Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Mme Philippe (mère)

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

DescriptionAffaires de Charles-Louis Philippe à renvoyer et propos sur Emma Mc Kenty
Texte
Paris, rue Léopold‑Robert, 10
[10 février 1910]

Chère Madame Philippe,

Je vous envoie le dictionnaire que vous réclamez pour votre petite‑fille[1] ; quant aux rideaux de la bibliothèque, je vais aller les réclamer chez l'emballeur qui, je l'espère, ne les aura pas perdus[2].
Je ne voudrais pas, chère Madame Philippe, vous faire de la peine en vous empêchant de correspondre avec madame Mac Kenty, mais je crois qu'il vaudrait mieux ne pas répondre à ses lettres, ou seulement par une carte polie.
Louis ne la voyait plus depuis plusieurs années ; le monde qu'elle fréquentait n'est pas du tout le même que le nôtre et c'était tout à fait par hasard que Louis et moi nous l'avions connue[3].
Vous savez, chère Madame Philippe, que les vrais amis de Louis sont unis comme une seule famille, et que tous nous vous aimons bien, et que tous nous ferons ce qu'il faut pour la mémoire de Louis ; aussi je voudrais vous mettre en garde contre certaine amitié faisant du bruit pour attirer l'attention. Je n'avais pas revu Madame Mac Kenty depuis cinq ans et ce n'est qu'en apprenant la mort de notre cher Louis qu'elle est revenue chez moi, mais je ne tiens pas beaucoup à ses visites.
Enfin, chère Madame Philippe, je ne voudrais pas trop vous influencer, mais je serais bien contente si elle ne vous écrivait plus.
La femme de ménage[4] nous a bien aidés au déménagement ; elle a été très dévouée. Elle m'avait bien recommandé de vous dire que les serviettes de toilette étaient tout usées et bonnes seulement aux chiffons. Je les ai vues en effet et elles ne valaient pas la peine d'être envoyées. Louis devait en acheter à l'exposition du Bon Marché.
Au revoir, chère Madame Philippe. Je serai heureuse d'avoir un petit mot de vous de temps en temps.
En attendant, je vous embrasse de tout mon cœur.

Marguerite Audoux


[1] La fille de Mme Louise Tournayre, la jumelle de Philippe

[2] Toutes ces réponses se réfèrent à une lettre dont nous n'avons pas eu connaissance.

[3] « Louis et moi nous l'avions connue »… Habile façon, pour Marguerite Audoux, en se mettant sur le même plan que Charles‑Louis Philippe, de reléguer Emma Mc Kenty dans un rôle de figurante – ce que, bien qu'histrionne, elle ne fut certainement pas ‑. Cela dit, ce fut en effet « par hasard » que Philippe et Chanvin firent la connaissance de cette dame (avant Marguerite Audoux et Michel Yell). Sur la position de l'entourage de Marguerite Audoux vis‑à‑vis d'Emma Mc Kenty, voir, supra, la partie "Notes".

[4] Celle de Charles‑Louis Philippe, ou une femme de ménage de l'immeuble

Notes
À propos du projet de publication des lettres échangées entre Emma Mc Kenty et Philippe, on évoquera d'abord le sentiment d'Émile Guillaumin :
« Mme Mac Kenty avait fait un jour le voyage de Cérilly. Un peu onctueuse et romantique, le pleur facile, l'air «grande dame», elle avait tout de suite gagné la sympathie de Mme Philippe et de Mme Tournayre, ‑ lesquelles s'obstinaient par contre dans leur haine tenace à l'égard de Marguerite Audoux. La visiteuse les entretint de son projet de publier en volume, avec des commentaires, toute la correspondance par elle échangée avec leur fils et frère. Souvent les deux femmes dans les mois qui suivirent me parlèrent de ce beau livre qu'allait faire paraître «Mme Emma». Mais elle rencontrait des difficultés entraînant sans cesse quelque nouvel ajournement… Je savais par Valery Larbaud l'opposition agissante des amis parisiens qui craignaient de voir sortir un assemblage redondant et fluent, susceptible de nuire à la mémoire de celui qu'on prétendait honorer. L'ouvrage ne sortit jamais. »
(Guillaumin, Émile, Charles‑Louis Philippe, mon ami, Grasset, 1942, p. 203‑204).
Citons, comme exemple d'« opposition agissante des amis parisiens » ce début de lettre autographe de Gide à Mme Philippe du 23 février 1910 (Médiathèque Valery larbaud de Vichy [Ph. Gid. 5]) :
« Chère Madame,
Oui, depuis la mort de notre pauvre ami j'ai pu entrer en relation avec Madame Mac Kenty, qui je le crois est une personne bonne et sincère, mais terriblement encombrante et désireuse qu'on s'occupe d'elle ; depuis un mois chacun de nous reçoit une pluie de lettres d'elle, et nous avons bien été obligés d'intervenir, car dans son grand désir d'occuper le public de ses amours avec Louis elle risquerait de faire prendre en ridicule et elle et votre fils. Je crois qu'il faut beaucoup se défier non pas de ses sentiments et de sa bonne volonté, mais de son envahissement et de sa maladresse.
Inutile n'est‑ce‑pas de vous recommander la discrétion sur un sujet aussi délicat ; aussi bien je serais peiné de chagriner Madame Mac Kenty, mais je sais que Louis, tout en l'aimant bien ne la prenait pas au sérieux. Elle a gardé une quantité considérable de lettres de lui où parfois Louis s'amusait un peu d'elle ; nous estimons à quelques‑uns que ces lettres sont dangereuses à publier pour la plupart et qu'elles pourraient prêter à la moquerie. […] »
Francis Jourdain écrira d'ailleurs à Gide, le 20 avril suivant (lettre autographe inédite, même source non référencée) :
« Je m'étais décidé, dans ma dernière lettre, à dire à madame Philippe que si quelques‑uns d'entre nous étaient arrivés à être sévères pour M. K., c'est que nous étions sûrs d'être dans les intentions de Louis en déconseillant un rapprochement avec une femme dont notre ami était excédé, dont il ne lisait plus les lettres, et qu'il fuyait. »
Le 14 août 1932, Gide écrit cette lettre à madame Tournayre (Médiathèque Valery-Larbaud de Vichy [Ph. Gid. 48]) :
« Chère Madame,
Je crois qu'il est souhaitable que les lettres de votre frère à Madame Mac K[enty] ne soient pas publiées. Il serait difficile d'expliquer au public qu'il n'y eut là, de sa part, à peu près qu'un jeu, qu'il cessa vite de prendre au sérieux Mad. M[ac] K[enty] mais continua assez longtemps à lui écrire, à la fois par gentillesse, et par amusement. La publication de cette correspondance pourrait lui faire quelque tort en laissant supposer une grande passion sérieuse, ou, ce qui serait aussi fâcheux, un divertissement sentimental où entrait un peu de mystification. C'est ce qu'aura compris M. Gallimard en rendant cette correspondance à Madame Leckher[1].
Je doute fort que Madame Leckher ait droit de publier ces lettres sans votre autorisation, ainsi qu'elle le prétend. D'ordinaire il faut, pour toute publication de ce genre le double consentement de celui qui a écrit la lettre et de celui à qui la lettre est adressée (ou de ses héritiers) et je pense que vous pouvez mettre opposition. Je consulterai M. Gallimard à ce sujet si vous le désirez ; malheureusement ni lui ni moi n'est à Paris pour le moment.
Je ne sais dans quelle langue est écrit le livre que Mme L[eckher] se propose de faire éditer ; je pense et j'espère pour elle que ce n'est pas en français, car les lettres d'elle que vous me communiquez sont bien peu rassurantes, et elle s'y montre complètement ignorante et illettrée.
J'estime que, s'il n'y a rien à espérer d'elle, il n'y a non plus rien à craindre.
Veuillez croire, chère Madame, à l'assurance de mon cordial dévouement.
André Gide »
Des extraits de lettres de Charles‑Louis Philippe à Emma Mc Kenty ont été présentés dans les trois premiers Bulletins des Amis de Charles‑Louis Philippe (1936‑1938), et cela bien que Guillaumin en personne en fût le président… L'amusement et le divertissement évoqués par Gide s'y reconnaissent en effet. Enfin, en ce qui concerne la production éditoriale d'Emma Mc Kenty, on notera ce passage d'une lettre autographe inédite datée du 29 janvier, mais sans l'année (1910 ? , 1911 ?) que lui écrit Léon Frapié (Médiathèque Valery-Larbaud de Vichy [F‑Mac 1]) :
« J'ai lu votre livre La Polarité dans l'Univers. J'admire beaucoup votre science, mais j'aime surtout la précieuse tendance de votre cœur de femme qui ramène toute chose vers l'universel accord – vers la bonté et la paix. »

[1] Il s'agit vraisemblablement de la nièce. Guillaumin écrit à Larbaud le 18 février 1935 : « Je n'ai pas vu Mme Tournayre depuis le 20 décembre [1934] ; elle allait mieux ; elle était heureuse d'avoir reçu de la nièce de Mme Mc Kenty toutes les lettres de son frère à cette semi‑toquée. » (Cent‑dix‑neuf lettres d'émile Guillaumin, éditées par Roger Mathé, Klincksieck, 1969, p. 206).


Lieu(x) évoqué(s)Paris

Lettres échangées


Collection Correspondants

Cette lettre a comme destinataire :
PHILIPPE, Madame

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 03/05/2024