Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres (La correspondance croisée entre François Guizot et Dorothée de Lieven : 1836-1856)

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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328. Londres, dimanche 22 mars 1840
10 heures

Je ne suis pas sorti hier soir. J’ai eu à dîner MM. de Bülow, Alava, Biörnstierna, Gersdorf et Münchausen. Ils ont joué au whist. Alava ne m’a quitté qu’après onze heures. Il a failli descendre à la cuisine pour faire à Louis son compliment. Il est très heureux depuis quelque tems. Son gouvernement devient quasi-tory et s’en trouve bien. Alava parle con gusto de toutes les lois qu’on va remanier. Un peu trop à mon avis. Du reste Rumigny et Aston s’entendront à merveille à Madrid ; ils ne se mettront point à la tête des factions opposées ; ils soutiendront ensemble le gouvernement de la Reine au lieu de tirer chacun à soi. J’oublie que l’Espagne ne vous intéresse pas du tout. Vous avez tort. Il y a là quelque chose qui commence. Mais vous n’aimez pas ce qui commence. Il vous faut du plein midi. Bülow m’a paru hier moins préoccupé de sa santé, moins nervous. Il causait volontiers. Il a beaucoup de goût pour son Prince royal. Il n’y a, dit-il, à Berlin de mouvement d’esprit et de conversation que chez lui. Je vous ai envoyé sur le champ les nouvelles du corps diplomatique. Vous les ,aviez peut-être déjà. Médem ira-t-il à Stuttgart ? J’en doute. N’a-t-il pas refusé Stockholm il y a un an ? S’il part, j’en suis fâché pour lui, et même un peu pour vous. Sa conversation vous plaisait assez.
Je vous consulte et bien à l’avance, sur une grave question. Je donnerai mon premier grand dîner le 1er mai. Autrefois, c’était un dîner français. Sébastiani a changé cela et en a fait un dîner du Corps Diplomatique, plus les principaux membres du Cabinet. On me propose ou de faire comme Sébastiani, ou de donner un dîner tout anglais, sauf les deux ou trois principaux du Corps Diplomatique et composé ainsi qu’il suit :
Le Cabinet tout entier... 14 les hommes seulement
Les lords Leveson à cause de son père Uxbridge  pour la Cour Albermarle Hill Pour l’armée Tankerville il y a toujours été Somerset Devonshire Pour le monde Sutherland Anglesey M Elllice Esterhazy Bülow Pour le Corps Diplomatique Alava de famille.
Il y aurait, dans ce nombre, plusieurs refus. On me propose, comme remplaçants Les Lords Carlisle, Breadalbane, Skrewsbury Dites-moi votre avis.
Le dîner tout anglais, ou à peu près, est peut-être plus utile. Mais il me semble que le dîner au Corps Diplomatique est plus convenable. Ne criera-t-on pas beaucoup si j’abandonne la tradition ? Puisque nous sommes à table, je poursuis. Voici deux autres dîners qui viendront à leur tour. Pesez-les bien. 1° Le dîner Tory
Les Cambridge…. 6 personnes, le fils, la fille, la dame d’honneur
Les lords Wellington 1 Peel 2 Lord et Lady Aberdeen 1 Lyndhurst 2 Lord et Lady Stanley 2 Lord et Lady Jersey 3 Sa fille pour la fille de la duchesse de Cambridge Witton 2 Cowley 2 Les lords Stuart de Rothsay 2 Londonderry 2 s’ils viennet tout sera fini Hertford 1 Howe 1 Et pour suppléants aux refus Les lords Douro 2 Aylesbury 2 Fitz Roy Somerset Sir Charles Bagot

3°) Le dîner de fantaisie, purement fashionable Les Sutherland 2 Palmerston 3 Clarendon 2 Tankerville 2 Aylesbury 2 Lichfield 2 Mahon 2 Anson 2 Douro 2 Leveson Douglas Foley Kisselef Cooper Et pour suppléants Chesterfield 2 Cadogan 2 Si le premier dîner était donné au Corps diplomatique, cela modifierait les deux autres. Je compte que vous serez ici avant le 3ème. Voilà de quoi méditer. Je n’ai pas fini Bourqueney m’apporte son projet pour le 1er dîner, en remplacement de celui qui précède. Il ne prend dans son cabinet que les Lords Melbourne-Landsdowne-Clarendon-Normansby-Palmerston-John Russell-Minto et Holland. Plus quinze ministres étrangers. Plus les Ducs  de Somerset et Sutherland et Lord Uxbridge. Il me semble que pour le 1er mai, ceci serait plus correct. C’est bien je crois la première fois qu’on fait passer la mer à des listes d’invitation à dîner. Faut-il que je vous envoie aussi le menu ?

5 heures
Je n’ai rien ce matin. Mais au fait, je ne peux rien avoir. Quand même quelque chose serait arrivé pour moi dans Londres on ne le distribuerait que demain. J’ai passé ma matinée à écrire toutes sortes de lettres insignifiantes. Hummelauer m’a pris une heure. Je crois que ma conversation lui plait. Il a beaucoup plus d’esprit que Neumann qui ressemble à un père noble de comédie. d’Haubersaert m’a écrit comme vous : « Le résultat du vote sur les fonds secrets n’est plus douteux pour personne. «  Il me dit qu’on écrit d’ici beaucoup de bien de moi à Lady Sandwich. J’ai après-demain, à l’Athénaeum, un dîner où il faudra un speech, me dit-on, mais un speech en français. Je fais, pour comprendre l’anglais, des progrès considérables. Je triomphe dans le duo. Je suffis au trio ou au quatuor, et même les morceaux d’ensemble m’effrayent peu. Mais j’ai en idée que pour parler, je ne saisirai jamais l’accent. Vous savez que je dîne aujourd’hui chez Lady Palmerston, en petit comité. Je finirai ma soirée Chez Lady Jersey. Elle a de drôle d’artifices. Elle m’a dit l’autre jour, devant plusieurs personnes, qu’elle était désolée de m’avoir manqué le matin, qu’elle ne rentrait ordinairement qu’à 5 heures. Je n’y étais pas allé. J’irai un jour à 5 heures. Lundi, 9 heures Lord et Lady Holland, Lord Normanby, Lord John Russel, M. Macaulay, M. Allen, M. et Mme Stanley, voilà le dîner. Assez languissant. Toujours la Chine. Lady Holland lit beaucoup sur la Chine. L’amirauté vient d’en publier une carte. On aura, au mois de novembre prochain des nouvelles de ce qui s’y passera d’après ce qu’on a décidé ces jours ci. Après le dîner, pour nous délasser de la Chine, j’ai expliqué l’Algérie. Il m’a paru qu’Abel-Kader était un peu moins ennuyeux que l’Empereur de Pékin. Je suis sorti à 11 heures un quart. Lady Jersey n’était pas chez elle. J’étais dans mon lit à minuit. Lord Lyndhurst est très malade, d’un inflammation de poitrine devenue presque générale. Il était mieux avant-hier, mais hier, il est retombé. Savez-vous qu’il a 70 ans ? Lady Holland m’a invité à dîner pour Mercredi. J’étais engagé. Pour dimanche. J’étais engagé. Je crois qu’il faudra attendre leur retour à Kensington. Ils iront bientôt.
Lord Holland en meurt d’envie. Il n’a point de chambre ici. Il fait sa toilette dans la salle à manger. Et pas un coin pour mettre des livres, des papiers. Il a tout son bagage dans un petit coffre qu’il transporte dans la salle à manger, dans le salon, partout avec lui. Lady Holland tient absolument à cette petite maison. Lady Cecilia Underwood va donc devenir Duchesse de Sussex. L’attaque du Morning Post est bien violente. Le Morning Chronicle, ce matin, annonce que le Cabinet est résolu d’approuver la déclaration du mariage et de demander les 6000 Livres. Je n’en ai encore entendu parler que par des ennemis. Que signifie ce procès de Lady Bulwer où le pauvre Bulwer est ramené sur la scène ? Il me semble qu’il avait raison de la craindre à Paris. Comment va-t-il ? Donnez-moi de ses nouvelles.

Une heure
Je viens d’envoyer chercher le 327. Je suis charmé que vous n’ayez plus besoin de Verity. Mais faites le toujours venir à la moindre envie. C’est un peu de repos et surtout un peu de distraction pour votre imagination. Je pense beaucoup à tout ce que vous me mandez, vous et Génie. Personne ne peut savoir ce qui peut commencer là. Mais je n’aime pas les paroles inutiles, je dis comme vous : Nous verrons. En attendant, pensez-y bien de votre côté, je vous prie. Un moment peut venir où tout notre esprit ne sera pas de trop.

2 heures
Rothschild sort de chez moi et ne m’a rien appris. Il voulait savoir quelque chose, mais je suis bien sûr que je ne lui ai rien appris non plus. Certainement j’aurais été charmé qu’il me dit que vous aviez dîné chez lui ces jours derniers. Comment ce pauvre Bulwer, avec son genou, est-il en état de se battre avec Berryer ? Le cartel m’avait échappé ce matin en lisant les journaux. C’est Bourqueney que me l’a fait remarquer. Adieu. Je vais faire des visites. Je dîne aujourd’hui au Raleigh Club. Que de dîners je donnerais pour un autre ! C’était charmant. Adieu encore. Madame la Princesse de Lieven St Florentin 2 Paris Voici des nouvelles que j’ai tout  juste le temps d’ajouter. M. de Brünnow a reçu ce matin ses lettres de Ministre extraordinaire à Londres. Il n’en ira pas moins à Darmstadt. M. de Kisselef est nommé à Paris, à la place de Médem qu’on envoie à Stuttgart. Le gendre de M. de Nesselrode, M. Miloradowisch vient à Londres à la place de Kisselef. 5 heures 1/4

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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413. Londres, Mercredi 16 septembre 1840
6 heures et demie

Je ne me suis pas conché à 9 heures, mais je me réveille de grand matin. Mes vendredi et mardi conviennent, je crois beaucoup aux diplomates. Ils y étaient tous hier sauf ce pauvre comte de Björnstjerna qui attendait encore hier matin le bateau de Hambourg et sa femme. Elle est enfin arrivée hier soir. Il me l’a fait dire par un petit comte de Mörner, joli jeune homme qui barbouille comme je n’ai jamais entendu personne barbouiller. Ils ont beaucoup joué, au Whist, et moi un peu. J’admirais, en remontant dans ma chambre, avec quelles choses et quelles paroles on peut remplir trois heures. Ils sont comme les vôtres, ils croient à la paix ; les uns d’une façon qui me plaît, les autres d’une façon qui me déplaît. Il y en avait là deux qui faisaient pitié à voir, pour leurs propres affaires, Alava et Moncorvo ; ne sachant pas s’ils étaient les ministres de quelqu’un ne recevant rien, ni nouvelles, ni argent, pas de nouvelles depuis bien des jours, pas d’argent depuis bien des mois. Ils jouaient tout de même au Whist. Lord Palmerston est revenu hier matin. Je l’ai vu à 5 heures et demie au moment où ils venaient d’échanger les ratifications. Les tables étaient encore là, les grands papiers, les bâtons de cire. Neumann, Schleinitz et Brünnow sont sortis devant moi de son Cabinet. Brünnow est très changé, et il a l’air consterné d’être si changé. Il a eu un quasi-choléra. J’ai passé une demi-heure avec Lord Palmerston très doux, ne voulant de querelle sur rien. Il m’a abandonné les consuls tout-à-fait Napier à moitié. Aux autres, il promet toujours un succès certain, prempt, pas le moindre vrai danger. Avec moi il n’argumente plus, il ne prédit plus. Nous avons l’air d’attendre tous deux que Dieu donne raison à l’un des deux. Il reste ici, pour quinze jours au moins. Lady Palmerston est revenue avec lui. Vous a-t-elle écrit ?

2 heures
Je n’ai rien encore ce matin. J’ai encore une chance. Je l’attends. Attendre, et attendre une chance, que cela me déplaît ! Quel ennui de ne pouvoir tout faire tout rondement ? Je suis aujourd’hui comme on était autour de vous samedi dernier, noir et inquiet. Je crains des malheurs et des fautes, les pires des malheurs, car elles en sont et elles en font. Je pense beaucoup dans ma solitude. J’entrevois dans la situation la plus périlleuse, une bonne conduite possible, très bonne, mais si difficile, si difficile ! Et puis, je ne sais pas bien l’état, l’état réel des esprits en France, ce qui est bien quelque chose dans la question. Mon instinct est que le bon parti ne veut pas la guerre. Et qu’il aurait la force de l’empêcher s’il en avait l’esprit et le courage. Je suis très perplexe. Mal double pour moi, car la perplexité, fort pénible en elle-même, est de plus contre ma nature. Je ne reste jamais longtemps perplexe. Je viens de répondre à lord Grey. 3 heures et demie Là voilà. Rien ne manque plus à ma journée de ce quelle peut avoir. Je suis moins noir qu’à 2 heures Je crois moins à la guerre, si elle venait, vous seriez malade, très malade. On est toujours à temps de se mieux porter si cela devient absolument nécessaire. Il faut commencer par être malade. Mais j’espère qu’il ne faudra pas. A présent que je vous ai vue comme je vous vois à présent, je vous quitte. J’envoie un courrier ce soir. Je vais à mes dépêches. Il fait froid aussi à Londres. J’ai du feu. En aurais-je à Paris ? Mad. de Tencin disait que la diversité de goût sur le froid, et le chaud avait brouillé plus de ménages que toute autre passion. Croyez-vous ? En tout cas, ne vous refroidissez pas. Adieu, adieu. J’ai une sottise sur le bout des lèvres. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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329. Londres, mardi 24 mars 1840

Je vous ai écrit hier. mais toutes mes lettres de ce matin confirment ce que m’annonçaient celles d’hier. La chute du Cabinet devient probable. Il faut que nous causions à fond. S’il se forme un Cabinet Soult Molé où soient MM. Duchâtel Villemain Gassy et Dufaure, voici les raisons de rester.
1. C’est le parti conservateur qui l’importe, et j’en suis. Je n’ai consenti a rester avec le Cabinet Thiers qu’en faisant mes réserves contre toute dérivation effective vers la gauche et en stipulant formellement : "Point de reforme électorale, point de dissolution" ce qu’on m’a promis.
2. J’aurai dans ce cabinet plus d’amis particuliers que dans celui de Thiers, et les mêmes amis pour le compte desquels je suis venu à Londres.
3. C’est quelque chose de très grave que de me séparer du Roi au moment même, où il remporte la victoire sur Thiers. Si je reste, je reste avec le Roi, le parti conservateur et la majorité de mes amis. Si je me retire, je me sépare, en apparence du Roi du parti conservateur et de la majorité de mes amis pour me trouver seul entre les deux camps car je ne serai jamais de l’autre.
Voici les raisons de me retirer.
1. Mes relations personnelles avec M. Mole. Elles ne sont pas changées. J’ai été dans des relations analogues avec Thiers ; mais la coalition nous a rapproches ; nous avons sans nous confondre parlé et agi en commun. J’ai pu sans le moindre sacrifice de dignité personnelle rester Ambassadeur de son cabinet. Avec M. Molé ma situation est tout autre. Rien ne nous a rapprochés. Nous sommes au lendemain de la coalition.
2. La politique générale de M. Molé au dehors. Elle est plus faible, plus vacillante qu’il ne me convient. Les formes sont dignes ; le fond ne l’est pas. La gravité couvre mal la légèreté. De plus il est particulièrement désagréable et suspect à ce gouvernement-ci. Son avènement, causera, entre les deux Cabinets de la froideur, et pour l’ambassadeur de France, une mauvaise situation générale J’userai ma faveur personnelle à compenser sa défaveur.
3. Le mal éclatera surtout dans l’affaire d’Orient. En soi, il est difficile d’amener le Cabinet, Anglais à l’arrangement qui nous convient. La difficulté croîtra sera peut-être insurmontable. si je ne la surmonte pas, en rejettera sur moi la responsabilité du mauvais succès. M. Molé  excelle dans cette manœuvre. Je serai resté, pour ne pas réussir avec le Cabinet dont la présence m’aura empêché de réussir. Voilà bien je crois, les deux faces de la question. Voyons maintenant, si je me retire dans quelle situation je me trouverai ce que je ferai et qu’il sera l’avenir probable. Je me retirerai en disant, très haut que je me retire à cause :
1. de mes relations personnelles avec M. Molé
2. de la faiblesse de sa politique extérieure,
3. de sa mauvaise position avec le Cabinet, britannique de qui on me demande d’obtenir beaucoup d’obtenir ce qu’il ne fera pas pour M. Molé Le Roi le parti conservateur et mes amis ministres, m’en voudront beaucoup de ce langage ; il n’y a pas moyen d’en tenir un autre.
Arrivé à Paris, rentré dans la Chambre loin de combattre, le Ministère, je l’appuierai dans toutes les affaires intérieures. Je soutiendrai la lutte contre la gauche, qui deviendra très vive. Je la soutiendrai avec grand avantage a cause de ma position indépendante et digne. J’y apporterai toute l’impartialité qui me conviendra. Thiers et la gauche, qui m’auront loue beaucoup de ma retraite me ménageront toujours. Sur les affaires extérieures, je parlerai peu ; à moins que la paix générale, et ma politique personnelle Vis à vis de ce pays-ci ne soient en jeu. Je parlerais alors avec beaucoup d’autorité. Dans cette hypothèse ma mauvaise chance, c’est de demeurer déclassé, isolé en dehors de mon vrai. parti séparé de mes deux points d’appui naturel la couronne et les conservateurs. Ma bonne chance c’est de reprendre peu à peu le Gouvernement du parti conservateur, en le soutenant dans la lutte où il va être engagé, sans répondre des fautes qu’il a faites ni de celles qu’il fera. Il y a beaucoup de mal au début, dans cette situation. Il y a beaucoup d’avenir. En restant, j’échappe aux difficultés du premier moment. Je m’en prépare, dans l’avenir de plus graves peut-être, et sans gagner de la force pour les surmonter. En restant, je reste étranger comme je le suis depuis un mois aux manœuvres aux oscillations ou s’usent, si vite ceux qui y entrent. Je reste en dehors d’une pauvre chambre et d’un pauvre gouvernement.
Si j’ai ici des succès les succès seront pour moi seul. J’agis prudemment. Et pour parler en anglais, je cargue les voiles et je reste en panne, en attendant qu’un bon vent revienne En me retirant, j’agis avec éclat. J’entre par mon propre choix dans une situation, très difficile très périlleuse, qui peut avoir de la grandeur. Je pourrais tout résumer en deux noms propres. Me retirer avec M. Thiers. Rester avec M. Molé. Lequel des deux bassins contient le moins inconvénients. Pensez-y bien, je vous prie. Causez-en avec Génie qui vous dira les petites choses. Il vous mettra au courant de ce que je ne puis bien savoir. L’état d’esprit de mes amis ascendants et de mes amis descendants. Adieu. Je ne vous parle pas d’autre chose aujourd’hui. Ceci peut devenir, très grave. J’en suis frappé Que ne donnerais-je pas pour une matinée avec vous! Peut-être vaut-il mieux que j’aie mon parti à prendre ici hors du brouhaha seul entre vous et moi, car vous me direz tout. Je n’écris sur ce sujet absolument à personne. Je ne m’engage avec personne. Je garde toute ma liberté. Adieu, adieu. A demain.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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428. Paris, dimanche 20 septembre 1840
10 heures

J’ai un peu dormi cette nuit. Je vais lire dans cette bible où nous vivions ensemble. J’ai le cœur triste et serré. J’ai eu hier une très longue visite de Bulwer, une très longue visite de Paul de Wurtemberg un peu de causerie avec Appony. Et ce soir j’ai revu les Granville qui viennent d’arrivés du Havre. Ceci a été un vrai plaisir pour moi. Eh bien, tout le monde est d’accord pour regarder la proposition égyptienne comme une nouvelle phase de la question, et comme une circonstance qui laisse aux bonnes volontés toute facilité de s’arranger avec convenance. Les Allemands sont d’opinion qu’il faut accepter tout le monde dit que la Turquie laissée à elle même accepterait des deux mains. Nous pensons. même que la Russie accepterait. Reste lord Palmerston ! Vous nous apprendrez s’il veut se servir de ce moyen pour faire sortir l’Europe des dangers qui la menacent où s’il veut à outrance braver ces dangers. Tout est là.
Les ministres anglais sont encore une fois appelés à examiner une grande question. Mais aujourd’hui ils l’examinent avec l’expérience de ce que leur a valu le 15 juillet. Il y a eu pour eux bien des surprises. En veulent-ils encore. 15 est hautement frondeur. Il n’a plus eu une ligne de 79 depuis deux mois. Le petit 29 écrit à 12 de fort bonnes choses, fort sensées. Il dit : " Il est temps encore aujourd’hui , mais ceci est le dernier moment, demain il sera trop tard. Jamais on ne répond à ces exhortations là. " Le Prince Paul a des dires fort étranges, et une vie toute particulière de la situation. Il a beaucoup couru, beaucoup vu ; et même fait. Il affirme que le mépris pour la France est le sentiment dominant partout, dans tous les cabinets. Que les platitudes passées doivent parfaite confiance dans les platitudes futures, et qu’on a beau faire on ne peut persuader à personne que la France fasse la guerre. Aucun cabinet ne veut le croire. Dirait-il vrai ?
On dit que le roi est très convaincu que tout ceci s’arrangera. Arrangez donc, et dites le moi. J’ai essayé de sortir hier mais il faisait laid, j’étais triste et faible. Je suis sortie pour voir lady Granville ; elle est grasse et rose, le mari ditto. Quand est-ce que je serai grasse et rose ?
2 heure. Point de lettres ? D’où vient ? Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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330. Londres, Mercredi 25 mars 1840, 866
9 heures

Le 328 m’est arrivé tard hier. Mon homme avait été le matin hors de Londres. Il n’y a pas moyen d’éviter ces petits ennuis là. Je dis petit, par acte de raison. Je le dis plus facilement aujourd’hui. Ce 325 m’a été si doux ! Les œuvres de surérogation sont toujours charmantes. On me l’a apporté en venant me chercher au club de l’Athénoeun où l’on m’avait donné à dîner ; Lord Landsdowne, Aberdeen, Northampton, Mahon, Montègle, Sir Francis Palgrave MM. Milmes, Holland, Hallam, Milman &etc un diner agréable et assez bon en dédommagement de celui du Raleigh Club vrai dîner Anglais, plus ardent que le charbon le plus ardent. Vous ai je dit que j’avais fait là mon début de speech, en Anglais, à la grande joie de mes auditeurs ? Joie morale plus que littéraire, je pense. Mais n’importe ; ni embarras, ni prétention ; n’est ce pas ce qu’il faut ?
Sur la proposition du Chairman appuyée par Lord Prudhor on m’a élu membre honoraire du Raleigh Club, the only Honorary member in the wortd, m’a-t-on dit. De là on m’a mené, à la Royal geographical society, nombreux meeting où nous avons été en exhibition, moi et trois sauvages des bords de l’Orénoque, tatoués et emplumés comme je ne le serai jamais. Pourtant et sans vanité, j’excitais plus de curiosité qu’eux.
Est-ce que je ne vous ai pas déjà conté tout cela ? Non. Je ne vous ai écrit hier qu’une lettre d’affaires. A propos, encore une plainte sur votre façon de procèder par voie d’insimuation et de réticence. Vous me dîtes : " Ce que je ne dis pas, c’est mes commentaires, mes spéculations ; mon opinion n’est guère comptée ; je n’entends rien sans doute aux situations. Je ne m’en mélerai pas."
Il faut bien s’il vous plaît, que vous vous en méliez. Je dis comme Alceste. Pouvez-vous imaginer que votre opinion n’est pas pour moi, la première des opinions, que je n’ai pas besoin de la savoir que j’arrêterai la mienne sans connaître la vôtre? Je vous ai écrit hier avant d’avoir lu toutes vos belles déclarations de réserve. Je ne vous ai pas écrit plutôt parce qu’on s’use l’esprit selon moi, à questionner et à s’épandre longtemps d’avance. Il faut faire ses idées au moment de l’action. Je veux les vôtres toutes les vôtres, autant qu’on peut avoir tout de loin. Je vous ai envoyé hier mon résumé, intérieur sur la situation. J’attends vos spéculations et vos commentaires.

Une heure
J’ai bien raison de vous reprocher vos façons indirectes. Encore : " Je me garderai bien de vous rien dire pour mon compte; vous n’avez pas besoin de mon opinion."
J’ai besoin, absolument besoin de votre opinion. En vous la demandant hier, j’ai calculé que je l’aurai samedi, sachez donc une fois pour toutes, je vous en prie, à quel point j’ai confiance en vous, toutes les confiances.
A cela près, le 329 vaut le 328. Oui, quatre fois par semaine, sans compter le luxe. Je vous écrirai aussi les lundi, mercredi, jeudi et samedi. Nos moyens sont bons. Vous avez raison de supprimer le Secrétaire. Vous pouvez aussi supprimer une enveloppe celle qui porte mon nom, et mettre à la place sur un coin de l’adresse à M. Herbet, la lettre G. Il n’ouvrira jamais une lettre semblable et me la remettra sur le champ. Je viens de voir Rothschild qui m’apportait des nouvelles, moins contraires au Cabinet. Il avait des chiffres aussi ; 200 contre Thiers 225 pour. Je suis las de chercher à voir dans cette nuit. J’attends. Je suppose que vous aurez été à la chambre. Duchâtel a bien raison de dire qu’en partant, j’ignorais le Cabinet. Je suis arrivé ici le 27 février. Voici ce que m’écrivait M. de Rémusat le 29. " Je prends un grand parti le plus grand parti politique que j’aurai sans doute à prendre de ma vie ; et ce qui est cruel, je le prends sans votre aveu...Tout cela est encore hypothétique ; je doute de la réalisation ; hier, je n’y croyais plus du tout ; aujourd’hui, il y a plus de probabilité et je vous écris. "
Si on vous en parle encore, ne répondez qu’autant que vous le jugerez convenable ; mais sachez bien le fait ; et au besoin temoignez que vous le croyez tel.

Jeudi, 9 heures
J’ai dîné hier avec du pur Torysme, Lord et Lady Cowley, Lord et Lady Jersey, Lord et Lady Haddington, Lord Aberdeen, Lord Elliot. Chez Lady Mary Ross fille de la marquise de Cornwallis. M. Ross est un des plus vrais Anglais que j’aie encore rencontré, franc, cordial et obstiné dans pas beaucoup d’idées.
En sortant de là, j’ai été à l’ancien concert où était la Reine, et où Lord Burghersh m’avait instamment prié de venir. Les morceaux étaient très bien choisis, Hayden, Guglielmi, Paesiello- mais l’exécution est un tour de force de Lord Burghersh, et sent le tour de force. L’orchestre est une machine exacte et insensible, qui ne fait point de faute et ne prend point de plaisir à ce qu’elle fait. Le beau quatuor de la Nina, Senza il caro Mio tesoro, l’admirable création de Hayden, le chœur final, tout cela a passé avec un vacarme correct et glacial. Et les auditeurs semblaient prendre, pour s’y plaire une peine qui leur réussissait médiocrement.
Voilà votre petit mot en sortant de la Chambre. Merci Merci. Je reçois deux autres lettres qui s’accordent tout à fait avec votre impression. Je désire cette issue là sans en espérer un bien bel avenir. Mais je ne crois pas le moment bon pour rentrer dans le chaos. Je suppose qu’on aura voté hier et que j’aurai un courrier ce soir vers minuit. Je me donne le plaisir de vous envoyer copie d’une lettre écrite d’ici à Fagel (vous devinerez bien par qui) et qui me revient de Paris. Bien pour vous seule. Pour votre plaisir comme pour le mien.

Une heure
Je rentre. J’ai déjeuné chez Sir Robert Inglis. Je n’ai point vu de conservateur plus ardent, et plus tolérant. J’y ai trouvé Lord John Russell, dont il m’a dit toute sorte de bien. Le vieux Rogers l’appelle, our little giant. Il a certainement fort grandi, et il étonne tout le monde par sa facilité et son infatigable énergie. L’évêque de Londres aussi, qui passe pour le plus capable des évêques et chez qui je dinerai le 11 avril. Je dîne aujourdhui chez Lady Jersey. N’êtes, vous pas lasse de dîner ainsi toujours et partout. Moi, je ne le serais pas et jamais et de rien si vous en étiez. J’ai été interrompu par M. Easthope, le propriétaire du Morning Chronicle et membre pour le Berkshire, puritain politique, qui à 25 000 Louis de rente fort estimé et fort compté. Il a en France une affaire pour laquelle je lui rendrai quelques bons offices.
Adieu. Il faut que j’aille faire quelques visites et puis un moment au Traveller. Je passerai chez Lady Palmerston. Adieu. Adieu. Je recommence comme si c’était vrai. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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420. Londres, Mercredi 23 septembre 1840
six heures et demie

Je vous quitte à peine et je vous reviens. Pourquoi se quitter jamais? Savez-vous que les trois quarts des chagrins qu’on a c’est qu’on le veut. bien ?
Il me semble que 22 s’accroche bien fort aux branches du Chêne. On me dit qu’il y a bien des gens qui voudraient l’y pendre. De loin, 48 a un peu l’air de s’accrocher à tout. Quoique 12 ne soit que le quart de 48, il se flatte bien d’être un chiffre plus fort, et il s’asseoirait volontiers aux pieds du chêne pour qu’il se prétât à l’usage qu’on voudrait faire de lui. Il lui ferait même probablement d’assez grandes concessions de terrain. Est-ce que la grande pensée n’a pas envoyé quelqu’une de ses feuilles à 83 qui aime tant les fleurs ? Si je ne me trompe il se fait en ce moment bien des calculs autour de 34. Le Mélèze serait curieux de savoir si on lui en veut toujours beaucoup de ne pas vouloir épouser 2 en secondes noces et si on espère que 14 refera un grand mariage. Je vous suis à peine revenu et il faut que je vous quitte pour m’habiller. Quand vous étiez ici, j’en voulais à à R. féminin. Depuis que vous n’y êtes plus, je la revois avec plaisir. Elle n’est pas la rose, mais.... Il est convenu que j’aime les redites.

Jeudi 9 heures
A dîner, Lady Clanricard, Lord Minto, M. et Mad. Van de Weyer, Alava, Pollon et Schleinitz, Lady Clanricard en grande coquetterie avec moi, coquetterie non seulement animée et spirituelle, mais presque douce et affectueuse, ce qui est moins dans sa nature. Un lieu banal de conversation, mœurs anglaises ; elle en faisait très bon marché. " Mais nous avons un seul avantage, l’intimité ; nous aimons l’intimité ; nous avons de l’intimité. " Je me suis récrié : " C’est précisément ce que vous n’avez pas. Je ne sais pas comment vous êtes dans vos ménages mais en sortant du ménage de la famille, vous tombez tout de suite dans le raout. Il faut à l’intimité un laisser-aller, un besoin de communication, de sympathie, d’épanchement, qui me semblent inconnus ici. "
Cela ne vaut pas la peine de vous être redit. Son langage était très bienveillant pour la France, pour la vie et la societé française. Point de politique du tout : " Je ne comprends pas comment fait-on Angleterre une femme de moyen-âge qui devient veuve et n’a plus de grande part au monde. Si cela m’arrive j’irai vivre ailleurs, en France peut-être. " Pas plus de politique avec Lord Palmerston qu’avec Lady Clanricard. Un peu avec Lord Minto. Triste de part et d’autre. L’idée de la guerre possible pénètre ici. Il y a huit jours, on n’y croyait pas encore du tout. Je persiste à n’y pas croire. Une transaction sortira de tous ces essais de transaction. Et j’y regarde avec une anxièté qui surmonte, je vous en réponds, ma disposition générale à l’optimisme. Lord et lady Palmerston très empressés pour moi.

Une heure
Vous avez très bien écrit à lady Palmerston Evidemment, évidemment, il est absurde, il est ridicule de faire courir à l’Europe, pour le motif qu’on allègue, les chances qu’on lui ferait courir en repoussant une transaction. " Il faut Beyrout et Damas au Sultan ! " Qui donc savait, qui pensait à savoir en Europe, il y a deux ans si Beyrout et Damas étaient au Sultan, ou au Pacha ? L’Europe, l’Europe saine grande, forte, belle, attachant ses destinées à la question de savoir si ces ruines pestiférées seront au pouvoir d’un vieillard près de mourir ou d’un enfant hors d’état de régner ? Dieu garde le monde de cette alliance : un petit esprit et un caractère fort ! Il n’y a pas de folie, pas de matheur qui n’en puisse sortir. Moi aussi, le memorandum du 24 août ne m’a pas satisfait, pour la forme du moins. Je l’aurais écrit autrement. C’est vraiment du guignon qu’il passe pour trop doctrinaire. On m’écrit ce matin que 31 a grand peur et fort peu d’envie de rentrer dans une si vive mêlée. Pourquoi n’écririez-vous pas à 2 que vous êtes de retour ? Savez vous ce que je soupçonne dans ce silence gardé envers vous par 2 et trois fois 2 ? Quelque misérable lâcheté, tenez pour certain que le langage de 90 à Paris, et celui de l’homme qui " mange avec autorité " à Londres sont très differents. Le mangeur n’est pas frondeur du tout. Adieu.
Vous ai-je dit aujourd’hui un mot autre que d’affaires ? Non, je crois. Pourtant j’ai bien autre chose dans le cœur Adieu, Selon mon cœur.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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331. Paris, jeudi 26 mars 1840,
9 heures

Je suis retourné hier à la Chambre. J’ai entendu M. de Rémusat, il est bien ennuyeux. M. Berryer, il a été superbe et l’effet qu’il a produit est incomparable. Quand il est revenu à sa place, la Chambre presque toute entière est venue, le féliciter. Il était accablé. Il me semble que les deux pensées dominantes de son discours ont été : de pousser Thiers à la gauche, et d’associer la chambre à sa haine de l’alliance Anglaise. Je vous dirai que cette partie de son discours a remué profondement la Chambre ; je ne serais pas étonnée qu’il ait converti bien du monde à son opinion. Il vous a rendu votre besogne plus difficile.
Le duc de Noailles m’a fait des signes d’intelligence qui m’ont prouvé que sa bouderie avait eu son effet de forcer Berryer à parler. Après tout, je ne sais jusqu’à quel point son discours a pu gêner le ministère. Vous me direz cela mieux. On dit que Thiers a empêché Jaubert de parler. Il l’avait empêché avant Berryer et l’a empêché après. Moi, j’étais tellement faliguée, que je suis sortie pour aller me reposer chez la petite Princesse ; je n’ai donc pas entendu la réponse que Thiers au discours de Berryer. Vers 6 heures je suis retournée à la Chambre croyant qu’on voterait. J’ai trouvé M. Piscatori occupant la tribune, pauvrement et son " Je déteste le progrés ", a fait dire derrière moi : " Voilà bien les doctrinaires. " C’était bête aussi, j’en demande pardon à votre disciple.
Il a amené à la tribune M. de Lamartine sur un fait personnel qu’il a expliqué, avec une haute et touchante éloquence. Et puis c’était fini. Malgré mon absence de la Chambre qui m’a empêchée d’entendre les discours intermédiaires, il me reste l’impression générale que la journée n’a pas été favorable aux ministres.
Je suis rentrée chez moi très fatiguée, j’ai trouvé " le gros Monsieur " m’attendant. Avec quelle joie j’ai reçu ce qu’il m’apportait ! Car il faut vous dire que j’étais inquiète et que c’est cela même qui m’a ramenée à la Chambre. Mes idées avaient pris une tournure abominable, lorsque votre mère m’a envoyer de mander si j’avais de vos nouvelles, parce qu’elle en manquait. Alors sont venues les fluxions de poitrine, les accidents dans la rue, les Cavagnac et joueurs de Charivari. Enfin, enfin, je ne voulais pas rester avec moi même. Pogenpohl m’attendait aussi ; je ne l’avais pas vu de longtemps, il avait été malade et il venait savoir ce que j’avais appris de l’affaire de Médem. Il m’a retenue jusqu’à dîner. J’ai pris ma lettre à table et j’ai dîné avec vous. A propos je vous dirai demain ce que je pense des autres dîners, mais décidément celui du 1er de mai doit être comme dit Bourguenay, la crème des ministres, et les chefs des missions Etrangères ; plus, Uxbridge, Albermarle Hill, Sutherland. Le Duc de Devonshire ne sera pas à Londres il vient ici.
J’ai eu une lettre de la Duchesse de Sutherland où elle me dit : " Vous nous parlerez davantage de vos projets. Vous nous direz quand nous pouvons vous attendre. " Ce pourrait être une phrase générale aussi ; comment dois je la prendre ? Je ne vous dis pas d’en parler, mais de me dire votre pensée sur cela.
J’ai été hier soir à un grand raout chez Appony. M. Molé est
venu à moi, en demandant ce que je pensais de la séance. J’ai dit ce que je vous dis. Il parait qu’il croit que je suis veridique, et il me parait que c’est rare. Lui aussi semblait content de la journée; mais le vote est toujours dans la plus grande incertitude. Il me dit que la réunion des conservateurs le matin n’avait pas été aussi nombreuse, qu’il y avait quelques défections ; il se plaint beaucoup des enrôleurs : Vatout, Lardières, de Sébastiani aussi. Au total il ne sait pas, mais il avait un air trop content, pour qu’il n’en sache pas un peu plus qu’il ne me disait. 
Madame de Castellane était là aussi, elle va prendre des jours pour de la musique. Celle de Madame de Poix avait extrèmement réussi l’autre jour. Granville était venu me chercher deux fois hier ; nous ne nous sommes rencontrés que chez Appony. Il était contrarié. Je lui ai redit l’effet du discours de Berryer. Il me dit : " C’est M. de Brünnow qui a préparé tout cela." Savez-vous qu’on commence à penser très mal de l’alliance anglaise et de vous on parle toujours comme d’un succès merveilleux.
Je vous enverrai ceci aujourd’hui. Quoique ce ne soit pas grand chose.
Midi. Voilà une surprise, une bonne surprise. Le gros Monsieur ; et une excellente lettre, excellente, le 329.
Oui, j’y penserai, j’y ai déjà beaucoup pensé. Cette lettre m’y fait penser mieux, me fait regarder bien plus dans les intrailles de l’affaire. Je vous promets pour samedi une réponse, que vous recevrez lundi. Faites comme vous dites à la fin, n’écrivez sur cela à personne. Ne dites à Londres votre opinion à personne. Je vous dirai qu’il est déjà revenu de là, il y a une dizaine de jours que vous avez dit " avec Molé jamais" pour des Anglais c’est grave. Et on m’a dit ici : " He will lower himself in our opinion if he stays after that. " Je regrette donc que vous ayez dit cela, car je ne suis pas du tout d’accord avec moi même encore, sur ce qu’il y a d’utile et avant toute chose de digne pour vous à faire si la circonstance se présente. Aujourd’hui le vote décidera. L’air d’assurance de Molé et du Maréchal laisserait soupçonner que derrière le vote même, il y a des réponses préparées, Nous verrons ! Mais bien certainement jusqu’à ce que nous voyions condamnez vous au silence. Appony est content, il est peut être confidant d’un secret que j’ignore. L’air me semble chargé de mystères.
Adieu. Adieu.
Si nous pouvions nous parler. C’est un moment si grave pour les choses et pour vous. Adieu.
Vous savez que Bacourt part ce matin pour Carlsruhe. Guilleminot est mort la veille du jour où il devait signer la convention avec le Général Bade. On veut que Bacourt le signe. Il devait aller en Amérique demain, partie remise pourrait bien être partie perdue. On plutôt gagnée !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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423. Londres, Dimanche 27 septembre 1840 sept heures

Byng est venu me dire hier qu’il partait aujourd’hui pour l’Italie et qu’il vous verrait en passant par Paris. L’envie m’a pris de vous dire par lui, un adieu plus tendre que de coutume, bien tendre. Je voudrais bien. Mais rien ne contente ma volonté. Vous savez mon mépris pour les illusions. Hier quand l’idée m’en est venue, il me semblait que je serais charmé de vous dire un peu plus, que je vous dirais tant ! Me voici. Je suis dans mon lit. Bien seul. C’est Dimanche. Je n’entends rien. Si vous étiez là ! Vous n’y êtes pas. Et je suis triste ! Et c’est tout ce que je trouve à vous dire Dimanche est un beau jour un saint jour. Je l’aime. Rien ne rafraîchit l’âme comme de se placer ensemble sous l’œil, sous la main, sous la garde de Dieu. C’est de la sécurité, c’est de l’éternité pour l’affection et pour le bonheur. Vous avez le cœur pieux. J’ai été ravi le jour où je m’ens suis aperçu. Je ne vous ai jamais dit, s’en cela, tout ce que je voudrais. Il me semble, en ce moment, que je ne vous ai jamais rien dit. J’ai le cœur si plein de vous, si plein pour vous ! Si vous étiez là, près de moi, je vous prendrais dans mes bras, je vous presserais sur mon cœur. Point de paroles, ma bien aimée. Rien que mes lèvres sur les lèvres, mon cœur sur ton coeur.
Non, il n’y aura pas de guerre. J’ai beau être inquiet ; ma raison ne cède pas devant mon inquiétude. Plus la guerre paraît s’approcher, moins je la trouve probable. Et il me semble que tout le monde est comme moi. On y croit d’autant moins qu’on la craint d’avantage. En ceci encore, que de choses que je ne puis vous dire. Il n’y a pas moyen. L’absence est devenue bien plus amère, bien plus lourde qu’elle n’avait jamais été. Adieu donc, ma bien aimée. Un adieu tendre et triste. Pourtant mille fois plus tendre que triste ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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331. Londres Vendredi 27 mars 1840
8 heures et demie

Je me lève de bonne heure. Je me suis couché de bonne heure hier, quoique j’aie dîné chez Lady Jersey où l’on dîne plus tard que partout ailleurs. J’en suis sorti à 10 heures trois quarts, et j’ai été passer un quart d’heure chez Lady Landsdowne. J’étais rentré à 11 heures et demie Lady Jersey a vraiment trop peu d’esprit pour tant d’activite et de paroles. Elle me lasse sans m’animer. J’ai revu hier chez elle la petite Lady Alice Pect toujours aussi vive et aussi bizarre, dans son parfait naturel. Elle était enfermée dans une petite robe de soie bariolé sans rien sur son cou, rien dans ses cheveux, pas le plus petit ornement, non absolument qu’elle et sa robe. Cela lui allait bien.
Nous avions là Lord Ellenborough qui me convient assez, quoiqu’il ne dise pas un mot de français. Il a l’air d’un esprit exact et sérieux. Peel en fait grand cas. J’aurais voulu aller hier à la Chambre des communes entendre Lord Stanley et
Lord John Russell. Mais il n’y a pas eu moyen. Vraiment la vie n’est pas bien arrangée ici. On laisse beaucoup d’espace vide dans la journée pour tout entasser le soir affaires et plaisirs. On entend très bien le confort matériel ; mais le confort intellectuel, pas du tout.
J’attends mes lettres ce matin avec un redoublement d’impatience J’aurais pu avoir un courrier hier soir. Mais ou le débat n’a pas fini mercredi, ou l’on ne m’a rien envoyé.Lady Palmerston me disait hier matin que je n’avais pas l’air agité du tout. Je lui ai dit que je l’étais très rarement, si peu de choses en valent la peine. Elle m’a exprimé une bien vive rancune contre M. de Talleyrand si cajoleur d’abord, et longtemps avec Lord Palmerston, puis si méchant, et très activement. Voulez-vous que je vous dise au vrai où nous en sommes Lady Palmerston et moi? Nous nous plaisons en nous observant.
Les journaux m’arrivent et je vois que le Cabinet a été battu hier ou plutôt cette nuit, dans la Chambre des communes à 16 voix de majorité. Cela me paraît un gros echec. On comptait sur 14 voix dans l’autre sens. Quand j’aurai vu du monde je vous dirai l’impression.
4 heures
L’impression est que ce n’est rien comme tout aujourd’hui. les amis du Cabinet ont été plus insouciants que l’opposition. Beaucoup se sont absentés, ne mettant pas d’importance et ne doutant pas; par exemple Lord Charles Russell, le frère de Lord John, qui s’en est allé à la chasse. Ils auraient dû venir. Lord John aurait dû parler, mais c’est sans conséquence. L’opposition elle-même n’essayera pas de profiter sérieusement de son succès ; elle s’y pavanera sans le pousser plus loin. Elle sait très bien que si elle voulait poursuivre l’adoption définitive du bill de Lord Stanley, elle ne l’obtiendrait pas. Les choses en resteront donc là. C’est une contrariété, point un danger.
Voilà ce qu’on dit et ce qui me paraît vrai. De Paris, je ne sais rien de Mercredi passé 2 heures. Quatre personnes, vous comprise, m’ont écrit en allant à la Chambre. Aucune n’en est sortie assez tôt pour m’en donner des nouvelles. Je vois que MM. de Rémusat, Berryer Thiers ont parlé !
On aura recommencé hier. J’attends donc toujours. La situation restera bien grave et bien vive, même si le cabinet obtient ses fonds secrets et subsiste.
Mais pourquoi n’aviez-vous pas mercredi à 1 heure, ma lettre de lundi ? La même chose est arrivée à ma mère. Le courrier était donc en retard. Il a fait ici un temps affreux mardi et mercredi. La traversée a pu s’en ressentir. On me dit aussi que la malle estafille de Calais à Paris casse quelque fois, tant elle est légère et va vite. Elle met 18 heures.
Je suis charmé que vous alliez voir ma mère.  Elle ma dit votre troisième visite avec plaisir. Vous avez mille fois raison de trouver bien peu spirituel et bien peu digne de refuser la justice à un rival. J’espère bien que je ne suis pas ainsi. J’en serais honteux. Laissez-moi vous faire toucher au fin fond de mon cœur. Il est aisé d’être juste envers un rival qui mérite ce nom et qu’on accepte comme tel. Le difficile c’est de l’être envers un rival prétendu que le public vous donne et qu’on n’accepte pas. Je n’ai jamais eu un moment d’injustice envers M. Thiers. Quelques uns peut-être envers M. Molé. Au besoin, avertissez-moi. Ellice partira pour Paris, du 10 au 12 avril.
Vous répondez très peu exactement. Vous ne m’avez pas dit que le retard de l’arrivee de votre nièce ne retarderait pas votre départ. Vous voyez que je n’admets pas le doute. Mais je tiens à votre réponse. Je me suppose toujours ici. Autrement, je dirai autre chose.
Samedi, 10 heures
Voilà la question résolue résolue, comme il me convient et je crois, comme il convient. Je l’ai appris hier soir en rentrant de chez Lady Holland, par un soin très obligeant de l’éditeur à moi inconnu du Morning Herald qui venait de recevoir un exprès de Paris. Mon courrier n’est arrivé que ce matin à 7 heures Il a été retardé à Calais. La mer était très grosse. Il a mis cinq heures à passer. Les express des
journaux sont venus par Boulogne. Je suis bien aise de la grosse majorité. Cela repousse beaucoup moins le gouvernement à gauche. Thiers m’écrit:
« Nous voilà établis. Mais nos soucis commencent. Jaubert et Rémusat se sont couverts d’honneur »
J’ai d’autres lettres aussi de Duchâtel et autres ; mais toutes avant le vote. Les 221 n’ont pas été aussi compacts qu’on s’y attendait espérance ou crainte. Je ne suis pas fâché que le parti conservateur se soit cru obligé de recourir à mon nom. Quelque soit l’avenir ceci est un gros échec pour M. Molé et les ultra-conservateurs.
Voilà, le 331, et je vais droit à ce qui m’intéresse le plus. Soyez sûre que ce n’est pas une phrase générale que vous écrit la Duchesse de Sutherland. C’est à Stafford house qu’elle vous attend. Je n’ai rien dit et elle ne m’a rien dit de précis à ce sujet. Mais deux fois ses paroles le tour de sa conversation ont implique très clairement que vous viendriez chez elle, que vous seriez chez elle. Ce qu’elle vous mande confirme tout à fait mon impression. Répondez-lui en conséquence. Elle est pour moi d’une gracieuseté inépuisable. Elle m’a écrit hier pour me demander quel jour je voulais dîner chez elle d’ici au 15 avril. Un célèbre docteur de Cambridge, lui a demandé de le faire dîner avec moi, et veut venir à Londres, à jour fixe, car il ne vient que pour cela. Comme elle avait signé Sutherland tout court en me disant Mon cher Ambassadeur, j’ai cru que le billet était de son mari, et j’ai répondu Mon cher Duc & elle me récrit ce matin: « C’est moi, mon cher ambassadeur, qui vous ai écrit Henriette Sutherland. Je viens de lui répondre en lui demandant pardon de ma familiarité ; mais je la prie de garder l’amitié en y ajoutant le respect. Elle me demande un second dîner en famille, pour Mardi prochain, en attendant le Docteur Arnold qui viendra le 10 avril. J’irai. Je veux que mes habitudes soient prises à Stafford House.
Le vote m’enlèvera probablement votre réponse à mon 329. Je la regretterai. Je désirais savoir bien à fond tout votre cœur dans cette circonstance. Au fait, dites-le moi toujours. La crise est passéé mais la situation reste grave, et j’aurai bien des choses et bien des personnes à ménager, pour un avenir dont on ne peut mesurer la distance. Ici le résultat fait grand plaisir. On tient beaucoup à nous, tous les jours plus si je ne m’abuse. Ne croyez pas beaucoup de votre côté à l’impression des paroles de Berryer. Il y a chez nous de vieilles humeurs, des intérêts froissés ; mais au fond, on sent que la surété est ici, & que l’amitié même un peu onéreuse, vaut mieux que la malveillance cachée même tolérante.
Vous l’avez voulu. Mon rôle ici peut être difficile, jamais embarrassant, ni pendant, ni après.
4 heures
Je rentre après quelques visites. Je viens d’écrire quelques mots à Thiers. Je fais répartir ce soir mon courrier. On est très frappé ici de la majorité. On comptera avec nous. Quel déplaisir que l’espace et la mer ! J’aurais des milliers de choses à vous dire. Je dîne aujourd’hui chez Lord Normanby. J’ai vu sa hemme hier au soir pour la première fois, chez Lady Holland. Elle arrivait de la campagne. J’ai trouvé là aussi Lady William Russell avec qui j’ai un peu plus causé. Je persiste. Il n’y a pas assez de mouvement dans cet esprit si plein. Je viens d’être dérangé par le Ministre de Saxe. Je soigne la petite diplomatie selon votre précepte et il me semble qu’elle s’en aperçoit. J’en ai eu six hier à dîner, entr’autre, M. de Neumann et M. Kisselef qui ont trouvé le dîner excellent.
Neumann avait l’air heureux et recueilli. Il mange avec autorite. Vous ai-je dit que décidément M. de Brünnow n’irait pas à Darvonstadt? Du moins on me l’assuré. Mais les Russes ont l’amour pour du mystère.
Adieu. à lundi. Ne manguez pas de me répondre sur juin. Commencez à fixer quelque date précise. C’est un grand plaisir de marcher vers un point lumineux. Adieu Adieu. Jamais assez.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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438. Paris, le 30 septembre 1840
Midi

Je vais vous dire toute la vérité à la condition que vous ne vous inquiéterez point. J’ai été saisie cette nuit de crampes au cœur et à la poitrine assez vives pour m’obliger à faire venir mon médecin il est venu à cinq heures. Il m’a fait faire des frictions, prendre des potions pour me faire transpirer. Cela a réussi, mais le mal est encore là. Je ne puis ni parler, en respirer librement. Je suis levée depuis un quart d’heure, on refait mon lit. Le médecin dit que c’est un cold pas autre chose. Je n’ai pas de fièvre. Eh bien vous savez tout et vous attendrez demain sans la moindre inquiétude. Mais je ne puis pas écrire longtemps.
Et j’avais tant à dire aujourd’hui 30 ! Au milieu de mes douleurs cette nuit, cette date m’est revenue à l’esprit et bien le croiriez-vous ? Je ne sais plus me rappeler ce qui s’est dit, ce qui s’est passé. Pas un détail mais le mot, l’idée, si vifs si profonds dans mon cœur. Je répète les 30 avec tant de passion. J’attends encore l’explication du bis, et j’attends encore la lettre qui doit être venue aujourd’hui. Dimanche il y avait quatre semaines depuis le 30. Dimanche prochain, il y aura quatre semaines de mon départ, je crois qu’il y a quatre ans Dans d’autres moments je crois que c’était hier. nous ne savons rien régler en nous. Nos imperfections sont si de diverses.
Adieu, il faut que je finisse. Je n’ai rien à vous dire. On attend ici avec anxiété. M. de Flahaut a écrit qu’il avait bon espoir à la suite d’un long entretien avec lord Palrmerston. J’espère qu’il n’ajoutera pas à la confusion. Je ne sais si je dois rien espérer du conseil. La seule chose sûre c’est que cet état d’incertitude ne saurait le prolonger, tout est trop tendre.
Fleischmann m’a bien confirmé ce que je vous disais hier je crois. L’Allemagne est très heureuse très peu remuer révolutionnairement parlant Elle sera fort unie pour le défense. Dieu garde que vous l’y forciez. Une longue visite hier du prince Paul de Wurtemberg ; bon a entendre, raisonnant juste, et voyant noir comme tout le monde. comme tout le monde. M. de Broglie repart pour la Suisse tout de suite presque, car le procès va être fini. On dit que c’est pitoyable ce procès.
Adieu, envoyez-moi, la paix, je vous enverrai demain ma convalescence j’espère adieu. Adieu comme le 30 aussi sérieux, aussi éternel.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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332. Paris, vendredi 27 mars 1840,
10 heures
J’ai vu Granville hier matin. Vous ne pouvez concevoir l’inquiètude qu’il éprouvait pour le vote. Lui si calme et froid, Il était très fidgetty. Certainement l’animosité possible de M. Molé lui apparaissait comme la rupture presque immédiate entre les deux pays. Vous jugez dès lors de l’ardeur de ses voeux pour Thiers.
Un nouvel incident politique, votre guerre au Maroc, le préoccupait beaucoup aussi. Si vous faites vraiment la guerre aux autres régences, l’Angleterre ne le souffrira pas. Voilà hier matin. à 4 heures je suis allée à la Chambre. J’ai malheureusement manqué M. Jaubert qu’on dit avoir fait le discours le plus spirituel et le plus excellent possible pour le ministère. Je n’ai plus entendu que des ennnuyeux, et le vote à 6 heures, le vote si triomphant pour Thiers. Granville auquel j’avais promis la nouvelle, n’a pas tenu, il est venu lui même à la Chambre, Médem, toute la diplomatie. La surprise a été grande 103 voix pour Thiers. Granville a couru chez lui le prier de vous envoyer une estafette.
Ce qu’il a fait, et vous saurez ce soir la nouvelle. Voilà donc Thiers qui gouverne tout-à-fait. C’est un évènement !
J’ai eu M. de Pogenpohl à dîner, je suis allée tout de suite après aux Italiens où j’avais donné rendez-vous à Granville, Brignole et le Duc de Noailles, celui-ci fort content. Il dit, redit ce qu’il a toujours dit, que Thiers est le ministre nécessaire de l’époque, le seul qui puisse faire encore durer ceci. C’est donc logique de lui laisser le pouvoir. Il est triomphant du superbe discours de Berryer. Il rit des visages très différents des deux ambassadeurs de la loge. Granville radieux. Brignole furieux ; le discours de Thiers a mis ce côté-là en grande colère, " soutenir les révolutions chez les voisins " ! Pauvre Brignole. Vous avez ma journée. J’ai reçu ce matin une lettre d’Ellice, qui me prouve qu’il est assez mal avec Lord Palmerston, sur l’affaire d’Orient. Il a l’air de croire cependant que ce n’est pas la politique de Lord Palmerston qui prévaudra. Le mariage Sussex ne sera point reconnu. Je vous dis des nouvelles de Londres. C’est bien présomptueux.

1 heure. Maintenant je ne suis plus si pressée de vous dire ce que je pense sur votre situation. Il faudra voir comme elle s’arrangera de la direction que prendra le ministère. Il est bien puissant à l’heure qu’il est. Où ira-t-il ? That is the question. Pour le moment je suis bien aise pour vous que vous soyiez à Londres. C’est convenable. Le Journal des Débats vous a classé ce matin. J’aurais envie de causer avec vous à tout instant sur toute chose.
Le Roi passe dans ce moment pour aller se promener à Versailles, il a raison de se promener il n’a pas grand chose à faire.

Samedi 28. à 10 heures
Génie est venu hier. Nous avons beaucoup causé. C’est une créature honnête, devouée et intelligenté ; il m’a conté quelques détails qui m’ont intéressée. Après lui, Appony consterné. Il avait eu le plus grand espoir. Thiers le traite avec beaucoup de politesse, mais voilà tout ; il refuse la conversation sur les affaires publiques. Car même jeudi soir l’ayant rencontré chez Lehon et Apppony le félicitant du vote, Thiers a répondu en demandant des nouvelles de Mad. Appony. Après Appony, le Duc de Noailles est venu. Il n’y tient pas ; il a besoin de bavarder, de demander, de savoir, de s’étendre sur tout ceci. La politique étrangère le préoccupe beaucoup; il veut parler à la chambre des pairs sur la situation avec l’Angleterre. Il trouve le moment excessivement grave, on ne peut pas rester dans cette incertitude. La Princesse Soltykoff nous a interrompus. Après sa visite, j’ai été chez la petite princesse où jai trouvé Madame de Castellane, parfaitement furieuse.
C’est drôle de tant montrer. Elle a été à la grande soirée de Mad. Appony. Mercredi, elle ira à la soirée de Sardaigne, dimanche, elle ne veut pas aller chez Lady Granville. "J’ai idée que Lady et Lord Granville ne m’aiment pas. " Cela est vrai.
J’ai dîné chez Lord Granville, il m’a raconté assez. Le Duc de Broglie est dans la joie de tous les triomphes du vote. Mais il se moque de la Chambre et condamne hautement l’élan d’enthousiasme auquel elle s’est livrée pour ce comedien Berryer. Ah par exemple ! Quand un comédien joue aussi bien que cela, il est fort naturel de l’applaudir.
Voyez-vous voilà encore la passion qui l’emporte sur l’équité.
Vous auriez applaudi j’en suis sûre. L’Empereur en apprenant la Chute de Soult a fait de grands voeux pour Molé. Le Roi a exprimé à Granville beaucoup de doutes sur l’arrivé de Pahlen. Le 15 il était encore à Pétersbourg. Granville croit que la négociation pour l’Orient s’évaporera. C’est le plus mauvais cas qu’il prévoit.

Midi, voici le 330. Je n’ai encore fait que le parcourir; je vous en remercie vite. Il faut que j’écrive à mon frère ; Médem envoie un courier ce matin, et ne m’en prévient que tout à l’heure. Mais vite il faut que je vous dise quoique la circonstance me dispense d’avoir une opinion sur votre situation, que si le ministère était tombé j’aurais été d’opinion que vous ne pouviez pas rester avec M. Molé, et cette opinion je la tire de votre lettre même sur ce sujet, (lettre admirable, vrai chef d’oeuvre d’expostion d’une situation) où vous me dites. "Si je ne surmonte pas les difficultés on rejettera sur moi, la responsabilité du mauvais succès. M. Molé excelle dans cette manoeuvre." Cette dernière phrase m’avait décidée. Mais il est inutile d’en reparler dans ce moment.
Je retourne à hier. Il a fallu après le dîner aller passer une demi-heure à un concert chez une compatriote, il faut le dire très bonne musique et très grande et noble compagnie mais un froid abominable, j’ai quitté malgré que la maîtresse de la maison me traitât en Impératrice. Je suis retournée chez Lady Granville. J’y ai trouvé Thiers. Dès qu’il m’a apperçue il a fondu sur moi avec un empressement et une joie extrême. Il est content, triomphant, mais encore inquiet. Il dit " de grandes difficultés ici, de grands grands embarras au dehors. Le sort du monde entre M. Guizot, moi, et Lord Palmerston. Bizarre situation ! le 11 octobre séparé par la mer mais travaillant bien de concert. M. Guizot a un succès inouï.
Nos destinées sont bien liées ensemble. " Revenant toujours sur cela. Plein de vous, et mettant de l’intention à me le bien dire. Il m’a parlé de sa situation vis-à-vis de la diplomatie. Il voulait me parler de tout. On faisait cercle, cela devenait trop éclatant. Je lui ai demandé l’heure et je suis partie. Mais au fond j’aurais bien aimé continuer. Vous savez qu’il me plait. Il me plaisait hier encore un peu plus, et tout bonnement je suis bien aise de le voir là où il est.
Je vous remercie mille fois de la copie de certaines lettres de Londres. Cela me fait bien de la joie. A propos j’ai lu hier une lettre reçue hier de Lord Clarendon, où il dit. "M. Guizot bids fair to be the most popular Ambassador that even was in this country." N’allez pas devenir insolent, restez, restez comme vous êtes, encore une fois, grand, sérieux, cela vous va si bien. Racontez-moi toujours tout. N’est-ce pas que je vous dis tout aussi ?
A propos, le Maréchal Soult causait un jour dernier avec le duc d’Orléans qui trouvait qu’il y avait bien du danger à renverser Thiers maintenant. Le maréchal lui dit : "Il n’y a que des gens pusillanimes qui puissent trouver cela." Imaginez ! Je sais cela de source.
On est inquiet de l'expédition de Vallée. Le mauvais temps est survenu. Je vous parlerai demain de vos dîners. Décidément pas Lord Tankerville. Pourquoi y serait-il le 1er mai ? Il n’est pas votre beau-frère, et il n’a pas un titre pour cela. Ce serait même trouvé très ridicule. J’en ai causé avec Granville qui est tout-à-fait de cet avis.
Adieu. Adieu. Adieu. Que de choses je vous dis et que de choses encore j’ai à vous dire. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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442. Paris, dimanche 4 octobre 1840
9 heures

Il y a quatre semaines, je vous attendais encore, nous avons encore marché dans le jardin, vous vous souvenez ce que nous nous y sommes dit ! Je le redis, je me le redis mille fois le jour, je le redirai toute ma vie. Hier j’ai été aux Italiens, Lucia de Lamermoor au premier acte un duo ravissant entre Rubini et Mad. Persiani, une succès d’amour. Ils échangent des anneaux, ils baisent l’anneau qu’ils mettent à leur doigt, un mariage devant le ciel, enfin une telle ressemblance que j’en suis restée troublée toute la soirée.
J’avais dans ma loge Mad. Appony et sa fille. Mon ambassadeur y est venu. J’ai dit un mot à Berryer, il viendra me voir aujourd’hui. Dans la matinée je n’avais vu Appony et manqué beaucoup d’autres : Il ne croit toujours pas à la guerre. Mais il croyait savoir que le roi avait de l’humeur contre ses ministres, ils ont eu trois conseils dans 24 heures sans informer le maître du motif. Ils le contrarient pour se bâton de maréchal à Sébastiani. Le roi très pacifique. On pense que les ministres débattent tant la question de la convocation des Chambres. Il y a toujours bien de l’agitation dans les esprits. On aimerait bien à croire à la nouvelle qu’Ibrahim a forcé les alliés à rentrer dans leurs vaisseaux, mais cette donnée est vague.

Midi.
Votre lettre de vendredi ne me dit rien. Est-ce que les conseil de jeudi n’a donc rien produit du tout ? Mais c’est incroyable. Dites moi donc quelque chose. J’ai besoin d’autres correspondances que vous ! Car par vous je n’apprends rien. Je ne vous donne pas raison pour Chiswick. C’est une très exacte copie des villas près de Padoue, il n’y manque que le soleil. Ce que les hommes ont pu ils l’ont fait ; au lieu de me conter ce que Lady Holland a dit à M. Canning, et ce qu’il lui a répondu et que je sais par cœur, dites-moi ce que lady Holland pense du Cabinet Conseil. Contez-moi l’Angleterre de votre temps et non pas l’Angleterre de mon temps. Il ne vous fâchez pas de cette petite observation, moi Je me députe quand je vous voir employer mal votre papier et votre temps. Je veux de douces paroles d’abord et puis la guerre ou la paix ensuite, je veux aussi tout l’emploi de vos journées. Moi, je vous dis tout.
Hier bois de Boulogne comme de coutume, dîner seule comme de coutume, mon lit à dix heures comme de coutume. J’ai quitté les Italiens à 9 1/2. Je n’ai pas causé avec votre petit Médecin parce que vraiment cela n’aurait pas de sens à moins de me mettre entre les main. Je suis très contente de Chermside. Il me tire vite des petites indispositions qui m’arrivent. Quand vous serez ici, vous ordonnerez et j’obéirai, jusque là à moins de catastrophes j’irai mon train ordinaire. Chermise est prudent, il me traite avec beaucoup de douceur. Ma blessure est presque guérie. Les journaux deviennent incommodes pour M. Thiers. Il n’y a guère qui le journal des Débats que le soutiennes Aujourd’hui, c’est-à-dire il n’y a que le journal des Débats que soit raisonnable car la question de Beyrouth. Le duc de Noailles, m’écrit encore. Il dit qu’il n’y a qu’un gouvernement aristocratique ou un gouvernement populaire qui puisse faire la guerre. Ce gouvernement-ci non mais où est la cause de guerre ? Voilà toujours le puzzle.

1 heure.
Je viens de marcher. Je ne sais pas de nouvelle, je n’aurai vu personne avant de fermer cette lettre. Je pense à la convocation des Chambres. Il me semble qu’il n’y a de salut pour moi que là. Car vous me préparez à un grand désappointement pour octobre. Je n’ai jamais cru sincèrement à octobre, vous n’y avez pas cru non plus. Tout cela était pour acculer deux enfants. Qu’est-ce que c’est que des projets, des volontés. Qu’est- ce que sont les plus ardents désirs ? Eh mon Dieu ; ils ne font pas gagner un jour une heure. Il me semble que je suis de mauvaise humeur aujourd’hui, et je ne vois pas pourquoi. Il n’y a rien de nouveau.
Adieu. Adieu, j’ai ressenti un vrai plaisir hier en prenant possession de ma loge. Est-ce que je me tromperais ? Il me paraissait que je devais y passé de si doux moments croyez-vous que j’aurai de doux moments ?

Adieu. Adieu. Mille fois adieu. dans ce moment une petite visite qui me dit qu’on se plaint de ce que vous n’aviez pas. Cette petite visite visite me dit aussi que 62 dit qu’on a passé toute la journée d’hier à patauger sans rien décider et qu’on attendra encore quelque jours.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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332. Londres, Dimanche 29 mars 1840
9 heures

L’effet de cette grosse majorité est considérable ici, et me servira, j’espère. J’avais hier Lord John Russel chez Lord Normanby. J’ai vu le soir lord Landsdowne et M. Macaulay. Ils sont disposés à compter avec nous. Ellice est charmé. Il partira décidément le vendredi 10 avril. Il est bien heureux. J’ai causé hier soir avec le revérend M Sidney Smith, qui a réellement beaucoup d’esprit. Mais tout le monde s’y attend, tout le monde vous en avertit. C’est son état d’avoir de l’esprit comme c’est l’état de Lady Seymour d’être belle. On demande de l’esprit à M. Sidney Smith, comme une voiture à un sellier. Rien ici ne va facilement librement, sans attente, ni dessein. Tout est classé, arrangé, convenu. On fait bien d’avoir de la liberté politique, car on n’en a pas d’autre.
La Duchesse de Sutherland dinait chez Lord Normanby. Je confirme mon dire d’hier. Elle compte évidemment sur vous, chez elle. Elle s’informe de la date de votre arrivée. Après le Parlement au mois d’Aout, ils ont le projet d’aller en Ecosse où ils n’ont pas été depuis longtemps.
Lord Grey est arrivé avant-hier, très bien portant et très grognon, me dit-on. Il paraît qu’il fait comme M. Royer-Collard; il perd ses illusion de vieillesse. Ces deux hommes là ont bien mal entendu leur position avec un peu de bienveillance, ils auraient pu avoir beaucoup d’influence. Ils aiment mieux avoir de l’humeur et déplaire. Je suis pourtant curieux de Lord Grey, et je veux être bien avec lui.

3 heures
Je viens de faire à pied le tour complet de Regents Park. J’ai marché une heure et demie. Ce doit être ravissant en été. Par malheur, je n’étais pas seul. Bourquenoy et mes deux attachés, m’ont accompagné. J’aime à me promener seul quand je ne suis pas deux. J’aime à penser en marchant, à me souvenir à prévoir. Ma mémoire et ma prévoyance vont au même but. Voilà encore une épreuve. Je me plais ici, et j’y réussis, pour mon compte du moins. Tout ce que j’ai de curiosité & d’amour propre mondain est satisfait. Je ne suis insensible à aucun des plaisirs de ma situation. Décidément ce sont de petits, de bien petits plaisirs, des plaisirs qui ne vont pas au delà, de l’épiderme dont rien ne reste passé le moment de leur présence. Je suis là dessous, mon âme qui languit et se plaint du vide ; elle a faim et soif; tout cela ne la nourrit pas.
De tendres soins, donnés ou reçus, des regards d’affection des paroles de confiance, voilà ce qui fait vivre ce qui remplit et épanauit le cœur. Hors de cela, rien ne suffit. J’ai ressenti cette impression dans le tumulte des plus grands évènements et des plus grandes affaires. J’aime beaucoup cela beaucoup. Cela même ne va pas au fond. Un vide immense reste. Salomon a eu tort de dire : Vanité des vanités, tout est vanité ! Le pouvoir, le monde, les succès d’ambition, d’amour propre tout cela est quelque chose; je l’accepte et j’en jouis volontiers. C’est du luxe, beau luxe pour une âme d’ailleurs satisfaite, mais qui ne serait pour moi que misère, si j’étais réduit à m’en contenté. Deux ou trois jolis cottages que j’ai entrevus au delà de Regents Park au pied des coteaux de Primrose, m’ont fait venir tout ceci sur les lèvres, et je vous le dis comme je me le suis dit
à moi-même tout le long de ma promenade.  C’était à vous aussi que je le disais en marchant.

6 heures
Lord Clarendon et M. Croker m’ont interrompu. Ils sont arrivés successivement. Ils ne s’étaient pas vus depuis le bill de réforme. Croker a beaucoup d’esprit; mais c’est un maniaque. Il voit l’Angleterre en République. La révolution francaise a donné a des hommes fort distingués un coup de marteau dont ils ne se sont jamais remis. La santé dans cette société-ci est bien plus forte que la maladie. Plus j’y regarde, plus je me rassure. Croker n’a plus qu’un pied à terre à Kensington. Il habite à cing lieues de Londres, près de Hamptoncourt dans une chaumière qu’il a arrangée, dit-il, pour lui et ses livres. Il m’a fait promettre pourtant d’aller diner chez lui dans la belle saison. Outre qu’il a de l’esprit c’est un esprit varié et cultivé. Vous savez que je suis sensible à cela, et ici encore plus.
Vous avez décidément raison. Lord Clanden, est tout-à-fait aimable. Nous sommes très bien ensemble.

Lundi, 9 heures et demie
Non, il n’est pas permis de condamner un homme de sens à un pareil ennui. J’ai dîné hier à côté de Mad. Lionel Rothschild, fort jolie, mais parfaitement et bavardement bête. Je ne sais pas si je l’amusais, mais elle s’est crue obligée de m’amuser et deux heures de ce plaisir la c’est trop. Lord et Lady Albermarle, Lord et Lady Landsdowne Ellice et des Rothichild de tout pays et de tout âge. Il y en avait un qui se marie aujourd’hui et qui dans le transport de sa joie m’a paru en train de s’enivrer tout le long du dîner.
J’ai fini chez Lady Holland, avec Lord et Lady Palmerston et Lord John Russell. Plus Lady Acton. Il y a un petit complot pour lui faire épouser, Lord Alvanley. Elle ne veut pas. On dit qu’il ne peut plus revenir en Angleterre, tant ses affaires sont en mauvais état, et que lorsqu’il aura assez du Pacha d’Egypte, il s’établira à Paris. Avant-hier chez Lord Normanby, j’ai fait connaissance, avec Lord Chesterfield la fleur des dandys fashionable. Fleur sans grâce ni parfum. Décidément la frivolité ne va pas aux Anglais. L’esprit même qu’ils y apportent est raide, affecté, tiré par les cheveux. Il faut à ce rôle une souplesse, une vivacité de corps et d’esprit, qui leur manquent tout à fait, et quand ils les cherchent, on voit l’effort bien plus que le succès. On dit
que les affaires de Lord Chesterfield aussi sont mauvaises et qu’il reste peu de chose des 35000 louis de rente avec lesquels il est entré dans le monde. Pourtant les Whigs le soignent et espérent un peu le ramener à eux ! Il a été choqué que Sir Robert Peel ne lui ait rien offert dans sa dernière négociation. Tout ce que je vous dis là ne signifie pas grand chose; mais je sais que d’ici tout vous intéresse.

2 heures
Le 332 m’est arrivé pendant ma toilette. Je le parcours vite ; puis, je le pose là, à côté de moi, jusqu’à ce que j’aie fini, et je le regarde souvent. Je n’avais guère besoin que vous me disiez votre opinion en cas d’un Ministère Soult Molé. Vous avez bien vu qu’elle était la mienne. Mais je veux vous dire que je n’ai pas dit du tout ce qu’on vous a répèté : " Avec Molé jamais. " J’en suis parfaitement sûr. J’ai écouté toutes mes paroles à cet égard. Voilà la seconde ou la trosième preuve d’un petit travail arrangé en ce sens pour me lier à Paris par mes propos à Londres. Peu m’importe du reste. Quand l’occasion viendra, personne ne me lira que moi-même.
Votre plaisir de mon succès ici fait bien plus de la moitié du mien. Soyez tranquille ; je ne me sens pas la moindre disposition à en dévenir arrogant. Je vous dirai, à cette occasion, une chose très arrogante. Deux situations me conviennent et me mettent ou plutôt me laissent dans mon état moral simple et naturel, la très bonne ou la très mauvenie fortune, la grandeur ou l’adversité. Je m’y sens parfaitement à l’aise. Ce sont les situations mitoyennes et douteuses qui me déplaisent et me gênent quelques fois dans mon allure.

3 heures
Vous ne devineriez pas qui m’a interrompu. Le master of the household de la Reine, M. Charles Murray, qui venait de sa part me demander la permission de s’aboucher avec mon cuisinier pour qu’il lui fit venir de France un bon patissier. Je les ai abouchés en effet, et le patissier viendra. Je suis bien aise que vous ayez causé avec Thiers et de ce qu’il vous a dit. Il n’y a pas de caresse qu’il ne me fasse et ne me fasse faire. On me caresse fort de tous côtés. On dispute mon opinion et mon nom. Je n’ai qu’à me taire et à faire ce que je fais ici. Voici ce que m’écrit le plus sensé et le plus clairvoyant de mes amis conservateurs.
"Autant qu’on peut juger une situation, le lendemain du jour où elle s’est dessinée voici, il me semble, où nous en sommes. Nos 158 voix ne sont pas complètement homogènes. Mais en les réduisant à 140, on a le chiffre des conservateurs détermine à empêcher l’alliance avec la gauche, soit dans le pouvoir, soit dans l’opposition. 40 voix à peu près dans la majorité ministérielle ont la même tendance, mais non la même résolution. Le parti conservateur est donc en minorite, et ne peut recevoir la majorité que de ses alliances ou des fautes du Cabinet. "
" Ceci me semble dicter la conduite que nous devons tenir. Nulle occasions qu’on puisse prévoir ne se présentera, d’ici à la fin de la session de donner un vote politique. L’attitude hostile serait donc sans prétexte et aurait de grands dangers. Elle établirait la division d’une manière permanente entre nous et la portion la plus rapprochée de nous dans la nouvelle majorité. L’attitude expectante, nous
laissera prêts pour l’une des deux éventualites que le temps doit prochainement amener. Si Thiers se gouverne et se modère, la gauche ne tardera pas à le quitter, et nous lui deviendrons nécessaires. Nous restons assez nombreux pour faire nos conditions. Si Thiers s’enivre de son succès, s’il demande ce qui me paraît inévitable, la dissolution pour consolider le déplacement de la majorité nous sommes en mesure d’appeler à nous la portion la plus modérée de ses amis et de former avec eux le Roi aidant, un ministère et une majorité. Dans les deux hypothèses la guerre ne nous serait bonne à rien et nous ne pouvons que gagner à la paix. Voilà la conduite que je conseillerai à Duchâtel. Je vous prie de m’en dire votre avis. Je m’en servirai suivant l’occurrence, pour moi et pour les autres." Pour vous seule, bien entendu.
Adieu. Il m’est presque aussi difficile de vous quitter ici que rue St Florentin. Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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446. Paris, Jeudi le 8 octobre 1840
9 heures

J’ai vu hier Montrond, mon ambassadeur, et le reste de la diplomatie le soir chez Appony. La journée toute guerrière, Appony avait été frappé cependant de trouver Thiers la veille plus découragé que vaillant ; l’esprit très préoccupé. Un homme fatigué, abattu. Vraiment on ne sait pas comment tout ceci peut tourner. Le parti de la paix se renforce cependant, mais le parti contraire est bien bruyant, bien pressé. Le roi est toujours très vif avec Appony, infiniment plus doux avec mon ambassadeur.
Il a fait l’éloge de M. Titoff qui s’est refusé à prendre part à Constantinople, à la dépossession du Pacha. J’ai reçu le petit ami dans la journée. Je suis très frappée de voir que dans le récit de ses longs entretiens avec 1, il soit si peu ou point du tout question du chêne.
Décidément S. n’est pas un ami sincère. Il y a quelque ancienne rancune qui perce. Dites au frênes de ne pas s’y fier tout-à-fait.
Les ambassadeurs sont fort disposés à désirer la convocation des chambres, moi aussi. On dirait cependant que hier rien n’était décidé. J’ai eu hier une lettre de M. de Capellan dans laquelle Il me rend compte des événements de La Haye, et où il me dit qu’il part demain pour Londres pour annoncer à la reine l’avènement de son nouveau roi. Je suis désolées que nous perdions Fagel, son successeur Zeeylen est un désagréable homme. Dites toujours je vous prie mes tendresses à Dedel que j’aime beaucoup, est-il confirmé à Londres ? Pourquoi n’est-ce pas lui qu’on nomme à Paris ?
L’arrivée de ma belle-sœur m’ennuie beaucoup. Sa fille me plait davantage tous les jours. Mais elle a peu d’esprit et elle n’a que deux préoccupation sa toilette, et son mari. Et comme cela, dans cet ordre-là.

11 heures
Je suis enchantée voilà la convocation, et plus prochaine que je ne croyais. Moins de trois semaines. Dites- moi bien, répétez-moi bien que vous viendrez. Ah quel beau jour ! Vous ne sauriez imaginer comme mon cœur est joyeux. Si fait vous le savez, et vous répondez à ce transport. Mon fils va lundi à Londres pour revenir la veille de l’ouverture des chambres. Je ne lui ai pas nommé son frère. On a parlé à Baden de M. de Brünnow et moi ; les Russes en ont parlé, car la petit Hesselrode venu de Londres savait tout. Il n’y a eu qu’une opinion, on l’a blâmée de la vilenie, et encore un peu plus de la bêtise. Cependant, cependant, vous voyez qu’on ne me répond pas. Que c’est bête encore !
Vous ne voyez donc pas du tout M. de Brünnow ? Voici ce que je réponds à lady Palmerston. " Il est assez naturel que M. Guizot aime à parler de préférence avec les gens qui sont de son avis ; mais je le crois assez bien orienté en Angleterre pour savoir qu’il n’y a pas d’autre bénéfice pour lui à cela que le plaisir de la conversation. Il sait fort bien que les gens qui parlent la plus ne sont pas ceux qui mènent."

2 heures
Le petit avec ami me quitte ; nous bavardons, nous bavardons ! Voilà donc que M. Barrot sera porté à la présidence. Vous ne jugerez pas possible sans doute de rester neutre ! Je vous fais la question. J’ai donné au petit les noms français Voilà du monde il n’y a pas moyen de continuer. Je n’ai pas eu de lettres encore aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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333. Paris, dimanche 29 mars 1840
10 heures

Pour le 1er de mai. Melbourne, Landsdowne, Clarendon, Palmerston, Normanby, John Russell, Minto, Holland, lord Leveson, Hill, Huxbridge, Albermarle, Erroll s il est comme je crois grand maitre de la cour (Lord Stewart), le Duc de Somerset, Sutherland, Anglesea, Devonshire, s’il y est, mais je ne crois pas. Ellice non, il n’y a pas de raison, c’est un dîner d’étiquette, et puis les chefs de mission. Laissez moi penser encore au dîner Tory. Votre discription de l’ancient Musique est excellente. En général vous excellez dans la description. Mais que vous êtes faible de vous laisser entraîner à de parails ennuis! Au reste je me souviens que dans le temps de mon innocence, la 2ème année de mon sejour en Angleterre, j’y ai été une fois, en jurant, par trop tard, qu’on ne m’y prendrait plus, car il faut avoir vu ces choses nationales une fois. C’est comme je vous conseillerais d’aller au diner de Pâques à la Cité, si vous n’avez pas des raisons politiques de vous abstenir. J’ai été voir hier mes pauvres et puis Madame de Talleyrand. J’y ai trouvé le Duc de Broglie. Décidément nous n’avons pas de goût l’un pour l’autre. Il ne me regarde pas, et moi je lui trouve l’air si dédaigeux, si satisfait et si gauche, ou du moins si disgracieux, et puis cet air de moquerie insolente que je déteste. J’ai parlé avec une grande admiration du discours de Berryer, j’esperais qu’il me dirait ce qu’il a dit à Granville et je préparais ma réplique ; il n’a rien dit, il ne m’a absolument pas adressé la parole ni directement ni indirectement. Restée seule, avec Mad. de Talleyrand elle m’a dit qu’elle venait de chez Madame qui était consternée, accablée, elle disait, " le Roi est étonnant tant de courages, tant de résignation dans une situation si terrible. " Voilà le dire de Madame.
Le duc d’Orléans a la grippe. Son voyage est toujours à l’ordre du jour mais pas absolument fixé. La noce Nemours aura lieu le 23 avril. Jai reçu hier une lettre de Pahlen du 17. Il quittait Pétersbourg le lendemain 18, il sera ici le 10 avril sürement. Maintenant Je me réjouis tout de bon. A propos, il me dit que Lady Palmerston mande à Lady Clauricarde que je serai à  Londres en avril, il se désole de ne plus me trouver ici. J’ai dîné seule, et le soir j’ai vu Mad de Contades, Mad. de Courval, Brignoles, d’Haubersaert, la Redorte. Celui-ci a un air bien triste ; de quoi ?  On sortait de chez M. Thiers, un salon bien rempli ; il a pris les Samedi comme les Mardi.
Midi. Je reviens à vous après ma toilette. M. Royer Collard a voté pour Thiers avec ostentation et parlait tout à fait dans le sens de le soutenir, c’est de Mad. de Talleyrand que je le sais. A propos quelqu’un qui est de l’avis de M. de Broglie sur Berryer a dit de lui, c’est Talma et Rubini, mais ce n’est ni Corneille ni Rossini. Et bien à la bonne heure mais comme on applaudit Rubini ! Ce qui est très vrai, c’est que ses discours perdent à être lus.
On dit que M. de Ste Aulaire est sûr de conserver son poste de Vienne. M. de Barante est-il aussi sûr de Petersbourg ?Dites-moi des nouvelles de là.

Lundi le 30, 10 heures
Ma matinée hier s’est écoulée en visites insignifiantes. Je suis rentrée à 5 h pour recevoir comme d’habitude le prince Paul ; mais il n’est pas venu. je crois qu’il est mort. J’ai dîné seule et puis j’ai été en Sardaigne. Je n’ai pas grand chose à vous conter. Lord Granville avait été la cour, a dit que le Roi avait l’air assez content. Appony en venait aussi disant que le Roi avait l’air bien grognon. Arrangez cela.

Médem a enfin reçu de Pétersbourg une lettre qui lui annonce sa nomination. Il n’a pas assez de tenue dans cette circonstance, car il dit après beaucoup d’autres choses, qu’il avait réfusé le poste de Londres ! On peut bien se fâcher, mais il ne faut pas mentir. Au reste il se défâchera aussi, et il faudra bien qu’il aille. Je trouve au fond que Médem avait besoin d’une petite leçon de modestie, il était trop arrogant. Au surplus il passera encore quelques mois à Paris parce que Kisselef va d’abord à Pétersbourg. Je viens de parcourir les journaux dans la séance du 27 aux Communes je lis de très bonnes parole de Lord Palmerston sur la Russie. John Russell, un peu, sur la France. Au total il est évident que vous n’avez pas Lord Palmerston.
J’oublie, et je vous demande pardon de cet oubli mille fois, que j’ai été hier chez votre mère. Mais je l’ai peu vue ou plutôt nous avons peu causé ensemble ; il y avant M. Priscatory ; je lui ai parlé des discussions de la semaine passée. Il m’a assez plus il était moins arrogant dans ses paroles que dans son air.
Votre mère a bonne mine et l’air toujours si serein et si doux ! j’aime extrémement l’expression de sa physionomie. Vos enfants se portent à merveille. Il y avait bal chez eux, et ils faisaient. bien du tapage, mais cela m’a fait plaisir ! M. de Rémusat s’est trouvé hier au soir fort longtemps auprès de moi. Je trouve qu’il ressemble en colossal à Bulwer. Il n’est pas beau.

1 h 1/2
Génie m’a fait une longue visite, il ne comprend pas, et je comprends encore moins, pourquoi je n’ai pas de lettre aujourd’hui. Votre mère a la sienne, il venait de chez elle. Savez-vous qu’il y a de mauvaises nouvelles d’Afrique ? On ne les dit pas, mais vous avez perdu du monde du côté d’Oran.
Il faut donc que je ferme cette lettre seule et sans vous remercier de la votre, cela me choque. Adieu. Adieu. Mille fois.

2 heures
La voilà. Vos gens pêchent par trop de prudence. Mon ami le petit, ayant rencontré à ma porte mon ami e gros demande à celui-ci s’il m’apportait une lettre, à quoi il répond quelque chose comme "Dieu m’en préserve" et il passe. Le petit est resté long temps espérant toujours qu’il viendrait quelque chose. Le gros attendait toujours que le petit s’en aille. Et voilà ! merci mille fois, oui je viendrai en juin. S’il est question de retards pour ma nièce je viens plus tôt c’est-à-dire le 1er, si elle est attendue dans les premiers 10 jours, je reste et je ne pars que vers la fin. Voilà mon projet.
Je n’ai lu votre lettre que très rapidement encore, je vais bien la relire  Adieu. Adieu.
Où en êtes vous avec Brünnow ? Lord Holland se moque de lui dans une lettre à Granville. Toutes les lettres parlent de vous avec enthousiasme. Je me crois toujours obligée après vous avoir dit cela d’ajouter, restez ce que vous êtes. J’ai rencontré dans le monde des gens de beaucoup d’esprit qui oubliaient cela. Mais moi j’oublie que vous ne ressemblez à personne. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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450. Paris, lundi 12 octobre 1840
9 heures

C’est à présent que j’ai de la joie à voir s’écouler les jours ! Regardez dans votre cœur et voyez tout ce qui se passe dans le mien. C’est cela ; tout cela, et peut être plus que cela. La journée hier a été très à là paix. Toutes les nouvelles, tous les symptômes étaient à cela. M. de Werther, Granville surtout et même les petites gens, Flahaut & &. J’ai fait ma promenade vers Boulogne. J’ai été rendre visite à Mad. Rothschild qui est dans une angoisse inexprimable sur les affaires. Son mari était à Ferrières. J’ai dîné avec mon fils. Le soir j’ai été un moment chez les Granville, un autre moment chez Mad. de Flahaut et à 10h 1/2 dans mon lit.
Je suis de plus en plus mécontente de S.. Il voudrait tout arranger pour la plus grande commodité de M. Il ne s’embarrasse guère dans cet intérêt d’aplatir le bouleau. Tous les propos de F. sont dans ce sens, et si forts qu’on m’a dit que la violette hier était sur le point de se fâcher. D’un autre côté 62 fait tout au monde pour retarder l’arrivée du peuplier.

11 heures
Voici votre lettre. Je suis bien contente de vous voir bien augurer du résultat de la note. Que Dieu vous accorde le bonheur de voir tout ceci s’arranger pacifiquement. Je suis charmée de tout ce que vous me dites sur votre propre compte.
Moi, je n’ai qu’un avis, un avis grave à donner c’est celui-ci. Si vous n’êtes pas à Paris dès le 28, vous ne pouvez être ce jour-là qu’à Londres. J’avais écrit deux longues pages de développement sur cela, j’aime mieux abréger, ceci vous suffit. J’ai vu le petit ce matin, et puis je viens de me rafraîchir sur la place.
Que de choses à dire, à demander, à commenter. Que les heures de bavardage seront charmantes. Elles se présentent tellement comme cela à mon imagination que je me ravis déjà aujourd’hui que vous dire sur ce pauvre papier. Mais dites-moi bien que vous croyez à la paix, qu’elle est sûre.
Depuis hier je commence à y croire, sans oser presque me l’avouer Mardi demain, c’est affreux ; j’ai si besoin de savoir tous les jours un mot consolant.
Je n’ai pas de nouvelles, je ne sais rien, on attend des dépêches télégraphiques sur l’Orient. Elles tardent bien. Le ton des journaux ministériels est bien doux presque timide. Le journal des Débats fait des articles très habiles, c’est qu’il est libre. An fond c’est la condition de pouvoir, de ne pas l’être.
Selon moi il n’y a de Val Richer possible qu’avant le jour de la convocation, pendant ce jour-là impossible. Voilà une et deux interruptions. Pardonnez, pardonnez. Adieu. Adieu. Ecrivez moi. aimez moi (quelle bêtise !) et arrivez. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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333. Londres, mardi 31 mars 1840
9 heures et demie
C’est beaucoup deux Reines pour une soirée. Il n’est pas aisé de les y arranger. J’ai dîné hier à Marlborough House entre la Reine douairière et la Duchesse de Cambridge. Le Duc et la Duchesse de Sutherland, Lord et Lady Jersey, Mm. de Bülow et de Gersdorf. La Reine douainière est restée bien allemande de manières et d’accent. L’air très bonne d’ailleurs et d’une simplicité bien royale. J’ai beaucoup causé avec la Duchesse de Cambridge. Elle me paraît aîmer la conversation. Bien protestante de cœur. Elle trouve l’Eglise Anglicane trop catholique. Cela me réussit fort ici d’être le premier Ambassadeur protestant venu de France depuis Sully. Nous sommes sortis de table à 10 heures. Le bal de la Reine commençait à 9 heures et demie. Mais elle était prévenue du dîner de la Reine douairière. Nous ne sommes arrivés à Buckingham-Palace qu’à 10 heures et demie. Assez tôt, car j’y suis resté jusqu’à deux heures. C’est long. Décidément quoique en principe ce soit juste, les spectateurs sont trop sacrifiés aux danseurs. Soixante ou quatre vingt personnes dansant toujours, et douze ou quinze assistants ramassant çà et là des lambeaux de conversation décousue. Lord Clarendon a été m’a principale ressource. Un peu Lady Palmerston, Lady Normanby, Lady Fitz-Harris. Je trouve la manière de Lady Palmerston avec son mari et sa fille très aimable. Elle est sans cesse occupée d’eux, et visiblement. Elle doit leur plaire beaucoup. J’ai eu hier une longue visite de M. de Kissélef, évidemment charmé d’aller à Paris, quoiqu’il y aille par Pétersbourg. Je lui ai parlé de bien des choses et bien. De deux surtout, votre conduite envers la France et notre coalition de l’an dernier. Je crois qu’il a été assez frappé. J’étais en veine de paroles très libres et point amères, comme le jour où j’ai parlé chez vous devant la Princesse Soltykoff et Nicolas Pahlen de la façon dont vous récompensiez Pozzo. Vous vous rappelez. 3 heures Il n’est bruit ici que du mauvais succès de votre expédition de Khiva. J’ai tort de dire votre et cela me déplait. Eh bien, vous savez surement que l’expédition de Khiva, n’a pas réussi. Le corps expéditionnaire est rentré dans les frontières russes après avoir perdu la moitié de ses hommes et presque tous ses moyens de transport, chameaux, charrettes etc. Je ne vois que des gens à qui cela fait plaisir. M. de Brünnow a du malheur. Invité à dîner chez la Reine, il a répondu pour dire qu’il acceptait. Du reste, depuis quelques jours il s’excuse de n’être pas venu chez moi. Il n’avait, dit-il, point de caractère bien règlé, il était si peu de chose ; il a cru qu’il devait se conduire sans prétentions. Dès qu’il aura présenté ses lettres de créance demain au lever, il viendra mettre sa carte chez moi, et il m’expliquera pourquoi il n’est pas venu plutôt. Il a tenu ce langage à plusieurs personnes entr’autre à M. de Bülow qui me l’a dit, et ne doute pas qu’il ne vienne. Je l’attends. N’en parlez à personne jusqu’à ce qu’il soit venu. Le corps Diplomatique de Londres va se renouveler beaucoup. M. de Blome retourne en Danemark. M. de Hummelauer à Vienne, quand il se sera marié à Milan ce qu’il fait par ordonnance de son médecin. Bourquenoy me quitte la sémaine prochaine. Je le regretterai. Il est de très bon conseil et d’un aimable caractére ; vraiment estimé ici. Mon ambassade vous plairait à voir. Les deux secretaires, les deux attachés et mon petit herber vivent dans la meilleure intelligence, et tous de fort bon air. L’un des attachés, M. de Vandeul est un jeune homme distingué. Je ne sais pourquoi ceci me revient à l’esprit, Lord Douro, était hier au soir au bal. Oh vraiment vraiment! J’aime mieux Lord Brougham.

Mercredi, 9 heures
J’ai causé longtemps hier après dîner avec Lady Carlisle qui m’a parlé de vous simplement; affectueusement, comme il me convient. Il y avait à dîner dix du douze personnes invitées, pour me voir. Un M. Grenville, de 84 ans frère ainé du feu lord Grenville, homme fort, lettré, dit-on et qui a l’une des plus belles, bibliothèques de l’Angleterre. Je lui ai promis d’aller la voir. Je suis d’une coquetterie infatigable. Ne croyez pas pourtant que je prodigue mes promesses. J’oublie les noms des autres. On a ici une façon de prononcer les noms propres qui les rend très difficiles à comprendre et à retenir. C’est un de mo ennuis. On me présente les gens, J’entends mal ou je n’entends pas leur nom. Et quand je les retrouve je ne m’en souviens pas. Le vieux poète Rogers est un de mes proneurs. Je le soigne. Au moment du dîner, la Duchesse de Sutherland à reçu l’avis que le lèver, qui devait avoir lieu ce matin était remis. Je viens de le recevoir aussi de Sir Robert Chester. La Reine est un peu souffrante. Elle a pourtant dansé avant-hier jusqu’à une heure et demie. On se demande toujours, si elle a raison ou tort de danser. Personne ne répond positivement. si elle a tort elle a grand tort, car elle danse beaucoup, et personne, en dansant ne saute si vivement et ne parcourt autant d’espace qu’elle J’ai fini chez Lady Minto. J’y ai découvert un parent de bien loin, un M. Boileau de Castelnau issu d’une famille de refugiés protestans Geva une branche existe encore à Rismes, et tient à la mienne. Il est beau frère de Lord Minto et a été charmé de la découverte. Précisément, par grand hazard ma mère venait de m’annoncer, le mariage d’une jeune fille de la branche Nimoise, qui a épousé à Paris un anglais un M. Grant. De là des conversations, très amicales un nouveau gage de l’alliance anglaise. J’étais rentré à minuit. C’est ma limite ordinaire.

2 heures
J’ai le 333. Au moment où je revenais à vous on est venu m’annoncer le rev. M. Sidney smith. Je l’ai reçu. Il vante fort Lord John Russell et le regarde comme l’âme du Cabinet. Il dit que Lord Melbourne est un homme de beaucoup d’esprit et un beau garçon, beaucoup plutôt qu’un politician. Mais bien moins insouciant qu’il n’en a l’air Les radicaux sont en déclin dans la Chambre deCommunes, décourages et ne comptant plus sur lEur avenir ; ils s’étaient figurés qu’ils changeraient toutes choses. Le bon sens public les paralyse. La plupart se fondront dans les Whigs. S’il y avait une de dissolution. Peel aurait, six à sept voix de majorité. Voilà notre conversation. Conversation où j’ai beaucoup plus écouté que dit ; comme je fais toujours quand je suis avec un homme qui à une reputation d’homme d’esprit un peu littéraire. Il y a des gens à qui on plaît en leur parlant ; à d’autres, en les écoutant. On distingue bien vite. Je crois tout à fait que Barante restera à Pétersbourg comme Ste Aulaire à Vienne Soyez sûre que Thiers remuera peu, le moins possible M. de Rémusat est des amis particuliers de M. de Barante et le défendra. Il y aura beaucoup de petits combats intérieurs sur les personnes Quelques nominations feront du bruit. Mais en somme, la conservation prévaudra. Je suis charmé que Pahlen revienne et vous revienne. De part et d’autre on n’est pas si méchant qu’on se fait Voilà qui est dit : le 1er juin, car bien certainement votre nièce tardera. On part toujours plus tard qu’on ne dit, excepté.... Je ne comprends pas comment Lady Palmerston a parlé d’avril, à Lady Clauricard. Juin est établi. Votre description du Duc de Br. est très vraie mais l’intérieur est très supérieur à l’extérieur. Vous trouveriez la même chose pour plusieurs de mes amis M. Piscatory et M. de Rémusat par exemple. Les défauts sont très apparens; les qualités sont essentielles et quelquefois des plus rares. Je dis cela de l’esprit comme du caractére. J’ai fort appris et j’apprends tous les jours à suspendre beaucoup mon jugement. Je crois à mon premier instinct et à ma longue réflexion. Mais cette vue superficielle, passagére qui n’est ni de l’instinet, ni de la réflexion, je m’en méfie beaucoup ; rien n’est plus trompeur. Voilà un billet de Lord Palmerston qui me dit qu’il sera au Foreign, office à 4 heures. J’ai encore deux ou trois lettres à écrire dont ma mère est une. Adieu. Je ne puis pas me plaindre de la prudence, de mes gens. Je l’ai recommandée. Adieu, adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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454. Paris, Vendredi 16 octobre 1840

Le temps hier était charmant. Je suis même restée assise au bois de Boulogne. J’avais vu le matin Bulwer, toujours inquiet comme tout le monde. J’ai vu plus tard Granville qui avait trouvé M. Thiers assez soucieux et de mauvaise humeur. J’ai été porter mes félicitations à Mad. Appony dont c’était la fête. A 6 heures j’étais couchée sur un canapé me reposant de ma promenade lorsque j’ai entendu une grosse explosion. J’ai cru le canon et que la duchesse d’Orléans accouchait quinze jours trop tôt. Comme le coup n’avait pas de camarade, je n’y ai plus pensé et le soir j’apprends qu’on a encore tiré sur le roi. Mon ambassadeur, M. de Bignole et l’internonce sont venus me voir. J’avais enfin ouvert ma porte, mais comme je n’en avais prévenu personne. Je n’ai eu que cela. Nous sommes curieux du parti. que le gouvernement va tirer de ce nouvel attentat.

Midi
Les journaux s’expriment très bien, et si le gouvernement a du courage cet événement peut tourner à bien.

1 1/2
J’ai été interrompue par le petit. J’espère qu’il vous écrit beaucoup, beaucoup. 3 heures. Voici seulement à présent votre lettre. J’en suis très très contente ainsi que d’une autre que j’ai lu aussi. Je n’ai que le temps de vous dire ceci. A demain et comme toujours toujours adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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334. Paris mardi 31 mars 1840,

Vous avez bien raison, M. Molé ne peut pas être votre rival. De plus j’ajouterai, que je ne vous ai jamais trouvé inquiet à son égard. Je cherche si vous l’avez jamais été pour quelqu’un, je ne trouve pas. Vos lettres sont charmantes vous ne sauriez croire comme elles m font rire quelque fois, tant les portraits sont ressemblants. M. de Neumann qui mange avec autorité ! Comme je le vois d’ici !
Lord Holland mande à lord Granville que vous plaisez extrémement à lord et Lady Palmerston et que la danse du Russian bear n’enlève, rien à vos succès. Au fait que dit-on de M. de Brünnow ? Est-ce qu’on ne le trouve pas un peu ridicule. J’ai été enfin au Bois de Boulogne hier, mais pour un moment il faisait encore froid ; j’ai fait une courte visite à Lady Granville et voilà tout. J’ai dîné chez les Appony avec Médem. Il ne quittera Paris qu’en été. Il ira à son poste, il y passera l’hiver, il prend son parti, il n’y a pas autre chose à faire. J’ai vu le soir Madame de Boigne, Fagel, Arnim, Esham, le duc de Noailles, les Poix. Fagel est ravi que son maître ne se marie plus. Madame de Boigne est excessivement officielle d’ailleurs il y avait du monde. Le Duc d’Orléans va toujours en afrigue. J’ai eu une lettre de mon frère pour m’annoncer que Pahlen venait de se mettre en voiture le 18. il me remercie beaucoup de mes intéressantes lettres. Il parle du changement de Ministère ici comme de nouveaux visages, sans dire ni mal ni bien. Voilà la lettre, rien du tout. Il m’annonce sa femme pour l’hiver prochain. Je me réjouis beaucoup de voir Ellice. Lord Brougham s’annonce aussi pour le 1 avril. Pahlen sera ici le 10. Voilà bien des ressources à la fois. Je crois que Lady William Russel vient. Au fond vous avez raison dans ce que vous dites d’elle, mais si vous y regardiez de plus près vous seriez frappée de son instruction. Lady Jersey a une querelle de robe avec Madame Appony qui est pour mourir de rire. Celle ci croit bien faire de lui envoyer des couleurs de son âge, l’autre est furieuse, elle renvoye et prétend qu’on reprenne, Palmyre ne veut pas reprendre. la Robe pensée reste flottante entre Douvres et Boulogne, Lady Jersey jure qu’elle ne payera pas ; Mad. Appony pleure, c’est vrai elle pleure. Elle a écrit à lady Jersey une lettre vive pour l’assurer qu’elle ne ferait plus ses commissions. Quelle idée d’en faire jamais.

Mercredi 1er avril. 9 heures
Voici du soleil, il n’y en a pas eu depuis longtemps, mais j’en suis indigne. Je me sens souffrante vraiment je n’ai plus deux jours de santé. Le médecin me dit que c’est la bile qui me tourmente mais c’est bien long et je ne mange pas, et rien ne me plaît. J’ai fait une assez longue promenade hier avec Marion au bois de Boulogne. Je n’ai point fait de visites. J’ai été dîner chez Mad. de Talleyrand. Il y avait le duc et la duchesse. de Noailles, Médem, Armim, quelques autres rien de nouveau si ce n’est un commérage de M. Molé à M. Royer Collard, dit par celui-ci à Mad. de Talleyrand qui a bien fait de me le conter. J’ai dit à M. Molé que vous aviez présenté une note à lord Palmerston à laquelle il a répondu par une courte note fort peu aimable, que vous aviez eu à la suite de cela une scène des plus violentes avec M. de Brünnow ; après quoi vous ne vous parliez plus ! Je demande comment avec M. Molé on peut être à l’abri des mensonges quand il n’y a pas le premier mot de vrai ou même de vraisemblable à tout cela. En vérité je serais bien habile si je découvrais dans vos lettres un seul mot sur les affaires. Et je serais particulièrement une sotte si, devinant même quelque chose que ce soit j’allais en faire part à M. Molé ! Il ne m’a pas été facile de convaincre Mad. de Talleyrand qui s’est engagée à prévenir M. Royer Collard de ne jamais croire un mot de ce que M. Molé lui dira sur mon compte. J’ai cru devoir vous raconter ce petit rapportage.
J’ai vu le soir chez moi, le petit Graham, le plus glorieux des hommes de la grossesse de sa femme. L’Internonce, très longtemps seul et Brignoles, voilà tout. Le dernier opéra avait enlevé tout le monde. L’internonce a de l’esprit, on peut causer avec lui. Il m’a raconté des souffres. Il m’a un peu raconté les embarras d’archevêque. J’ai mal dormi, j’ai le rhumatisme au bras gauche.

10h 1/2
Voici le 332. Que vos lettres sont charmantes à lire ! Je vous remercie de tout ce que vous avez pensé en vous promenant dans le Regent’s Park. Il y a un cottage sur la colline qui a toujours fait mon envie, c’est l’un de ceux que vous avez regardés. Vous rencontrerez peut être à Londres, un M. Danson Dancer, frère de Lord Portarlington, il revient d’Egypte ; il est très égyptien et très Tory. C’est un ami d’Ellice et ils viennent ensemble je crois à Paris, où il a laissé sa femme. On dit qu’il est assez intéressant à entendre sur l’Egypte, il a causé avec le Pacha. Croyez-vous que vous arriverez à conclure quelque chose à Londres ? Thiers a dit hier à Brignoles qu’Ibrahim Pacha avait 130 mille hommes sous ses ordres ! Thiers a promis à Médem de conserver M. de Barante à Pétersbourg. Il paraît en général qu’on ne déplacera personne. Appony est toujours de bien mauvaise  humeur. Si le Roi fait des confidences à quelqu’un c’est à lui. Le Roi dit peu, et quand il parle, c’est tristement. Il est très éffacé.
Adieu. Il me semble que je n’ai plus rien à vous conter, mais j’attendrai deux heures. Adieu. Adieu.
J’ai lu à Lady Granville la lettre de la Duchesse. Elle m’a avoué qu’elle n’avait pas cru que les Sutherland m’attendirent chez eux, parce que le duc est toujours un peu nervous et qu’un nouveau visage, quoique le mien soit bien vieux, pouvait peut être le géner. Cependant la lettre de la duchesse l’ébranle, sans tout-à-fait la convaincre. Pour éclaircir cela elle va écrire à sa sœur Lady Carlisle? J’attendrai la réponse. Madame de Tumilhac est morte à Rome, le Duc de Richelieu vient de partir pour ramener le corps.
2 heures rien de nouveau. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris 16 octobre 1840,

J’ai eu votre lettre du 13 sept. mon cher frère. Je vous remercie sincèrement de la première page. Elle me soulage. L’Empereur est étranger aux procédés de M. de Brünnow. Le reste de votre lettre exige réponse et explication. Lorsque je me suis rendue à Londres, je vous ai promis, & je me promettais à moi-même que de là mes lettres auraient de l’intérêt pour vous. Mes relations à droite et à gauche, me mettaient à même de vous tenir parole. Je l’ai fait et j’ai coutume jusqu’au jour où Lady Palmerston d’un côté, Lady Clauricarde de l’autre, toutes deux mes amies intimes m’ont rapporté ces étonnantes paroles dites par M. de Brünnow à leurs maris respectifs :
" Prenez garde à M de Lieven. Mad. de Lieven ce n’est pas une ruse. Mad. de Lieven est un émissaire de la France. Le moindre mot dit à elle s’en va à l’ambassade de France." Voilà mon cher frère ma réponse à votre question : " Êtes-vous donc bien sûre que M. de Brünnow a tenu sur votre compte des propos favorables ? " Vous voyez que j’en suis bien sûre, et comme pour disculper M. de Brünnow à mes dépends vous ajoutez que mes relations avec M. Guizot sont connues. Je le crois bien ! Je n’ai rien à cacher.

M. Guizot est un homme que son esprit, sa situation, son caractère, sa probité place très haut dans le monde. J’ai du respect pour son caractère et beaucoup de goût pour sa société Je n’imagine pas que vous veuillez insinuer autre chose ? Si je le pensais, je ne vous répondrais pas plus que je n’ai répondu aux journaux. Je reviens à mon texte. J’avais remarqué à mon arrivée à Londres que le corps diplomatique était en grande réserve avec moi, malgré que tous furent mes anciens collègues. Cette circonstance m’avait d’autant plus étonnée qu’à Paris mes relations sont aussi intimes et confiantes que possibles avec tous les représentants des grandes puissances qui sont le fond de ma société. Comme en Angleterre je vis avec les Anglais cela m’importait peu, mais Lady Palmerston le jour même où elle me dénonça les propos de M. de Brünnow à son mari me dit que toute cette diplomatie était ameutée contre moi quelques temps avant mon arrivée et huit jours après cet entretien elle reçut une lettre de son frère Lord Beauvale qui lui mandait de Vienne tout ce que vous me dites, le Prince de Metternich lui avait parlé de ces bruits venus de Londres, et Lord Beauvale ajoute : " Qu’est-ce que veut dire ce bavardage ? " J’ai vu cette lettre.

Devant une intrigue aussi infâme, ourdie avec tant de soin, devant des paroles dites aussi officiellement par le ministre de l’Empereur, à des personnes aussi officielles que lord Palmerston et lord Clauricarde, je n’ai pas pu, je n’ai pas dû me taire. Quelqu’un, quelque chose était cause de la situation bien nouvelle qu’on s’efforçait de me faire à Londres. Comment attribuer à M. de Brünnow la maladresse de faire de moi son ennemi, au lieu de m’avoir pour lui, sur un terrain où tout le bénéfice de bons rapports entre nous, était de son côté ? Comment lui supposer la vilenie, il faut bien me servir de ce terme, et l’audace de venir sans grave raison flétrir par une aussi odieuse calomnie, la veuve de l’homme qu’il appelle son bienfaiteur, une femme de mon rang, placée comme je le suis dans l’opinion et l’affection des personnes les plus élevées et les plus importantes en Angleterre ? Voilà ce que me disaient mes amis en ajoutant que M. de Brünnow connu pour être un grand courtisan s’appuyait peut-être sur ma défaveur auprès de l’Empereur. Or, on la connait à Londres.
Elle a eu là de l’éclat, du retentissement par deux choses surtout ! L’oubli total où l’Empereur m’a laissée à la mort de mon mari ; la quasi défense de venir à Londres lorsque le grand Duc s’y est trouvé. Personne n’avait pu comprendre les motifs d’une d’une semblable rigueur. M. de Brünnow venait de les révéler, ils peuvent même en avoir reçu l’ordre ! Voilà ce que Lady Palmerston me rapportait comme l’opinion des autres et je pouvais même raisonnablement craindre qu’elle même se trouvât dans le doute, car mon expérience du monde m’a assez appris la vérité de cette parole de Beaumarchais : " Calomniez, calomniez, il en reste toujours quelque chose."

Je vous ai écrit le 5/17 juillet dans la chaleur de la juste indignation que j’ai ressentie ; je vous envoie copie de cet lettre pour mémoire. Je vous ai écrit le 12/24 juillet que, jusqu’à une réponse de vous sur ce point, vous ne deviez pas vous étonner que je suspendisse ma correspondance intime avec vous, et par une autre lettre du 9/21 août j’ai motivé cette résolution. En effet après tant d’années, tant de preuves de dévouement, voir mon dévouement reconnue de cette façon ; voir le ministre de l’Empereur me dénoncer à un gouvernement étranger comme un traître.

Voir cette calomnie faire son chemin auprès de deux autres cabinets étrangers, la voir ébranler la foi de mes plus intimes amis ! C’était trop, et avant que les causes de cette injures fussent éclaircies j’ai dû m’arrêter tout court c’était bien le moins que je pusse faire. Je vous en ai prévenu et vous faites de cela un chef d’accusation contre moi ! Par mon silence, je confirme les soupçons ! Est-ce me juger avec équité, est-ce seulement me juger avec logique. J’en reviens à la confidence qui m’a été faite des propos, de M. de Brünnow. Savez-vous ce que j’ai dit quand lady Palmerston et lady Clauricarde me les ont dénoncés ? J’ai dit, et j’ai dit bien fort. " L’Empereur ne le croit pas, l’Empereur ne le croira jamais car l’Empereur me connait. Mais il ne sera pas loisible à son ministre de m’injurier impunément." Voilà l’écho que je devais trouver à Pétersbourg.

Vous m’accusez au lieu de me défendre. L’Empereur fait mieux que vous. Pour la première fois depuis tant d’années, l’Empereur me fait dire des paroles d’amitié, d’ancienne amitié, par votre femme. L’Empereur sait que je suis un sujet fidèle et c’est le moment où d’autres veulent en douter ; c’est ce moment que l’Empereur choisit pour me faire parvenir un souvenir bienveillant. Dites à l’Empereur que les plus grandes faveurs sont doublées par l’à propos. Mon cœur le remercie de la faveur, mon esprit de l’à propos. Mais si mon cœur est satisfait, mon honneur ne l’est pas, car il n’en reste pas moins constant que M. de Brünnow a jeté une tache sur le noble nom que je porte ; que c’est me déshonorer que de douter que je suis le loyal sujet de l’Empereur, me déshonorer que de le dire ; et que la dame d’honneur de l’Impératrice ne peut pas rester sous le coup d’une semblable calomnie. C’est à ce titre, si ce n’est au mien propre que je demande que M. de Brünnow rétracte ce qu’il a dit là où il l’a dit, parce qu’encore une fois, il me faut cela ou autre chose qui atteste aux yeux des autres que je n’ai jamais mérité de si odieux soupçons. Je vous prie de mettre cette lettre sous les yeux de l’Empereur.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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334. Londres, jeudi 2 avril 1840
10 heures

J’ai dîné hier chez le colonel Maberly dans la petite maison de Londres la plus magnifiquement arrangée ; un luxe prodigieux en dorures, vieux sèvres, laque & On dit que lord Lichfield est pour beaucoup dans cette magnificence là ! Mad. Maberly est une grande femme, un beau teint, des yeux très animés du mouvement d’esprit, qui a été fraiche et qui passe pour belle. Le premier jockey de l’Angleterre and an author of novels. A dîner, Sir John Shelley, un ancien ami de George 4, lady Shelley, Lord Cantalupe, l’un des rivaux de Lord Chesterfield (à propos, lundi dernier pour le bal de la Reine, Lord Chesterfield a mis sept heures à sa toilette ; il a fait son luncheon dans l’intervalle) Lord Burghersh, Sir Hussey Vivian et sa femme. Après dîner, un improvisateur Anglais M. Hook, qui avait dîné aussi, s’est mis au piano, et cherchant ça et là quelques accords, a emprovisé sur tous les sujets qu’il a plu de lui donner. Je ne sais combien de chansons en vers, rimées, quelquefois assez originales et pleines de humour. Vous n’avez pas d’idée des rires; ils sont rares ici ; on rit les dents serrées. Mais hier ils étaient tous charmés; les corn laws et Lady Kinnoul, les deux affaires de la soirée revenaient à chaque instant dans les chansons et à chaque fois les rires redoublaient. L’improvisation a fini par une chanson en mon honneur, et nous nous sommes séparés à 11 heures pour aller en effet, les uns au débat des Corn laws, les autres au bal de Lady Kinnoul. J’ai été de ceux-ci, quoiqu’infiniment plus propre au débat qu’au bal.
Maintenant que j’ai vu laissez-moi vous répéter ce que j’avais entrevu. Les femmes ici ont bien peu de délicatesse. La pruderie n’est ni mon métier, ni mon goût; mais il y a des libertés de manière et de langage, des crudités d’admiration pour la beauté et la force physique qui me causent une impression bien déplaisante. L’abandon est charmant quand il est le privilège et le secret de l’intimité, quand il est inspiré et en quelque sorte arraché par la passion ; mais l’indifférence veut de la réserve, et il n’y a point de grâce à penser et dire tout haut et à toute heure ce qu’on ne sent et ne dit que dans ces moments qui sont les éclairs de la vie. Cachés et se parlant tout bas, quoique tout seuls. Mes paroles sont exagèrées comme toutes les paroles, mais vous les reduirez à leur juste valeur et vous me comprendrez. Il y avait foule chez Lady Kinnoul ; tous les  Torys. Partout le duc et la duchesse de Cambridge. Le duc a demandé il y a quelques jours à Bourqueney quand arrivait ma vaisselle. Il parait impatient du dîner que je lui donnerai. Ma vaisselle complète a dû partir hier de Paris. Je l’aurai dans dix ou douze jours. Je fais remettre à neuf ma salle à manger. Elle était bien sale. Sébastiani n’avait rien entretenu. Puisque j’ai touché au ménage, voici les grands traits de la dépense de ma maison pendant le mois de mars. Je n’ai point eu de grand dîner ; mais j’en ai eu quatre ou cinq de dix à douze personnes.
cuisine 170 livres S
Office (épicerie &) 90
Gages des gens 100
Mes chevaux 20, (ils sont beaux)

Je vous épargne les autres détails. La dépense totale du mois, y compris le loyer d’un mois de la maison mon secrétaire, le traitement du médecin de l’Ambassade, (100 livres par an) qui est à ma charge n’atteint pas 700 livres. Ce sera plus cher quand, jaurai ma mère et mes enfants. Je crois la surveillance très bonne. Mon secrétaire est un trèsor d’exactitude de devouement et de probité.
Je ne sais pourquoi la poste n’arrive pas. J’en suis moins pressé aujourd’hui ; elle ne m’apporte rien de vous.

3 heures
La poste n’est arrivée qu’à une heure. La mer avait été détestable. La malle d’Ostende n’avait pas plus passé que celle de Calais. Aujourd’hui il fait beau très beau. Le Square sous mes fénêtres commence à verdoyer. C’est un des plus
petits de Londres, mais très bien planté.
Nourri Effendi sort de chez moi. Il me demande des nouvelles et ce que nous voulons faire! Que dit l’ombre de Soliman le grand ? J’ai horreur des décadences. Dans le monde matériel les ruines sont belles ; mais dans le monde moral c’est hideux.
Je ne crois pas un mot des bruits de dissolution du Parlement. Cependant je vois plusieurs Ministres et des plus considérables, persuadés qu’ils n’auraient rien à en craindre. Ils disent qu’ils gagneraient quelque chose dans les bourgs et ne perdraient pas dans les Comtés. Ils sont revenus à leur première sécurité sur la Chine ; non qu’ils ne s’attendent à un vif débat ; mais ils comptent sur une bonne majorité. Plus j’y regarde, moins je crois à un vrai danger pour le Cabinet.

4 heures
J’ai été interrompu par M. de Pollon et Sir Alexander Johnston. Il faut absolument que je sorte pour rendre des visites que je remets depuis plusieurs jours Sir Charles Bagot, le comte de Zetland, le comte de Listowel, Lord Reag. Et puis j’ai des dépêches à préparer pour demain.
Adieu. Adieu. Voilà un mois écoulé. Je ne vous le redirai jamais assez. Rien ne peut remplir le temps où vous n’êtes pas. Adieu
M. de la Redorte est triste parceque M. de Ste Aulaire est content.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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462. Paris, vendredi 6 heures 23 octobre 1840,

Mon bien aimé, je voudrais t’envoyer des paroles d’amour aussi vives aussi tendres que l’amour que je ressens. Je suis heureuse, je suis pleine d’angoisse, d’angoisse de plaisir, je t’attends... je m’inquiète. On dit que les rues s’animent qu’il y aura du bruit demain, Dimanche. Avoir à trembler au moment de tant de joie ! C’est abominable. Je voudrais partir avec le fidèle, ah quel plaisir ! mon ami, tu viendras chez moi tout de suite ; à moins que tu n’arrives avant 10 heures du matin ou après 10 1/2 du soir il faut venir chez moi tout droit. Il faut que je te parle avant que tu n’en vois d’autres. Viendras-tu dimanche ? Je t’ai écrit a Calais que je t’attendrai tout le jour. Ton couvert sera là, ne me laisse pas dîner seule. Mon cher bien aimé, que nous serons heureux, que je t’aime, que je t’aime ! Quelle pauvre affaire que ces paroles là écrites ! Comme je le les dirai ! Viens mon bien aimé. Je ne saurais te parler de rien dans ce moment-ci, je ne veux pas sortir de mon style intime. Le fidèle t’entretiendra de tout. Moi je regarde tes yeux, je touche ta main, tes lèvres. Mon ami, mon bien aimé, ah quel adieu je t’envoie là. Mon cher bien aimé adieu. Je tremble de plaisir adieu.

Vendredi 6h 1/2
Il faut que je vous dise un mot plus grave. Je vous conjure de ne point vous presser d’accepter ; avant de laisser soupçonner votre résolution demandez à tout savoir à tout voir ; la situation est bien difficile, vous ne devez pas reculer s’il faut du courage mais vous ne devez pas non plus aller trop vite et vous donner l’air d’un homme avide d’un portefeuille. Je trouve une situation analogue à celle du duc de Broglie bonne. Du pouvoir sans responsabilité cela n’est peut être pas possible maintenant, je ne sais pas, je ne sais rien, je veux seulement que vous n’agissiez et n’acceptiez qu’avec pleine connaissance de cause. Je vous dis tout cela dans la crainte que votre arrivée ne soit à une heure indue pour moi et que vous vous trouvez envahi par les autres avant de m’avoir vue moi. Je ne sais que désirer ou que craindre, je suis très troublée.
Tout me fait peur, si je ne vous aimais pas, je trouverais ce moment bien intéressant. maintenant, je voudrais la tranquillité, la paix du cottage, votre amour, le mien, rien que cela, ah mon ami c’est là le vrai bonheur ! Et nous n’y arriverons jamais. Adieu. encore mon ami, mon bien aimé, chéri, adoré. Adieu.
Il ne faut pas que j’oublie de vous dire que déjà Appony soutient que les puissances alliées seront très disposées à s’arranger sur des bases plus larges puisque Thiers n’y est plus la diplomatie est cependant, dans un bien grand trouble mon ambassadeur envoie un courrier demain, il ne sait rien ; il ne sait que dire. Sinon que Thiers n’y est plus jamais je n’ai vu de si pauvres diplomates, nous en rirons un peu, quand vous aurez à faire à eux ! Adieu. Adieu mon bien aimé le plus aimé des mortels. Adieu.
Samedi je croyais avoir à remettre ma lettre hier au soir au lieu de cela il ne part que ce matin. Je me lève de meilleure heure pour le recevoir et pour te dire encore deux mots. encore deux mots. Brignoles est venu hier au soir il venait de dîner aux finances avec M. de Broglie, on a beaucoup parlé de vous. Broglie a dit qu’il était certain que vous n’accepteriez pas ! J’ai trouvé moyen de faire redire cela à M. de Brignoles deux fois pour en être plus sûre. Cela ne va pas du tout avec les très bons propos que Broglie a tenu hier au fidèle. Le mauvais propos est de plus fraîche date. M. Pelet de la Lozère a dit qu’il ne voyait aucune raison pour que vous n’accepteriez pas car le Cabinet ne se retirait que pour un fait qui vous est inconnu et étranger, un paragraphe du discours. Vous n’en êtes pas responsable. Tout le monde se demande et tout le monde me demande ce que vous allez faire. J’ai une seule et même réponse pour tous sans exception. Je ne sais pas. Je serais bien aise que vous adoptassiez cela aussi pour les premiers moments avant d’avoir bien reconnu votre terrain. Peut-être poussé- je trop loin la prudence dans des conseils que je vous donne, cependant je ne crois pas, regardez bien et puis décidez.
Le duc de Noailles qui est accouru hier de la campagne et pour quelques heures seulement, affirme que vous accepteriez que vous devez accepter. Le pressentiment est général qu’il y aura une émeute, que Thiers y compte. Il se tient toujours à Auteuil. Le Roi rentre aujourd’hui pour rester aux Tuileries. Le vent a soufflé bien fort cette nuit. Je me suis inquiétée pour la traversée de Douvres à Calais, je n’en ai pas dormi. Vous passez. peut-être dans ce moment. 1 heures. Cher bien aimé demain demain, que le Dimanche est un beau jour. Le 30 août était un dimanche, demain huit semaines révolues, depuis que nous nous sommes donnés bien solennellement l’un à l’autre, pour cette vie, pour l’éternité ! Adieu mon bien aimé chéri. Adieu.


Encore, encore je ne puis pas te quitter, un baisir, mon bien aimé, un baiser. Ah si tu savais ce que j’éprouve en traçant ce mot, mon aimé, mon aimé, je te sens si près de moi, si près. Viens mon bien aimé.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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335. Paris, Jeudi 2 avril 1840,

J’ai vu chez moi hier matin M de Montrond, le Duc de Noailles, & M. de St Aulaire. Celui-ci tout parfumé de Vienne; il m’a raconté l’automne dernier, les frayeurs de M. de Metternich, sa malade ensuite, tout cela parce qu’il nous avait déplu. Il dit qu’il est bien mais qu’il raconte et rabache plus que de coutume. Lord Beauvale va arriver et passera un mois à paris ! M. de St Aulaire a lu de vos dépêches. Il en parle avec enthousiasme. Le Duc de Noailles prépare un discours, il veut absolument pousser le gouverment à faire dans la question de l’orient ; avec l’Angleterre si c’est possible; sans elle si elle ne veut pas ce qui est raisonable. Montrond est venu me dire que le roi était fort content de Thiers, fort content de tout ceci, de bonne humeur. quand il a eu fini. Je lui ai dit qu’on n’en croyait pas un mot. Il ne s’est pas fâché, et il s’est tu sur le chapitre de la satisfaction. Il a entonné vos louanges aussi. Il parait que Thiers parle beaucoup de vos dépêches. Je voudrais être Thiers pour les lire. Il m’a dit qu’on s’entretient beaucoup de Mad. de Meulan qui veut absolument aller à Londres, et que vos amis craignent qu’à force d’importunités elle y parvienne. Or, ils sentent tous que cela gâterait parfaitement votre maison. Avez-vous quelque tracasserie sur ce sujet ?
Hier, le conseil a dû décider sur M. le Duc d’Orléans. Je crois que c’est pour lui permettre de partir. Lui même n’en a pas la moindre envie, c’est une question d’honneur et de parole engagée, pas autre chose. Je me suis promenée au Bois de Boulogne par vertu, sans aucun plaisir. C’est si triste d’être seule ! Je me fatique tout de suite. J’ai eu la Princesse Wolkonsky à dîner, et puis j’ai été un quart d’heure chez Mad. Appony; grand raout insupportable, et une demi-heure chez Mad. de Castellane, M. Molé et quelques personnes y étaient, conversation générales ; rien à vous rapporter. J’étais bien lasse hier, et tout le monde m’a trouvé mauvais visage. Je suis très poorly sans savoir dire exactement ce que j’ai.

Midi
Le retour de Pahlen qui me fait un grand plaiser est au fond quant à l’à propos, une drole de chose. Thiers peut s’en domner les honneurs, les dates sont pour lui. On dit que le Roi est charmé. Il me semble que votre second dîner ne devrait pas encore être pour les Torys. Le premier étant officiel pour la fête du Roi ne compte pas. Il faut que vous ayez eu chez vous lady Palmerston et la duchesse de Sutherland, lady Hansdown, Holland, && avant d’avoir lady Jersey ou autres dames Torys. Je suis sûre d’avoir raison sur ce point. Si vous êtes prêt dans votre ménage. Je vous conseillerais un petit dîner pour ces dames avant la fête encore, voici la liste. Tout cela est convenable, vous ajouterez quelques hommes, vous pourriez même le redire si vous aimez mieux.
Au fond, il faut absolument que vous ayez un dîner d’essai avant votre grand dîner du 1er de Mai, car le service ne peut pas aller tout-à-fait bien du premier coup. Et comme essai, le corps diplomatique est une très bonne chose. Prenez les tous, femmes et hommes, faites un dîner de 20 ou 24 personnes huit jours avant. Et laissez la liste que je vous envoie pour après le 1er de mai. Nous ne nous génions pas beaucoup pour le corps diplomatique, ainsi comme dépense; cela n’ allait pas aussi loin que pour les autres dîners. On ne leur donne pas a eux absolument toutes les primeurs. Dites cela à votre chef de cuisine. Vous voyez que je me mêle de tout. Mais croyez moi, essayez votre maison sur le corps diplomatique. J’ai rayé sur l’autre page parce que décidément vous ferez comme je vous conseille tout à l’heure. Et puis après le 1er de mai viendra ce que je vous ai dit plus haut, et ensuite seulement le diner Tory. Vous pourrez faire cela deux jours de suite c’est l’usage, samedi et dimanche parce que ce sont les seuls jours libres.
Voici deux heures. Il faut finir. Je n’ai rien à vous dire du tout. Je me sens si malade, je crains une grosse maladie, et je ne sais que faire. adieu
Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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393. Paris le 3 de juin 1840

Le pauvre mardi s’est passé pauvrement, si j’en excepte une visite d’adieux à votre mère. Elle et vos enfant un traitent, avec une bonté familière qui me plait infiniment, tout le monde a bonne mine et tout le monde a l’air gai de s’en aller à la campagne. Je serai chargée je crois de vous porter le portrait de Henriette.
J’ai vu un moment les Granville. J’ai vu et essuyé un gros orage ; J’ai diné seule avec mon file et le soir j’ai vu assez de monde. Mes habitués. Point de nouvelles, si ce n’est que Médem a eu de plus le poste de Darmstadt, ce qui lui fait de la distraction et de l’argent de plus. Il est fort content. le Duc de Noailles dit qu’on va s’ennuyer, il n’y a plus ni affaire, ni scandale. Les ambassades attendent le mort du Roi de Prusse. La duchesse de Mouchey est accouchée d’un garçon mort. C’est un grand désespoir. Je vais dîner à Boulogne aujourd’hui chez Rothschild, demain chez Brignoles, après demain chez les Granville. Vous avez là mes disssipations. J’attends votre lettre qui me dira j’espère que mon 388 ne s’est pas égaré. Je suis aujourd’hui un peu mieux qu’hier, mais pas assez bien pour aller à Epson. Qui était de votre partie, et à dîner chez Motteux ? Où allez-vous pour le ..... ? Irez-vous à Salhill, avec qui ? Je fais une quantité de questions, toutes petites, et peut-être toutes grandes. Je suis bien loin de vous, je suis bien triste d’être si loin. Serai-je bien heueuse quand je serai près ? Lord Grey m’écrit pour me presser d’arriver ; il part avant la fin du mois. Leveson mande à son père que vous êtes établi parfaitement bien. 1 heure. Pas de lettre encore. Cela est devenu bien singulier depuis le départ du gros Monsieur. 2 1/2 il faut fermer ceci. Fermer sans avoir à répondre. Je ne sais plus de vos nouvelles depuis samedi. Le cinquième jour ! Que c’est long. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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335. Londres, Vendredi 3 avril 1840
5 heures

Je n’ai pu vous écrire ce matin. J’avais une longue dépêche à faire. J’ai passé avant-hier une heure avec Lord Palmerston au Foreign office pour la première fois. Je n’ai pas encore attendu. Je suis charmé de lui plaire extrêmement. J’ai été très content de ma dernière conversation. Je mets fort en pratique le système de la franchise, de la franchise la plus exacte ; ne dire ni plus ni moins, et dire au commencement ce qu’on dira a la fin. Que je voudrais causer de tout cela avec vous. Pour mon plaisir d’abord, et aussi pour mon profit. Vous ne savez pas quelle confiance j’ai dans votre jugement. Elle était grande en quittant Paris. Elle est plus grande depuis que j’ai vu Londres. Vous aviez raison en tout. Je rencontre à chaque pas les vérités que vous m’avez apprises.
Il y a des mensonges que vous rencontrerez à chaque pas, qui dépasseront toujours votre attente. Celui que vous me mandez est inconcévable, et ne m’étonne pas. Il ment par légérète et par calcul. Il ment selon sa fantaisie, par humeur à tout hazard. Que sait-on ? Il en résultera peut-être quelque ennui, quelque embarras pour quelqu’un à qui il veut nuire ou simplement à qui il en veut. Cela lui suffit. Il sait que, dans le monde, on ne pousse pas les choses à bout ; il compte que personne ne lui cognera le nez sur son mensonge. Et si on s’en plaint, il se sauvera par un autre mensonge. Vous ne vous doutez pas de tout ce qu’il y a de faiblesse féminine et d’artifice machiavilique dans ce caractère-là. Il passe du caprice le plus soudain à la machination la plus lointaine, tour à tour étourdi et profond, et menteur aux deux titres. Je l’ai observé quelque fois, je vous jure avec une vraie curiosité, tant ce mélange de légérété et de gravité, d’imprevoyance, et de malice savante me paraissait singulier.
Vous avez bien fait de me dire ce commérage. Dites-moi aussi un peu ce que vous a dit l’internonce sur les souffres. Ici, on semble n’en rien savoir. Je demande à tout le monde des nouvelles de cette guerre-là. Personne ne me répond, pas plus les ministres que les autres ; et ils ont vraiment l’air de ne pas me répondre par ignorance. Je prétends que c’est bien de ce tems-ci d’avoir deux guerres sur les bras, l’une à la Chine pour quelques pilules, l’autre à Naples pour des allumettes.
Je suis rentré cette nuit à 2 heures du bal que Lord Landsdown a donné à la Reine. Belle fête, comme doivent être les fêtes; rien d’extraordinaire; le train de vie habituel. Trop de monde dans la galerie, qui était la salle de bal. D’abord cette salle à un grand défaut une seule porte pour entrer et sortir. Et puis trop nue, les grands murs, ces statues éparses, tout cela est glacial. L’éclairage était beau aux deux exprémités, insuffisant au milieu. Quand je dis qu’il y avait trop de monde, c’est que tout le monde s’est entassé là comme s’ils n’avaient jamais vu, ni un bal ni la Reine. On étouffait; à la fin, les bougies brûlaient à peine ; une heure de plus elles se seraient éteintes, faute d’air comme sous la machine pneumatique. Pas une âme dans les trois salons, sauf Lord Melbourne qui dormait. Entre nous, le Prince Albert s’est endormi, sur son fauteuil à côté de la Reine qui l’a tiré par son habit pour le réveiller. Elle était bien et n’a pas beaucoup dansé. On dit toujours, mais on ne sait toujours pas. J’ai soupé avec la Reine, son mari à sa gauche, Lord Landsdowne à la droite, le Duc de Sussex à côté de la Duchesse de Cambridge, moi à côté de la Princesse Louise. J’avais à ma gauche la Duchesse de Roxburgh, jolie et agréable. Le duc de Cambridge s’était retiré de bonne heure. J’ai vu là Lord Grey, pour la première fois. Lord Carlisle nous a présentés l’un a l’autre. Sa figure, sa tournure me plaisent extrêmement, grave et doux, avec un reste de jeunesse et une nuance de tristesse qui ne manquent pas de charme. Il est frappant à voir à côté du Duc de Wellington ;  lui de six ans plus vieux, et si droit, la tête si haute, le regard pas très animé, mais capable de le redevenir si quelque chose l’intéressait. Le Duc si cassé, si courbé, la parole si épaisse l’oeil si éteint !
Je les regardais alternativement. Lord Grey m’a accueilli avec un empressement marqué. Nous avons causé, un moment, et nous ne nous sommes pas rejoints. Il m’a dit qu’il ne resterait à Londres que jusqu’à la fin de Juin. Lady Landsdowne avait invité le moins de monde possible. Les mères à plusieurs filles étaient priées de n’en amener qu’une. Fanny Cowper était très jolie. Je la trouve trop jolie. Ne me trahissez pas. Je vous dis sur les personnes toute mon impression. J’ai autant de confiance dans votre discrétion que dans votre jugement.

Lundi, 10 heures
Que parlez-vous de grosse maladie? Si je ne connaissais la vivacité de votre imagination, je serais désolé. Je le suis déjà de vous voir ce malaise, et cette inquiétude par dessus le mal aise. Ce qui me plait toujours, c’est qu’on vous dise du bien de moi de mes mérites et de mes succès. Pour que vous n’en ignoriez rien, je vous envoie ce fragment d’une lettre d’un de mes amis, homme d’esprit. Il vous amusera un peu. Les nouvelles de ce bon anglais sont exagérées. On ne monte pas sur les chaises; on ne s’attroupe pas devant ma porte. Mais l’empressement est grand, dans les salons et dans les rues, et très bienveillant.
Hier soir chez les Berry, que je n’ai pas trouvées ; elles étaient malades ; chez Lady Holland, qui était au spectacle; chez Lady Cadogan qui avait une petite soirée assez agréable à cause du peu de monde. J’ai causé longtemps avec Lady William Russell. J’ai vu sa science. Elle y est simple. Il y a dans tout son air et toutes ses paroles, quelque chose de très honnête et sincère.
Lady Jersey était là. Vous ne vous doutez pas qu’elle ma raconté sa robe et Mad. Appony. Elle m’avait prié de me charger d’un petit paquet. Le paquet n’est pas venu. Je lui ai demandé pourquoi. C’était la robe qui en effet reste en suspens. Et Lady Jersey n’aura pas, pour le drawing-room, la robe quelle voulait. Elle s’en désole et s’en prend au goût de Mad. Appony. Je dîne aujourd’hui chez Mistress Stanley avec M. O’Connell.

4 heures
J’ai eu des visites. Alava, des voyageurs français. Puis des affaires de l’ambassade à régler avec Bourqueney qui part Lundi soir, après le lever. Il y a assez de petites affaires, quoique nous ayons un consul général à qui vont la plupart. Je remets à demain a vous parler de mes dîners. C’est bien ennuyeux de traiter cela de loin. Que n’êtes-vous là, toujours là !
Adieu. Adieu. Il ma manqué hier une lettre de ma mère. Mais j’en ai aujourd’hui. Tout va bien chez moi. Adieu! Que personne ne vous plaise à la bonne heure ; mais rien c’est trop. Je ne suis pas égoïste à ce point.
Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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388. Londres, Vendredi 5 juin 1840
9 heures

Eton est moins bruyant, et plus intéressant qu’Epsom. Avant-hier quatre chevaux m’ouvraient à grand peine un chemin à travers cent cinquante mille oisifs et fous, comme vous dîtes. Hier, je parcourais seul avec le principal, le Pr Hawtrey, les salles d’étude, les refectoires, la bibliothèque où s’élévent les six-cents membres du Parlement, géneraux, amiraux évêques futurs de l’Angleterre. Tout cela a bon et grand air, un air de force, de règle et de liberté. Debout, au milieu de la cour, la statue de Henri, 6, ce roi imbécile à peine Roi, et qui n’en préside pas moins depuis quatre siècles dans la maison qu’il a fondée à l’éducation de son pays. Autour les plus beaux champ et dans ces champs les plus beaux arbres qu’on puisse voir. En face, Windsor, le chateau Royal resté château fort et qui perpétue au soin de la pacifique civilisation moderne, l’image de la vieille royauté. La Tamise, rien que la Tamise entre Windsor et Eton, entre les Rois et les enfants. Et la Tamise couverte de jolis bateaux long et légers remplis de jeunes et beaux garçons, en vestes rayées bleu et blanc,, avec de petits chapeaux de matelots ramant à tour de bras pour gagner le prix de la course. Les deux rives couvertes de spectateurs à pied, à cheval, en voiture, assistant avec un intérêt qui quoique silencieux à la rivalité des bateaux. Et au milieu de ce mouvement, de cette foule, trois beaux cygnes étonnés effrayés, se réfugiant dans les grandes herbes du rivage pour échapper aux usurpateurs de leur empire. C’était un charmant spectacle, qui a fini par un immense dîner d’enfants. Sous une tente bien blanche, entourée, comme jadis les dîners royaux de la foule des spectateurs. Mon seul reproche est l’excès du vin de Champagne qui a fini par jeter ces enfants, dans une gaité plus bruyante qu’il ne leur est naturel. Je suis revenu comme j’étais allé par le Great. Western Railway qui nous a menés, moi, ma voiture et mes chevaux de Londres à Eton en moins de trois quarts d’heure. Grand dîner, de toutes les Puissances de la maison et de beaucoup de visiteurs de Londres.

Une heure
Nos chagrins sont alternatifs. Je suis désolé que vous n’eussiez pas reçu ma lettre à 2 heures et demie. Je l’avais pourtant adressée par la voie que je crois la plus prompte, en l’absence du gros Monsieur. Vous l’aurez eue dans la journée. C’est un immense ennui que les inexactitudes. Il y en a un plus grand, ce sont les doutes " Je suis bien triste d’être si loin. Serai-je bien heureuse quand je serai près ? " Oui à moins que vous ne vouliez pas. Il n’y a pas quinze jours, vous m’avez promis beaucoup de foi. Et vous ne savez pas si vous serez heureuse quand vous serez près ! Et vous me faites une quantité de petites questions, " peut-être toutes grandes " ! Voici ma réponse. Je n’irai à Salt hill avec personne, car je n’irai pas à Salt hill ; car je ne sais pas ce que c’est que Salt hill ; car je n’ai pas pu lire votre mot précédent. " Où allez-vous pour le.....? Vous voyez que je ne suis pas encore si enfoncé que vous le croyez dans ce qui est loin de vous et sans vous.

3 heures et demie
Je rentre et mes yeux tombent sur ce que je vous écrivais tout à l’heure. Je corrige une phrase : " serai-je bien heureuse de près ? " Oui, quand même vous ne sauriez pas. Voilà ma vraie idée et ma confiance. J’ai été interrompu par M. de Pallen et lord Clarendon. Puis, je suis sorti pour aller voir un moment lady Palmerston. Je l’ai trouvée près de monter en voiture pour Broadlands où elle va jusqu’à mardi. Lord Palmerston y va aussi. Mais il reviendra demain pour dîner chez la Reine où je dine aussi. Le rail-way de Southampton, les mêne à Broadlands en trois heures. Vous savez probablement que lord Beauvale a été fort, fort malade, d’une goutte remontée qui a failli l’étouffer. Il ne pouvait plus avaler et à peine respirer. Les nouvelles de ce matin sont meilleures. Voilà la Commission Rémilly qui a rejeté toutes les incompatibilités nouvelles, et qui fera un rapport insignifiant, lequel ne sera point discuté. C’est la session close sans bruit, autant qu’on peut prévoir. J’en suis bien aise. Que de choses, j’ai à vous dire ? J’en oublierai beaucoup. C’est mon dépit continuel. Mille idées me viennent dans l’esprit, mille paroles sur les lèvres qui voudraient aller à vous, qui vous plairaient, je croiset qui s’évanouissent perdus et tristes. Vous voyez bien qu’il faut que vous arriviez. Adieu. J’ai encore deux ou trois lettres à écrire. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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336. Londres, Dimanche 5 avril 1840
10 heures

M. O’Connell est parfaitement ce que j’attendais. Peut-être l’ai-je vu comme je l’attendais. C’est toujours beaucoup de répondre à l’attente. Grand, gros robuste animé, l’air de la force et de la finesse; la force partout, la finesse dans le regard prompt et un peu détourné, mais sans fausseté ; point d’élégance, et pourtant pas vulgaire, des manières un peu subalternes et en même temps assez confiantes quelque arrogance même, quoique cachée. Il est avec les Anglais, Lord Normanby, Lord Palmerston, Lord John Russell, Lord Duncanmon, qui étaient là, d’une politesse à la fois humble et impérieuse ; on sent qu’ils ont été ses maîtres et qu’il est puissant sur eux, qu’il leur a fait et qu’ils lui font la Cour. Soyez sûre que je n’invente pas cela parce que cela doit être. Cela est. L’homme, son attitude, son langage, ses relations avec ceux qui l’entourent tout cela est plein de vérité, d’une vérité complète et frappante. Il était très flatté d’être invite à dîner avec moi.
Je lui ai dit quand on me l’a présenté : "Il  y a ici, Monsieur deux choses presque également singulières, un Ambassadeur de France Protestant, un membre catholique de la Chambre des communes d’Angleterre. Nous sommes vous et moi deux grandes preuves du progrès de la justice et du bon sens." Ceci m’a gagné son cœur. Il n’y avait à dîner que Lord J. Russell, Lord Duncanmon, Edward Ellice et sa femme, M. Charles Buller et M. Austin. Mistress Stanley hésitait à inviter quelques personnes pour le soir. Elle s’est décidée et a envoyé ses petites circulaires. Sont arrivés avec empressement Lord et Lady Palmerston, Lord Normanby, Lord Clarendon, l’évêque de Norwich, Lady William Russel, etc, etc.
En sortant de table, un accès de modestie a pris à M. O’Connell ; il a voulu s’en aller.
"Vous avez du monde » il a dit à M Stanley.
-Oui, mais restez, restez. Nous y comptons."
-Non, je sais bien.
-Restez, je vous prie." Et il est resté avec une satisfaction visible mais sans bassesse. Lady William Russell qui ne l’avait jamais vu, m’a demandé en me le montrant. - C’est donc là M. O’Connell, et je lui ai dit "Oui"en souriant d’être venu de Paris pour le lui apprendre.
-Vous croyez peut
être, m’a-t-elle dit, que nous passions notre vie avec lui.
- Je vois bien que non."
Ils étaient tous évidemment bien aises d’avoir cette occasion de lui être agréables ; lui bien aise den profiter. Il a beaucoup causé. Il a raconte les progrès de la tempérance en Irlande, les ivrognes disparaissant par milliers, le goût des habits un peu propres et des manières moins grossieres venant à mesure que l’ivrognerie s’en va.
Personne n’osait ou ne voulait élever de doute. Je lui ai demandé si c’était là une bouffée de mode populaire ou une reforme durable. Il m’a répondu avec gravité : " Cela durera ; nous sommes une race persévérante, comme on l’est quand on a beaucoup souffert. "
Il prenait plaisir à s’adresser à moi, à m’avoir pour témoin du meilleur sort de sa patrie et de son propre triomphe. Je suis sorti à onze heures et demie et sorti le premier, laissant M. O’Connell au milieu de quatre ministres Anglais et de cinq ou six grandes Dames qui l’écoutaient ou le regardaient avec un mélange comique de curiosité et de hauteur, de déférence et de dedain. Ceci ne tirera point à conséquence ; O’Connell n’entrera point dans la societé anglaise. C’est un spectacle curieux qu’on a voulu me donner. On y a parfaitement réussi ; d’autant mieux qu’à part moi, tous étaient acteurs.

4 heures et demie
Je reviens du Zoological garden. Il fait un temps admirable. Le printemps commence. Il y a bientôt trois ans, par un bien beau temps aussi, nous étions ensemble au Jardin du Roi. Ce souvenir m’a frappé en me promenant dans le Zoological garden, et ne m’a pas quitté depuis.
Vous avez raison pour les dîners. Le 1er Mai ne compte pas, et le dîner Tory ne peut venir qu’après un pur dîner whig. Je rétablirai cet ordre. Mais il n’y a pas moyen de donner aucun dîner un peu nombreux avant le 1er mai. On entre dans la quinzaine de Pâques. Beaucoup de gens s’en vont. Je n’aurais pas qui je voudrais même dans le corps diplomatique. D’ailleurs, pour le 1er Mai le corps diplomatique me convient, huit ministres, et trois ou quatre grands seigneurs. J’espère que le service ira assez bien. Mon maître d’hôtel est excellent.
J’ai écrit en effet à Mad. de Meulan que je ne pouvais la faire venir en Angleterre avec ma mère et mes enfants. Son chagrin, est grand et je m’en afflige, car j’ai pour elle de l’amitié et je suis toujours très touché de l’affection. Mais je n’hésite pas le moins du monde, et la chose est entièrement convenue. Je l’ai engagé à passer une partie de l’été au Val-Richer, à y faire venir son frère et sa belle-sœur. Je crois qu’elle le fera. Personne n’est plus convaincu que moi qu’elle ne pourrait accompagner ici ma famille, sans de grands ennuis au dedans, et de graves inconvénients au dehors. Je ne veux ni condanmer ma mère aux ennuis, ni encourir moi-même les inconvénients.
Je l’ai dit très franchement à Mad. de Meulan, très amicalement mais très franchement. Je suis de plus en plus du parti de la vérité.

Lundi 9 heures
J’ai dîné hier chez lord Landsdowne, un dîner un peu litteraire, Lord Seffery, Lord Montragle Lord et Lady Lovelace, Mistress Austin, etc. De là, chez Lady Palmerston qui avait fort peu de monde. Nous avons causé assez agréablement. Lady William Russell gagne. Elle est vraiment très simple dans son savoir. Et avant-hier en entrant chez Mistress Stanley, elle est allée embrasser son beau-frère, Lord John, embrasser sur les deux joues, avec une cordialité fraternelle touchante. Lady Palmerston restera, désermais chez elle tous les Dimanche. Je vous répète qu’elle est très occupée de son mari. Ils étaient allés hier se promener tête à tête et elle se plaint sans cesse des
Affaires et des Chambres qui prennent à Lord Palmerston tout son temps. Est-il vrai que la petite Princesse est infiniment mieux et va retourner à Vienne ?

3 heures 1/2
D’abord, comme d’ordinaire comme toujours, je vous remercie et je vous remercie tendrement de la vérité et de votre côlère, et de votre chagrin si tendre. Puis-je vous demander la permission de repousser non pas votre principe qui est excellent, mais vos conséquences qui sont extrêmes et fausses. Grondez-moi, comme on gronde un innocent ; j’ai commis par pure ignorance a blunder mais le blunder n’ira pas plus loin. Je suis ce que j’étais ; je resterai ce que je suis.
J’avais vu souvent le colonel Maberly en France chez Mad. de Broglie. Il me connait ; il m’invite à dîner, je venais d’avoir quelque affaire avec lui pour les Postes des deux pays. Personne ne m’avait jamais parlé de Mad. Maberly. Vous ne m’aviez point dit la prophètie de M. Pahlen. J’ai dîné chez un anglais de ma connaissance, chez un membre du Parlement, chez le Secrétaire des postes anglaises sans me douter de l’inconvenance. Une fois là, le ton de la maîtresse de la maison ne m’a pas plu. Mais cela m’arrive quelquefois, même en très bonne compagnie. J’ai du regret de ma bèvue, mais point de remords. Je regarderai de plus près à mes acceptations ; mais je n’ose pas répondre de ma parfaite science. Venez. J’ajoute que si je ne me trompe cela a été à peine su, point ou fort peu remarqué. Rien ne m’est revenu. Soyez donc, je vous prie, moins troublée du passé. Et bien tranquille, sur l’avenir du moins quant à moi-même. Je reprends ma phrase. Je suis ce que j’étais et je resterai ce que je suis. Et je suis charmé que cela vous plaise. C’est une immense raison pour que j’y tienne. Mais en honneur comment voulez-vous que ces blunders-là ne m’arrivent jamais ?
J’ai bien envie de me plaindre à Lady Palmerston de ce qu’elle ne m’a pas empêché de dîner chez Mad. Maberly. Elle me répondra que je ne lui avais pas dit que Mad. Maberly m’avait invité. Croyez-moi, j’ai quelque fois un peu de laisser-aller ; mais il n’est pas aisé de me plaire, ni de m’attirer deux fois de suite chez soi. Et je suis plus difficile en femmes qu’en hommes. Et toutes les prophéties, que vous auriez mieux fait de me dire seront des prophèties d’Almanach. I will not be caught. Mais regardez-y toujours bien je vous prie, S’il m’arrive malheur, je m’en prends à vous. Et n’ayez jamais peur de me tout dire. Votre colère est vive, mais charmante. Je ne sais pourquoi je vous ai parlé de cela d’abord. C’est une nouvelle preuve de notre incurable égoïsme.
J’ai commencé par moi. J’aurais dû commencer par vous, par ce triste jour. Samedi en vous écrivant, je voulais vous en parler ; et le cœur m’a failli. De loin, avec vous sur ce sujet-là, celui-là seul, je crains mes paroles, je crains vos impressions. Je n’aurais confiance que si j’étais là, si je vous voyais, si je livrais ou retenais mon âme selon ce que j’apercevrais de la vôtre. Je me suis tu samedi, ne sachant pas, dans quelle disposition vous trouverait ce que j’aurais dit craignant le défaut d’accord entre vous et moi. Tout ce qui va de vous à moi m’importe, me préoccupe. Dearest, je vous ai vue bien triste près de moi. Ne le soyez pas, laissez la moi ; ne le soyez du moins que parce que je ne suis pas là. C’est là ce que je ne voudrais. Et cela ne se peut pas. Et dans ce moment, je ne vous dis pas la centième partie de ce que je voudrais dire.
Que le 1er juin se hâte. C’est charmant de penser que vous serez ici le 15.
Je reviens du lever. La Reine était pâle et fatiguée. Il n’y a point d’evening party aujourd’hui. Il est convenu qu’elle ne dansera plus. Lord Melbourne observait avec une inquiétude paternelle, et visible la file des présentations, impatient d’en voir la fin. Le Drawing-room aura lieu Jeudi.
Savez-vous qu’on dit que Lady Palmerston est grosse?
Adieu, Adieu. Non vous ne m’avez pas trop dit, et s’il y a quelque chose que vous ne m’ayiez pas dit vous avez eu tors. Mais vous avez eu tort aussi de croire si facilement au mal ; je veux dire au mal possible. Vraiment tort. Je finis par cette vérité. Non ; je finis par Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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390. Londres, Dimanche 7 juins 1840
3 heures

Je vous écris avec une pensée charmante, dans le cœur. Plus que trois fois. demain, mardi et mercredi. Car sans doute vous partirez samedi matin. Vous me direz. Ma course à Epsom ne m’a pas paru si drôle qu’à lord Granville. J’ai peu ri. Ce qui me fait sourire, c’est l’importance qu’on attache quelquefois, dans le monde, à certaines choses, et tout ce qu’on y voit. J’ai été à Epsom. Epsoms est frivole. Tous les gens frivoles y vont. Donc, je deviens frivole, donc, je ferai ce que font, les gens frivoles. Donc, donc, .... Il y a bien du factice et bien de la servilité en cela d’agir plus simplement et plus librement. On me dit qu’Epsom est un spectacle curieux. Ellice me propose d’aller dîner à la campagne, tout près, avec sa famille et lord Spencer, et d’aller de là, voir ce spectacle. Je vais dîner avec Ellice et lord Spencer. Je vais avec eux me promener à Epsom. Je trouve que c’est long, et je reviens me coucher à onze heures. Si le monde voit dans ma promenade quelque chose de plus, et s’en promet, sur moi quelque empire de plus, le monde se trompe et le verra bien. Epsom m’a laissé comme il m’a pris, sans embarras d’y aller et sans envie d’y retourner.
Je vous en prie ; ne soyez pas un peu malade, dans vos lettres ni ailleurs, pour ces misères. Ayez foi. Vraiment ceci ne vaut pas la peine de douter. Et dites moi toujours tout à chaque occasion, petite ou grande, je vous en aime davantage. Même quand ce que vous me dîtes, me fait sourire.
J’ai beaucoup causé hier avec la Reine, à dîner surtout, causé de je ne sais quoi mais assez agréablement. Soyez sure qu’elle a de l’esprit, et pas mal de sérieux et de fermeté dans son jeune esprit. Elle est bien jeune. Elle rit toujours. Et on voit qu’elle a envie de rire encore plus qu’elle ne rit. Peu de monde, lord Melbourne et lord Palmerston, le Maréchal Saldanha, le comte de Hartig, M. et Mad. Van de Weyer qui sont revenus de Bruxelles, la maison. J’avais à ma droite lady Mary Howard, fille du comte de Surrey, enfoncée dans sa shyness et ses beaux cheveux blonds. Après le dîner, quelques uns ont joué au Whist, d’autres aux échecs. Nous nous sommes assis, autour d’une table. Conversation froide et languissante. La Reine va à Windsor, dans deux ou trois jours, je crois. La Duchesse de Sutherland est partie ; mais Charles Greville m’a dit qu’elle vous donnait Stafford-House, et que vous seriez là, en son absence. Cela me paraît très bien. Vous ne le saviez donc pas encore. Vous me l’auriez dit.

6 heures
Je viens de faire le tour complet de Regent’s park. J’ai marché une heure et demie, seul, lentement, pensant à vous. Quand vous serez ici, je ne ferai plus guère ces grandes promenades solitaires. Je vous donnerai mon loisir. Le beau temps dure. Je le regarde. Je lui demande, s’il durera dans huit jours. Alava a été assez malade. Il est bien bon enfant et pas mal au courant ; mais personne ne compte avec lui. Est-il vrai que M. Van de Weyer est un peu remuant et commère ? Que de choses j’ai encore à vous demander, quoique je commence à être établi ! N’est-ce pas, vous aurez la bonté avant de partir, de faire demander à Génie s’il n’a rien à m’envoyer. Décidément, il y aurait, à ce qu’il vint dans ce moment, assez d’inconvénients.

Lundi une heure
Je suis charmé que nous ne veniez à Londres qu’à cause de moi, et je veux que vous y trouviez infiniment plus de plaisir que de tracas. Je n’aime pas du tout le tracas. J’ose dire qu’il n’y a personne à la nature de qui il soit plus antipathique qu’à la mienne. Mais quand au bout du tracas, il y a un plaisir, un vrai plaisir, le tracas disparaît, je l’oublie absolument, je le traverse indifféremment. C’est si beau d’être heureux ! Si charmant ! Peu importe le prix du bonheur. Vous n’êtes pas si bien douce que moi. Vous avez le bonheur, très vif, mais la contrariété très-vive aussi, et au moment ou vous payez le bonheur, vous pensez à ce qu’il coûte. Moi, je ne pense jamais qu’à ce qu’il vaut. On m’a apporté hier le petit portrait d’Henriette, très ressemblant et très joli. Je viens de recevoir des nouvelles de leur arrivée à Lisieux. Les voilà établis à la campagne. J’espère qu’ils y seront bien. Vers le 15 suillet. ils iront aux bains de mer, à Trouville sur cette côté où je me suis promené en m’efforçant de traverser des yeux l’Océan pour alles vous chercher en Angleterre où vous étiez alors. C’est moi qui suis en Angleterre, et c’est vous qui venez m’y chercher. Mais pas des yeux seulement.
Adieu. Cet adieu est très à sa place.
Je ne crois pas à la guerre. Vous savez qu’en général je n’y crois pas. Mais pas en particulier non plus. Thiers s’amuse à en parler. cela lui plaît ; et cela lui sert aussi. Un peu de fièvre dans le présent, en perspective d’un peu de bruit dans l’avenir ; sa position s’arrange de cela. Il le croit du moins. Je ne connais personne ici qui accepte la pensée de la guerre. On est déjà assez préoccupé de celle de Chine qui sera probablement plus sérieuse qu’on n’a prévu. Je n’ai pas grande estime pour le nombre ; pourtant c’est quelque chose et en Chine ce quelque chose est immense. Adieu décidément. Plus que deux lettres. Adieu. Adieu. En attendant.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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336. Paris, vendredi 3 avril 1840
11 heures

Je me suis levée très tard. Je ne suis pas bien, j’attends Vérity. Je viens de recevoir votre 333. Dites à M. de Bourguenay de venir me voir à son retour à Paris ; il me trouvera toujours entre 1 et 2 heures et même après. J’aurai mille choses à lui demander. J’ai eu hier matin encore la visite du duc de Noailles, et puis Appony. Il venait me lire une lettre de son fils. Le mariage se fera à la fin de mai, et ils seront ici le 25 juin. Je ne les attendrai pas. Appony a un chagrin concentré, et parle confidentiellement de celui du Roi. Mais il a l’air de croire qu’il faut subir la session. J’ai pris la Calèche hier, et je me suis fait mêner à St Cloud, mais seule encore. Marion s’était envolée. J’ai marché là un peu, et j’ai dormi pendant tout le temps du retour. J’ai fait une petite visite à la petite princesse. J’ai dîné seule. Le soir j’ai eu toutes les petites gens, Bavière, Wirtemberg, Hanovre, Sardaigne, Médem, Capellen, les Durazzo et la duchesse Lobkovitz. Lady Palmerston m’a écrit une longue lettre. "L’Orient n’avance pas, mais nous esperons toujours que M. Thiers sera assez sage pour voir la nécessité d’aller de front, avec les autres puissances, c’est une question qui nous occupe beaucoup et qui serait bien facilement arrangée ; si il voulait être de bonne foi. En attendant les sôts et les badaux vont faire des voyages et s’amourachent de Mehomet Ali. Ellice bavarde aussi à tort et à travers sur ce sujet. Nous sommes tracassés de la discussion sur la Chine. Je crois Brünnow un bon et honnête homme mais il n’est guère à la hauteur de sa position " Voilà à peu pris tout. Ah encore : "le jeune Nesselrode est un sot. " Le petit Kisseleff a assez de finesse russe ; je suis bien aise que vous ayez causé avec lui. Je pensais bien que M. de Brünnow prendrait occasion de sa nomination définitive pour réparer ses gaucheries auprès de vous. Je savais déjà que Khiva avait échoué, et je suis très convaincue du plaisir que cela fait en Angleterre.

2 heures
Verity est venu. Il veut me droguer pendent huit jours. Cela ne me plaît pas du tout. Je suis bien triste tous ces jours, bien triste. à chaque minute qui s’écoule, j’ai un remords. Il me semble que j’ai manqué d’esprit ; de prévoyance ; qu’en faisant cette observation au médecin j’aurais empêché ! Ah mon dieu,  mon Dieu. Cette douce voix. Cette douce créature, Ce ravissant enfant !

6 heures. J’ai été faire visite à Lady Granville. J’ai causé avec le mari, il est bien d’avis que si M. Thiers est sage il n’abandonnera pas une de ses idées sur la question de l’Orient, parce que sa chute serait inévitable. Il pense, et il sait que vous soutenez cette opinion aussi qu’il ne serait possible à aucun homme d’Etat en France d’abandonner le Pacha. Enfin il me parait être aussi bien disposé que vous pouvez le désirer, et il gémit un peu de ce que d’autres en Angleterre pensent diffèrement. Il a eu hier pour voisin à dîner chez M. Gonin, M. Odillon, Barot. Il lui a laissé l’impression d’un  homme qui protège le ministère ; et de plus, d’un homme qui compte être ministre lui même. On dit que la commission de la chambre des pairs est assez animée, et que la discussion le sera certainement. M de Broglie compte parler. J’ai été au bois de Boulogne un peu. Le vent d’est était bien élevé et bien aigre. En revenant j’ai passé chez Mad. de Talleyrand, M. Sallandy y était. Il disait que M. Molé parlerait aussi. C’est probablement le 13 que commence la discussion.

samedi 4
à 9 heures
J’ai dîné seule hier, que c’est triste seule, seule! Le soir j’ai été chez Lady Granville. J’ai recausé avec Appony et je l’ai un peu pressé de questions. Il ma dit : " comment voulez-vous que le Roi ne pense pas jour et nuit aux moyens de se débarasser de Thiers." Il ajoute que le Roi a été pour le départ du duc d’orléans dans la vue de flatter l’armée et de l’avoir pour soi à tout événement. Thiers est venu à l’Ambassade et tout droit à moi sans distraction. Nous avons parlé un peu de l’affaire. Il me dit : "Si lord Palmerston est obstiné, moi aussi je suis entêté. Mais enfin nous tacherons qu’il ne ressorte de là rien de mal." Il est charmé du retour de Pahlen. J’ai passé une pauvre nuit. Je passerai une triste matiné, à 3 heures, tout cera fini. Vous
ne savez pas comme je suis déchirée jusqu’au fond des entrailles. Oui, pour une mère c’est cela. Vous dinez aujourd’hui chez Miss Stanley, j’ai la mémoire de toutes vos invitations. J’attends une lettre encore aujourd’hui. Appony me dit qu’au fond, la situation depuis votre arrivée à Londres n’a pas varié d’un demie ligne. Croyez-vous faire quelque chose ? 

Midi.
Ma pauvre tête et mon pauvre cœur sont bien malades. Je dine aujourd’hui chez Appony. Ils ont voulu que ce jour-ci je ne restasse pas seule. Voici Mad. de la Redorte qui m’invite pour un jour de la semaine prochaine à dîner chez elle avec Mad. de Talleyrand et M. Thiers. Elle a prudemment attendu les fonds secrets et après deux ans de brouillerie elle se rapproche. Ah cela par exemple, c’est trop Russe ! On ferait chez nous avec plus de prudence.

1 heure
Voici votre lettre ; vous dirai-je franchement. Elle ne me plaît pas du tout. Vous vous lancez en dépit de mes avertissements dans toutes les invitations qu’on vous fait ! Qui est-ce qui a jamais songé à aller dîner chez M. Maberly ?  Sa femme est tout ce qu’il y a de plus dévergondée à Londres, les convives à ce que je vois étaient à l’avenant, vraiment mon mari aurait plutôt passé la Tamise à la nage que dîner chez ces gens, et il avait bien moins que vous une réputation de gravité. Si vous acceptez comme cela de dîner chez tout le monde, le vrai monde ne tiendra plus à si grand honneur de vous avoir à dîner chez lui. Notez qu’il faut rendre, et je vous déteste de composer un dîner convenable. où serait Mad. Maberly. Les femmes n’en voudraient pas, et beaucoup d’hommes non plus. Je suis tout-à-fait fâchée de ce que vous avez fait là. On parlait l’autre jour de vos succès à Londres et quelqu’un ajoutait : "et même, il fait la cour aux femmes." "Allons, ajoutait un autre, ne désesperons pas de le voir revenir ici même mauvais sujet." En vérité en dinant chez Mad. Maberly, vous en êtes tout près. Je vous demande pardon de vous dire si vivement ce que je pense mais je ne sais pas dire autrement quand j’éprouve de la peine. Et je suis si triste, si triste ! Je ne vous répéterai plus, restez ce que vous étiez, sérieux et grand. Vous n’y pensez plus. Mon ami pardonnez moi ; vous allez déchoir et vous me causez une vive peine. Adieu. Adieu.

Paris samedi le 4 avril 1840,
3 heures

Je viens de vous écrire et je recommence. Vous ne savez pas le chagrin que vous m’avez fait, chagrin de toutes les façons. Vous êtes descendu dans mon opinion, voilà ce qui me fait mal. Je vous proteste qu’un homme de ma connaissance qui m’aurait dit à Londres, j’ai dîné chez Mad. Maberly ; cet homme-là je l’aurais tout de suite classé un élégant, parmi les élégants de mauvais genre. il faut bien que je me serve de cette expression. Si un homme sérieux ; ah là je n’ose pas dire sans vous offenser. Enfin, ce qui est bien sûr c’est que personne ne m’a jamais dit y avoir dîné. Le duc de Wellington peut être mais aussi le Duc de W. figure dans les mémoires de... le nom m’échappe, une demoiselle de Londres. Tenez pour certain que vous avez fait là quelque chose de très inconvenant, demandez la réputation de la dame, et la réputation des convives. Votre position exige un peu plus de prudence. Il est très naturel que vous ignoriez la qualité sociale ou morale des gens qui vous invitent. Il faut demander et si vous n’avez à qui, écrivez-moi, nous en étions convenus. Je suis parfaitement sûre que j’entendrai parler de ce dîner avec beaucoup d’étonnement. Ce n’est pas de cette manière là qu’il vous convient d’étonner les gens. A ce compte je conçois que vous dîniez souvent dehors. Mais vous n’avez pas la prétention de Neuman qui avait compté 60 invitations dans un hiver, il peut accepter la quantité, mais vous devez regarder à la qualité. Je crois qu’en fait d’Ambassadeur Estrhazi peut avoir dîné chez Mad. Maberly. Mais il fait pire assurément. Il ne sera venu en tête à aucun de vos devanciers d’accepter cela. Quel plaisir de pouvoir se divertir d’un philosophe ! Et moi comme j’aurais aimé à m’entendre dire que tout tout était digne de vous ! Ceci fait un petit dérangement. Croyez vous que qui [que] ce soit au monde vous dise la vérite excepté moi. Eh bien si vous aimez encore la vérité écoutez moi. Ces allures ne vous vont pas. Elles vous donneront du ridicule, j’en suis parfaitement sûre. Et le dire de bien sottes gens ici, avant votre départ encore, se trouvera vèrifier. Je ne vous ai pas dit ce que j’ai entendu alors, je n’osais pas, vous auriez pris cela pour une injure. N. Pablen disait : " Il est capable d’aller dîner chez Madame Maberly." Cela faisait suite à Mad.Durazzo : "all these pretty women will make up to him, and he will be caught." Eh bien, je ne vous l’ai pas redit. J’ai eu tort; cela eut mieux valu. Aujourd’hui, j’aurais tort de ne pas vous dire tout, tout ce que je pense. Si vous vous fâchez. Je me tairai, mais je ne me repentirais pas. Cela me prouvera seulement que Londres, vous a déjà gaté. Ah que ne restez-vous ce que vous êtes. M. de Sully serait il allé dîner là ? Un ambassadeur doit tenir plus haut sa personne. Vous ne pouvez pas accepter indistinctement les invitations de tout le monde. Sans compter les espèces conme Mad. Maberly vous ne devez aller chez de petits gens que si une grande célébrité se rettache à leur nom. Votre dîner chez Grote a paru singulier aux Granville. Mais j’ai expliqué que vous aviez dîné chez eux à Paris ; je vous cite cela pour vous montrer ce qu’on peut penser à Londres. Il arrive parfois qu’on peut être obligé de dévier : par exemple, j’ai dîné chez certains Mitchell à Londres, mais c’était le plus gros individu commerçant de nos proviences de la Baltique. Son argent avait poussé sa femme respectable et ses filles à être admises à Almacks, à Devonshire house enfin partout. Et bien alors pour m’avoir,
ces gens invitaient tous les grands noms d’Angleterre, Wellington, Suthertand. Landsdowne, Jersey dix autres de cette espèce. Et cela faisait un dîner du plus élégant, minus la famllle. Vous voyez que Mad. Maberly n’a pas eu cette ressource pour vous. Ce que vous me nommez est déplorable. J’ai trop dit, et je n’ai pas tout dit. Il me semble que je vous honore en vous disant tout. Si vous êtes ce que
vous étiez je ne puis pas vous avoir offensé. Adieu. malgré madame Maberly !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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392. Londres, Mercredi 10 juin 1840
9 heures

Ceci doit être ma dernière lettre. Savez vous mon sentiment ? c’est que je ne vous ai rien dit depuis le 25 Février. Je ne vous ai pas plus parlé que je ne vous ai vue. J’ai sur le cœur tout ce que j’ai pensé et senti pendant ce temps là. Quel débordement, comme vous dites ? Le beau temps dure, et par trop étouffant. J’ai été me promener hier au soir dans Regent’s Park jusqu’à 9 heures et demie. L’air était doux, frais, le ciel pur, les eaux pures aussi. Je vous attendais là. Je crois que je suis sorti le dernier. Il me paraît qu’on se bat toujeurs autour du corps de M. de Rumigny. Je suis essez curieux de l’issue. Le Roi en voudra beaucoup à Thiers.
Avez-vous vu Zéa ? Je serais curieux aussi de savoir ce qu’il pense des affaires du moment dans son pays. Il me paraît que les modérés sont dans une grande colère et méfiance, du voyage de la Reine. Ils croyent qu’elle veut les livrer aux exaltés. Je ne comprends pas On dit que Rumigny ne sera pas le seul. Dalmatie et Latour Maubourg sont ménacés. Il faut payer ses dettes. Ste Aulaire et Barrante n’ont rien à craindre. M. de Metternich, et l’Empereur Nicolas, les défendent. Du reste si la diplomatie est traitée comme l’administration, il y aura plus de bruit que d’effet. Que de préfets remués pour en changer un seul ! Je n’aime pas le humbug, même quand il sert à empêcher le mal. Mais il faut bien s’y résigner.

Une heure
Je ne vous dirai pas encore de gros mots. Je ferai plus. Je mettrai votre conscience à l’aise. Je viens de recevoir une invitation de la Reine pour Windsor, dîner le 17, passer la journée du 18, déjeuner le 19. Il n’y a pas moyen de n’y pas aller. Si vous arrivez ici le 15, nous aurons à nous la journée du 16 mais si vous n’arrivez que le 16 au soir ou le 17 matin, nous aurons à peine, le temps de nous entrevoir avant mon départ pour Windsor. Ne vous pressez donc pas de manière à vous troubler ou vous fatiguer. C’est une ennuyeuse parole que je vous dis là. Je suis très pressé. chaque jour plus pressé. Mais puisque ma course de Windsor coïncide avec votre tracas de ménage, faites ce qui vous convient. Je vous donne, pour arriver à Londres latitude jusqu’au 19. Si vous arrivez le 15 ou le 16, je serai parfaitement heureux. En tout cas, je vous écrirai encore à moins que votre lettre de demain ne me dise le contraire. Je vois que l’affaire des ambassadeurs tournera comme celle des prefets. Lord Palmerston ne revient qu’aujourd’hui de Broadlands. Il doit y avoir un conseil de Cabinet ce matin, probablement sur les affaires de l’Orient. Si on voulait m’admettre dans ce conseil, je crois en vérité que je serais tranquille. Cette parole est bien arrogante ; mais j’ai vu tant d’affaires mal conduites uniquement parce qu’on ne savait pas, parce qu’on n’avait pas pensé. Ici surtout on ne pense pas à assez de choses! Et chacun pense à son affaire, et ne sait rien de celles des autres. Evidemment si, dès le premier jour, toutes les faces de cette question d’Orient avaient été présentées à Lord Polmerston, lui-même ne se serait pas engagé comme il l’a fait. Cela perce à chaque instant dans sa conversation.

3 heures et demie
Je viens de faire quelques visites Je ne voulais voir que lady William Russell. Je ne l’ai pas trouvée. Elle m’inspire une estime mêlée de quelque curiosité. On dit que son mari, après avoir débuté par la Juive, fait à présent des sottises avec tout le monde. Est-ce qu’il en est en Angleterre des hommes comme des femmes ? J’entends dire qu’ici c’est à 40 ans quand leurs enfants sont élevés, que les femmes s’émancipent. Et on me cite des exemples. Nous avons ici de très mauvaises nouvelles du Rois de Prusse. Je suppose que vous les avez aussi. Adieu. J’ai été dérangé deux ou trois fois depuis que je suis rentré. Je dine chez Sir Robert Inglis. J’irai de là chez lord Grey. Lady Grey m’a écrit hier pour m’y engager. Je suis très bien avec eux. Adieu Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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337 Paris Dimanche 5 avril1840,
10 heures

Après avoir fermé ma lettre hier, je me suis jetée à genoux demandant à Dieu pitié, miséricorde. J’avais le cœur brisé de mes malheurs passés, le cœur oppressé des malheurs à venir, tout derrière moi, devant moi était peine, misère. Vous ne savez pas comme le chagrin s’empare de moi, comme il m’envahit. Comme j’ai peur de moi alors, le joir où je n’en aurai plus que ce sera fini. Je vous ai écrit hier beaucoup, vous ne vous serez pas fâché n’est-ce pas ? Vous me pardonnez la vivacité de mes expressions vous savez comme je suis. Vous me disiez un jour : "Si l’on pouvait toujours lire au fond du cœur, si la parole était toujours toujours la vérité." Ma parole à moi, quand c’est à vous que je parle est bien ce qu’il y a dans mon cœur! Laissez moi ce privilège. Je n’ai fait que penser au sujet de votre dernière lettre. Je vous ai peut être dit directement ce que j’en ressentais, la forme eut été autre aujourd’hui que dans le premier moment, mais le fond n’eut pas varié ; je penserai toujours sur ce sujet comme hier. Si j’étais auprés de vous je suis sûre que je vous ferais convenir que j’ai raison mais je suis loin, si loin ! Vous me dites ce que vous avez fait, pourquoi ne pas me dire ce que vous ferez, ce qu’on vous propose ? Là où il y a doute, je le resoudrai. restez donc bien fier bien haut, comme il vous convient de l’être, à vous ; comme il convient de l’être dans le poste que vous occupez. Il y a quelques fois en vous une distraction d’esprit qui vous fait ne pas juger de suite les choses ce qu’elles sont ; je dirais d’un autre français que c’est de la légèreté, chez vous il n’y a pas moyen d’appliquer ce mot, il faut en trouver un autre.
Envoyez- moi, je vous prie votre programme d’engagements pris ou à prendre. Vous aurez trois invitations par jour si vous donnez dans du Maberly ! Il est impossible qu’un étranger sache classer la société de Londres, et depuis que M. de Bourqueney vous a passé les Maberly son expérience m’est très suspecte. Excepté les toutes nouvelles gens / les radicaux/ Il n’y a personne dont je ne connaisse la position sociale à Londres. Vous pouvez être pris à des noms, à des relations, cela ne veut rien dire.
Ainsi, Sir John Shelley, ami de George 4 oui surement et je l’ai vu là, toujours, ainsi que sa femme. Mais jamais je n’ai imaginé de prier chez moi ni le mari, ni la femme. A propos de celle ci, elle racontait qu’à Vienne où elle a été pendant le congrès, M. de Metternich, très amoureux d’elle avait été un jour très pressant et qu’elle lui avait dit : "une femme qui a refusé au duc de Wellington n’accordera pas au Prince de Metternich." Wellington à qui cela fut redit s’écria : "D... m’emporte si je lui ai jamais rien demandé."

Je cois que personne ne connait mieux que moi la société à Londres, les petits embarras d’invitation dans une ville où tous les invités ont de quoi inviter à leur tour. C’est là justement ce qui fait qu’il faut regarder de si prés à ce qu’on acceppte. Ainsi les Shelley, tenant par quelques petits bouts à un peu de l’élégance des Jokeys, vous demanderont de dîner chez eux, et n’auront rien de plus pressé que d’inviter les Maberly parce que vous avez eu l’air de rire et de vous plaire dans cette société. En même temps vous verrez chez eux quelque chose de mieux que chez ceux-ci, ce mieux jugera tout de suite que vous appartenez à ce set et vous voilà classé dans leur opinion avec des gens auxquels vous n’auriez pas même du rendre de carte de visite. Je vous dis l’exacte vérité. Ensuite laissez-moi- vous dire encore, ne laissez pas envahir votre temps par des visiteurs tels que Sidney Smith le prêtre bouffon. C’est bon à rencontrer à dîner, et encore il ne m’a jamais plu je vous l’avoue et c’est plutôt un homme méprisé que le contraire, parce que le genre de son esprit va mal avec son état mais vraiment on n’imagine pas de le recevoir le matin. Un ambassadeur qui ne passe pas pour un désoeuvré ne reçoit chez lui que des gens qui lui parlent affaires. Vous n’avez rien à apprendre avec M. Smith. Croker c’est autre chose de temps en temps, il a, ou du moins, il a eu une grande expérience des affaires de son pays. Il est bon à entendre quelquefois. Je vous trouve trop poli pour commencer. Il est impossible que vous souteniez cela, il aurait mieux valu vous faire plus rare. Nous avons beaucoup causé Angleterre pendant un mois. Et tous les jours je m’aperçois davantage, que je ne vous ai rien dit. Je reviens à moi.
J’ai été au bois de Boulogne un moment. Il faisait détestable. J’ai été chez la petite Princesse, M. de Ste Aulaire y est venu. Galant, épris de la petite Princesse, lui parlant de la couleur de sa robe, lui débitant des vers sur la couleur de ses yeux. Imaginez que je suis partie d’un éclat de rire. C’était parfaitement grossier, mais je n’avais rien entendu de pareil depuis le marquis de Mascarille. Je suis partie le laissant un peu étonné de mon rire. J’ai diné chez Appony avec le duc de Noailles. Appony est bien monté aussi contre Lord Palmerston et sa russomanie. Il me semble que cela devient un morceau d’ensemble. Comment cela finira-t-il ?  Le Duc de Noailles persiste à vouloir presser Thiers à la Chambre des Pairs à dire quelque chose de trancher sur l’Egypte. Berryer est reçu chez moi le soir. Il dit que l’esprit de la chambre est bien vif sur ce point, que Thiers ni personne ne pourrait faire autrement que suivre la pente égyptienne. Il y a des prétentions de places qui commencent à incommoder le ministère. Les rédacteurs sont exigeants. M. Verou veut la direction générale des beaux arts ; Walesky une Ambassade ; la gauche entrer dans le ministère. Il faudra bien que tout cela se fasse après la session.
Vous aurez cette lettre par la poste d’aujourd’hui. Il me semble que celle d’hier ne doit pas rester deux jours sans successeur. Je voudrais vous parler à tout instant. Croyez-vous que je vous aime ? Ah mon dieu ! Adieu. Adieu.
Berryer soutient que Thiers ferait bien de prendre Barrot dans le ministère parce que là il s’annulerait tout-à-fait.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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401. Paris jeudi le 11 juin 1840
9 heures

Simon est charmant, il vient toujours de bonne heure. C’est un si doux réveil ! La mort du Roi de Prusse fait beaucoup de sensation. Lady Granville a été hier soir à Neuilly, elle dit qu’on est accablé. On dit : " C’était le seul souverain benveillant pour nous. " Et cela est vrai, j’ai éte chez elle en revenant de Boulogne où j’ai fait ma visite de députion. Il y avait tout le dîner de l’autre jour moins Thiers. (Rothschild est furieux contre Thiers pour cette affaire des juifs de Damas.) Les ambassadeurs en masse. A propos M. Molé et moi nous les trouvons bien bêtes tous. Vous verrez que le nouveau règne en Prusse sera en effet bien du nouveau et cela seul est un mal, car tout était bien sous me vieux roi. Pauvre esprit mais droit et juste. Celui-ci beaucoup d’esprit, l’esprit charmant, mais sans règle.
Je suis sûre que les Berry ont envie de vous faire épouser Miss Trotter, mais cela ne m’enquiète pas du tout. J’irai regarder ce qui m’inquiète, ou plutôt je n’y penserai pas du tout, n’est-ce pas ? Comment faire pour arriver sans partir ? J’ai horreur d’un départ, et quand cela est accompagné de mille tracas et désagréments qui sont pour moi seule je suis sûre, il y a de quoi se fâcher beaucoup contre... Voyons ? Contre celui-qui me fait partir, croyez-vous ? La Stafford house me fâche. Il est très vrai qu’ils ont écrit il y a trois semaines à Lady Granville qu’aussi tôt partis ils mettaient Stafford house à Westhill, leur villa à ma disposition. Mais il fallait me le dire à moi, ce qu’ils n’ont pas fait, et ce qui fait que cela ne veut rien dire du tout. En attendant on me dit que je suis très mal campée, il y a beaucoup d’étrangers arrivés ou arrivant cela me sera odieux. Et à Londres je trouverai cela très inconvenant pour moi.
Voilà pourquoi la fin du season m’eut bien mieux convenu à la veille des campagnes. Il me semble que je suis un peu cross, c’est vrai mais c’est par moment ; le fond est de la joie bien grande, bien intime, bien profonde ; de la joie comme la vôtre tout au moins. Le temps est charmant, j’espère qu’il se soutiendra. On continue à parler beaucoup des mutations prochaines dans la diplomatie. Bresson, Pontois, Latour Maubourg, Rumigny tout cela doit faire la seconde edition des préfets. Adieu. Adieu. Il y en aura encore quatre de Paris? Adieu.
Lady Palmerston m’annonce qu’Esterhazy arrive incessamment à Londres, et lors Beauvale. aussi et qu’on va faire les affaires à Londres. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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338. Paris Lundi 6 avril 1840,
9 heures

J’avais oublié de vous dire que samedi 4 j’ai été chez mes pauvres. Eh bien, là même, mon guignon me poursuit. Je m’étais attachée à eux, à ces quatre petits enfants. La mère vient à moi bien joyeuse me dire qu’elle part elle et tous les enfants après demain pour l’amérique. Je ne puis pas me chagriner de ce qu’elle regarde comme un bouheur, mais moi, je perds encore cet intérêt au moment où je commençais à m’y attacher. Et voilà comment tout m’échappe. Je vous ai écrit hier, je ne dérange pas pour cela notre ordre établi. M. de Pogenpohl est venu me voir un moment avant ma sortie. Je ne me suis point promenée, le vent était très aigre. Je suis allée chez Mad. de Talleyrand qui m’avait mandé qu’elle était malade dans son lit. J’y ai trouvé ses enfants. Elle me demande si je suis d’un diner chez la Redorte et si je sais qui y dîne. Je dis : "Mad. la duchesse de Talleyrand et M. Thiers. " "M. Thiers !!!! est-il possible êtes-vous bien sûre ? Comment ? M. Thiers, me faire rencontrer Mr Thiers mais c’est trop fort. " Enfin toute la comédie. Comme elle a vu à mon regard que je ne croyais ni à son étonnement ni à son désespoir, elle m’a confié après les enfants partis, qu’elle le savait en effet ; mais qu’on ne l’en avait prevenue qu’après lui avoir fait prendre l’engagement d’y venir. J’ai dit : "Mais c’est bien perfide ou bien sot à votre amie Mad. d’Albufera.
- Mais oui, elle est une sotte. Cependant que voulez vous ? Faire un éclat maintenant, n’y pas aller mais ce serait me brouiller avec Thiers.
- J’ai cru que vous l’étiez depuis deux ans ?
- C’est vrai nous ne nous sommes plus vus depuis la mort de M. de Talleyrand. Mais la Duchesse d’Albufera m’a dit
que vraiment maintenant qu’il est un homme si important. Elle trouvait qu’il valait beaucoup mieux que je saisisse une occasion de me rapprocher de lui. Que lui d’ailleurs le désire vivement. Il a demandé à M. de Bacourt de mes nouvelles enfin il fait toutes les avances & & "
Je ne puis pas continuer. C’est trop shabby, trop pitoyable. Au bout de tout cela, elle me supplie de ne pas parler de ce dîner, de n’en pas faire une plaisanterie de salon. Je lui ai répondu que comme il devait se faire, comme on le saurait, comme on savait le brouille depuis deux ans elle devait se résigner à apprendre qu’on en riât, sans que je m’en mêle. Elle me dit : " Après tout, je puis être malade. je puis être dans mon lit? Je l’ai regardée en riant, et je lui ai dit: "Non ma chère duchesse, vous ne serez pas malade."
Enfin je ne lui ai pas laissé la plus légère espérance de m’avoir donné le change après cela, elle me confia qu’après
son retour d’Allemagne à Paris, elle ira passer l’hiver en Italie, et elle me propose voyage et aménagement commun avec elle l Bien obligée, rien de commun, avec Mad. de Talleyrand. Je vous ai conté longuement cette pauvreté.
J’ai eu à dîner hier la Princesse Wolkowsy pour la dernière fois car elle part pour la Suisse. J’ai été ensuite chez les Appony qui m’avaient beaucoup prié de venir à la suite d’un dîner intime qu’ils donnaient à Thiers, l’idée de lui donner un dîner intime. J’avais dit, mais donnez donc grand dîner officiel, c’est bien plus convenable et commode : [de vibur est loflet éutd]. Vraiment ce sont de droles d’Ambassadeurs
et bien donc voilà, M. & Mad. Thiers, Mad. Caramau, les Brignoles, [Rumpf], Médem, la petite Princesse Solkovitz. Médem s’était échappé. J’ai trouvé la société endormie. Thiers s’est réveillé, il est venu s’établir auprès de moi. Il m’a raconté l’Angleterre, à Naples. Il n’en revient pas. La menace sous huit jours que Stopford s’y présente avec la flotte, c’est bien fort. Nous avons encore parlé Orient, toujours dans le même sens. Il n’y a pas moyen de faire des variantes la dessus, vous ne pouvez pas. D’où vient qu’on ne veut pas comprendre cela à Londres. Il m’a parlé de vous, de tout son contetement. Il va vous envoyer le grand cordon de la légion d’honneur je lui ai trouvé l’air triste. Les convives ensuite m’ont dit, qu’il l’avait été excessivement à dîner. A propos de lui, Mad. de Talleyrand m’a dit qu’elle tenait de M. Cousin le récit de ce qui s’est passé au conseil chez le Roi Mercredi dernier au sujet du départ de M. le duc d’Orléaans. Thiers ne voulait pas qu’il partit ; le Roi soutenait le contraire; et Thiers aurait été si dur et si impérieux et si insolent, que deux Ministres ont eu pitié du Roi, et s’étant rangé de son avis le départ a été arrêté. Cousin était l’un des ministres.
Autre anecdote.
Le Maréchal va assez souvent chez le roi. Thiers en a demandé raison au roi, et le roi aurait nié les visites. Voilà, de Mad. Talleyrand, après Appony, j’ai été chez Lady Granville et après elle [chez] Castellane. M. Molé a vraiment l’air bien déconfit. C’est même drôle. Il m’a demandé si vous voyiez M. de Brünnnow, j’ai dit que je n’en savais rien. Ah, je reviens à Thiers ; sur l’Orient il me dit : " Si on nous pousse à l’isolement, eh bien nous ferons."  J’ai dit : " Comme disait Cousin ? "
"Oui, il faudra bien, mais avec la différence que cela sera tout naturel, et sans le proclamer! "
- Le fait sans la menace ?
- C’est cela. "
Brignoles a été chez le Roi avant hier. Il l’a trouvé excessivement accablé, triste disant : "Vous le voyez je ne suis plus rien, rien du tout." Un ambassadeur là eut l’air bien abatu. Je vous écris énormement ne trouvez vous pas ? Je vous raconte les autres ; si je vous racontais moi ce qui se passe en moi, dans mon cœur, je serais bien plus longue.
Je suis à Londres sans cesse, je n’ai pas cru que j’y serais tant. On ne se connait jamais tout-à-fait.
Adieu, j’attends une lettre. J’attends aussi Verity, je vous l’ai dit, je ne suis pas bien. Ecrivez-moi de douces lettres, cela me vaudra, encore mieux que Verity.
Votre déjeuner de cuisine me parait un peu fort, et quand viendront les grands dîners ce sera bien autre chose. Pourquoi donnez-vous d’emblée un dîner aux Cambridge, avez-vous dîné chez eux ? Je ne me rapelle pas. Les Londonderry ne me paraissent pas devoir y figurer, ce serait bien plus que d’aller chez eux à un bal et puisque vous ne croyez pas devoir faire cela comment les inviter chez vous à dîner, cela est trop fort. Il me semble que vous n’êtes pas encore assez orienté sur la valeur morale d’un diner en Angleterre. Et savez-vous qu’en général il faut une longue pratique de ce pays pour se retrouver dans toutes les nuances des usages, des personnes, apprécier toute la portée et les conséquences de choses qui paraissent très peu importantes au premier coup d’oeil. Je vous aurais été utile pour cela ; Je voudrais bien que vous [m’usiez] à mieux de l’être d’ici ; et c’est facile, quatre jours pour question et réponse. Vous vouliez le faire, vous avez oublié.
Adieu. Adieu, une quantité de fois.
Fini à l’heure. La lettre n’est pas venue.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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395. Londres, Samedi 13 juin 1840

Voici la dernière. Dans sept jours, nous serons ensemble et vous n’aurez plus de tracas. Il est vrai que vous n’y êtes pas propre du tout. Vous ne me dîtes pas si vous avez décidément pris votre compagnon de voyage. C’est un personnage bien mystérieux. Dois-je être inquiet aussi ? Je fais réparation à votre sagacité. Vous avez deviné juste sur Miss Troller ; si juste que l’insinuation m’a été faite, sur la place même. Je voudrais bien savoir ce qui vous inquiète. Vous me le direz, n’est-ce pas, si vous ne l’avez pas oublié, cinq minutes après m’avoir vu.
Je rabâche. Je ne comprends pas les Sutherland. Mais je trouve aussi que puisqu’ils l’ont écrit à Lady Granville, vous auriez pu, et vous pourriez peut-être encore sans atteinte à votre dignité, prier Lady Granville de leur demander, de votre part, si en effet, ils peuvent vous recevoir dans Stafford-House, en leur absence. Savez-vous qui manque dans les relations de cette sociélé-ci, dans les plus amicales ? La simplicité, la facilité, la rondeur. Tous les mouvements sont lents et raides. Les meilleures gens, les meilleurs amis ne savent pas se donner l’agrément de leur bonté et de leur amitié.
Je n’ai pas envie de vous donner des nouvelles. Il n’y en a pas, et je n’en ai pas envie. Je vous en donnerai quand vous serez ici. On ne parle que de l’attentat. Pour dire vrai, d’Oxford plus que de l’attentat. La badanderie est aristocratique aussi bien que démocratique. On est curieux des moindres détails sur ce malheureux. Est-il beau ? A-t-il de l’esprit ? De quelle couleur sont ses yeux ? C’est précisément là ce que veulent ces imaginations perverties, un théatre, un public, grandir et paraître au soleil, eux petits et obscurs. Il faudrait avoir assez de sens et de gravité pour ne pas leur donner ce qu’ils cherchent. Les personnes qui suivent l’affaire disent qu’il n’y a que deux choses sûres, c’est qu’il n’est pas fou, et qu’il n’est pas seul.
On me dit ici, sur le nouveau Roi de Prusse, exactement ce que vous m’avez écrit. Tout le monde, se promet beaucoup de lui ultras et libéraux. Tout le monde, sera déçu. ce qui me paraît clair, c’est qu’il est faiseur et n’aura pas la politique négative, et expectante de son père. Il faut que jeunesse se passe, celle des rois comme toute autre. Adieu. Adieu encore une fois. Je n’ai rien à vous dire. Je dirais trop ou trop peu. Adieu. Enfin.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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337. Londres Mardi 7 avril 1840
10 heures

Je reviens à votre colère. Je suis très perplexe. J’ai envie d’être content et faché, de vous remercier et de me plaindre. C’est bien tendre, mais bien injuste. Comment ? parce que dans mon ignorance fort naturelle sur trente dîners, j’en aurai accepté un à tort. Londres m’a déjà gâté, je suis descendu dans votre opinion, Dieu sait si je ne reviendrai pas à Paris un mauvais sujet ! Non. Dieu ne le sait pas et bien certainement il ne le croit pas ; il n’est pas si pressé que vous de mal penser de moi. Tenez, je me fâcherais si vous n’aviez pas mis à côté de cela des paroles excellentes, charmantes. Mais, je vous en prie gardez-moi avec la même sollicitude, sans me croire si facile à la chute. Je vous dirai nullement pour l’intérêt de la comparaison, mais pour celui de la vérité que Sully était un fort mauvais sujet, fort grossièrement mauvais sujet et que si les Miss Harriet Wilson de son temps avaient fait des mémoires, il y aurait figuré.
J’ai été hier soir chez les Berry. Ceci est convenable, j’espère. Je ne les avais pas trouvées l’autre jour et elles m’avaient écrit une lettre désolée. Il y a toujours quelques personnes. Elles partent, le 1er mai pour la campagne Richmond où elles m’ont fait promettre d’aller dîner. Je veux y aller une fois tout seul, et voir votre maison. Bourqueney est parti ce matin, par la Tamise. Il va lentement et ne sera guère à Paris que vendredi. Il ira vous voir d’1à 2. Il est très intelligent et très sûr. On l’aime ici. Je ne sais pas encore comment je le remplacerai par interim. Peut-être par Casimir Périer. Peut-être simplement par Philippe de Chabot qui est ici, bien établi dans la société et qui me plait.

4 heures et demie
J’attendais ce qui m’est arrivé ce matin, le 337 et je l’attendais tel qu’il est bien bon, bien tendre et plus dans le vrai que le 336. Oui, vous aviez raison au fond, très raison, mais pas dans la mesure. Vous voyez dans la chose plus de mal et en moi plus de tort qu’il n’y en avait. Car je n’ai eu moi, que le tort de ne pas savoir. J’aurais dû vous dire cette invitation. J’ai toujours tort quand joublie de vous dire quelque chose. Mais au nom de dieu et pour moi, pour mon repos et mon bonheur ne vous laissez pas aller jamais, jamais au désespoir de votre imagination. Vous avez des paroles qui me font horreur et terreur.
Et je sais dans quel état vous êtes quand ces paroles là, viennent sur vos lèvres; je vous y ai vue. Vous me devez, oui vous me devez deux choses plus de confiance et moins de tristesse. Vous me devez qu’à côté de vos alarmes se place toujours une certaine sécurité, à côté de vos peines un certain baume doux et fortifiant. Je ne prétends pas vous faire rien oublier ; je ne prétends pas bannir toute crainte de votre âme si ébranlée. Mais je vous aime trop vous le savez trop bien, et vous devez me trop bien connaitre pour que le doute et le désespoir entrassent jamais dans votre cœur. C’est là ce qui me désole, c’est là ce qui m’offense. Que vous ayiez de bien mauvais de bien amers momens hélas, je ne puis l’empêcher et de loin bien moins encore. Mais que ma pensée, était toujours là ; appelez la comme vous m’appelleriez. Dearest je ne vous dis rien, rien en ce moment de ce que je voudrais vous dire. Mais si vous saviez comme mon cœur est plein de vous et quelle place vous tenez dans ma vie ! Voici mes engagements du moment; ils sont peu nombreux, à cause des vacances de Pâques qui suspendent tout. Je ne vois que des gens qui vont partir pour la campagne. Aujourd’hui, la Duchesse de Sutherland. Demain, Lord Clarendon. Jeudi, M. Hallam. Samedi, à déjeuner M. Senior, membre des Communes avec l’archevêque de Dublin. Dîner, chez l’évêque de Londres, Dimanche, dîner chez Ellice. Il n’y a dans tout cela, ce me semble rien que de très orthodoxe. Ellice ne part que le 15.
J’ai le mercredi 15 chez moi un dîner savant les lords Landsdowne, Aberdeen, Northampton, Mahon,MM. Macalllay, Hallam, Milman, Reeves, Sir Robert Inglis, Sir Francis Palgrave, Sir Henry Ellis, le poète Rogers, MM. Senior, Milnes. Je rends les politesses littéraires.
Soyez tranquille sur mes réceptions du matin. Très peu. J’ai reçu M. Sidney Smith, d’abord parce que je lui croyais un peu d’importance dans le monde, ensuite à cause de Lady Holland qui m’en avait beaucoup parlé. Mais mon instinct m’avait dit de lui ce que vous me dites. Rien ne me plaît moins que les prêtres bouffons. Je vais à la Chambre des Communes, pour la première fois. C’est la Chine. Adieu jusqu’à demain. Oui jusqu’à demain sans interruption.

Mercredi 9 heures
En entrant dans la Chambre des Communes, j’ai été saisi charmé, presque impose par cette extrême simplicité ce grand parloir, ces murs de chêne ce plafond de chêne, ces bancs de chênen, rien absolument rien que des hommes discutant entre eux les affaires de leur pays et les discutant depuis des siécles ; le pouvoir et le temps pour toute grandeur! De ces deux mots gouvernement représentatif, on dirait que nous avons pris la représentation et les Anglais le gouvernement. J’ai écouté. Mes oreilles n’ont pas été aussi frappées que mes yeux. Entre nous, bien entre nous, ce que j’ai entendu est très médiocre, long, sec, froid, commun. Je suis sorti à 7 heures et demie pour aller dîner à Stafford house, avec ce Dr. Arnold qui avait fait 80 milles le matin pour venir dîner avec moi, et qui les refait aujourd’hui pour retourner chez lui. Il m’a paru un homme fort instruit et d’un esprit européen. Je suis retourné aux Communes à 10 heures et demie. J’avais manqué M. Macaulay qui a bien parlé,.Ses amis, s’en félicitaient beaucoup. Il avait besoin d’un succès. Il l’a eu.
J’irai encore aujourd’hui. J’espère entendre Lord Palmerston et Sir Robert Peel. J’ai écouté bien plus attentivement que personne. On écoute bien peu. Et Lord John Russell, qui dînait à Stafford house, prétend que depuis longtemps, il n’avait pas vu la Chambre si attentive.

2 heures
Merci du 338. Jamais trop long. Et si au lieu de me parler de tout, vous ne me parliez que de vous, je le dirais encore bien plus fort. Dites-moi donc tout vous. Toujours le 1er juin, n’est-ce pas ? C’est bien convenu. Je ne comprends pas comment à 1 heure, vous n’aviez pas ma lettre. Elle vous sera certainement venue dans la journée. Je suis tenté de croire que vous avez raison sur le dîner donné d’emblée aux Cambridge. Je n’ai pas encore diné chez eux. C’était l’avis de Bourqueney. Décidément je n’accepterai ou
ne donnerai aucun dîner, sans votre exequatur. M. de Brünnow est venu chez moi hier. Je lui rendrai bientôt sa visite. Il est vrai qu’on se moque un peu de lui. C’est un subalterne. Il se confond avec moi en politesses.
Il se remue beaucoup, et gauchement. Neumann est préoccupé des Affaires de  Naples. Mais on croit que le Roi cèdera. Il n’y aura plus d’affaire. Il est bien vrai que le Roi avait promis l’abolition du monopole. Les Italiens en conviennent. Mais des intéressés dans le monopole ont intéressé le confesseur du Roi, qui lui dit à son pénitent qu’il ne pouvait en conscience abolir le monopole sans donner à la compagnie une indemnité. L’avarice et la conscience ont ainsi pris parti. De là toute la résistance.
Mad. de Talleyrand m’amuse. C’est bien elle. Mais il faut faire ces choses là tout simplement le front levé. L’embarras ne sied point à l’interêt personnel. Il doit être brutal, sûr de son fait, froid et ironique envers ceux qui s’étonnent de ses revirements. Je vous quitte pour écrire au Duc de Broglie ; s’il parle à la chambre des Pairs, j’ai envie qu’il parle d’une certaine manière. Savez-vous la principale cause de l’embarras ici ? On a beaucoup et en ayant peu pensé. On ne sait que faire de toutes les idées, de toutes les difficultés, de toutes les faces de la question qu’on entrevoit à présent. Le siège était fait voilà mon grand adversaire. L’arrivée du Turc ranime un peu la question. Nous allons recommencer à en parler. Pourtant ce qu’il y a toujours de plus probable, c’est qu’on parlera longtemps. Je suis très convaincu de l’état des esprits en France et je travaille de mon mieux à propager ma conviction.
Adieu. Estce que vos pauvres sont irremplaçables ?
Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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397. Londres, Mercredi 17 juin 1840

Je vous ai écrit hier à Douvres au Ship Inn, pour vous dire mon déplaisir de samedi. Je présume d’après le 405 qui m’arrive à l’instant que vous ne partez de Paris qu’aujourd’hui mercredi, car vous ne mettrez pas plus de deux jours pour aller à Boulogne. Vous trouverez donc à Douvres que je suis obligé d’aller samedi déjeuner à Southampton, par le rail-road, pour célébrer la conclusion du rail-road de Paris à Rouen ; affaire que j’ai traitée et qui m’a mis très bien ici avec ce monde là. Ils font un grand banque t; le Duc de Sussex, Lord Palmerston & y vont. Je ne pouvais refuser. C’est l’union de Londres et de Paris. Je reviendrai de Southampton entre 6 et 7 heures. J’irai dîner chez le Sir John Hobhouse. Je compte bien trouver un moment pour vous voir, soit entre mon retour, et le dîner, soit après le dîner. Mais le samedi, ainsi employé n’en est pas, moins un immense ennui. Si donc vous arrivez à Londres le Vendredi, je vous verrai en arrivant de Windsor, et tout le soir. Si vous n’arrivez que le Samedi, je ne vous verrai que tard ce jour là et bien peu. Faites pour le mieux, sans vous harasser de fatigue.
En tout cas, faites-moi dire tout de suite à Hertford House que vous êtes arrivée et où vous êtes. Car je n’en sais rien. Je regarde sans cesse au temps. Il y a eu du vent cette nuit ; il est tombé ce matin. Le saleil est beau.
Adieu. Adieu. Moi aussi, je serai bien content. J’ai souri en lisant: " Que Windsor va vous plaire ! " Croyez-vous que la Reine Victoria sera aussi bonne pour moi que l’était pour vous George IV ? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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339. Paris, Mardi 7 avril 1840.
9 h 1/2

Mad. de Castellane m’a fait une longue visite hier matin, toute remplie de papillonage, assurément elle gazouille très agréablement, mais elle ne me plaît pas du tout. Je n’aime pas ce qui n’est pas réel. Et puis, je m’en vais vous dire ce qui est bien présomptieux de ma part. Je ne lui trouve pas assez d’esprit ; je vous le prouverais si je vous racontais hier. Elle s’est coupée, elle a dit des bétises, des mensonges, le tout par embarras, je suppose. Enfin, elle me parait en cela ressembler beaucoup au portrait que vous me traciez hier de M Molé et qui est admirable, je supprime les bétises dans la ressemblance, car il n’en dit pas. J’ai vu Lord Granville hier matin. Il avait été chez le Roi la veille. Il a été frappé de son changement, courbé, abattu, le son de voix faible ; il est évidemment très affecté de sa situation. Lord Granville ne sait pas un mot des souffres, on ne lui en a pas dit un mot de Londres. Il s’étonne de ce qui se passe à Naples si ce qu’on raconte est correct ; mais il est convaincu que M. Temple ne peut pas avoir fait de sa tête et que cela doit lui avoir été prescrit par son frère. En même temps c’est bien singulier ! Thiers a dit à Granville, en plaisantant je suppose : " Et bien, prenez la Sicile, nous prendrons Naples, on peut s’arranger."
Il me parait que si la menace de l’Angleterre pouvait être suivie de geste, il y aurait un cri général de tous les cabinets contre cela, car vous voyez bien que déjà la menace peut provoquer des soulevements dans ce pays contre l’autorité. Où cela ne peut il pas mêner !! Vraiment, vraiment les affaires de ce monde vont drôlement.
J’ai marché au bois de Boulogne un peu ; tristement ; seule ; j’ai dîné seule. J’ai vu le soir M. Molé, le duc de Noailles, les Dino, d’Ossuna, M. Jaubert. Le premier et le dernier ne se sont pas rencontrés. Jaubert et Noallles ont causé ensemble pour la première fois de leur vie. Il nous plaît beaucoup M. Jaubert. Ses manières, son langage, tout est bien, je voudrais bien qu’il revint chez moi souvent. Il est encore un peu effarouché. Je voudrais l’apprivoiser, et je voudrais qu’il sût qu’on peut causer avec moi. M. Molé m’a dit que Thiers négociait avec le gouvernement Anglais la translation du corps de Napoléon en France. Est-ce vrai ? Molé dit que ce sera un moment de grande émotion ici ; qu’il ne juge pas lui même que cela remue beaucoup politiquement, cela produirait de l’exaltation belliqueuse, et si l’à propos ne venait, cela ne manquerait pas son effet. Mais faut-il cela ? 
Sur l’Orient, M. Molé est absolument du même avis que Thiers, et l’un et l’autre dit : "Cela a été mal commencé, mais au point où l’affaire est venue aujourd’hui il ne peut pas y avoir deux opinions en France."

Midi Je m’apperçois que je ne vous ai pas accusé réception du 335, autrement que par l’allusion à l’un des passages de cette lettre. Je l’ai eu après avoir mis la mienne même à la poste. Il me semble que j’ai de vos nouvelles bien rarement. Un jour passé sans lettre est un triste jour ! Est-ce que je vous ennuye en vous redisant cela ? Je vous dis que, de près, j’étouffe de tout ce que j’ai à vous dire, de loin, de tout ce que je voudrais vous dire. Ah, que ma vie est mal arrangée ! Pourquoi ne sommes-nous pas ensemble ?  Dites-moi bien tout, tout ce que vous faites. Encore une fois votre programme ; et encore une fois, ne vous prodiguez pas trop ; vous ne savez pas tout ce qu’on gagne à cette économie là. Je suis savante à ce métier, pas de petite gens. Il faut bien du tact ; il faut presque de l’instinct pour discerner dans les premiers moments d’un séjour dans un lieu tout nouveau, mais soyez certain qu’en cas de doute sur ce point là on gagne tout à s’abstenir. Il y a tant de grandes existences sociales, politiques en Angleterre. Tenez-vous à cela. Croyez-moi, le reste ne peut jamais ajouter à votre popularité, et dans beaucoup de cas il lui nuerait. Je ne vous ai jamais rien dit avec autant de certitude de dire vrai. Je mets à part la science. Ah celle là vous lui devez du exceptions !
Savez-vous que j’attendrai votre lettre demain avec une certaine inquiétude. Je vous a écrit samedi vivement ; je me sentais blessée vivement, pour vous, pour moi. Il se peut que j’aie trop abandonné ma pensée ; si vous vous étez fâché, j’en serais bien triste. Il est impossiblé cependant que la réflexion ne vous montre pas tout ce qu’il y a de tendresse, d’affection dans le fond de ce que je vous ai dit. Qu’est-ce que tout cela me ferait si je ne vous aimais pas beaucoup, beaucoup ? Je me suis séparée de vous avec une profonde tristesse, vous l’avez vu. Vous n’avez pas vu qu’a cette profonde tristesse se mêlait une inquiétude vague. Je dis vague, car je la repoussais, et je n’osais pas l’exprimer. Il me semblait que vous la dire était vous faire une injure. Et quand je vous regardais votre regard très ignorant de ma pensée la dissipait tout de suite. Voilà comme j’ai passé quatre semaines avec vous. Cette même inquiétude me poursuit depuis votre départ, et je n’ai plus votre regard pour la calmer ; et cet abominable diner est venu me surprendre, au milieu d’une triste, affreuse journée, et j’ai prié Dieu avec ferveur, oui avec ferveur, de me retirer à lui avant-ce dernier malheur.
Voilà Samedi !
Vous voyez que ma santé est dérangée. Vérity vient tous les jours. iI n’y peut pas grand chose. Pour se bien porter, il me faut ni aimer, ni penser, ni se souvenir.
Puisque je vous parle médecin, je puis bien vous parler médecine et à ce propos vos pillules et vos allumettes m’ont divertie royalement. Savez-vous qu’à chaque mot de vos lettres je sens que nous nous disons bien peu. Vous me comprenez surement.

Mercredi 8
Il y a cinq ans aujourd’hui que j’ai quitté Petersbourg pour toujours ; tous ces jours, tous ces instants sont si remplis de souvenirs si affreux. 
Hier Mad. Appony m’a fait une longue visite. J’en ai fait à Mad. de la Redorte qui est toujours bien malade, Mad de Talleyrand est encore couchéée. J’ai dîné chez Granville avec les Sébastiani ; je m’y suis préfondement ennuyée. Je suis rentrée de bonne heure. J’ai vu chez moi, Médem, Pahlen, Katzfeld, la Princesse Razoumowsky et Lobkovitz. Je n’ai rien à vous conter de toute cette journée. Je n’ai rien appris, je n’ai rien demandé. Je suis triste, courbée, comme le Roi.

1 heure
Je viens de la recevoir votre lettre. Le cœur m’a failli en l’ouvrant. Et j’ai fondu en larmes en la lisant, en lisant la fin. Des larmes de tendresse, de reconnaissance. Vous êtes
si doux, si bon, si indulgent, car j’avais été vive, mais vous avez si bien compris pourquoi. Vous avez l’esprit bien grand, bien haut. Jamais votre supériorité ne m’a autant frappée qu’aujourd’hui. Vous ne savez pas tout ce que vous venez d’ajouter à ce qu’il y avait pour vous dans mon cœur. Ah, si je pouvais vous le dire, vous le montrer ! Vous seriez content. Votre dîner avec O’Connel est curieux, dans votre histoire comme dans la sienne. Votre description est un chef d’oeuvre. Que vos lettres sont charmantes, et  que je suis pressée de n’en plus recevoir ! N’est-ce pas ?
Adieu ; ah que d’adieux aujourd’hui, si vous étiez là. Merci, adieu, merci. Je relirai souvent cette lettre.
Adieu.
Il faut songer à prier pour votre dîner du 1er de mai, car beaucoup de gens vont à la Campagne pour les vacances de paques, & il vous faut leurs réponses avant les vacances afin de la les remplacer au cas de réfus. Ayez soin de mettre sur les cartes si elles sont anglaises "to celebrate His Majesty the king of The French’s name’s day." Ce qui veut dire qu’il faut venir en uniforme.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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409. Douvres, dimanche 21 juin 1840
6 heures du soir

Je débarque dans ce moment après une traversée assez bonne. Je suis restée quatre heures comme une morte ; mais me voici, me voici et demain à Londres ! J’espère que j’y serai entre quatre et cinq heures. Je demeure à Dover street 36. C’est ici que je l’apprends. La seule rue de Londres que je fuis à cause de mes souvenirs, c’est là où l’on m’arrête un logement ! Vous ne savez pas ce que cela me fait éprouver. Je changerai mais il faut commcer par y descendre parce qu’il me faut bien un gîte. Ah ! L’Angleterre est triste pour moi, par ce côté-la ! Mais je veux penser à ce qui réjuit mon cœur et non à ce qui l’attriste. Envoyez à 4 heures, un de vos gens savoir si je suis arrivée ; car je n’aurai personne à vous envoyer. Je ne sais cce qu’est cette maison, et moi Je n’ai qu’un courrier. Adieu. Adieu. Il faut que je mange et que je me repose. Adieu pour la dernière fois de cette pauvre façon. Adieu !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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338. Londres Jeudi 9 avril 1840
8 heures et demie

Hier, à dîner chez Lord Clarendon, Lord et Lady Landsdowne, Lord et Lady Holland, Lord et Lady Tankerville, Lord John Russell, Ellice, deux ou trois inconnus. Nous avons eu une petite scène. Lord Clarendon a fait monter dans le salon un tableau qui lui arrivait de Madrid et dans lequel une figure de Moine ressemblait vraiment beaucoup à Lord Holland, à ce point qu’à Madrid Charles Fox s’était recrié en la voyant. Lady Holland s’est fâchée, d’abord tout haut, puis tout bas avec Lord Clarendon. "I’m angry, truly angry take away that picture so ugly, so disgusting a friar."
Il y avait quelque chose de vrai dans ce courroux conjugal. Mais la fantaisie y était plus grande que la vérité, surtout l’envie que sa volonté fût faite sur le champ, qu’on écartât d’elle ce petit déplaisir. Lord Clarendon s’est bien défendu, surpris d’abord, puis un peu fâché à son tour et obstiné. Lady Holland a insisté mais habilement mêlant la caresse à la colère et d’une voix douce quoique les regards toujours fort animés. Lord Clarendon a un peu cédé à son tour sans fuir, et la querelle a fini par une transaction de juste-milieu ; le tableau est resté dans le salon, mais retourné contre le mur. J’admire toujours la part immense de la comédie en ce monde, toujours avec une petite dose de vanité. A dix heures et demie je suis retourné à la chambre des Communes ; mais le débat était très ennuyeux. Personne d’important. Sir Robert Peel, et Lord Palmerston parleront probablement aujourd’hui pour finir. Hier soir, plusieurs ministériels m’ont paru inquiets ; ils m’ont dit: " Le champ de bataille nous restera, mais tout juste." Cela ne me fait pas cette impression là. Il est vrai que je n’y entends rien. Les dehors ici sont si froids, même quand les résolutions sont passionnées. Des charbons sous la neige. En sortant, j’ai été chez Lady Palmerston. Il y avait assez de monde. Elle était évidemment très préoccupée de la Chambre. Elle allait et venait très empressée, très polie cherchant, partout à qui parler et parlant pour se distraire, sans y réussir. J’étais chez moi à minuit. Les Holland retournent samedi s’établir à Holland house. J’ai promis d’y aller Dimanche soir et dîner le Dimanche suivant. Aujourd’hui le Drawing-room à 2 heures. Je n’aurai pas le temps de vous en dire un mot, en revenant. On dit qu’il durera au moins trois heures. La Reine n’en a point tenu depuis son mariage. retourné contre. Il y aura des présentations sans nombre.

Midi et demie
Vous dites que nous avons parlé un mois de l’Angleterre et que vous ne m’avez rien dit. Vous ne m’avez pas dit tout ce que j’avais besoin de savoir, temoin Mad. Maberly. Mais vous m’avez dit immensément et ce que vous m’avez dit m’est d’une immense utilité. Je vous rencontre, je vous reconnais à chaque pas. Vingt fois par jour, j’ai à faire usage d’une indication d’un conseil de vous. C’est charmant. Je ne connais rien, presque rien (pour dire bien vrai) de plus doux que la reconnaissance, petite ou grande, quand on aime beaucoup. Je m’y complais infiniment.
J’ai reçu hier matin beaucoup de visites de celles que vous permettez, Bülow, Hummelauer, Pollon, & M. de Bülow est très soigneux pour moi, et bien aussi, je crois, pour les choses. Le Roi de Prusse a une idée fixe, l’accord des cinq Puissances pour la surété de la paix. Nous ne demandons pas mieux ; mais nous avons aussi nos points fixes. Il paraît du reste que vous êtes de votre côté, infiniment plus doux, fort amis aussi de l’union des cinq Puissances. M. de Pahlen l’a beaucoup dit en passant à Berlin. Vous abondez beaucoup moins dans l’idée de nous pousser à l’ésolement. Mon langage quant à l’isolement est celui-ci : il nous déplaira ; il a de l’inconvenient pour nous ; c’est un embarras dans notre situation. Mais l’embarras, l’inconvénient sont surtout pour le premier moment dans le premier effet. Tandis que de l’autre côté les embarras iront croissant et finiront par devenir des périls. Quand une fois les positions seront prises, nous serons spectateurs les autres acteurs : à nous, la critique ; aux autres les affaires et la responsabilité. Or ces affaires là seront très difficiles, d’un succès très incertain, et d’un avenir très inconnu.
Voilà une Hypothése. L’autre, celle d’un accommodement entre les cinq, par des concessions réciproques du Sultan et du Pacha me paraît toujours la plus probable. Mais la solution n’est pas mûre. Le temps y conduit. J’aime donc le temps. Je ne fais rien cependant pour le gagner. Je le laisse venir. J’ai vu aussi entrer hier Charles de Mornay qui passe par Londres en retournant à Stockholm. Il est devenu bien lourd. Je le mènerai demain à Lord Palmerston. Je suis dans une grande incertitude. Il faut que je vous quitte pour faire ma toilette. Fermerai-je ma lettre et la donnerai-je à M. Herbet pour la poste avant de monter, en voiture ? Ou bien attendrai-je que je sois revenu du Drawing- room. On me parle de trois grandes heures. Je ne serais donc ici qu’à 5 heures et demie. C’est trop tard. Je ne veux pas risquer qu’une lettre attendue vous manque.
Adieu. Adieu. Vérity a-t-il vraiment commencé à vous droguer ? J’espère que non. Je déteste les drogues. On ne sait jamais ce quelles feront. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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410. Stafford house samedi 8 août 1840
8 heure du matin

Je ne puis pas dormir, je me lève et j’ai été au jardin. Il y a un brouillard épais et froid un temps anglais bien triste, triste comme moi. J’ai vu hier lord Harry Vane longtemps. Homme sensé voyant les choses comme elles sont sans passion. Il regrette la querelle de personnes et trouve que les journaux français ont été maladroits sur ce rapport. Le discours de lord Palmerston avant-hier a eu du succès à la chambre du commerce. On l’a trouvé clair et satisfaisant. Lady Clauricarde prétend que M. de. Brünnow n’en est pas content quant à la partie qui nous regarde. J’ai vu Munchhausen, des bêtises. Lady Palmerston, très sereine, très contente. Les Russes ne disant et ne sachant rien. J’ai dîné trois avec lord & lady Clauricarde. Le soir la promenade en calèche avec elle, et je me suis couchée à 10 1/2. J’ai pu dormir. J’ai oublié hier, la duchesse de Bedford (régnante) et lady William Russell. La première était évidemment venue pour me sonder et apprendre si je connaissais la Reine des Belges. Ils arrivent ce matin, Il y a une soirée pour eux lundi, et mercredi la cour s’établit à Windsor. Lady William Russell dit qu’on est de bien mauvaise humeur à Holland house. Depuis que je sais Louis Bonaparte arrêté je suis plus tranquille.
Personne ici ne croit à votre retour. Moi je ne crois à rien dans le monde qu’à une seule chose.
Midi. Je me sens bien nervous aujourd’hui, plus que de coutume. Le brouillard est dissipé la chaleur est venue, elle ne me réchauffe pas.

1 heure
Je viens de recevoir votre petit mot de Calais. Je serais bien curieuse, bien anxieuse de celui que vous m’écrirez d’Eu. J’ai eu une longue visite de Benckhausen. Mes fils sont en règle. C’est la loi. Je suis charmée, Benckhausen affirme qu’à la cité personne ne croit à la guerre et qu’on pense que le Général français a fait toutes ces démonstrations pour pouvoir en jouir plus dignement. S’il en était autrement nous avons 28 vaisseaux de ligne à Cronstadt qui peuvent être ici dans 8 jours, et 14 à Sébastopol qui peuvent aller rejoindre la flotte anglaise dans le Levant, voilà les dires de la cité, et on est parfaitement tranquille. Je voudrais être calme et me bien porter, mais cela ne va pas M. de Bourqueney n’est pas venu me voir, je le regrette. Je suis assez seule et cela ne me vaut rien. Adieu. Adieu. J’ai une horreur d’écriture. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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340 Paris, jeudi 9 avril 1840 10 h1/2

Appony m’a fait une longue visite hiers la dépêche télégraphique annonçant que M. Temple avait envoyé des ordres à l’amiral Stopford préocupait beaucoup l’ambassadeur. Cependant je l’ai trouvé plutôt joyeux. Il m’a fait l’éloge de M. Thiers, il le loue de sa politesse, ce qui ne l’empéchait pas de faire quelque voeux contre M. Berger. M. Molé ameutait beaucoup son monde dans ce vote. Je vois cependant que les moutons sont remis à ce berger.
J’ai fait le tour du bois de Boulogne avec Marion en voiture, on ne me permet pas de marcher par ce temps, car il ne fait pas beau ici. j’ai fait visite à la petite princesse. elle est mieux mais il ne peut pas être question pour elle de départ
J’ai dîné seule. Le soir j’ai été en Appony dernière grande soirée. Toute la diplomatie est en grande rumeur sur l’affaire de Naples. Vous ne sauriez vous faire d’idées du soulèvement. M. Molé est venu m’en parler aussi, disant, qu’il faut s’en mêler, protester au moins.  Que c’est inouï !
Granville m’en a parlé quoique affirmant qu’il n’en savait pas un mot de Londres. Il a cependant dit : "Vraiment il faut mettre à la raison ce petit roitelet." Le propos est fort, mais les Anglais ont le prévilège de l’insolence. Je ne connais pas the merit of the case, mais le procédé Anglais me parait bien soudain et violent, vraiment il me semble difficile qu’on ne s’en mèle pas. Je n’ai entendu parler que de cela hier au soir. J’étais dans mon lit avant onze heures. Comment n’avez-vous pas été encore au parlement ? Les engagements de soirée ne demandent pas un grand respect en Angleterre, on s’en tire par une carte remise le lendemain et si vous attendez une soirée libre vous arriverez au mois de juillet, c’est-à-dire lorsque le parlement finira.
J’avais le cœur plus à l’aise hier. Votre lettre m’a fait du bien tenez le dans ce bon état. J’ai fait prier Génie de venir une voir ce matin. Il y a 10 jours qu’il n’est venu. Il faut que je lui parle d’une chicane qu’on me fait pour mon loyer. Un des grands ennuis du célibat veuvage pour une femme est que tout le monde commence par la croire bête et poltrone. Je veux savoir de Génie si dans le cas présent c’est dans ce sens qu’on me traite. J’ai relu plusieurs fois votre lettre, votre portrait d’O’Connel est merveilleux. Je suis sûre que vous dites vrai. Vos dernières pages sont charmantes, c’est une beaume tout-à-fait. 

Midi
J’allais assez souvent le Dimanche au Zoological garden, mais je n’y allais pas seule ! Je n’y retournerai pas.  Y avez-vous été seul ou en société et avec qui ? Je vous prie de me dire toutes ces choses, tous, tous les détails. Est -ce que je vous en épargne un seul de ma journée ? On ne peut se résigner à l’absence qu’à cette condition là. Je suis bien aise que vous ayez décidé sur Madame de Meulan. Quand comptez-vous faire venir votre famille ? La ferez-vous venir cet été ? Pensez-y bien. Vous m’avez dit que vous viendrez ici à la fin de l’automne. Si vous la faites venir, vous ne me tiendrez pas votre promesse, car vous ne voudrez pas laisser votre mère, et vos enfans seuls en Angleterre. Vous ne voudrez pas leur faire passer la mer dans la mauvaise saison. Examinez bien tout cela, et dites-moi vrai, ne me trompez pas. S’ils sont auprès de vous, vous ne ferez plus avec moi vos visites de moi vos visites de châteaux. Enfin, enfin de quelque côté que je regarde cela j’y vois pour moi de grands mécomptes. Je ne veux pas que votre première pensée soit pour moi, mais je ne veux pas que vous me trompiez. Vous savez que quelques fois, vous l’avez essayé pour m’épargner de la peine et vous savez aussi que cela a toujours mal réussi.
Je vous envoie cette lettre parce que c’est mon jour, mais elle vous dit peu de choses.
Parlez moi de Brünnnow, n’est-il donc pas encore venu vous voir ? Quand vous le rencontrez dans le monde vous parlez vous ? La grossesse de Lady Palmerston si elle est vraie, serait étrange. Elle a mon âge.
Adieu. adieu mille fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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402. Eu, Mercredi 14 août 1840
Onze heures et demie

Je suis arrivé il y a deux heures et je n’ai pas trouvé Thiers ici. Il n’y sera que demain matin, et il demande au Roi de me retenir un jour de plus. Il le faut bien. Je ne serais donc à Londres que samedi, au lieu de Vendredi. Ceux qui ne croient pas à mon retour se trompent. Et vous avez raison de croire à une chose. Toujours. J’avais si bien arrangé tout pour partir demain Et d’ici à mon départ, je n’aurai point de lettre. J’ai peu de satisfaction par l’écriture quand je la vois ; mais quand je ne la vois pas, je la désire beaucoup. Je me suis échappé après le déjeuner. Et voilà que le Roi me fait demander. Adieu. J’ai roulé toute cette nuit sans dormir et sans changer de pensée. Adieu

Le discours de Lord Palmerston aux Communes a fait en France beaucoup d’effet et un bon effet. Le mal est grand, mais non incurable.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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341 Paris le 10 avril vendredi 1840,
10 h 1/2
J’ai eu longtemps chez moi Génie ; un moment M. de Pogenpohl une assez bonne promenade au bois de Boulogne, de la causerie. avec Lord Granville et une visite à la princesse ont complété ma matinée. Lord Granville s’anni sur la question des souffres. Je lui ai dit le cri générai de la diplomat ie, de tout le monde. Il combat cela ; cependant il persiste à dire que personne ne lui en écrit un mot de Londres. Cela est peu croyable il m’a répété hier, qu’il ne serait pas surpris d’apprendre que M. Odillon Barrat entre au ministère sous peu de jours, Votre véritable adversaire comme vous l’apelliez un jour dans la Chambre !
J’ai dîné seule ; après le diner la Princesse Wolkowsky est venue me dire adieu un moment, elle partait dans la nuit. Lord Granville, Brignole, Armin, l’internonce, les de Castellane, M. de Maussion, le Duc de Noailles, le prince d’Aremberg. Voilà ma soirée. Dès que Granville fut sorti, il n’y eut qu’un cri sur l’affaire de Naples dont on n’a pas parlé pendant qu’il y était. Brignole prétend cependant qu’une seconde note de Temple était écrite en termes plus doux, mais le fond reste le même et Stopford va agir, or la première partie de ses instructions vise à vous tout juste, parce que c’est sur des batiments Français que se trouvent chargés les souffres. Voilà une querelle engagée tout de suite. Qu’est-ce que cela va dévenir ? Vous êtes bien prudent. Vous ne me dites jamais la plus petite nouvelle politique. Brignole se plaint d’un redoublement de rigueur envers les prisonniers de Bourges, il a même fait des démarches auprès du ministre de l’intérieur, mais sans effet jusqu’ici. Il parait que Thiers a fait quelques avances à Caraffa dans l’intention que Naples demande l’intervention de la France. Mais Caraffa n’a pas relevé l’affaire. Il n’a aucun ordre à cet égard. Vos ministres étaient hier très préocuppés des nouvelles des départements où la cherté du pain cause quelques émeutes, les préfets demandent des troupes et il n’y en a pas. Le parti conservateur est content du dernier vote. Il prouve que la minorité est très serrée et décidée. On juge que la situation du Ministère est toujours très épineuse. Granville par exemple le pense.
Je ne me mèle pas de vous parler de ce que vous mande Génie mais je le sais un peu. Ce qui me frappe c’est la nécessité que vous ne laissiez aucun doute à vos amis sur votre résolution en cas de chances pour M. Molé. Vous leur devez de les éclairer sur ce point que je crois bien résolu dans votre pensée et avec raison.
A propos, hier un ministre a dit à Granville : "Ces conservateurs sont étonnants ; ils croient bien nous embarrasser par leur motion Rémilly. Et bien vogue la galère, que la reforme électorale nous vienne par là. Il faut bien qu’elle vienne un jour nous l’accepterons. Vous savez bien qu’on parle déjà de dissolution. Faut il que je fasse mon voyage en Angleterre ? 

2 heures
Votre N° 337. Je vous en remercie tendrement. Vous vous êtes fâchés un peu. Un peu plus à la réflexion qu’au premier moment. Moi le premier moment a été plus vif, la réflexion a adouci. Voilà mes petites observations d’aujourd’hui. Cependant c’est presque imperceptible et je ne le vois que parce que je regarde à tout dans ce qui nous regarde avec une minutie qui surpasse encore votre bonne vue. Vous me consternez dans ce qui vous me dites de Sully, j’en restait à son austérité pour son maître, car enfin il est bien vrai qu’il condanmait sa conduite, et je croyais dès lors que c’était un Quaker. Jne crois plus à personne. Mais je croirai à vous; j’y crois. Oui, oui tout-à-fait. Il y a de si tendres paroles dans votre lettre, des paroles si pénétrantes. Votre programme me convient tout-à-fait et je suis bien aise de votre dîner le 15 à la société savante. J’en suis bien aise bourgeoisement. Ce sera une espèce de répétition avant la représentation du 1er de mai. Vous voyez que je me préocupe beaucoup de votre ménage.
Ce que vous au dites de l’impression que vous a faite la chambre des Communes me plait parfaitement, car c’est celle que j’ai reçue moi même. J’ai chargé Marion de la découverte de nouveaux pauvres. Anglais, et enfants ; c’est les deux conditions. On dit que le Roi, qui s’était mis sur le ton de la résignation a passé maintenant à l’état de plainte et de propos très amers contre son Ministère. Il se plaint aussi que son salon est désert ; on ne vient plus ! Vraiment il y a peu de dignité à ce langage.
Je vous dis à tort et à travers tout ce qui me revient, mais toujours de bonne source.

Samedi le 11 avril 10 heures
J’ai fait hier le bois de Boulogne seule. La petite princesse. Le dîner chez La Redorte, un moment de la soirée à l’Ambassade d’Angleterre, et le reste chez Mad. de Castellane pour entendre chanter les Belgiojoso. A diner Thiers seul a parlé et moi un peu ; le passé; il répétait son Consulat et son Empire. Il a eu tort et j’ai eu raison sur un point de l’histoire. La guerre de la coalition était en 1798, et il la voulait en 99. Elle a fini en 99. Avant dîner il m’a dit un mot.L’exil du Prince de Cassaro, la mauvaie humeur de Lord Palmerston. Il voulait causer seul avec moi, mais cela n’a pas réussi, Mad. de Talleyrand était là. Avant dîner courte reconnaissance et froide. A diner pas un mot, elle n’a pas ouvert la bouche. Après le dîner un long aparté; après lequel ils sont revenus prendre place au milieu de nous. Et il l’appellait "ma chère amie" en lui serrant le bras en haut en bas. Enfin c’était drôle ! Ce qui était drôle aussi c’est le ton hautain et exigeant de Mad. de La Redorte avec Thiers. Tout comme ferait Barrot. "Vous n’êtes pas assez décidé, vous n’avez que nous, il faut donc franchement nous prendre. Il ne faut pas flatter l’ennemi & &." Thiers avait l’air de se défendre un peu, d’accepter un peu le patronage. On a parlé destitution et il a dit : "et bien le temps de cela viendra aussi." Elle était plus pressée. Mais enfin tout cela m’a donné l’idée que le mariage n’est pas aussi arrêté que je le croyais. On a parlé de M. Molé ; tout le monde Mad. de Talleyrand surtout, affirmait qu’il s’était mal défendu l’année dernière, j’ai seule soutenu le contraire parce que j’étais un peu indignée de cette injustice et cette bassesse Montrond m’a appuyée. Savez-vous que j’ai un parfait mépris pour Mad. de Talleyrand ? il y avait toujours mépris d’une certaine espèce, à présent il y a mépris de toute espèce. Vraiment, peut on ainsi se manquer de respect à soi même ? Il y avait à diner outre ce que je viens de nommer Médem, Pahlen, Brignole, Vandoeuvre,  Rambuteau. A l’hotel de l’ambassade on a appris par moi les inquiétudes à Londres sur le vote de la Chambre, je l’ai su par un mot d’Ellice. Cela les a un peu consternés. Granville dit que M. Temple après une attitude très décidée et énergique. Il parle du Roi de Naples comme d’un fool. Il me semble d’après le dire de Thiers que cette affaire n’est pas en train de s’arranger. Nous nous sommes dit deux mots bien bas et bien intimes avant dîner que je n’ai peut être pas besoin de vous redire et que je ne veux pas écrire.
On m’a dit et de bonne source apparente que M. Molé aurait déclaré au Roi qu’il n’est pas en état de fournir un ministère et qu’il lui conseillait dès lors d’accepter la dissolution si elle lui est demandée. J’ai dit Le soir à M. Molé que j’avais ouï dire ce commérage. Il s’est récrié et m’a dit au contraire : "J’encourage perpétuellement le Roi à y résister, à toute outrance." Ce qui n’empêche pas qu’il ne me dit, un moment après : "Le Roi et moi nous n’avons pas seulement proféré le mot dissolution dans nos entretiens."
Je vous laisse à décider où est la vérité. Il y avait de la musique chez Mad. de Castellane, mais il y avait aussi du courant d’air. J’ai craint l’un plus que je n’ai aimé l’autre, et je suis partie de bonne heure. Appony venait de chez le roi qu’il avait trouvé de fort bonne humeur à sa grande surprise, quel terrain mouvant que ceci !
Voici votre N° 338. y a-t-il quelque nouveau réglement pour les drawing rooms ? Sous les autres règnes jamais les ambassadeurs ne restaient jusqu’à la fin à moins qu’ils en eussent envie. Mon mari, Estorhazy, M. de Talleyrand, tout cela partait quand bon leur semblait. Moi, je restais, parce que le roi et la reine venaient après le drawing room me dire un mot, mais j’ai seule. Les hommes diplomates n’ont jamais tenu jusqu’à la fin. Il n’y avait aucune nécessité de le faire.
Je suis bien aise de penser que vous allez vous trouver à Holland House. J’y ai souvent été. Souvent, surtout dans le jardin, mais pas seule.
Je n’ai pas encore écrit à la Duchesse de Sutherland, je ne sais trop que lui dire. La phrase de sa lettre qui me regarde ne parait pas aux autres aussi directe qu’elle vous semble à vous, et Lady Granville n’a pas eu de renseignement à ce sujet. S’il n’en vient pas décidément c’est que nous nous sommes trompés. Il faudra que je prenne d’autres mesures. C’est un peu ennuyeux parce qu’on est fort mal aux auberges à Londres. Je consulterai Ellice et il me trouvera peut être quelque chose hors de Londres du côté de Holland House. Mais il faut un établissement. Enfin je verrai. Vérity me drogue en effet et cela me déplait. Si le beau temps arrive jamais, je lui confierai le soin de ma santé et je laisserai les drogues.
Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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411 ter. Stafford house, samedi midi

Je suis arrivée hier à 8 h. Comme vous le verrez par le billet ci joint. J’ai passé. à votre porte. Vous n’étiez pas arrivé et pas attendu. Je suis rentrée triste à Stafford house. On ne m’y attendait pas. J’ai fait chercher un médecin en toute hâte car je suis très souffrante. On me drogue et on m’a tenue au lit jusque dans ce moment.
Voici votre lettre de jeudi qui vous annonce décidément aujourd’hui. Que Dieu vous entende et m’entende et que vous arrivez vraiment. J’ai bien besoin de vous recevoir ! Je n’ose pas bouger de tout le jour. Avec quelle impatience j’attendrai 8 heures ! Venez venez. Il me manque une lettre de vous qui est allée me chercher à Wrest. Car je me suis décidée très subitement hier à revenir, pour vous voir hier encore. Et je ne vous ai pas vu ?
Adieu. Adieu. Ce soir n’est-ce pas, ce soir ? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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343 Paris Mardi 14 avril 840

J’ai fait visite à Lady Granville hier matin, et une très longue promenade avec Marion. Je me suis même fatiguée, je suis rentreée pour me reposer. J’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Mad. de Boigne, Razonmowsky & Lobkowitz, quelques petits hommes et mon Ambassadeur nous sommes restés seuls après onze heures. Il est très difficile de tirer de Pahlen quelque chose, cependant cela est venu. Et bien il n’y a rien de nouveau. L’Empereur est ce qu’il était, toujours la même hostilité personnelle toujours la même passion. M. de Pahlen a toujours combattu sans gagner un pouce de terrain. Il n’est chargé d’aucune parole aimable, de rien du tout. Il a vu Thiers. Ils ont un peu causé. Il lui a dit que favoriser le Pacha, c’est affaiblir la porte & que puisqu’on veut l’intégrité de l’Empereur ottoman, puisqu’on le dit, il faut lui rendre la Syrie. The Old story again and again. Voilà tout. On pense mal de tout ceci. il est bien égal qui gouverne ici Thiers ou tout autre. Cela s’en va. Je crois que je vous ai donné l’essence. Pahlen a fort bonne mine ; il est content d’être ici et de n’être plus là. Il ne parle pas très bien de M. de Brünnow, un plat courtisan dont les longues et habiles dépêches sont lardées de flatteries pour l’Empereur. On le croit un grand homme. Sa nomination a fort mécontenté en Russie. Lady Clanricarde me le mande aussi. A propos, elle m’a écrit une lettre fort spirituelle. Je vous l’enverrai, par courrier Français car elle est volumineuse. Il n’y a rien de pressé, car il n’y a rien de nouveau, mais vous la lirez avec plaisir. Le temps est doux et charmant aujourd’hui. J’ai déjà marché. Et puis j’ai fait ma longue toilette et je ne viens à vous qu’à une heure. Aujourd’hui vous dînez chez les Berry. Je suis sûre qu’elles vous donneront lady William Russell et que sans jamaisvous plaire beaucoup elle vous paraîtra une bonne ressource de conversation. L’impératrice vient en Allemagne à Erns. La grande duchesse Hélène aussi.

Mercredi 15 avril  1 heure
Je réponds au 341. Pardon de cette rature. Vous ne savez pas comme j’ai été tracassée de bêtises, toute la matinée. J’expie le péché d’avoir été lire votre lettre sur la terrasse des Tuileries, et d’y être restée avec vous et un charmant souffle du midi pendant une heure. Tout est retardé, renversé, & maintenant il faut que je vous écrive et vous aime vite, ce qui m’est on ne peut plus désagréable car il me semble que j’ai beaucoup à vous dire. Mais d’abord merci, merci de votre lettre, de Richmond de tout. Ah si vous saviez comme vous avez raison d’être ému en voyant Richmond. Toute ma vie jusqu’au 15 juin se résumait dans ce lieu Richmond. Car ce n’est que là, là que j’ai connu un vrai bonheur. Mon Dieu mon Dieu, que j’y ai été heureuse comme je le sentais, comme le disais, et comme en le quittant je me suis dit avec ferveur, ma vie est finie. Ah quel souvenir ! Je suis si occupée de l’idée que vous avez vu Richmond ; regardé ce que j’ai tant regardé, marché là où je goûtais tant de joies innocentes et pures, & vives et passionnées car je les aimais avec passion.
Je suis tellement occupée de cette idée que je ne vois que cela dans votre lettre par le premier moment des pars. Est-ce que rien ne m’avertissait que vous seriez à Richmond un jour ? Voilà que je bavarde et je veux parler.
J’ai été voir votre mère hier. Pauline est souffrante sa mine m’a un peu alarmée, mais il est vrai qu’elle a toujours l’air délicat. On me dit qu’elle est mieux aujourd’hui. Elle m’intéressait hier beaucoup. D’abord elle vous ressemble beaucoup elle a vos yeux, elle a l’air triste de cette tristesse maladive, chère petite j’espère qu’elle va se remettre par cet air doux. Je n’aimais pas l’air de ces chambres hier, un air de cave tandis que dehors il faisait si doux et si calmant comment ne pas tenir un peu les fenêtres ouvertes ? J’aurais voulu arranger cela la placer du côté du midi les autres ont une mime excellente, votre mère aussi. Il y avait une dame et deux hommes ils avaient tous l’air bien shabby. Je ne sais pas au monde qui c’était. Ils parlaient de vous comme il convient d’en parler mais dans un langage un peu banal. Imaginez que je ne sais pas faire votre éloge ce qui s’appelle éloge, c’est trop vulgaire, mais mon silence me donne un air d’intimité ou d’hostilité comme on voudra le prendre. Je crains cependant qu’on ne s’en tienne à la première explication ; et cela m’embarrasse un peu, et cependant les paroles ne viennent pas. On ajoutait, c’est cependant un poste bien difficile. Alors j’ai dit, un peu avec l’accent que vous y auriez mis, " Mais c’est pour cela seulement qu’il l’a accepté."
Voilà qui a dû avoir l’air un peu trop ménage. Je ne sais qu’y faire. Je n’ai pas vu Mad. de Meulan, j’en suis bien aise. On dit qu’elle bavarde et pérore; et qu’elle va toujours à Londres. N’a-t-elle donc pas compris ? J’ai été seule au bois de Boulogne mais bien longtemps ; j’ai dîné seule. Le soir Granville, Brignole, Miraflores, Capellen, Armin, Médem, Pahlen junior. le Senior faisait des visite, lady Landwich, le Prince de Chalais. On parlait beaucoup de la séance à la Chambre des pairs. Granville y avait été. Mais j’en ai une meilleure idée après avoir parcouru ce matin les journaux. Savez-vous que M. de Broglie n’a pas lieu d’être tout-à-fait content. M. Thiers ne regarde comme exactes que les paroles qu’il dit lui même. Est ce que cela veut dir que M. de Broglie a menti ? Je serai curieuse d’appendre ce qui l’en pense. On disait généralement que M. de Villemain avait été de mauvais goût dans son attaque contre Thiers. Thiers me parait avoir parlé très habilement.
Génie est venu me trouver ce matin, il dit que les médecins ne sont pas d’opinion que votre mère puisse passer la mer. Vous le dit-on ? Je suis très préoccupée de cela maintenant. Je voudrais que vous eussiez plein contentement dans les projets que vous me dites à cet égard. Génie ne le croit guère. Je passerai à votre porte pour savoir moi-même des nouvelles de Pauline. Ai-je quelque chose à vous dire encore ? Je n’en sais rien. Je suis pressée. Mad. Appony s’annonce et je veux avoir fermé ceci. Je savais bien que Holland House vous plairait, et bien voilà ce caractère qu’ont tous les chateaux anglais, en y ajoutant une même magnificence, qui elle aussi atteste la durée. Tout y est vieux respectable respecté et puis le luxe, le soin, le confort par dessus le marché. Ces Anglais sont trop heureux ! Il n’y a pas de grandes existences à côté de celles-là. Adieu, je vais écrire à la Duchesse de Sutherland, ils m’attendent chez eux. Mais il faut qu’ils sachent que je ne puis pas monter d’escaliers, et je ne sais pas s’ils ont encore à me donner un appartement au rez de chaussée ; car coucher au second, j’aime mieux coucher dans la rue. Pardon de cet horrible griffonnage ; ma main tremble, je crois que ce changement de temps subit m’agace les nerfs.
Adieu, adieu, à demain.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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405. Londres, Lundi 7 septembre 1840
6 heures

Je ne puis pas me rendormir. Je vous écris de mon lit hier en rentrant chez moi, j’ai essayé de travailler. Je n’ai pas réussi. Votre billet m’est arrivé. Que j’aime Guillet ! J’avais envie de le remercier. J’ai encore essayé de travailler. Pas mieux. J’ai pris le parti de sortir, de marcher. J’ai marché deux heures un quart, dans Regent’s Park dedans, à travers, autour. Je me suis arrêté devant trois prédicateurs. L’un prêchait contre le libre arbitre de l’homme. Un autre lisait, dans je ne sais quel voyage, une histoire de Missionnaire pour prouver à ses auditeurs qu’il était plus sage et plus sain de ne boire que de l’eau. Je n’ai pu entendre le troisième. J’ai passé devant une petite porte de Regent’s Park, où est la statue du duc de Kent. Je me suis arrêté. Personne ne parlait là ; mais moi, j’entendais, des choses charmantes Je suis rentré à 6 heures un quart. J’étais las très las. Je me suis endormi dans mon fauteuil, en face de ma fenêtre. Quand je me suis réveillé, j’ai aperçu la lune devant moi, une petite lune claire et douce. Vous l’aurez vue aussi, entre Dartford et Rochester.
A 9 heures et demie j’ai été à Holland house où j’ai mené Bourqueney. Lady Holland est toujours souffrante. Je lui ai remis votre billet. Elle ne voulait pas croire que vous fussiez partie. Il a fallu le lui répéter. Peu de monde. Luttrel, Alava, Moncorvo, Neumann. J’ai demandé à lady Holland quel jour elle voulait venir dîner chez moi en petit comité. Elle craint que sa santé ne le lui permette pas. Ils iront à Brighton pour un peu d’air de mer, mais pas longtemps. Je doute qu’ils y aillent, et je crois qu’ils viendront dîner chez moi la semaine prochaine. J’y dine demain (chez eux) avec lord John Russell. Les nouvelles d’Alexandrie les ont fort troublés. Lady Holland prend le trouble fort au sérieux. Lord Holland dit que le Pacha commence à lui plaire. Il le trouve spirituel et fier. J’étais rentré à onze heures et demie Je suis charmé que votre fils soit venu. Je l’espérais à peine. Et qu’il ait été bien. Puisqu’il a commencé, il continuera. Vous retrouverez quelque chose. Demandez-lui peu. Ne le blessez pas et ne vous blessez pas. Que je voudrais que votre relation redevint convenable et douce.
3 heures
Merci de Rochester comme de Guillet, vous étiez fatiguée. Mais n’est-ce pas que cela ne vous fatigue pas de m’écrire. Il ne fait pas si beau qu’hier ; mais bien doux et pas de vent. J’épie le vent ; je lui parle ; je le prie de se taire. Que de choses je dis et que les paroles qui sortent des lèvres sont peu de chose auprès de celles qui y meurent ? J’ai été obligé de sortir un moment et j’ai manqué George d’Harcourt qui est arrivé hier et repart ce soir. La maladie de son oncle l’a fait venir. Il a causé avec Bourqueney. Il est très frappé de la légèreté des esprits d’ici, qui ne se doutent de rien et se réveilleront un matin tout surpris de trouver le monde en feu et d’apprendre qu’ils y ont eux-mêmes mis le feu pendant leur sommeil. Il y a bien des manières d’être léger. Si tout ceci tourne mal, ce sera la faute des hommes. Les choses ne se portent point d’elles-mêmes à une telle explosion. L’aveuglement et le mismanagement auront leur fait. C’est une de mes raisons d’espérer. J’ai peine à croire que les méprises humaines puissent faire, à ce point violence, à la pente naturelle des choses. G. d’Harcourt dit du reste que, s’il y avait guerre, l’unanimité serait grande en France et qu’on verrait quelle conduite tiendraient les Carlistes eux-mêmes. J’essaie de causer avec vous. J’ai été ce matin savoir des nouvelles de la Princesse Auguste, pour voir Stafford house. Elle était assez tranquille ; mais elle s’affaiblit beaucoup. Adieu. Est-ce vraiment adieu ? J’ai le cœur bien serré. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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329. Paris, dimanche 22 mars 1840,
4 1/2 h.

Je viens de voir Mad. de Boigne, elle me parait croire que la combinaison Soult Molé est parfaitement sûre M. Molé n’y fera pas faute. Il accepte moins qu’il n’a en suivant l’exemple de Thiers, qui aussi avait consenti à la présidence de Broglie, de Soult & & ce précédent met à couvert l’amour propre de Molé. Il parait que le Maréchal a plus de regret de se séparer des aff. Etrangères. Cependant cela est convenu 801 et Dufauré c’est fait aussi. Duchatel n’est pas tout à fait aussi avancé mais on a peu de doute. En tout on regarde l’affaire à peu près comme consommée tant on croit ici facilement, aussi les vraisemblances sont bien pour cela. M. de Broglie à qui Mad. de Boigne demandait avant-hier ce qu’il pensait du ministère, a dit qu’il donnerait un an. M. de Broglie est un grand baby. M. de Rémusat dînait hier chez Mad. de Boigne, à elle il n’a pas dit tout ce qu’il pensait de la journée, mais à un autre dans son salon ; il a dit, le rapport est déplorable, C’est une mauvaise situation. Madame de Boigne ne doute pas, si le changement arrive que Messieurs de Broglie, Rémusat, Dumerger d’Hausaine vous somment de revenir. Elle ne doute également pas que M. Molé ne vous demande de rester. Elle ajoute Si M. G. me faisait l’honneur de me consulter ce qu’il ne fera assurement pas, je lui dirai de rester. En revenant il ne mettrait à la suite de Thiers avec trois ou quatre homme de feu son parti. Ce n’est vraiment pas une situation qu’il puisse accepter. Et venir le mettre à la tête du parti Duchâtel pour donner son appui au Ministère, c’est se déclarer trop brusquement l’ennemi de l’homme qu’il vient de servir. Si M. Thiers passe à l’état d’opposition s’y montre dangereux pour le pouvoir du roi alors sera le moment pour M. Guizot de venir le combattre. Aujourd’hui ce qu’il a de mieux à faire est de rester où il est." On dira donc que M. Guizot accepte tout le monde. " C’est ce que diront quatre ou cinq hommes M. de Broglie à la tête ; et voilà tout, et M de Broglie a de la passion contre M. Molé." Mad. de Boigne ne vous acorde de motifs de revenir que si M. Duchatel n’était pas du Ministère. Je crois que je vous ai raconté toute ma visite. Je vous raconterai tout. et je me garderai bien de vous rien dire pour mon compte. Vous n’avez pas besoin de mon opinion d’ailleurs. L’affaire n’est pas faite.
Je passe à autre chose. Voici ce que m’écrit Lady Palmerston en date d’avant-hier . " Je crois vraiment que M. Guizot se plait ici, tout est nouveau pour lui et il regarde à la scène en philosophe. Ce qui est sûr c’est que lui plaît beaucoup. On trouve ses manières très agréables et douces et sa conversation intéressante et instructive. Lord Palmerston l’aime beaucoup, et croit qu’ils feront très bon ménage ensemble. Ses manières tiennent beaucoup plus de l’ancien régime que du nouveau, ce qui est un grand mérite à mes yeux. "
Lundi 11 heures
Je suis arrivée hier chez le Duc de Noailles une heure plus tard qu’il ne fallait. J’ai donc trouvé la compagnie de bien mauvaise humeur. J’avais eu chez moi dabord. le prince Paul et celui-là est vraiment amusant dans ce moment la plus violente fureur, les invectives, les épithètes. C’est M. Molé surtout qui est sa bête noire. Il prétendait savoir que M. Passi ne se joignait pas à lui. Au bout de la crise s’il y a crise. Il croit à un grand ébranlement pour tout ceci, et il ne manquera pas de la prêcher à M. Thiers, selon son dire, s’il tombait, la guerre au roi serait à mort. Après lui, Lord Granville que j’avais vu cependant chez sa femme est venu encore causer. avec moi, on n’apprend jamais de lui grand chose, mais c’est long de causer avec lui. Il m’a retenue pour me dire ses inquiétudes, presque sa certitude. que le ministère tombera. L’attitude, la Chambre, les journaux. l’alliance Soult et Molé, tout l’indigne. A 6 1/2 j’ai commencé ma toilette et je suis arrivée à 7 1/4 au milieu du noble faubourg un peu fâchée. Cela n’empêche pas que l’hôte n’a fait que causer et d’une seule chose avec moi pendant le dîner. Il avait vu M. Molé la veille. Il a cherché à le detourner de porter le coup si tot, vu que cela rendrait Thiers trop redoutable. M. Molé réplique toujours "cela est possible ; mais si on ne le tue pas de suite il est sûr qu’on ne les tuera plus, et voilà pourquoi il faut se presser. " Il a conté à M. de Noailles l’affaire Bugeaud telle que la dit le Journal des Débats, et que cela a fait un effet prodigieux sur la droite Les légitimistes se sont réunis hier matin chez le Duc de Noailles. Il est possible encore qu’ils votent pour Thiers Berryer parlera, ce sera assez curieux de voir comme il s’en tirera. Au reste on ne prendra de parti positif que selon la discussion. Appony était du diner bien content. Brignole ditto, mais avec plus de réserve les dames du fauboug parlaient de toute autre chose. De là j’ai passé chez la Duchesse de Poix, de la musique chermante M. Molé y était. Nous avons causé. Il est préoccupé et content. Il rit de la résultante. Il dit que Thiers a fait une grande faute en prenant le ministère comme cela. Il compte son monde exactement comme me l’a compté Berryer. Il dit " j’aurais une rude tâche, et les affaires extérieures vont prendre, tout-à-l’heure une grande importante Il y a des partis à prendre. au fond il eut été plus commode de laisser ce premier feu sur le épaules de Thiers, mais il n’y a pas à reculer. " Il a parlé de vous en termes généraux : "jamais on ne me fera croire que M. Guizot puisse, aller à la gauche jamais je ne croirai qu’il a connu ceci au moment de son départ. " C’est le lieu de vous dire qu’on dispute beaucoup sur ce point. Duchatel soutient que vous l’ignoriez, tous les autres affirment le contraire. Il n’y a que Duchâtel qui dise vrai. Il va sans dire que moi je ne m’en mêle point. Je dis seulement que comme vous n’êtes pas olbligé de me tout dire j’ignorais ce que vous saviez ou ne saviez pas.
Voici le 324. Autant de prevenances autant d’.... que moi. Mais merci d’avoir songé au dimanche. Il me semble que ce bon dimanche nous met à la ration de 4 lettres par semaine. Tant mieux. Vous m’apprenez l’affaire de Médem. Il me semble qu’on a pris à Pétersbourg, un très sage parti pour ceci. Envoyer Pahlen et renvoyer Médem, vraiment il est trop cassant ; il a trop de présomption. Pour Londres, je regrette l’atitude que Brünnow a pris vis-à-vis de vous et qu’on le comprends pas trop Le chreptovitz, gendre de Nesselrode, qu’on lui donne n’est rien du tout ; et sa femme est parfaitement ridicule, avec un peu d’esprit, bonne personne au fond quant à Mad. Brünnow, je ne sais ce qu’elle est, si non qu’elle a été belle. Il est clair que lui n’a jamais été beau. Je voudrais bien entendre ce que vous pensez de tout ceci. Quelle bagarre ! Moi, ma crainte c’est la rue. Je crois savoir que M. Sacy, l’un des redacteurs des Débats ne veut pas qu’on renverse Thiers sur les fonds secrets. L’autre rédacteur le veut. M. Molé m’a confirmé l’autre jour ce que me disait Berryer, qu’on proposera un amendement & 100 francs. Adieu. Adieu. N’est-ce pas que je vous dis tout ?

2h1/2 Voici Appony qui sort d’ici. il doute encore de la chute immédiate cependant il est convaincu que le Roi la veut. Il est enchanté d’avoir Molé, mais il ne pense pas que la question orientale y gagne comme solution pacifique, Il sera beaucop plus égyptien que Thiers, dès lors il s’entendra moins avec l’Angleterre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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416. Boulogne Mardi 8 septembre 1840
à 6 heures après-midi.

Je suis arrivée ici morte de fatigue. Je puis à peine tenir la plume. Mais il vous faut un mot. Je vais me coucher. On me dit des nouvelles, très effrayantes de Paris ! On débite ici qu’on se bat, qu’il y a des barricades, que Thiers a donné sa démission, que le roi ne l’a pas acceptée. Que les fonds ont fléchi de 6 %. Enfin, c’est à perte de vu. Je n’ai pas fort peur. Je crois que je partirai demain mais vous saurez ce que je fais ou ne fais pas. Pour le moment Je n’en sais rien moi même. Je suis ivre de fatigue. Rien que cela, à ce que me dit mon médecin. Adieu. Adieu.
Je viens de voir George d’Harcourt. Il est parti pour Paris. Il se plaint d ne vous avoir point vu. Je m’en plains aussi. j’aurai aimé à lui entendre. parler de vous. Pardon de cette feuille pitoyable. Je ne sais sur quoi j’écris. Je tombe. Bonsoir. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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330. Paris le 29 mars 1840. Mardi 9 heures

Il y a trente huit ans aujourd’hui de la mort de l’Empereur Paul. Comme toute cette scène est présente à mon esprit. Quelle ivresse à Petersbourg et comme on avait raison d’aimer et de tout attendre de l’Empereur Médem ne sait pas un mot de sa nomination. Je l’ai rencontré chez Lady Granville hier soir. Je l’ai dit à Nicolas Pahlen qui en a été renversé. Il est bien clair aux yeux de tous que c’est une promotion et une punition, je vous l’ai dit dans le temps, on ne laissera pas Médem à Paris. Pahlen voulait le lui annoncer hier j’ai été voir votre mère. elle m’a dit qu’on vous conseillait de rester à Londres, quand même. J’ai donc beau espérer des chaines Il n’y en a plus de bonnes pour moi. Vos filles étaient à leur leçon de piano. Guillaume m’a lu un peu d’Anglais, j’ai demandé la permission de le corriger lorsqu’il prononçait mal votre mère à été très bonne pour moi Je n’ai fait que cette visite hier matin Je ne me sentais pas bien. J’ai dîné chez les Granville avec des Anglais.

à 9 heures je suis allée chez la Maréchal Soult. Elle et son mari ont fait de grands frais de politesse pour moi. Il y avait beaucoup de monde, et pas une figure que je connaisse excepté M. Bandrand. J’ai pris son bras pour sortir; il m’a dit qu’il avait de vos nouvelles, qu’il est charmé que vous soyez à Londres, qu’il faut y rester. Je n’ai rien dit du tout. Je n’ai jamais d’opinion. à dire sur ces choses là. J’ai été faire cette visite parce qu’après tout. Je ni’ai pas de bonne raison de refuser une invitation. S’il redevient ministre, c’est des réceptions, Je n’y vais pas. De là je suis retournée chez Lady Granville où j’avais donné rendez-vous à M. de Noailles et Armin. On disait hier que la combinaison Soult Molé avait manqué par le fait de Duchâtel, dès lors que Thiers avait la majorité, tout cela s’éclaircit aujourd’hui. Thiers ouvrira la séance, je compte y aller. Sa situation me semble bien difficile, car s’il ne parle que comme le Constitutionnel cela ne peut pas être brillant.

Midi. Je viens de marcher sous les arcades, il neige. Mais la privation de mes promenade me fait du mal. Je vais donc chercher le seul point abrité.

Mercredi 25 mars, 9 heures
Vous aurez rien un mot que je vous ai écrit hier en sortant de la Chambre, Je vous l’ai adressé directement par la poste, j’ai été ensuite faire visite à la petite Princesse, M. Molé y est venu. Il était transporté de joie d’apprendre que je venais de la chambre. Racontez, racontez. J’ai raconté le discours de Thiers avec une grande fidélité, sans commentaire, mais peut-être. avec animation car c’est ma manière quand quelque chose me plaît. Vous auriez dû voir la figure de M. Molé s’allonger !!

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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418. Poix 7 h. du matin le 10 septembre 1840

Je vous ai écrit au moment de mon coucher, je vous écris à mon lever. Toujours toujours penser à vous ; vous parler on vous écrire selon que le ciel ordonne que ce soit l’un ou l’autre. Voilà comme se passera ma vie. J’ai assez mal dormi bien du bruit. Je serai d’assez bonne heure à Paris, je laisserai ceci à Beauvais Faites-moi le plaisir de dire à votre maître d’hôtel, que c’est pour le 15 que Denay s’est engagé à venir me trouver à Paris. S’il était encore à Londres il l’en ferait souvenir.
Je serai curieuse demain d’en tendre du bavardage. Je lis les journaux en route en attendant et je trouve qu’il y a bien de la confusion. C’est probablement là le régime auquel sera livré le monde pour longtemps.

Beauvais midi. N’est-ce pas que vous avez eu une lettre de moi tous les jours ? Je suis à la 6 ème depuis Londres. Je m’arrête ici pour manger et boire de votre vin. Je viens de parcourir le Constitutionnel de hier 9. C’est assez bien répondu aux Débats. Au reste vous n’attendez pas des commentaires politiques de Beauvais ?
Adieu. Adieu. Voilà le couvert mis, c’est important pour un voyageur et j’ai faim. Adieu. Adieu mille fois. God bless you que dit-on à Londres de Napier. Adieu
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