Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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202 Paris. Mercredi 26 Juin 1839 8 heures

Je sors d’une nuit détestable. Je ne sais si je dois m'en prendre à l'orage qui a été violent. Mais je viens de passer quelques heures dans un mal aise et des rêves affreux. J’avais mes trois enfants près de moi, au milieu d'un déluge. L'eau montait, les soulevait de terre. Elle m'en a emporté un, puis deux. Je retenais ma fille Henriette de toute ma force. Elle me conjurait de la lâcher et de me sauver à la nage. J’ai souffert le supplice d'Ugolin. Je me suis réveillé couvert de sueur, criant, pleurant. Je revois encore. Mes mains se sont jointes avec désespoir. J’ai prié, j’ai supplié les trois Anges que j’ai depuis longtemps au Ciel, ou de me rendre ceux qui venaient de les rejoindre, ou de me prendre avec eux. Il y a une des heure que je suis levé. Je suis dans mon cabinet. Je vous écris. Je souffre, je tremble encore. J’attends une lettre de mes enfants. Je l’aurai certainement. En attendant, je ne puis reprendre mon empire sur mon imagination sur mes nerfs. Quelle nuit ! Quelle horreur que la douleur dont le rêve est une telle torture ! Pardon de vous parler de la mienne. Mais vraiment, je souffre encore beaucoup. Je suis très ébranlé. J’attends mes lettres avec angoisse. Il me semble que je me rassure en vous parlant.

10 heures
Voilà une lettre de Pauline et de ma mère. Dieu soit loué ! Il n’y en a point de noyé. J’étais vraiment fou il y a deux heures, je ne voyais rien que ma pièce d'eau. Mes enfants tombés dans ma pièce d’eau. Il faut que je parle d'autre chose, car je retomberais. Que nous sommes de faibles créatures ! Et avec une telle faiblesse, toujours à la porte de tels dangers, de telles douleurs ! Une étourderie, un faux pas, une minute de négligence d’une bonne, rien, vraiment rien, entre nous et le supplice ! Et nous marchons, nous vivons nous dormons au bord de ces abymes ! Ah, nous sommes aussi légers que faibles. Nous oublions tout, les maux passés, les maux possibles, les maux qui sont là peut-être là tout près ! Que nous sommes dignes de pitié ! Et quelle pitié que ce que nous sommes ! Il faut que je vous quitte encore. Je ne puis m’arracher à mon impression de cette nuit. J’aime pourtant bien votre grand papier, car j'ai aussi votre N°201.

Jeudi 27 7 h et demie
Les débats de la Chambre s’animent un peu. Le Cabinet avait eu avant-hier sur l'affaire du Mexique, une pitoyable séance. Les hésitations et les contradictions du Maréchal et de son avocat le Garde de sceaux, avaient soulevé le cœur. Hier sur l’Espagne, M. Passy et M. Dufaure est assez bien parlé. Je doute que le Roi soit content de ce qu’ils ont dit surtout M. Dufaure ; mais ils ont réussi. Pour qui les deux séances ont été bien mauvaises, c’est M. Molé. Défendre dans l'une par M. de Salvandy, sans le moindre effet, et dans l'autre, attaquant le cabinet actuel par M. de Chasseloup qui est resté seul, absolument seul. Tout le monde en a été frappé ! Demain ou après-demain, le débat sur l'Orient. Vous voyez les nouvelles. Les gens qui connaissent le pays ne croient pas que le Pacha dirige son effort sur Constantinople ; ce qui mettrait ses amis d'Europe dans l’embarras et les empêcherait de lui donner l'appui dont il a besoin. La guerre une fois engagée et s’il bat les Turcs, il marchera plutôt de l'Ossoff à l'Elbe que du Sud au Nord et vers Bagdad que vers Constantinople. Conquérir l'hérédité, c’est son grand but. Il y subordonnera toute sa conduite. Nos instructions partent pour notre flotte en Orient, analogues à celles de l'Angleterre.
Le procès commence aujourd’hui. Pendant son cours, le gouvernement s'attend à quelque nouvelle attaque. Ces gens-là l’annoncent très haut. Ce sont des sectaires de plus en plus isolés, et qui redoublent de rage à mesure que leur nombre diminue. Dans leurs réunions du matin et du soir ils mettent en avant les projets les plus frénétiques, l'incendie, l'assassinat. On est fort sur ses gardes. On a fait venir deux régiments de plus. Je doute fort d’un nouveau coup. Les Chefs des accusés refusent absolument de parler. Avant-hier le Chancelier pressait Martin. Bernard de questions. Celui-ci a dit au greffier : " Ne pourriez-vous pas faire taire ce grand Monsieur qui m’ennuie ? " Il faut que je vous quitte. J'ai ma toilette à faire Je vais déjeuner au Luxembourg avec Lady Jersey. Nous ne nous quittons pas. Elle a voulu entendre la lecture du Chapitre des Mémoires de Mad. de Rémusat qui raconte la mort du Duc d'Enghien. M. de Rémusat l'a lu hier au soir chez Mad. Anisson. Elle part demain pour Londres. L'autre jour à dîner chez Madame Brignole, la Princesse de Ligne était là aussi. Madame Brignole ne savait trop à qui donner le pas. Elle a imaginé d'aller confier son embarras à Lady Jersey elle-même qui lui a répondu. " Il n'y a rien de plus simple. Je suis femme d’un lord d’Angleterre. Vous ne pouvez pas hésiter. " Je suis de son avis. L’aristocratie passe avant la noblesse. Adieu. Adieu. Votre grand papier a son mérite mais il est traitre comme le petit du reste. Vous n’écrivez pas sur le verso. On n'a que la moitié de ce qu’on attend. Adieu encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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201 Paris lundi 24 Juin 1839 8 heures

J’ai dîné hier avec Lady Jersey. Le Duc de Broglie dit qu'elle est toujours belle. Elle parle toujours beaucoup avec la confiance d’une jeune femme, d’une jolie femme, d’une grande dame et d’une bonne personne. Elle a été très bonne pour moi et sa bonté a fini par me demander de signer mon nom sur son album, qu’elle avait évidemment apporté pour cela. Elle m’a paru un peu piquée que vous ne l’eussiez pas attendue à Paris. Elle repart jeudi pour l'Angleterre. Elle y trouvera à sa grande joie, le Cabinet, bien malade. Se retirera-t-il encore une fois pour une majorité de 5 ? Il a eu tort de rentrer. Du reste ce qui me revient est d'accord avec Lady Cowper. Les Tories sont violents, & inquiètent leurs chefs modérés ; si le duc de Wellington, par l’âge, par la santé, se trouvait hors d'état de prendre aux affaires une part active, ni Peel, ni Lord Aberdeen n'auraient assez d'autorité pour contenir et gouverner le parti. Et ses fautes rendraient bientôt le pouvoir à ses adversaires. Si vous étiez ici, vous verriez un Cabinet bien aussi chancelant en apparence, quoi qu’il le soit bien moins au fond. Vous entendriez dire tout le jour que M. Molé se rapproche de M. Thiers, et aussi de moi, et moi de M. Thiers que M. Cousin part pour Plombières avec M. Molé ; que l'autre jour, de la voix et du geste, j'ai approuvé M. de Salvandy à la tribune. Je n’ai jamais vu tant de commérages. Il n’y a rien, rien du tout, et le Cabinet tiendra jusqu'à des événements.

5 heures
Je reviens de la Chambre et j'en rapporte peut-être des évènements. Deux dépêches télégraphiques disent que les Turcs ont envahis quinze villages égyptiens qu’Ibrahim s'est mis en mouvement avec 25 000 hommes pour les reprendre ; que la flotte Turque est dans le Bosphore, occupée à embarquer 7000 hommes de débarquement ; que le Sultan est très malade &. On attend cette nuit les dépêches écrites qui donneront des détails. En tout cas, lisez attentivement le rapport que M. Jouffroy vient de lire à la Chambre. C’est un morceau remarquable par la netteté et la mesure, au fond et dans la forme. Le langage est excellent. Il a été accueilli avec grande faveur. Il est très douteux qu’il y ait un débat.
Votre N°200 vaut mieux à la fin qu'au commencement. Quand je vois, pour tout un jour, quelques lignes, écrites comme on se traine quand on ne peut plus marcher, mon cœur se serre pour vous. Du reste, j'ai la même impression que Madame de Talleyrand. Je pressens un meilleur tour de vos affaires. A la vérité il faut bien qu'à force de descendre le moment de rencontre arrive. J'emploierai mon loisir à vous chercher une maison. Et si je trouvais de l'autre côté de l'eau quelque chose qui vous convient vraiment je n'hésiterais pas ; au risque d’y perdre, et par conséquent de vous y faire perdre quelque chose. Mais n’arrêtez aucun projet donc aucune maison avant les arrangements de Pétersbourg. Il faut savoir ce que vous aurez.

Mardi 8 heures
J’ai été hier soir faire ma cour à Neuilly. J’ai trouvé le Roi en bonne humeur, et comptant que les affaires d'Orient s’arrangeront de concert entre vous nous, et tout le monde. Il m'a gardé longtemps, et m’a paru penser qu’il avait aujourd’hui du pouvoir presque ultra petita. Il me semble que cela ne va pas au delà de votre latin. De Neuilly, j’ai été chez Lady Granville. Elle part, dans une quinzaine de jours pour les eaux de Kitsingen (dis-je bien ? ) près de Würtsbourg, où elle ne trouvera personne et c’est ce qu’elle cherche. Je suis allé hier chez votre Ambassadeur. Il était parti. Adieu. Voilà des visites. Quoique vous ne me disiez rien de bon sur votre santé, j'ai à son sujet, le même pressentiment que sur vos affaires. Et je crois entrevoir que vous même l’avez un peu. Ainsi soit-il ! God bless you ! Adieu Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°161 Lundi soir, 15 oct, 9 heures et demie

Moi aussi je regrette cet entassement d’arrivants et de partants. Ils vous fatigueront. Bien distribués, ils vous reposeraient. Car vous avez besoin d’un mouvement qui vous repose. Vous n’avez assez de force ni pour le monde, ni pour la solitude. Il vous faut de tout, des doses, si justes qu’on les manque souvent. Il n’y aura que mes visites, j’espère, qui n’auront pas besoin d’être mesurées. C’est dommage que vous ayez refusé la conférence sur l’Orient. J’aurais demandé à y être envoyé.
J’ai passé ma matinée couché sur une carte de Turquie et de Grèce suivant la marche de petits événements bien oubliés, mais dont je voulais me rendre compte avec précision. Je me résigne parfaitement à l’ignorance, pas du tout au savoir vague et incomplet. J’en sais beaucoup en ce moment sur l’Orient. Je comprends votre refus ; mais c’est dire à l’Occident. qu’il fera bien de s’unir et d’y bien regarder. M. Turgot reprochait aux Encyclopédistes leur esprit de secte et de coterie : " Vous dites nous ; le public dira vous. " Vous faites bande à part ; on fera bande en face de vous. Cette affaire-là, ne s’arrangera pas sans canons. C’est dommage encore une fois. Ce serait un beau spectacle que l’Europe maintenant l’Orient de concert tant qu’il pourra être maintenu, et le partageant de concert quand il tombera. Si nous nous entendions, cela se pourrait peut-être. Vous voyez que j’ai aussi mes utopies. Mais elles sont très dubitatives. Et à tout prendre, comme il faudra bien un jour que le canon recommence, il vaut mieux que ce soit là qu’ailleurs. Je ne m’étonne pas que Lord Palmerston soit avec vous dans l’affaire belge. Soyez sure qu’on n’en est fâché nulle part. Il faut une raison de céder.

Mardi 7 heures
e reprends la politique. J’ai des nouvelles de la frontière d’Espagne. Les succès des carlistes sont réels et les provinces carlistes dans l’enthousiasme. Les gens sensés n’en tirent pas de grandes conséquences.. Cela arrive près de l’hiver, quant la campagne ne peut être tenue longtemps. Les Chrisminos y perdront plus que les Carlistes n’y gagneront. La solution en Espagne est toujours qu’il n’y ait pas de solution. Notre petit duc de Frias me paraît faire la même figure qu’il a faite chez vous (C’est bien chez vous n’est-ce pas?) le jour où il n’a pas voulu se coucher dans la Chambre cramoisi. Ici, le Ministère est très préoccupé d’affaires qui ne vous intéressent pas du tout des chemins de fer, du sucre de betterave, un peu de la pétition sur la réforme électorale ; pas autant peut-être qu’il le devrait, car elle a plus de signatures qu’on ne le dit. dans la 6e région, la majorité, à ce qu’il paraît, a signé. Je vous prie de vous souvenir un jour que je vous ai toujours dit que le mal essentiel, le déplorable effet de l’administration actuelle, c’est de pousser ce pays-ci vers la gauche de lui faire regagner quelque chose beoucoup peut-être du terrain que nous lui avions fait perdre. En voilà pourtant bien assez. Que faites-vous du Duc de Noailles ? Il me semble qu’il devrait être revenu à Paris avec son soleil, qui n’est pourtant pas à lui tout seul. On m’écrit que les Holland ne se sont pas fort amusés à Paris. Ils ont mal pris, leur temps.

10 heures 1/2
Le facteur est arrivé au milieu de ma toilette. J’ai lu votre lettre. Puis, j’ai achevé. Il faut que je le fasse repartir. Je n’avais pas du tout, du tout pensé à vous en vous parlant. de Lord Holland. En cachetant ma lettre, l’idée m’est venue que vous me diriez ce que vous me dîtes ; et qu’au fait vous pourriez me le dire. N’importe. C’est bien simple de vous dire de rester comme vous êtes. Je n’ai pourtant que cela à vous dire. Quand vous voudrez changer. j’y mettrais mon veto. C’est comme vous êtes que je vous aime, sauf à vous critiquer, soit sans y penser; soit en y pensant. Adieu Adieu, le plus tendre que je sache. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°145  Dimanche 30 septembre  7 heures

Je reviens à M. de Pahlen. Ce qu’il vous à dit me paraît singulier à force d’être absurde. Que de tels propos fussent tenus en hiver, quand il m’arrive de rencontrer quelques fois chez vous Thiers le matin ; Berryer le soir, je le concevrais ; il ne faut pas aux commérages un meilleur prétexte. Mais à présent en l’absence de tout prétexte une correspondance quand vous n’avez pas écrit du tout, cela ne peut venir que de très loin, comme vous dîtes ou de très bas. Ce ne peut être qu’un retentissement des rencontres de l’hiver dernier, qui revient du bout du monde, ou un propos d’antichambre. Il est impossible que le Ministère quelque susceptible, quelque ombrageux que je le sache, quelque goût que je lui connaisse pour les rapports et les tracasseries de polices soit pour quelque chose là dedans. M. Molé vous aura, je n’en doute pas, édifiée de ce côté. Reste la supposition lointaine. Nous verrons. Il n’y a pas moyen de la vérifier sur le champ. Cependant elle me paraît bien invraisemblable. Je persiste à croire à des bavardages subalternes qui auront étouffé votre Ambassadeur. En tout cas, je lui sais gré de vous avoir avertie.
Je vous renvoie la lettre de Lord Aberdeen. Celle de Lady Clanricard est intéressante. J’en ai reçu une qui l’est assez ; de M. de Barante, d’Odessas, pleine de la Grèce et de la Turquie. Athènes et Constantinople. Deux choses surtout l’ont frappé. Colocotroni et Nicitas, les noms qui ont retenti héroïquement en Europe s’épuisant en intrigues et en humilités pour un traitement de 1500 fr. ; les Turcs qui ne sont plus Turcs ne disent plus Chiens de Chrétiens, confessent à tout propos leur infériorité et s’efforcent de nous imiter sans espérer d’y réussir. Il me dit en finissant : " Si les grandes puissances le veulent, s’il s’établissait quelque concert dans le patronage qu’elles exercent, le rajeunissement d’Eson ne serait pas impossible. La Turquie se transformerait peu à peu en un état subalterne qui prospérerait plus ou moins. Il se placerait au même rang que la Moldavie le Valachie ou la Grêce. Mais si la bonne volonté de chaque Cabinet demeure isolée et méfiante, le cadavre de l’Empire Ottoman tout en demeurant debout avancera chaque jour dans sa dissolution, et au premier incident il tombera en poudre. Le premier soin à prendre serait de faire cesser cet état provisoire et menaçant d’hostilité entre l’Egypte et Constantinople. Autrement nulle sécurité, nul progrès dans l’Orient. Je ne réponds pas qu’une telle résolution, soit possible à décider et à exécuter ; mais il m’a paru quelle était nécessaire. "
Je vous enverrais la lettre même, si elle n’était pas très longue et écrite si fin que vos pauvres yeux se perdraient à la lire. Vous avez la substance. Lord Aberdeen attache trop d’importance au Mexique et à la côte d’Afrique. C’est un reste de la vieille politique Torry, que cette disposition hargneuse à notre égard sur les petites choses, ne pouvant et ne voulant rien autre que les Whigs sur les grandes. Grandes et petites choses se tiennent. On se fait petit soi-même à retenir les secondes quand on abandonne les premières. Lord Aberdeen devrait porter dans sa politique extérieure, sa nouvelle disposition dont il vous parle pour ses relations privées. Party violence convient encore, moins aujourd’hui au dehors qu’au dedans, et national animosity doit être entirely subdued aussi bien que personal animosity. Du reste la simplicité tranquille et haute de son ton et de son caractère me plaît toujours beaucoup.

10 h.
Non je ne veux pas vous refaire ; n’on, je ne vous reproche pas votre franchise ; bien au contraire, je vous en aime. Et vous voyez bien que votre impression ne peut me déplaire puisque je l’ai eue avant vous, puisque c’est moi qui l’ai suscitée en vous. Mais vous ne connaissez pas ce pays-ci. Vous ne savez pas ce que c’est qu’un village tout catholique, et les habitudes qui en résultent dans la famille Protestante la plus pieuse. A demain les détails, car je veux vous répondre avec détail. Je ne veux pas qu’il vous reste sur le cœur autre chose, qu’un regret. Adieu Adieu. Je suis fort aise de votre conversation avec M. Molé. Cela empêchera toujours quelque chose. Adieu. Calmez-vous au moins sur les loups. Un long adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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97 Val Richer, Dimanche 18 juin 1854

J’ai probablement tort de mettre quelque importance au voyage du Roi de Prusse à Kenigsberg ; mais toutes les circonstances me semblent indiquer que c’est quelque chose, le départ précipité du roi qui n’attend pas la fête du son frère, le Prince de Prusse qui va rejoindre le Roi, même, M. de Manteuffel qui n’y va pas et qui, depuis quelque temps, doit être devenu assez désagréable à votre Empereur. Enfin, on s'accroche à tout.
Est-il vrai que votre impératrice soit de nouveau très souffrante ? Et à cause de vous et à cause de ce que j’ai entrevu d'elle, je lui porte un véritable intérêt. Donnez-moi, je vous prie de ses nouvelles. Elle doit être au moins fort triste.
Vous avez surement remarqué le trait de M. de Brück à Constantinople : " Au succès des armées des puissances alliées. ! " Cela ressemble bien à une préface de la guerre. Je serai curieux de savoir si, comme le disait, il y a quelques jours le journal des Débats, c'est encore le Prince de Metternich qui, du fond de sa vieillesse et de sa surdité, dirige cette politique. Je penche à le croire.

Midi
J’ai été dérangé par deux visites matinales. Je n'ai que le temps de lire votre n°81 et de vous dire, adieu, Adieu. C'est bien court. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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96 Val Richer, samedi 17 juin 1854 Je comprends que vous soyez curieuse de ce qui se passe à Constantinople. J’ai peine à croire que la retraite de Reschid Pacha ne soit pas quelque chose de sérieux. Il est, depuis bien des années, l'auteur où l’instrument de la politique qui prévaut à Constantinople. Il a bien servi lord Stratford. S’est-il brouillé avec lui, ou bien Lord Stratford le trouve-t-il usé ? Quel autre cheval Turc va-t-il monter ? Reschid avait, pour le gouvernement intérieur de la Turquie, une certaine autorité et respon sabilité personnelle qui manquera à son successeur, quelqu’il soit. Ce sera Lord Stratford qui répondra de l’intérieur comme de l'extérieur à Constantinople. C'est beaucoup. D’autant que j’ai toujours trouvé les diplomates les plus habiles, très impropres au gouvernement intérieur ; les qualités qu’il y faut sont tout autres que celles de leur métier. M. de Talleyrand était curieux à voir comme Président du Conseil dans son court ministère de 1816 ; il était à chaque instant, surpris, embarrassé, sans avis sur les questions et sans action sur les hommes. Et Pozzo, si différent. de lui, n'eût pas mieux fait que lui dans la même position ; ni l’un ni l’autre. n'eût été capable de faire ce que fit Casimir Périer. Nous verrons ce que sera Lord Stratford s'il devient grand visir. Y a-t-il le moindre fondement au bruit que le Roi de Prusse se rend à Stettin pour avoir, sur la frontière, une entrevue avec votre Empereur ? Ce serait le meilleur indice de pourparlers vraiment pacifiques ; mais je n'y puis croire. J’ai peur de devenir aussi incrédule à la paix que je l’ai été longtemps à la guerre. Il me semble que vos généraux se sont conduits très convenablement envers l’équipage et le pauvre capitaine du Tiger échoué sur votre côte. Leur assistance aux obsèques du capitaine m’a plu. Pourquoi le langage n’est-il pas, de part et d'autre, aussi convenable. que de tels procédés ? Puisqu’on ne veut pas être brutal dans les actions, autant vaudrait ne pas l'être dans les paroles. Mais il faut que les mauvais et grossiers instincts trouvent quelque part leur satisfaction. Que de sottes inconséquences dans la nature humaine ! Je suis fâché pour M. de Meyendorff. On le trouvait trop enclin à la paix, trop pressé. qu’on s’arrangeât, et maintenant on dit qu’il a été trop vif et trop cassant si vous lui écrivez encore, parlez-lui un peu de moi, je vous prie, et de la part que je prends à ce qui le touche. Il m’a vraiment inspiré de si loin, beaucoup d’estime et de goût. C'est dommage que nous ne puissions pas causer. Au moins faudrait-il que l’esprit, qui ne sert plus à rien, pût servir à cela. Midi Vous aurez eu Mercredi, si je ne me trompe une lettre moins triste que celle de mardi, plus longue au moins. Je me porte bien. Adieu, Adieu. Voilà un rayon de soleil. J’en profiterai pour me promener. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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91 Val Richer, Dimanche 11 Juin 1854

Si l’on juge par les nouvelles de Grèce, les insurrections intérieures, en Turquie, soit que vous les ayez encouragées ou non, vous seront de peu de secours ; un embarras momen tané pour l'Alliance occidentale, la nécessité de quelques garnisons là et là, mais rien de plus. Les insurrections ne vous vont pas, pas même là. En principe, vous les désavouez, et en fait vous dites tout bas que vous ne voulez point ce qu'elles veulent, l'indépendance et l’aggloméra tion des populations Chrétiennes. On ne dit rien tout bas aujourd’hui, excepté en Russie même partout ailleurs, tout se sait. Je suis sûr que les conversations de votre Empereur, avec Seymour courent la Grèce, la Bulgarie & Je me figure ce qu’on aurait pensé et dit mon ami Colettis, le grand conspirateur contre les Turcs. De quelque côté qu'on envisage cette Affaire, elle est bien mauvaise pour vous. Vous aviez bien raison de vouloir rester tête-à-tête avec les Turcs il devient clair que vous n'êtes puissants contre eux qu'à condition du tête à tête, et que dés que l'Europe s'en mêle votre force d’agression en Orient, force révolutionnaire et force militaire se trouve très insuffisante. Il vous faut absolument deux choses, le tête à tête avec la Porte et l'Europe divisée. L’une et l'autre vous manquent. Vous pouvez croire que la seconde ne vous manquera pas toujours, mais quoiqu’il arrive, la révélation qui se fait en ce moment sur votre compte restera, et vous en souffrirez longtemps. Je ne pense pas que de l’entrevue du Roi de Prusse et de l'Empereur d’Autriche à Teschen, il sorte autre chose que l’attitude actuelle des deux puissances, sauf quelques paroles un peu plus précises sur les développements que cette attitude pourra prendre. Et si vous n'avez pas de grands succès, ces développements, quelle que soit la bonne volonté des Princes, seront de plus en plus contre vous. L'Allemagne ne peut supporter longtemps cette expectative de guerre et de révolution, il faut que de gré ou de force. elle vous fasse faire la paix.
Certainement l'Angleterre est contente de l’Autriche sans cela, Kossuth ne serait pas traité comme il l'est aujourd’hui par le Times, le Morning Chronicle &. Il serait plaisant que la guerre ne détronât que Mazzini et Kossuth.

Midi.
Je n'attendais pas de lettre aujourd’hui. Je suis impatient de vous savoir arrivée et établie. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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88. Paris samedi le 12 Novembre 1853

Notre manifeste déplait ici. La critique du Moniteur est cependant assez mesurée, et entre nous il dit vrai sur l’af faire. Cette pièce est adressée au peuple russe plutôt qu'à l'Europe. Sans avoir trop menti nous prenons l'Empire pour de bons amis. Je suis curieuse de voir ce qu'on en dira en Angleterre. Je suis bien aise qu'on fasse mention des révolutionnaires.
Hier on débitait ici des nouvelles très favorables à nos armes. Je ne sais ce qu'il y a de vrai ou de faux. Constantin m'écrit sans cesse de patienter. Nous voulons que les Turcs s’avancent en nombre suffisant pour les écraser en masse. C’est fort bien, mais faut-il pour cela se laisser battre en détail ? Hier on parlait beaucoup fusion ; la visite des princes d’Orléans avait eu lieu ou allait avoir lieu à Frohsdorf. Fould même m’en a parlé comme d’un “on dit”. C’est une petite diversion à l’Orient.
Les Anglais à Paris traitent notre manifeste de bare faced lie, et disent qu'il aura pour conséquence la chute de Lord Aberdeen.
On parle de Victoire remportée sur les Turcs, je ne croire que quand je serai mieux renseigné. Adieu. Adieu. 1 heure.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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87 Paris jeudi le 10 Novembre 1853

Les nouvelles hier étaient très mauvaises dans un engagement entre 12,000 turcs & 9000 russes ceux-ci auraient. par être battus. Le combat fini aurait duré toute la journée du 5. On a épuisé la poudre des deux côtés, on a été réduit à se battre à l’arme blanche et c'est là où le nombre l’a emporté. C’est aux aff. étrangères qu'on donnait ces détails et avec beaucoup de tristesse parce que cela ne laissait plus d'espoir pour les négociations. Le combat a eu lieu près de Silistrie. Je vois que le Moniteur n’en parle pas ce matin. Il faut attendre. Je me trompais le Moniteur en parle. J’ai encore une lettre de Meyendorff, sans grande importance. Il compte sur la neige & le manque d’argent. Les gens venus d’Afrique & d'Asie n'endureront pas la première & tout le monde criera contre l'autre. Dans 2 mois révolte au camps turc. Moi je ne compte plus sur rien que sur la bêtise des gouvernements, right and left. C’est la plus triste & la plus sotte affaire ! Dans ce moment arrive le Manifeste russe du 21 octobre 2 novembre par lequel nous acceptons la guerre, & recourons à la forme des armes " pour obtenir réparation des offenses par lesquelles la Turquie a répondu à nos demandes modérées, & à notre sollicitude légitime pour la défense de la foie orthodoxe en Orient. "
Je copie des journaux étrangers, je suppose le manifeste vrai. C’est bien engagé. On me dit que le langage à St Cloud est devenu très belliqueux. Les journaux le sont. Voilà un triste hiver qui commence. Le froid est venu aussi. Adieu. Adieu.
J’ai vu hier soir Noailles & Berryer. Oiseaux de passage Dumon est fixe, & je le vois tous les jours.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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86 Paris Mardi le 8 Novembre 1853

Reeve est arrivé à Londres. Très sensé et ayant très bien vu toutes choses. Les Turcs se croyant sûrs qu'on les secourra énergiquement à la dernière heure, ne veulent plus entendre parler d'accommodement et croit que qu'au bout Radcliffe n’est plus écouté. Il n’a pas pu venir avec de la cour. Il se brouillera d'emblée avec Baraguey d'Hilliers. Mon correspondant de Londres a beaucoup de soupçons & on ne comprend rien à la mission de votre nouvel ambassadeur, et au cortège menaçant qui l’accompagne. On ne devine pas l'Empereur, le vôtre. On se tient sur ses gardes tout en vivant bien avec lui.
Voici votre lettre. Je crois à tout ce qu'on vous dit sur Lord Palmerston. Pacha est prié pour le 22. Je ne sais pas ce que veulent dire les répugnances de mon Empereur. Il est très pacifique mais il ne cédera rien sur le fond de ses prétentions. J’ai passé hier ma soirée en tête à tête avec Fould. Je n’avais absolument personne. Il a l’air fart tranquile, tout ce monde, le maître inclus, est content de sa situation et n’espère qu’à la faire durer.
Il n’y a pas de nouvelle du théâtre de la guerre. Si elle traîne comme les négociations il y a de quoi s’endormir. Hübner va à Fontainebleau le 14, jusqu'au 18. Kisseleff le 18 jusqu'au 22. [?] Pacha est prié pour le 22. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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84 Paris le 4 Novembre 1853

Vous voyez que voilà la guerre. C’est fini des notes dont je vous parlais, on va changer autre chose. N’est-ce pas ridicule toute la conduite de cette affaire ? L’action d'Omer Pacha est réputée très téméraire qui sait. On a tant dit. Il ne peut pas passer. Le voilà passé. Il occupe une portion de la Valachie où nous ne sommes pas entrés. Mauvais pays, malsain mais il peut se renforcer & avancer, & nous battre peut-être. Cela serait une bien mauvaise chance, il n’y aurait plus de terme. J'ai été avant hier à St Cloud faire visite à la [Grande Duchesse] Stéphanie qui m’en avait prié. Je l’ai trouvé changée. Une heure de conversation. Elle est très sensée, & bonne personne. En énorme terreur de la guerre. Toute charmée de l’Impératrice.
Mad. Kalerdgi, part vous Pétersbourg, je la regrette pour mon salon, quand salon, il y aura, car je suis encore à un pauvre régime. Les Mahon sont ici pour quelques jours. La cour va à Fontainebleau le 12. Kisseleff & Hübner y seront priés. Quel beau temps encore ! Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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79 Paris le 25 octobre 1853

C’est aujourd’hui que commence les hostilités, si elles commencent. On dit que ce n’est que le 22 que les flottes seront à Constantinople. Il y a du louche sur cette question des flottes. Il est très vraisemblable que la guerre s'engage en Asie ; elle peut devenir incommode pour nous si les peuplades environnantes s’en mêlent ; d’ailleurs il y a toujours l'ennui permanent et Schamil.
Je vous ai dit, je crois, que la Grèce se serait prononcée contre les Turcs, je ne sais sous quelle forme, mais ce bruit venant de Lord Cowley je le crois fondé. Ce serait le soulèvement de toutes les populations grecques, et une grande complication de plus. Du reste le langage ici est très à la paix, à Londres aussi. La chasse de vendredi à Compiègne a été vraiment périlleuse. L'[Empereur]. & l'[Impératrice] y ont encore quelque danger. Fould a été blessé, Madame Thayer a eu la jambe cassée. La confusion a été grande. Je vois quelques fois Heeckeren qui nous amuse beaucoup. Il n’y a pas d’autre Français. Il faut renoncer à Monod. On croyait à des camarades évidemment il n’y en a pas. Merci mille fois et pardon de toute la peine que vous avez prise.
Hélène Kotchoubey n’est pas encore revenue de Gand. La voilà n’apportant mille tendresses & pas un bout de nouvelle. La [Grance] [Duchesse] est partie sans prendre congé de la reine, elle a bien fait on n’avait pas été assez poli pour elle. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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76. Paris le 19 octobre 1853

Hübner est fort exalté & content. Son gouvernement reste neutre et le proclame, et fort de la promesse formelle que lui a donné l'Empereur Nicolas de respecter l’intégrité de l’Empire ottoman, l’Empereur d’Autriche réduit son armée du quart. Il fait sonner cela très haut. Ceci est la réponse aux soupçons qu’on avait conçus ici de la triple alliance à Varsovie. Cela me touche peu.
Je n’ai pas la moindre nouvelle de Londres, sauf une lettre spirituelle de la G. D. Marie où elle me dit qu’elle trouve nouveau et drôle d'habiter un pays ennemi.
Dumon m’a dit hier soir, que M. Bansky était très inquiet de la reine Amélie. C’est une pleurésie dont elle est atteinte. Marie Mensingue arrive avec la G. D. Stéphanie. Beaucoup de nouveaux diplomates sont priés à Compiègne, mais toujours Kisseleff & Hübner exclus. Est-ce à Broglie ou au Val Richer que je dois vous adresser ma lettre vendredi ? Il fait bien laid ici et froid. Viel Castel est parti pour 3 semaines. Grande perte pour moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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75. Paris le 17 octobre 1853

Merci de la lettre de M. Monod. Tout est fort détaillé, mais l’essentiel y manque. A-t-il ou n'a-t-il pas d’autres pensionnaires de l'âge ou à peu près de ce jeune enfant. Vous savez combien cela est essentiel pour une éducation anglaise. Des camarades, de la récréation en commun aussi bien que des leçons. Or, d'après la lettre je croirais qu'il serait isolé. Voilà le point à éclaircir. Je suis fâchée de vous donner le grand bore. J'ai eu hier une lettre de Meyendorff, très tranquille. Voici la dernière phrase après avoir dit que le manifeste turc à Paris, le 5 à Constantinople, la déclaration de guerre signifiée le 9 au Prince Gortchakoff s’il ne promet pas d’évacuer les provinces dans l'espace de 15 jours. & & " Ainsi guerre sur le papier, déclarée par la Porte, non acceptée par nous. Que faire dans cette singulière position ? Il est impossible qu'on ne négocie pas avec nous, sans nous, mais toujours pour nous, c-a-d pour la paix. "
J’ai vu hier Morny qui s’était échappée de Compiègne pour quelques heures. Le ton là est extrêmement pacifique. On ne songe pas à envoyer un seul soldat. Toute la diplomatie presque est priée à Compiègne pour plus ou moins de jours. Il n'y a que Kisseleff & Hübner d’exceptés. Je suis fâchée des nouvelles que vous me donnez sur Pauline. Vous faites très bien de commencer pour elle par là où l'on finit, et quelques fois trop tard. [?] la remettre. Je vois déjà beaucoup de monde. Je ne sais trop dire qui. Oiseaux de passage, et des étrangers de toute espèce. Dumon est revenu for good. Le ton public en Angleterre. [...]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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73 Paris le 13 octobre

Pas la moindres nouvelle à vous dire. La G. D. Marie m'écrit pour me prier beaucoup de venir la trouver à Bruges la semaine prochaine. J’en aurais bien envie, mais ce serait une folie. Mon [Empereur] est retourné droit de Potsdam à Pétersbourg où il arrivera demain. Je ne sais si on essaye rien de ce côté-ci pour un arrangement.
Je croirais que non, & que tout reste abandonné au hasard et à des escarmouches comme dit Antonini. Balabini est arrivé. Vous savez qu'il était à Constantinople. La seule nouveauté que j’ai apprise par lui c’est que Menchikoff loin d’être insolent a péché par trop de platitudes. Les Turcs ont cru qu'il avait peur, & ils ont tout osé. Voilà du neuf. Balabini a toutes ses preuves. Adieu. Adieu car je n’ai plus rien.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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72 Paris le 11 octobre 1853

Le ministère disait hier que ses nouvelles étaient à la paix daté du 1er octobre de Constantinople, à la bourse on en avait de fâcheuses du 2. Le 4 la déclaration de guerre devait paraître infailliblement. J'ai une lettre de Potsdam du 8, on regardait comme très possible qu'il y ait un engagement en Asie & si les Turcs reçoivent des armes, la partie pourrait devenir assez égale. En attendant chez nous le langage est toujours à la paix, à la paix. Nous sommes toujours prêts à nous entendre & & Fould est venu hier, pacifique aussi, mais bien content du mariage anglais, on dirait l’Eternité. Je n’ai rien de Londres, mon correspondant est à la campagne.
Cowley est prié à Compiègne pour tout le temps, quinze jours. Hatzfeld pour quatre. Pas d’autre, sauf Poniatowski. Je vous ai dit que la G. D. Stéphanie y vient. Le roi Léopold va à Londres la semaine prochaine. Le meeting de Londres n’a fait aucun effet. Il faut écrire Pianezza. Je suis fort occupée, de visites, d'écritures, la matinée, la journée s’envolent. Adieu. Adieu.
On parle d'une nouvelle note, cette fois sans doute d'invention anglo-française. Je ne sais rien de précis.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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72. Bruxelles le 31 Mai 1854

Pas de lettre aujourd’hui. Ni de vous, ni de personne. Si cela doit prendre ce train là je serai vraiment bien malheureuse, et pour commencer je ne vous enverrai pas ceci. D’ailleurs je n'ai rien à vous dire. Il n'y a rien absolument rien.
Le 1 Juin. Aujourd’hui deux lettres. A la bonne heure. Il y a toujours tant d’esprit & de good sense dans ce que vous me dites. J'en envoie quelques extraits aujourd’hui au roi de Prusse connaisseur et amateur.
On dit beaucoup que l’armée turque à la Turquie elle même sont dans un état déplorable et l’on doute beaucoup que de ce côté-là on puisse rien entreprendre contre nous cette année. On dit aussi que les querelles d’ambassadeurs à Constantinople ont eu quelque chose dans les Camps. Je ne sais jusqu'à quel point ceci est vrai. On mande de Paris que le camps de St Omer ne sera pris que le 15 juillet, & qu’il ne se composera que de 50 m hommes.
J'ai remis mon départ à mercredi le 7. Génie m’a enfin envoyé le bail, mais avec soumission. C’est trop ennuyeux d’avoir à discuter article par article par lettre. J’aime mieux perdre quelque chose et en avoir fini.
Pas un mot d'Angleterre. Les courses d'Epsom absorbent. On me dit (Ly Allice) que les d'Aumale voient beaucoup de monde. Ils sont tout-à-fait. lancés. Adieu. Adieu. Et Adieu.
Je crois que Cerini me plaira.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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71 Paris dimanche 9 8bre 1853

Je crois vous avoir dit que l’Angleterre repousse la note d'Olmentz et jette au feu toutes les notes & tous les projets passés. Il faut donc recommencer à nouveau, ou plutôt on ne fera rien. Voilà la guerre déclarée, selon les Débats de ce matin. Je le crois tout à fait. Meyendorff dit qu'on pas ne se battra, et qu'on ne peut pas se battre, & pas plus en Asie qu’en Europe. On est très pacifique chez nous, mais cela ne sert pas à grand chose. Radcliffe veut la guerre, & il est tout puissant. Vous n'avez pas idée de tout ce qu'il fait et dit là. Meyendorff me le raconte sur deux longues pages. Quelle malédiction que cet homme ! Ici le langage depuis deux jours est beaucoup plus doux, mais cela tourne comme la girouette. La cour va le 12 à Compiègne. les Cowley, les Hatzfeld, [?] y sont priés. Ni Kisseleff ni Hubner ne le sont. Rotschild pour 3 jours. Morny cela va sans dire pour tout le séjour. Je le vois beaucoup. Il est triste naturellement.
Midi. [Greville] mande de Londres. que les Ministres se sont trouvés en parfait accord dans le conseil, qu'on a résolu de défendre & protéger les Turcs mais de ne faire dans ce but que le stricte nécessaire ; de conserver toujours le caractère de médiateur pour arriver à un arrangement avant la guerre, ou pour en arrêter les progrès si elle commençait donc point de modification dans le ministère. Adieu. Adieu.

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70. Paris Vendredi 7 octobre 1853

Je regrette que vous ne disiez rien à Lord Aberdeen, mais vos raisons sont bonnes. Seulement quelques grandes vérités bien frappées lui auraient peut-être donné courage. Enfin, tout est malheureux dans cette malheureuse affaire. Le projet de note d’Olmentz n’a pas été accueilli à Londres. On ne négocie donc plus, et on attend la bataille. Le déclaration de guerre des Turcs n’a pas parue encore. Elle ne peut pas tarder. C’est toujours de cela que dépend l’entrée des flottes.
Vous enverrez dit on 30 m hommes à Constantinople et huit mille de plus à Rome. Aujourd’hui meeting à la taverne de Londres, et réunion aussi de tout le Cabinet anglais. Les Anglais de toutes les classes sont très montés contre nous, je doute cependant que la guerre soit populaire ici. Elle ne l’est pas du tout. Tout à l'heure une lettre de Greville. On croit que les Turcs se seront arrêtés devant la dernière proposition d’Olmentz, cependant on doute, mais la déclaration de guerre n’est pas faite encore. Le conseil de Cabinet à Londres aujour d’hui sera décisif pour L. Aberdeen, il est possible qu'il se retire. Voilà à peu près la lettre de Greville. Le Times d’hier 6 est assez bon, plus disposé à ce qu'on négocie encore. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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69 Paris le 5 octobre 1853

Nous voici au plus mal. Le Divan a décidé la guerre. la proclamation Le 26 7bre sa paraître, et les flottes seront entrées. Greville qui me mande cela ajoute que cela met à néant toutes les négociations.
La note autrichienne d'Olmentz était très acceptable. On en jugeait ainsi ici. Mais on se croyait sûr que l'Angleterre n'en voudrait pas, dès lors on ne se prononçait pas. Car le parti est pris de faire & dire comme l'Angleterre. Vous voyez les meetings et le ton. C’est devenu général. J’ai vu Morny, très bien toujours et parlant très bien de la dispo sition toujours pacifique de son Empereur. Je n’y crois plus beaucoup, il est dominé par l'Angleterre et ne fera que cette volonté !
Fould qui est venu hier est noir. Il se plaint de toute nos mauvais procédés, et [?] trouver qu’il n’y a plus de quoi nous ménager. Ainsi l'Emp. Nicolas a invité les officiers Français à venir à Varsovie. Je pense que c’est une politesse, on y a répondu par la défense de s’y rendre. Ceci me paraît un bien mauvais symptôme. Les ministres anglais vont délibérer toute la semaine, Lansdowne est parti d'ici détestable. J’imagine que Lord Aberdeen tombera, qu'on rassemblera le Parlement et qu'on nous déclarera la guerre. Tout cela peut être fait d'ici à 3 semaines au plus tard.
Si les Turcs nous attaquent et nous battent vous concevez que nous sommes obligés de prendre une revanche éclatante. Si nous les battons nous en serons plus exigeants. Ainsi là cela doit aller mal. Le conflit est possible malgré la saison & le désavantageux pour les attaquants. Mais on ne peut plus retenir les troupes asiatiques. Elles servent gratuitement, pas un soldat ne veut être payé, et le gouvernement turc ne paye plus un seul employé civil. Tout est consacré à la guerre sainte. Ils sont plus forts numériquement que nous. J’ai la tête abîmée de tout ce que j’entends, et de tout ce que je prévois.
Je suis toujours bien aise que vous ayez écrit à Aberdeen. Mais je crois le mal sans remède. L'Angleterre veut la guerre elle a fait son calcul, & elle y trouvera son profit en définitive. Je n'y vois pas le vôtre. Car la révolution vous dévorera comme elle va dévorer les voisins. Quelle fête pour tous les artisans de troubles, & que les sages de la terre sont fous ! Que d’injustices, que de fautes ! Et moi donc que vais je devenir ? Adieu. Adieu.
P.S. Le grand conseil ayant décidé la guerre abandonne aux ministres Turcs le moment & le mode de la proclamer. Ceci pourrait donner quelque répit. On tiendra un grand Cabinet conseil à Londres après demain vendredi et la reine revient le 18 seulement.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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65 Val Richer Vendredi 12 Mai 1854

Ce qui se passe en Grèce et quant à la Grèce est déplorable à lire. Depuis plus de 30 ans, je me suis accoutumé à porter intérêt à ce petit état. De 1840 à 1848, je l’ai soutenue contre votre domination exclusive et contre le mauvais vouloir anglais. La conduite qu’il tient en ce moment, roi et pays, est très imprudente, mais très naturelle, et il n’y a dans la Grèce même, personne, ni Roi, ni chambres qui soient en état de l'empêcher quand ils le voudraient. Je suis choqué du langage qu’on parle à ses pauvres gens. Je suis sur qu’on pourrait peser sur eux et les contenir un peu avec d'autres façons et d'autres paroles. Nos soldats iront-ils faire en Grèce, au profit des Turcs, ce qu'y faisaient les Égyptiens de Méhémet Ali quand nous y avons envoyé une armée pour les en chasser, et ferons-nous, contre la marine grecque, un second Navarrin ?
Détruire successivement, dans la Méditerranée, les marines Turque, Russe et Grecque c’est beaucoup. Cette affaire d'Orient tournera mal pour l'Europe ; la politique ne peut pas se mettre à ce point en contradiction avec la religion, avec les instincts populaires, avec les actes, tout reçus, des gouvernements eux-mêmes. Plus j'y regarde, plus je me persuade que, si on n'en finit pas promptement, on tombera dans un odieux Chaos. Que signifie ce qu’on écrit de Vienne sur de nouvelles propositions que l’Autriche, après avoir occupé la Bosnie, adresserait à la Russie, et que M. de Meyendorff aurait trouvées acceptables ?
Le bruit se répand ici, parmi le peuple, que le recrutement de l'armée prochaine sera avancée, et qu’on prendra six mois plutôt 80 000 hommes. On s'en attriste ; mais on s'y résigne. La guerre et ses conséquences n'étonnent et ne choquent jamais beaucoup ce pays-ci même quand elles lui déplaisent Du reste, il ne me revient rien qui me donne lieu de croire que ce bruit soit fondé.

Onze heures et demie
Je serais bien fâché qu’il arrivât malheur à ce pauvre M. de Meyendorff. Il me semble que je le connais. Adieu, Adieu.
Voilà enfin le rapporte détaillé de l'amiral Hamelin. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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64 Paris dimanche 25 septembre 1853

Barante reste 15 rue du Cirque, sa fille n’est pas accouchée encore. Il compte aller vous voir entre le 6 et le 12 octobre, si... sa fille est accouchée. Drouin de Lhuys parle très mal de la Russie à tout le monde. On reste très inquiet au F.O. Français comme à celui de Londres. L’Ambassadeur turc a eu hier des nouvelles de Constantinople du 15. Il n’y était pas question de la réunion des [?] dont a parlé le journal des Débats. Décidément il n'y a plus d'action commune à Vienne. L'Angleterre n’a pas voulu faire comme d’Autriche. Il est impossible de dire ce qui arrivera mais tout peut arriver. Je crois à l’entrée des flottes pour protéger le Sultan contre ses propres sujets.
11 heures Dans ce moment la Turquie qui annonce que sur la demande du Sultan deux vaisseaux de guerre. Anglais & deux français sont entrés et vont à Constantinople pour protéger leurs nationaux. On me dit que la reine Christine va retourner sous peu à Madrid. Voilà tout pour aujourd'hui. Le mauvais temps me désole. J’avais pris des habitudes d'été & je passais mes matinées dans le bois de St Cloud dont on m’a permis l’entrée. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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63 Paris le 23 septembre 1853

Le fils de M. de Meyendorff m’a apporté de lui une longue lettre, pas gaie. 2 pages d'invectives contre Lord Radcliffe. Double langage, double jeu. J’ai envoyé copie de cela à Lord Aberdeen. Ce n’est que le 10 octobre qu'on attend à Vienne les résolutions de la porte à la suite de notre refus.
J’ai vu Fould ; mécontent d'Aberdeen. Ne comptant que Palmerston & Malmberg comme aussi de l’Emp. Napoléon disant que l’opinion toute entière de l'Angleterre demande la retraite d'Aberdeen. Il a l’air d'y croire. Il est toujours question d'un mouillage en dehors des Dardanelles. Le discours à Satory avait subi quelque avarice en le prononçant, défaut de mémoire ou je ne sais quoi. Le Moniteur a suppléé. On est bien mécontent ici de nos observations sur les modifications de la porte, et on le dit aux gros et aux petits. Cette pièce était juste à la dépêche à Meyendorff. Celle-ci est bien pauvrement donnée dans les journaux. Je vous répète qu’elle est très bien faite, très bien écrite. K. a eu bien tort de ne pas donner le texte.
J’ai vu le duc de Noailles avant hier soir, & hier Barante. Sébach est revenu de Torquay. La G. D. Marie folle de l'Angleterre et ne voulant pas en bouger. Torquay plus beau que Naples mécontente de la cour mais se moquant de cela. Brunnow bien noir et croyant à la guerre, à la grande. Voilà mes nouvelles. Passons aux petites affaires. Hélène est bien touchée de vous voir vous occuper d’elle. Elle prendra à genoux le [...]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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62. Paris le 21 septembre 1853

J'ai revu hier mes fils, et je n’ai vu que cela parce que j’avais fermé ma porte. Le beau temps me mange ma matinée. Je reste 3 heures au moins dans le parc de St Cloud qui est superbe. Le soir j'ai vu Molé qui venait apprendre & ne m'a rien appris, il vient de Maintenon et s’en retourne au Marais.
On est très agité ici et à Londres. Nos observations sur les modifications que demande la porte ramènent les choses au point où elles étaient il y a 6 mois en commençant. Il n’y a pas moyen de s’entendre, & il est clair qu’à présent nous ne reculerons pas.
K. n’est pas épouffé du tout quoiqu'il entende, beaucoup de mauvais propos. Si on entre dans les Dardanelles, & bien le traité n’existe plus, et au fond, il n’a jamais été de notre goût. Ainsi cela nous est égal. Je trouve le discours de l'Empereur hier à la troupe très bien. Je suis fort de votre avis sur les proclamations du Prince Gortchakoff.
On dit que la G. D. Marie a pris un tel goût pour l'Angleterre qu’elle veut y rester. Je ne puis pas croire cela. Adieu, car je ne verrai personne avant l'heure de ma promenade, et il faut donner ma lettre avant de sortir. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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60  Paris le 16 septembre 1853

Grand vide & regret, & reconnaissance. J’ai vu hier les Hatzfeld, Kisseleff, Hubner, Molé. Celui-ci désespéré d’avoir ignoré votre séjour à Paris, il aurait pu vous voir encore hier matin. Son oeil va mieux, il est plein d'espérance.
Kisseleff avec un courrier hier soir. Nous refusons simplement parce que nous n’avons pas affaire à Constantinople. Nous maintenons l’acceptation de la première note de Vienne. Vienne n’a qu’à négocier sur cela avec la Turquie. Cela regarde la conférence & pas nous. Il n’y a donc de notre fait aucun empêchement à ce que cela s’aplanisse encore. Je doute que les Turcs s’y prêtent. J'ai fait visite tout à l'heure à la princesse Mathilde à Breteuil. Elle m’a dit d'excellentes choses sur le ménage impérial. Le bonheur conjugal le plus serein, le plus charmant ; l’Impératrice très douce, très bonne, dévouée, mais une pauvre santé.
La Reine Christine est d'une platitude sans pareille à cela près qui fait rire, on lui trouve beaucoup d’esprit. Pas d’apparence qu’on épouse une de ses filles. Elle a passé 9 jours à Londres, où elle n'a vu ni l’une ni l’autre reine. Après le voyage du nord la cour passera à Compiègne la première quinzaine d'octobre la seconde à Fontainebleau & le 1er Novembre elle s’établit à Paris.
Samedi 1. J’ai eu un mot de Constantin de Berlin, c’est le Cte Nesselrode qui a insisté sur le refus et qui l’a importé. Cela vous prouve bien que la volonté impériale est à la paix. Molé est venu hier soir encore & San Giacomo. On disait au club que les flottes entreraient et iraient même à Constantinople pour rendre au sultan sa liberté d’action & de volonté qu’il n’a pas dans ce moment, & qu’il signerait de suite la note de Vienne. Voilà le tout qu'on donnerait à la promenade. C’est possible.
Je ne crois pas que j'aie rien à ajouter jusqu'au départ de la porte. Adieu donc. Adieu.

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59 Paris jeudi le 8 septembre 1853

Merci de la lettre de Lord Aberdeen. Je crois que nous accepterons, mais la nouvelle-ci n'est pas venue encore, ce qui étonne cependant je ne pense pas que nous évacuions avant l'envoi d'un ambassadeur Turc porteur de la note. Il me semble qu’en Angleterre. On s’inquiète outre mesure. Lord [Aberdeen] est dans le vrai.
Je vois les diplomates le matin, ils ne savent absolument rien, mais Kisseleff & Hübner sont tranquilles, les deux empereurs vont se voir à [Olnentz]. à moins de grand événement ceci sera ma dernière lettre. Le temps est toujours affreux. Très froid.
Nous avons passé toutes ses dernières soirées à trois avec Viel Castel, que nous trouvons charmant. Il part aujourd’hui pour Broglie. Il ne me reste plus personne et je vais courir le soir je ne sais où. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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58. Paris le 6 septembre 1853

On attend toujours. Enfin aujourd’hui on doit apprendre les réponses de Pétersbourg, elles arrivent ce matin à Berlin de là le télégraphe.
J’ai vu hier Cowley longtemps. Il est inquiet. Il a fini Dieppe & va à Chantilly. Walensky a passé quelques jours auprès de l’Empereur. Il a refusé de voir D. de Luys. Cela n’a pas l'air de contrarier le maître. L’Empereur a l’air fatigué & changé. L'[Impératrice] a bonne mine elle n’est pas grosse.
Lord Normanby demande le poste de Florence ! Quelle chute ! Bulwer n’a pas envie d'y retourner.
Il n'y a personne à Paris et comme je me couche à 9 1/2 on ne vient pas le soir. (les seules qui puissent venir les diplomates) j’ai peur que vous ne vous ennuyez, mais moi je me réjouis bien de vous revoir.
Marion vous remercie de votre petite lettre, vous l'avez convertie. Au reste elle est bien mon ennemie et celle de Lord Aberdeen. Lord Harry Vane est ici, mais il ne sait rien. Lansdowne arrive ce soir, mais il ne fait que passer. Il va en Allemagne. On parle d'un voyage de Lord Palmerston (unichieff).
Je suis très divertie des Mémoires de Mme d'Oberkerich, de vieux souvenirs pour moi. Dumon est parti. Viel. Castel vient un peu causer avec moi. Conversation charmante. Adieu. Adieu.

P.S. Dans ce moment une lettre très intéressante de Greville. On craint en [Angleterre] que l’Empereur ne refuse. On croit à une révolution à Constantinople, le sultan déposé. Son frère à sa place. On est perplexe, on ne sait que faire de la flotte. Retirer. Honteux, [avancé], c’est violer le traité. Enfin tous les embarras du monde.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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57 Val Richer. Mercredi 7 sept. 1853

Voici une lettre de Lord Aberdeen qui a de l'intérêt. Je le crois plus confiant dans la conclusion qu’il ne le dit. C'est sa maxime qu’il ne faut jamais être ni surtout paraîtra sûr ; en quoi il a très habituellement raison. Moi qui ne suis qu’un spectateur sans responsabilité, je persiste à tenir l'affaire pour terminée. On disait, il y a six semaines, que les Turcs ne demandaient qu'à céder, que c’étaient les puissances, et Lord Stratford, ou non des puissances qui les en empêchaient. Apparement elles seront bien en état de les faire céder aujourd’hui.
Je trouve que votre Empereur a là une excellente occasion de reprendre en Europe le terrain qu’il y a perdu ; on lui sait déjà beaucoup de gré de la bonne grâce avec laquelle il a accepté la note de Vienne ; si maintenant, il est plus modéré que les Turcs et passe par dessus leurs petites exigences pour mettre fin à la crise au lieu de s'en servir pour la prolonger, on sera frappé de sa magnanimité russe, de sa sagesse Européenne ; on regardera presque la paix comme un don de lui, et la question sera close à son honneur comme à son profit.
Le Duc de Broglie et Mad. d’Haussonville, sont venus me voir avant hier. Nous avons causé tout le jour. Broglie triste et sensé, trouvant, comme vous le dites, et comme cela est évident, que l'Empereur Napoléon, a gagné que l'affaire d'Orient a bien tourné pour lui, qu’il s’y est conduit habilement & & Cela vaut mieux que la popularité au Dieppe. Un souverain est toujours populaire aux eaux où il amène du monde.
J’ai vu ce pauvre Molé quand j’ai été à Paris pour l'Académie. C'est fort triste, un peu moins pour lui que pour d’autres, parce qu’il a toujours plus vécu de la conversation que de la réflexion ou de l'étude. Il paraissait croire que c’était une cataracte, déjà formée, sur un oeil et en train de se former sur l'autre. On peut opérer cela. Triste ressource, mais ressource. On n’a pas besoin d'être un héros mutilé pour finir comme le maréchal de Rantzau ; Et Mars ne lui laissa rien d'entier que le coeur, heureux ceux à qui le coeur reste entier ! Après tout, c’est par là qu’on vit. Adieu, je vais faire ma toilette. J’aurai de vos nouvelles ce matin. Je vous écrirai encore vendredi. Puis, je vous verrai dimanche. Vrai jour de fête. Adieu.

Onze heures
Voilà votre lettre. Ce serait bien du bruit. Mais si Constantinople est sens dessus dessous, tout suivra. Adieu. Vous savez bien que je ne m'ennuierai pas.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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55 Val Richer, samedi 2 Sept 1853

Postdater n’est pas français du tout ; il pourrait l'être, car le mot serait correctement formé ; mais il ne l'est pas. Antidater ne signifie, rigoureusement parlant, que changer une date en mettant celle d’un jour antérieur, et c’est la définition qu’en donne l'Académie ; mais l’usage a étendu ce sens, et on dit antidater toutes les fois qu’on met une fausse date à la place de la vraie, soit qu'on mette celle d’un jour antérieur ou postérieur. Quand nous en serons à ce mot dans la discussion de notre nouveau dictionnaire, je demanderai qu’on modifie la définition et qu’on adopte celle de l'usage étendu. Vous m’y aurez fait penser.
Je trouve que les cinq modifications demandées par la Porte à la note de Vienne ne valaient guère la peine d'être faites, et ne valent pas celle d'être refusées ; ce sont des susceptibilités de Duellistes ou des subtilités de théologiens. La première a seule quelque intérêt pour vous ; il peut convenir à votre Empereur, pour la Russie, que le Sultan lui-même reconnaisse la vive sollicitude que les Empereurs de Russie ont de tout temps témoigné pour l'Eglise grecque, et le Sultan à mon avis, peut très bien reconnaître ce fait sans déroger. J’aurais été plus difficile que le sultan pour la troisième modification, j’aurais demandé le changement de ces mots : restera fidèle à la lettre et à l’esprit &, car ils impliquent un peu qu’il ne l’a pas toujours été, et il peut moins convenir de cela que de votre vive sollicitude pour l'Eglise grecque. Mais en vérité, il n’y a pas là de quoi fournir à une demi heure de conversation sérieuse entre hommes sensés ; et que ces modifications soient acceptées ou refusées, la situation des parties, comme on dit, restera en droit et en fait, absolument la même. Acceptez-les donc et n’en parlons plus.
Je suis très touché de l’intérêt que M. de Meyendorff veut bien porter au succès de mon fils, et je l'en remercie. Ma part dans l’éducation de mes enfants a été de m’arranger pour les faire vivre avec moi et pour causer avec eux. Je les ai eus tous les jours, de très bonne heure, à déjeuner et à dîner avec moi, heure d’intimité et de conversation. L'affection et le développement intellectuel y ont également gagné. Mon fils, a du reste suivi les classes et mené la vie de collège ; mais sans se détacher de la famille. Je suis un grand partisan de la famille, en pratique quotidienne comme un principe politique. En fait d’arrangements de famille, je vois avec une vive contrariété qu’on se décide au prolongement du boulevard de la Madeleine et qu’on va se mettre à l'œuvre. On me prendra donc ma maison. Grand déplaisir, outre l'ennui d’un déménagement. J’avais bien compté mourir dans ce nid-là.

Onze heures
Votre lettre de Bar m'était arrivée tard, et je voulais faire une petite recherche sur postdater, avant de vous répondre. Voilà la cause de mon retard, volontaire et non étourdi. Adieu, Adieu. Je répondrai à Marion. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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54 Val Richer, Jeudi 1er septembre 1853

Merci de vos quelques lignes de Strasbourg. J’espère en avoir quelques unes ce matin de Paris. Vous devez y être arrivée avant hier soir. Vous n'y trouverez pas plus de soleil qu’à Schlangenbad je n’ai jamais vu un plus affreux été. Mais vous vous reposerez chez vous. A mon avis on n'est bien que là où on doit rester. Grand signe de vieillesse.
Je n’aime pas ces petites modifications demandées à Constantinople. J’espère qu’elle sont aussi insignifiantes qu’on le dit. Les reproches du Times à la Porte, m'en font un peu douter. Du reste, j'en reviens toujours à mon dire ; si vous ne désirez pas, en secret, que la question dure, elle finira. Bien des gens à Londres, et à Paris, croient que vous ne voulez pas qu'elle finisse, et que vous comptez sur les objections de la Porte. Si cela est, petites ou non, elles sont graves.
Faites-vous attention aux actes et au langage des agents des Etats-Unis, chez eux et en Europe, le Président Pierce, le ministre Soulé, le chargé d'affaires Brown ? Il y a là du nouveau. Tenez pour certain que le nouveau monde se mêlera bientôt, et bien activement, des affaires de l'ancien, et avec toute l’arrogance et l'hypocrisie démocratiques.

Onze heures
Je suis charmé de vous savoir arrivée et hors des auberges. Merci de deux copies. La vivacité de Constantin m'amuse. La paix ne s'en fera pas moins. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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54 Bar le duc Mardi le 30 août 1853

Si je date de Mardi une lettre que je vous aurais écrit la veille (Lundi) est-ce antidater on postdater qu'il faut dire ? Répondez-moi je vous en prie et tout de suite. Détestable auberge, mais il a fallu m’arrêter.
Paris le 31. Me voilà et fatiguée. Je trouve une lettre de Meyendorff et une de Constantin. Je vous envoie copie des passages importants. Je n’ai encore vu personne ici et ma lettre partira avant toute visite, mais ces deux lettres me semblent renfermer ce qui est essentiel. Greville me mandait si les Turcs ne font pas what we prescribe nous ne pouvons plus les soutenir. Voyons comment tout cela ira, maintenant, notre partie est la belle. Heeckeren m’a dit que jamais les vaisseaux. Français ne reculeraient tant que nous resterons dans les principautés. Nous verrons. Comment pourraient-ils entrer dans les Dardanelles sans provoquer le guerre, et ils ne peuvent pas rester à Besika. Adieu. Adieu.

Je copie un autre passage de la lettre de Meyendorff. " je voudrais vous dire tout le plaisir avec un peu d'envie que j’ai éprouvé ici apprenant le beau sens du fils de M. Guizot. Comme j’admire le père d’avoir eu le temps de bien élever ses enfants ! "

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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52 Val Richer, Vendredi 26 Août 1853

Je vous écris à Paris où je suppose que vous arriverez demain. Je vous ai écrit à Francfort d’où l’on vous renverra ma lettre si vous y avez passé trop tôt pour l'avoir, ce qui me paraît probable. Je ne reviens pas sur ce que je vous disais. Il aurait fallu vous attendre trop longtemps. J’aime mieux refaire 95 lieues que perdre huit jours. J’irai vous voir du 10 au 15 septembre. J’attends deux visites dans les premiers jours de septembre. Certainement je causerai plus longtemps avec vous qu’avec l'Académie. J’ai grande envie de vous voir et de causer. La personne d'abord, puis la conversation. Ce serait charmant que nous fussions toujours du même avis ; la sympathie vaut mieux que la dispute ; mais là, où le premier plaisir n'est pas, le second à encore son prix. Je suis fort aise que vous soyiez content, à Pétersbourg de votre sortie de l'affaire Turque. Je ne pense pas qu’on soit mécontent à Londres et je crois que, s’il n’y avait point eu d'Angleterre, ou si elle ne s'en était pas mêlée, vous seriez encore plus contents. C'est elle qui vous a empêchés de faire toute votre volonté. Là est son succès, quelles qu'aient été ses fautes. La politique extérieure Anglaise fait beaucoup de fautes de détail, car elle ignore beaucoup, tant le continent lui est étranger, et elle est pleine de transformations brusques, et de soubresauts, comme il arrive dans les pays libres ; mais en gros et dans l’ensemble des choses, le bon sens et la vigueur y sont toujours et la mènent au but. Quant à l'affaire elle-même, comme je ne m'en suis jamais inquiété, j'en attends très patiemment à la dernière fin. J’ai reçu hier des nouvelles de Barante qui ne me paraît pas s'être inquiété non plus.
Le mariage de l'Empereur d’Autriche était très inattendu. En Normandie du moins. Je ne suppose pas qu’il y ait là aucun goût personnel. C’est un lien de plus avec la Bavière que l’Autriche tient toujours beaucoup à se bien assurer, comme son plus gros satellite en Allemagne. Les Belges me paraissent ravis de leur Duchesse de Brabant. L’Autriche aura toujours bien à faire avec les deux boulets rouges qu’elle traine ; mais elle se relève bien tout en les traînant. Je voudrais connaître un peu au juste son état intérieur. J’entends là dessus bien des choses contradictoires.
On m’a dit à Paris que le travail pour faire venir le Pape avait sérieusement recommencé. On vous le dira sans doute aussi. En France, dans les masses, certainement l'Impératrice est populaire ; on aime mieux la beauté, et le roman que la politique, on s'y connaît mieux. Je suis venu, samedi de Paris à Rouen par un train qui précédait d’un quart d'heure celui qui devait mener le ménage impérial à Dieppe. Toute, la population était en l’air pour les voir passer ; et ce n'était pas de la pure curiosité ; il s'y mêlait de l’intérêt.

Onze heures 1/2
Voilà mon facteur et n'en à ajouter. Adieu, adieu.G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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52 Schlangenbad le 24 août 1853

Me voilà encore. La chaleur a été si forte que je n’ai pas où me mettre en route. Elle se dissipe un peu, et samedi je pars. Je serai à Paris sauf nouvel incident ou accident. Mardi le 30. Meyendorff était très affir matif en me mandant que Constantinople avait accepté l’Ultimatum. Une lettre de Kisseleff reçue hier l’est moins, mais cela nous est bien égal. La faute serait aux autres.
Je ne vois plus une âme, il n’est resté personne à Schlangenbad. Ce repos me plait beaucoup, seulement il ennuie mon fils. Je n’ai pas l'ombre de nouvelle à vous dire. Mariage à droite, à gauche, voilà le seul aliment des journaux. Adieu. Adieu. On a bien des Bavaroises déjà en Autriche, cela ne plaira pas.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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50 Paris, Vendredi 19 Août 1853

La séance de l'Académie. Française a eu lieu huit jours plutôt que je ne pensais. Je suis arrivé hier matin pour y assister. Je repars demain. Il n’y a absolument personne ici. De mes amis ; Dumon seul.
Je trouve le public très rassuré ; et pourtant il court de mauvais bruits sur les Principautés ; on doute de la prompte évacuation. Je me soucie peu des bruits ; mais je suis frappé du débat du Parlement surtout, du discours de Palmerston. Il n’a jamais été si Turc, jamais si décidé à la guerre pour l'indépendance de la Turquie, jamais si confiant dans les moyens de résistance de la Porte et dans l'efficacité de l'alliance Anglo-française pour la soutenir. Ici, le langage et toutes les démonstrations du gouvernement sont archi pacifiques, et font regarder l'affaire comme terminée. Je sais qu’au ministère de la guerre, on n’a pas douté un moment de la paix et qu’on n’a fait aucun préparatif pour une autre chance. Mais je persiste à croire qu’on aurait accepté et qu’on accepterait volontiers cette autre chance, et que la sympathie est toujours grande pour Palmerston.
Mad. de Hatzfeld est la seule ressource du petit nombre d’âmes politiques en peine qui errent encore à Paris. Elle reçoit les jeudi et lundi. Je passerai à sa porte ce matin. Je ne la trouverai probablement pas. Il fait très beau. Tout le monde se promène. La fête du 15 a été très brillante. Paris était plein d'étrangers. Il se vide. J’ai vu Mad. de Boigne en passant à Trouville. La mort de sa belle-soeur a été pour elle un vrai chagrin, autant qu'elle peut avoir un chagrin. Mad. d'Osmond est morte tout à coup, par une pression du cœur sur les poumons ; elle a été asphyxiée. Sa fille, la Duchesse de Maillé, venait de la quitter ; on a couru après elle, sur le Boulevard. Elle est revenue en courant ; sa mère était morte. Mad. de Boigne attend ces jours-ci à Trouville toute sa famille.
On s'amuse beaucoup à la cour. La Reine Christine y est en grande faveur et fait ce qu’il faut pour être en faveur. On parle du mariage d’une de ses filles avec le Prince Napoléon. On reparle aussi du sacre et du Pape. En attendant l'Impératrice a de grands succès au jeu du ballon, en plein air. Adieu. Ce n’est pas la peine de venir à Paris pour n'y apprendre que cela. Aussi n’y suis-je pas venue pour rien apprendre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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48 Val Richer, Mardi 16 Août 1853

Puisque votre fils trouve Schlangenbad charmant et que votre santé s'en trouve, sinon beaucoup mieux, du moins pas plus mal. Vous avez raison d'y rester encore. Le changement sans rien savoir pourquoi, est un grand ennui. Nous aurons, sans doute avant la clôture, un grand exposé de l'affaire Turque dans le Parlement ; Lord John l’a promis. Il n’y sera pas embarrassé ; le cabinet Anglais a bien conduit sa barque ; il a maintenu la paix, en se montrant prêt à faire la guerre ; il a protégé efficacement la Turquie et rallié à lui la France sans se mettre à leur disposition. C'est de la bonne politique de temporisation et d’ajournement des questions. Personne aujourd’hui n'est en état, ni en goût d'avoir une politique qui les décida. Vous me dites que les Russes de Paris trouvent qu'après tout, et au prix de votre bonne réputation en Europe, vous avez fort avancé vous affaires ; je ne connais pas assez bien les faits pour en bien juger ; mais si cela est, soyez contents aussi ; tout le monde le sera. La Turquie l'est certainement autant que peut l'être un mourant qui n’est n'est pas mort, et pour la France, on dit qu’elle l'est beaucoup. Le public l'est car il voulait la paix, et il sait gré au gouvernement de l'avoir maintenue. Le gouvernement a de quoi l'être, car il a sa part dans le succès pacifique, et il s'est mis fort bien avec l'Angleterre. L’est-il bien réellement, au fond de l'âme ? J'en doute un peu. Mon instinct est que l'Empereur Napoléon aurait préféré l’union belligérante avec l’Angleterre, le Ministère de Lord Palmerston et toutes les chances de cet avenir-là. Je penche à croire que c’est là le but que, de loin et sans bruit, il poursuivait. Mais il ne s'y est pas compromis ; et ce n’est pas un échec pour lui de ne l'avoir pas atteint. Il peut donc se féliciter aussi. J’ai rarement vu une affaire où tout le monde ait été si embarrassé pour être, à la fin, si satisfait.
Je ne pense pas que l'Empereur Napoléon, se soit fait, dans le public, le même bien par le Rapport qu’il s’est fait faire pour montrer en perspective huit ou dix millions à payer en vertu du testament de son oncle. C'est se donner un gros embarras pour une nécessité bien peu pressante. Il y a assez de questions vivantes ; pourquoi exhumer les mortes ?

10 heures
Voilà votre N°46. Je ne partage pas du tout les soupçons de lord Greville à l'endroit des Principautés. Vous êtes entrés nécessairement. pour couvrir vos concessions sur vos premières demandes à Constantinople ; vous vous en irez loyalement. Question d’honneur dans l’un et l'autre cas. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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48 Schlangenbad le 17 août 1853

J’ai vu hier lady Jersey arrivant de Londres. Très opposition, mais disant que le Ministère se soutiendra. Prévoyant la chute de l'Angleterre. Elle ne reste debout que pas l’amour et le respect qu’on a pour la Reine.
La G. D. Olga fait furrore. C'est une admiration extraordinaire. Voilà tout Lady Jersey. Mme Rothschild me mande de Paris que Lord Cowley se plaint du gouvernement français qu'il trouve trop russe, ou plutôt trop pressé de la paix. Il me semble que l'Angleterre ne l’est pas moins. On ne sait rien encore de sûr de Constantinople, et il y a encore bien des difficultés à vaincre. Il pleut ici, j'en suis bien fâchée, cela gâte mes derniers moments. C’est mardi le 23 que je quitterai ceci. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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47 Val Richer, Dimanche 14 Août 1853

Vous avez raison ; mon impression sur les promenades de votre flotte dans la Batique et sur le camp de Chobham n'était pas fondée. Au fait, rien n’est plus naturel. Je ne doute pas que si la Porte se refusait à accepter la note de Vienne, la France et l'Angleterre ne lui retirassent leur appui. Il n’y aurait pas moyen de faire autrement. Mais je suis convaincu qu’on n'en viendra pas là. Il paraît que la vivacité du public anglais sur cette affaire était réelle et qu’elle avait gagné même les gros marchands de la Cité. Un de mes amis m’écrit en sortant de chez Samuel Gurney “ J’ai remarqué avec assez de surprise que le pacifique Duché partageait le sentiment d'impatience et d’irritation qu'inspire généralement ici la politique russe ; on est peut-être plus animé sur la question d'Orient à Manchester et à Birmingham qu'au camp de Chobham." On n'en sera pas moins fort aise de pouvoir se calmer.” Je viens de lire les détails de la Revue de Spithead. Ce devait être beau. Je vois que votre grande Duchesse Olga y était. C’est de bon goût. Tout le monde aime la paix aujourd’hui les rois comme les peuples ; la guerre dérangerait tout le monde.
Adieu.
Je n'ai vraiment rien à vous dire. M. Mallac me disait l'autre jour, à propos de l'Assemblée nationale : " Que deviendrons- nous maintenant et de quoi parlerons-nous, la question d'Orient terminée ? : " Nous n'aurions pas le même embarras si nous causions, mais de loin, le cercle est plus restreint. Barante va venir à Paris pour les couches de sa belle fille. Il viendra me voir ici. Duchâtel part demain pour le Médoc. Le Duc de Broglie est à Broglie. Molé au Marais. Je ne trouverai personne, à Paris la semaine prochaine. Quelques personnes y viendront pour la séance de l'Académie. J'en repartirai le lendemain. On dit qu’il faut lire les Mémoires de la baronne d'Oberkirch. Adieu. J'espère que vous avez votre fils. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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47 Schlangenbad le 15 août 1853

Constantin est arrivé hier ici très inopinément. Il y passera quelques jours. Je n'ai rien décidé encore pour mon départ, mais il est très probable que je serai à Paris avant la fin du mois. J’ai lu la pièce acceptée par mon gouvernement et sans doute aussi par la Turquie & qui termine cette maudite affaire. Il me semble que c’est même plus explicite et plus obligatoire que ce que nous demandions. Les Anglais et Français ont confectionné cette pièce et c'est Lord Radcliffe qui dans ce temps avait conseillé la résistance ! Le roi de Wurtemberg est parti ce matin. Il a passé hier la soirée chez moi. Très aimable ; je regrette qu’il n’y soit plus.
Voici votre lettre du 12. Et Votre explication de notre conduite. Je l'enverrai à [Meyendorff]. Elle est curieuse et juste. Je ne lui enverrai pas l'autre page qui traite du Prince de Joinville. Elle n’est pas digne de vous. Il n’a aucun mérite à sa dénonciation. Les plus simples lois d'honneur et d’humanité lui en faisaient un devoir.
Je crois sans en être bien sure que je quitterai ceci le 23. Si je ne fais pas de halte ou de détour je serai à Paris le 26 ou 27. Vous serez informé et dans ce cas vous me donneriez bien autant de jours qu'à l'Académie ? Lady Jersey est arrivée à Wisbade et me demande un rendez-vous. Cela m'ennuie. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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45 Val Richer, Mardi 9 Août 1853
3 heures
Il se peut fort bien que votre Empereur ait eu raison de penser à la Russie plus qu’à l'Europe. Je ne suis pas juge du cas particulier ; mais en thèse générale, on a toujours raison de se préoccuper du dedans plus que du dehors. Le pauvre roi Louis-Philippe se préoccupait infiniment du dedans ; à ce point qu’il en désespérait. Il a certainement en grand tort de faiblir le 22 février, et cette faiblesse a été la cause prochaine de sa chute ; mais il a été de tous, le moins surpris de ce qui lui est arrivé, tant, il en connaissait les causes générales et lointaines, et les regardait comme irrésistibles. Deux dispositions parfaitement contradictoires s'alliaient en lui ; dans l’ensemble, il était sans espérance, sans confiance, convaincu qu’il ne réussirait pas à fonder sa monarchie, que la France était vouée à l’anarchie et à la révolution dans chaque occasion particulière, quand le jour du péril venait, il était imprévoyant et sanguin, convaincu qu’avec un peu d'adresse, de souplesse et de patience. Il reviendrait sur l'eau et se relèverait après avoir plié, les deux dispositions ont également contribué à le perdre ; il a vu à la fois trop en noir et trop en beau ; il a trop désespèré du présent et trop espéré de l'avenir. On pouvait très bien résister en Février 1848, il ne l’a pas cru. Il a cru qu’il reviendrait du renvoi de son cabinet et même de son abdication ; et cela ne se pouvait pas. Il avait cela, et seulement cela, de commun avec Louis XI qu'il faisait beaucoup de fautes, et qu’il excellait. à s'en tirer, et qu’il espérait toujours avoir le temps de s’en tirer. Le temps lui a manqué pour se tirer de la dernière. Le chagrin a été pour plus de moitié dans sa mort. Le désespoir de votre N°43 est mal tombé, ce matin, après les quatre lignes du Moniteur d'hier. Vous aurez certainement eu directement l’avis de l'adhésion de votre Empereur à la proposition combinée à Vienne ? Je tiens pour impossible que le sultan n’y adhère pas aussi. Je suis donc de l’avis du Moniteur, et de la Bourse Je regarde l'affaire comme finie. Vous vous serez beaucoup tourmentée en pure perte. A part l’intérêt Européen, je suis charmé que vous voyez un terme de vos inquiétudes.

Mercredi 10 9 heures
Il me revient que Kisseleff est très content, et qu'on est très content de lui à Paris. Son attitude. et son langage, pendant toute cette crise, ont été très fermes et très tranquilles. C'est Morny qui a renversé M. de Maupas, et fait supprimer le ministre de la police. Il s'est allié pour cela avec Persigny. L'Empereur Napoléon est content de Drouyn de Lhuys et du mélange de pacifique et de guerrier qu’il a mis dans ses conversations et dans ses pièces. Bon pour tous les en cas. M. d’Hautpoul a obtenu la permission de recommencer à se promener, en mer avec son yacht de Trouville.
Mad. la Duchesse d'Orléans confie M. le comte de Paris à Paul de Ségur pour aller faire un tour en Irlande. Adieu, adieu. J'espère que demain le facteur m’apportera votre tranquillité au lieu de votre désespoir.
Par grand hasard, j’ai reçu hier une lettre de Massi ; on me dit : " La paix jusqu'ici n’est pas troublée par l'occupation ; les troupes russes observent la plus exacte discipline et payent tout ce qu'elles consomment.” Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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45 Schlangenbad le 11 août 1853

Mon fils Alexandre est arrivé hier, il est vieux de Paris. Je suis plus franchement informée par Meyendorff, mais il me rapporte l'impression des Russes de France, qu’après tout nous avons fort avancé nos affaires, quoique au prix de notre bonne réputation. Celle-là restera fort endommagée. Hier la porte a totalement manqué à Schlangenbad. C’est odieux, ni lettres, ni journaux. Constantinople n’est plus pour moi que question de curiosité.
Les Princes du voisinage se croient obligés quand ils viennent faire la cour au roi de Wurtemberg et à la Princesse Charles de Prusse de se présenter chez moi aussi. C’est ainsi que j’ai vu l’autre jour le Prince régnant de Waldek, beau garçon de 22 ans, timide, embarras sé, labourant le Français avec une peine infinie, à la torture pour trouver un mot. Une scène de comédie ; son premier. ministre était avec lui. important, empesé, grotesque J'ai bien ri après. Marion me fait une collection de portraits des personnes qui viennent chez moi. Elle a un talent rare. Elle se souvient le lendemain matin des visages de la veille, des ressemblances frappantes. Mon fils trouve ceci charmant et ne demande pas mieux que de prolonger notre séjour. Je me laisse aller sans arrêter de place. Le froid diminue voilà tout ce que je puis dire du temps. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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44 Schlangenbad le 9 août 1853

Ma cour a consenti à l’Ultima tum que l’Autriche adresse à la Porte. Voilà une bonne affaire, très bonne pour Aberdeen. Il faut maintenant que la Porte accepte. Si elle le fait nous recevons son ambassadeur. Meyendorff qui me mande cela espère que la France & l'[Angleterre] soutiendront leur oeuvre et retireront tout appui à la Turquie si elle refuse cette dernière planche de salut. Comme démonstration de cette menace il faudrait rappeler les flottes et nous évacuerons les principautés ; il est en bonne espérance et content de lui même car ceci est son œuvre.
Pardonnez moi, mais votre critique des manoeuvres de notre flotte de la Baltique aussi bien que du camps de Chobane est singulière. Mais de tous temps on exerce des troupes. Et depuis que nous avons un vaisseau il fait des promenades. dans la saison d’été pour exercer les matelots à la manœuvre. Est-ce que vous n'envoyez pas les vôtres à droite et à gauche en été pour la même raison ? Nous restons dans notre coin la Baltique ; dans d’autres années ils viennent dans la mer du nord, voilà la différence pour cette année. Et les régimes Anglais ? Mais c’est un camps d’exercices comme Satory, comme St Omer, comme Krasno Selo où mon empereur. fait manoeuvrer tous les ans 100 m hommes. Le chiffre n’y fait rien.
Voilà qui est trop long pour la question militaire. Mon fils n’est pas arrivé encore, ce qui me surprend. Il y a depuis quelques jours un vent glacial, abominable. Mon rhume est plus fort que jamais. La duchesse de Nassau est venue me voir ; bien gentille et bonne. Mes impolitesses sont acceptées, je ne rends visite à personne. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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44 Schlangenbad le 7 août 1853

J'ai oublié de vous dire que j’ai donné à lire au roi de Wurtemberg trois de vos lettres qui traitent de la question d’Orient c.a.d. de nos circulaires. Il en a été ravi, il me les a renvoyées avec un billet que je vous montrerai. A propos ses plus intimes ici nient qu'ils aient jamais vu la face de Klingworth (belle face) Il vient ici sans cesse chez le roi.
2 heures. Le roi vient de recevoir une dépêche télégraphique en annonçant qu’à Pétersbourg le projet d'ultimatum à la Turquie a été agréé ; je ne pouvais en douter puisque cela s’est fait sous les yeux de Meyendorff. Reste à voir ce que dira Constantinople. Ce n’est plus aussi grave. Si les Turcs acceptent, l’affaire est terminée. S'ils refusent, ils n’auront plus l’appui des protecteurs qu'ils s’en tirent tout seuls. L’une on l’autre alternative est donc bonne pour nous.
Je suppose que cet ultimatum ne touche que l’affaire principale, la proposition Menchikoff. Les principautés seront une affaire séparée et secondaire ; mais je suis portée à croire que nous les évacuerons du moment que la Turquie se soumet à la note de Vienne.
Si la nouvelle que vient de me donner le roi est vraie et elle doit l’être, je vais me reposer de toutes mes agitations. J’attends aujourd’hui. mon fils Alexandre. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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43 Val Richer, Samedi 6 Août 1853

Merci de la lettre de M. de [Meyendorff] qui m’a beaucoup intéressée. Je suis charmé que les miennes l’intéressent un peu. J’aimerais bien mieux causer avec lui. Je lui dirais que je n'ai jamais pensé à un protectorat collectif des Chrétiens en Turquie. J'en sais, comme lui, l'impossibilité pratique. Ce qui me paraissait praticable, c'était que votre Empereur, puisque on regardait un engagement de la Porte envers lui comme attentatoire à l’indépendance Ottomane, proposât lui-même que la Porte prit le même engagement, non plus envers lui seul, mais envers toutes les Puissances Chrétiennes, laissant chacune de ces Puissances protéger ensuite, pour son compte, ses propres dieux Chrétiens, l’une les Grecs, l'autre les Catholiques, l'autre les Protestants &
Mon idée n'était qu’un expédient pour sortir de la difficulté du moment par une porte qui ne fût plus seulement Grecque et Russe, mais Chrétienne et Européenne, qui fût par conséquent plus grande pour votre Empereur et unobjectionable pour les autres. Ce sont les situations prises qui décident. des affaires je voyais là une bonne situation à prendre, bonne pour la dignité et pour la solution. Voilà tout. Cela ne signifie plus rien aujourd’hui. Le sultan a beau se griser et traîner. L'affaire finira bientôt puisque tout le monde veut, qu'elle finisse. Les embarras ne sont des périls que lorsqu’il y a des puissants qui veulent en faire des périls.
Vous ne lisez probablement pas les récits de la révolution de Chine. S'ils sont vrais il y aura bientôt là, pour l'Europe, de nouveaux Chrétiens à protéger. Seront-ils Grecs, Catholiques ou Protestants ? Je crois que vous avez une mission religieuse à Pettiny. Du reste, ces Chrétiens chinois, orthodoxes ou non, me paraissent en train de se bien protéger eux-mêmes. Convaincu, comme je le suis, que le monde entier est destiné à devenir Chrétien, je serais bien aise de lui voir faire, de mon vivant, ce grand pas.
Avez-vous des nouvelles de la grande Duchesse Marie ? Le voyage de la grande Duchesse Olga en Angleterre est-il déterminé par la santé de sa sœur ? Dieu veuille épargner à votre Empereur cette affreuse épreuve ! Il m’arrive le contraire de ce qui arrive, dit-on, ordinairement ; je deviens en vieillissant, plus sympathique pour les douleurs des autres ; mes propres souvenirs me font trembler pour eux comme pour moi-même.
Je voudrais vous envoyer un peu du beau temps que nous avons depuis quelques jours ; très beau, mais pas chaud. C'est le vent du Nord avec le soleil. Nous n'aurons décidément point d'été. Vous ne me dites rien de l'effet de vos bains ; mais à en juger par l’air de votre silence, Schlangenbad vaut mieux qu'Ems.
Changarnier parle en effet trop de lui. Mais quand vous n'avez rien à faire des gens, vous ne savez pas assez les prendre par le bon côté, et mettre à profit ce qu’ils ont tout en voyant ce qui leur manque. Vous vous ennuyez trop de l'imperfection dès qu’elle ne vous est bonne à rien.
Adieu, adieu. Je ne fermerai ma lettre que quand mon facteur sera venu ; mais il ne m’apportera probablement rien à y ajouter. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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42 Val Richer, Jeudi 4 Août 1853

J’ai devant moi le plus épais brouillard que j'ai vu depuis longtemps dans un pays où j'en vois beaucoup ; mais c’est un brouillard blanc du matin que le soleil élève et dissipe en une heure, et qui présage une belle journée. Nous en retrouvons quelques unes, mais sans suite et sans sécurité mêlées de mal et précaires, comme tous les biens de la vie.
Je ne suis pas inquiet comme vous ; je suis pourtant moins tranquille que je ne l’ai été jusqu'ici. La question primitive et turque me paraît arrangée ; vous demandez moins que vous ne vouliez d'abord ; la Porte dira ce que vous voulez ; vous lui répondrez comme elle vous le demande ; il n’y a là plus d’embarras. Mais il y en a maintenant entre l'Europe et vous ; un gros et un petit. Le gros tient à la position isolée que vous travaillez à reprendre envers la Porte ; le petit a été créé par les circulaires de M. de Nesselrode. Une question de vieille politique et une question d’amour propre récent. J'espère bien, ou plutôt je compte que ni l’une, ni l’autre n’amènera la guerre ; mais je ne vois pas encore comment on les arrangera l’une et l'autre, à la quasi satisfaction des partis intéressés, condition nécessaire de tout arrangement. Il faudra bien qu’on en vienne à bout. Quand ce sera fait, je me donnerai le plaisir de vous dire ce que, depuis longtemps, j’ai à vous dire, et je ne vous dis pas.
Je vois que vous aussi vous faites parader vos flottes dans la Baltique comme dans la mer noire. Est-ce bien utile et de bien bon goût ? Cela me fait un peu le même effet que le camp de Chobham en Angleterre, un joujou rare et fragile dont on s'amuse. En général, il ne faut pas se mettre beaucoup en avant par le côté où l’on n'est pas le premier. Il paraît que notre ami Aberdeen a couru un véritable danger. Les cabs font bien du bruit à Londres. Je ne leur aurais jamais pardonné s'ils lui avaient fait vraiment mal, car je l’aime toujours beaucoup malgré son silence que je comprends. Plus on aurait envie de causer à coeur ouvert, moins on parle quand on ne le peut pas.
Avez-vous fait quelque attention, dans le Galignani, aux articles tirés d’un nouveau journal Anglais, the Press, qui me paraît se consacrer à la cause de l'Aristocratie territoriale, intelligente et libérale, de l'Angleterre ? Je viens d'en lire un, sur l’Angleterre, la Russie et les Etats-Unis, qui est très spirituel et très politique. Je voudrais bien que cette cause-là, qui est la bonne, fût bien défendue ; elle l'est bien faiblement depuis longtemps.
Je vous quitte pour faire ma toilette. Je pars ce matin à 10 heures, pour une course de campagne qui me prendra la journée. Je fais plus de ces courses-là que je ne voudrais. Mon gendre Conrad cherche à acheter une petite terre dans ce pays-ci, et il me demande d'aller voir tout ce qu’on lui propose. J’espère que ce sera bientôt fini. Pauline est encore un peu souffrante, plus de fièvre, mais une névralgie douloureuse, et qui l'abat.

10 heures
Adieu, adieu. Je pars sans que mon facteur soit arrivé, ce qui est toujours un grand ennui. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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42 Schlangenbad le 4 août 1853

Décidement mon voyage ne me profite pas. Je rapporterai à Paris tous mes maux avec & quelques nouveautés p. e. des crampes affreuses dans les jambes. Vous voyez bien que les médecins sont des imbéciles. Le temps est assez beau. Je prends de l’air tout ce que j’en puis prendre. Je ne m'ennuie pas, et quelques fois même je m’amuse. Marion a fait hier chez les vieux Rothschild un dîner impayable. La Princesse Louise de Prusse, Klingworth celui-ci bavardant & mentant, elle idiote. Des Allemands les Croy. Elle est revenue de là impayable de moquerie. Tous les Rotschild sont partis. Les vieux ce matin, Mad. James avant hier rappelée par son mari. Le Général est parti aussi. Tout cela sera rempli par des Biberes, ancien hospoder. C’est une lanterne magique. Nous rions souvent le roi et moi, il a vraiment bien de l’esprit. Le Prince Emile vient aussi me voir de Wisbade, tout autre genre, de la très bonne espèce. L'Empereur Napoléon vient de lui envoyer son grand cordon de la légion d’honneur en souvenir des grandes campagnes. Je ne sais rien de plus sur l'Orient. Cela finira pas la guerre après avoir fait éclater des révolutions à Constantinople le sultan est très menacé.
Je crois que mon fils Alexandre va venir bientôt ici. Je déciderai avec lui de mes mouvements ultérieurs. Je penche un peu pour Paris. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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40. Schlangenbad le 1 août Lundi 1853

J'ai enfin reçu une longue lettre de Meyendorff. Je la ferai copier par Marion pour vous l'envoyer. Le dernier mot du 29 est que les Turcs trainent en dépit des conseils de tout le monde et que cela peut durer encore par leur fait, car aujourd’hui tout le monde y va de bon cœur. Le sultan se grise.
Il y a ici la Princesse Charles de Prusse et sa fille. La mère & la fille belles, mais bêtes à un degré étonnant c' est à qui en évitera. Vous comprenez que j’en suis là aussi, et à faire des impertinences. Le roi de Wurtemberg est toujours aimable et assidu. Changarnier part demain je crois, car Mad. [Rotschild] part. Je répète qu'il est très convenable et que moi au moins, je n’ai pas entendu une parole aigre ou amère. Il se croit à Malines pour longtemps. Je vous avoue qu'il ne m’amuse pas. Il parle trop de lui, et il n’est pas naturel. Marion qui le voit beaucoup dit qu'il est beaucoup plus agréable hors de ma présence. Mais elle aussi n’a pas relevé un mot qui ne peut être dit à Paris sur la place publique. C’est un parti pris, ou bien vraie conviction.
Le temps est atroce, parfaitement froid, j’ai repris toute ma toilette d’hiver je me baigne malgré cela. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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37. Schlangenbad le 26 juillet Mardi 1853

Votre lettre n’est pas arrivée hier. Cela m'ennuie. Je n’ai rien ici de nulle part, je n’ai que les journaux. Il me paraît que la négociation sera longue nous resterons quelques temps dans les principautés, les Turcs auront leurs embarras intérieurs. On voudra les secourir, nous comme les autres peut être, et cela peut devenir une drôle d’affaire et grosse au bout. Au fond le gouvernement Anglais est dans l'embarras.
Je ne parle politique qu’avec vous et le Roi de Wurtemberg, mais il n’est pas tout-à-fait sincère avec moi. Il a bien de l’esprit. Il vous plairait beaucoup Il me parle beaucoup de vous. Je ne sais si votre petit ami est dans les environs. Vous devriez lui faire savoir que je suis ici au cas qu'il se trouve sur le Rhin. Constantin m’a quittée hier. Je ne suis pas tout à fait abandonnée, il y a quelques causeurs le soir, et deux ou trois femmes, pas grand chose. Ma journée est assez remplie par la promenade, le bain, le repos qu'il faut prendre après. Je végète. Je ne remarque pas du tout. que cela me fasse du bien, je suis comme j’étais. Voilà une misérable lettre Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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37 Bruxelles le 22 avril 1854
Dimanche 23

Voilà où j’en étais restée hier ; je n’avais absolument pas un mot à vous dire. Aujourd’hui rien non plus que des commérages. On dit que le gouvernement Canrobert n'a rien trouvé de préparé à Galipoli et qu'il est allé s’en plaindre à Constantinople. En Turquie hommes & choses sont épuisés. Tout serait fini si vous n’arriviez.
Le silence d’Andral me parait ominous. Je suis toujours sûre de ce qu'il y a de pire. Ceci serait affreux pour moi. Ni Hélène, ni mon fils, et personne ! Me concevez vous dans cette situation ? Je pense souvent à la cigale & la fourmis. Exacte ressemblance. Comment danser maintenant ? Hier il y a eu ici un orage épouvantable. Trois orages réunis aujourd’hui il fait froid. à quand donc la bataille ? Je sèche d'impatience. Je n’ai pas vu Barrot depuis longtemps. Lord Howardest à la campagne, invisible à tous. Brunnow court les Théâtres. Assis au balcon entre un marchand de toiles & un marchand de bière, causant avec eux de leur industrie, s’instruisant et se rendant très populaire. Si j'essayais cela m'amuserait peut-être. Je suis décidée. Votre lettre m’a décidée. Je ne veux pas que vous me méprisiez un peu plus. Voici des petits papiers. La cire m’a mangé un mot de votre lettre ce matin. Adieu. Adieu.
Savez-vous si Madame. Hatzfeldt est accouchée et de quoi ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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36. Schlangenbad samedi 23 juillet 1853

Je n’ai rien au monde à vous dire, mais je suis curieuse de savoir ce que vous avez dit de la circulaire de Drouyn de Lhuys. Moi je l’ai trouvé très bien faite simple, claire, et sans réplique. Très supérieur à Nesselrode. Est-ce de la rédaction de Thomanel ou du chef ?
Le roi de [Wurtemberg] a passé ici deux jours en courses pour faire visite à ses filles. Je ne l’ai pas vu. Mon fils Alexandre a été malade à Naples. Cela retarde son arrivée. Il ne sera à Paris que la semaine prochaine, & ici sans doute quand je voudrai. Ce sera alors que je déciderai où aller. Je n’ai pas grande envie de me remuer pour autre chose que pour rentrer dans mon home. Je ne crois pas qu’à tout prendre mon voyage n’aura fait beaucoup de bien ; il me donne avant tout le goût du repos. Adieu, voici une pauvre lettre. Du Val Richer il y a au moins les commentaires, mais que voulez vous qui vienne de Schlangenbad. Adieu. Adieu.
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