Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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43 Val Richer, Samedi 6 Août 1853

Merci de la lettre de M. de [Meyendorff] qui m’a beaucoup intéressée. Je suis charmé que les miennes l’intéressent un peu. J’aimerais bien mieux causer avec lui. Je lui dirais que je n'ai jamais pensé à un protectorat collectif des Chrétiens en Turquie. J'en sais, comme lui, l'impossibilité pratique. Ce qui me paraissait praticable, c'était que votre Empereur, puisque on regardait un engagement de la Porte envers lui comme attentatoire à l’indépendance Ottomane, proposât lui-même que la Porte prit le même engagement, non plus envers lui seul, mais envers toutes les Puissances Chrétiennes, laissant chacune de ces Puissances protéger ensuite, pour son compte, ses propres dieux Chrétiens, l’une les Grecs, l'autre les Catholiques, l'autre les Protestants &
Mon idée n'était qu’un expédient pour sortir de la difficulté du moment par une porte qui ne fût plus seulement Grecque et Russe, mais Chrétienne et Européenne, qui fût par conséquent plus grande pour votre Empereur et unobjectionable pour les autres. Ce sont les situations prises qui décident. des affaires je voyais là une bonne situation à prendre, bonne pour la dignité et pour la solution. Voilà tout. Cela ne signifie plus rien aujourd’hui. Le sultan a beau se griser et traîner. L'affaire finira bientôt puisque tout le monde veut, qu'elle finisse. Les embarras ne sont des périls que lorsqu’il y a des puissants qui veulent en faire des périls.
Vous ne lisez probablement pas les récits de la révolution de Chine. S'ils sont vrais il y aura bientôt là, pour l'Europe, de nouveaux Chrétiens à protéger. Seront-ils Grecs, Catholiques ou Protestants ? Je crois que vous avez une mission religieuse à Pettiny. Du reste, ces Chrétiens chinois, orthodoxes ou non, me paraissent en train de se bien protéger eux-mêmes. Convaincu, comme je le suis, que le monde entier est destiné à devenir Chrétien, je serais bien aise de lui voir faire, de mon vivant, ce grand pas.
Avez-vous des nouvelles de la grande Duchesse Marie ? Le voyage de la grande Duchesse Olga en Angleterre est-il déterminé par la santé de sa sœur ? Dieu veuille épargner à votre Empereur cette affreuse épreuve ! Il m’arrive le contraire de ce qui arrive, dit-on, ordinairement ; je deviens en vieillissant, plus sympathique pour les douleurs des autres ; mes propres souvenirs me font trembler pour eux comme pour moi-même.
Je voudrais vous envoyer un peu du beau temps que nous avons depuis quelques jours ; très beau, mais pas chaud. C'est le vent du Nord avec le soleil. Nous n'aurons décidément point d'été. Vous ne me dites rien de l'effet de vos bains ; mais à en juger par l’air de votre silence, Schlangenbad vaut mieux qu'Ems.
Changarnier parle en effet trop de lui. Mais quand vous n'avez rien à faire des gens, vous ne savez pas assez les prendre par le bon côté, et mettre à profit ce qu’ils ont tout en voyant ce qui leur manque. Vous vous ennuyez trop de l'imperfection dès qu’elle ne vous est bonne à rien.
Adieu, adieu. Je ne fermerai ma lettre que quand mon facteur sera venu ; mais il ne m’apportera probablement rien à y ajouter. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 13 Nov. 1853

Je crois que nous ne comprendrons guère mieux la guerre que la négociation. Je ne parviens pas à démêler qui, des Russes ou des Turcs est resté vainqueur à Oltenita. Vienne dit les Turcs, Berlin dit les Russes. Je crois que ce sont les Turcs. C’est dommage que le Prince Gortschakoff, qui est venu, dit-on, complimenter ses troupes sur leur bravoure, n'en eût pas placé là un assez grand nombre pour que la bravoure fût sûre du succès.
Je suis obstinément pour la paix, comme Lord Aberdeen, et je persiste à croire que c’est à la paix qu’il faut travailler, et qu’on doit réussir à la rétablir. Mais si nous devons être jetés dans la guerre, et dans la grande guerre, je suis pour que les Turcs soient chassés d’Europe. Au moins faut-il que nous avons ce profit en perspective au bout de ce chaos.
Duchâtel m’écrit dans un grand accès d'indignation contre la façon dont " cette misérable affaire a été conduite ; il n’y a pas deux jugements à rendre." Il est du reste plus préoccupé du dedans que du dehors : " L’hiver, dit-il, sera difficile à passer ; il n’arrive que peu de grains étrangers ; le commerce prétend manquer de la sécurité nécessaire. Les denrées autres que le blé, ont manqué comme le blé et même quelques unes dans une plus forte proportion. Le vin est arrivé à un prix que l'ouvrier ne peut pas payer. Il y a un sujet grave d’inquiétude. Les dispositions du peuple, même dans nos campagnes ordinairement si tranquilles, prennent un caractère menaçant ; le socialisme chemine sous terre sans qu’on s'en aperçoive. Il ne suffit pas, pour le détruire, de la comprimer d’une main en l'encourageant de l'autre ; la force est nécessaire contre les idées mauvaises, mais à elle seule, elle est insuffisante ; il y faut le concours énergique des idées vraies, fortement soutenues. "
Il a raison. Il ne reviendra à Paris qu'à la fin de l’année.
Je ne trouve rien à redire à votre manifeste. Il ne dit que l'indispensable, y compris, la phrase sur la foi orthodoxe. Les catholiques ardents ne peuvent pas vous pardonner ce mot orthodoxe. C'est pour cette raison qu’ils aiment mieux les Turcs qui n’ont pas la prétention de l'orthodoxie. Il me semble que la circulaire de M. de Nesselrode en dit plus que le manifeste, et qu’elle laisse entrevoir la chance d’une guerre offensive de votre part, bien au delà du Danube. En général, les commentaires par circulaires ne vous ont pas réussi.

Onze heures
Je reçois à la fois plusieurs lettres. La situation me paraît grossir et gronder. Que c’est absurde ! Mais ce n'en est que plus grave. Adieu, adieu.
Voici la dernière lettre à laquelle vous répondrez. Je vous écrirai encore deux mots mardi. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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7. Paris, Vendredi 3 Mars 1854

Vos lettres m’arrivent, en général fort tard. Celle d’hier (N°4) m'est arrivée si tard qu’il n’y avait pas moyen de rien ajouter à ce que je vous avais écrit le matin (N°6).
Vos yeux me désolent. Je ne puis croire que ce soit une épidémie ophtalmique spéciale à Bruxelles. Je n’ai jamais entendu parler de rien de semblable dans le climat. Mais tout est possible. Je crois plutôt à l'effet du chagrin, de l’agitation et de la fatigue sur un organe délicat. Vous me mettez à une épreuve intolérable en me parlant, comme d’une chance possible de votre retour immédiat à Paris. Je n'ai rien à dire de l'effet à Pétersbourg, vous seule en êtes juge. Les mots : " êtes-vous encore à Paris ? " m'ont malheureusement trop démontré qu’on ne voulait pas que vous y fussiez ici. On serait certainement étonné, et comme on ne comprendrait pas, on chercherait, à ce retour, d’autres motifs que le véritable ; on ne croit guère en général aux motifs de santé, quoique ce soient les meilleurs. Trop de gens s'en servent pour me nier.
Quoiqu’on ne soit pas ici, plus en goût de la guerre qu’il y a deux mois, on y croit, et on en prend son parti, et on s'y prépare, et tout le monde règle, sur le fait, ses relations et ses plans. Je vous dis, malgré moi et tristement, mes premières idées ; je n'ai encore causé avec personne ; mais je doute que, parmi vos amis sensés et sincères, il y ait une autre impression que la mienne. Vient toujours, en première ligne votre santé, et dans ce fait là, j’ai tant de peine à voir clair, quand vous êtes ici, qu’il m’est impossible de l’apprécier de loin. Que tout cela est triste !
Demain, plus encore que tout autre jour, je voudrais être avec vous, et vous donner quelques douces distractions. Votre fidélité à de chers souvenirs m'a profondément touché dès le premier jour où je vous ai connue. C'est une vertu qui coûte cher, mais que j’aime et que j'honore infiniment. Les coeurs sont si légers, et tout passe si vite dans ces ombres chinoises de la vie !
Autre tristesse en pensant à vous. Vous avez de la religion, et elle ne vous sert pas à grand chose dans vos épreuves, vous n'y puissiez guère de consolation ni de force. En tout, le mal vous fait plus de mal que le bien ne vous fait du bien, et vous souffrez plus de vos défauts que vous ne profitez de vos qualités. Que de choses il aurait fallu pour mettre en vous l’équilibre et l'harmonie dont vous auriez besoin. Adieu, adieu.
Je ne vous dis rien du discours Impérial. Il ne faisait pas grand effet hier, ni le matin, ni le soir. Il aura le sort de presque tout ce que dit et fait son auteur ; il réussira plus dans les masses que dans les esprits difficiles. Si j'étais allemand, j'en serais mièvrement content. Adieu.
J’ai vu hier Montalembert qui m'a beaucoup parlé de vous, avec un intérêt dont je lui ai su gré.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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65. Bruxelles le 24 mai 1854
Jeudi

Brockhausen est revenu hier de Paris. Enivré de Paris, malheureux de retrouver Bruxelles. Il dit qu'on sait bien moins là qu'ici. Je suis dans mon lit aujourd’hui c’est bien ennuyeux, j’espère que ce n’est pas dangereux. Redcliffe a fait ses embarras. Il n’a pas voulu aller au dîner donné pour le prince Français, Raglan non plus, c’est drôle. Les spectateurs trouvent cela un singulier début pour l’action commune.
Il y a des gens qui prétendent qu'il y a quelques nuages entre Paris et Londres, c’est des mauvaises langues.
Quelle misère d’aller nous trouver vous en Normandie, moi en Nassau. Ce pauvre Constantin me conseillait l’autre jour de penser comme la Grande Duchesse de Weimar qui dit que le bon Dieu n’aurait pas fait autre ment que l’[Empereur] son frère, j’ai répondu que c’était bon pour un orthodoxe de le croire, mais que moi j’étais Luthérienne, et je crois au bon Dieu plus d'esprit que cela. J'ai été prise d’un accès de sommeil après une nuit blanche, et voilà qu'il est tard. Je suis obligée de fermer ma lettre. Je viens d'en recevoir une de Greville un peu bête. Evidemment l’intéressant il ne veut pas me le dire. Adieu. Adieu.
N'oubliez pas de me donner l’adresse de Génie.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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122 Val Richer, Vendredi 21 Juillet 1854

Sacy (ou son rédacteur) a eu certainement tort ; la liberté des cultes existe en Russie ; elle a même, depuis longtemps été l’un des mérites de votre gouvernement, et l’un de ceux dont on l’a et dont il s'est avec raison, le plus vanté. Les Débats n'auraient pas eu tort s'ils avaient simplement dit qu’en sa double qualité de chef de la religion grecque et de souverain absolu, votre Empereur avait fait souvent, dans l’intérêt de l’unité de son pouvoir religieux comme politique, de la domination et de la propagande tyrannique, aux dépens des cultes non-Grecs de ses états Catholiques, Protestants, Juifs, en ont souffert et s'en sont plaints. Vous vous rappelez les religieuses persécutées, les Jésuites bannis, les Provinces Baltiques tracassées, les Juifs de Lithuanie transportés en masse. Il y a eu certainement là de quoi réclamer au nom de la liberté religieuse. Mais on ne s’inquiète jamais assez de savoir la vérité des faits et de ne parler que dans la mesure de la vérité. Je comprends qu’on se préoccupe des lenteurs de l’Autriche ; je n’y mets, pour mon compte que très peu d'importance ; je suis de l’avis de Gréville ; à cause de la Prusse, l’Autriche ne peut faire autrement. Le dénouement sera le même : ou bien vous vous déciderez à faire la paix, une paix désagréable pour vous, mais nécessaire, ou bien l’Autriche prendra décidément parti contre vous et la Prusse elle-même un peu plus tard. Au point et dans le courant où sont les choses, cela me paraît inévitable.
C'est étrange qu'Orloff ait été si insolent avec l'Empereur d’Autriche de deux choses l’une ou le comte Orloff n’a pas autant d’esprit qu’on lui en donne, ou s’il n'a fait qu’agir selon les instructions de votre Empereur, votre Empereur s'est bien trompé sur le caractère et la situation du jeune souverain auquel il avait affaire. Infatuation ! Infatuation. C'est la maladie des jolies femmes, des peuples en révolution et des souverains absolus. J’aurais certainement pris plaisir à causer avec votre jeune Prince de Nassau. Je me le rappelle, très bien. Ces deux ans passés à parcourir l’Amérique du nord, lui font honneur.

Onze heures et demie
Rien dans les journaux, ni du Danube, ni d’Espagne. Deux lettres de Paris qui ne m’apprennent pas. L'Impératrice n’est pas grosse puisqu'elle va prendre des bains de mer. Adieu, Adieu. G.
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