Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Collection : 1853 (4 mars - 31 décembre) : La Russie face à l'Europe (1850-1857 : Une nouvelle posture publique établie, académies et salons)

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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2 Val Richer, Dimanche 29 mai 1853
8 heures

Je me lève après neuf heures de sommeil. Je sens la fatigue s'en aller. comme la soif quand on boit. Mais il ne fait pas beau ce matin. Vous ne connaissez pas le plaisir de voir pousser vos cerises, vos fraises, vos abricots et vos pêches. Marion vous dira si c’est un plaisir. Je reviens de mon verger à mes journaux à Paris, je les regarde ; ici, je les lis.
Le Moniteur met bien du soin à répéter le Morning Post qui dit que les Cabinets de Londres et de Paris, "ont agi, agissent et agiront à Constantinople avec l'accord le plus parfait et le plus cordial." On est très pressé de rentrer dans l’ornière. Il est vrai que cette fois, vous y avez poussé. Si votre Empereur avait, dés le premier moment, dit avec précision, à tout le monde, que pour se mettre à l'abri des firmants secrets et mobiles, il demanderait pour l'Eglise grecque, ce que la France possédait depuis deux siècles pour l'Eglise latine, c’est-à-dire des capitulations formelles, et que c’était là, pour lui, la question des Lieux Saints, il n’eût pas rencontré, j'en suis convaincu, les obstacles qu’il rencontre aujourd’hui ; car bien qu'énorme en fait et très différente par là de la prétention latine, la prétention grecque est, en soi et en droit, si naturelle et si raisonnable qu’on eût eu de la peine à la combattre. Mais elle ne s’est pas expliqué tout haut, toute entière et tout de suite ; elle a apparu au dernier moment comme une nouveauté par conséquent beaucoup plus grosse qu’elle n'eût paru au premier ; et vous avez créé, à la fin, une situation grave uniquement peut-être parce que vous avez voulu vous épargner, au commencement, quelques embarras de conversation. Je n'en persiste pas moins à penser que la situation grave sa dénouera sans événements graves.

Onze heures
Je persiste toujours, quand même la tentation de conciliation des quatre puissances n'aurait pas réussi. Le feu ne prendra pas à l'Europe pour cela. Vous avez raison, il fallait parler plutôt et plus haut pour vous. Vous voyez que je suis de votre avis, encore plus que vous, car je remonte plus haut. Adieu, Adieu.
Ne soyez pas trop fatigué en partant. Je remercie Marion. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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3 Val Richer. Lundi 30 Mai 1853

Je trouve le langage de Lord John très confiant dans la paix, et même assez confiant dans votre Empereur. Je suis de son avis. Le départ du Prince Mentchikoff ne sera pas la guerre, et la guerre, si elle vient, ne sera ni la chute de l'Empire ottoman, ni le bouleversement de l'Europe. Quelque chose d’analogue à vos campagnes de 1827 et 1828, plutôt moins que plus. Vous ferez un pas, on grognera en vous le regardant. faire, et quand vous l'aurez fait, vous vous arrêterez. Je ne vois de grave en ce que l'impression de méfiance qui en restera au fond des coeurs Anglais. Ils la montreront peu, mais ils la garderont. Cela ne vaut rien pour les affaires générales de l’Europe.
Dupin est donc bien changé. Il était si pressé naguères de vous donner Constantinople. Vous lui en saviez beaucoup de gré. Il ne faut jamais se presser de savoir gré à Dupin.
Entendez-vous dire ce que signifie cette commission solennellement instituée, sous la présidence de M. Barthe, pour examiner les comptes de la liste civile ? Est-ce une simple mesure d’ordre, comme pour tous les comptes de l'Etat, ou une mesure de méfiance provoquée par quelque grand désordre ? Je suppose, en tout cas, que cela ne s'est fait que de l’avis de M. Fould.
J’ai un temps admirable. Je voudrais être sûr que vous l'aurez pour votre voyage. Votre fils Paul est-il arrivé, et vous accompagne-t-il ?
Quand vous serez sur les bords du Rhin, je vous enverrai tout ce qui m’arrivera ici de nouvelles ; mais elles seront rares et feront un détour. Attendez-vous à une année, je ne veux pas dire, à des années de stérilité.

10 heures
J’ai été interrompu par l’arrivée de six caisses de livres que je viens de déballer et de ranger. Je voyage avec une bibliothèque. Voilà encore un goût et un plaisir qui vous manquent. Mes livres me tiennent compagnie, ceux que je lis et ceux que je regarde sans les lire. La vieille Lady Holland voyait vivre, et entendait parler les portraits qui garnissaient la bibliothèque de Holland House ; je l’ai trouvée vraiment émue et éloquente un jour sur ces portraits. Mes livres me donnent un peu de cette impression. Je vois et j'entends les personnes.

11 heures
Je comprends l'émotion, mais je persiste. Je ne comprends pas que vous n'ayiez rien eu de moi Dimanche. voici mon N°3. L’histoire de votre allemand me désole. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Paris lundi 30 mai 1853

Je suis votre exemple. Voici ma quatrième lettre. J’ai reçu à la fois ce matin le 1 & 2. L’article du Times du 28 fait beaucoup de bruit. Flahaut en est trés frappé. Tout le monde maintenant est contre nous. On dit que le moins épouffé et peut être seul même le réjoui de la situation, c’est votre Empereur. " il a eu raison, en ne se fiant pas à nous, et le voilà sorti de l'isolement. Il a pour allié l’Angleterre, il n’aura d’autres. " Il est bien plus occupé de Bruxelles que de Constantinople. Le mariage lui déplait beaucoup, ainsi que tous les succès de Léopold. J'ai eu beaucoup de monde hier, mon dernier dimanche. Du bavardage infini sur l’Orient. Toujours le duc de Noailles le plus enragé de tous. Molé bien fâché aussi. Le dernier paragraphe du Moniteur lui paraît très sensé. Au fond je le trouve un peu aussi. Castelbajac ne cesse de rapporter un langage très différent de celui du P. Menchikoff. Tout cela a besoin d'un éclaircissement. Kisseleff a l’air très dégagé et content. Hubner dit : cela s’arrangera. Je ne conçois pas comment ?
Quel dommage que vous ne m'aidiez pas à avoir une opinion. Tous les jours, toutes les heures, j’aurais des choses nouvelles et curieuses à vous conter. Donnez-moi toujours vos réflexions. Votre tableau de la campagne me donne bien envie de cette vie là. Comme elle me conviendrait avec mon salon de Paris le soir.
Cowley a une affaire avec Le duc de Gènes & Villamarina et on dit qu'à Londres on est mécontent de l’ambassadeur. comme je ne connais pas bien l'affaire je n’ai pas d’opinion mais je parierais pour quelque gaucheries de Cowley. On donne un grand bal au duc de Gènes à St Cloud ce soir, demain il part pour Londres. J’attends mon fils aîné aujour d’hui. La grande duchesse Marie ne va plus en Angleterre. La grande Duchesse Hélène ne vient plus à Vichy je crois vous avoir dit cela. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4 Val Richer, Mardi 31 Mai 1853

Faut-il que je vous renvoie la lettre d'Ellice à Marion ? Elle est intéressante et j'en remercie Marion. Si on a conseillé à la Porte de déférer la question aux quatre puissances, ce n'est pas très prévoyant, et si après cela, on ne soutient pas la Porte, ce n’est pas très brave. Je regrette quelque fois de porter tant d’intérêt à la paix, car j'en prends très peu aux Turcs ; je voudrais voir ce beau pays rentrer dans le giron Chrétien. Mais St Marc Girardin a raison ; il en coûterait trop cher aujourd’hui, il en coûterait une nouvelle explosion de la révolution, en Europe. Il faut attendre, pour cela comme pour tout le reste. Je doute toujours du canon.
Voilà la session du Corps législatif close. Elle n’a pas été brillante pour le pouvoir, mais je trouve qu’il s'est conduit sagement, en ne s’entêtant pas et en transigeant sans bruit avec les velléités de résistance qu’il a rencontrées. De résistance, j’ai tort ; c’est d'indépendance, et d’indépendance très mesurée qu’il faut dire. Si le Gouvernement sait accepter peu à peu cet adoucissement à la réaction qui a marqué son origine, il s'en trouvera bien et le pays aussi. On a beau avoir réussi dans un coup d'Etat ; il n’y a pas moyen de rester aussi absolu que le jour où on l’a fait.
Je suis pressé de savoir comment vous aurez remplacé votre professeur Allemand. Quels mauvais renseignements vous sont donc venus sur son compte ? Il est vrai que la sagacité de ce bon Tolstoy n’est pas, une garantie suffisante.

Midi
Mon facteur arrive très tard. Mais il m’apporte une bonne lettre. Vous ne me dites pas encore quel jour vous partez. Je suis de l’avis de Hübner ; cela s’arrangera. Le trouble des spéculateurs de toute sorte m'amuse. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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5. Paris Mardi le 31 mai 1853

Votre petit ami a passé hier 3 heures chez [Kisseleff] et en est sorti bien content. Mon fils aîné est arrivé ; il m’accompagne à Ems de bonne grâce même. Je n’ai pas encore fixé le jour de mon départ, en tous cas pas avant samedi. Je ne sais pas de nouvelles. Menchikoff est arrivé le 24 à Odessa. Si nous n’agressons pas d'ici à demain. Que nos troupes avancent c'est qu’il n’a pas les pleins pouvoirs pour les mettre en mouvement. C’est très curieux comment nous nous tirerons de ce mauvais pas. Je ne conçois pas la bonne manière pour notre dignité. Il me semble qu'il faut aller battre les Turcs bien vite, lancer un manifeste rassurant à l’Europe, et puis laisser le sultan à Constantinople, avec de telles garanties pour nous, que la signature de la convention proposée devienne inutile. Quand nous aurons battu & fait grâce de la vie tout ce que nous céderons aura bon air. Je ne sais rien aujourd’hui et je ne saurai que plus tard. Le temps est détestable. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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5 Val Richer, Mercredi 1 Juin 1853

Si j’avais besoin d'être confirmé dans ma sécurité, le Journal de Francfort me rendrait ce service. Evidemment vous le dictez. Il indique déjà à la Porte un moyen de sortir d’embarras en réclamant de vous pour l'indépendance de sa souveraineté, des stipulations qui compenseraient le droit de protection que vous lui demandez pour l'Eglise grecque. Réciprocité très illusoire, mais qui sauverait la dignité apparente et faciliterait la transaction. Ce moyen-là ou tout autre certainement on en trouvera un, avant ou après quelques coups de canon.
Entre les cent raisons qui m'ont décidé à ne jamais rechercher ni accepter aucune affaire ni aucun avantage d’argent, j'ai toujours compté pour beaucoup celle-ci ; conserver en tous cas la pleine liberté de mon jugement et de mes actions. L'argent, c’est les fers aux pieds et aux mains, et à l’esprit.
La rentrée du Roi Léopold à Bruxelles est aussi belle que son entrée à Berlin et à Vienne. Les discours des Belges, laïques ou ecclésiastiques, ont un caractère de satisfaction sensée, et vraie qui me plaît beaucoup. Il y a deux sortes de mensonges publics qui me donnent des nausées, ceux où l'on ne trompe personne et ceux où l’on se trompe soi même. Rien de semblable ici. C’est un pays et un Roi content l’un de l'autre, et qui ont raison.
Je ne m'étonne pas que vos grandes Duchesses n'aillent plus en Angleterre, ni à Vichy. Je lis dans les feuilles d'Havas des articles plus aigres, sur vous qu’il n’est, à mon avis, nécessaire ni convenable. L'Empereur d’ici à certainement dans cette affaire, un avantage, sur le vôtre ; il serait de meilleur goût, et plus habile d’en profiter pour se montrer courtois et bien disposé en général. C'est la seule espèce de revanche qui soit digne et qui serve. A coup sûr, le Duc de Gênes ne part pas de Paris content du corps diplomatique. Je comprendrais Hübner ; mais je ne comprends pas Cowley.

Onze heures
Je suis charmé que votre fils vous accompagne de bonne grâce. Je vous souhaite le retour du beau temps ; il est bien mauvais depuis hier. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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6 Paris le 1er juin 1853

Menchikoff est parti d’Odessa le 24 pour Peters[bourg]. Il n’y aura donc rien d'immédiat. J’ai vu hier Fould & Heckman. Voulez-vous savoir mon impression ? On n’a pas envie de se lier à l'Angleterre. Elle vous a planté là dans l’affaire de la flotte. Maintenant la France est dégagé de tout ce qui lui était personnel ; elle ne suivra pas aveuglément les passions de Stratford. Elle restera à distance. Votre Empereur n’est pas inquiet du tout. Il est mécontent du mariage Belge et c’est là où se concentre sa préoccupation. J’ai vu longtemps Lord Cowley il a failli être rappellé pour n’avoir pas fait visite au duc de Gènes. Très longue histoire et drôle, trop longue à conter. Il a fini par faire la visite. Le bruit du rappel de Brunnow se renouvelle à Londres, est-ce personnel ou politique ? Je ne sais. Ce que je sais c’est que dans une entrevue avec Clarendon il a pris le ton haut. L'Anglais lui a dit qu’il n'était pas habitué à cela. Cowley dit que B est très embarrassé. Quel drôle de salon le mien hier soir. Hubner aigre & poltron. Heckern très amusant et très sensé. Molé charmé de tout ce qu’il disait, car cela promettait la paix. Il voit tous les jours D. de L. et on remarque à son langage qu'il sait tout. Votre Emp. a dit à un diplomate : la Belgique épouse l’Autriche, moi j'épouserai la Suisse. Mon allemand a été mis sous jugement, dégradé, on m'a noté la croix. Voilà. Je n’ai pas demandé le pourquoi, il me suffit de savoir les faits. Je ne prends personne. Je vous écris à tort & à travers. J'ai beaucoup à écrire pour un courrier, & beaucoup à ranger & arranger pour mon départ mais je ne fixe pas encore le jours. Adieu. Adieu.
Le journal des Débats est très curieux ce matin. Que dire après cela, c’est si clair.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6 Val Richer, Jeudi 2 Juin 1853
9 heures

Le journal des Débats m’a manqué hier, je ne sais pourquoi. C'est comme si toute la politique me manquait. Il devrait traiter votre question en pleine connaissance de cause et sensément. Je doute que votre politique expéditive soit pratiquée. On craint trop les conséquences de toutes choses pour rien commencer vite. Sauf ce que vous m'écrivez, et ce que je vous écris, il est impossible de penser moins que je ne le fais à ce qui se passe.
Je ne m'occupe que de ce qui se passait il y a deux cent ans. Il y a deux cent ans précisément, Cromwell chassait, en personne le Long Parlement et se faisait Protecteur. Je m'amuse parfaitement à le regarder faire et à le raconter. On m'écrit de Londres pour me presser instamment de publier, mon livre cette année même, au mois de décembre, pour l’anniversaire du protectorat. Partout on se plaît aux coïncidences de dates. Je crois que je leur donnerai cette satisfaction.
Vous ne vous souciez guère de la Chine. Cependant le Galignani me dit que les agents anglais et Français ont promis le secours de leurs vaisseaux pour empêcher cet Empire là de tomber. Soutenir deux Empires à la fois en Orient, c’est beaucoup. La coïncidence est singulière. Je suppose qu’elle ne vous plait pas davantage dans l'Orient asiatique que dans l'Orient européen. Mais vous n'êtes pas engagés à protéger les Chinois contre les Tartares comme les Grecs contre les Musulmans. Bizarre spectacle que celui du monde aujourd’hui ! Ce sont des hérétiques, et des schismatiques qui s'en partagent ou s'en disputent la domination. Le Pape ferait plus sagement de voir en eux des Chrétiens que de s'obstiner à les anathématiser, comme au temps où les catholiques dominaient partout. Je suis encore plus frappé de la décadence d’esprit de la cour de Rome que de celle de sa force. C'est dommage.

Onze heures
Le rappel de Brünnow serait drôle. J’ai point à y croire. Les Débats sont curieux en effet. Ils ont raison. Adieu, adieu. Vous avez raison de ne prendre personne à la place de votre Allemand. Marion vaut un homme et une femme. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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7. Paris le 2 Juin 1853

J’ai vu hier matin 18 personnes une dizaine ce soir. La tête me tourne de tout le bavardage que j'entends. Je passe au gros fait. Hier à à Berlin 6 du soir on recevait de Pétersbourg le propos souvent de Nesselrode. " Nous aurons le protectorat des Grecs coute que coute. " M. de Budberg avait avec M. de Manteuffel le ton très haut. Tout cela arrive par télégraphe.
Cowley est venu le soir me conter cela. Greville dans une longue lettre finit par ces mots-ci. The flut will not sail until we give order et puis. “The emperor has promised that he will in no case have recourse to ulterior measures without giving us ample notice of his intention. " Il me mande que Brunnow est dans le dernier embarras. Les Allemands ici parlent de désavouer Menchikoff, (vous voyez que le télégraphe de Berlin dément cela) et disent que l’Emp. n’a pas bien compris la portée de ce qu’il exige de la porte. Tout ceci prouve seulement que nous n’avons l’appui de personne. "
Nous amusons L. Radcliffe de tout le mal. Cowley me le dit aussi à l’oreille. Mais Greville maintient qu'il s’est parfaitement conduit & son cabinet l’approuve. Je suis inquiète de cette situation. Nous ferons la guerre sans le moindre doute à moins que la porte ne cède.
Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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7 Val Richer. Vendredi 3 Juin 1853

Il y a trop d'humeur dans cette parole : " La Belgique épouse l’Autriche ; moi j'épouserai la Suisse. " Pourquoi épouser quelqu'un ? Il y a des situations, où un gouvernement doit savoir vivre en garçon, et où il peut trouver beaucoup de force dans la vie de garçon. Pourvu qu’il soit un garçon sensé et rangé. D'ailleurs, il n’y a pas moyen d'avoir de l'humeur contre la Belgique sans en avoir contre l’Autriche et l'humeur contre l’Autriche me paraît bien mal entendue. C’est en Autriche, qu’on trouve le meilleur vouloir parce que c'est elle qui a le plus peur. Rien n’est plus sage et plus profitable que d'être amical pour ceux qui ont peur de vous ; ils vous en savent un gré infini.
Je ne comprends pas le dernier incident de l'affaire suisse. A quoi bon le départ du ministre autrichien s’il n’amène rien de nouveau ? Ce n’est que de l’excitation de plus pour le patriotisme suisse qui est très réel, quoique très vantard. Il ne faut pas animer les gens avec qui on ne veut pas se battre. Je ne m'expliquerais l'acte de l’Autriche que si elle avait envie d'être provoquée par la Suisse, ce que je ne suppose pas. Les feuilles d'Havas me disent qu’on recommence à négocier entre Vienne et Berne. Combien de temps faut-il au Prince Mentchikoff pour aller d'Odessa à Pétersbourg ? Nous n'avons rien à attendre de là avant qu’il y soit arrivé. Brunnow n’est pas propre à prendre le ton haut. Pour être digne, ce n’est pas assez de savoir être insolent. En revanche, il est très propre à supporter une mauvaise situation. Il a tout ce qu’il faut, pour cela, d’esprit, de souplesse et d’aplomb subalterne. Heeckeren à travers ses mauvaises manières, a plus d’esprit et de bon sens que la plupart de ceux qui se moquent de lui.
On m’écrit que M. Hébert a plaidé avec un grand succès dans l'affaire des correspondants des journaux étrangers. La cour me paraît avoir jugé avec équité et prudence ; elle a modéré les prétentions du gouvernement sans le désarmer. M. Villemain a lu chez son beau frère Desmousseaux de Givré devant une réunion nombreuse et varié, la seconde partie de son récit du 20 mars cette tragique séance de la Chambre des Pairs, après Waterloo, où le maréchal Ney proposa la déchéance de l'Empereur, contre les emportements du pauvre La Bédoyère. On dit que la lecture a eu du succès ; un mélange très piquant d'éloquence et de malice.

Onze heures
Pas de lettre, sans doute les embarras du départ. Vous me direz demain quel jour vous partez. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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8. Paris le 3 juin 1853

Heckern vient chez moi tous les soirs. Hier il était tout gros de nouvelles de Londres, selon les quelles, Clarendon va se trouver dans la nécessité de convenir qu'il a été trouvé par l’Emp. Nicolas. Le ministère sera culbuté. Palmerston en prendra la direction. On regarde cela comme infaillible aux affaires étrangères. Selon la lettre de Greville & le dire de Hubner on est en grand travail d’accomodement. Tout le monde s’y met. Mais mon Emp. ne peut pas reculer. C’est impossible le ton du Times du 1er juin est remarquable. On ne peut pas faire d’affaires avec la France. Après tout, il n’y a pas d'intérêt direct anglais. Les bouches du Danube cela regarde les allemands qu’ils s’en tirent. Il conclut à l'abstention. Point de nouvelles hier. [Drouin] de [Lhuys] fait un secret de la dépêche télégraphique dont je vous ai parlé hier. Elle est vraie cependant, c'est Cowley qui me l’a dit. J'ai remis mon départ à la semaine prochaine. Il fait trop laid. Lord Cowley m’a interrompue. Je n’ai plus un moment à moi. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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9 Paris le 4 juin 1853 Samedi

On savait à Pétersbourg le départ de [Menchikoff]. La lettre qui l'annonce est venue ici 5 jours. Prodige de vitesse. Un courrier est annoncé pour demain. Nous trouvons que Menchikoff a été bien mou !
En Angleterre grande alarme et embarras pour le gouvernement quant aux détails voici la lettre d’Ellice, mais de son côté Cowley me dit que si nous entrons dans les principautés c'est la guerre entre l'Angleterre & la Russie. Je ne crois pas. Heeckeren disait hier soir sur des nouvelles de télégraphe de Vienne que nous avions occupé les principautés. Le petit Nesselrode arrive ici demain de Constantinople par Vienne. Mon salon est impayable. Tous les [diplomates] y sont, & Hubner aussi tous les soirs. Tout le monde agité.
J’ai vu hier Fould, pacifique, triste, & pas amoureux de l'Angleterre.
On repart de [S.] pour le mois de 7bre.
Midi Voilà ma lettre d’Ellice partie pour Chantilly, où L. Cowley passe la journée. Vous ne l'aurez que demain. Ce qu'il me dit de plus curieux c’est que sur une étourderie de Lord John 3 Cabinet ministers allaient quitter à propos d‘une querelle catholique protestante je ne sais quoi. Mais cela pouvait s’arranger encore.
Il dit aussi que Palmerston déblatère contre la Russie & pousse à la guerre tandis que les autres procrastinent. C'est bien là ce qui fait qu’ici on est pour Palmerston contre Aberdeen.
L'agitation diplomatique et bien grande partout. Moi je suis ici la confidente de tout le monde. Entre eux ces messieurs ne se parlent plus, ou très peu. Les Allemands sont dans les perplexités, les plus grandes. Andral ne veut pas que je parte par le mauvais temps. J’attendrai quelques jours, je ne fixe rien encore.
2 heures. Une lettre de Londres. Clarendon est au pied du mur il ne peut plus nous défendre. L’ordre sera parti pour le départ de la flotte. L’Autriche nous fait des remontrances. Si Schwarzenberg vivait il ferait marcher des troupes pour nous empêcher. Voilà ce que dit Londres. Vous voyez que tout est est bien noir. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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9 Val Richer, Dimanche 5 Juin 1853

La colère des journaux impériaux contre l'impartialité du Journal des Débats envers vous m'amuse ; il me revient que l'Empereur en a jugé autrement et qu’il a bien parlé de l'article des Débats ; si bien que Flahaut, est venu le dire à Armand Bertin. L'Empereur a plus d’esprit que ses journaux. Probablement il trouve bon que ses journaux parlent d’une façon et lui d’une autre ; il faut des paroles à toutes les adresses. C’est une pratique utile au premier moment, et qui plus tard, crée des embarras. Je comprends les gouvernements fondés, sur le secret, et le silence, je ne veux pas dire le mensonge ; mais aujourd’hui le secret et le silence ne sont pas assez absolus ; il perce toujours assez de lumière pour que ce qui reste de ténèbres ne fasse pas grand profit.
Les embarras de langage de Lord Clarendon sur votre Empereur ne dissoudront pas plus le cabinet anglais que la brouillerie de l'Empereur avec le Sultan ne mettra le feu à l'Europe. Le bon sens Anglais, et le bon sens européen pourvoiront chacun au danger qui le regarde. Et quand Lord Palmerston serait ministre des affaires étrangères, je doute qu’il fit plus et autrement que Lord Clarendon. Le Times exprime le sentiment anglais aussi bien que celui de Clarendon ou d'Aberdeen. L’Angleterre ne croit l'Empire ottoman ni sauvable au fond, ni très menacé aujourd’hui. De là sa politique circonspecte et patiente. Elle s'y tiendrait, quel que fût le ministre.
Le Duc de Nemours part le 15 pour Vienne avec sa femme et ses enfants. Il ne fera que traverser Vienne ne voulant pas y séjourner. Il passera son temps en Hongrie.
La Reine Marie Amélie ira au mariage du Duc de Brabant. S’il se fait à Vienne, comme je le suppose, la réunion sera nombreuse et curieuse.
Un bon juge m'écrit : " En Angleterre, on se préoccupe peu de l'affaire d'Orient ; on semble certain que l’issue en sera pacifique. Le voyage du Roi des Belges est, aux yeux des Anglais, un événement bien autrement considérable que la mission du Prince Mentchikoff. "

Onze heures
Vous êtes bien noirs en effet. On l’est toujours au moment du coup de feu. Je n'en persiste pas moins, et j’ai bien de la marge, car quelques coups de canon de votre part ne me feraient pas changer d'avis. Toute l'Europe va peser sur vous pour vous rendre le plus modérés possible ; vous pèserez de votre mieux sur l'Europe pour lui faire accepter le plus possible de vos exigences et quand, de part et d'autre, on aura touché à la limite du possible, on s’arrangera. Adieu, adieu. Certainement non. Andral ne vous laissera pas partir. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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10 Paris le 5 juin 1853

Voici la lettre d’Ellice. Elle n’a pas l'importance que je croyais. J'en ai eu une de C. Greville plus sérieuse : l’ordre à la flotte a, ou va être donné, mais je crois vous avoir déjà dit cela hier. Lord Cowley est venu hier soir de plus en plus noir. Les explications de ce Nesselrode avec [Seymour] deviennent menaçantes. Les Anglais se disent dupés par nous. Je crois qu’ils ont envie de la guerre. Détruire une flotte est toujours une partie de plaisir pour eux. Il n’en est pas de même pour vous ou les autres. Vous n’avez pas intérêt à ce qu’il n’y ait que des puissants anglais dans le monde. Je ne vois plus comment la guerre sera évitée, mais le secours porté aux Turcs sera tout simplement cause de la chute de l’Empire Ottoman, car où ne nous empêchera pas de prendre Constantinople. Malgré toutes vos bonnes prédictions, je crains bien que je ne sache plus où aller. Ni Paris, ni Londres pour moi ! Le temps est toujours affreux. Je ne partirai pas avant la fin de la semaine.
1 h. Encore une lettre de Greville. Il se dit sûr de l’Autriche et de la Prusse, cela n’est pas possible. Adieu. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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10 Val Richer. Lundi 6 Juin 1853

Si le résultat de votre opération sur Constantinople était de refaire l'alliance de l’Autriche, la France et l’Angleterre ; vous y perdriez plus que vous n'y pourriez gagner. Et l’Europe aussi. Mais je ne crois à aucune alliance sérieuse. Vous sortirez de ceci moins bien que vous n'étiez avec tout le monde, et n'ayant pas gagné sur la Porte tout ce que vous vouliez, mais ayant gagné pourtant, et sans guerre européenne. Tout bien considéré, je doute que vous ayez fait de la bonne politique, et même que vous ayez bien fait votre politique. On vous avait fait plus beau jeu que vous n'avez bien joué. Mais votre position est si forte que vous avancez même en bronchant. D'ailleurs, vous avez un but et vous y marchez. Toutes les autres puissances en Europe ne veulent que le Statu quo.
Le temps est redevenu doux et charmant. J’ai marché hier trois heures de suite, sans fatigue. C'est de l'appétit et du sommeil de plus. Je me plains seulement que la journée n'ait pas 36 heures. J’ai pris, une rage de travail et de promenade à la fois à laquelle les 24 heures ne suffisent pas.
Vous aussi les 24 heures ne vous suffisent pas. Au jour du jugement dernier, vous ne direz pas comme ce pauvre Valdegamas. " Mon dieu, j’ai fait des visites. " mais " Mon dieu, on m’a fait des visites ? Je m'amuse de votre amusement.
Andral a trop d’esprit pour vous faire partir de Paris tant que vous vous y amuserez si bien. Je vois que Bourqueney à Vienne et M. Gobineau à Berne se donnent bien de la peine pour raccommoder l’Autriche et la Suisse. Je ne comprends pas que ce soit difficile du moment que l’Autriche est décédée, comme elle le paraît, à ne pas employer la force pour obtenir ce qu'elle demande. Quand on ne veut pas se battre, à quoi bon se quereller ?
Le succès du voyage du Roi Léopold me revient aussi par Claremont où l’on s'en réjouit beaucoup. Il influera grandement pour remettre l’Autriche bien avec l’Angle terre. Evidemment, il s’y est déjà beaucoup employé ! La Reine d'Angleterre est mieux que jamais pour toute la famille d'Orléans. Le cardinal Wiseman a très éloquemment parlé pour la première communion du duc de Chartres. Peu de Français et beaucoup d’Anglais présents.

Onze heures et demie
Je n'ai que le temps de fermer ma lettre. A demain la conversation. Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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11. Paris le 6 juin Lundi 1853

Rien de nouveau. Toute la diplomatie chez moi hier soir pas l'ombre de nouvelles nouvelles. On ne peut connaître qui jeudi le Pétersbourg décisif, la paix ou la guerre. L’attente & l’inquiétude sont énormes ce qui n’empêche pas qu'on n'aie bien ri chez moi hier, Heeckeren faisait les Frais.
2 heures
Grosses nouvelles. L’ordre est donné à la flotte de Malte d’aller aux Dardanelles. La vôtre la joindra. L'Empereur de Russie a dit aux [?] d'Angleterre qu'il insiste sur l’acceptation immédiate & sans condition de l’ultimatum de Menchikoff.. Voilà où nous en sommes venus. Croyez-vous encore à la paix ? Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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11. Val Richer Mardi 7 Juin 1853

Les Anglais n'ont pas envie de la guerre. Vous ne prendrez pas Constantinople. L'Empire Ottoman ne tombera pas demain. Greville a raison de se dire sûr de l’Autriche et de la Prusse en tant qu’il veut dire que l’Autriche et la Prusse s'employeront à empêcher la guerre, c’est-à-dire à faire en sorte que vous ne demandez pas trop et que la Turquie vous cède assez.
Dans Phèdre, Hippolyte dit :
Un seul jour ne fait pas d’un mortel vertueux,
Un coupable assassin, un lâche incestueux.
J'en dis autant de Pétersbourg, de Londres, de Vienne, un seul jour ne fait pas, d’un gouvernement sensé, un fou. Vous resterez sensés, et les autres aussi. Et vous aurez où aller, Paris ou Londres, à votre choix. Il n’y a de question que celle des plus ou moins grands embarras qu’il faudra traverser pour arriver au but. Peut-être quelques coups de canon avant la paix. J'en doute. Pourtant cela se peut. Vous êtes en effet bien engagés ; et il vous faut quelque chose pour vous dégager. Si l'Europe a un peu d’esprit, elle vous ouvrira la porte qu’il vous fait. Cela ne me paraît pas bien difficile.
Je viens de retourner mon papier. Pardonnez moi les tâches qui sont sur la dernière page. Je n’ai pas fait attention que la première n'était pas séche.
Le rapport de M. Billault à l'Empereur sur la session au corps législatif, m'a amusé. Encore quelques injures au régime parlementaire, pour la convenance. Et puis de grands efforts pour bien établir que dans la session qui finit, on a fait beaucoup de rapports, beaucoup de lois, beaucoup discuté, beaucoup amendé, qu’on a été très parlementaire, sans que personne s’en doutât.
Les hommes ne peuvent se résoudre, à dire tout simplement la vérité, ni à mentir tout à fait. Je vois que le mariage du duc de Brabant se fera à Bruxelles et non pas à Vienne. C'est donc à Bruxelles qu’ira la Reine Marie Amélie. Point d’embarras donc pour les rencontres dans la maison de Bourbon. On en était assez préoccupé.
Je garde les lettres d’Ellice puisque vous ne me demandez pas de vous les renvoyer.
L'étourderie de Lord John Russell me paraît grosse. La commission de ces trois catholiques peut avoir des conséquences graves pour le cabinet. Qu'avait-il besoin de se laisser aller à cet accès de franchise protestante ? Est-ce pure étourderie ou bien recherche de popularité ?

Dix heures et demie.
Votre grosse nouvelle ne me fait pas changer d’avis depuis le commencement, j'admets la possibilité au canon, mais d’un canon qui n'allumera pas un grand feu, le seul qui mérite qu’on s'en inquiète. Seulement je deviens de plus en pas curieux de savoir comment Europe et Russie se tireront de cet embarras. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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12. Paris le 7 juin 1853

Je reste certainement bien troublée des nouvelles que je vous ai données hier. On les tient très secrètes, la Russie s’entend.
Le bavardage est infini. Jamais l’occasion ne fut plus belle. Quelle confusion ! Les Allemands sont très montés aussi contre nous. Hubner surtout, mais il me le dit dans le tuyau de l'oreille. Ma tête s'en va de tout ce que j’entends je suis devenue le confesseur général. On cherche à me retenir, mais il faut que je parte. Que puis-je à tout ceci ? Le Times d’aujourd’hui est catégorique. L’Empereur persiste, la flotte anglaise. part. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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12 Val Richer. Mercredi 8 juin 1853

De près, on peut causer indé finiment sur le même thème ; on apprend ou on pense à chaque moment, quelque détail nouveau. De loin, beaucoup de choses s'ignorent ou se perdent ; il faut s’en tenir aux grands traits.
Je ne rabâche donc pas sur mes pronostics qui resteront les mêmes, même quand vous m’apprendrez qu’on se bat. On ne se battra pas bien fort, ni bien longtemps, ni tous à la fois. Mais je n’ai guère vu d'affaire dans laquelle tout le monde, par faute ou par hasard, fût plus mal engagé. Vous avez cru l'affaire trop facile ; à Londres, on ne l’a pas crue assez grosse à Paris, on s’est mis mal avec tout le monde dès le premier moment. C'est pourquoi tout le monde est embarrassé aujourd’hui. On souffrira quelque temps de cet embarras ; puis, on s’en tirera. Il y a un admirable proverbe Portugais qui dit : " Dieu écrit droit sur les lignes de travers. " Ceci est bien loin de la politique.
Vous cherchez des livres un peu amusants. Lisez Les contes et nouvelles de M. Armand de Pommartin. C'est un homme d’esprit et d’un esprit qui n’est pas encore blasé, ni usé, comme ce sont presque tous les gens d’esprit de notre temps. Quatre petits volumes. Vous feriez bien de garder cela pour Ems, si vous partez. Je reviens à la politique. Je viens de lire dans les débats notre article du Journal de Francfort. Il est bien pacifique : Y a-t-il quelque chose de vrai dans l’envoi d’une grande ambassade turque à Pétersbourg ? Autre petit ouvrage assez intéressant, à lire pour vous et qui me revient à l’esprit : Histoires de la vie privée d’autrefois, par M. Oscar Honoré un seul volume.

Onze heures
Certainement la situation est vive. Et l’article du Times important. Si les quatre puissances s'entendent pour vous engager à une solution pacifique, vous aurez bien de la peine à vous y refuser, et elles vous en trouveront une convenable. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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13. Paris le 8 juin 1853

La situation est bien vive je crois que les Allemands vont se joindre à l'Angleterre. La France est dans l’alliance ou avec elle au moins l’entente tout-à-fait. Fould a l’air content. Des nouvelles particulières disent qu'Aberdeen rompra le Cabinet, ne voulant pas faire la guerre. Nous verrons cela après demain jour des interpellations.
Les Russes sont très montés. Je ne vois pas comment on peut s'arranger sans guerre ; si elle commence, où elle finira.
Je pars bien triste, mais je pars. Je dis Samedi. Constantin sera à Ems pour me voir un moment le 16.
Vos commentaires me sont toujours précieux. Il y en a long à faire !
Heeckeren est chez moi tous les soirs, tout le monde y est & désolé de mon départ. Il n'y aura plus où se rencontrer. La ville était pleine hier de la retraite de Fould, il n’y a pas un mot de vrai.
Adieu. Adieu. Je suis malade de tout ceci. J’ai besoin de m'en aller, sauf à crever d'ennui. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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13 Val Richer, Jeudi 9 juin 1853

C'est curieux à quel point le pays qui m'entoure est peu préoccupé de l'affaire d'Orient. On ne joue pas d’ici à la Bourse. Tout le monde est convaincu que l'affaire s’arrangera sans guerre, et toutes les incertitudes et oscillations qu'elle pourra subir d’ici là ne font absolument rien à personne. Je ne dérange personne dans cette impression, car c'est la mienne.
Mon Galignani me dit que Lord Westmoreland, Lord Howden, M Crampton et Bulwer vont quitter leurs postes. C’est la nouvelle d’il y a six semaines. A-t-elle aujourd’hui quelque réalité ?
Je comprends qu’on veuille vous retenir à Paris. Les fidèles n'aiment pas que leur confesseur s'éloigne. Il n’y a rien de si difficile à trouver qu’un confesseur. Si chacun vous disait réellement ce qu’il a dans l'âme vous seriez en effet un confesseur, bien plutôt qu’un confident, car l’embarras où l'on est aujourd’hui est bien la faute des acteurs, il n’y avait, dans les choses mêmes, absolument rien qui les y poussât.
Je vois que les trois irlandais ont repris leur démission. J'en suis bien aise pour Lord Aberdeen à qui cela épargnera des embarras. Sa lettre n’est pas très agréable pour lord John. Voilà une petite affaire qui, en fait de brouillerie, a été aussi loin qu’il se pouvait sans devenir une rupture décisive. Il en sera de même de la grande. La querelle suisse et autrichienne se raccommode aussi. Nouvelle preuve.
J’ai reçu des lettres de Suisse bien lamentables. Non seulement le canton de Fribourg mais aussi celui de Duchâtel est dans un état d'oppression pour les honnêtes gens, à faire pitié. Et là, les honnêtes gens sont, la majorité. On aspire au Roi de Prusse, plus qu’on n'espère.

Midi.
Moi aussi, je suis triste de votre départ. C'est de la distance de plus. Mais je ne viens pas à bout de m'inquiéter de la guerre, soit qu’elle commence ou non. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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14. Paris le 9 juin 1853

L'Empereur donne encore à la porte huit jours de délais pour accepter les propositions du Prince M. Si elle refuse encore, nous entrons dans les principautés. Ceci est parti de Pétersbourg, il y a 6 jours. Tout compris il faut attendre trois semaines à Pétersbourg pour savoir la réponse de la porte. Voilà où j'en suis. Je suis mécontente de tout et tout le monde l'est.
Vous êtes sages ici. En Angleterre on ne l’est pas. Cela ira mal. Adieu je fais mes paquets, je m’agite. Je ne dors pas. Adressez encore à Paris. Je vous dirai demain le jour de mon départ. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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14 Val Richer. Vendredi 10 Juin 1853

Je ne sais si ceci ira vous trouver à Paris, ou à Ems. J’écris toujours. J’ai une raison pour n'être pas fâché que vous partiez. L’agitation de ce moment-ci vous fatigue. A part l’agitation de l'amusement, vous avez celle de l’intérêt que vous prenez aux choses mêmes. Vous vous donnez quelquefois l’air de croire à la très fausse maxime de votre fils Paul : not to care : mais au fond, votre nature à cette insouciance prétendue philosophique, et qui n’est qu’un pauvre petit égoïsme. Les choses qui méritent de toucher les hommes vous touchent, réellement, et quand vous êtes dans le foyer où elles se traitent, vous vous y consumez.
Ems vous reposera, et j’espère que l'ennui n’y sera pas trop fort. Dites vous seulement que vous êtes décidé à tirer parti des gens que vous y trouverez et vous en trouverez.
Si je croyais aux apparences, et si j'avais goût aux parallélismes historiques je m'amuserais à comparer 1853 et 1840. Il y a un grand air de ressemblance. Le traité à quatre n’est pas encore fait, et ne se signera probablement pas ; mais c’est la même situation à propos de la même question. Et toujours l'Angleterre protectrice de l'Empire Ottoman, envers et contre tous ; France ou Russie. Elle doit vraiment avoir grand crédit à Constantinople. Je ne puis croire que vous engagiez la grande affaire, la conquête sur le terrain où vous êtes aujourd’hui. Quel que soit l'état de l’esprit public, en Russie, le prétexte est trop peu sérieux aux yeux de l'Europe. Tout le monde vous donnerait tort, encore plus qu'à nous en 1840 pour notre patronage de Méhémet Ali.
Duchâtel est-il encore à Paris ? Je le présume d'avoir une lettre de Mad. Lenormant. Je suppose qu’il partira pour Vichy en même temps que vous pour Ems.

Onze heures et demie
J'adresse donc encore ceci à Paris. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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15 Paris Samedi le 11 juin 1853

Menchikoff est resté à Odessa il ne bouge pas de là. Nos troupes avancent. Notre flotte est prête. Nous entrerons dans les principautés, si l'Ultimatum est rejeté, et nous resterons. Pas de guerre pour cela à moins qu’on ne la veuille. Je doute que les flottes [anglaises] & [françaises] entrent dans les Dardanelles, mais si même elles y venaient. Quoi ? On se regardera et on rira. Il faudra que les Turcs fassent notre volonté.
Vous êtes parfaitement sages au-delà de ce que j’avais espéré. Long tête hier soir avec Fould. Je suis bien contente de lui. Pas trop d’amour de l'Angleterre. Point d'humeur contre nous. On veut modérer, concilier avoir l'honneur d'empêcher la guerre, bien plus grande gloire que le gain d'une bataille. Parfaitement convenable & bien, enfin je vous dis que je suis très contente, & que je pars rassurée. Je doute que l’Autriche se détache de nous, c’est impossible. Je suis abîmée de fatigue & de conversations. De tous côtés on est fâché de mon départ mais il faut partir je n’en puis plus. Adressez encore ici. On m'enverra votre lettre. Adieu. Adieu.
Voici Greville de hier.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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15 Val Richer, samedi 11 Juin 1853

Un nouveau délai, c’est quelque chose, pendant ce temps là, on négocie certainement à Vienne à Londres, à Paris. Si on sait s'y prendre, il doit venir de Constantinople quelque ouverture que l'Empereur ne puisse pas se dispenser au moins d'écouter, et qui engage une négociation nouvelle. Je suppose toujours que l'Empereur n’a pas son parti pris d’engager la question dernière, et de jeter bas, l'Empire Ottoman. Sauf cette hypothèse il est impossible que l'affaire ne s’arrange pas.
On m'écrit de Londres : " I see Lord Aberdeen very frequently happily rather a friend than patient. His healthy, since he took office, has been better than usual, though you will judge from what you see of tre current of affairs that he cannot he without various inquiétudes. The Turkish question, under ils present aspect the India Bill in its future course and the Education bill under the various perplexities which religious fond impose upon it, are all subject which may well afford to him thought and anxiety. " (Je vous supprime les questions intérieures) " On the Turkish questions I will not speak. A few days or weeks will decide them for good or ill, and the anticipation here is (or was yesterday, that all will end in compromise."
Est-il vrai que Lord Stratford ait proposé à ses collègues de faire une réponse collective aux questions de la Porte, et qu’on s’y soit refusé, en se bornant à des réponses identiques rédigées par M. Delacour ? Cela serait assez significatif et cette fois-ci encore comme en 1840 l’Angleterre aurait de la peine à se faire suivre de ses alliés.

Onze heures
Merci de ce que vous m'avez fait écrire. J’espère que votre fatigue n’est pas sérieuse. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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16 Bruxelles Lundi le 13 juin 1853

Adressez vos lettres à Ems ayez soin de mettre par la, Belgique en haut et près de Coblence. Quelle fatigue, mais je vais me reposer un jour. Je suis venu commodément avec Paul et Marion. Je trouve ici Hélène K. Chreptoviz part demain pour la reine. Nous allons ensemble à Cologne. Paul est un charmant compagnon de voyage. Ma dernière journée de Paris a encore été bien occupée & bien employée. Tout ira bien. Nous entrerons. Vous n’entrez pars. On négociera. On aboutira car c'est de vous & le besoin de tous. Nous sommes très contents de vous. Contents d'Aberdeen. Bien contents du roi Léopold.
Menchikoff a été maladroit & Stratford Canning détestable. Mais les cours respectives soutiennent leurs agents. La diplomatie à Paris est dans un [?] énorme, je vais bien leur manquer. Je vous ai dit que j'étais charmée de ma dernière conversation avec Fould. La France se fait & se fera un grand honneur dans cette affaire tant mieux pour elle et pour tout le monde. On a fait beaucoup d'arrestations à Paris des rouges.
Adieu, car je suis prise de tous les côtés. Hier j'étais bien malade, je me sens mieux aujourd’hui. Adieu. Adieu. L’Autriche, nous appuiera.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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16 Val Richer, Dimanche 12 Juin 1853

Deux lignes seulement qui courront après vous si vous partez demain. J’ai été dérangé hier et ce matin.
Je suis charmé que vous partiez tranquille ; charmé, et pour vous et pour le fond des choses. Je n’ai jamais cru à la guerre, à la vraie guerre. Vous entrez dans les Principautés. Vous en sortirez si la Porte vous contente, ou à peu près, ce qu’elle fera. Vous serez très fiers, et pas très difficiles. Il y a au fond de toute cette affaire, un résultat que vous ne dites pas, et auquel vous tenez plus qu'à tout ce que vous dites. Vous y arriverez. L’Europe, dans son état actuel, n’est pas en mesure, et pas toute entière en humeur de vous en empêcher. Adieu, adieu.
Vous me direz où et par où il faut vous écrire désormais. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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17 Bruxelles Mercredi 15 juin 1853

Je suis restée hier encore pour Hélène. Et me voilà ici. Cologne jeudi le 16. Je ne sais plus quand je vous ai écrit & quoi. Je rabâcherais peut-être. Le roi restait inquiet sur l’Orient, très occupé & utilement en Angleterre.
Excellent pour nous. Excellent pour la France. Pleine de sagesse, d’équité. Vraiment un homme remarquable.
Vous ai-je dit que Menchikoff a le commandement en chef de l’armée de terre & de mer dans le Sud que l’Empereur a été vif contre Nesselrode dans le premier moment. L’accusant d'avoir emmené tout cela par sa politique molle depuis longtemps. Que [?] n’a pas l'ordre de mission. Je l’ai vu à Paris, il est venu chercher sa femme dont il est séparé depuis 2 années. Homme d'esprit. J’espère le voir à Ems.
Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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17 Val Richer, Mardi 14 Juin 1853

Je ne vous ai pas écrit hier. Vous ne m’avez pas dit si vous partiez dimanche ou lundi. J'enverrai ma lettre à Paris, et elle sera à Ems aussitôt que vous, ou bien près. Je suis pressé de vous savoir arrivée. J’espère que vous m'aurez écrit, ou fait écrire, par Marion, quelques mots de la route.
Il me paraît qu’on commence à se calmer à Paris. La hausse reprend à la bourse. Les joueurs intelligents auront fait de bonnes affaires, et les badauds de bien mauvaises. La politique et les libertés de la France sont là, entre les fripons et les badauds. Ce que les journaux me disent de la dernière dépêche de votre Empereur est sensé et rassurant. Je regrette de n'avoir pas ici sous la main mes collections de Traités. Je suis assez curieux de savoir s’il a raison de dire qu'aux termes des traités avec la Porte, il a le droit, dans son débat actuel avec elle, d'occuper temporairement les Principautés. J’ai des doutes sur cette question là. Il n’y a du reste, pas grand chose à répondre à tout ce qu’il dit, sa seule faute, c’est de ne l’avoir pas dit complètement, hautement, tout de suite et à tout le monde. Il l'aurait fait plus aisement, et avec moins d’inconvénients pour lui en Europe qu’il ne le fait aujourd’hui.
Les journaux Anglais aussi se calment soit qu’ils y voient plus clair, soit qu’ils se résignent. Aberdeen ne sera pas plus compromis que la paix. Je n'ai point de nouvelles d'ailleurs, et je n'en aurai pas souvent à vous envoyer. Tous mes correspondants possibles sont partis avant vous, ou avec vous. Vous n'aurez de moi que des bribes, et des bribes rares.
Il fait ici aujourd’hui un temps superbe. Je vous le souhaite pour votre arrivée à Ems. La première impression dans un lieu qu’on va habiter est quelque chose, elle se répand sur tout le séjour. La vallée de la Lahn est charmante par un beau temps.

Onze heures
Voilà votre lettre de Bruxelles qui me fait grand plaisir. Pour vous d’abord, ni aussi pour ce qu’elle contient de nouvelles. Je suis pour la paix, par conscience parce que je la crois bonne par amour propre parce que j'y ai toujours cru. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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18 Ems Samedi le 18 juin 1853

Je suis arrivée très fatiguée, et je ne me repose pas encore. Demain je commence les bains. Il n'y a à Ems personne, jolie perspective. Mon fils meurt d'ennui. Il y a de quoi, il me quittera demain probablement et je ne pourrai pas lui en vouloir.
Nous nous nourissons des journaux. Je ne sais que penser de la grande affaire. Où va-t-elle nous mener tous, l'Europe entière. Il est parfaitement clair que c'est au fond rien ou peu de chose & que Lord Redcliffe seul lui a donné le caractère & les proportions que nous voyons. Je suis comme vous, je ne crois pas à la guerre. & cependant je ne comprends pas comment on pourra se tirer de là sans y recourir. Marion est très shy avec Paul. C'est étonnant comme il lui impose, et il est cependant charmant, & gai & amical. Pas de nouvelles de Constantin.
La Reine Amélie ne viendra pas à Bruxelles pour le mariage du duc de Brabant Elle n'y vient pas non plus pour la confirmation de la princesse Charlotte. Je tiens tout ceci du roi, qui met le plus grand soin à éviter tout ce que pourrait donner ombrage ou déplaire, & qui regrette seulement qu'on se livre à son égard et à l’égard des autres aussi à des soupçons parfaitement injustes, car bien certainement il y a bienveillance pour le gouvernement de France actuel, à Bruxelles à Vienne, à Berlin, à Pétersbourg. Partout la méfiance est très mal placée. Et peut entraver le bien. Adieu. Adieu, envoyez moi des nouvelles et des commentaires.
(Greville me mande que Walewski montre la plus grande joie. Quoiqu’il arrive la bonne entente est rétablie entre la France & l'Angleterre. Les partis orléanistes et légitimistes se montrent très contrariés de cela. L'Emp. de Russie qui ne voyait pas ce rapprochement possible aura été très contrarié en l’apprenant. En [Angleterre]. personne ne croit à la guerre. Mais on trouve la situation de l'Emp. difficile & on cherchera à l’en faire sortir sans trop déroger. Adieu.)

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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18 Val Richer. Vendredi 17 Juin 1853

J’ai grand peine à ne pas vivre tout-à-fait dans le 17e siècle au lieu du 19e. Je viens de dater cette lettre de 1653. C'est là que j'en suis avec Cromwell, au moment où il chasse le Parlement.
Je suppose que vous trouverez l'Allemagne très occupée de votre occupation des Principautés. C'est là que la question se transporte. C’est là du moins qu’on s'efforce de la transporter. Le petit travail des journaux du gouvernement pour le décharger de tout embarras m'amuse. Quand l'affaire de Lieux Saints a été finie, ils ont dit : " La question française est vidée, il n’y a plus qu’une question Européenne ou la France n’a plus que sa part " Maintenant, ils disent : " Puisque la Russie déclare qu’elle se barrera à occuper les Principautés, sans faire la guerre à la Porte, il n’y a plus à vrai dire, de question Européenne ; ceci n’est plus qu’une question allemande, c’est à l'Allemagne de savoir si elle veut que la navigation et le commerce du Danube passent tout à fait dans les mains de la Russie. Vous me direz si l'Allemagne est disposée à se charger ainsi seule du fardeau.
Il y a entre la politique de mon temps et celle qui lui a succédé cette différence que l’une à besoin de placer l’intelligence publique trop bas et que l’autre avait besoin de la placer trop haut.
Je vous suppose établie d’hier à Ems Bayrischer hof. Garderez-vous votre fils Paul un peu de temps ? Je le voudrais pour vous et aussi pour lui. Sa société vous est agréable et je crois que la vôtre lui est bonne.
Je ne comprends pas Hélène Kotschoubey de venir à Paris dans cette saison, à moins que ce ne soit pour s'y arranger pendant qu’il fait beau et y passer l'hiver prochain.
Je n’ai absolument rien de Paris depuis votre départ. Personne n’y est plus, que mon petit ami qui me dira bien de temps en temps quelque chose. Je ne sais pas quand Duchâtel et Dumon reviendront de leur voyage, l’un à Vichy, l'autre dans le midi. Le Duc de Broglie a été content de son séjour à Claremont. Les Princes très sensés et bien disposés ; mad. la Duchesse d'Orléans toujours la même ; il n’a point eu de conversation sérieuse avec elle. Le comte de Paris en grand progrès d’intelligence, de taille, de manière et d’apparences fermes et franches. Puisque vous aurez passé un jour plein à Bruxelles, vous y aurez vu du monde intéressant.

Midi
Je n’attendais pas de lettre aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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19. Ems le 20 Juin Lundi 1853

Mon fils m’a quitté avant hier soir. Me voilà vraiment sans une âme. Je n’ai pas voulu le retenir. Il a été bien & charmant. Plus longtemps j'aurais trop vu l'ennui, je n’ai pas voulu abuser. Je n’attends personne. Quelle jolie perspective ! Je commence à m'alarmer vraiment. Les chances de la guerre sont grandes, car rien ne peut satisfaire mon empereur qu’une satisfaction directe, écla tante ; et le firman pour tous les cultes n'est pas cela.
Je me suis un peu orientée sur ce qui s’est passé chez nous. Au fond Nesselrode n'était pas d'opinion d'envoyer le Prince Menchikoff. C'est l'Empereur qui l’a voulu. Cet ambassadeur a été cassant, hautain. Redcliffe est venu brochant sur la mauvaise humeur des Turcs. Des querelles de visites ont aigri l’un contre l’autre les deux ambassadeurs. Menchikoff a été maladroit en toutes choses et lorsque enfin la place n’a plu été tenable, il a mis sur le compte des faiblesses de Nesselrode la décadence de notre influence auprès de la porte, ce qui avait préparé sa défaite. L’[Empereur] a reproché à Nesselrode tout le passé des dernières années. Et la scène a été vive dit-on. M. Le ministre a voulu racheter cela par une rédaction très insolent de sa note à Rechid Pacha. Nous allons en apprendre le résultat après-demain. Sans doute la porte nous répondra par un refus, nous entrerons dans les principautés. Je crois savoir que ce ne sera pas cas de guerre aux yeux de l'[Angleterre]. & de la France, à moins que cela n’ait changé depuis mon départ de Paris.
Voici une lettre de Greville qui vous intéressera. Nous sommes dans une position très embarrassée. Dans tous les cas notre bonne situation en Europe restera bien endommagée ; mais je le répète je crains plus que cela.
La mort du Nonce m’a vraiment beaucoup affligé. Marion en pleurs. C'était un brave homme. si tolérant, si doux, si facile & fin. Il pleut à verse aujourd’hui. Pas de promenade, pas une visite. J'ai commencé les bains. Nous verrons dans quelques jours comment ceci me convient. Adieu. Adieu.
Nous sommes bien loin. Vos lettres m'arrivent en quatre jours. Comment vont les miennes ? Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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19 Val Richer, Dimanche 19 Juin 1853

Je n’ai pas cru à la mission de M. de Panin. Pourquoi ? Les missions soudaines de gros personnages ne sont bonnes que lorsqu'il y a quelque résultat éclatant à emporter en quelques jours. Rien de semblable ici. Vous n'avez qu'à laisser aller la situation. Il est évident que personne ne vous fera la guerre pour votre occupation, dite temporaire, des principautés. Si les Turcs tiennent beaucoup à ce que vous en sortiez, ils feront ce que vous leur demandez pour l'Eglise grecque. S'ils craignent davantage votre Protectorat des Grecs que votre séjour dans les Principautés, vous y resterez. Le protectorat, ou les principautés, l'alternative n’est pas mauvaise. Vous ne perdrez à ceci que sous un rapport, votre influence Euro péenne. Il y aura du dissentiment en Europe à votre sujet et de l'humeur contre vous. Vous êtes redevenus la Russie et non plus la tête de l’Europe, je ne sais pour combien de temps.
Vous regretterez ce pauvre Garibaldi. Il n'était pas, pour le corps diplomatique, un ornement, comme Valdegamas, mais une bonne pièce, sensé, tranquille, d’un commerce doux, ne faisant pas grand bien, mais jamais de mal. Sa mort ne m’a pas surpris, c'était une machine détraquée, et qui se savait détraquée. Il est mort d’une de ces maladies, du cœur qui éclatent tout à coup. L’année est mauvaise à Paris pour le corps diplomatique ; deux en quelques mois, c’est rare. Je n'ai point d’idée sur le remplaçant de Garibaldi. Jamais l’Eglise romaine n’a été aussi dépourvue d'hommes. C’est un bien mauvais symptôme, surtout pour l'Eglise qui n’a dominé et ne peut dominer que par la supériorité des hommes.
Nous sommes ici dans le calme le plus profond. Les préoccupations de guerre s'en vont. A Paris, la bourse, dans les campagnes le temps, il ne reste plus que ces préoccupations là. Je vis au milieu des dernières, et j'en prends ma part. A tout prendre, j’ai eu trop de pluie depuis que je suis ici.

Onze heures
J'attends impatiemment la nouvelle de votre arrivée et de votre établissement à lui. J’espère l'avoir demain, après-demain au plus tard. Si vous êtes à peu près sûre de la bienveillance de l’Autriche, vous auriez bien tort de ne pas accepter sa médiation. Vous sortirez d’embarras et vous regagneriez presque tout votre terrain en Europe. Je conviens qu’il faut être sûrs qu’elle vous donnera le Protectorat grec, ou à peu près. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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20. Ems Mercredi 22 juin 1853

Voici copie de qui vous savez. Si vous entrez, ce sera la guerre, si vous restez à la porte on négociera.
Je crois plus au bon sens français qu’au bon sens anglais dans cette circons tance. Mais à vrai dire je ne crois plus à rien. Je rumine toute seule dans ce désert. Vrai désert moral. Toujours et absolument personne. Si je n’avais pas l'incluse à vous envoyer je ne vous écrirais pas aujourd’hui car je n’ai pas un mot à vous dire. Le temps est pluvieux & froid.
Je suis à mon quatrième jour des bains & de l’eau. Mon médecin m'inspire assez de confiance. Marion est gaie, j'ai fait une bonne distribution de ma journée, elle ne m’a pas encore parue trop longue. Mon esprit s’engourdit un peu. Cela repose.
Dites-moi ce que vous pensez de la lettre. Evidemment bien de l’esprit, pas trop content de ce qui s’est passé et pas très confiant dans l’avenir je le soignerais ici surtout il me sera précieux. Donnez moi de quoi le nourrir.
Adieu. Adieu.
2 h. Je suis de lire notre circulaire du 11 juin. J'en suis contente. On ne peut pas se battre pour cela. Au fait il n’y aura de mot qu’une église. De tout ceci il restera une forte attente portée à notre réputation d'habileté diplomatique un rapprochement entre la France & l'Angleterre. Et un nouveau bail pour la Turquie est-ce que je me trompe ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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21 Ems le 23 juin 1853

Quoique l’avis soit inutile j’espère, puisque je l'ai négligé hier. Je veux vous le dire aujourd’hui : que la copie que je vous ai envoyée hier reste bien pour vous seul ! Je n’ai rien de plus. Je suis curieuse de ce que vous me direz de notre dépêche.
Ma nièce arrive après-demain. Son mari n'ose pas quitter Berlin. Je crois & je crains alternativement : la paix, la guerre. Comment deviner ? C’est triste de ne bavarder qu’avec moi-même. Il pleut à verse. Voilà le cinquième jour, et pas une âme. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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21 Val Richer, Jeudi 23 Juin 1853

Je suis charmé de vous savoir arrivée à Ems. Il y viendra du monde. Pourtant, si la pluie continue la vallée de la Lahn ne sera pas bien gaie ; il y faut le soleil. Je suis ennuyé de la pluie, mais qui ne m'ennuie guère. Je vais aujourd’hui voir un site et un vieux château qu’on dit pittoresques, à cinq lieues. J'espérais hier du beau temps ; mais le soleil ne paraît que pour donner des espérances trompées.
Ce que vous me dites des dispositions du Roi Léopold et de ses soins pour ne causer ici aucun déplaisir ni aucun ombrage ne m'étonne pas.
Voici un détail qu’on m'écrit et qui s'accorde parfaitement avec votre impression. A la fin de sa conférence avec l'Empereur d’Autriche pour arranger le mariage du Duc de Brabant, le Roi Léopold dit à l'Empereur : " V. M. trouvera bon sans doute que j'informe sans retard la Reine Victoria d'un événement si glorieux pour ma famille et si heureux pour la Belgique L'Empereur approuva avec empressement. Le Roi fit quelques pas pour sortir du cabinet ; puis, se retournant : " La Belgique doit son indépendance et sa nationalité à la France au moins autant qu’à l’Angleterre, et moi, je leur dois ma couronne, la France est toujours la France pour la Belgique et pour moi ; je voudrais que l'Empereur Napoléon fût informé du mariage de mon fils en même temps que la Reine Victoria : V. M. y consent elle ? - Ne craignez-vous pas que cette politesse ne lui semble un peu ironique ? Du reste, vous en jugerez ; je n’y fais, pour moi, aucune objection. "
Le Roi Léopold fit venir Bourqueney, et lui communiqua le mariage. Avec du bon sens et de bons procédés, on surmonte ou du moins on ajourne bien des difficultés de situation et bien des mauvais vouloirs.
Je n’ai rien de nouveau à vous dire sur la grande question. Je persiste. On a à Londres trop d’esprit pour ne pas comprendre que la difficulté consiste aujour d’hui à tirer votre Empereur d’embarras, et on veut trop la paix pour ne pas s'y prêter. On y aidera sans doute d’ici. Donc tout s’arrangera. Même en admettant que de tout cet incident, vous feriez un pas de plus en Turquie, vous l'aurez payé cher, en Europe.
On me dit que Paris est un vrai désert. Mad. de Boigne est partie pour Pontchartrain ; le Chancelier pour Sassy, chez sa belle fille. Ils se réuniront ces jours-ci à Trouville où il n’y a encore que fort peu de monde. Le Duc de Noailles, à ce qu’on me mande, est sans cesse sur le chemin de fer de Chartres à Paris. On commence à parler beaucoup de ses préoccupations de bourse, et ses amis s'en chagrinent. On trouve que c’est assez d’un duc de Mouchy.

10 heures Adieu. Je pars pour ma course, et comme je n’attends point de lettre aujourd’hui, le facteur me touche peu. Je reviendrai dîner ici. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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22 Ems le 25 juin 1853

Selon une nouvelle lettre de Vienne, nous n’entrerons pas dans les principautés avant le 2 ou le 3 juillet ; alors encore on pourra négocier, mais les chances de s’arranger deviennent plus faibles tous les jours. Et hélas vous perdrez votre pari. Et moi, je ne rentrerai pas en France. C’est affreux d'y penser. Je doute de l’efficacité de l’Autriche à Constantinople et c’est la dernière chance.
Tout ceci dérange grandement l'effet des haines. Je ne pense qu’à la guerre et à ce que sera mon sort. Je ne le conçois pas. comme je ne vois personne ; jugez quelle belle occasion de me faire tous les dragons du monde.
Et puis, il pleut sans cesse. Je ne puis pas sortir. Je suis très à plaindre. Les journaux, voilà pour m’assombrir l’esprit encore. Ah la maudite question d'Orient. Marion prétend que je me suis [?] à [?], c’est possible. Depuis hier je ne me sens pas bien. C’est peut-être l’agitation d’esprit qui dérange l’effet des eaux. J'attends ce soir ma nièce. Ce ne sera pas grand chose quoi que quelque chose. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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22 Val Richer, Vendredi 24 Juin 1853
4 heures

Je suis revenu hier fort tard de ma course. Je n'ai lu que ce matin votre circulaire. Elle est bien faite. Surtout elle a l’air bien faite. Elle a l’air ferme et conciliante. Au fond, elle est ni l’un ni l’autre autant qu’elle en a l'air, et comme le fond parce toujours, je doute qu’elle produise, pour vous, en Europe, tout l'effet que vous en devez désirer.
Je lui trouve un défaut singulier ; elle est faible sur le point où vous êtes le plus fort, sur le point de droit. En droit, vis-à-vis de la Porte, comment ne seriez-vous pas fondés à lui demander, par un acte diplomatique, la promesse de maintenir, en faveur de l'Église grecque, les engagements qu'elle a déjà écrits, en termes généraux, dans ses traités avec vous ? En trait, vis-à-vis de l'Europe comment ne seriez-vous pas fondés à exercer, au profit de l'Église grecque, la protection que l’Europe exerce au profit de l'Église catholique ? On vous oppose le nombre est-ce que la France, se croirait moins obligée, ou moins autorisée à protéger les catholiques en Turquie, s'ils y étaient plus nombreux. Est-ce que l’Angleterre s’interdirait d'y protéger les Protestants, s'il y en avait, surtout s'il y en avait beaucoup ? Envers l'Orient et envers l'Occident, le croit est ici pour vous. Quand on discute, le droit est la meilleure des places fortes, vous ne vous y êtes pas assez fermement établis ; vous n'avez pas l'air assez sûrs qu’elle vous appartient.
Votre circulaire est principalement apologétique. Vous vous défendez du reproche d’ambition du côté de la Porte. Position faible, et d’où vous parlez sans autorité. L’ambition du côté de la Porte, c’est votre vocation, c’est votre histoire dans l'avenir comme dans le passé. Prouvez, si vous le pouvez, que vous savez subordonner votre ambition à la bonne politique, à la justice, au droit international, à l'ordre Européen ; mais ne vous désavouez pas vous-mêmes pour ne persuader personne, ne faites pas parade de votre désintéressement dans cette question ; plus vous en parlez, moins, on y croit.
Je trouve aussi que vous n'êtes pas assez chrétiens. Les catholiques fanatiques ne vous regardent pas comme des Chrétiens ; ils aiment bien mieux les Musulmans que les schismatiques et ils verraient avec désolation cette belle partie de l’Europe passer des mains des Turcs dans les vôtres. Mais c’est là une haine de secte et une sottise de coterie, pas du tout le sentiment général en France, en Allemagne, en Angleterre, dans toute l’Europe civilisée. Vous êtes des Chrétiens ; vous êtes en Orient les représentants de la fois et de la civilisation Chrétienne. Parez-vous hautement de ce fait et de ce nom ; opposez-les toujours à la barbarie et à l’apathie musulmanes. Il y a là, pour vous, auprès du public Européen, un principe de sympathie et presque une excuse, au besoin.
Pourquoi ne pas faire aussi valoir, et très ouvertement le sentiment national chez vous et les devoirs comme les nécessités qu’il vous impose ? En Allemagne, en France, en Angleterre, le public, par un secret retour sur lui-même, vous saurait gré de ces témoignages de respect pour l'opinion publique russe, et les gouvernements seraient un peu embarrassés à vous contester son importance. Vous pouvez sans inconvénient, ce me semble être libéraux jusque- là.
En tout, je fais à votre circulaire le même reproche qu'à votre politique pratique dans cette affaire ; ne pas assez dire toutes choses, ni assez haut, ni assez tôt, à tout le monde. Venue avant la crise, la vérité sert ; quand elle ne vient qu'après, elle embarrasse. Voilà ce que je vous dirais, si nous causions ; je vous l'envoie, quoique ce soit bien loin. Vos lettres m’arrivent le cinquième jour de leur bate. J’ai reçu ce matin, vendredi 24, celle du lundi 20.

Samedi 25 onze heures
Le courrier ne m’apporte rien sur l'extérieur, mais beaucoup sur l'intérieur, la famille impériale, plus de ministre de la police, de diplomates nouveaux, les sénateurs nouveaux. A demain les réflexions. Je remercie Marion de ses copies. J’espère qu’elle va bien. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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23. Ems le 28 juin 1853

Vos réponses sont longues à m’arriver. Je ne sais pas encore ce que vous dites de notre long facteur. Il est bien controversé. Il y a bien à dire. Il est évident que tout le monde cherche à éviter la guerre, moins Lord Redcliffe et peut-être ses patrons. Nous verrons. Toute cette incertitude me fait du mal. J’ai été obligée de suspendre mes bains. La pluie n’a pas discontinué depuis mon arrivée c’est une horreur au milieu de cette solitude. Ma nièce est très bon enfant, mais elle va bien s'ennuyer aussi. Je n'ai pas un mot à vous dire. Personne ne m'écrit de Paris. Mollé seul ! Je vous laisse à juger ce que sont ses lettres ! Il parait que Morny s'est donné du mouvement, vous m'en direz quelque chose.
Un mot de Constantin m’apprend que nous entrerons le 2 juillet dans les principautés. Les Bulgares Turcs nous demandent des armes contre les Turcs, les Grecs sont dans une grande effervescence, les Turcs sont agressifs. Ils envoient des émissaires pour soulever les Circassiens. Tout cela est très mauvais. Comment cela finira-t-il ?
Adieu. Adieu.
Nous faisons une pauvre correspondance ! Menchikoff reste à bord de son vaisseau à Odessa.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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23 Val Richer. Lundi 27 Juin 1853

Votre très spirituel et très sensé correspondant est dans la désagréable situation d’un homme chargé de réparer les fautes qu’il n’a pas faites et d'empêcher le mal qu’il a prévu. Je comprends son humeur et je crois qu’il a raison d'en avoir. Il faut pourtant qu’il réussisse, car c'est lui aujourd’hui qui a mission d'empêcher. la guerre. Je vois dans les journaux que vous avez promis de ne rien faire jusqu'à ce qu’on sache les résultats de l'arrivée de M. de Brück à Constantinople. J’espère que c’est vrai. En tout cas, je reste très curieux et peu inquiet.
Je ne sais pas bien encore la vraie cause de la chute de M. de Maupas. Est-ce un acte de politique générale, et désir de plaire au public en supprimant le Ministère de la police ? Est-ce une défaite personnelle du ministre dans sa lutte contre ses ennemis ? et, dans ce cas, contre lequel de ses ennemis, M. de Persigny, M. de Morny ou M. Fould, car il les avait tous les trois ? C'est Persigny qui recueille son héritage. Mais Fould aussi y gagne quelque chose, car Magne, dont on double les attributions, est son homme. Du reste peu importe. La mesure est en général, approuvée.
On m'écrit ceci : " Les habiles veulent qu’il y ait corrélation entre les deux décrets, et qu’on n'ait créé un conseil de famille pour surveiller les Princes que faute d’un ministre de la police qui les surveille d’assez près. Je ne sais ce que l'héritier présomptif pense du décret, mais la colère de la Princesse Mathilde n’a pas pu se contenir. "
Il est sûr que si le conseil de famille fait tout ce qu’on le charge de faire, les Princes seront tenus de bien court.
Mon ami M. Moulin (vous savez qui c’est) est revenu de son voyage d’Italie. Voici son impression sur Milan et Turin. " La situation de l’Autriche est loin de s'améliorer en Lombardie. Le sentiment national y est en protestation constante contre la domination étrangère. J’ai pu constater que pas un bourgeois de Milan n’entre dans les cafés fréquentés par les officiers Autrichiens et que pas un salon n’est ouvert à cet uniforme, en dehors du monde officiel. Le bon gouvernement ne suffit pas à vaincre cette répugnance car le pays est bien administré ; les chemins de fer s'y font vite et honnêtement, sans charlatanisme et sans embarras.”
" J’ai séjourné à Turin au milion des fêtes. commémorations du statut. J’ai vu défiler à la Revue du Roi une garde nationale, caricature de la nôtre. J’ai entendu les cris et les chants des étudiants et des ouvriers parcourant les vues en groupes et vociférant des félicitations sous les fenêtres des députés et des journalistes patriotes. La presse est à Turin d’une violence et d’une perfidie qui rappellent et ramènent les mauvais jours. Je ne peux pas partager l’enthousiasme de quelques uns de nos amis et du Journal des Débats pour ce gouvernement. Je lui crois peu d'avenir ; il passera à l'état républicain révolutionnaire, ou il rétrogradera. Au demeurant nous aurions en France quelque chose de semblable à ce qui règne entièrement. Si MM. Thiers et Barrot gouvernaient le pays avec l'alliance de Cavaignac, et de Bixio dans un Parlement.”
Vous voyez que c’est un homme d’esprit. C'est dommage que l'ennui de Vichy ne puisse pas consoler de celui d’Ems. Duchâtel ne s'amuse pas plus que vous. Aussi mauvais temps et pas beaucoup plus de monde. Montalembert pourtant et d'Haubersaert. Mais Montalembert n’est pas bon à grand chose pour Duchâtel ; ces deux esprits ne vont pas ensemble. D'Haubersaert vaut mieux. D'ailleurs il joue au piquet. C’est là la ressource de Duchâtel, matin et soir. Adieu.
Le mauvais temps, qui m'ennuie moins que vous est plus sérieux pour moi que pour vous. Mon fermier en gémit, et si sa récolte ne va pas bien, je m'en trouverai mal. Adieu, Adieu. G.
P.S. Je reçois à l’instant votre lettre du 23 (N°21). Elle n'était pas nécessaire. Soyez tranquille. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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24 Ems Jeudi 30 Juin 1853

Dans les grandes choses, votre esprit & votre jugement sont merveilleux. Vous voyez que je parle de la lettre où vous appréciez la dépêche Nesselrode. Je l’ai envoyée au correspondant que vous savez. Il en sera très frappé. Elle était trop grosse pour le quartier général, je crois cependant qu’elle y fera son chemin par ce détour. Évidemment on fait les derniers efforts pour négocier un arrangement, mais je ne comprends pas que mon Empereur puisse céder, car ce qu’il demande est après tout bien peu de chose. Je n’ai pas de lettre ici de Londres, ni de Vienne qui sont mes deux bonnes sources.
La pluie a cessé Dieu merci. J'ai pu recommencer les bains. Je vois chez moi le soir quelque fois le prince de Prusse, roi un jour. Il a 22 ans, agréable, et bon enfant. Voilà tout ce que j’ai pu attraper, il n'y a absolument personne. C'est à périr.
2 h. Une longue lettre de Greville, très noire pour nous. Il croit qu’on négociera entre Londres & Pétersbourg plutôt qu’à Constantinople. Mais là le sultan ne veut entendre à rien, c.a.d. que Redcliffe veut cela. Greville reconnaît que l’[Empereur] ne peut pas reculer. Quelle mauvaise affaire ! Je crois que si vous & mon correspondant de Vienne vous vous rencontrez, vous trouverez moyen de nous en faire sortir. Vous comprenez comme tout ici me tracasse.
M. de Budberg me mande de Berlin, que selon les lettres de Brunnow le Cabinet anglais a abdiqué ses pouvoirs entre les mains de Lord Redcliffe.
Adieu. Adieu, je ne pense et ne rêve qu'à ce maudit Orient, et à vous. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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24 Val Richer. Mercredi 29 Juin 1853

La correspondance Autrichienne du 23 me paraît contenir l'indication du procédé par lequel on dénouera la grande affaire, la Porte vous adresserait une note par laquelle elle vous annoncerait, et confirmerait les garanties qu'elle vient d'accorder à tous les Chrétiens par son firman spontané du 6. La note les appliquerait spécialement aux Grecs. Vous étiez, d'après votre circulaire, décidés à vous contenter d’une note rédigée et convenue d’une certaine façon. Entre la Porte et vous, il n’y a plus qu’un cheveu.
Vous vous êtes servis dans votre circulaire d’une expression qui n'était pas heureuse et que je m'étonne qu’on n'ait pas relevée, vous avez dit que la note dont vous aviez demandé l'acceptation pure et simple était le noeud gordien de la question. C'est le propre des noeuds gordiens de ne pouvoir être tranchés que par l’épée. Rigoureusement parlant, vous annonciez ainsi la guerre. Je suppose que vous ne serez pas stricts à ce point dans votre rhétorique classique, et que vous n'interdirez pas absolument à la diplomatie de dénouer ce nœud gordien. En attendant qu’elle le dénoue, l’escadre d'évolution que notre gouvernement vient d'ordonner sur l'Océan a l’air d'être mise là, pour se joindre, dans l'occasion à l'escadre anglaise de spithead. L’officier à qui le commandement en a été donné, l’amiral Bruat est l’un de nos plus capables, et plus hardis marins deux escadres Anglo-françaises, l’une pour la mer noire, l'autre pour la Baltique, que de bruit ! Je vois que la Princesse Tchernifchoff ne croit pas plus que moi à l'explosion de ce bruit puisqu'elle vient à Cauteretz. Est-ce que la Princesse Mentchikoff n’est pas aussi restée à Paris ?
M. Mérimée sénateur a fait moins d'effet à l'Académie que M. Lebrun. On a trouvé cela assez simple. Il n’avait jamais témoigné d'opposition et il était de l’intimité. L’Académie vit toujours en grande paix. Il n'y a nulle part, dans les rapports personnels, plus de bon sens et de justice s’y fait dans l'occasion, mais tranquillement, finement, et quand elle a été faite une fois, on s’en tient là, on ne la recommence pas tous les jours, par taquinerie ou par entêtement de gens mal élevés.

Onze heures
Voilà votre N°22. Votre inquiétude m'afflige plus qu’elle ne m'inquiète. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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25 Ems samedi le 2 juillet 1853

Aujourd’hui 2 nous entrons dans les principautés. On nous interpellera sur nos intentions. Les négociations commenceront à Constantinople. Quand la Turquie voudra signer l'engagement que nous demandons nous sortirons des principautés, pas avant. C’est l'Autriche qui sera intermédiaire. Elle a intérêt à la conservation de l’[Empire] ottoman & point de la confiance des deux parties. Voilà ce que me mande mon correspondant de Vienne en date d’avant hier. Il ajoute quand la guerre éclatera j’irai à Gastine, je me soignerai et j'aurai désormais peu de foi dans la diplomatie. Si je n’étais retenu par les liens de la reconnaissance j'enverrai toute la boutique au Diable.
Vous voyez qu’il n'y a là rien pour me rassurer. Aussi suis-je bien noire.
2 h. Dans ce moment une lettre de Berlin d'un jour plus fraîche et donnant des nouvelles de Pétersbourg du 25. Beaucoup plus rassurantes, mais refusant de m’expliquer pourquoi, mais me priant de croire. Je ne demande pas mieux, mais j’ai peine à comprendre. Comme tout cela me tracasse, et la pluie par dessus le marché et une température très froide, et pas une âme. Les de Laigle sont ici c’est à peu près comme rien du tout.
Ma Nièce est gentille & bon enfant. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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25 Val Richer. Vendredi 1er Juillet 1853

Deux choses m'inquiètent un peu la motion de Lord Clanricard, et le langage de Lord Lyndhurst en demandant la production de la circulaire de M.de Nesselrode. Une adresse de la Chambre des Lords provoquée par un ancien ambassadeur chez vous, et des paroles si dures d'un ancien d’Angleterre sur la chancelier de Russie, cela a l'air bien sérieux. Il est vrai que l’Angleterre a besoin d'avoir l’air sérieux, si elle veut influer sur vous, de même que vous, vous obligés d'avoir l’air sérieux pour qu’on vous cède tout ce qu’on peut céder. Double danger qui est réel. Du reste, de part et d'autre, on ne cédera quelque chose que lorsqu’on sera convaincu que le danger est réel. Il faut donc se décider à passer par cette épreuve.
Ne vous y trompez pas, et vous le savez aussi bien que moi ; par caractère, autant que par l'Empire de leurs institutions, les Anglais, une fois engagés, vont jusqu'au bout. Les gouvernements publics, sont ceux à qui il est le plus difficile de reculer, ou pour parler poliment, de transiger. Votre correspondant, dans son humeur contre l'Angleterre croit qu’elle aime trop la paix pour se décider à faire la guerre. Il se trompe. L’Angleterre tient beaucoup à la paix et fera beaucoup, beaucoup pour éviter la guerre ; mais elle peut très bien s'y décider ; et si elle s’y décide, elle la fera rudement. Rien n’a plus trompé l'Empereur Napoléon que ce lieu commun. Les Anglais, peuple de marchands, qui tient. par dessus tout à ses intérêts matériels et à son bien-être. Il n’y a point de peuple plus capable de se laisser emporter par un sentiment d’orgueil, ou par une idée du droit, de devoir, de religion, dans un sens contraire à son intérêt matériel. Et comme il est puissant et habile, il sait se retourner dans la voie nouvelle où il se jette, et tirer parti de la guerre, même au profit de sa prospérité. Et il sait, d'avance qu’il saura et qu’il pourra faire cela, en sorte qu'au fond, il redoute moins les conséquences de la guerre qu’il n'en a l'air. Ne vous fiez pas à l’amour des Anglais pour la paix. Il pourrait vous en coûter bien cher. En conscience, c’est une affaire à arranger ; il y a pour vous, infiniment plus d'inconvénients que d'avantages à la pousser loin.
Du reste, j’ai vu avec plaisir, dans mes journaux d’hier, que Clauricard avait un peu ajourné sa motion. J'en conclus qu'Aberdeen espère toujours que l'affaire s’arrangera. Je parie toujours qu’il a raison. Onze heures J'ouvre mes journaux et n’y vois rien de nouveau. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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26. Ems Lundi le 4 juillet 1853

Bien mauvaise lettre de Greville. La guerre inévitable. L’Empereur dit qu’on peut lui brûler sa flotte de la mer noire, cela lui est égal. Il veut avoir raison des Turcs. Greville parle de nous détruire aussi dans la Baltique. Enfin cela n’est plus arrangeable selon lui, & selon tout le monde. Ah mon Dieu. Et vos pressentiments ? Tiennent-ils encore ? Que vais-je devenir ? Tout ceci, & le mauvais temps et l'isolement complet, me fait du mal. Je ne suis pas mieux qu’à Paris et aujourd’hui après cette mauvaise lettre, pire.
En Russie on parle de guerre sainte. En Turquie c’est la guerre sainte aussi, & chez les Grecs ditto. Comment espérer qu'on recule quand on est allé si loin ? La mission de Giulay ne produira rien.
La guerre de la révolution apparaîtra bientôt. Nous en verrons de belles ! Vous pouvez concevoir ma tristesse, & cela au milieu d'un total isolement.
Adieu. Adieu.
Brunnow avait annoncé le 1er Juillet à Clarendon que l’ordre d'entrer dans les principautés était parti. L'Angleterre et la France nous déclareront la guerre si les négociations ne nous forcent pas à nous retirer. Et nous ne nous retirons pas. Je vous ai dit qu'on a ordonné chez nous une nouvelle levée de 10 h sur 1000. C’est énorme.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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26 Val Richer, Dimanche 3 Juillet 1853

Vous êtes probablement entrée hier dans les Principautés. On s'y attend depuis trois semaines. Pourtant cela fera de l'effet. Si, comme vous le dites, de Constantinople, on excite les Circassiens, et si à Pétersbourg, vous acceptez les provocations des Bulgares ou des grecs, cela peut aller loin. C'est là ce que je crains le plus. Ma sécurité, c’est que je demeure convaincu que vous ne voulez pas la guerre, et que, ni à Constantinople, ni à Londres, on ne la veut pas plus qu'à Paris. Vous l’engageriez sur un bien puérile motif et sous de bien mauvais auspices. Ne croyez pas que le gouvernement Français résistât à la tentation d’une union intime avec l’Angleterre et des chances que la guerre pourrait lui ouvrir. Chances d'éclat, sinon de conquête. L'éclat lui suffirait pour quelque temps. Vous verriez bientôt l'Allemagne prendre elle-même parti contre vous, sinon ouvertement et par ses armes, du moins par ses voeux les peuples allemands pousseraient fortement dans le sens et les gouvernements, quelque crainte, et quelque besoin qu’ils aient de vous, ne se compromettraient pas, pour vous soutenir, avec la France et l'Angleterre, et avec leurs peuples.
Vous ne pouvez entreprendre, à vous seuls, la solution définitive de la question Turque, c’est à dire la conquête de Constantinople ; il vous faut, de toute nécessité, l’entente préalable et l'accord soit avec l’Autriche et la France, soit avec l’Autriche et l'Angleterre. Vous ne l’avez pas et vous ne l'aurez pas aujourd’hui. Vous jetteriez l’Europe dans le chaos, en l'ayant au début, presque tout entière contre vous, et en ne pouvant attendre de chances favorables que des séductions et des bouleversements du chaos. Je persiste à croire que vous ne voulez pas cela. Le ferez vous sans le vouloir, par entraînement. et par pique ? Je ne puis le croire. D'autant que si vous voulez vraiment l’éviter de toutes parts certainement on vous y aidera. Conclusion votre entrée dans les Principautés ne sera pas la guerre ; on recommencera à négocier, et on finira par trouver un biais dont vous vous contenterez. Je vous le répète, je ne crains que les folies Turques et grecques, et vos faiblesses, à vous, en présence de ces folies, faiblesses de colère ou faiblesses de sympathie. Vos hommes de sens et d’esprit, qui veulent la paix, ont bien à regarder et à se garder de ce côté.
L’amiral Hamelin, qui remplace La Susse est un officier plus jeune, très bon marin, point mauvaise tête, homme d’exécution au besoin, mais qui va pas au devant des aventures. Je suppose que le vrai motif du rappel de La Susse, c’est qu’il était détesté de sa flotte, officiers et matelots. On fait sur toutes nos côtes, une levée de marins considérable, dans mon petit port de Trouville, où il y en a 400, on en a appelé 100 qui ont été envoyés à Brest, pour l'escadre de l'Océan, que commande l’amiral Bruat.

Onze heures
Vous devez avoir en mon avis sur votre circulaire mardi, ou mercredi dernier, le 28 ou le 29. Il est vrai que nous pour parlons de bien loin et bien tard. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 6 juillet 1853 27

Une nouvelle lettre de Vienne, et rien de rassurant de nulle part. Le comte Platen est arrivé de Paris hier. Hubner l’a chargé de me dire de ne pas m'inquiéter, il voit en rose. Hatzfeld tient le même langage. Kisseleff ne parle pas, et a l’air très tranquille et cependant voyez ? Tout ceci me fait du mal, et me trouble la bile.
Je vous envoie copie de la lettre mais pour vous seul. Je sais que la vôtre est allée à Pétersbourg. Notre amie l'Assemblée nationale passe à l'ennemi aussi. Il ne nous reste personne.
Adieu. Adieu. Je suis très sotte. aujourd’hui.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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27 Val Richer, Mardi 5 Juillet 1853

Vous me donnez l’esprit des grandes choses d’une façon qui me refuse celui des petites. J’ai envie d'être choqué. La première fois que vous me consulterez sur les comptes de votre maître d'hôtel, je n'aurai pas d’avis.
J’ai les journaux du gouvernement dans les feuilles d'Havas qui me donnent des extraits du Constitutionnel et du pays, et aussi de petits articles originaux qui sont ce que le Gouvernement veut dire à ses fonctionnaires. Votre politique y est de plus en plus sévèrement jugée, mais toujours pacifiquement. Deux choses me semblent certaines, l’une qu’on vous donnera toutes les facilités possibles pour couvrir votre honneur l'autre, que si vous voulez pousser les choses très loin, vous trouverez tout le monde uni contre vous ; les uns vous feront la guerre, les autres ne vous soutiendront pas. Je parle très tranquillement de cette extrémité parce que je n'y crois point. Mais je serai charmé le jour où il ne sera même plus possible d’un parler. Je veux vous savoir tranquille aussi, et ne songeant qu'à profiter des eaux et à revenir à Paris. Je suis bien aise qu’on négocie entre Londres et Pétersbourg. Il ne se fera rien, et rien de bon à Constantinople. La transaction doit se faire là où est la puissance, je ne crois point que le Cabinet anglais ait abdiqué entre les mains de Lord Stratford. Il soutiendra son agent, mais sans se laisser mener par lui. J’espère que votre Empereur, en fera autant. La visite au général Ogareff à Portsmouth m’a fait plaisir à lire. C’est un petit symptôme des dispositions pacifiques et un beau symptôme des moeurs douces et libérales de notre temps.
J’ai eu ces jours-ci un plaisir d’une autre sorte. L’Académie Française avait mis au concours une étude historique et littéraire sur le poète Ménandre, et la comédie chez les Grecs. Elle a partagé le prix entre mon fils et un savant homme d’esprit de 40 ans Guillaume en a vingt. Son mémoire est vraiment spirituel et mérite, je crois, cette distinction.

18 heures et demie.
Voilà le Pruth passé. Quand vous serez établi dans les provinces, et que vous aurez ainsi fait acte de puissance, ferez-vous acte de modération ? Si les Turcs ou les Grecs ne font pas de folie, je l’espère. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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28. Ems le 8 juillet 1833

L'impératrice m'écrit en date du 2. " J’espère en Dieu qu'il bénira les intentions droites & simples de mon empereur, & que la guerre. sera évitée. " Bonnes paroles, les dernières.
Le manifeste va exalter le sentiment religieux, mais il laisse encore ouverture à la négociation. Nous allons savoir tout à l’heure si Constantinople regarde l’entrée dans les principautés comme cas de guerre.
Je suis inquiète de tous ces complots à Paris. Que Dieu nous préserve d'un malheur là. Le comte [?] est arrivé. De l’esprit, beaucoup de connaissances, pas trop versé dans la diplomatie. Fort disposé à causer. Cherchant à apprendre. Défendant notre cause très bien, mais ne me persuadant pas. Toujours en doute de l'Angleterre c.a.d. ne croyant pas qu’elle puisse en venir aux extrémités.
Quant à nous pas l'ombre d'un doute que nous aurons Constantinople, & que personne ne peut nous en empêcher. Des préparatifs sur la plus grande échelle et les Turcs impuissants & appauvris. Le temps est à la chaleur, mais excessive. Je suis fondue. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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28 Val Richer, Jeudi 7 Juillet 1853

Mon fils est revenu hier de Paris. Il m’a rapporté des conversations et des lettres, toutes d'accord avec vos nouvelles de Berlin. Personne ne croit à la guerre. Duchâtel vous écrit peut-être, et je ne fais que vous répéter ce qu’il vous a dit ; en tous cas, il me mande qu’il a vu Cowley, Rothschild, Bertin, et qu’il n’a trouvé personne inquiet. Les flottes n'entreront dans les Dardanelles que si vous tentez un coup de main sur Constantinople, ce que vous ne tenterez point. Il finit par ceci : " Ici, on paraît très pacifique. L'Empereur Napoléon a beau jeu, et on assure qu’il le comprend très bien. S’il maintient la paix, les conséquences pour son autorité morale seront grandes. Mettez à sa place un ministère de Thiers, que de folies ! Il n’y aurait plus de chances depuis longtemps pour le maintien de la paix. Se trouver le protecteur de la paix et des intérêts immenses qui s'y rattachent, quand on se nomme Napoléon Bonaparte, c’est une merveilleuse chance. Ajouter la bonne fortune de voir l'Empereur Nicolas se conduire en aventurier fantasque ! Il est vraiment né coiffé."
Pardon de vous envoyer les paroles textuelles Une autre bonne main m'écrit : " En Angleterre, les craintes qu'inspire la récolte ont beaucoup refroidi l'humeur guerrière ; les dispositions pacifiques de la cité viendront en aide à l'influence modératrice de Lord Aberdeen. Ici, on est très calme et très satisfait d'avoir conquis l'alliance anglaise ; on ne désire pas la guerre, et on fera tout ce qu’il faudra faire pour l'éviter. "
Résignez vous à croire à la paix sans savoir comment on s'y prendra pour la rétablir. La prétention de savoir comment est la source de toutes les incrédulités. Les philosophes du siècle dernier ne croyaient pas en Dieu ni en l'autre vie parce qu’ils ne parvenaient pas à savoir comment Dieu est fait et comment, nous, nous serons faits. Que de choses même dans ce monde-ci, qu’il faut croire sans en savoir le comment ! Du reste les termes de votre manifeste du 5 fait entrevoir un comment ; le mot s'obliger sans dire envers qui semble admettre ces combinaisons qui résoudraient la difficulté. Nous verrons.
Le Ministre des Etats-Unis à Pétersbourg serait-il admis à la cour dans le costume du [?] Franklin, comme le président M. Pierre vient de le recommander à tous ses agents ? Ce serait là une pauvreté bien ridicule s’il n’y avait pas derrière la recommandation, une fierté et une puissance démocratique très réelles.

Onze heures et demie
Mon facteur arrive tard. Il ne m’apporte rien de nouveau. Adieu, adieu. G.
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