Archives Marguerite Audoux

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Lettre d'Emma Mc Kenty à Marguerite Audoux

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

DescriptionRelation d'une séance de spiritisme - Classement des lettres de Charles-Louis Philippe - Projet de livre
Texte
[Paris, fin 1909, début 1910]

Chère Madame et Sœur[1],

Je viens d'évoquer Louis. Le médium ignorait tout, et Louis s'est manifesté à moi d'une façon éclatante. Il m'a parlé surtout de vous, il m'a dit qu'il est venu me dire adieu, et c'est la vérité ; il me dit : « Ce que j'ai été, je le suis devenu par mon travail ». Il m'a dit des choses pour vous et de vous, et pour M. Fargue, et il serait content d'avoir une statue[2]. Il a dit : Francis peut. J'en avais une sueur sanglante, d'émotion. Je vous raconterai tout, il m'aime encore, chère Marguerite, mais vous, il me semble qu'il est mort comme blotti dans votre cœur. Il se croyait d'abord évanoui ; mais subitement à Cérilly il a compris ce qui était arrivé et sur les joues du médium ont coulé des larmes, donc Louis souffre d'être parti ! Il faut que je prie les anges pour lui. Il veut bien que nous fassions survivre sa mémoire ! Alors, ô sœur, moi je suis à vous, je serai comme une pensée avec vous ; que le souvenir de Louis plane sur sa tombe et que ses beaux livres restent debout comme des pyramides rayonnantes !
J'ai bientôt classé les lettres[3]. Elles sont ce qu'il y a de plus beau au monde. Marguerite, ces lettres sont plus belles que tout ce qu'on peut imaginer. Il faut venir me voir ; à notre époque de lutte les chers morts s'oublient vite et mieux vaut que nous fassions triompher la mémoire de Louis.
Je fais un livre qui est demandé pour Pâques, mais qu'importe, je le laisserai de côté si Fasquelle veut s'occuper de notre petit aimé. [4]
Je suis donc d'avis que nous nous réunissions en conseil le plus vite possible. Il faut voir sur quelles bases ces lettres peuvent se publier.
Si vous voulez venir avec Gide et peut‑être Francis nous pourrons arriver à une conclusion.
Dimanche je sors l'après‑midi. Je serai là à 8 heures du soir.
Mais je serai à votre disposition tous les jours excepté mardi prochain. Ou un soir sauf lundi ; je suis avec Mme Tournayre. Dès que nous aurons trouvé la marche à suivre nous commencerons. Nous serons unies, chère Marguerite, sous son cher regard.
Douloureusement.

Votre Emma.

PS
Nous vous comptons surtout sur nous [sic], ce tout [resic], les femmes qui ont assez d'amour pour combattre l'oubli.

[1] Appellatif qui renvoie au spiritisme que pratique la correspondante

[2] Il l'aura effectivement sur sa tombe, au cimetière de Cérilly. Rappelons que l'œuvre, réalisée par Bourdelle, sera inaugurée le 25 septembre 1911. Voir, sur l'histoire de ce buste, le n° 51 du Bulletin des Amis de Charles‑Louis Philippe (dossier dû à David Roe).

[3] Celles échangées entre elle et l'écrivain, et plus particulièrement celles écrites par Charles‑Louis Philippe

[4] Sur les projets de publication d'Emma Mc Kenty, voir, supra, la partie "notes"

Notes
À propos du projet de publication des lettres échangées entre Emma Mc Kenty et Philippe, on évoquera d'abord le sentiment d'Émile Guillaumin :
« Mme Mac Kenty avait fait un jour le voyage de Cérilly. Un peu onctueuse et romantique, le pleur facile, l'air «grande dame», elle avait tout de suite gagné la sympathie de Mme Philippe et de Mme Tournayre, ‑ lesquelles s'obstinaient par contre dans leur haine tenace à l'égard de Marguerite Audoux. La visiteuse les entretint de son projet de publier en volume, avec des commentaires, toute la correspondance par elle échangée avec leur fils et frère. Souvent les deux femmes dans les mois qui suivirent me parlèrent de ce beau livre qu'allait faire paraître «Mme Emma». Mais elle rencontrait des difficultés entraînant sans cesse quelque nouvel ajournement… Je savais par Valery Larbaud l'opposition agissante des amis parisiens qui craignaient de voir sortir un assemblage redondant et fluent, susceptible de nuire à la mémoire de celui qu'on prétendait honorer. L'ouvrage ne sortit jamais. »
(Guillaumin, Émile, Charles‑Louis Philippe, mon ami, Grasset, 1942, p. 203‑204)
Citons, comme exemple d'« opposition agissante des amis parisiens » ce début de lettre autographe de Gide à Mme Philippe du 23 février 1910 (Médiathèque Valery larbaud de Vichy [Ph. Gid. 5]) :
« Chère Madame,
Oui, depuis la mort de notre pauvre ami j'ai pu entrer en relation avec Madame Mac Kenty, qui je le crois est une personne bonne et sincère, mais terriblement encombrante et désireuse qu'on s'occupe d'elle ; depuis un mois chacun de nous reçoit une pluie de lettres d'elle, et nous avons bien été obligés d'intervenir, car dans son grand désir d'occuper le public de ses amours avec Louis elle risquerait de faire prendre en ridicule et elle et votre fils. Je crois qu'il faut beaucoup se défier non pas de ses sentiments et de sa bonne volonté, mais de son envahissement et de sa maladresse.
Inutile n'est‑ce‑pas de vous recommander la discrétion sur un sujet aussi délicat ; aussi bien je serais peiné de chagriner Madame Mac Kenty, mais je sais que Louis, tout en l'aimant bien ne la prenait pas au sérieux. Elle a gardé une quantité considérable de lettres de lui où parfois Louis s'amusait un peu d'elle ; nous estimons à quelques‑uns que ces lettres sont dangereuses à publier pour la plupart et qu'elles pourraient prêter à la moquerie. […] »
Francis Jourdain écrira d'ailleurs à Gide, le 20 avril suivant (lettre
autographe inédite, même source non référencée) :
« Je m'étais décidé, dans ma dernière lettre, à dire à madame Philippe que si quelques‑uns d'entre nous étaient arrivés à être sévères pour M. K., c'est que nous étions sûrs d'être dans les intentions de Louis en déconseillant un rapprochement avec une femme dont notre ami était excédé, dont il ne lisait plus les lettres, et qu'il fuyait. »
Le 14 août 1932, Gide écrit cette lettre à madame Tournayre (Médiathèque Valery-Larbaud de Vichy [Ph. Gid. 48]) :
« Chère Madame,
Je crois qu'il est souhaitable que les lettres de votre frère à Madame Mac K[enty] ne soient pas publiées. Il serait difficile d'expliquer au public qu'il n'y eut là, de sa part, à peu près qu'un jeu, qu'il cessa vite de prendre au sérieux Mad. M[ac] K[enty] mais continua assez longtemps à lui écrire, à la fois par gentillesse, et par amusement. La publication de cette correspondance pourrait lui faire quelque tort en laissant supposer une grande passion sérieuse, ou, ce qui serait aussi fâcheux, un divertissement sentimental où entrait un peu de mystification. C'est ce qu'aura compris M. Gallimard en rendant cette correspondance à Madame Leckher[1].
Je doute fort que Madame Leckher ait droit de publier ces lettres sans votre autorisation, ainsi qu'elle le prétend. D'ordinaire il faut, pour toute publication de ce genre le double consentement de celui qui a écrit la lettre et de celui à qui la lettre est adressée (ou de ses héritiers) et je pense que vous pouvent bien peu rassurantes, et elle s'y montre complètement ignorante et illettrée.
J'estime que, s'il n'y a rien à espérer d'elle, il n'y a non plus rien à craindre.
Veuillez croire, chère Madame, à l'assurance de mon cordial dévouement.
André Gide »
Des extraits de lettres de Charles‑Louis Philippe à Emma Mc Kenty ont été présentés dans les trois premiers Bulletins des Amis de Charles‑Louis Philippe (1936‑1938), et cela bien que Guillaumin en personne en fût le président… L'amusement et le divertissement évoqués par Gide s'y reconnaissent en effet. Enfin, en ce qui concerne la production éditoriale d'Emma Mc Kenty, on notera ce passage d'une lettre autographe inédite datée du 29 janvier, mais sans l'année (1910 ? , 1911 ?) que lui écrit Léon Frapié (Médiathèque Valery-Larbaud de Vichy [F‑Mac 1]) :
« J'ai lu votre livre La Polarité dans l'Univers. J'admire beaucoup votre science, mais j'aime surtout la précieuse tendance de votre cœur de femme qui ramène toute chose vers l'universel accord – vers la bonté et la paix. »

[1] Il s'agit vraisemblablement de la nièce. Guillaumin écrit à Larbaud le 18 février 1935 : « Je n'ai pas vu Mme Tournayre depuis le 20 décembre [1934] ; elle allait mieux ; elle était heureuse d'avoir reçu de la nièce de Mme Mc Kenty toutes les lettres de son frère à cette semi‑toquée. » (Cent‑dix‑neuf lettres d'Émile Guillaumin, éditées par Roger Mathé, Klincksieck, 1969, p. 206).

Lieu(x) évoqué(s)Paris

Lettres échangées


Collection Correspondants

Cette lettre a comme auteur :
Mc KENTY, Emma (née Jeannelle)

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 03/05/2024