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Val-Richer, Samedi 8 septembre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
La conversation de Morny est curieuse. Mais un seul fait est important : Molé et Thiers entrant au pouvoir. Pour le pays et pour moi-même, par les raisons patriotiques et par les raisons égoïstes, je le désire. Je suis sûr qu’ils feront beaucoup mieux qu’on ne fait et je doute qu’ils y grandissent beaucoup. M. d'Haussonville, qui vient de me quitter parce qu’il est obligé d'être demain matin, à Paris, croit le fait possible. Pourtant il en doute encore. La lettre du Président à Edgar Ney peut devenir un événement. Elle en est déjà un, car elle ne deviendra un dans toutes les hypothèses. Si le Pape cède, le Gouvernement français prend la responsabilité du gouvernement de Rome et doit rester là, longtemps du moins pour le soutenir, si le Pape ne cède pas, les Français finiront par quitter Rome, et les Autrichiens ou les Napolitains par les y remplacer. Grosse complication. La République française est condamnée à soulever des fardeaux qu’elle ne peut pas porter. Je penche à croire qu’au premier moment le Pape cèdera. Que dit le Prince de Metternich de ceci. J’en suis plus curieux que de sa feuille volante. sa petite lettre est spirituelle, et il a raison au fond. Si l’union devait rester dans les limbes là, elle ne serait que ridicule. Je serais bien trompé, si elle n’en sortait pas et ne devenait pas plus précise. Je reçois ce matin même des nouvelles de Piscatory ? " Rien ne se passe ici. Le Président a été vivement reçu dans son dernier voyage. Je ne crois pas cependant qu’il pense, ni qu’on pense pour lui à autre chose que ce qui est. Le pays refait un peu ses affaires; le pays de promène et chasse. Il ne faut pas qu’on le trouble dans cette illusion, et les Conseils généraux eussent été très mal venus à parler révision de la Constitution. Ils parlent impôts. C'est à peu près aussi grave, et peut-être plus dangereux. L[?] fait tout ce qu’il peut dans le Midi de la question des boissons. Il en peut sortir des orages. Vous allez à Broglie. Dites-moi quand. Je voudrais pouvoir m'échapper pour vous y joindre. J’ai beaucoup à vous dire, et bien plus encore à entendre. Il serait même possible que j'eusse un sérieux conseil à vous demander. " Les derniers mots sentent bien le cabinet. Je suis assez porté à croire que Morny a raison sur toutes les personnes. Je ne sais rien de Claremont. Je ne crois pas à l'Italie. Le Roi tiendra toujours à l'Angleterre. Rome n’est pas possible. On serait bien embarrassant à Naples. Il serait plaisant que Palerme fût le lieu de repos. La maison offerte ( je dis trop, n’est-ce pas ?) à l'Impératrice. La joie de la Reine d'Angleterre me plait. J’ai objection pourtant à ce ravisse ment du sans-gêne de la vie privée. C’est aujourd’hui la manie des Rois. Preuve qu’ils ne prennent pas leur métier assez au sérieux, ou qu’ils le trouvent trop lourd. à propos une hut, s'écrit une hutte.
Dimanche 9 - 7 heures
Quand vous reverrez Morny, si mes questions vous arrivent à temps faites-vous dire par lui je vous prie, 1° la statistique de l’Assemblée combien pour chaque parti à son avis ; 2° Quelle est, dans l’intérieur du parti légitimistes la force relative des [ ?] Berryer en tête et des pointus, MM. Nettement et du Fougerais en tête. Je suis curieux de contrôler, par Morny les renseignements qu'on me donne. J’irai à Broglie jeudi prochain 12. Ecrivez moi donc là, après-demain mardi, en réponse à cette lettre ci. Vos lettres m’arriveront le surlendemain comme ici. Au château de Broglie, par Broglie. Eure. Je serai de retour ici au plus tard, le 28 septembre. Adieu, adieu, en attendant la poste. Onze heures Merci de votre longue et intéressante lettre mais ménagez vos yeux. J'en reçois une de Montebello qui est à la campagne. Il vous a déjà dit; je suppose, ce qu’il me dit. Adieu. Adieu. G.
Richmond, Lundi 10 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Imaginez que je n’ai pas trouvé une seule minute hier pour vous écrire. Il faut commencer par dire que mes yeux me tracassent depuis quelques jours, j’ai écrit une longue lettre à l’Impératrice. J'avais une longue imagination et avec un agent, pour une maison pour Beauvale, un déjeuner chez la duchesse de Glocester. En rentrant de là, Morny & Harry Vane ; un bout de promenade, & le dîner, & la lampe, alors tout est fini comme occupation. Ces deux Messieurs sont partis ce matin. Morny reviendra d'Ecosse dans dix jours. Il me paraissait inquiet de l’opinion qui se produirait à propos de la lettre du Prince à M. Ney. Elle est certainement inconstitutionnelle, & très impérative. Si elle atteint son but il aura en raison. Les embarras de l’Autriche vont être bien grands. Quoiqu'on dise de la bonne intelligence entre les Empereurs, & leurs cabinets respectifs, cette affaire de Hongrie laissera un long ressentiment. Nous sommes vraiment trop puissants et l'effet moral de notre conduite dans les provinces autrichiennes tourne bien en défaveur de gouvernement. Ce n’est pas notre faute. Nous retirons notre dernier soldat ; Nous sommes irréprochables, c’est sans doute notre tort. L’Allemagne s’arrangera Je crois. Mais l’intérieur de l'Empire autrichien c'est une autre affaire. Lord John Russell est revenu. Je ne l’ai pas vu encore. Lord Beauvale me parait en train de se brouiller avec sa sœur, elle est partie. Le mari & le frère sont à Londres.
Savez-vous que Madame de Caraman est pour moi une vraie ressource. Elle a plus de fond qu’il n’y parait. La vieille princesse part un peu piquée. Elle croit que je ne lui trouve pas assez d'esprit. J'attends demain ici Lady Allice au Star. Elle n’a plus sa maison. Voici votre lettre, très intéressante. Une longue lettre d'Aberdeen Il avait passé trois jours chez la Reine. La reine ravie de nos soins les meilleurs sentiments longue conversation avec John Russell, dont il est assez content. J'y reviendrai, pour aujourd'hui je ne puis plus continuer. Mes pauvres yeux ! Adieu Adieu.
Richmond, Mardi 11 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je suis bien malheureuse des yeux inflammés. Je vous écris les yeux fermés. Je ne vous dirai que deux mots. Quelle misère. Et tant à dire ! Ah si vous étiez ici. J’ai vu lord John hier résigné mais pas content. Aberdeen a eu avec lui de longues conversations. Il me l'écrit & John me le dit. D'abord sur les questions générales. Nicolay est venu dîner avec moi hier. Scharzenberg n’a pas encore répondu à la dépêche de Palmerston. Cette dépêche était d'une longueur assommante. Une de ses plus pauvres productions. Fould est parti ce matin for good. Beauvale ne vient plus. C’est rompu. Le grand duc Michel allait un peu mieux. Mais on ne le sauvera pas. J’ai vu hier aussi mon fils, à Londres 450 morts du Choléra dans un jour. Comme je suis triste de mes yeux. Adieu. Adieu.
Richmond, Mercredi 12 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Les yeux vont un peu mieux. Mais j’écrirai peu. Voici ce que mande Lord Ponsonby : " nobody here cares one reach what all the goodies in England ta hef say as advice to be listen to, but great disgust is created by it, and entre nous. [?] there may be source danger of desagreable results." Ceci est tout frais. Lord John a épluché devant moi la lettre du Président à M. Ney. Il voulait trouver les quatre conditions exigées, très élastiques et peu compromettantes. Cela me semble difficile. Au reste il critique la lettre beaucoup dans la forme, dans le fond & ne comprend pas comment on se tirera de toute cette affaire. Je n’ai pas vu M. de Metternich, je ne sors pas. Morny m’avait dit sur la composition de l’Assemblée à peu près ceci. De 150 à 170 rouges. 150 légitimistes, 50 légitimistes exagérés, une quarantaine de flottant & ce bagage passant aisément aux rouges. Les vrais conservateurs en minorité. Grande majorité s'il s'agit d’ordre. Fractionnant immédiat s'il s’agit de forme de gouvernement ou de tout ce qui y mène. Impossibilité de rien entreprendre par le moyen de l’Assemblée actuelle. Morny reviendra dans huit jours, je chercherai à mieux fixer les chiffres.
Aberdeen a eu de longues conversation avec Lord John à Balmoral. Il me dit. (J'abrège) "We talked freely of every thing. Without naming his colleague we certainly talked of various matters in astrain to which he would not have [?] at the same time I think Lord John is radically disposed, but corrects his radicalism by his policy and prudence. his colleague is not naturally dispond to radicalism but being without political principles freely of every thing. Without naming his colleague we certainly talked of various matters in astrain to which he would not have [?] at the same time I think Lord John is radically disposed, but corrects his radicalism by his policy and prudence. his colleague is not naturally dispond to radicalism but being without political principles principles yields at once to the passion or interest of the moment. The proportion as the world is rettering to his senres, his failures become more manifest." Voilà beaucoup pour mes yeux. Je finis Quel dommage que je ne puisse pas tout conter. P. E. la dépêche de Lord. Palmerston à John. Mais c'est si long. Voici : Rough Sketch " il y a le probable & le possible (comme cela ressemble à Metternich). Probable vous battrez les Hongrois. Possible vous serez battus par eux. Alors quoi ? Ne risquez ni le probable ni le possible. Arrangez vous tout de suite. Donnez indépendance && " Adieu. Adieu, si vous me donnez des yeux, je vous amuserais davantage. Adieu Adieu.
J’ajoute encore. [?] ne veut pas se rendre. Les autres l’attaqueront avec toutes leurs forces. La Prusse n’est pas assez forte pour faire sa volonté en Allemagne. L'Autriche qui ne veut pas de ce que veut la Prusse n'opposera que son vote et son inertie. Mais si la Prusse employait la force alors Autriche, Russie & &France tout serait là pour s'opposer. Voilà ce que mande Lord Ponsonby.
Richmond, Jeudi 13 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Jai vu hier lord John ; il me paraît parfaitement convaincu que vous allez à l’Empire. " Très préoccupée de Rome. Je lui ai lu votre lettre à ce sujet, il est fort approbatif, cependant j’ai cru voir qu’il ne regarde pas comme impossible de faire vivre la papauté avec un Parlement. Ce parlement ne s’occuperait pas des finances par exemple. Lord Minto était présent. Il a retrouvé dans votre lettre tout ce que Rossi lui avait montré, dans ce temps de votre correspondance. Très peu d'espoir du côté du Pape. Excellent homme, sans esprit. Enorme indignation de [?] de publier certain livre de Gioberti. Gioberti reçu par le pape avec tant de bonté, il y a un an encore. Enfin on voit un parti pris de réaction violente et cela amène à toute extrémité. Les français ne peuvent pas. reculer. Enorme embarras. Normanby a été à Champlatreux il y a rencontré Odilon Barrot. Le général français va nommer une commission de gouvernement à Rome, pour s'opposer aux cardinaux. Voilà tout John Russell hier.
J'oublie évidemment de l’inquiétude de cette réunion des mauvais esprits de tous les coins de l'Europe à Londres. Liaison intime et patente entre eux & les Chartistes. Travail pour révolutionner partout. Céphalonie n'inquiète pas beaucoup. Je voudrais que les anglais passassent par l'épreuve d’une insurrection. Comme ils y iraient rondement ! J’ai dîné hier chez lady Allice avec lord Somerton. Aujourd’hui l'on dîne chez moi. J’ai vu Mad. de Metternich. Son mari ne dit aucune opinion il est perplexe. Il ne croit pas que le pape cède. Evidemment Vienne a les Russes en horreur. On ne nous pardonne pas notre secours. Avez-vous remarqué la sécheresse de nos pièces officielles ? Exécution très froide de l’Autriche, ou pas d'exécution du tout. Je n’ai plus vu les Collaredo depuis quinze jours. Auparavant ils venaient au moins une fois la semaine, Metternich ne sait où aller, je crois que ce sera Bruxelles. 1 heure. Ni lettre, ni journaux ce matin. La malle n’est pas arrivée, peut être gros temps sur mer. Je ferme donc sans avoir eu mon plaisir. On me dit que lady Holland est partie en toute hâte de Paris pour venir trouver son mari malade du choléra à Holland house. Je saurai dans la journée si c’est vrai. Adieu. Adieu.
Le temps est à la pluie, beaucoup de vent, cela ne va pas à mes yeux. Adieu. On me dit que le duc de Bedford est devenu très protectionniste. Lord Palmerston avait auprès de Kossuth un commissaire appelle Wight. Je demanderai à John Russell s'il savait cela.
Broglie, Vendredi 14 septembre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Nous revenons d’une longue promenade, tous ensemble sauf Melle Chabaud qui ne peut marcher ni vite, ni longtemps. Nous causons beaucoup. Je crois que ma visite leur est très agréable. C’est du mouvement porté chez les gens qui l’aiment et qui ne savent pas s’en donner. Nous connaissons, vous et moi, ce genre de succès.
Samedi 15, 7 heures
J’ai été interrompu hier par des visites qui m'ont retenu jusqu'à l’heure du dîner. Je m’aperçois ce matin que c’est samedi et que j'ai mis hier ma lettre à la poste comme si vous pouviez l'avoir demain. Peu importe du reste. Le Duc de Broglie ne désespère pas au fond, autant qu’il le dit et qu’il le croit. Une idée le préoccupe constamment, et c’est une idée d'avenir. Comment faudrait-il reconstituer le Gouvernement si on avait à le reconstituer, mettant de côté la question du nom propre de ce gouvernement. Faire un bon lit, n'importe qui doive y coucher. Son avis est qu'on obtiendra beaucoup plus avant qu’on ne ferait après, en fait de garanties d’ordre, et de pouvoir. Parce que tant qu’il ne sera pas question de nom propre, tout le parti conservateur sera uni. Parce que, sous le manteau de la République on ira plus loin que sous aucun autre en fait de conservation. Parce qu'il faut que le gouvernement qui devra durer, trouve, quand il viendra, ses affaires essentielles toutes faites, faites par la France elle-même, sous sa responsabilité nationale, et ne soit pas obligé de les faire lui-même, et de répondre de la solution des questions. Le Duc de Broglie cherche donc la solution de toutes les questions constitutionnelles, la meilleure solution possible. Il ne croit pas qu'on révise la Constitution bientôt, ni par des coups d'Etat ; mais il ne croit pas non plus qu’on s’expose à une nouvelle épreuve de la constitution actuelle à la réélection d’une assemblée et d'un président par le suffrage universel, tel qu’il est établi aujourd’hui. Aux approches de cette épreuve-là, on prendra son parti de sauter le fossé plutôt que d’y tomber. 10 heures Je ne m'étonne pas que la malle ne soit pas arrivée en Angleterre. Nous avons vécu quatre jours au milieu des orages. Cela se calme.
Si les Holland sont en Angleterre, pourriez vous éclairer ceci ? Le Duc de Broglie était très lié avec eux et allait sans cesse à Holland House pendant son dernier séjour à Londres. Dés qu’il les a sus à Paris, il est allé les chercher et ne les a pas trouvés. Ils ont mis simplement une carte chez lui et il n’en a plus entendu parler du tout. Il ne comprend pas. Ils ne vivent, dit-il, que sur la frontière la plus rapprochée des rouges, et avec Jérôme Bonaparte. Il suppose que la froideur vient de là. La rigueur envers Gilberti est en effet un peu drôle. Pendant qu’Albert de Broglie, était encore à Rome, Gilberti y est venu. Le Pape l’a reçu, complimenté, embrassé, comblé. Et son livre avait paru. Les gouvernements oublient trop qu'aujourd’hui on n'oublie rien sur leur compte du moins. Ils sont condamnés à plus de prévoyance, et de conséquence que n’en comporte peut-être la faiblesse humaine.
A cela près du contraste trop choquant, je trouve fort simple que le Pape mette à l’Index, les livres, qu’il trouve mauvais et dangereux. C’est de sa part une simple déclaration de son jugement qui ne coûte pas un cheveu aux auteurs, et un avertisse ment à la conscience des Catholiques qu'il a charge de diriger. Quand on interdit au Pape l'index, et qu'on lui commande un gouvernement libéral, on lui interdit tout simplement d'être le Pape. Adieu. Adieu. Je suis préoccupé du Choléra de Londres. Celui de Paris est stationnaire. Adieu. G. Je n’ai pas su lire le nom de Lord .... avec qui vous avez dîné chez Lady Alice. Je trouve pourtant votre écriture meilleure que vos yeux ne se comportent.
Richmond, Samedi 15 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lord John est fort préoccupé de Paris et de Rome. Nous discutons longuement. Il désapprouve beaucoup la lettre du Président, et comprend tous les embarras auxquels cela entraine au dehors comme au dedans. Toute cette affaire atteste bien de l’inexpérience & de la légèreté de la part de tout le monde. Nous avons passé à la Hongrie. Lady John fait les vœux les plus ardents pour les Hongrois Kossuth & & Encore ? Oui encore. C’est vraiment trop bête. J’ai vu Metternich, il ne fait plus autre chose que rabâcher. Impossible de redire parce que ses paroles sont absolument vides ; il envoie un courrier à Vienne aujourd'hui avec un long mémoire sur les affaires. Je pense que Schwarzenberg en dira ce que je vous dis. J'évite Metternich à présent, parce que l'ennuie est sans compensation aucune. J'aime bien mieux sa femme. Elle était chez moi hier matin pâle de colère, et la bouche pleine d’invention contre Lord Palmerston. J'ai bien ri, surtout lorsque elle s'arrête tout court devant une expression sans doute trop énergique. Je lui demande quoi donc ? - " Non, je ne puis pas dire cela, c’est trop polisson." Lady Holland était chez moi. Elle ne me dit rien, absolument rien de nouveau sur Paris, elle a l’air malheureux & triste. Elle dit qu'elle n’a vu personne que Jérôme Bonaparte. Il est en meilleur termes avec son neveu. Les Holland retournent à Paris. Lord John attend les prochaines nouvelles de Céphalonie sans inquiétude. Il dit que le mal est provenu de ce qu'après le premier mouvement insurrectionnel en mai dernier le gouverneur général, Lord Seaton qui est un Tory a proclamé une amnistie entière, ce qui est une bêtise, que le gouvernement de Céphalonie. M. Ward, un Whig, ne sera pas si bête, il fera pendre et ce sera fini. C’est impayables ! Les Palmerston sont en Hertfordshire chez Cowper. Il me semble que le corps diplomatique est parfaitement délaissé à Londres. Voici votre lettre avec extrait de Piscatory. C’est un esprit [?] & qui est resté doctrinaire. Je vous en prie ne le redevenez pas. Adieu. Adieu. Adieu.
Richmond, Dimanche 16 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai oublié de vous dire que Lord John parle beaucoup & fort mal de Radoviz. Il parait que c'est l'homme puissant au jourd’hui. Collaredo qui était chez moi hier le défend en disant qu'il fait son devoir de prussien, et qu’à ce point de vue sa conduite est habile et fera aboutir. Personne ne se fait une idée exacte de ce qui ressortira de ce travail en Allemagne, mais évidemment on s’arrange. Les deux grandes puissances s'entendront et la Prusse aura la part d’influence prépondérante qui lui revient. Je crois à deux portions nord & midi unies pas un lien fédéral. Le grand duc Michel était à l’agonie il y a huit jours. Le comte Nesselrode me l'écrit. Son désespoir pour sa femme, & le désespoir de l'Empereur pour son frère sont extrêmes. Cela jette un voile bien lugubre sur ce que devrait être les jours de Varsovie. L'Empereur ne quitte pas le lit de son frère.
Lundi 17. Sept Le journal m'annonce la mort du grand duc je suis sûre que sa femme a trouvé le moyen de se conduire très sottement à cette occasion. C'est une femme de beaucoup d’esprit avec pas l'ombre de tact et une absence de cœur complète. Lord John est malade, mais je le vois. Hier il me faisait l’éloge de Lord Aberdeen. Beaucoup pour moi. Développant tout son mérite politique, grandes vues. Vues générales. Homme plein de sens, de tenue & & & Vous entendez cela. Il approuvait seulement, dit-il, une bévue, le mariage espagnol. Comment bévue ? Mais s’il était resté le mariage ne se faisait pas. Et alors, les preuves. Il a tout écouté sans contester. ces conversations m’amusent & je crois lui aussi. Mais je pense que nous ne faisons pas grande impression l'un sur l’autre. La vieille princesse [Crasalcoviz] est partie ce matin, elle passe une semaine à Londres et puis Paris. Je regrette de voir disparaître une pièce d'une si petite réunion. A propos hier Lord John me faisait un grand éloge du Duc de Broglie, décidemment il l’aime, outre qu'il le respecte.
1 heure. Voici vos deux lettres de Broglie. Merci merci, & adieu bien vite, car lady Allice est là qui me prend mon temps ; elle part for good. Adieu. adieu.
Richmond, Mardi 18 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Deux mois, deux grands mois depuis votre départ ! Comme notre courte vie est massacrée. Je comprends que vos hôtes aiment votre visite, mais je suis sure que vous aussi vous aimez avoir à qui parler, avec qui raisonner un peu. Moi je n’ai eu personne. Lord John tout seul, mais il n’y a pas assez de liberté d’esprit. J’avale à tout instant ce que j’allais dire. Cependant sa conversation m’amuse. Nous devisons Hier j’ai passé la soirée, chez eux. Tous seuls à nous trois. Cherchant à comprendre comment peut se débrouiller ce chaos partout, surtout en France, aboutissant un peu à dire, c’est John qui dit que les Français sont particulière ment faite pour un bon despotisme militaire. Je suis d’accord de cela malgré que cela ne vous plaise guère. Je crois vous avoir dit, il y a une dizaine de jours que Lord Palmerston voulait qu'on destituât le gouvernement de Malte pour avoir refusé l'hospitalité aux réfugiés italiens. Lord John ne veut pas, et cela ne sera pas. Il approuve la conduite du gouvernement. Il est très curieux de ce que va faire le gouvernement turc à l'égard de Kossuth & & &. L’Autriche les réclame et nous réclamons les Polonais. Je suis étonnée de n’avoir rien de Constantin depuis la mort du grand duc. Des nouvelles privées parlent du chagrin violent de l’Empereur. Il prend les joies comme les peines avec une fougue, effrayante. Mon fils est venu me voir hier. Le temps tourne au froid, et je commence à craindre que Richmond ne le soit trop pour moi bientôt. Je ne suis cependant pas pressée de Paris. Le choléra, & les menaces de Changarnier. Morny revient ici dans huit jours. Lord Melbourne m'écrit souvent mais il demande, car il ne sait rien. Il me dit sur Lord John " Quel cocher pour l’attelage qu’il devrait conduire, et dont il est mené." Je suis un peu colère contre Melbourne pour une question de 3 £ il laisse aller cette belle maison qu’avait M. Fould. Les Delmas viennent de la prendre. Lord John approuve fort le vote de la Chambre à Turin qui condamne l’arrestation de Garibaldi.
Je vous envoie une lettre de Marion. Je lui avais fait tenir celle où vous me parliez d'elle. (c’était trop long à copier.) Voyez la drôle de fille. Voici votre lettre. Je suis bien aise du peu de valeur que vous attachez à au dire de de Lord Normanby. Mais regardez y toujours et au choléra. Adieu. Adieu mille fois.
Richmond, Mercredi 19 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Ah si j’avais des yeux ou si j’avais Marion. Il n’y a pas moyen. Je vous envoie la lettre de Beauvale, elle vous donnera une idée plus exacte que ce je vous ai dit ce matin de l’affaire de Malte. Quant à la lettre de Berlin, elle traite longuement la question allemande. On cherche à s’entendre avec l'Autriche. Il est probable qu'il y aura deux Allemagnes nord & midi. J'en ai causé ce matin avec Metternich. Il dit que ce serait la guerre. entre elles. & que le feu au centre de l’Europe c’est le feu partout. Selon lui Il n’y a de possible & de sensé que 1815. Il ne sort pas de là. M. de Persigny a fait bien des efforts à Berlin pour faire comprendre la nécessité de donner de la force au Président démontrant qu’il n’y avait possible que Louis B. en France. Il faut donc le soutenir. Le correspondant de Berlin ajoute : la question de dynastie en France embrouillera tout l’avenir de l'Europe. Moi, je ne vois pas cela. C'est une question de ménage. jeudi le 20 septembre. Longue conversation hier avec lord John. Certainement il soutiendra le gouverneur de Malte, & approuve complétement son refus de recevoir les réfugiés, Nous allons voir qui l’emportera de lui ou de Palmerston sur ce point. Le gouverneur [?] est en Angleterre dans ce moment un protégé de lord Minto. Quant au Cap, quoique les habitants ne veulent pas recevoir les Convites, le gouvernement cédera, et fera revenir ceux qui sont déjà partis. Longue discussion commençant par un : " Quel beau rôle vous avez fait à mon empereur ! Vous pouviez le partager avec lui, vous n'aviez qu’à rester tranquille, & & &. Vous voyez tout ce que j’ai dit à la suite. J’ai été très belle vous auriez eu plaisir à m’entendre. Les busy body poussant les révolutions, & puis abandonnant. S’aliénant les gouvernement et les peuples. battus partout. Nous tranquilles d’abord, et puis le reste, finissant par dire. Il y a plus d’honneur aujourd’hui à être Russe qu’Anglais. " Il a voulu expliquer les motifs les nécessités d’intervention partout. Les répliques n'ont pas été difficiles. De tout cela il résulte qu’il est bien bon enfant, qu’on peut tout lui dire, mais je doute qu'il entend souvent tant de vérités. C’est très sain pour un Ministre et puis réflexions générales. Par quoi finira tout ceci. Le bouleversement est si profond qu’il ne peut rien ressortir de raisonnable, de tempéré. Ce sera l'un on l’autre extrême partout. absolutisme, ou démocratie. tous avons trouvé cela spontané ment & simultanément et nous nous sommes quittés sur cette belle perspective. Vous comprenez que j'aime mieux la première & lui aussi. En parlant des nouvelles inventions, il dit : là où il n'y a qu’une chambre, il n'y a plu de gouvernement, il ne vaut pas la peine d'en avoir. Adieu.
Il fait froid, cela ne me plait pas. Je reçois dans ce moment une lettre de Bro[ ?]. Palmerston y est. " Il a grande. envie de l'empire. Il y croit, il déteste les 2 branches de Bourbon, et ne croit pas du tout que l’état actuel puisse durer. Christine & Narvaez cherchent à faire abdiquer la Reine en faveur de sa sœur, et profitant pour cela de l'absence d'un représentant d'Angleterre ! " Est-ce que cela ne voudrait pas dire que Palmerston a envie d’en envoyer. un ? Voilà tout & je finis. Adieu. Adieu.
Richmond, Samedi 22 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je suis restée 3/4 d'heures à Claremont la reine en merveilleuse santé. Le roi très bien, mais à mon avis très changé d'humeur. Je ne l'avais pas vu depuis plus d’un an. Je l’ai trouvé triste, résigné peut-être. Pensant mal de la France, & de la situation de tous les autres états. Il a repris l'examen des fautes, tout le monde en a convenu, (pas lui je suppose.) Le seul homme bien renseigné à Paris était Delassort, mais on ne l'écoutait pas. Duchatel est paresseux et léger. Il ne vous a pas [ ?] pendant toute ma visite pas une seule fois, ni la reine non plus. Il a dit ; il n’y a pas d’homme en France. Voilà Le duc de Broglie et Molé, ils sont de l’assemblée, et bien que font-ils ? Et puisqu'ils ne font rien, pourquoi ont ils été se mettre dans cette mauvaise compagnie. Pas la moindre allusion aux légitimistes. J'avoue que je n’ai pas pensé à eux sans cela j'aurais pu amener là dessus la conversation. Je me reproche cet oubli. Mais voici ce que Lord John m’a dit hier soir : " Savez-vous que le roi a fait prescrire à tous ses adhérents de soutenir les légitimistes. " Je ne sais pas autre chose. Le roi m’a dit, et bien l'Empereur fait donc au Président les notifications d'usage, il lui a écrit. Oui, sire comme au Président des Etats-Unis. A moi, il ne m'a jamais fait l'honneur de m'écrire. Je n’ai pas répondre. Evidemment la blessure est profonde. Il y a eu une petite discussion sur la résidence d’hiver. La reine se prononce vivement contre l'Angleterre. Le roi très décidé à y rester. Je vous ai dit je crois qu’ici cela ennuie, la cour. J’ai lu à Lord John le petit passage où vous me parlez du duc de Broglie, de son bon souvenir du secours qu'il a trouvé quelques fois en John. Cela lui a fait un très visible plaisir. Vous Vous rappelez que ce secours, était un recours contre Lord Palmerston. Il a ri et assenti. Nous avons reparlé de Malte, du gouverneur qu’il protège beaucoup. Je lui ai dit : " Mais on dit que Lord Palmerston le blâme beaucoup et voudrait qu’on le destituât. Qu’est-ce que cela fait ? Lord Grey & moi, nous l’approuvons cela suffit. Il m’a dit plus au long ce qu’on m’avait écrit à propos de Thiers. à l’époque où Morny me dirait qu’il entrerait c’était vrai. " Il avait fait savoir au président qu'il accepterait l’intérieur même avec un président du Conseil. Tout à coup, il a changé, et il a dit. Je veux qu’on puisse inscrire sur ma tombe. Thiers n’a jamais servi la république. Est-ce que la chance d'une Monarchie n'importe quelle, lui parait plus prochaine ?
1 heure Merci de votre bonne lettre. Certainement nous faisons notre possible pour suppléer à la parole qui serait si douce, si abondante que faire ! Beauvale est bien content de mes conversations avec Lord John. Il croit que personne ne lui dit ce que je lui dis, & que cela fait du bien. Il ajoute que si Palmerston savait mes jaseries quotidiennes cela l’inquiéterait fort. Il est toujours chez Beauvale. Entre celui-ci et moi correspondance de tous les jours. Style très abrégé Adieu. Adieu. Adieu. Le gouvernement français va diminuer l’arrière de 60 000 hommes.
Richmond, Dimanche 23 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici le résumé du langage tenu à Berlin par M. de Persigny et évidement celui qu'il est chargé de tenir partout. La monarchie est la seule forme de gouvernement qui convienne à la France. Il y a maintenant deux partis, républicain & monarchique. Le premier se compose des plus mauvais éléments de la société. Il est en minorité. L’autre est puissant et considérable, grande majorité. Ce parti : 3 sections. Légitimistes, Orléanistes & Napoléoniens Les légitimistes comptent un grand parti religieux qui est plus catholique que Henri quinquiste, et la portion rurale de la France, [?] dans la noblesse est plus napoléonienne que Bourbonne. grand abime sépare la branche ainée, de la nation. C'est la révolution de 89 et la restauration par les baïonnettes étrangères. La branche cadette compte très peu d'adhérents. On déteste Louis Philippe, il n’avait de force que dans la bourgeoisie & celle-ci a passé en grande partie dans le camp napoléonien grande magie dans ce nom, et le prince peut à l'ombre de ce nom faire plus que tout autre pour la restauration de lord & d'un bon gouvernement. Sa bonne conduite lui a déjà rallié la majorité de la nation. Si Henry V venait à manquer, les légitimistes se rallieraient certainement autour du Prince plutôt que du comte de Paris. L'armée lui est entièrement dévouée. La noblesse sait très bien qu’il n'y a que lui qui puisse rétablir l'hérédité de la pairie , en même temps que les classes inférieures ont confiance en lui pour conserver une forme libérale de gouvernement. Ce qui a rendu le grand Napoléon impopulaire c’était la conscription. M. de Persigny [?] expose the parallel between the Ceasar & the Napoléon. Louis Napoléon would receive his uncle line as Julien. Ceasar was ultimatly replaned by Augustus. Copié textuellement. Deux fois déjà le Prince pouvait être proclamé Empereur, il a trouvé qu’il ne perdait rien à attendre. L’état actuel ne peut cependant pas durer. Un appel au peuple. établissait l’Empire, cela se serait fait maintenant, sans la circulaire de M. Dufaure ! Il a tout gâté. M. de Persigny a vu le roi & le Ministre des Affaires étrangères. L’un et l’autre se sont bornés à faire l’éloge de la bonne conduite du Prince. La conduite de la Prusse vis-à-vis de la France se règlera sur celle des autres puissances. Le but de M. de Persigny était de s’assurer de la reconnaissance de l’Empire. Je vous ai redit bien exactement ce qui vient de source. Le roi de Hollande reprend son naturel, il est violent, absurde, une espèce d'enragé. Cela pourra finir mal. L’Empereur Nicolas ne veut pas entendre parler de rivalité entre ses généraux & les Autrichiens. Nous avons à nous plaindre, et quand on se plaint, l’Empereur fait taire. Le Maréchal lui a écrit, pas de réponse, & lorsque le Maréchal a voulu lui en parler à son arrivée à Varsovie, l’Empereur lui a fermé la bouche. C'est de la bien bonne conduite. L'Empereur d’Autriche a envoyé à Petersbourg l’archiduc Léopold son cousin, pour remercier solennelle ment de l’assistance. On ne dira pas ceci à Vienne. Ils sont là pro fondement humiliés de notre secours. Que c'est petit !
J'ai eu hier pendant deux heures M. Kondratsky secrétaire d’ambassade ici, arrivé en courrier de la veille. Ses récits sont très curieux sur l'empereur, sur l’excès de la joie, et puis l’excès de la douleur. Douleur énorme, qui inquiète. Le voyage l’aura réuni, mais je suis impatiente des premières lettres de Pétersbourg.
Lundi le 24 sept. Hier dimanche, petite pluie fine tout le jour j'ai été déjeuner chez La duchesse de Glocester, et puis rendre enfin visite à Mad. Van de Meyer. J’y trouve une petite personne bien tournée, comme dans les boutiques élégantes de Paris, visage tartare, large & rond, très Russe, jolie. On me l’a présentée, c'était Mad Drouyn de Lhuys. Son mari est à la chasse en province. Elle dit qu’on dit autour d’elle qu’il y aura du bruit à Paris. Vous ai-je dit que Mad. Lamoricière est retournée à Paris. Son mari est allé à Pétersbourg. Les voyageurs de Varsovie disent que sa tournure n’est pas grand chose. Un peu français à cheval, et pas distingué à pied. Mais on est content de lui chez nous. Kisselef sera nommé ministre très prochainement. Hier John Russell. Il y a toujours quelque petit cous pi quant et utile dans le dialogue. Hier, réflexions sur la facilité dans le travail. Très bon quand On a connu [?]Lord John l’esprit simple et droit ; dangereux quand on a trop de goût a faire des affaires. Lord Palmerston a beaucoup de facilité. Incontestablement c'est fâcheux entre un ministre qui ferait trop peu, & un qui ferait trop, le premier is the safest. - I think you are right. It reminds me of Lord Grey who always said. Let a thing alone ; in dropping it, it minds sooner by itself.- - Trés vrai, en travaillant toute chose on ne fait quelque chose, et quelques fois une très mauvaise affaire. Voilà notre train de conversation. avez-vous lu la lettre de l’Empereur au comte Nesselrode ? Et le passage où il parle du conquérant ambitieux d'il y a 36 ans ? Cela ne promet pas beaucoup de faveur pour la [?] Je vous ai dit je crois que l’Empereur a donné à la fois son portrait à Nesselrode & Orloff. Faveur très rare et l’altesse à (Sernicheff, très rare aussi. Avec lui en voilà 6 dans l'Empire. Que de choses diverses je vous écris, & que de choses encore j'aurais à vous dire. Lord Normanby a déjeuné l'autre jour avec le président qui lui a raconté M. de Falloux. Il con naissait la lettre mais on a commis la faute de ne point le prévenir de sa publication. On est curieux de voir comment se prononcera la majorité de l’Assemblée sur l’affaire de Rome. Si elle reste unie pour soutenir le gouvernement. It is all safe, & je puis retourner à Paris, si elle se fractionne, il y aura du bruit et il vaudra mieux attendre qu’il soit passé. Je vous envoie une toute fraîche lettre de Lord Melbourne, si sensible (anglais) que je crois vraiment qu'elle vous frappera vous et le duc de Broglie. Lisez-la avec attention. Moi elle me paraît concluante. Lisez bien.
Midi. La poste de France n'arrivera que plus tard pas de lettres. Adieu. Adieu. Adieu
Mots-clés : Circulation épistolaire, Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Politique (Autriche), Politique (France), Politique (Internationale), Politique (Prusse), Politique (Russie), Portrait, Relation François-Dorothée (Politique), Réseau social et politique, Révolution française
Richmond, Mardi 25 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai causé hier avec Lord John du même sujet que traite la lettre de Beauvale que je vous ai envoyée hier. Il s'est mis à rire. " Les Français sont si drôles. Ils raisonnent, ils raisonnent & n’arrivent jamais à du plain good sense. Of course leur assemblée comme notre parlement est bien maîtresse de faire ce qu'elle veut & sa dé[?] ne la gêne pas. What did we do in George 1st reign ? At that time te parliement sat for three years, that was the law. But as the country was agitated by the intrigues of the Jacobit party and as there might have been danger from it, parliament renewed sitting for 7 years. And this has been the rule ever since. So that we did not fear to do an unlawfull thing. When there was necessity for it. And certainly there is necessity in France to do away with their mons truous constitution. This assembly is just as powerfull as was the former. But they will go on talking and talking without doing anything that has common sense. Vous voyez que c’est bien là le même langage que Beauvale. Pas de nouvelles. Je crois que Flahaut & Morny arrivent d'Ecosse aujourd'hui. Lady Shelborne étant ici. Je pense qu’ils y viendront.
N’est-ce pas demain que je vous adresse pour la dernière fois ma lettre au château de Broglie. Je le regrette, J'aimais à vous savoir avec lui, & de la bonne conversation. De quoi êtes- vous convenu avec lui sur l’époque de votre retour à Paris, car enfin vous n'avez pas le projet de passer l'hiver au Val-Richer, & l'hiver commence en 9bre 1. Quel ennui ! Depuis deux jours on ne me donne les lettres & journaux de France qu'a 3 heures. A propos, écrivez-moi le vendredi une lettre séparée, Elle me sera remise le lundi, plusieurs heures avant celle de Samedi. Ainsi écrivez & envoyez tous les jours de la semaine. Achille Fould est à la campagne chez Lady Allice. Voilà qu’elle veut me l'envoyer quelle drôle de femme. Il repart Samedi pour Paris. Adieu.
Richmond, Mardi 25 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lord John a été frappé de la lettre de l'Empereur au comte Nesselrode. C’est au Manifeste. Il y a de l’intention dans chaque ligne pas mal d'orgueil. L'avez-vous lu avec attention ? le 26. jeudi Le feuilleton des Débats de Samedi est très remarquable. Des choses très frappantes, seulement la dernière scène n’est pas exacte. Le roi ne gouvernait plus alors ; C'était la princesse de Montpensier Emile Girardin & &. Du reste vraiment c'est un article très curieux & très bien fait. Le roi & la Reine se promenaient hier à pied dans le parc ils viennent en [raiment], mais toujours à l’heure où je suis rentrée, de sorte que je ne les rencontre pas. J’ai vu hier matin Van de Weyer & Flahaut. Celui-ci arrive d'Ecosse. Il restera probablement une quinzaine de jours à Richmond. Sombre sur Paris, sur la France. Renvoyez-moi je vous prie la dernière lettre de Beauvale celle sur vos affaires. Elle m’a tant plus que je veux la garder, tant de good sens. Les Metternich sont décidés pour Bruxelles. Je ne sais si cela plait tout-à-fait au roi Léopold. Je suis bien contrarié de ne plus recevoir vos lettres que tard, je ne puis pas y répondre. J’appends que mon fidèle correspondant que lord Palmerston est bien aigre contre lord Grey & contre lord John à propos de l’affaire de Malte. J’apprends aussi que lord Palmerston est en grande espérance d'une révolution en Grèce, et qu'il s’en mêle. Voilà tous mes commérages pour aujourd’hui. Adieu. Adieu Pauvre lettre Adieu.
Richmond, Mercredi 26 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vous voilà donc écrivant toujours vous fatigant la tête. Pourquoi ? [Vain est] bien la peine de parler raison à des gens qui ne savent pas la comprendre. Dire des vérités mais de quoi cela sert il ? Si non à augmenter le paquet assez gros d’ennemi que vous avez déjà. Moi je vous voudrais tranquille, reprenant tranquillement une douce vie à Paris. Ceci ne vous la rendra pas plus facile qui sait si cela ne vous empêchera pas d'y venir ? Vous aurez fait de la belle. besogne. Dormez. Mangez, pas trop, menez une vie paisible, ne vous tracassez pas. Laissez aller le monde comme il lui plait d’aller. Vous ne le reformerez pas. Il y aurait trop de vanité à croire que vous le pouvez. Les Français sont incorrigibles, vous ne les corrigerez pas. Mais je veux que vous vous portiez bien, et que nous causions tranquillement des misères de ce monde, de ses drôleries aussi, car il est drôle. N'êtes-vous pas un peu philosophe aussi ? On le porte mieux à ce métier. ces deux pages sont le produit de votre lettre. Je parlerai [?] cela bien mieux que je ne puis vous écrire. I do my best.
Jeudi 27 septembre Voici une lettre. Assez curieuse, vous me la renverrez. Flahaut est venu jaser hier. Trois heures de séance, très bonne conversation. Beaucoup de good sense. Deux idées favorites absolues : l’Empire, et l'abolition de la liberté de la presse. Sans elle on ne sortira jamais des Révolutions. De quoi servent des lois restrictives ? On publie journellement des horreurs. Si cela continue, le monde croulera, la société s’entend pour cela je le crois. Flahaut a parlé à lord John un langage bien France sur lord Palmerston. Il est impossible de dire plus & plus fort. Il écoute, il sourit el va à Woburne pour 10 jours. Je le reverrai encore à son retour. Evidement les Metternich tout bien de quitter l'Angleterre. Elle ne se possède plus. Son langage est si violent qu'elle pourrait bien s’attirer des désagréments ici. On peut bien haïr & nuire mais avec plus de convenance M. Guenau de Mussy vient me voir quelques fois. Hélas il est prié par le roi. Il reste attaché à sa maison. 20 m. Francs par an, & les pratiques qu’il pourra se procurer à Londres. Je regrette fort qu’il ne vienne pas à Paris. J'aurais en lui pleine confiance. Imagines que lord John Russell & M. Drouyn de Lhuys ne se connaissaient pas. Ils se sont vus une fois à la chambre des communes. Voilà tout. John a porté sa carte, l’Ambassadeur l'a rendue, & c’est fini. C’est incroyable. Certainement le tort est à l’Ambassadeur. C'est à lui à rechercher le premier ministre. Adieu, car je n’espère pas votre lettre. Je vais me plaindre à lord Clauricarde. Adieu. Adieu.
Richmond, Vendredi 28 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je croyais lord John parti hier matin, au lieu de cela je l’ai trouvé m'attentant chez moi à mon retour de ma première promenade. Il m’a dit qu'il avait des nouvelles des îles.
On a pendu pas mal de gens. On en pendra encore. La tranquillité est rétablie. Ce qui l’a surtout compromise est la presse, de détestables journaux prêchant le vol & l’assassinat. Et bien suspendez, ou abolissez. Quel grand & salutaire exemple vous donneriez là !
Sourire.
Le soir je suis allée chez eux. Et bien, j’ai relu tous les rapports, & j’ai eu une lettre de Lord Grey sur toute cette affaire. C’est des horreurs. On forçait les gens à souscrire pour ces journaux, sous peine d'assassinat. Nous allons suspendre toute publication de journaux dans les îles. (J'ai poussé un cri de joie.) Attendez, attendez, mais nous voulons le faire légalement et nous soumettons cette question aux gens de loi à Londres. Qu’est-ce que vous croyez qu'il diront ? Je crois qu'ils nous donneront raison. Que vous êtes de brave gens vous et lord Grey ; ayez soin surtout de ne pas consulter lord Palmerston. Toujours sourire.
Nous avons brodé & broché sur ce sujet longtemps, & je vous assure que je lui ai dit d'excellentes choses. I heure. Voici votre lettre. Je suis très frappée que la mienne de Lundi ne vous soit pas parvenue Mercredi comme elle devait. Je crois me souvenir qu’elle était curieuse et qu’elle renfermait une lettre de Beauvale curieuse aussi. Elle aura trouvé des curieux peut-être. Donnez moi des nouvelles de cette lettres je suis un peu accablée d’écritures. J’ai trop de correspondances. Est-ce que des lettres peuvent se perdre ? Ma lettre de Lundi m'inquiète. Celle de Mardi y faisait suite, le même sujet. Adieu. Adieu Je reçois une longue lettre de Lord Aberdeen, pas lue encore. Constantin de la Haye, très tendre, la Reine en pleurs. Sa Sœur de Weymar arrivait pour pleurer aussi. Un château dans une forêt qui a l'air d’un cercueil,, & Constantin retournant là pour pleurer avec les deux sœurs. Que de lettres pleureuses. J'ai été obligée d'écrire. Adieu. Adieu.
Richmond, Vendredi 28 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
M Achille Fould est venu me voir, je ne sais trop pourquoi. Sa conversation m’a intéressée. Il a de l'esprit, & il n'y a rien d’exagéré dans ses idées ni son langage. Espérant, désirant autre chose comme tout le monde. En voyant pas trop comment on pourrait s'y prendre pour y arriver. Le parti conservateur mais seulement tant qu'il a peur. Le jour où l’on n’aurait plus peur, chacun voudra tirer de son côté. Croyant aux charmes de Louis Napoléon plutôt qu’à tout autre. croyant aussi que la président pour 10 ans est une question sur la quelle tout le monde pourrait s’entendre. Mais même pour cela il faudrait un homme de courage pour le proposer. Il n’est amoureux ni de M. Dufaure, ni de M. de Falloux. Il dit de celle-ci, un doctrinaire et un jésuite. De l’autre, il travaille pour Cavaignac. Disant beaucoup de bien du prince. Approuvant toutes ses fautes, parce qu’en définitive elles lui profitent toutes. Il a passé deux heures hier avec le Roi. Pas l’idée de rapprochement entre les 2 Bourbons. Au contraire, le roi se plaignant que la branche aîné ne fait rien pour cela et répétant que l’initiative ne saurait être prise par la cadette. Les princes sont en Ecosse à la chasse. Les Nemours ne sont pas revenus d'Allemagne. M. Fould serait fâché que M. Molé entrât, il doit se réserver pour un meilleur moment. Mais il sait qu’il en a envie, quant à Thiers ce ne serait pas une acquisition. On n'a pas confiance en lui, ni aucune considération pour lui.
Il m’a parlé de vous, de ce que dans un an ou deux vous deviez nécessairement vous retrouver l’homme important, le seul. Qu’en attendant il valait bien mieux pour vous et pour cet avenir ne pas faire partie de l'assemblée. On a accusé le parti conservateur de n’avoir pas poussé à votre élection. C'était par amour pour vous. J’ai dit ici. On a repoussé. Et c'est là ce qui a étonné tout le monde. Il a équivoqué des interrogations sur ce que vous allez faire. Rien, il reste tranquille chez lui. Il écrit. Parce qu'il a besoin d'écrire. Une grande honte pour notre pays. Et puis si vous viendriez à Paris. Je ne sais pas, peut être. Il n’est pas prévu. Voilà à peu près tout.
Samedi le 29. Flahaut a été voir le roi hier. Il l'a trouvé bavard, mécontent de tout le monde. N’aimant que l'Angleterre. Et décidé à mourir ici ; même à Claremont, ce qui véritablement n’arrange pas la cour. Mais dit Flahaut "Le roi a raison de penser à lui même." Voilà donc le manifeste du Pape. Que ferez-vous ? 1 heure. Vous avez donc eu mes lettres, me voilà rassurée. Ce que vous me répondez est triste. Pauvre pays. Petits hommes ! Adieu. Adieu. Bien vite. Je suis en retard aujourd’hui, mauvaise nuit, levée tard. Adieu
Richmond, Dimanche 30 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je sais le fait que Schwarzenberg a enfin répondu à la dépêche de Lord Palmerston sur la Hongrie & que cette réponse est excellente. Je ne l’ai pas lue, j'en saurai peut-être davantage. Lord Aberdeen est très curieux de cela. Il ne cesse de m'écrire à ce sujet. Peel va passer quelques jours chez lui, & il tient à l’endoctriner. Peine perdue je crois. Le Pce Metternich est fort occupé de son départ. Dans 10 jours il s'embarque pour Ostende. Il est en bonne santé. M. de Hübner est ou sera nommé ministre à Paris. C'est le président lui-même qui l’a désiré. Ce Hübner est, dit Metternich un homme très intelligent, et de la bonne école. Mais il n’est ni plus ni moins que le gendre de M. Pilat, rédacteur des Oestereihisher [?] et fils naturel d'un ami de ce même Pilat. Ce n'est pas très aristocratique. Thom passe ministre en Suisse. Je le regretterai beaucoup à Paris. Morny est très occupé d’affaires à Londres. Il ne retourne pas encore à Paris. Ces affaires c'est des affaires d’argent. Je vous ai dit que Lord John est allé à Woburn pour huit. jours. Il y a maintenant près de deux mois qu’il n’a vu lord Palmerston. J’ai lieu de croire qu’ils sont assez froidement ensemble. A propos vous saviez César & Auguste avant Lord John, car il n'en a eu connaissance qu'il y a trois jours. C’est drôle. Je vous envoie un billet de Metternich, spirituel & sévère sur le journal des Débats. Je crois qu'en vous rendant compte de la conversation de M. Achille Fould je n’ai pas assez appuyé sur ce qu'il m’a dit de vous. Personne n’approche de votre talent, & vous êtes le seul homme en France qui ayez du courage. Infailliblement vous vous retrouverez là où vous devez être. Moi je dis que je vous prêche & que je désire [ ?] l'abstention, le repos. Il dit c’est impossible. Il fait beaucoup plus de cas de Molé que de Thiers.
4 heures. Voici Morny qui est venu passer une heure avec moi. Ses nouvelles de Paris sont qu’il peut considérer M. de Falloux comme hors du cabinet. Il le regretterait du reste toujours le même dire. On ne peut rien faire parce qu'on ne peut pas s’entendre sur la chose à faire. Si l'Empire On perd les légitimistes. On les perdrait peut-être même si on demandait la présidence pour 10 ans. Son opinion est qu’on restera comme on est, et que c'est là l'avis de tout le monde. Il m’a parlé très mal de Lamoricière de Drouyn de Lhuys, de tout le paquet qui tient de près ou de loin au paquet Cavaignac, Dufaure. Il croit que l’assemblée fera renvoyer & les préfets objectionnables. Il n’est pas prévu de retourner à Paris. Deux choses : il se dit charmé du Manifeste du pape. Après tout. Il a fait des concessions & il est meilleur juge que la France de la mesure des concessions. Et puis plainte de ce qu'on, nous russes par exemple, nous sommes trop polis pour la république. Nous avons par non rudesses contribué à la chute de la monarchie de juillet. Nous pourrions bien par nos bons procédés contribuer à la durée de la république. On était plus poli même pour Cavaignac que pour Louis Philippe. Morny voudrait que tout le monde se mêlât de décréditer cette forme de gouvernement.
1er octobre lundi. Voici l’étonnante nouvelle de la rupture entre la Russie & la porte ! Si cela est vrai c'est une bien grosse affaire. J’ai peine à y croire. Mais je crois certainement que Palmerston y pousse. Ah quel homme ! Je suis très préoccupée de cette grande nouvelle. Brunnow n’a pas bougé de Brighton depuis 6 semaines. Il ne cesse d'écrire et d’envoyer des courriers, mais il est là tout seul, il n’a pas vu une seule fois Lord Palmerston qu'est-ce qu'il écrit ? J’attends votre dernière lettre du Chateau de Broglie. Voici vos deux lettres, merci merci. Curieuses. Intéressantes. Je n’ai pas le temps d’y répondre il faut que ceci parte. Adieu. Adieu, adieu.
Richmond, Vendredi 5 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Hier point de lettre. D’où vient ? cela m'inquiète. Le Cabinet de Mardi a décidé à l’unanimité de soutenir la Turquie. La France marche avec l'Angleterre. On dresse en ce moment une pièce, en forme de remontrance, peut être de menace, à la Russie et à l’Autriche. Tout le monde est d’accord. On nous exaltait il y a huit jours. Aujourd’hui nous sommes honnis. Lord John arrive ici ce soir. Voici ce qu'il m'écrit de Woburne. " Your emperor after having showing so much prudence, so much power & so much modération has mode an mormons fault in threatening the Turk if he did not violate the law of hospitality so sacred among Mahometans. The Turkish anger is [?] aud we can do no otherwise than support them in [?] a cause." J’ai diné hier avec Lord Carlisle chez Miss Berry. Il m’a raconté le conseil. De l’inquiétude de la façon dont Palmerston va mener cette affaire. Parlant mal de lui. Espérant cependant qui l’affaire s’arrangera. Brunnow a beaucoup demandé que la démarche auprès de nous ne soit pas collective, France & Angleterre probablement chacun écrira de son coté mais dans le même sens, si non le même ton. Je parie que le Français vaudra mieux. L'affaire en est donc là. Fuat Effendi parti pour Pétersbourg pour fléchir l’Empereur. L'Angleterre & la France écrivant, intervenant et décidée à soutenir la Turquie, ainsi la guerre générale si l’Empereur persiste. Dans 20 jours la décision. Brunnow est venu me voir hier. A wonder ! Essayant de traiter ni de bagatelle au fond inquiet, blâmant notre conduite à Constantinople. Plus en soupçons contre la France que contre l'Angleterre, persiflant cependant lord Palmerston, n’ayant pas. l'air de croire que l'Angleterre est décidé pour la Turquie. A propos de la France disant, elle a 30 m hommes en Italie, elle en a 60 m en Algérie elle peut les faire marcher contre nous. Quelle bêtise, peut-elle dégarnir l’Afrique ? Je vous redis tout. Vous voyez que je vis in hot water. Jamais il n'y eut un moment plus critique. Drôle de situation. Evidemment, il y a, il y aura plus de laisser-aller vis-à-vis de moi que de Brunnow. et mes relations avec lui ne sont pas telles que je puisse lui rendre des services. Aujourd’hui nouveau conseil de cabinet. Demain tout le Cabinet à Osborne chez la Reine, enfin c’est une grosse crise. Si vous étiez là que de choses à nous dire. Ecrivez je vous prie au Directeur de la douane pour qu'on me traite bien à Boulogne ou à Calais ; Je suis à la veille de me décider & ce n'est pas bien éloigné, ce pourrait être au milieu de la semaine prochaine. Le temps est mauvais, orageux, j’attends encore.
1 heure. Pas de lettres encore aujourd’hui il est vrai que les journaux aussi ne sont pas venus mais hier je les ai eus. Enfin Voilà deux jours, c’est affreux. Adieu, adieu. Je ne puis pas croire à la guerre. Ce serait trop épouvantable. Adieu
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Richmond, Dimanche 7 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Metternich ne peut pas croire que cela devienne la guerre. Il croit que la Turquie aura cédé moi, j’ai peur que non, et comme je ne puis concevoir que l'Empereur se rétracte s’il est vrai qu'il a dit, extradition ou guerre, il y aura la guerre. L’incertitude durera encore près de 3 semaines de Pétersbourg doit venir tout. Je n’ai pas vu encore John Russell, il n’est revenu d' Osborne que cette nuit. Je le verrai aujourd’hui. Sa femme est venue chez-moi, très vive. Le Globe est d'une insolence sans égale. Il appelle l'Empereur insane. je ne me fais au fond pas une idée bien claire de toute cette affaire. On la fait bien grosse ici. L’est-elle vraiment autant ? Tout est énigme. D'un côté Sturnier et Titoff agissent comme un seul homme. D’un autre côté comment. admettre que l’Autriche s'associe à nous pour aboutir peut être à la destruction de l'Empire Ottoman ? A Vienne personne n’est inquiet, on ne parle pas même de l'incident. Les l’étourderie ave laquelle on a engagé l’affaire de Rome c’est Toqueville qui rit. Les Palmerston restent à [?] chez L. Baauvale. On m'écit en confidence qu’ils ne peuvent pas rentrer chez eux. Ils seraient pour suivis, saisis pour dettes. Quelle situation ! Le 8 Longue conversation avec Lord John. Toute l’histoire telle que vous la connaissez. La porte ne refuse ni n'accorde. Elle attend les suites de l’envoi de Fuat Effendi. (mais lui permettra-t-on de passer la frontière ). Strattford Canning se vante de n’avoir pas voulu voir nos ministres, il regarde cela comme son devoir. Plaisant médiateur, et il appelle cela faire son devoir. Lord John est convenu que c’était singulier. Peut être ancienne rancune Et vous acceptez les conséquence de cette rancune ? Il a ri. La dépêche pour [Pétersbourg] n'est pas encore partie. Elle a été revue par tout le cabinet. Aucun ordre n’a encore été donné a L'amiral Parker. Mais à propos. On ordonne à Parker d’aller s’emparer de 2 petites îles voisines de 7 îles, en possession du Gouvernement grec. Mais on croit que le gouvernement n’a pas le droit de les posséder. On va donc les lui prendre. C’est impayable. fonds à Paris et à Londres ne se sont guère émus. Et cependant le langage ici dans tous les partis, dans tous les journaux est aussi menaçant que possible. Je suis curieuse de la conversation de Lord John. Voici un bout de lettre de Beauvale qui vous regarde. Il a bien de l’esprit. J'ai eu hier à dîner Lady Allice qui est venue passer quelques jours avec moi. Mad. de Caraman, lord Chelsea & Bulwer. Je n’avais pas vu celui-ci depuis 4 mois, il est près de son départ pour l'Amérique, pas très pressé pour son compte. Il revient de Paris, il a beaucoup causé avec M. de Toqueville. Il me le donne pour un homme de beaucoup d’esprit. Il rit de l’étourderie ave laquelle on a engagé l’affaire de Rome. C’est Toqueville qui rit. Les Palmerston restent à [?] chez L. Baauvale. On m'écit en confidence qu’ils ne peuvent pas rentrer chez eux. Ils seraient pour suivis, saisis pour dettes. Quelle situation ! Le 8 Longue conversation avec Lord John. Toute l’histoire telle que vous la connaissez. La porte ne refuse ni n'accorde. Elle attend les suites de l’envoi de Fuat Effendi. (mais lui pemettra-t-on de passer la frontière ). Strattford Canning se vante de n’avoir pas voulu voir nos ministres, il regarde cela comme son devoir. Plaisant médiateur, et il appelle cela faire son devoir. Lord John est convenu que c’était singulier. Peut être ancienne rancune Et vous acceptez les conséquence de cette rancune ? Il a ri. La dépêche pour [Pétersbourg] n'est pas encore partie. Elle a été revue par tout le cabinet. Aucun ordre n’a encore été donné à l'amiral Parker. Mais à propos. On ordonne à Parker d’aller s’emparer de 2 petites îles voisines de 7 îles, en possession du Gouvernement grec. Mais on croit que le gouvernement n’a pas le droit de les posséder. On va donc les lui prendre. C’est impayable. Mes pauvres yeux m'empêchent de vous donner le [?] de cette curieuse conversation. Au total j’ai trouvé l'humeur plus douce qu’elle n'était dans le billet, des plaisanteries sur Palmerston, mêlé de défiance. De l'espoir que l’affaire s'arrangera. Un peu de peur cependant. Enfin mélange. Pas le langage d'un premier ministre. Voici votre lettre de Vendredi. Celle de samedi viendra plus tard. Vous voyez que vous faites bien d'écrire tous les jours. Adieu. Adieu.
Nous n'avons par dit livrez-les ou la guerre. Au contraire les termes sont très convenables. [?]
Mots-clés : Circulation épistolaire, Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Diplomatie (Angleterre), Diplomatie (Russie), Femme (politique), Guerre, Politique (Autriche), Politique (Grèce), Politique (Internationale), Politique (Russie), Politique (Turquie), Portrait, Réception (Guizot), Réseau social et politique, Santé (Dorothée)
Richmond, Mardi 9 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vous aviez toute raison. J'adopte votre point de vue de la question. Occupation des principautés. L’affaire s’arrangera. Il serait trop absurde de penser que la guerre s'en suive. Les nouvelles de Vienne hier au soir étaient meilleures. Les Hongrois à Widdin, disent qu’ils aiment mieux être perdus en Autriche que de vive à Widdin, où l'on ne leur donne pas à manger. La porte leur a envoyé un prêtre. Bem et 3 généraux se sont fait musulmans avec 24 officiers. Kossuth & tout le reste a refusé ce moyen de salut terrestre. La porte à qui on conseille d'expulser les Polonais, dit qui non, par ce qui l’Empereur préfèrera qu’elle les retienne prisonniers. Cela va à votre opinion. Je vois lord John tous les jours, le soir. Le matin il le passe à Londres en conseil. Mes yeux me font souffrir. Et vous en souffrez. J'écris à Aberdeen, à Beauvale, assez à Pétersbourg, je les épuise. Mais ce moment est gros. Metternich & Wellington se sont dit Adieu avec beaucoup d'émotion. Mad. de Metternich. N’a pas voulu que je disse adieu à son mari. Ils sont allés à Londres avant hier & s'embarquent aujourd’hui. Les Flahaut ont quitté Richmond. Il me reste ici les précieuses les Delmas, & Lord John. J’ai le projet d'aller à Londres Samedi j'y passerai quelques jours. Depuis vendredi vos a refusé ce moyen de salut terrestre. La porte à qui on conseille d'expulser les Polonais, dit qui non, par ce qui l’Empereur préfèrera qu’elle les retienne prisonniers. Cela va à votre opinion. Je vois lord John tous les jours, le soir. Le matin il le passe à Londres en conseil. Mes yeux me font souffrir. Et vous en souffrez. J'écris à Aberdeen, à Beauvale, assez à Pétersbourg, je les épuise. Mais ce moment est gros. Metternich & Wellington se sont dit Adieu avec beaucoup d'émotion. Mad. de Metternich. N’a pas voulu que je disse adieu à son mari. Ils sont allés à Londres avant hier & s'embarquent aujourd’hui. Les Flahaut ont quitté Richmond. Il me reste ici les précieuses les Delmas, & Lord John. J’ai le projet d'aller à Londres Samedi j'y passerai quelques jours. Depuis vendredi vous m’adresserez vos lettres au Clarendon Hotel. Je vous dirai le reste quand je serai fixée. Que de choses perdues que nous nous serions dites ! Adieu. Adieu. Adieu.
Val-Richer, Vendredi 12 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
huit heures
Ceci va donc vous chercher à Clarendon. Je suis allé vous y chercher il y a dix huit-mois, et neuf jours dans la voiture de Lady Allice ; deux heures après mon arrivée à Londres. Quel long espace dans notre courte vie ? Je comprends que Metternich et Wellington, ne se soient pas dit adieu sans émotion. Ils n’y sont pas fort sujets ni l’un ni l’autre, mais il n’y a point de cœur si froid qui résiste à toutes les scènes de la tragédie humaine. C’est sur eux-mêmes d'ailleurs qu’ils se sont attendris. C'est ce qui finit par arriver à ceux qui ne s'attendrissent sur personne. Il y a tant de quoi avoir pitié dans la vie ! On connait tôt ou tard ce sentiment, pour soi-même, si ce n’est pour les autres. Je suis charmé que vous soyez plus tranquille sur Constantinople. Il n’y a vraiment pas moyen de croire à cette guerre. C'est dommage que l'Empereur ait fait une telle boutade. A moins qu’il ne la retire en en tirant parti. Je suppose qu’il finira par là. Avez-vous lu la lettre de M. de Tocqueville à M. Rush à propos du Poussin de la République aux Etats-Unis ? Je l'aurais mieux aimée autre. Il y a un peu de petit épilogage pour couvrir un peu de faiblesse. Il y avait plus de dignité à convenir franchement et brièvement la grossière bêtise de l’agent qu’on venait de rappeler. Je regrette de voir un homme d’esprit et un galant homme engagé dans un mauvais service, et portant la peine. Boislecomte m’a écrit pour me demander à venir me voir. Il viendra passer ici lundi et mardi. Nous causerons. Il a précisément un esprit de conversation prompt et fécond ; des aperçus à l'infini, et en tous sens. Il ne sait pas toujours bien choisir, ni voir bien clair dans toutes les routes qu'il ouvre, son attitude est très bonne. Certainement après Février, mon régiment s’est fait et m'a fait honneur. Repassez les noms et les conduites. Broglie, père et fils, Flahaut, Dalmatie, Rossi, Bussierre, Bacourt. La Rochefoucauld Piscatory, Glücksbierg, Jarnac. Il n'y a que Rayneval qui ait faibli bien vite. J’espère que Marion viendra vous voir à Londres avant que vous n'en partiez. Est-ce qu’il n’y a vraiment pas moyen de les attirer à Paris ? Vous devriez mettre Bär Ellice dans ce complot. Mais vous ne l’avez pas sous la main. Adieu jusqu'à la poste. Je vais faire ma toilette. Adieu, adieu.
Onze heures
Vous partez donc mardi. Malgré toutes les incertitudes de l'avenir, j'en jouis et j'en jouirai comme si je comptais sur l'éternité. Adieu. Adieu. Voici le billet que je reçois de Guéterin. Il n'y a pas de mal que vous l’ayez. Adieu. G.
Richmond, Samedi 13 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
11 heures
Mon dernier mot d'ici. Je pars pour Londres où je passerai trois jours. Mardi je pars, mais le temps est affreux. Mad. de Caraman dit qu’elle m'ac compagne. J’aurai peut-être Kolb. Pour Mussy, je n'y compte guères. Lord John est vraiment triste de me voir partir. Toujours de bonnes conversations avec lui. Je crois qu'à la longue je serais utile un peu. Mais bonjour ! Rien de nouveau. Je suis convaincue que Strattford Canning est l’auteur de tout ceci. Il pouvait empêcher l’éclat. Il me semble que John est de mon avis. Je suis très fatiguée d’arrangements, quel ennui de se déplacer quand on n’est pas une impératrice. Adieu. Adieu. d'ici. Peut-être j'ajouterai un mot de Londres.
Clarendon Hotel 4 heures Je reviens déjà de chez mon oculiste, & de chez mon banquier. Demain est inutile à Londres, il faut tout faire aujourd’hui, & j'ai beaucoup à faire. J’ai eu une bonne lettre d'Aberdeen bien sensée, je l'envoie à Lord John, c’est du bon commérage. Les deux hommes ont du gout l’un pour l’autre. Votre lettre ne me reviendra de Richmond que ce soir.
Clarendon hotel, Dimanche 14 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Longue visite hier de Collaredo. Ils me soignent beaucoup. J'avais donné quelques hints à Lord John sur les dégouts que Collaredo ressentait ici. Hier il m’a dit qu'il a donné sa démission. Il ne veut pas rester exposé à être traité comme le fait Lord Palmerston. Il est très décidé. Il passera probablement par Paris en se rendant en Italie où il passera l'hiver. J’ai vu Flahaut aussi. Morny est toujours ici, & ne sait pas du tout quand il partira. J'avais envoyé la lettre de Lord Aberdeen à John Russell. Il me l’a renvoyé avec quelques explications. L’effet de la lettre a certainement Eté bon, car l’opinion d’Aberdeen était appuyée de celle de Peel qui se trouve chez lui. Tous deux trouvent qu'on a beaucoup trop grossi l’affaire ici, & qu'a Constantinople. Canning a été dans son tort. Il y a des nouvelles de Pétersbourg. On connaissait l’événement turc, & on attendait pour ne dire son avis que Fuat Effendi soit arrivé pour expliquer & excuses, car c'est comme excuse que nous prenons son envoi. Je commence à penser aussi que cela s'arrangera.
Lundi matin le 15 octobre envoi de votre lettre. Je n’ai que deux minutes à vous donner. Hier longtemps Brunnow, C. Greville, Flahaut, Morny, & la Marquise Douglas, qui me raconte beaucoup Paris, & le président, le comte de Chambord & sa femme, avec lesquels elle et aussi intime qu’avec son cousin Louis Napoléon. Brunnow croit que cela s'arrange. Il blâme un peu Titoff & beaucoup Canning. Tenez pour certain que c’est lui qui a fait tout le mal. Morny dit qu’à Paris on est très pacifique. & que le Président l’est surtout. Voilà tout en très gros. Quel dommage pour le détail ! Le départ de Collaredo fera sensation ici, contre Palmerston. Adieu. Adieu.
Il souffle très fort & Douvres & Calais & Folkestone & Boulogne sont encombrés de gens qui ne peuvent pas passer. J'attendrai comme eux, s'il faut attendre. Adieu. Adieu, vous aurez encore un mot d'ici demain.
Val-Richer, Mardi 16 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Je ne pense pas que même en essuyant aucun retard, vous puissiez être demain soir à Paris. Vous ne partirez certainement pas de Boulogne aussitôt après votre arrivée. Vous y coucherez. Mais je ne veux pas courir la moindre chance qu'en arrivant à Paris vous n'y trouviez rien de moi. C'est bien assez de n’y pas être moi-même. Boislecomte est ici jusqu’à demain soir. Nous avons déjà beaucoup causé. Très noir, mais point démoralisé. Croyant à un avenir possible, mais lointain. Vous en saurez bientôt plus que je ne puis vous en dire. Il me paraît que pour le moment. Rome n’est plus rien. Constantinople pas grand chose ; c’est l'adoption, ou le rejet, ou l'ajournement de la proposition sur les rois bannis qui est la grosse affaire. La réunion du conseil d'Etat en a été bouleversée. Je doute que la majorité reste longtemps intacte et immobile. Il faudra qu'elle avance. Et si elle avance, elle se divise. Etrange pays, où tout le monde parle sans cesse de progrès, et où personne n'en fait aucun ! Cependant j’ai une lettre de Piscatory qui croit l'affaire de Constantinople grosse. Il en est très occupé, ou plutôt préoccupé. La majorité ne paraît avoir aucun goût à s'embarquer, dans la barque de Lord Palmerston. C'est le président qui porte tout son poids de ce côté. Adieu, adieu. Quand vous m'écrirez de Paris, vous m'enverrez les faits, je vous renverrai mes réflexions. En attendant que faits et réflexions nous soient communs. Adieu, adieu, adieu.
P.S. Voici, en résumé, les deux faits. qui me sont signalés comme nouveaux et importants. 1° La France est à la remorque et à la merci de l’Angleterre dans l'affaire de Constantinople. C'est le président qui l’y a mise. Son cabinet était divisé. Molé et Thiers lui conseillaient de n'en rien faire. 2°. La majorité s’est séparée, ou est près de se séparer du Président, sur Rome, sur Constantinople et sur le rappel des bannis. Pronostics d'immense confusion. Armand Bertin était attaché à l'Ambassade de M. de Châteaubriand. Un soir en rentrant M. de Châteaubriand lui dit : " Madame de Lieven me traite bien mal. Elle ne sait pas à qui elle a affaire ni quels sont mes moyens de me venger. Certainement je me vengerai ? " Votre article d’Outretombe a été écrit alors de verve de vengeance. Il y a ajoute depuis ce qui me regarde. Je vous dis ce qu’on vient de me dire. Je ne l’ai pas lu.
Onze heures
Merci de votre second mot de Londres. Adieu, adieu. G.
Boulogne, Mercredi 17 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Me voici débarquée depuis une heure. Affreuse traversée tout le monde malade, moi compris. Je suis trop fatiguée pour poursuivre. Je n’irai à Paris que demain. Madame de Caraman & le Duc Kolb m’accompagnent tous deux très utiles. Je trouve ici de singulières nouvelles. Rupture entre le président et la majorité. A propos de Rome ! Hier matin j’ai encore vu du monde à Londres. La grande duchesse Stéphanie entre autres arrivée la nuit d’Allemagne. Elle était descendue au Clarendon. Bonne femme pas beaucoup d’esprit, et pas beaucoup princesse. La fille l’est davantage. Flahaut, Morny. Il se peut que Flahaut vienne à Paris. G. Delassort arrivé la veille. Assez noir sur son pays. Mon fils m’a établie au chemin de fer. Le raisonnement inquiétant de Brunnow est celui-ci. Quand on saura à Constantinople l'explosion dans les journaux anglais à la protection du gouvernement. Les Turcs ne deviendront insolents. Nous rappellerons notre ministre. L'Angleterre sera cause de tout ce qui peut s'en suivre. L’Empereur ne peut pas céder, on aurait pu le fléchir, mais c'est aux Turcs seuls à s’adresser à lui. En compagnie ils n'obtiendront rien.
Adieu. Adieu, je suis encore trop malade de la traversée pour savoir ce que je pense en me retrouvant en France. Je suis bewildered. Adieu. Adieu. Adieu. Voici votre lettre. Les Holland sont à Paris.
Val-Richer, Mercredi 17 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Je suppose que vous voguez déjà, vers la France. Le temps est superbe. Point de vent. Grand soleil. J’espère que vous l’avez comme moi. Vous trouverez une lettre en arrivant à Boulogne. Que je suis impatient de vous savoir débarquée, seulement après-demain. Je suis bien curieux de votre impression sur Paris. Tous les gens qui ont des impressions, un peu sérieuses et vraies me disent que c’est triste. Vous y arrivez dans un moment important. On dit le président de bien mauvaise humeur. Le rapport de Thiers l’a beaucoup blessé. Je ne trouve pas que le silence absolu sur sa lettre soit habile, dans aucune hypothèse. Cela, et la question des bannis, et son attitude dans l'affaire Turque, tout en ce moment le livre à M. Dufaure, et le fait pencher vers la gauche, vous en apprendrez à Paris bien plus que je ne puis vous en dire. On me dit que M. Dufaure a reçu ces jours-ci beaucoup de rapports d’agents intelligents, étrangers à son département, envoyés çà et là par le Ministre des finances pour des inspections financières mais qui ont bien observé, l'état des prêts, l’attitude des fonctionnaires, et ils disent tous au Ministre de l’intérieur que le socialisme est partout en progrès d'une multitude de fonctionnaires le servent, et qu’il y aurait le plus grand danger à tenter de nouvelles élections par le suffrage universel. M. Dufaure écoute, regarde à les pieds, et ne répond rien. Lord John a raison de regretter vos conversations. Elles lui étaient agréables, et certainement aussi un peu bonnes. Que de choses arrivent parce que ceux qui les font n’ont jamais entendu la bonne cloche ! Notre flotte est partie peur Smyrne. L’amiral Parseval, qui la commande, est un homme sensé tranquille et honnête. Il ne dépassera pas et n'échauffera pas des instructions. Herbet m'écrit de Madrid : « L’Espagne est complètement pacifiée. Il faut maintenant qu’elle soit administrée, et ce sera peut-être plus difficile. Il est bien à regretter que le Maréchal Narvaez, n'ait pas la santé qu’il lui faudrait pour accomplir cette grande œuvre. Il est le seul qui compte en Espagne. C’est un Cardinal de Richelieu en épaulettes. J’ai une longue lettre de Barante. Il travaille sérieusement, me dit-il, à une histoire de la Convention. Il espère qu’une affaire l’appellera à Paris vers la fin de Novembre, Sans quoi, il n’y viendrait que deux mois plus tard, par économie. Les Ste Aulaire sont à Etioles. Je m'obstine à vous donner des nouvelles de Paris. La première lettre qui me viendra de vous de là, me fera bien plaisir.
Onze heures et demie
Voilà votre lettre. Si vous avez à Folkstone le même temps que nous ici, vous passerez certainement aujourd’hui. Adieu, adieu. G.
Paris, ce 19 octobre 1849, Jacques Coste à François Guizot
Val-Richer, Samedi 20 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
sept heures
Il y a un jour de moins entre vous et moi. J’aurai après-demain votre réponse à ceci. C’est charmant, en attendant mieux. Cela me plaît que vous soyez rentrée à Paris par un beau soleil. Dans l’arrangement de votre vie, indépendamment des anciennes connaissances qu’il faut reprendre, peut-être y en a-t-il aussi quelques nouvelles qu’il vous convient de faire, soit à cause de leur value personnelle, soit à cause de l’importance qu'elles ont prise dans ces derniers temps. Montalembert, Falloux (s’il vit), Bussierre, d’Haussonville, Piscatory. Je ne crois pas qu’il faille étendre votre cercle, et les étrangers en sont, et doivent en être, toujours le fond. Mais vous aurez des vides. Du reste, vous jugerez mieux de cela après- quelques jours de séjour que moi d’ici. J’avais pensé à M. de Tocqueville, s'il se recherchait comme de raison. Il est homme d’esprit, de bonne compagnie et sûr je crois. Mais il ne serait pas sans inconvénients. Je vous dis ce qui me passe par l’esprit.
Les inquiétudes de Brünnow me frappent un peu. Vous vous rassurerez à Paris. Evidemment, on n’y veut. pas, se mêler de l'affaire. Tous les Chefs de la majorité sont pour qu'on ne s'en mêle pas. L’assemblée est plus forte que le Président. A la vérité, il peut toujours faire un coup de tête, et au bout de son coup de tête peut venir un coup de canon de la flotte qui est partie. Pourtant je persiste à n'y pas croire. Je vois qu’on donne ordre à la flotte d'attendre à Naples. Il y aura encore des hauts et des bas ; les Turcs pourront se méprendre, l'Empereur pourra se fâcher. On finira par s’arranger. J'en reviens toujours à mon dire sur Lord Palmerston lui-même ; patron de tous les révolutionnaires, oui ; champion, non. On m’écrit : " Le Général Dumas et M. de Montalivet sont ici à quêter des voix pour obtenir le rappel de la loi de bannissement. Si ce rappel était prononcé, . nous verrions le Roi au château d'Eu de par la grâce de Louis Bonaparte, M. le Duc d’Aumale à Chantilly, et M. le Pince de Joinville aux ordres de Tracy." Je n’y veux pas croire, et je n'y crois pas. Mais c’est déplorable qu’on puisse le dire. Il n’y a évidemment pour cette proposition sur les bannis, que l’ajournement. Le rejet serait une indignité. L'adoption, le feu mis à la soute aux poudres. Je sais cette manière de voter et de motiver l’ajournement qui exciterait peut-être, au moment même un orage, mais qui ferait éviter le piège et faire un grand pas. Imaginez qu’on dit qu'il est question de Victor Hugo pour remplacer M. de Falloux. Mais on compte sur un discours qu’il doit prononcer, qu’il a peut-être prononcé hier à propos des Affaires Rome, pour rendre cela impossible. Comme de raison, nous avons beaucoup causé, Boislecomte et moi, de la Suisse et du Sonderbund. Il a bien à cœur de me persuader qu’il a dû se tromper sur la force du Sonderbund. Il est vrai que tout le monde s’y est trompé comme lui. Il m’a donné, sur M. de Radowitz, quelques renseignements assez intéressants, et qui me font penser que cet homme a de l’avenir. Il (Boislecomte) m’a parlé de M. de Krüdener comme d’un homme de beaucoup d’esprit, et d'encore plus de malice. Il assure que le peuple du Sonderbund était très bon et se serait très bien battu, que ce sont les chefs qui ont manqué. Bêtise et Mollesse. Maladies générales.
Onze heures
Je n'admets pas, à aucun prix et en aucun cas les derniers mots de votre lettre. Mais nous n'en viendrons pas là. Je crains bien des choses, mais pas tout. Adieu, adieu, adieu. Reposez-vous et soignez votre rhume. Adieu. G.
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Diplomatie, Femme (politique), Guerre, Politique (Angleterre), Politique (France), Politique (Internationale), Politique (Russie), Politique (Turquie), Portrait, Réseau social et politique, Salon, VIe quotidienne (Dorothée), Vie sociale (Paris)
Paris, Lundi 22 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai vu bien du monde hier. Le plus important de tous Molé qui est resté une heure 1/2 racontant le passé & le présent. Les vacances de l'Assemblée ont été fatales au président. Pour agir sur son esprit il faut la présence continuelle. Tout le monde à la campagne. Falloux, l'espérance de tous, malade et éloigné aussi. Restait Normanby & un mauvais entourage. Molé a perdu son influence. Le président agit selon ses propres idées. En grandissime défiance de tout ce qui n’est pas son house hold. Il a été enchanté du discours de Mathieu de la Drôme ! Il est très décidé à un coup d’État ; il le fera certainement avant la fin de l'année. Il est encombré de dettes, il lui fait du pouvoir pour avoir de l’argent. Il prendra le pouvoir. Molé très sensé ; il faut avant tout rester unis pour conserver l'ordre. Il se plaint des légitimistes, immense obstacle à tout ce qu’on pourrait entreprendre. Thiers n’a aucun courage. Toutes les bonnes occasions sont perdues. Triste, sans désespoir, demandant (il a dit cela avant hier encore à un intime) ce que vous pensez. Il est bien difficile de penser dans cet épais brouillard, mais certainement avant toutes choses soutenir l’ordre pour tous. J’ai enterré de la curiosité sur votre compte, & je suis bien sûr qu'on vous recherchera quand vous viendrez. J'aurai long à écrire sur cette conversation. Ah comme il hait Palmerston ! Et quel mal cet homme fait ici dans ce moment. J'écrirai à John toute la vérité. Je reviens à Molé, la comparaison de la situation. Un grand fleuve à traverser. Il fait en passer la moitié avec le président il n'y a que lui qui puisse débarrasser de cette monstrueuse constitution suffrage universel, vote de l’armée & &. Il doit faire cela sous sa forme actuelle où une autre. C’est donc l'ouvrier qu'il faut soutenir. Kisselef est resté longtemps aussi. Pas de nouvelles de Pétersbourg. Nous ferons sans doute attendre un peu le Turc. Cependant dans quelques jours on saura quelque chose. Kisselef aussi dit que Normanby fait un mal énorme. A propos tout le monde dit qu’il paie la maitresse sur les secret service money. Il lui a déjà donné 160 m. francs il dîne chez elle à 3 avec le président. Midi voici votre lettre. Si vous étiez ici, vous ne seriez pas étonné de mes perplexités ou plutôt de mes terreurs. La courageuse lady Sandwich va louer son appartement & se prépare à partir. Elle était arrivée de Londres cinq jours avant moi. Plus d’Autriche dans la maison de sorte que je n’ai pas un voisin de connaissance. Car Jaubert est établi en Berry. Ah, que tout cela est triste ! Adieu. Adieu. J’ai bien à écrire et à faire. La journée est trop courte, & toute cette besogne si peu satisfaisante. J’arrange mon appartement de façon à le sous-louer. Adieu. adieu.
Val-Richer, Lundi 22 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
sept heures
J’ai eu hier ici Réné de Guitaut. Je l’ai tourné et retourné en tous sens. Il y a quelquefois beaucoup à apprendre des petits hommes de peu d’esprit. Ils reproduisent, sans y rien ajouter, la disposition du gros public. Je n'ai pu découvrir aucune inquiétude prochaine et sérieuse. Il affirme que le public ne croit pas du tout au triomphe des rouges, ni à la guerre, les deux seules choses qu’il craignît s'il y croyait. Je ne comprendrais pas comment le parti modéré se laisserait battre, ayant la majorité dans l’assemblée qui est la force morale, et le général Changarnier, qui est la force matérielle. Le mérite de cette position, c’est qu'elle donne au parti modéré la légalité, et rejette ses adversaires, Président ou autres, dans la nécessité des coups d’Etat, impériaux ou révolutionnaires. L'Empire et la Montagne ne peuvent plus arriver autrement. Je ne puis croire qu’ils tentent sérieusement d'arriver, quelque étourdi que soit l'Empire et quelque folle que soit la montagne. Il crieront ; ils se débattront, ils menaceront ; ils ne feront rien. Le pouvoir restera à l’assemblée, c'est-à-dire aux modérés, car il me semble impossible qu'ils perdent la majorité dans l’assemblée. Cela ne résout point les questions d'avenir. Mais cela prolonge sans secousse la situation actuelle. Je cherche incessamment dans tout cela, ce qui vous touche.
Je ne vois, quant à présent, que la guerre qui puisse réellement vous toucher. Et je ne crois pas plus à la guerre qu’il y a trois semaines. Regardez bien à tout, mais ne vous tourmentez pas plus qu’il n’y a sujet. Je peux bien vous dire cela, car je suis parfaitement sûr, moi, que je me tourmente autant qu’il y a sujet. Je n'aurai jamais un plus cher intérêt, en jeu. On me dit que M. Bixio disait le soir même de son duel avec Thiers : « J’ai eu tort. J’avais entendu dire cela à M. Thiers dans son cabinet, où il n’y avait que deux autres personnes. Je n’aurais jamais dû en parler. Je me suis laissé aller. J’ai eu tort. » Je trouve Montalembert excellent, presque toujours vrai au fond, et toujours saisissant, entrainant dans la forme. Un jeune cœur uni à un esprit qui prend de l’expérience. La dernière partie du discours est charmante, vive, tendre, pénétrée, abandonnée. C’est vraiment le pendant de son discours à la Chambre des Pairs sur les affaires de Suisse. Je saurai le vote ce matin, car je pense qu’on aura voté avent hier. Nous verrons ce qui en résultera pour le Cabinet. Pouvez-vous savoir ce que c’est qu’un M. Edouard de Lackenbacher, Autrichien à Paris, qui se dit envoyé par Le Prince de Schwarzemberg pour causer avec les gens d’esprit et expliquer la politique de son Cabinet ? Il ne parle que des affaires intérieures de l’Autriche, et il en parle dans un bon sens. Je serais bien aise de savoir d’où il vient réellement et ce qu’il vaut.
Onze heures et demie
Je ferme ma lettre avant d’ouvrir un journal. N’allez pas être malade, Tout le reste est passager ou supportable. Adieu, Adieu. G.
Paris, Mardi 23 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
La journée est trop courte à Paris, le bavardage les nouvelles se croisent, se confrontent. J’en suis étourdie. Hier encore j’ai vu beaucoup de monde. Sainte-Aulaire (Hélas il va je ne sais où, très loin, et ne s’établira à Paris qu'en janvier). Decazes. Montebello. La Redorte, les Holland. Dalabier, Kisselef, celui-ci le soir longtemps, un tête-à-tête. Larosière. Je lui ai fait lire à lui-même le passage de votre lettre sur son discours. Il a été comblée. Je voudrais bien voir M. de Montalembert ce que vous dites sur lui est si charmant ! La Redorte noir comme de l'encre, mais il m’a amusée. Tout le monde sans exception attend un coup d’état, c’est dans l'air, & vous voyez que les votes du président dans les faubourgs sont la préface. Décidément, il est en froid et en soupçon de la majorité ! Il cherche des amis autre part. On dit que Dufaure destituerait volontiers quelques fonctionnaires rouges, le Président les couvre & Dufaure est déjà débordé. Voilà ce qui se dit & redit avec un grand effroi. M. de Corcelles va remplacer M. de Falloux. On disait hier que le Président allait demander que son revenu fut doublé. Aujourd’hui le vote sur les princes [?] on dit que Joinville & Aumale promettent qu'ils ne reviendront pas. Louis Philippe serait très pressant pour que le bannissement cesse. Voilà ce qui m'a été dit hier de bonne source. Kisselef ne sait pas ce qui peut se passer à Pétersbourg. Tout est possible. Lamoricière mande qu'il n’a pas voulu voir Fuat Effendi. On a approuvé ici. Voilà qui est peu d’accord avec l'envoi de la flotte & toute la conduite. Je persiste à croire à la guerre avec la Turquie. Nous verrons. Je n’ai encore vu ici ni Autriche, ni Prusse. Cela m'étonne. L'Angleterre est piquée de ce que Je n’ai pas porté ma carte. Je ne lui dois aucun empressement. et le Mylord pensait bien venir. Le fait est qu'il croit que je veux le rest. On me l'a dit de leur part. J'ai demandé s’ils trouvaient que j'eusse des raisons pour cela ? Je crois que les Holland voient de la très mauvaise compagnie politique aussi bien que morale. Je me tiens en garde c'est-à-dire que je n’accepte pas leur invitation. Adieu. Adieu, j'aime rais assez que Piscatory vient chez moi. Adieu. Adieu.
Val-Richer, Jeudi 25 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 Heures
Un homme d’esprit m'écrit ceci : « Ne trouvez-vous pas que tout ce qui se passe autour de Constantinople ressemble singulièrement aux préludes du partage de la Pologne ? Il y a même, quant à nous, analogie dans la position. » Il y aurait du vrai à cela, s’il n’y avait pas, partout en Europe, ce qui n’y était pas au milieu du dernier siècle, la révolution flagrante. Les gouvernements seraient fous aujourd’hui si, pour penser à l’ambition, ils oubliaient la révolution. A ce jeu-là, elle ferait plus de conquêtes qu'eux et leur ferait bientôt payer cher celles qu’ils croiraient avoir faites. Les gens d’esprit ont le défaut de courir après tous les feux follets qu’ils aperçoivent, et qu’ils prennent pour des lumières. Cela les empêche de voir le grand soleil qui est en haut, et qui leur montre le vrai chemin. Je ne m'étonne pas de vos terreurs ; je m’en désole ; et à cause de ce que je leur trouve de fondé, et à cause de ce que je leur trouve d’exagéré. De la sécurité, le sentiment de la sécurité à Paris, vous n’avez pas pu y compter ; je n’ai pas à me reprocher de vous avoir rien dit qui pût vous tromper à cet égard. Aujourd’hui en France, il faut se résigner au fait et au sentiment de l’insécurité. Mais rien n’annonce des désordres prochains matériels et il y a tout lieu de croire que même survint-il quelques désordres de ce genre, il n’y aurait point de dangers pour les personnes, surtout pour les personnes étrangères, surtout point de dangers si prompts qu’ils fussent imprévoyables et indétournables. Il ne faut donc ni s'endormir ni perdre le sommeil. Quel ennui d'être loin et de ne pas avoir avec vous, sur ce point là encore plus que sur tout autre, ces conversations infinies où à force de se tout dire, on finit par atteindre ensemble à la vérité et pas s'y reposer! Enfin dans trois semaines nous en serons là. J’attends assez impatiemment ce qui a dû se passer hier à l'assemblée à propos de Napoléon Bonaparte qui a dû se plaindre qu'on mît de côté sa proposition sur le rappel des bannis pour ne s'occuper que de celle de M. Creton. C'est le second défilé du moment à passer. Si on le passe à l'aide de ces quelques paroles du rapport sur la proposition de M. Creton : ne pas prendre, en considération, quant à présent, et avec regret, on s’en sera tiré à bon marché. Avec qui et avec quoi le Président. ferait-il son coup d’état impérial avant la fin de l'année ? Je comprends qu’il ait besoin d’argent ; mais pour se procurer de l'argent, il faut, ou une assemblée qui vous le donne de gré, ou des soldats qui le prennent, pour vous, de force. Je ne vois à sa disposition ni l’un ni l’autre moyen. Il est vrai qu’à Strasbourg et à Boulogne, il ne les avait pas non plus ni l'un ni l’autre, à cela, je n'ai point de réponse, sinon qu'à Strasbourg et à Boulogne, il n'a pas réussi. Il s’appelait pourtant Louis Napoléon comme aujourd’hui. C'est beaucoup un nom ; ce n'est pas toujours assez.
Onze heures
Votre lettre d’aujourd'hui me plaît, politiquement et personnellement. Ne vous fatiguez pas. Adieu, adieu, adieu. G.
Paris, Jeudi 25 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Montebello est venu me raconter la séance d’hier en sortant de l’Assemblée. Broglie & Thiers ont absolument voulu s'abstenir. Le parti Orléans n’a donc pas voté. Pourquoi ? Cela me parait mal jugé. Montebello qui a été obligé de faire comme Broglie, en était tout triste et mécontent. Ils disent que c’est parce que Berryer a été trop légitimiste ! Berryer a fait de la belle et et bonne monarchie, il fallait voter avec lui pour cela, et même au lieu de cela, on se divise. Molé a voté avec la majorité, il a eu raison. J’ai vu hier des diplomates Fagel, les petits. Inquiets de l’Orient. Tous les jours cela m’inquiète davantage. J’ai vu aussi Edwards 1er secrétaire de l'Ambassade anglaise. Gêné, cachant ce qu'il pense ; ainsi disant " on ne rêve pas à des coups d’état. " Et c'est Normanby qui y pousse ; Je vois que Manin est arrivé. A propos de lui, voici ce que m'écrivait Beauvale en réponse à une lettre où vous me parliez de Manin il y a longtemps. Gardez cela pour me le rendre. On dit que Narvaez est décidément sorti des Ministères le 23, avant hier. J’ai été hier soir chez Mad. Swetchine, femme d'esprit et de sens & très doux. Société française qui ne me plaît pas du tout. Des femmes qui crient, et qui déraisonnent. Beauvale m'écrit qu'il y a des articles de journaux menaçants comme nouvelles de Pétersbourg. Il croit que c’est fabriqué. Moi et les autres russes nous avons de l'inquiétude. Les Russes sont venues hier chez moi notre dernier ministre à Turin, la princesse Wittgenstein & A propos, Annette est nommé à Turin. Neumann désigné pour Bruxelles. Le beau temps se trouble, je vais cependant tous les jours passés une heure au bois de Boulogne. J'entendais hier, je ne sais qui, dire chez Mad. Swetchine, que la majorité finirait par se fâcher des visites du président au faubourg St Antoine. C'était un député. Adieu. Je ne sais rien de plus que les journaux du matin. Quand nous nous parlerons comme nous serons bavards ! Adieu. Adieu. Le petit Willonghby est ici. Je ne sais comment tout cela se passe.
Val-RIcher, Vendredi 26 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures
Tout est possible ; mais certainement le coup d'Etat, c’est-à-dire l'Empire, fait à la suite d’un mouvement vers la gauche, et de concert avec elle serait une des plus étranges et des plus sottes absurdités qui se pussent voir. L'Empereur serait à peine né qu’il verrait ce que c’est que d'avoir la gauche pour parrain. Il pourrait bien ne pas aller jusqu'à la naissance, et mourir dans l'accouchement. Je croirai cela quand je l'aurai vu. Il y a encore des choses, auxquelles je suis décidé à ne pas croire d'avance. Pour l'honneur de mon bon sens. Vous avez raison de ne pas en faire plus pour l’Angleterre que pour les autres. Pourquoi auriez-vous porté votre carte là et pas ailleurs. Les autres sont bien venus. Presque tous du moins. Vous ne connaissiez pas, ce me semble, d'Autriche. Hatzfeld m'étonne aussi. Sa femme est-elle à Paris ? Vous avez bien raison aussi de prendre garde aux Holland. Faites avec eux comme Cromwell, avec le Long Parlement ; s’en servir et s’en séparer. Il excellait à cela. Je vais chercher à arranger d'ici une manière que Piscatory aille chez vous. Il me semble que Montebello serait bon pour vous l’amener. Vous ne m’avez pas dit si vous aviez vu le Chancelier. Je sais qu'il est de retour à Paris. Et Madame de Boigne, y avez-vous été ? Comment avez-vous trouvé la vicomtesse de Noailles ? On est bien questionneur de loin. J’ai des nouvelles de Madrid. La principale bien triste. On dit que Narvaez est menacé, si ce n'est déjà atteint d’un cancer dans l'estomac. Ce serait grand dommage. Je vous ai dit, je crois, qu'il y avait, dans la lettre que j'ai reçue de lui dernièrement, un air de tristesse sur sa santé. On dit aussi que Thom va rentrer dans le Cabinet. Voilà Bulwer partant pour Washington. A-t-on jamais été plus battu et plus résigné, que Lord Palmerston dans cette affaire-là ?
Midi
La poste est très tardive aujourd’hui. Merci de la lettre de Beauvale que je n'ai pas encore vue. Je vois que Narvaez est rentré aussitôt que sorti. Adieu, adieu. Je ne me figure pas tout ce que nous nous dirons quand nous nous verrons. Adieu. G.
Paris, Vendredi 26 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Hier beaucoup de femmes. La petite Hatzfeld, très spirituelle, agréable, en train. Mad. Danidoff très longtemps, très empressée très causante. Attachée à son cousin, disant de lui mille biens et entre autres " On se trompe bien si on le croit ambitieux. Il n’a point de famille, ce n'est pas pour celle qui existe qu’il peut travailler. Jamais il ne se mariera, il n’aura donc point d'enfant. Il pense à lui, à ce qu’il doit faire encore, et puis ce sera pour d’autres. " Elle me parait avoir gagné. Elle a du sens, de l’esprit & de bons sentiments. Je vous donne ce qui m’a semblé hier. Montebello qui vient tous les jours au sortir de l’assemblée me dit que dans la commission de l’assistance, où se discutent. les questions les plus brulantes, Thiers est impayable d’audace & d’impertinence et d’esprit. Il apostrophe Emmanuel Arago avec le dernier dédain. Belle République en vérité, merci du joli cadeau & & tout sur ce ton là. Montebello toujours au regret de l'abstention avant hier. A mon avis c’est stupide. On parle fusion, & voici une occasion, on se sépare. Broglie ne s’appartient plus à ce qu’on dit, bien effacée, & parfaitement mené par Piscatory. Celui-ci appartenant un peu à tout le monde, & n'inspirant pas une grande confiance. J’ai vu hier matin votre petit fidèle. Il me parait toujours fort au courant. Je n’ai pas vu de diplomate hier mais je crois qu’il n'y a rien de Pétersbourg. Brignole va certainement à Vienne. Il a tort, triste rôle à jouer. Le petit cousin Rodolphe Appony est parti, on dit qu'il n’a pu souffrir l'idée de servir vous [?]. Ainsi toute ma vieille Autriche a disparu. Et la nouvelle je ne la vois pas. La séance hier a été bien orageuse. Le prince de la Montagne se distingue ; Il va certainement devenir très incommode. Adieu. Adieu. Le temps est toujours charmant. Cela un bon matelas, & un bon dîner voilà mes félicités actuelles. Adieu.
Paris, Samedi 27 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Jeudi soir le président a [?] part M. d'Hautpoul, et lui a [?] un morceau sur son désir de marcher d’accord avec la majorité. Il a été plus loin, et [lui a] demandé que ce soit la se sorite qui désigne le remplaçant de M. de Falloux. Il devait y avoir réunion. Hier soir au Conseil d’Etat le séance aura été intéressante. Je ne saurai que plus tard, d’un autre côté j’apprends [?] Normanby est très dérouté depuis quelques jours. & hier matin Lord Normanby [?] à quelqu’un, qui me l'a [?] un mal énorme de Thiers furieuse contre lui. L'accusant de vouloir rétablir le régime de Louis 14, & de désirer pour cela l'assistance des Russes. Hatzfeld n’avait pas su mon arrivée, il est venu hier. Au fond, la conversation la plus spirituelle que j'aie eu ici sur les affaires extérieure., Il a beaucoup gagné. Il pense que nous ne pouvons dans aucun cas tolérer que notre influence soit balancée à Constantinople par celle de l'Angleterre. Si les Débats disent vrai, nous aurions réduit nos demandes à l’expulsion des réfugiés, & Fuat Effendi se serait dit satisfait. Cela n’est pas fini pour les Turcs ! Mais je crois que c’est fini quant à la menace de la guerre. Dieu merci. Flahaut est arrivé hier matin. Il est venu me voir mais j’avais du monde, nous n’avons pas pu causer. Il n’avait pas l’air gai. On dit dans le monde que les affaires d'argent de Morny vont mal. Je crois que le changement en bien à l’Elysée peut lui être attribué. Lady Holland me dit qu'on commence à avoir peur du prince de la montagne et que le président lui fait parvenir des avances. Elle doit savoir cela par Jérôme. Dans le petit public on trouve que sa défense des condamnés à un côté de justice. Cette observation me vient d’Oliffe qui entend un peu la rue. Broglie a envoyé chez moi sa carte. Il n’y a pas de quoi prendre note de cela. S’il ne veut pas venir, je m’en passe.
Hélène m'écrit que l’Empereur est préoccupé de l’idée qu’il finira comme son frère. Toujours beaucoup de tristesse à la cour. On amuse Palmerston de toute la complication à Constantinople. Du reste le ton à Pétersbourg est toujours du dédain pour la Turquie. Elle dit qu'on fait L’Eloge de Lamoricière. L’Empereur donne à sa belle-sœur un million de roubles par an de douaire, cela et par dessus deux très belles terres & trois beaux palais. à sa fille 200 m 20 b. par an, et à son mariage 500 m. Tout cela est très grand. Collaredo a reçu son rappel. Cela a fait à Londres un très mauvais effet contre Palmerston. Il lui a notifié son rappel, Palmerston a répondu par une lettre pleine de regrets d'amertume que celle de Madrid. Narvaez plus puissant que jamais tant mieux. de la part de la Reine. Ma lettre à John n’est partie qu’avant hier. Je serai donc encore quelque temps sans réponse ma lettre a reposé trois jours à l'Ambassade. Est-ce que Normanby l'a lue ? Je n’ai pas encore trouvé un moment pour écrire à Aberdeen. Adieu. Adieu. Adieu. Quelle drôle d'amertume que celle de Madrid. Narvaez plus puissant que jamais tant mieux.
Paris, Dimanche 28 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
On me dit que M. Moulins est allé vous voir. Il vous racontera tout ce qui me dispense de le faire. Morny a été avant hier pendant trois heures en conférence avec le président. Il n’a pas assisté à la réunion du Conseil d’Etat Flahaut est revenu me voir hier. Il verra le président demain. Le prince Paul me dit que Pastoret est furieux des discours de Berryer. Il n’avait pas mission de repousser le rappel des princes honnis pour moi je persiste à trouver le discours de Berryer très beau. Je n’ai pas causé avec Kisselef, il y avait beaucoup de monde chez moi lorsqu’il est venu. Je le verrai ce matin. J'ai fait visite hier à Mad de Boigne long tête-à tête, de l'inquiétude. Du blâme pour tout le monde, passé & actuel. Elle m’a dit qu’elle aurait bien désiré vous aller voir au Val Richer, mais qu’elle était trop faible, Je n’ai pas répondu un mot. Elle ne me parait pas changée, mais elle se plaint beaucoup de la santé. Le chancelier est entré au moment où je me levais pour partir. Nous nous sommes dit deux mots de politesse en passant. Je suis très contente de tous les Russes qui sont ici. Il y en a peu, mais de la bonne compagnie. On attend Mad. Narichkine mais je n’ai pas appris son arrivée encore. Je suis très curieuse de savoir des nouvelles précises de Pétersbourg Il n'y a jusqu’ici que la dépêche laconique de Lamoricière. Cela ne peut pas être si simple. Hier pour la première fois j’ai été seule toute la soirée. Je n'ouvre pas encore mon salon ce soir, je veux avoir rendu toute mes visites avant. Ma visite quotidienne (l'habitant de Petersham) pousse bien à l'agitation monarchique. Il désire vivement le coup d’état, il trouve la situation actuelle humi liante et intolérable pour tout le monde. Il me dit que Piscatory se rend bien ridicule, il fait l'important. Il est peu aimé dans la réunion. Flahaut affirme que le Président ne veut pas de coup d’état. Ce qu'il y a de plus clair c'est que tout est bien confus. Adieu. Adieu. Adieu. On tient beaucoup à savoir votre opinion sur la ligne de conduite à tenir. C’est toujours mon Petersham qui me dit cela. Je n’en vois pas d'autre de ce côté-là, mais lui est plein de confiance en moi et me raconte tout. Adieu encore.
Mots-clés : Conversation, Femme (politique), Politique (France), Réseau social et politique, Salon
Paris, Mardi 30 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Deux lettres ce matin, toutes les deux intéressantes. J’avais eu de vos nouvelles hier autrement. M. de Moulins vous a trouvé à merveille, bonne mien, l'air gai, heureux, votre entourage aussi, & vous heureux de revenir à Paris pour votre fils & vos livres. Lady Normanby est venue hier avec un immense empressement. Son mari est venu une heure après, [?]. Ces gens-là sont à mes pieds. Le prince Paul vient sans cesse, toujours gros de nouvelles que j’avais apprises 3 jours avant et oubliées. Le duc de Noailles a diné avec moi, nous avons beaucoup causé de tout. Il est et se met beaucoup en avant. Il avait passé sa matinée entre Molé, & Berryer. Toujours à la recherche d'un ministère. En fin de compte, si les gros ne pensant pas s’y mettre, il propose des petits, mais honnêtes. Benoît & Bugnon, Vatimesnill. Je crois que je dis bien. Il n’est préoccupé que d’une seule idée, l’épuration des fonctionnaires. Si cela ne se fait pas, et tout de suite, il dit qu'on est perdu. Il désire beaucoup votre retour. Il croit que sans agir vous-même vous pourriez agir beaucoup sur certains meneurs, qui manquent de discussion & d'idées. Il est en grande confiance en vous. Il est parti cette nuit pour Cologne. Un rendez-vous avec Madame de Sagan, il sera de retour samedi. [?] y, qui en avait demandé [?] pour lui exposer le [?] majorité de se débarrasser [?]. " je le désire autant [?] " Je ne tiens pas à eux [?] du monde. Donnez-moi [un ministère], je l’accepte." [?] veut venir me voir, il [?] pas une minute. Je [?] aise de causer avec lui. [?] par une source un [subalterne] mais très sûr [?] président ne dort ni ne [?] tant il est préoccupé [?] un coup d'état, il le veut à [?]. Il y est poussé par l entourage. Persigny [?]. Il compte beaucoup [environnement] du général [?] Sa confiance dans Changarnier n’est pas entière. J'ai eu une longue lettre d'Aberdeen. Brunnow lui avait fait dire qu’il était très inquiet & qu'il doutait qu’on pût éviter la guerre. Vous voyez que je n’étais pas seule à le penser. Le duc de Noailles est bien contente de Berryer. M. de Pastoret n’est rien que le caissier du duc de Bordeaux. Il ne compte pas comme homme politique. Molé est plein de courage, il se conduit bien. Broglie c’est pitoyable, personne ne fait attention à lui. Pourquoi s’être fait nommer si c'était pour s’annuler ? Adieu. Adieu. Adieu.
Paris, Mercredi 31 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
4 heures
Morny sort d'ici. Le ministère est changé de fond en comble. Vous verrez les noms. Je ne me rappelle que de Flavigny aux aff. étrangères. On y aurait mis Casimir Perrier si on ne s’était souvenu de la Russie. 1er Novembre. Interruption et impossibilité de reprendre. L’un après l’autre jusqu'à 10 h. du soir. Et bien le message ! Grand étonnement. Il n'était connu de personne. Molé,Thiers, Changarnier, tout le monde pris au dépourvu. Le renvoi en masse des Ministres, la nomination des nouveaux ils ont tout ignoré. Montebello a parlé avec chacun d'eux. Tous surpris, & mécontents. On ne sait que dire. Moi j’aime toujours ce qui est ferme, & il y a dans le message des paroles très fermes. Ceci me parait la préface de l’Empire. Arrivera-t-il ? Puisque le Moniteur ne parle pas, les Ministres ne sont sans doute pas nommés. Il faut du courage pour se mettre à cet ouvrage. Morny hier était rayonnant. Flahaut moins, mais aussi un peu dans l'enchantement du président. Grande amitié de la part de celui-ci pour Flahaut. Il retourne à Londres lundi. Thom est arrivé hier de Vienne. Il me dit que l’affaire des réfugiés est complètement réglée. La Turquie s’oblige à les interner dans une ville de l'Asie mineure reculée, & là de la garder à vue. Cela s’applique à Kossuth Zamansky & & 15 en tout les principaux. Je ne sais pas pour Bem, à Vienne l'affaire est regardée comme finie. Et Pétersbourg a toujours agi d'accord avec Vienne sur ce point. Je suis curieuse de ce que j'apprendrai aujourd’hui, ce sera après le départ de ma lettre. Mes inquiétudes me reprennent. C'est une grosse aventure qui a commencé hier. Dieu sait où elle peut mener. Bulwer à Paris chez moi hier comme un spectre. Une heure après il repartait pour Londres. Il était depuis 5 jours très secrètement à Paris, il dit pour ses yeux. Le public dit, grosse intrigue politique. Moi, je crois, Donna Julia. Quoiqu’il en soit l’ambassade en grand émoi, car il n'y était pas allé. J’ai un une lettre fort intime de lord John qu'il avait recommandé à Brunnow de m’envoyer par courrier. Rien que les affaires de France. Très Président, & poussant au coup d’état. Blâmant Thiers, son rapport. Enfin une lettre assez intéressante. Pas un mot sur ce qui j’ai dit de Palmerston & Normanby. C'est beaucoup qu’il ne se soit pas fâché. Le silence me convient.
Val-Richer, Mercredi 31 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
L'Empereur a eu raison de finir vite et avec le Turc seul. Mais je crois que Palmerston ne se console aisément d'être arrivé un peu tard. Vous connaissez sa fatuité ; il se dira : « mon oncle a suffi." Ceci ne changera point les situations à Constantinople ; votre influence à vous est là au fond, partout et de tous les jours ; celle de l'Angleterre n'est qu'à la surface et pour les grands jours ; on craint tous de vous; on espère quelque chose de l'Angleterre. La porte n'est pas égale. Non seulement les pas en avant, mais les pas de côté, mais même les pas en arrière tout en définitive, vous profite à vous tant votre position est forte et naturellement croissante. L'Empereur prouve un grand esprit en sentant cela, et en se montrant modéré et coulant quand il le faut. Il y risque fort peu, et probablement, un peu plus tard, il y gagnera au lieu d’y perdre. Mais ayez plus de confiance dans cette sagesse, et ne croyez pas si aisément à la guerre pour des boutades. Je suppose que Vienne restera quelque temps sans donner de successeur à Collaredo. Il faudra que Londres se contente de Keller. Vienne a raison. Montrer sa froideur sans se fâcher, c'est de bon goût d'abord, et aussi de bonne politique. L’Autriche n'en sera pas moins grande à Londres parce que son agent y sera petit. Mais le corps diplomatique de Londres descend bien. Méhémet Pacha et Drouyn de Lhuys en sont maintenant les plus gros personnages. Puisque M. Hübner est enfin venu vous voir, ce dont je suis bien aise, causez un peu à fond avec lui de la Hongrie. Ce pays- là est entré dans l’Europe. On regardera fort désormais à ses affaires. Est-ce sage la résolution qu'on vient de prendre à Vienne de maintenir, quant à la Hongrie, la Constitution centralisante de mars 1849, et de considérer son ancienne constitution comme abolie, au lieu de la modifier ? Je n’ai pas d'opinion; je ne sais pas assez bien les faits ; mais je suis curieux de m'en faire une. Puisque M. Hübner est un homme d’esprit il vous reviendra souvent. Je me promets de m'amuser de votre visite à Normanby. Que de choses à nous dire ! Précisément les choses amusantes. On ne rit pas de loin. Vous avez bien fait de faire cette visite. Au fond, c'était, je crois la règle. Et puis il n’y a que les petites gens qui comptent toujours par sols et deniers. Vous aurez ceux là bien plus empressés. L'accompagnement dans la rue est le commencement de l'attitude. Plus j’y pense, plus je crois que mon avis tel que je l'ai dit à M. Moulin est le bon. Il vous sera revenu par Petersham. Ne se prêter à aucune demi-mesure extralégale, et pousser à la formation du plus décidé, et du plus capable cabinet conservateur possible. Les répugnances de ceux qui ont sauté le fossé de la république sont ridicules ; c’est du calcul égoïste ou pusillanime, non de la fierté. Je suis en cela de l'avis du duc de Noailles. Le Gouvernement du tiers parti ne compromet et n'use pas les conservateurs, c’est vrai ; mais il ne leur profite pas ; aujourd’hui du moins il ne leur profite plus. Et bientôt, il les mettra tout-à-fait en danger, M. Dufaure couve maintenant M. Ledru Rollin. Etrange. situation ! Les conservateurs ont le pouvoir et ne le prennent pas. Cela a pu être sage d’abord ; mais ce qui est sage d’abord ne l'est pas toujours. J'en parle bien à mon aise moi qui suis en dehors. Mais pourquoi n’en parlerais-je pas à mon aise ? Onze heures Trouvez-vous étrange qu’en parlant à M. Moulin de mon plaisir à revenir à Paris, je n'aie parlé que de mon fils, et de mes livres ? Adieu, adieu, adieu.
Je ne vous gronde pas. Je ne me plains pas. Vos velléités d’injustice m'irritent et me plaisent. Quant à l’air gai, je vous ajourne à la rue St Florentin. Adieu Adieu, adieu. G.
Paris, Mercredi 31 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Très long tête-à-tête hier soir avec Kisselef. Il est très confiant et ouvert. Il se conduit bien. Lamoricière n’a pas fait la moindre démarche depuis le 5 octobre. Mon correspondant m’informait mal, ce jour-là le 5, il avait lu à Nesselrode une dépêches des plus anodynes mais qui touchait à la question ou lui a dit que cela ne regardait personne, & qu’on n’accepterait l'ingérence de personne. Depuis, Nesselrode n’avait plus entendu parler de lui. Il savait seulement que Lamoricière n’avait pas vu Fuat Effendi. Le courrier russe est du 20. Si vous êtes des gens d’esprit, maintenant que l’affaire la grosse au moins est réglée, vous retirerez-vos vaisseaux. Je ne sais ce que fera l'Angleterre, mais je sais que nous ne supporterons rien de ce qui ressemble le moins du monde à une menace. Molé est bon et utile. La crise ministérielle est grosse depuis avant hier. Hier soir rien de décidé encore, mais le président avait, dit-on, donné congé à ses Ministres. nous verrons aujourd’hui. M. de Persigny a dit tout haut avant-hier à un grand diner chez Changarnier, qu'il fallait un coup d’État, que tout le pays était enflammé de la gloire de l'Empire. Il disait cela à Hubuer. Très long tête-à-tête avant le dîner dune Hatzfeld. Comme tous les autres, tous, il croit au coup d’Etat, mais comment ? C’est impossible de le deviner, la majorité ne le veut pas. On ne dit pas que Changarnier le veuille. Est-ce que le Président peut faire tout seul ? Je n’ai pas revu Flahaut depuis son audience chez lui. La faveur de Normanby baisse un peu. Il y a eu des commérages d’argent qui ont blessé. Mad. Roger est ici, elle n'est pas venue me voir, elle n'était pas sur ce pied et je ne l'ai pas rencontré. Je vois toujours chez moi beaucoup de monde. Trop long à vous nommer, trop long à radoter. On parle & rabâche toujours sur le même sujet, le coup d'Etat. Ce serait ennuyeux si ce n'était si sérieux. Depuis que je suis dans la mêlée. J'ai moins peur, & cependant je devrais avoir peur & revenir à ma première impression. Les premières sont toujours les vraies. Je ne suis pas sûre de vous revoir. Qui peut dire ce qui se passera d'ici à quinze jours. Puisque vous n’avez pas encore fini d'écrire, Mad. Austin n’a pas à traduire, & puisqu’elle ne traduit pas qu’est-ce qu’elle fait chez vous ? Vous avez assez d'embonpoint sans le sien. Adieu. Adieu. Adieu.
Val-Richer, Jeudi 1er novembre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Huit heures
Voici enfin, le mois où nous nous retrouverons. Je ne crains pas que les amertumes, dont avant-hier vous m'avez envoyé un trait résistent à la présence réelle. La vérité vous saisit et chasse de vous l’erreur. Mais elle ne l'empêche pas de revenir. J’ai bien envie de vous dire une fois tout ce que je pense de la source de cela. Quand on a vécu quelque temps séparés en pensant toujours, on s'étonne de tout ce qu’on ne s’est pas dit. Que de silences, de réticences, de voiles dans une bien grande intimité! C’est bien dommage. Il y a un point où l'on arrive bien rarement, mais où, quand on y est arrivé, ce qui est incomplet devient intolérable. Il faut pourtant s'y résigner. Je suis charmé que le Duc de Noailles soit à Paris. Je me promets que nous causerons beaucoup. Non seulement il est très sensé et très honnête, mais je me figure qu’il y a en lui quelque chose de plus qu’il ne montre. J’aime les gens dont je n‘ai pas vu le bout. J’ai eu hier ici un autre ancien député conservateur du midi. Il avait une lettre de son fils, jeune maréchal des logés dans un régiment de chasseurs à Rome. Voici les termes. « Nous nous ennuyons bien ici. Nous ne savons pas pour qui ni pourquoi nous y sommes. On nous fait changer tous les jours notre fusil d’épaule ; demi-tour à droite, demi-tour à gauche. Le Pape devrait bien revenir pour que nous nous en allions. Voilà le sentiment populaire dans l'armée. Je vois venir un bien autre embarras. Le Pape dira, ou donnera clairement à entendre qu'il ne reviendra à Rome que lorsque les Français n'y seront plus. Et alors comment s'en ira-t-on. S’en aller, ce sera être chassé par le Pape. J'admire ce que la bonne politique peut devenir, entre les mains des sots. Ici aussi le coup d'état est dans l’air ; c’est-à-dire qu'on en parle car je ne trouve pas qu’on y croie. Quel qu’il soit s’il se fait sans le concours de l'assemblée et du général Changarnier, ce sera un triste coup de cloche. Le Président a beaucoup perdu dans les campagnes mêmes. Il ne me paraît plus en état d’agir seul. Comme de raison, il me vient bien des messages empressés et obscurs. C'est l’état de tous les esprits. Il m'en vient d’Emile de Girardin toujours, en ébullition. Il me paraît que la présidence du Prince de Joinville est décidément son idée du jour, et qu’il se propose de la pousser chaude ment à travers le premier nouveau gâchis. Je ne sais plus quelle importance conserve encore son journal. Je le vois toujours assez rependu pour nuire. Et l'homme a, dans ce genre, une vraie puissance.
Midi
Voilà un nouveau cabinet qui m’arrive. Ce n'est évidemment qu’une préface. Quel déplorable et ridicule gâchis ! J’ai la conviction que tout cela ne sera que ridicule. Il faudrait que les honnêtes gens fussent plus sots que les sots pour se laisser déposséder et mâter avec les forces qu’ils ont entre les mains. Je suis charmé que vous vous inquiétiez moins. Quand serons-nous réunis ? Adieu, Adieu Adieu. G.
Paris, Vendredi 2 novembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Ne vous inquiétez pas de mes petites boutades. Elles passent. Il y a tant d’autres choses pour lesquelles il faut s’inquiéter vraiment. Thiers est venu hier. Il est resté plus de deux heures. Pas trop étonné, mais en grande critique. Le président veut le gouvernement personnel. Il veut faire. Impossible de voir au-delà de la journée. Il faut oublier complètement le jeu parlementaire les partis, les rivalités. Tout est puéril. Il n'y a de réel que le danger. On a déjà beaucoup fait contre, Il faut persévérer. Montebello entre, racontant que dans la salle des conférences, on voulait absolument que la majorité fit une déclaration en réponse au message. Appuyant le nouveau cabinet mais rappelant à l’élu du 10 Xbre les élus du 13 mai et on voulait que Broglie prit aujourd’hui la parole pour dire cela. Montebello y pousse. Thiers ne semblait pas être de cet avis. Il faut mieux se taire absolument. Il avait l’air d’ignorer qu’aujourd’hui à 10 h. le conseil des 10 est convoqué chez Molé, pour décider de la conduite dans la séance de ce jour. Je crois que Thiers voudra qu’on se taise. il parle bien du président, mais un coin de folie, il croit sa race la première du monde. Ce n’est pas le titre n'importe c’est le [?] La politique étrangère il est [?] & m'a raconté des séances [?] traité Normanby, de polisson. [président] il a dit : Vous apportez [?] la France les bonnes de l'Empereur Nicolas. N'oubliez [?]. N’allez pas risquer de [?] grande confiance. [?] Changarnier. Le seul. Naguère [?] lui, mais inférieur. [?] vous a pas nommé. [?]indra. Ste Aulaire aussi [?], j’avais fermé ma porte [?] les autres. Ste Aulaire avec moi. Sa femme est [?] après le dîner & Kisselef que je n’ai pas vu seul. [Ste Aulaire] est excellent, excellent [?] vous. Plein de bons avis très sincère. Attendez-vous à beaucoup d'ingratitude. Vous êtes le politique de la monarchie de juillet. Absurdité incrustée dans le gros du public. Il ne faut pas que vous disiez que vous n’avez jamais eu tort. Je lui ai répondu qu'il n'y a que les sots qui se croient infaillibles. Je vous répète que Ste Aulaire est excellent. Thiers m’a dit que le Prince est un peu penaud de l'accueil fait à son message. Le mécontentement l’étonnement sont universels. M. Rouher, & Parieu sont les hommes importants du Cabinet. (Relativement of course). Le premier a été donné par Morny. C’est celui-ci qui me l’a dit. Il lira aujourd’hui le programme du Cabinet. Il n’est pas question d'amnistie. Tocqueville est très blessé & le dit, tous les anciens ministres le sont. Lord John me dit : " Le président doit demander son pouvoir à vie, il doit demander que l'assemblée siège 6 ans. S'il ne trouve pas de Ministres qui veuillent demander cela. Il faut qu'il abdique and he would succeed. I warrant. N'êtes-vous pas étonnée de ce langage ? Adieu. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Conversation, Diplomatie, Femme (politique), Politique (France), Réception (Guizot), Salon
Paris, Samedi 3 novembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
La situation est des plus tendues des plus extraordinaires. J’ai vu hier Berryer, après le dîner. Il se rendait à la réunion du soir où l’on devait décider de la conduite à tenir, il est sombre, il n’est pas désespéré, mais il n’entrevoit pas comment on pourra sortir de ce chaos au milieu de tant de prétentions vivantes. Voilà pour l’ensemble quant au moment actuel Dieu sait ce qu’on aura décidé hier. Les intrigues de la semaine ont été énormes. On se plaint beaucoup de Molé. Un très bon conservateur disait hier. " M. Molé est toujours, en toutes circonstances, avec tout le monde en trahison, on ne peut pas croire à lui un instant. " M. Molé est dans le dépit le plus grand contre le président qui l’a joué. Thiers n’est pas allé hier à la réunion des 10 chez Molé. Il y manquait aussi Berryer & Vatimeuil. Sur les 7, quatre ont voulu qu’on parle, et 3 qu'on se taise à la séance. On avait préparé quelque chose s'il y avait eu lieu. Mais le programme n’y a pas donné lieu. Accueilli avec le plus grand silence. Broglie est d’avis qu’on ne fasse aucune opposition, mais que personne en mette plus les Jeudi chez le président à ses réceptions. Marquer de la froideur & du mécontentement. Avant aucun accord même cela s’est déjà fait ainsi jeudi à la soirée. Il y avait la diplomatie, grand nombre de militaires, point de députés. Hier on a fait entrer de la troupe de plus à Paris. Tout le monde disait hier que dans le petit public, la masse, le message du président avait le plus grand succès. Je sais que hier devait se tenir une réunion des partisans personnels du président, Moskova, Victor Hugo & & qui cherchent à en attirer d’autres parmi les rangs des conservateurs. Le coup d’état est regardé comme infaillible. Les affidés disent : " Nous sommes en marche." Berryer en disait : dans les faubourgs il pourra se trouver 40 m. personnes. criant vive l’empereur. Alors il pourrait s’en trouver 60 m aussi qui crieraient vive la république socialiste. On verra alors. Il y aura lutte certainement. Que faire je parle de moi maintenant certainement à supposer même que l’armée reste très bonne. (Changarnier ne ferait pas comme au 13 juin. Il laisserait faire un peu pour pouvoir réprimer. Réprimer c'est batailler. Vous savez si j’aime les batailles. Tout le monde y compte & reste. On est aguerri ici. Mais moi qui n’ai aucun appui auprès de moi, comment me risquer dans la bagarre. Tout cela est bien triste. Je ne puis pas vous dire tout ce que je vois de monde. Depuis 3 1/2 jusqu'à 9 du soir jamais un moment seule, que l’intervalle très court des dîners. Kisselef vient sans cesse, impossible de causer. Je le ferai dîner avec moi. pour avoir enfin le tête-à tête. Il a reçu un courrier, il a des communications importantes à faire. Il ne sait à qui parler. Il est allé hier chez Hautpoul, pas reçu. Berryer est plein de sens. Au fond sa conversation est celle qui m’a le plus convenu d'entre toutes les autres, vous verrez, car vous le verrez. Il m’a parlé de vous, mais pas autrement que pour me dire que lui dans le temps, avait voté pour qu'on soutint votre élection. La princesse de Joinville est accouchée avant terme d'un enfant mort. Elle a été à la mort elle même. Selon les nouvelles d'hier elle allait mieux. Quelle tour de Babel que ce Paris. Je me trompe. Tout ce que je vois est d'un seul et même avis au fond, mais que faire, & quoi au bout ? Adieu. Adieu. Adieu.
Personne ne sait ce que veut Changarnier, au fond il est impénétrable. Flahaut est ahuri. Lui, approuve le message et s’étonne de la majorité Il dînera chez le Président mais il ne veut pas se montrer à ses soirées. Il repart jeudi pour Londres.
Paris, Lundi 5 novembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
L’Empire était moins florissant hier que la veille. On a l’air de le croire trop difficile pour qu'il arrive. Cependant comment rester stationnaire après le message. Il faudrait donc reculer ? Mon salon hier était comme il y a deux ans, excepté vous de moins, et M. Molé & Berryer de plus, & quelques légitimistes. La diplomatie au complet moins l'Angleterre. Molé le [?]. Voici le vrai de la situation. Les ministres changent, mais deux hommes restent immuables, importants, sont Molé et Thiers. La diplomatie se tient à eux. On leur parle comme à des Ministres & on leur montre souvent plus qu'aux ministres. C’est naturel, c'est bien jugé, et cela profite. A nous, beaucoup, tous les deux sont bienveillants pour la Russie, et fort impatientés du joug de l'Angleterre. Hier Kisselef a eu sa première entrevue avec Hautpoul, avant d'entamer, celui-ci lui a annoncé que l’ordre pour le retour de la flotte venait de partir. à la bonne heure. Je ne sais pas encore si cela s'est fait d’accord, ou non avec l'Angleterre. Hautpoul très Russe. Je vous dis que tout le monde est russe. Tout le monde entrait chez moi hier en riant, une sorte de plaisir de retrouver du vieux. Cela m’a plu, le commencement m’a plu ; à la fin de la soirée, j’ai dit à Montebello, avec amertume " personne n’a prononcé le nom de M. Guizot. " Cela m’a choquée. Voilà les hommes. Voilà le temps. Montebello m’a cité une exception, la Prince Wittgenstein. Je lui en saurai gré. J'ai eu des lettres d'Aberdeen de Beauvale de Clauricarde. Tout le monde me demande d'écrire, d'expliquer, d'inexplicable message. Montebello est prié à dîner aujourd’hui à l’Elysée. Votre ami B.[roglie] lui a dit de refuser. Moi je lui ai dit d’aller, et il ira. Quelle idée a votre ami. En pratique quel pauvre esprit ! Comme il doit avoir fait des fautes de convenances et de tact dans sa vie. En y pensent bien je crois que le tact est un ingrédient bien nécessaire aux choses de toute taille. 1 heure. Point de lettres ce matin. Qu’est-ce que cela veut dire ? Je ne suis pas bien depuis quelques jours. Du rhumatisme, pas d’appétit et peu de sommeil. cela reviendra peut-être. Adieu. Adieu. Adieu. Que vous écrit-on sur vous ? Adieu. deux choses à relever. Molé ne croit pas à l’Empire. Et en fait d'avenir, il ne croit plus qu'une Monarchie constitutionnelle soit possible autre part qu’en Angleterre.
Paris, Mardi 6 novembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
C’est le second Lundi que votre lettre un manque. Cela fait le dimanche de Londres, car je compte bien recevoir deux lettres aujourd’hui. Le bavardage se calme. Hier il y en avait peu. Flahaut est venu causer avant de se rendre au dîner du président. Il part aujourd’hui pour Londres. Il est très partisan du Prince. S’il n’avait pas été ambassadeur du roi, il se mettrait de toutes ses forces à servir celui-ci. Cela ne lui est pas possible. Il ne sait quand on fera le le coup, mais il se fera. C'est un parti arrêté. Vous savez qu'on a offert au Prince de lui donner la présidence décénale & 6 millions de rente. Il a dit " C’est trop peu pour un coup d’Etat. " On reproche au Prince de prendre des petits ministres, mais on lui criait de se défaire de Dufaure. Les grosses gens refusant de se mettre à l'ouvrage. Et bien il prend des petits, et il les prend dans les rangs de la majorité. Elle ne peut pas se plaindre. On lui reproche son entourage. Où en trouver un autre ? Tout le monde s'écarte. Ni légitimistes ni orléanistes ne viendraient à lui. Il lui faut cependant des amis. Voilà le duc de Flahant. Voici vos deux lettres. Oui en vérité c’est bien triste, attendre encore ! Mais je crois que l’avis est bon, c'est à vous d’abord qu'il faut songer. Laissez passer la bourrasque, seulement j’y pousserais [si je pouvais]. Hier, comme je vous dis, cela n’avançait pas. Mais je crois les entours plus pressés de jour en jour ils meurent de faim, et Persigny est infatigable. J'ai été hier soir chez Madame de Boigne, trois hommes que je ne connais pas, & très [?] le langage, hostile, dédaigneux pour l’Elysée. J’ai rencontré le Chancelier lorsque je sortais [?] moi encore froide. Mad. de Boigne très empressée, elle [était] venu quelques jours avant [?] voir le matin, et elle ne sort jamais, mais il y avait tant de monde chez moi que nous n’avions pas pu causer. Je ne vous nomme pas mes visites Il y en a trop. Cela ferait une page de noms. Ce que je remarque c'est beaucoup d'empressement et plus d’amitié. Ainsi Mme de la Redorte hier toute fraîche débarquée, toute douce & gracieuse. A propos Flahaut croit qu'il serait très utile que M. de Broglie en causant avec Lord Lansdowne (qui arrive demain), lui parle très franchement de tout ce qu'il pense sur le compte de Lord Palmerston, & sur la conduite de Normanby ici. Il dit que cela ferait plus d’effet que quoi que ce soit. Il désire beaucoup que je fasse parvenir cela à Broglie. Comme je ne le verrai pas je ne sais comment m’y prendre, mais je suis tout-à-fait d’avis que ce serait très bon. Dites le. Je me mets en tête que le président se fera Empereur le 2 Xbre. C'est le jour où Napoléon a pris ce titre. A Paris partout dans les boutiques, dans les cafés on demande l’empire. Je ne vous dis pas ma tristesse de notre séparation. A quoi bon ? Je cherche à me persuader que cele sera plus long. Mais je suis triste du terrain que vous trouverez ici pour votre compte. Triste et indignée. Adieu. Adieu. Adieu.
Beauvale qui me tient bien en courant me dit que Nesselrode est très aimable & doux pour Lamoricière. Celui-ci n’a fait aucune communication. C’est Bloomfield qui est allé se brûler les doigts. Je crois que je verrai aujourd’hui la réponse. L’Empereur m’apprenant les exécutions en Hongrie s’est écrié publiquement. " C’est infâme." Nesselrode a dit à Lamoricière que le gouvernement russe les regrettait profondément & que le public en était indigné. Beauvale approuve le Président et regarde ceci comme une suite naturelle du langage légitimiste si hautement tenu.
Paris, Mercredi 7 novembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
C’est cela. Attendre un peu. Si cela ne se fait pas tout de suite ; vous venez. Sainte-Aulaire & le duc de Noailles ont dîné chez moi hier . Tous d'eux d’avis que vous veniez. Etonnés, que vos amis vous donnent un avis contraire ; cependant je dis ainsi attendez un peu. L’empire stationne. Il n’avance que lentement. Il faut s’assurer de bien des choses avant de le tenter. A la salle des conférences on ne s’entretient que de cela les rouges disent qu’ils reste ront armés de la Constitution et monteront sur les barricades pour la défendre. Les légitimistes préfèrent l'Em pire à la présidence décénale. Ils croient que l'Empire n'aura aucune durée. Ce que vous me dites aujourd’hui sur la situation et la conduite quoique sans conclusion est plein de raison et d'esprit. J’ai passé hier soir un moment chez Mad. de Rothschild qui part ce matin pour la Silèsie. J'y ai rencontré le gouvernement Changarnier. J'ai demandé à faire la connaissance. Je puis bien faire des avances à l'homme qui me fait dormir tranquille. Son extérieur est doux et peut être fin. Tout le monde. l'adore & l’accuse. Longue entrevue hier matin avec Kisselef 1 heure 1/2 entière confiance. Nous faisons une distinction marquée entre Paris & Londres, en pleine défiance de Londres. Très bienveillant pour ici. Content de Thiers, & le lui laissant savoir. Nous remarquons que la France s’est laissé un moment dupé par l'Angleterre, qui voyant poindre de l’intimité entre Pétersbourg & Paris a voulu la détruire en mettant en avant la flotte française. Je vous ai dit qu’elle est rappelée, mais ni Kisselef ni moi ne savons encore si c’est d'avoir avec l'Angleterre. J’espère que non. Il est très possible encore que Stratford Canning empêche à Constantinople ce que nous avons réglé à Pétersbourg nous avons explicitement dit à l'Angleterre comme ici que nous ne permettons à personne de se mêler de cette affaire. Je suis fort contente de tout ce que j’ai vu. L’Empereur est exaspéré des exécution en Hongrie. Ceci me revient par Londres. Aberdeen m'écrit que la presse anglaise revient à Palmerston, Morning Chronicle, même le Times. C'est bien dommage. Sainte-Aulaire m’a dit hier que les nouvelles d'Espagne étaient mauvaises. Narvaez succombera La petite reine joue son jeu, contre son mari, contre sa mère, contre son Ministre. Une perfidie sans exemple. Il me semble que je vous ai tout dit, les Normanby en grandes recherches pour moi. Mon quotidien est toujours Montebello. Excellent honneur et fort intelligent. J’ai vu Jaubert, qui est plein de dévouement, de respect pour vous. Et ce bon Thom à Paris pour quelques jours, qui veut que je vous dise son profond souvenir de vos bontés. Mad. de la Redorte me demande ainsi de vos nouvelles & Flavigny beau coup que j’ai rencontré chez Mad. Rothschild hier. Adieu. Adieu. Adieu.
Le duc de Noailles est pressé, pressant pour la fusion. sans elle on périt ; avec elle on est sauvé. Je vous redis. Il est fort éloquent sur ce point. M. de Saint Aignan est revenu de Clarmont porteur d'un blâme sévère du Roi de l’abstention. Il fallait voter pour la proposition. Le chagrin là est extrême. Ils voulaient tous revenir.
Val-Richer, Vendredi 9 novembre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures
Je vous ai dit hier tout de suite que mes lettres m’engageaient plutôt à revenir bientôt. Je suis charmé que Sainte-Aulaire et le duc de Noailles soit de cet avis, vers la fin de la semaine prochaine, nous serons réunis. Je ne puis fixer encore un jour précis. Je vous répète ce que je vous ai déjà dit hier, pour le plaisir de me le redire à moi-même. Ceux qui m’écrivent croient à une halle dans la station actuelle. Et ils la désirent. Personne n’a envie de fondre la cloche. Le Président est évidemment le plus décidé. C’est sa force. Voici ce qu’on me dit de Thiers, de visu (vous savez ce latin là) : " Très inquiet et très perplexe. Il prétend que, si le Président. veut tenter un coup d’Etat, l’assemblée résistera, et aura l’armée pour la défendre. Cela paraît fort douteux. Et d'ailleurs que ferait l'assemblée de sa victoire ? Au fond M. Thiers commence à avoir le sentiment de son impuissance, et il en est très humilié. Pour l'avenir, il en est toujours au même point. Il ne se dissimule aucune des difficultés de la régence ; mais il ne veut que cela. Il paraît plus décidé que jamais contre la fusion, et ce qu’on appelle la conciliation des deux branches. " On tient le refus de Rayneval pour certain et on parle de Lagrené. Je suis bien aise que vous ayez fait connaissance avec le général Changarnier. Vos nouvelles d’Espagne me déplaisent bien. Elles sont de bonne source. Tout est possible là, et la mauvaise santé de Narvaez peut lui ôter de l’entrain. Je ne sais si je vous ai dit que j’ai été frappé du ton, non pas découragé mais un peu abattu de la lettre que j’ai reçue de lui il y a quelques semaines. Si la petite Reine prend le mors aux dents, Dieu sait où elle ira. Savez-vous ce que prouve (si le fait est vrai) le retour de la presse Anglaise à Lord Palmerston ? Qu'on le sait aux prises, et seul aux prises avec vous. Je vous ai envoyé un extrait d’une lettre remarquable de Londres, où l’on me disait que l’incident Turc avait montré combien peu de fond il fallait faire sur le concours de la république française. Le public anglais, et la presse anglaise. la grande, soutiendront toujours un ministre engagé ; et engagé seul, dans une telle lutte. Ils le soutiendront sans crainte, car évidemment la guerre n’est pas au bout de cette lutte-là. Mais c'est une question d'influence, de dignité. On ne livrera pas Palmerston sur une telle question. On l’appuiera. Et au fond d'ailleurs, dés que cela devient un peu sérieux, l’Angle terre est infiniment moins russe que la France. Je dis l'Angleterre, le public anglais. M. Jaubert est donc redevenu votre voisin. Faîtes lui, je vous en prie, mes amitiés quand vous le verrez. Il n'y a pas un homme plus sincère, plus honnête, ni plus courageux. Je le pensais quand nous étions brouillés comme quand nous étions amis. Et j'ai toujours trouvé absurde que nous fussions brouillés. Il y a quelques personnes avec qui je serai charmé de n'être plus officiellement. brouillé. Madame de la Redorte par exemple. Je prenais plaisir à causer avec elle pour la contredire. J’espère qu’à présent, nous serons souvent du même avis.
Onze heures et demie
Merci, merci, Tout ce que je reçois me confirme dans mes projets. Adieu, adieu. Adieu. G.
Paris, Samedi 10 novembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
M. Dunon est venu me voir hier matin. Il est d'avis comme vos autres amis que vous retardiez votre venue ; mais après un peu de dialogue il a reconnu que dans la parfaite incertitude de l'époque d’un événement cela n’avait pas de sens. Le duc de Noailles de son côté est très pressé de votre retour et ne comprend pas pourquoi on vous conseillerait de le différer. Lui voudrait plutôt le hâter. Il désire fort vous lire son discours à l'académie. Il l'a lu à la vicomtesse que le dit charmant. Comme j’avais refusé hier de dîner à l’ambassade d'Angleterre, j'ai imaginé d’être polie, et d'y aller tout de suite après. On venait de se lever de table. Très petit dîner, j’y ai trouvé M. Molé, le général Changarnier et Lord Lansdowne. Changarnier est venu causer et a débuté en me disant que je serais contente des journaux du matin (aujourd’hui) lesquels renfermeraient une sorte de manifeste de M. Carlier très menaçant pour les rouges, et en général d'un ton très ferme, & où se trouve omis le mot république & puis liberté fraternité & & qui sont l’ornement obligé de ces sortes de pièces. J’ai accueilli cette nouvelle avec un grand plaisir, & fort applaudi à tout ce que ressemblerait à de la force, il a soupiré et semble trouver qu'on n'en fait pas comme on ne devrait faire. Un peu de tristesse dans son langage. Comme je ne connais pas l'homme je ne sais pas la valeur de cette [ ?]. Il a encore prôné ce que j'allais. lire. Molé très préoccupé très triste. Point de conversation suivie avec moi. Beaucoup d’aparté avec Changarnier, et [?] & Achille Fould qui sont entrés quelque temps après moi. On m’avait dit le matin que jamais Changarnier ne va chez Molé ni Thiers. C'est convenu. Ils se bornent à se rencontrer. Changarnier préfère cela. Achille Fould m’a abordée, il m’a parlé avec tristesse de la situation qu'il a acceptée, & puis tout de suite il a passé à me demander. de vos nouvelles quand vous reviendrez. J’ai dit que j’espérais dans 8 ou 10 jours. Et puis, que pense M. Guizot ? - M. Guizot pense qu’il faut soutenir l’autorité tant qu’elle donne des gages d’ordre & de force. - M. Guizot a un trop bon esprit pour ne pas penser cela.
Son langage m’a plu. Je ne suis resté qu’une demie heure, je voulais éviter la grande soirée. Les hôtes étaient comblés de ma présence. Il voulait encore descendre dans la rue, je me suis opposée. Le matin j’étais d'une grande impatience de lui, et à ma grande surprise, je ne trouve rien. Le manifeste n’a point paru. Pourquoi ? J’ignore peut-être le moniteur le contient- il ? Dupin est venu aussi. Il s'est borné à me saluer. Je vous répète que j’ai trouvé les visages celui de Molé surtout, triste. Lansdowne est ravi de se trouver à Paris. Le prince Paul affirme qu'on prépare une loi pour supprimer les gardes nationales d'abord dans pour arriver à leur suppression à Paris. Midi. J’ai envoyé chercher le Moniteur. Il n’y a rien. Je suis d'autant plus surprise de ce silence que lady Normanby connaissait la pièce, et la glorifiait hautement. Que s’est-il passé cette nuit qui a fait changer d’avis ? Changarnier m’a dit aussi que les rouges avaient détaché 200 émissaires qu'ils ont lancé dans les départements depuis deux jours. J’attends votre lettre. Mais je finis en attendant. Adieu. Adieu.
Le duc de Noailles vante Molé, et parle mal de Thiers, dans le sens que vous dites. Je viens de recevoir votre lettre, je n’ai pas d’autres nouvelles.