que veut-il de plus que la gloire de ses armes et le traité avec l’Autriche. La prise de Sébastopol. Mais je ne serai plus de ce monde. Je crache le sang.
Je voudrais revenir me soigner, voir mon monde, retrouver mon lit, des portes qui ferment et fermer une porte même à mes amis s’il le faut. Et puis si je pars de suite on en pensera ce qu’on voudra, l’escapade sera faite mais si on apprend a Pétersbourg ma démarche et qu’on me demande d’aller à Paris, alors je deviens en état de vraie révolte et ma situation pour moi et ma famille peut en être très changée.
217. Paris, Mardi 5 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je ne pensais hier qu'à vous seule ; je ne vous ai pas parlé du traité Autrichien. L'effet est grand ici ; vous aurez vu qu’il a été grand à la Bourse. On voit là un succès et un gage de paix. La double alliance laissait possible, la guerre révolution naire et le bouleversement de l'Europe ; avec la triple alliance, c’est impossible. Un peu plus tôt, un peu plus tard, l’Autriche rétablira la paix. Je ne suis pas du tout sorti hier, à cause de mon rhume ; mais on est venu me voir, Glücksberg d’abord, puis le chancelier, puis Berryer, puis le Duc de Noailles ; tous disant à peu près la même chose. Le Duc de Noailles, le plus content ; le repos en France et la paix en Europe ont tout son cœur. Personne ne sait encore les dispositions précises du traité. Hübner qu’un de ces messieurs (je ne me rappelle pas si c’est Berryer ou Noailles avait rencontré hier, lui a dit que c’était le plus grand événement qui se fût passé en Europe depuis 1815. Il était radieux. Je le comprends. La Russie affaiblie, l'Allemagne affranchie et unie, l’Autriche rassurée contre la révolution et contre vous à la fois, et médiatrice entre l'Occident et l'Orient, il y a là de quoi charmer les cœurs Autrichiens. Quand la paix sortira-t-elle de là ? Ceux qui y comptent ne l'attendent pas très prochaine, ils doutent que vous accédiez à la nouvelle sommation qui va vous être adressée et alors il faut une nouvelle campagne. Rien n’est à prévoir avec quelque certitude jusqu'à ce que nous avons vu le Parlement anglais.
Le Duc de Noailles veut aller vous voir à la fin du mois. Il m’a dit qu’il serait déjà allé sans la mort du Duc de Mouchy. Il s'occupe des affaires de sa cousine. Mais il affirme qu’il ira. Berryer aussi veut aller vous voir, et je ne serais pas surpris quand il serait le premier. Il se plaint de sa santé, et je l’ai trouvé en effet fatigué et vieilli. Il ne pense pas, ni moi non plus que sa réception à l’Académie ait lieu avant le milieu de Janvier.
Glücksberg m’a intéressé sur l’Espagne d'où il vient et où il va retourner. Il n’a pas maintenant grande inquiétude sur la Reine Isabelle ; il dit qu'à travers ses désordres et son décri qui sont tout ce qu’on en dit, elle ne manque ni d’esprit, ni de courage, et qu’en se mettant pleinement, comme elle l’a fait, entre les mains d’Espartero et de ses amis, elle leur a été toute possibilité de l'attaquer ; l’un deux disait ces jours derniers : " Elle nous force à la défendre jusqu'à ce qu’elle puisse nous faire pendre." Cette réaction arrivera, et c’est Narvaez qui la fera ; mais pas de sitôt. En attendant, il vit à Orléans. On l’a prié de ne pas venir à Paris, et lui-même ne veut pas être où est la reine Christine. Celle-ci est la personne qui a le plus perdu en Espagne dans ces derniers temps ; il paraît qu’elle a tout-à-fait manqué de jugement, et de tact, pleine de prétentions et de tracas sur de petites choses. Son attitude à Paris, il y a deux ans, a déplu en Espagne.
Mon médecin a lu une lettre d’un chirurgien Français devant Sébastopol qui raconte qu'après la bataille du 5 on a surpris un chirurgien Russe errant sur le champ de bataille, et ouvrant les veines aux blessés anglais et français. On l’a pris et fusillé sur place.
2 heures
J’ai eu bien du monde, et des gens qui devraient savoir précisément ce qu’est le traité Autrichien. Personne n'en connait, ou n'en veut dire les dispositions ; mais il fait, sur tout le monde, l'impression d’une garantie future de la paix. Adieu, Adieu. J'attendrai impatiemment demain votre lettre. Adieu. G.
Mots-clés : Académie des sciences morales et politiques, Affaire d'Orient, Diplomatie, Femme (politique), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Politique (Allemagne), Politique (Angleterre), Politique (Autriche), Politique (Espagne), Politique (Russie), Réseau social et politique
216. Paris, Lundi 4 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Il faut que vous écriviez, à votre ami d'Ems et de Schlangenbad, une lettre sur le thème que voici :
" Je suis bien malade de plus en plus malade. Je vois, et vous me dites qu'à Londres, on se fait un monstre de mon retour à Paris. Certainement je n’aime pas autant que vous les Anglais et je n'adore pas votre alliance ; mais je vous aime, j’aime votre Empereur, et je ne voudrais pas lui créer le moindre ennui. On a peur de mon salon. Mais je n'en aurai point point du tout ; et si un jour j'en avais un, il serait encore plus ce qu’il était quand j'étais libre, c’est-à-dire favorable à l'Empereur et à l'Impératrice. Elle peut se le rappeler. Mais que je suis loin de les doux souvenirs ! "
" Je crois démêler que pour me témoigner toute sa bonté, l'Empereur attend un succès. Que veut-il de plus que la gloire de ses armes et le traité avec l’Autriche ? Est-ce la prise de Sébastopol. Mais je ne serai plus de ce monde ; déjà j’ai à peine la force de sortir de mon lit, de me lever de mon fauteuil ; je crache le sang && J’aspire avec passion et souffrance à mon appartement de Paris, à mon médecin, à l’air doux et à l’aspect gai qui me viennent par mes fenêtres, à des portes qui ferment et que je ferai fermer à tout le monde, s'il le faut. Et puis, si je retourne à Paris, maintenant, on en pensera ailleurs ce qu’on voudra ; l'escapade sera faite ; mais si on apprend à Pétersbourg, ma démarche et qu’on me défende d'aller à Paris, alors j’entre en état de vraie révolte et pour moi, pour ma famille, la situation est tout-à-fait changée. Hélas, je ne tarirais pas sur les motifs de mon ardent désir. "
Je suis un interprète parfaitement fidèle. M. est venu me voir hier ; très heureux du traité autrichien disant qu’il est complet, qu’on vous fera probablement une nouvelle et dernière sommation, et que si votre réponse n’est pas pleinement satisfaisante, les ambassadeurs seront aussitôt retirés, et l’Autriche entrera en campagne avec ses alliés. Il regarde ceci comme très favorable à la paix. On se loue infiniment de Bourqueney, de sa prudence, de sa patience et de son savoir-faire.
Conseil général. Quand vous écrivez à M. prenez soin que vos lettres puissent être montrées plus haut, et ne donnent pas lieu de croire à un concert habituel entre vous et lui. J’ai entrevu que cela pouvait le gêner et l'affaiblir.
Vous ne savez pas à quel point le travail contre vous est actif et sérieux. Il y a là une méfiance incurable, une conviction de marbre que vous ne sauriez vous tenir tranquille, ne pas travailler contre l'alliance, ne pas servir, à tout prix, votre Empereur qui à son tour, se sert et se servira de vous, par toutes les voies et dans toutes les situations. Certainement, dans le temps de votre grande activité il vous a manqué une habileté, celle de faire penser que vous pouviez être autrement que vous n'étiez, vous soucier d'autre chose que de politique, vous décider par d'autres motifs que le service de votre maître, vivre en dehors de la diplomatie, et des affaires Russes comme hors de la Russie elle-même. Vous êtes, aux yeux des Anglais, la diplomatie Russe incarnée, infatigable, insaisissable. Il n’y a pas moyens de leur persuader qu’il puisse y avoir, pour vous d'autres intérêts, d'autres sentiments, d'autres intentions, d'autres occupations. Un homme peut porter le poids de cette situation exclusive, absolue immuable. Elle ne convient pas à une femme ; il faut qu’elle puisse se retrouver purement et simplement une femme, renfermé dans la vie privée, et que tout le monde puisse le croire.
Ne dites pas trop comme vous me l'écrivez souvent, qu’on fait chez vous, entre les Anglais et les Français, une grande différence, très doux pour les uns, très rude pour les autres. Cela est pris comme une preuve de votre travail contre l'alliance. Et puis, personne ne prend au sérieux cette distinction de votre part. Votre Empereur, dans sa conduite et dans ses conversations avec Seymour, a traité trop légèrement la France et l'Empereur Napoléon pour qu’on voie là autre chose qu’une manœuvre, et une manœuvre trop transparente.
J’aurais bien des choses à ajouter. Mais en voilà déjà bien long et l'heure me presse. Adieu. Adieu. Le bon vouloir est toujours le même. G.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Conditions matérielles de la correspondance, Correspondance, Diplomatie (Russie), Femme (diplomatie), Femme (santé), France (1852-1870, Second Empire), Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Autriche), Politique (Russie), Portrait (Dorothée), Relation François-Dorothée, Santé (Dorothée), Vie domestique (Dorothée)
180. Bruxelles, Mardi 5 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Mardi
Je suivrai toutes les directions, je vais m’y mettre.
Je me sens tous les jours plus mal et plus triste, & si vous voyez ce ciel !
Encore une lettre d'Angleterre c'est la maison des aliénés. L’officier anglais qui a écrit le récit de bon accueil que lui a fait l’Empereur & Le grand duc Constantin, ce lieutenant de Tzar n'ose plus se montrer, on veut le lapider. Que faire de ces fous ! Vous me le disiez il y a un an & demi. Une fois l'Anglais décidé, il va sans s’arrêter jusqu'au bout. Aujourd’hui c'est un bull dog enragé. Que seront les discours au parlement ?
J’ai les mêmes données que vous sur l’Autriche. Elle va faire une dernière proposition à Pétersbourg. On me dit aussi qu’elle se réserve sa neutralité pendant 3 mois ? Est-ce vrai ?
Je n’ai rien à vous dire mais je n’ai pas voulu manquer de vous dire ces peu de mots. Adieu. Adieu. Le sentiment Russe est bien monté contre l'Ang.
179. Bruxelles, Lundi 4 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai vu beaucoup de monde hier. Conversation peu satisfactory. Wring l’Autrichien très content & très glorieux. Il faut non seulement Sébastopol, mais garder la Crimée toute entière, & Ismail à l'embouchure du Danube. Si on nous avait battu dans 10 batailles. On ne serait pas plus arrogant. Le prussien est renversé de l'accusation de l’Autriche à l'alliance occidentale. Il ne s’y attendait pas si vite après l’arrangement de la Prusse avec l’Autriche. Il y a des gens qui s'obstinent à voir dans tous ces dénouements diplomatiques des acheminements à mes négociation de paix. Si on la veut à la façon de Wring cela n’est pas possible. Mais Lord Howard aussi me parle d’Ismail par dessus Sébastopol. (la forteresse d'Ismail commande l'embouchure du Danube).
On est fou en Angleterre ; j’ai vu hier le comte Caroli revenant de Londres. Il dit que c’est de la démence et dans toutes les classes. Haine & vengeance. Les seules paroles douces & convenables que j’entends me viennent de votre Ministre, à Pétersbourg même langage, pour tout ce qui est France & Français.
Ici on me parait charmé de voir l’Allemagne tellement engagée avec l’occident. On va dormir tranquille. Quand dormirai-je, moi ? Vous ne vous figurez pas mon désespoir par moment. Ma tristesse toujours. Adieu. Adieu.
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178. Bruxelles, Dimanche 3 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai toutes vos lettres inclus celle de hier. Tout ce que vous me dites, je me le dis mais je me sens si malade que je crains que le remède n’arrive que lorsque je ne pourrai plus m'en servir. Au reste j’ap prouve que vous ne pressiez pas M.
J’ai eu une longue lettre de Meyendorff, en grande irritation contre les Anglais. En grande douceur pour les Français ; maître et public, et soldat tous sont doux. Il ne me dit pour vous. pas un mot d'espérance de paix. On est triste à la cour mais bien résolu à tous les sacrifices pour continuer la lutte.
Greville m'écrit une énorme lettre, révolté des atrocités que nous commettons sur les blessés. Il a raison si c’est vrai. Raglan & Canrobert ont réclamé au près de Menchikoff, il n'a répondu qu'à Canrobert. Sans doute parce que la rédaction de celui-ci lui aura semblée plus civilisée que celle de l’autre. L'Angleterre ne demeure, voulant tout donner, hommes & argents ne craignant qu’une chose, que le gouvernement n'en dépense pas assez. Enfin on est fou. Les quatre points c'est de l'eau claire. Il n'y a que le roi de Prusse qui puisse avaler cette plaisanterie. Voilà la lettre.
J’apprends la triple alliance offensive & défensive avec l’Autriche. Comme cela devient gros ! Il y a des jours où je ne vois personne, comprenez-vous ce que devient ma pauvre tête alors ? Je regrette mon bonheur de huit jours, passé. Si je l’avais à présent. Si j'avais un ami. Remerciez bien M. Guillaume de la peine qu'il a prise. J'en suis confuse. Adieu. Adieu.
Nous croyons avoir tout prévu le 20 oct. quand vous m'avez quittée.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Conditions matérielles de la correspondance, Correspondance, Diplomatie (Russie), Femme (diplomatie), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Politique (Angleterre), Politique (Autriche), Politique (France), Politique (Prusse), Réseau social et politique
215. Paris, Dimanche 3 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voilà donc le traité d'alliance avec l’Autriche signé. Quels en sont les termes ? Nous verrons. Mais le fait seul est capital. On s'efforce souvent d'éluder ce qu’on fait par les paroles dont on se sert ; mais on n'y réussit que bien peu. C'est le fond des actions que décide de leurs conséquences. Mon ami Bourqueney ne fait pas mal ses affaires. Sa femme doit être bien contente. Elle était beaucoup moins perplexe que lui.
Ce traité facilitera beaucoup à Aberdeen la session qui va s'ouvrir. Ne vous attendez pas à sa retraite. En faisant la guerre, il se promet toujours de faire la paix, et la Reine veut qu’il reste pour la faire en effet le jour où elle sera possible sans un grand effort d’énergie et de courage. Je ne crois pas au succès de l’intrigue Palmerstonienne ; elle est trop publique, et elle mènerait trop évidemment à la guerre révolutionnaire. Si ce que vous dit Ch. Greville est vrai, il n’y a pas là grand danger.
Les marins n'auront plus d'humeur. Ils en avaient un peu et trouvaient qu’on exigeait d'eux ce qu’ils ne pouvaient pas faire, et qu’on ne leur rendait pas justice pour ce qu’ils faisaient. M. Ducos avait plus d’une fois, porté les plaintes à l'Empereur. Les décrets du Moniteur de ce matin y mettront fin. Hamelin a bien gagné son bâton d’Amiral et Parseval Deschênes, qui ne l’a pas autant gagné, le mérite autant. Je connais la plupart des officiers qui reçoivent de l'avancement. Ce sont des hommes vraiment distingués. On ne sait pas assez à quel point le corps d’officiers de notre marine est bien composé.
A tout prendre, je trouve le discours du Roi de Prusse bon. Avec des paroles entortillées il dit franchement sa politique. Ses Chambres, le pousseront un peu, mais pas bien vivement je crois, ni de manière à l'embarrasser. Elles lui savent gré de sa loyauté envers elle-même, et elles ne veulent pas faire grand bruit.
Hier l’Académie des sciences morales et Mad. Mollien en en revenant. Longue conversation sur Claremont intéressante pour moi. La Reine ne tarit pas en éloges sur sa belle fille l'Infante Fernande vertueuse, sérieuse, pieuse, occupée de son mari, de ses enfants, de sa dévotion et de bonnes œuvres, respectée et aimée de tous. Quand faisaient. M. Ducos avait plus d’une fois, le Roi Léopold a été de Calais, il y a eu, dans la famille, un vif mouvement d'humeur ; on a eu quelque envie de quitter Claremont ; les trois Princes se sont réunis pour en délibérer. Mais le bon sens, la justice et l'opinion de la Reine ont prévalu. La Reine Victoire est toujours extrêmement bien pour eux, soigneuse avec affection. Le soir, j’ai dîné chez ma fille Henriette, et je suis rentré à 9 heures et demie pour me coucher. Je suis très enrhumé ; je tousse beaucoup. Mais j’ai bien dormi cette nuit, et j'espère qu’en restant deux jours sans sortir, je m'en débarrasserai. Quand donc vous soignerai-je aussi ?
1 heure
J’ai peine à croire au mot brute. On peut et il faut, en pareil cas, être très sûr ; mais à quoi bon être grossier ? Je vous ai envoyé hier par la voie indiquée, les livres que vous désirez. On est très content de Bourqueney pas précisément dans le cabinet des affaires étrangères, où l’on n'est jamais content que quelqu’un réussisse, mais plus haut. Je viens d'en avoir des nouvelles. Rien de précis sur le traité ; seulement, qu’il est surtout conçu dans la prévision d’une campagne des alliés. sur le Bas Danube. Adieu, Adieu. G.
Mad. Kalergis part des quelques jours ; elle avait annoncé qu’elle passerait l'hiver à Paris ; mois elle y renonce.
Mots-clés : Académie des sciences morales et politiques, Armée, Diplomatie (Angleterre), Diplomatie (France), Femme (politique), France (1852-1870, Second Empire), Marine, Politique (Angleterre), Politique (Autriche), Politique (Espagne), Politique (Prusse), Salon, Santé (Dorothée), Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne)
214. Paris, Samedi 2 décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai passé hier chez Hatzfeldt. Je ne l’ai pas trouvé ; mais je lui enverrai cette lettre avant 5 heures. Bien petite compensation à l'insuffisance de nos communications. Il y a deux choses qu’il faut sans cesse ravaler en écrivant par la poste, la vérité et l'affection.
Je ne reçois rien de M. Je suis convaincu qu’il ne veut venir me voir ou m’engagera l'aller voir que pour me dire que c’est fait et qu’il vous a envoyé votre passeport. Son amour propre y est bien compromis, et aussi celui de son maître après la promesse qu’il a donnée. Ne vous abattez pas, ne vous irritez pas. Vous passerez ce défilé, mais il est difficile. Votre retour fera dire qu’on penche ici vers la paix, et qu’on cherche des liens cachés avec Pétersbourg. Non seulement les ennemis personnels, mais les badauds Anglais en prendront de la méfiance. Non seulement dans les journaux, mais peut-être aussi dans le Parlement. Souvenez-vous de Nicolas Pahlen. Je vous dis tout cela, non pour vous faire perdre l'espérance, car je crois fermement que la chose se fera, mais pour vous faire prendre patience, et comme je le dis à moi-même par le même motif. Je ne crois pas devoir retourner chez M. avant d'avoir reçu de lui quelque avis. Il ne faut pas le fatiguer. Il est toujours souffrant. On dit qu’il se croit très malade. Je ne l’ai pas trouvé changé. J’ai beau chercher ; je ne trouve personne qui croie à la paix prochaine, qui parle sérieusement de votre acceptation des quatre points. Ceux qui ne le disent pas comme ceux qui le disent, sont également convaincus que vous n'en voulez pas sérieusement. Qu’est ce que la révision du traité du 13 Juillet 1841, le seul dont vous parliez ? Celle-là va sans dire. C'est la révision de tous vos anciens traités avec la Porte qu’on demande et celle-là, vous êtes bien loin de la promettre. Il n’y a rien à faire d'ailleurs, tant que Sébastopol n’est pas pris. Plus c'est difficile, plus c’est nécessaire. Si on ne le prend pas cette année on recommencera le printemps prochain, avec des forces doubles, triples de terre et de mer. Toute cette affaire a été un chef d'œuvre d'imprévoyance. J’ai peur qu’elle ne devienne aussi un chef d'ouvre d’entêtement. Je suis bien noir. Il faut que Sébastopol soit pris. C'est, quant à présent. la seule chance sérieuse de paix. On s'en irait de Crimée et on recommencerait à négocier sérieusement. J'en reviens toujours à ce que nous nous sommes dit avec Lord Lansdowne il y a six semaines.
Vous ne vous figurez pas l'effet qu'a produit le prince Napoléon quittant l’armée. Personne ne s'en gêne. On dit que son père a dit : " S'il ne se fait pas tuer, je ne consentirai jamais à le revoir. " Le Moniteur a ajouté à l'effet en disant, un jour, qu’il était rétabli, et deux jours après, qu’il restait à Constantinople. La nomination de Morny comme Président du Corps législatif a beaucoup déplu au Palais-Royal.
Midi
Je sors de bonne heure ce matin, quoique enrhumé. L’Académie des sciences morales et politiques, siège à midi et demi et je la préside. On m’apporte le 176. Guillaume revient du Moniteur ; il coûte 80 fr. par en et 20 fr par trimestre à l'étranger. C'est en France seulement qu’on en a réduit le prix à 40 et 10 fr pour faire concurrence aux autres journaux. Les 2 fr 45 c. sont le résultat d’une nouvelle convention postale avec la Belgique. Ainsi, on ne vous vole pas. Adieu, Adieu. G.
Mots-clés : Académie des sciences morales et politiques, Conditions matérielles de la correspondance, Diplomatie (Russie), Enfants (Guizot), Femme (diplomatie), France (1830-1848, Monarchie de Juillet), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Politique (France), Relation François-Dorothée, Réseau social et politique, Santé, Santé (Dorothée)
177. Bruxelles, Samedi 2 décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lord Raghan a écrit (me dit-on de bonnes source) une lettre au Prince Menchikoff où racontant que de pauvres blessés Anglais auraient été massacrés par des officiers Russes, il lui dit ces mots : "Je désire savoir si vous êtes un Chretien et un homme, ou, un païen & une brute." Brute est fort. Voyez où l'on en vient dans une guerre aussi affreuse que celle-ci. On mande de Berlin que ma cour va envoyer une acceptation encore plus explicite et plus nette des quatre points, de sorte qu'il est difficile de concevoir comment on pourra repousser mais les Anglais répètent. We must have Sébastopol. Vos lettres sont pleines d’intérêt. Merci de me tout dire. Je n’ai que cela pour me faire prendre en patience mes misères de toutes sortes. Adieu. Adieu.
213. Paris, Vendredi 1er décembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
176. Bruxelles, Vendredi 1er décembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
175. Bruxelles, Jeudi 30 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai répondu à M. Sa lettre était excellente. Je suis frappée de ce que me dit C. Greville du peu d'importance de Lord Palmerston dans le Cabinet anglais. Il me dit en parlant de ce qu'on pense de lui à Paris et du cas qu'on en fait. "They would be surprised if they could know how comparatively [?] his political influence is now, and how diminished his power is for good et for evil."
Les quatre points n’avancent nulle part. Je ne comprends pas. On m'affirme cependant qu’ils sont sans réserve. Les Prussiens le soutiennent. à propos de Prusse rappellez- vous que Hatzfeld fait toujours partir son courrier le 2 et le 16 de chaque mois. Bonne occasion pour m'envoyez les livres.
Ne pourriez-vous pas charger quelqu’un de s’informer en passant au bureau du Moniteur pourquoi on me triche. Voici le reçu. Cela me paraît singulier. Je ne sais à qui demander de faire cette vérification.
J'ai fait pour la première fois hier un tour en voiture. La toux a augmenté. Déci dément c’est un air brutal celui de Bruxelles, il faut que je m'en prive tout à fait. J'ai fait hier la connaissance du ch. d’aff d'Amérique. Très Russe, très contre l'Angleterre. On ne prendra pas Cuba, on négociera pour de l’argent. Je suis si triste, que je laisse entrer qui veut pour me passer le temps. Ainsi un Duc de Mirepoix, l'homme le plus ennuyeux du monde. Ah mon Dieu être réduite à cela !
N'ai-je jamais inspiré autant de confiance que de défiance ? Ce serait long d’avoir à répondre à cela. J’ai fait mon chemin dans le monde et les gens qui me connaissent bien, m’aiment bien. Je n'ai jamais fait de trahison, j’en ai rencontré. Je devrais écrire mon histoire en matière de politique. Quand nous nous reverrons reparlez-moi de cela. Adieu. Adieu. Et adieu
174. Bruxelles, Mercredi 29 novembre 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre est venue, tard hier soir. Avec quel soin je dévore & je pèse chaque parole, cherchant un sens qui aggrave mon désespoir ou le soulage. Je vois bien que vous êtes résigné à prendre patience. longtemps. La résignation ne peut pas m’entrer dans le cœur, et je crois quelque fois que dans trois jours je succomberai. Le fil électrique vous le dira à temps, car je ne veux pas mourir sans vous avoir revu. Encore une nuit toute entière sans sommeil. Ah que d'images affreuses occupent la pensée et mon impuissance ! Car comment agir contre cet obstacle quand j’éprouve.
Midi.
Voici une lettre de Morny de hier. L’Empereur lui a dit la veille. Je ne changerai pas je l'ai promis. C'est la promesse à moi dont il est question. Ah voilà une parole qui me fait pousser un soupir d’allègement ! Reste le quand. Rien ne m'aide à le devenir. Mais d’après cela il me semble qu’il ne faut rien tenter de l’autre côté. En attendant voici Aggy qui est à Paris & qui me dit que tout le monde parle de mon retour. Cela doit venir de l'amb. Anglaise. Elle me questionne, je nie, mais je raconte ma santé, et le propos de mon médecin de Bruxelles que je vous ai redit je crois ? et qu’ici tout le monde connait. Je voudrais vous parler d’autre chose que de moi, mais je ne pense qu'à moi, et j'ai peur de vous ennuyer. Le nouvel engagement de la Prusse avec l’Autriche est ceci. Si l’Autriche est entraînée dans des hostilités contre nous, chez nous, on la laisse faire, sans s'en mêler. Si en retour nous la poursuivons sur territoire Moldave, la Prusse soutient l’Autriche là comme partout ailleurs. Voilà, ce n’est pas amical pour la Russie.
Je n’apprends rien du sort des quatre points, ni des théâtres de la guerre. Mon théâtre c’est Paris. J'y pense nuit et jour. Au Val-Richer vous appartenez à votre famille. A Paris vous m’appartenez à moi, et vous savoir là sans moi est un supplice.
3 h. Une lettre de Greville. Tout réjoui. On lui dit que je vais à Paris, que j'y suis peut-être. Il me demande s'il doit encore m'écrire ici ou là. Voyez comme le commérage a marché ! Est-ce bon, est-ce mauvais. Je ne sais. J’aurais mieux aimé le silence, mais il est de plus en plus évident que c’est les Anglais qui ont propagé la nouvelle. Adieu. Adieu.
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