Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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238 Baden le 10 août Samedi 1 heure

Qu'il y a longtemps que nous ne nous sommes vus ! Savez-vous bien que c'est là ce qui m’empêche de me bien porter. Il me semble que si vous étiez auprès de moi je serais bien, tout à fait bien. Que de fois je m'en suis saisie de ce besoin, ce désir d’aller où vous êtes, de causer avec vous, de vous dire tout. Ce n’est qu’avec vous que je sais parler, ce n’est que vous que j'aime à entendre. Je n'ai que tristesse, et ennui là où vous n'êtes pas. Vous me manquez bien plus que moi je ne puis vous manquer. Soyez bien sûr de cela. Les Anglais disent ici que Lady Cowper sera à Wisbade demain. Elle ne m'en a pas dit un mot. Si elle venait en effet cela changerait un peu mes plaies. Je ne retournerai pas à Paris avant de l'avoir vue. Et puis ensuite l'Angleterre ne m'irait plus du tout, car sans elle il y aurait bien de l’isolement pour moi.

5 heures Voici votre lettre. Je suis bien aise de voir que nous admirons Méhémet Ali ensemble et pour la même chose, je crois vous avoir parlé de sa note aux consuls. Aujourd’hui on dit ici que les flottes anglo-françaises ont demandé l’entrée dans les Dardanelles et que le Divan la leur a refusé. Dans tous les cas l’Orient devient une très grosse affaire et qui a un aspect imposant dans son ensemble et dans ses détails. On dirait que l’Europe a disparu ; tout est aujourd’hui à Alexandrie et Constantinople. Le temps est un peu beau aujourd'hui. Nous avons eu froid tous ces jours passés. Je me promène également par le beau et par le mauvais temps, parce que je m'ennuie. Ah, que je m’ennuie. Vous ai-je dit que je lis la Révolution par Thiers ? Je suis au 6ème volume. Et bien, cela m’enchante. Ai-je le goût mauvais ? Adieu, je n'ai pas de nouvelle à vous dire ? Je me lève toujours à 6 heures. Je reste dehors jusqu'à 8. J'y retourne de 10 à 11. J'y retourne encore de 2 à 4. (dans l’intervalle j'ai déjeuné et dormi. J'ai fait ma toilette, & &) Je dîne à 4 heures. Je ressors à 5 1/2. Et je ne rentre que pour me coucher à 9 heures. Je mène toujours quelqu'un avec moi en calèche. Marie et la petite Ellice. ma nièce. Mad Welesley. Aujourd'hui Madame de la Redorte. A 9 1/2 je suis dans mon lit. Mais je ne dors pas.
Adieu. Adieu. Avez-vous bien envie aussi de me revoir ? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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239 Baden Dimanche le 11 août 1839 9 heures

Je me sens aujourd’hui plus faible que de coutume. Mes nerfs sont dans un état pitoyable. J'ai bien besoin de vous pour me remettre, j’ai besoin de votre affection, de vos soins, de vos conseils, il me faut un appui. Je vous assure que je ne me conçois pas livrée encore pour bien des mois à mes seules ressources, c'est à dire à mes bien tristes pensées. Vous ne savez pas comme elles sont tristes ! Comme elles le deviennent tous les jours davantage. Les journaux confirment ce que vous me dites des nouveaux embarras ministériels. Mais je ne crois à rien. Ils iront comme ils ont été. Les Flahaut sont menacés de perdre leur seconde fille, elle crache le sang. C’est pour elle qu’ils viennent aux Eaux en Allemagne et qu’ils iront ensuite passer l'hiver en Italie.

1 heure. J’ai été à l’église. Toujours un superbe sermon. Le texte était votre lettre. Nous reverrons ceux que nous avons aimés, mais j'aime encore mieux votre lettre que ce superbe sermon. Vous avez raison. Je viens de recevoir une seconde lettre de Benkhausen qui explique tout, comme vous le dites.
J’ai l’administration et non la possession du Capital. J’écris de suite à mon frère, pour tout remettre à sa place. J'ai du regret d'avoir mal compris, pour dire la vérité c’est Mad. de Talleyrand et Bacourt qui me l’ont fait comprendre comme cela ; car vous savez bien que moi, je ne m'y entends pas. Mais il faut absolument que ce soit moi qui lève l’argent. Les droits en Angleterre emporteront 1000 £ ce qui réduit le Capital à 44800 £. Pouvez-vous me dire si dans le plein pouvoir que j’ai donné à Paris à mon frère, il est suffisamment autorisé à faire pour moi cette opération ? Je vous envoie copie de la lettre que je lui écris. Savez-vous bien que je me sens toute soulagée par cette lettre de Benkhausen ? C’est si vrai qu’étant fort malade ce matin me voilà mieux. Je suis débarrassée de ces richesses imaginaires qui m'étaient on ne peut plus désagréables.
Je viens de lire des rapports de Vienne. Vos Ambassadeurs, le vôtre, celui d'Angleterre et l’internonce sont de parfaites dupes. Le divan est entre les mains de M. de Bouteneff et c’est par lui que le divan négocie avec Méhémet Ali. Je vous dis ce qui dit la diplomatie à Vienne. Metternich est fort inquiet de ce que nous ne parlons pas. Ne vous ai-je pas toujours dit que c’était notre affaire et que nous n’entrerions pas en causerie sur cela. Adieu. Adieu mille fois, adieu. Je reçois dans ce moment une lettre de mon fils Alexandre du 31 juillet dans laquelle il me dit qu’on venait de recevoir les nouvelles de la défection du Capitan Pacha, & de la défaite de l'armée Turque, que comme cela amènera des complications graves que peuvent influer sur mes projets pour cet hiver, il se hâte de m’en donner avis !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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243. Bade le 15 août 1839, jeudi 10 heures.

Encore une mauvaise nuit, par conséquent une mauvaise journée. J’ai commencé par des larmes, je finirai par des larmes. Ah je suis bien malade ! Je cherche, on cherche pour moi quelqu’un, quelqu’âme charitable qui me mène et me protège jusqu’à Paris. Seule, je ne puis pas penser à partir, et le médecin ne le permettrait pas. Si vous saviez comme je me sens humiliée de cette dépendance où je suis de la charité d’autrui, de cette impossibilité morale physique, de me suffire à moi même. Qu’est-ce qui fait donc que tant d’autres personnes savent supporter les malheurs, savent endurer les contrariétés, l'isolement ? Des personnes qui me sont inférieures en esprit, en caractère ? Il faut que ce que J'en ai soit de bien mauvaise, soit tout le monde vaut mieux que moi ; tout le monde se tire de tout, moi je ne sais me tirer de rien. Je suis certainement un des plus misérables être de la création. Sans volonté, sans courage, sans ressources. Ah que j'ai de mépris et de pitié pour moi.

5 heures On m’a beaucoup entourée ce matin, je n’ai pas été seule un instant. C’est qu'on me voit bien malade. Savez-vous de qui je me loue le plus ? C’est de Madame de la Redorte. Vous ne sauriez croire comme cette petite femme à bon cœur et l’esprit intelligent. Mad. de Talleyrand vient d’écrire à Melle Henriette pour l'engager. à venir me trouver de suite. Si elle accepte, elle ne pourra cependant guère arriver ici avant 15 jours, et c’est bien long, bien long ! Car je suis bien malade. Votre lettre me dit un peu ce que je dois penser de la situation des puissances à l’égard de l'Orient, mais vous devriez. me dire aussi ce qu'on pense de nous de nos projets. En vérité c'est une bien grosse affaire. Je vous remercie de vouloir m’arranger l’affaire de mes effets. Je vais écrire à mon banquier pour qu'il m’en envoie une liste exacte. Je lui ai déjà dit de tout envoyer au Havre sous mon adresse aux soins de Messieurs de Rotschild. Adieu. Adieu. Je ne vous écrirez pas le mot qui m'a blessée, je vous le dirai. Adieu quel bonheur quand je pourrai dire; tout dire !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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31 Ems le 13 juillet 1853
Voici une lettre qui devrait me rassurer, et je ne parviens pas à l’être. Je trouve notre dernière circulaire de 20 juin bien faite, mais elle engage la polémique avec l'Ang & la France. Voilà une complication. Et cependant le fond est pacifique. Je suis tourmentée, l'esprit s'épuise à examiner cette maudite question sous toutes ses faces.
Je n’ai pas été bien hier. Aujourd’hui encore un fort mouvement de bile. C’est la Turquie. Le comte [Pani] me plait tous les jours d'avantage. Un bien honnête homme, très instruit, très intéressant à écouter sur la Russie, et en pleine confiance avec moi. C’est un ami de Viel Castel ils se sont rencontrés en Espagne. Nous nous parlons de bien loin c’est vrai, c’est bien ennuyeux ; et quand il y aurait tant à se dire ! C’est pourquoi mes lettres sont bêtes. Je le sens. Je ne puis penser qu'à une seule chose, & je ne puis pas dire tout ce que j’en pense. Pour changer, que veut dire le voyage de la Reine Christine ? Je trouve que nous sommes devenus bien ignorants vous et moi. Adieu. Adieu.
La lettre dont parle M. et celle où vous me disiez votre opinion sur l'Angleterre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
245 Baden Samedi le 17 août 1839

Je ne puis que vous répéter la même chose, toujours la même chose. Mes nerfs sont dans un état abominable. On cherche, on espère trouver demain, après demain, dès que ce sera trouvé. Je pars. Je n’en puis plus. Je vais plus mal tous les jours. Ecrivez toujours à Bade jusqu’à nouvel avis. Les nouvelles de Constantinople du 1er août sont en contradiction complète avec ce que vous me mandez. Vous me dites " Nous n’interviendrons pas entre Musulmans." Et on mande de Constantinople que les 5 puissances se chargent des négociations entre le Pacha et le Sultan. Expliquez-moi cela. Tout est singulier dans cette affaire.
Je voudrais bien qu’elle m'occupât assez pour m’étourdir sur mes propres maux, mais ils sont là toujours là, et il faut que je quitte Bade si je ne veux pas mourir. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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198 Baden dimanche 16 juin 1839 8 h. du matin.

J’ai été relire votre lettre hier soir auprès du vieux château, sur cette belle montagne au milieu de ruines, de rochers et de magnifiques sapin. C’est ma promenade favorite. Il devrait y avoir tant de calme là pour moi, et cependant je n’en éprouve point. En rentrant pour me coucher, j’ai trouvé Mad. Nesselrode qui m’attendait chez moi après y être déjà venue deux fois. Elle m'a fait veiller, mais j’ai été aise de la revoir et de la retrouver bonne. Nous avons causé de tout, hors de moi, cela viendra plus tard. Elle passe ici deux mois il puis elle ira au Havre. J'en suis bien aise. Son arrivée va me faire une petite ressource ; le grand Duc a dû quitter Darmstadt hier. La jeune Princesse est très maladive, cela ne nous va pas. Aussi je crois qu'on ne décidera rien encore. Elle n’a pas quinze ans. Dans ce moment même est malade, et elle ne paraissait qu'une heure dans la journée. Le grand Duc sera à Pétersbourg dans quinze jours.

Lundi le 17 à 8 heures
Votre N°195 m’est parvenu hier. Votre retour en ville étant encore. retardé je ne doute pas que vous ne soyez resté quelques jours sans lettre. J’ai adressé selon vos ordres, mais vos mouvements ont changé depuis. Vous ne me dites pas si malgré l'absence du Duc de Broglie. C’est chez lui que vous allez descendre j’y adresse ma lettre puisque vous m'avez dit de le faire dans une de vos lettres. J'ai suspendu le lait d'ânesse J’ai recommencé les bains. J’ai été voir Mad. de Nesselrode hier matin. Et puis à l’église à 2 h. ma promenade avec Mad. de Talleyrand à 6 heures avec ma petite Ellice nièce de notre Ellice, qui veut bien rem placer Marie pendant quelques jours. à 9 heures dans mon lit et à deux heures du matin encore éveillée.
J'ai eu un vilain accès de nerfs qui m’a pris au moment de me coucher. Décidément je ne me porte pas bien. Si vous êtes ici ; il me semble que j'y serais à merveille. Mais sans vous, et sur le, cela n'ira pas. Ah rien ne va. Vos affaires me semblent être very flat. J’attends la discussion sur l'Orient, c.a.d. votre discours avec une grande impatience. Savez-vous ce que j’attends surtout ? l’époque de quitter Baden ; j'y suis trop triste, trop seule. Ah l'horreur que la solitude au milieu de l’affliction.

11 heures
Je viens de voir Mad. de Nesselrode. Pour la première fois j’ai parlé de moi. Même de mes affaires du moment. Vous en sauriez concevoir son étonnement lorsqu’elle apprit que mes fils en n’avaient fait aucune proposition. Le dire de Péterstourg était qu’ils m'avaient cédé le capital en Angleterre. En général elle me dit que bien que la loi prescrive ce qui revient à une veuve, il n’y a pas d’exemple en Russie que cette loi soit suivie. Les fils cèdent à leur mère à peu près tout ; l’opinion la gouverne beaucoup plus que la loi, et enfin elle ne peut pas croire que Paul se soustraie à cette opinion. Elle a été fort bien sur ce chapitre, et m’a laissé l’intime conviction qu’il faudra bien que mes fils se conduisent bien pour moi. Nous allons voir. Dans tous les cas mes affaires sont en bonnes mains. Le dernier procédé l’a renversée d’étonnement. Elle ne peut pas le croire enfin tout ce qu’elle me dit me promet que l’atmosphère de Pétersbourg doit agir sur l’esprit de Paul, car c’est les antipodes de toute sa conduite envers moi. Ah mon Dieu si on y savait tout, quel étonnement cela causerait ! Je n’ai parlé à Mad. de Nesselrode que d'une manière très réservée, elle ne sait pas l'essentiel. Je répugne trop à le dire. Adieu. Adieu.
Mad. de Talleyrand veut que je vous parle d'elle, Dites-moi un mot sur un compte bon à lui être montré. Elle est de nouveau un très bon train pour moi, et pour faire du bien auprès de Mad. de Nesselrode Adieu encore bien tendrement.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
251. Paris lundi 26 août 1839 midi

C’est tout ce que je peux faire que de vous écrire deux mots. Jamais je ne me suis sentie si faible. Je ne sais que faire. Je me repose, je me repose beaucoup au point de n’avoir voulu voir encore personne. Et bien, je me sens plus mal. Je ne dors pas. Mes jambes me manquent. Ma tête s'en va. J’attendrai, avec impatience votre réponse à ma lettre d'hier. Je veux faire ce que vous voulez. Voulez-vous que nous nous voyions à Rouen, il me semble que c’est près de chez vous. Je ne veux rien moi qu’être un peu tranquille et vous voir. Si vous saviez quelle pauvreté que mes nerfs. Le médecin croit que la mer les remettra. Mais que de conditions il faut pour cela ! Il faut trouver quelqu'un qui m’accompagne. Il faut que là je trouve quelque ressource. Car seul vous savez bien que pour moi c’est mourir.
Et l’Orient, quelle bagarre ! Et le ministère Anglais quelle pauvre. situation ! Il me semble que tout le monde est malade comme moi. Adieu. Adieu. N'ayez pas de rhumatisme et ayez toujours pour moi la même affection, la même. Adieu. Adieu.
Lord Beauvale m'écrit de Vienne. "Je suis retenu ici pour ces affaires turques où nous ne ferons pas grand bien. L’avantage d'être cinq est d'empêcher les grosses sottises, mais pour faire quelque chose de bon s’est une machine trop compliquée. Il y a toujours des roues qui tournent en sens contraire. Comment voulez-vous que cela marche ? "

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
252 Paris Mardi 27 août 1839

Le médecin veut absolument l’essai au moins des bains de mer, et il veut que je m’y rende le plus tôt possible. Quel jour pourriez-vous venir à Rouen ? Delà je vous mènerais dans ma voiture à Dieppe. Vous resteriez avec moi, chez moi, quelques jours. Tout cela me parait si facile ! Répondez-moi. Il se peut que je parte déjà samedi ou dimanche. Je vous dirai cela. Ne pourrait-on pas ignorer que vous allez à Rouen ? Car je n'aimerais pas les journaux. Je ne dors pas, je ne mange pas, ah j'ai bien certainement une pauvre mine, n'espérez pas le contraire.
J’ai vu hier Appony & Médem. Je sais à peu près tout. Le premier est glorieux, et il perce dans les récits la petites satisfaction de nous croire un peu humiliés, ce que je ne relève pas du tout des paroles de Médem. Nous ne demandons pas mieux que de voir la querelle entre les deux Barbares terminée, et nous agirons avec les autres pour cela, mais rien que cela. Nous ne voulons pas que sur ce point la conférence s’établisse à Vienne. Nous la voulons à Constantinople. Hier il paraissait que les quatre la feraient à Vienne sans nous. Voilà ce qui n’ira pas à moins de se brouiller avec nous. Nous verrons. L'Angleterre et l’Autriche n’offrent à Méhémet Ali que l’hérédité de l'Egypte, quelle bêtise ! L'Angleterre veut qu'il rende la fiotte de suite. S'il refuse, qu'on rappelle les Consuls d’Alexandrie. S’il persiste encore dans son refus, que les flottes alliées s'emparent de Caudie. Je ne vois pas que vous puissiez vouloir tout cela. Encore une fois nous verrons.
Le Roi est parti fort tranquille sur la situation. Vous avez fait je vous en demande pardon, une bêtise en déclarant par hâte que vous entrerez dans les Dardanelles si nous entrions dans le Bosphore. Il est évident que c’est l'Angleterre qui vous a mis en avant ne voulant pas le dire elle-même. Nous avons répondu que dans ce cas nous rappellerions notre Ambassadeur de Constantinople regardant cela comme une rupture de notre traité par le Divan. Et puis la guerre. Vous voyez bien que vous ne la voulez pas et que ces propos là étaient fort inutiles. Vous vous êtes montrés satisfaits et même reconnaissants de notre réponse si franche, et vous y avez reconnu une nouvelle garantie de paix. Tout cela est drôle. Adieu, adieu. Je meurs de fatigue, marcher dans la chambre me fatigue ; mais adieu ne me fatigue pas encore.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
253 Paris, le 28 août 1839,

Je commence par vous dire que je ne suis pas tout-à-fait aussi faible aujourd'hui que je l’étais hier, que mon pouls est un peu plus régulier. Ceci me prouve qu'il faut me reposer, et que pendant quelques jours c'est là ce que je compte faire sans me préoccuper de ce que je deviendrai après. Attendez donc de mes nouvelles, ne faites pas de plan, et nous verrons dans quelques jours s'il s’agira de Dieppe ou de Paris.
Le Pacha refuse. Il est cependant, un peu soucieux de cette démarche collective, quoiqu’il ne se figure pas que nous puissions être tout-à- fait d’accord. Et il a bien raison. Il est impossible de l’être moins ; il a dit à notre consul, " prenez Constantinople, car vous finirez cependant par le prendre. "
J'ai bien besoin que votre M. de Valcourt m’aide à trouver une maison. Ecrivez- lui, ou à Génie. Personne ici ne m'aide vraiment. C’est que personne ne s’intéresse vraiment à moi, il n’y aurait que vous au monde qui seriez capable de prendre intérêt à moi. Je vous écris de courtes et pauvres lettres. Je n'ai pas la force de faire plus. Et aujourd’hui je suis obligée, d'écrire à quelques personnes à Baden. Adieu. Adieu. Je suis bien aise que Madame Rémusat soit retournée en Languedoc. Adieu mille fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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89. Paris, le 11 juillet 1838

La journée hier a été bien chaude. Je suis à Longchamp. J’y restée jusqu’à 6 1/2 ai reçu quelque visites, les Durazzo, Henry Greville. A propos je parle de Long champ comme de ma propriété, c’est que je l’ai pris en effet pour le temps de l’absence de Lady Granville. J’y porte j’y trouve des livres. Hier mon ouvrage, j’ai les quelques lettres de Fénelon.
A 7 heures j’allai trouver un grand dîné chez Lady Granville, et à mon très grand plaisir le Duc de Broglie. Nous avons reparlé un peu de la Normandie, suffisamment pour confirmer mes droits. J’aime beaucoup M. de Broglie, indépendamment même de le Normandie. J’ai causé assez avec M. de Sturner, l’internonce d’Autriche à Constantinople. Il affirme que le Pacha d’Egypte n’aura pas déclarer son indépendance. M. de Sturner a de l’esprit assez, et cela me parait un homme sage, prudent. il y a 20 ans que je le connais, il était à Ste Hélène auprès de Bonaparte. On dit vraiment que M. Molé n’est pas du tout enchanté du triomphe du Ml Soult en Angleterre. La France ne sera plus assez grande pour lui. Il m’est revenu quelques commérages de Londres, entre autres que le P. Esterhazy est allé au nom du corps diplomatique oriental demander a Lord Palmerston raison du dîner constitutionnel donné par la Reine. Ce qu’il y a de sûr c’est que ce dîner a été très remarqué, & que les Ambassadeurs despotes sont fort mécontents. Le maréchal revient le 20. Les autres restent tous jusqu’à la fin du mois. Votre lettre de ce matin me fait supporter que celle-ci ira vous chercher à Broglie. Je vous souhaite d’y avoir moins chaud que je n’ai ici, mais j’oublie que vous aimez la chaleur. A propos votre rose me rappelle que cette même citation ma été faite par hasard en Angleterre par plusieurs personnes les premiers mois de mon arrivée dans ce pays, et que je me demandais si tous les Anglais n’avaient qu’une seule et même chose à dire. Depuis je ne l’ai plus entendue. Vous m’envoyez une vieille connaissance. Sans avoir pensé à elle hier au soir, je me disais bien lorsque le Duc de Broglie était assis prés de moi. S’il pouvait lui porter de moi quelque chose. Et puis quand il m’a demandé mes ordres pour la Normandie il m’a été impossible de vous nommer à côté d’une phrase vulgaire, et je l’ai chargé de mes souvenirs pour sa femme toute seule.
Mes yeux sont touchés par hasard ce matin sur la dernière lettre de mon mari de Stettien. " Il est urgent de reprendre nos N° afin d’exercer un certain contrôle." Puis reviennent les vues sordides & & vraiment c’est trop drôle car il ne m’a plus écrit depuis du tout Je me sais toujours mauvais gré quand je pense à mon mari. Je trouve qu’il y a rien de plus bête, ni de temps plus mal employé.
Adieu, combien de fois vous dirai je ce mot, jusqu’au jour où je ferai mieux que le dire ? Adieu Adieu. Prenez soin de vous. J’ai peur de vos promenades à cheval à Broglie, vous n’en avez pas l’habitude songez toujours a ma poltronnerie.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
256 Paris, Samedi le 1er août 1839

Mardi donc, et ici. Que je suis réjouie de vous voir ! Le savez-vous bien ? J'ai causé longuement avec M. Molé hier. Il trouve tout ce qui se passe pitoyable, et ne conçoit rien à la politique qu'on suit à l’égard de l’Orient, se traîner à la remorque de l'Angleterre ! Il a vu le Roi il y a 15 jours qui lui a fait de grands éloges de ses ministres, des capacités du Maréchal pour les Affaires Etrangères. M. Molé l’a félicité de sa satisfaction et il a trouvé drôle que ce soit à lui que le roi dise tout cela car il les a fait entendre même, qu’il n’avait jamais vu des Ministres qui lui convinssent autant. Chacun d'eux est jaloux de lui plaire, et de de lui faire tous les petits plaisirs possibles ! Appony. Brignoles, Médem, Bulwer. Voilà ce que je vois.
Avez-vous du mal à me dire du N° 61 rue de Lille occupé longtemps par Mme de St Priest ? C’est juste derrière le grand palais du quai d'Orsay. Je trouve cette maison complète. Tout juste ce qui me faut. Je cherche ses défauts parce que je ne veux rien conclure légèrement. On me dit qu'anciennement Madame de Boigne habitait ce rez de chaussée. Il est très convenable, vous viendrez me décider.
Le temps est triste aujourd’hui et je ne suis pas encore à mardi, ce qui fait que je ne suis pas gaie. Mad. de Mentzingen me quitte demain j'en suis très fâchée. Je n’ai rencontré personne que puisse me convenir aussi bien qu’elle. Adieu. Adieu. Vous voulez que je vous écrive encore demain. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
259 Paris Jeudi 12 Septembre 1839 9 heure

J’ai trouvé votre lettre à mon réveil. Je vous remercie. Vous ne me dites pas si vous avez vu encore M. Duchâtel, si vous avez appris quelque chose des rapports de M. de Barante. Je n’ai vu personne hier matin que Mad. de Castellane qui est venu gazouiller chez moi, et M. de Pogenpohl avec lequel je suis convenue de ne rien dire jusqu'au retour de M. Démion. J’ai fait seule, toujours seule, ma promenade au bois. Après, le dîner j'ai été faire visite à Mad. Appony et puis Pozzo. Je n’ai pas appris un mot de nouvelle ni chez l'un ni chez l’autre. Pozzo est dans l’enfance tout-à-fait.
J’ai très mal dormi. Je viens de recevoir une lettre de Buckhausen dans laquelle il me dit que mon frère ayant mes pleins pouvoirs peut obtenir les letters of administration. Je laisserai cela se débrouiller comme cela pourra. J’ai été interrompue par la visite de votre petit homme. J'en suis très contente. Il m’a redit tout ce que vous l’aviez chargé de me dire, et de plus beaucoup de choses qui m’ont intéressée. Nous nous reverrons Samedi. C'est une créature fort intelligente à ce qu’il me parait, et puis, ou avant tout, il a l’air de vous être si attaché !

Midi. Je viens de voir Rothschild un moment sur l’article de la maison il attend Démion comme moi. Il ne sera ici que demain soir. Sur la politique il blâme extrêmement la France dans l’affaire de l’Orient. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Adieu. Oui. Vous êtes nécessaire de deux côtés, c'est là votre grande supériorité sur moi, sans compter toutes les autres. Et moi ; moi, pauvre moi. Est-il bien vrai que je vous suis nécessaire ? Et n’est- il pas bien vrai que je suis de trop à tout le reste ? Ah, que je suis triste. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
265 Paris le 18 septembre 1839, 10 heures

Vraiment ma vie est si triste, que mes nerfs ne pourront jamais se remettre. Et comme ce qui ne se remet pas s'empire, il en résulte à présent que j'ai peut être deux heures passables dans la journée sur les autres 22 où je souffre. Je n’ai encore pas dormi cette nuit je ne voulais pas vous écrire, mais vous voulez que je continue, c.a.d. que je mente, car je ne vous dirai pas tout ce que je pense, je pense trop de choses, et je suis trop malade.
Je suis étonnée de vous voir si arrière en fait de nouvelles. Bourges a été choisi dès samedi soir pour le lieu de la résidence de Don Carlos. Je le savais dimanche matin, mais je ne valais rien dimanche, ni lundi, ni depuis. La Diplomatie apostolique est fort déconcertée de ce dénouement des affaires espagnoles. La révolution triomphe partout. Cela ne peut pas plaire aux orthodoxes. Bulwer a eu un long entretien avec le roi dans lequel il me parait qu’ils ne se sont guère entendus sur les affaires de l'Orient. Elles ne vont pas, tout est en suspens, et il dépend toujours de Méhemet Ali d'embraser l’Europe. M. de Metternich doit être arrivé hier au Johannisberg. Tous les courriers lui sont adressés à lui et il désignera de là M. de Fiquelmont qui reste chargé à Vienne de remplir ses ordres.
Il fait le plus triste temps du monde. De la pluie, du vent beaucoup. Être seule vis à vis de cela, ah quelle vie ! Votre dernier paragraphe ce matin est bien tendre, il m’a fait du bien. Cela vaut mieux que les remèdes de Chermside. Voyez si votre petite lectrice voudrait de moi, je l'enverrais prendre dans ma voiture. Dites moi aussi ce qu'on donne, ce serait pour une heure dans l'avant soirée. Adieu, les crampes reviennent. J’ai peur de vous écrire. God bless you.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
266 Paris jeudi le 19 septembre 1839

Non, je n'ai rien de mon frère, et je n’aurai probablement rien de longtemps, car il est parti pour son château avec une troupe d’élégantes dames de la cour. Il y passera trois semaines si'ce n’est plus, et je le connais assez pour savoir que là il ne me donnera pas cinq minutes de souvenir. C’est par Appony que je connais ses mouvements. En attendant il pourra bien se faire que mes file arrivent et que ce ne soit que par Alexandre que j’apprenne l’arrangement de mes affaires. C’est de drôles de manières et deux singulières familles ! Dans la mienne j’ai perdu ce qu'il y avait de mieux ce qui eût été bien rare partout, mon pauvre frère Constantin. Dans la famille Lieven. Mes deux anges.
Je vois les Appony assez souvent et Bulwer presque tous les jours. Mais je serais embarrassée de vous nommer autre chose. Midi. Génie est venu me voir il a eu la bonté de chercher et de trouver une jeune fille de famille bourgeoise, honnête qui viendrait me faire lecture pendant une ou deux heures de la soirée. Dites-moi ce qu'il faut que je donne ? Il parait qu'on aimerait un arrange ment par mois. Ce qui est sûr c’est que je ne m’en servirais pas plus de 10 fois peut-être par mois. Pensez-vous que 60 francs soient assez. Ou faut-il davantage ? Quand je ne suis pas malade je vais faire visite le soir aux Brignoles, Appony, Pozzo. Répondez-moi sur l'article des arrangements. Trouvez-vous le grand cordon de la légion d’honneur bien placé ? Moi cela m’a étonnée, et je me défie un peu de l'à propos des choses qui m'étonnent. C'est de la présomption peut-être. Je vous envoie une pauvre lettre. Je n’ai point de nouvelles à vous dire. Je trouve que les journaux ne sont pas tranquillisants sur les affaires de l’Orient.
Adieu. Adieu. Ne soyez pas enrhumé.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
267 Paris, Vendredi le 20 septembre 1839
9 heures

J’ai vu Bulwer et madame Appony hier matin, et Pozzo le soir. Il était infiniment mieux que je ne l'avais vu depuis mon retour. Bulwer travaille à mes histoire de M. Carming. Il me demande quelques matériaux ; je n'ai rien, ou plutôt j'ai beaucoup, beaucoup dans ma mémoire et un peu dans un cahier, mais je ne les lui livrerai pas. Il n'avait point de nouvelle.
La cour va le 25 à Fontainebleau. Il y aura des invitations. Le Roi des Pays-Bas épouse de la main gauche une chanoinesse Melle d'Outremont. Ces rois sont drôles. Je connais cette dame elle ressemble un peu à la Duchesse de Poix. Elle a un peu plus de cinquante ans.
1 heure. Appony sort de chez moi, mais il ne m'apprends rien de nouveau. On dit que nous nous rapprochons de l'Angleterre et que l'Angleterre propose de retirer le gros de sa flotte, & de en laisser qu’un ou deux vaisseaux aux Dardanelles. Peu ou beaucoup me parait la même chose Adieu, adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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71 Bruxelles le 30 mai 1854

Melle Cerini m’est arrivée hier saine et sauve. Et aujourd’hui j’ai eu votre premier mot du Val Richer. Nous ne sommes guère avancés ici, ici pour la guerre ni pour la paix. Tout ce que vous & d’autres me disent me fait regarder celle-ci comme désespérée. Quand je pense à notre joie le 5 avril, jour de votre départ ! 24 heures d’illusion ! Que vais-je donc devenir si cela dure ? Pas un Russe ne peut rentrer en France pas plus qu’un Français en Russie.
En attendant je me tracasse de ne pas entendre parler de mon bail. Grande bêtise, je ne reverrai peut-être Paris jamais, mais je veux garder mon nid. Vos troupes vont donc garnir Athènes. Rome, Athènes, Constantinople ! Certainement votre Empereur fait très bien ses affaires et nous ne l'y avons pas mal aidé.
Mes habitués commencent à se chagriner de mon prochain départ. Je vais faire vide ici comme à Paris. à quoi cela est-il bon, je n’y ai pas le plus petit plaisir de vanité. Je n’ai plaisir à rien. La guerre m’a complètement démoralisée.
Pas de Montebello, ni de ses nouvelles. Vous verrez qu'il arrivera lorsque je serai partie. Tout va de travers. Je n’ai point de lettre. Constantin me néglige fort. Nous nous querellons un peu. Il est vraiment un peu ... bête. Adieu. Adieu. Hélène parle souvent de vous. Olga est devenue ma grande favorite. Elle m’accompagne à la Cambre & me divertit fort. Très exaltée & spirituelle, et si jolie. Vous savez comme j’ai le culte de la beauté. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
268 Paris Samedi le 21 septembre 1839,

Je sors tous les soirs malgré la pluie que voulez-vous que je devienne ? Je tue le temps faute de pouvoir l’employer. La femme la plus sotte ne mène une existence plus bête que la mienne. Les journées deviennent bien courtes. La causerie serait si bonne, si douce quand le jour disparaît. Et vous êtes au Val-Richer et moi seule, seule, seule ici. J'ai vu Armin hier au soir chez lui. C'est un ami de désespoir qui m’a pris. Je l’ai trouvé seul bien établi et bien étonné de ma visite. L'étonnement l’a rendu bavard.
L’affaire d’Orient n’offre plus de danger. L'Angleterre s’entend avec nous. Il n’y a que la France qui soit en bravades, sans doute pour les députés. Aussi n’y fait-on pas grande attention voilà à ce qu'il me semble la situation du moment.
M. de Jennisson ne se presse pas de me faire place. Il a cependant remis son bail à Démion. Moi je suis pressée de sortir d'ici d’autant plus qu'on m'en chasse. Il y a des gens qui me disent qu'il faut me hâter. de signer et de conclure avec M. Démion sans cela, s'il trouve 60 francs au dessus de 12 mille je perds l’appartement. Je vais faire cela aujourd’hui.
Je n’ai rien de mon fils, rien de mon frère. Soyez sûr qu'on ne prendra. pas la peine de m'informer de mes affaires. Génie dit que le Val-Richer est bien humide ; cela va mal à votre rhume. Et comment rester tard dans l’année dans un lieu humide ? Songez à cela, si non pour vous, pour vos enfants, votre mère. Adieu. Adieu, continuez-vous à recevoir des lettres de M. Duchâtel ? Vous ne me dites pas une pauvre nouvelle. Il me semble que vous vivez à Kostromé. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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450. Paris, lundi 12 octobre 1840
9 heures

C’est à présent que j’ai de la joie à voir s’écouler les jours ! Regardez dans votre cœur et voyez tout ce qui se passe dans le mien. C’est cela ; tout cela, et peut être plus que cela. La journée hier a été très à là paix. Toutes les nouvelles, tous les symptômes étaient à cela. M. de Werther, Granville surtout et même les petites gens, Flahaut & &. J’ai fait ma promenade vers Boulogne. J’ai été rendre visite à Mad. Rothschild qui est dans une angoisse inexprimable sur les affaires. Son mari était à Ferrières. J’ai dîné avec mon fils. Le soir j’ai été un moment chez les Granville, un autre moment chez Mad. de Flahaut et à 10h 1/2 dans mon lit.
Je suis de plus en plus mécontente de S.. Il voudrait tout arranger pour la plus grande commodité de M. Il ne s’embarrasse guère dans cet intérêt d’aplatir le bouleau. Tous les propos de F. sont dans ce sens, et si forts qu’on m’a dit que la violette hier était sur le point de se fâcher. D’un autre côté 62 fait tout au monde pour retarder l’arrivée du peuplier.

11 heures
Voici votre lettre. Je suis bien contente de vous voir bien augurer du résultat de la note. Que Dieu vous accorde le bonheur de voir tout ceci s’arranger pacifiquement. Je suis charmée de tout ce que vous me dites sur votre propre compte.
Moi, je n’ai qu’un avis, un avis grave à donner c’est celui-ci. Si vous n’êtes pas à Paris dès le 28, vous ne pouvez être ce jour-là qu’à Londres. J’avais écrit deux longues pages de développement sur cela, j’aime mieux abréger, ceci vous suffit. J’ai vu le petit ce matin, et puis je viens de me rafraîchir sur la place.
Que de choses à dire, à demander, à commenter. Que les heures de bavardage seront charmantes. Elles se présentent tellement comme cela à mon imagination que je me ravis déjà aujourd’hui que vous dire sur ce pauvre papier. Mais dites-moi bien que vous croyez à la paix, qu’elle est sûre.
Depuis hier je commence à y croire, sans oser presque me l’avouer Mardi demain, c’est affreux ; j’ai si besoin de savoir tous les jours un mot consolant.
Je n’ai pas de nouvelles, je ne sais rien, on attend des dépêches télégraphiques sur l’Orient. Elles tardent bien. Le ton des journaux ministériels est bien doux presque timide. Le journal des Débats fait des articles très habiles, c’est qu’il est libre. An fond c’est la condition de pouvoir, de ne pas l’être.
Selon moi il n’y a de Val Richer possible qu’avant le jour de la convocation, pendant ce jour-là impossible. Voilà une et deux interruptions. Pardonnez, pardonnez. Adieu. Adieu. Ecrivez moi. aimez moi (quelle bêtise !) et arrivez. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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30 Ems dimanche le 10 juillet 1853

J'ai eu vraiment un grand plaisir à apprendre le succès de votre fils. Je vous prie de lui en faire mon compliment très sincères. Je comprends la joie que cela vous aura donnée.
Voici la dernière proposition comme à Paris je crois, comme par nous et appuyé par l'Autriche à Constantinople. La Turquie nous enverrait un ambassadeur muni de la certaine note signée. Il nous la remettrait & recevrait en échange l’assurance écrite que nous ne ferons usage de notre protectorat du culte orthodoxe que dans un but religieux, & jamais politique On me demande le secret sur ce projet. Je vous prie donc de le garder. Il doit réussir à moins que Stratford rascal ne s’y oppose.
Je suis charmée de la remise du débat au Parlement. Tout cela à l’air pacifique. à juger par tout ce qui me revient votre gouvernement a une conduite très sage. Aberdeen. est plus gêné que lui, mais au total j’espère aussi que là on ira bien.
La chaleur a été étouffante ici. Aujourd’hui c’est mieux. Ma nièce est partie hier, elle me précède à Schlangenbad, J'y vais samedi le 16. C’est donc là toujours duché de Nassau que vous m’adresserez vos lettres. Je commence à avoir un peu de société ici. D'abord les deux princes de Prusse, le futur roi, & le Prince George, les [Panin], Platen, les de l'Aigle elle est insupportable, une princesse Carolath assez animée. On vient chez moi le soir, à 9 1/2 je chasse tout le monde. Avant 10 heures je suis dans mon lit. A 7 1/2 debout et à la promenade. Je dîne à 3 1/2. Vous avez ma journée avec le bain & les courses en voiture de plus. Adieu. Adieu.

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18 Ems Samedi le 18 juin 1853

Je suis arrivée très fatiguée, et je ne me repose pas encore. Demain je commence les bains. Il n'y a à Ems personne, jolie perspective. Mon fils meurt d'ennui. Il y a de quoi, il me quittera demain probablement et je ne pourrai pas lui en vouloir.
Nous nous nourissons des journaux. Je ne sais que penser de la grande affaire. Où va-t-elle nous mener tous, l'Europe entière. Il est parfaitement clair que c'est au fond rien ou peu de chose & que Lord Redcliffe seul lui a donné le caractère & les proportions que nous voyons. Je suis comme vous, je ne crois pas à la guerre. & cependant je ne comprends pas comment on pourra se tirer de là sans y recourir. Marion est très shy avec Paul. C'est étonnant comme il lui impose, et il est cependant charmant, & gai & amical. Pas de nouvelles de Constantin.
La Reine Amélie ne viendra pas à Bruxelles pour le mariage du duc de Brabant Elle n'y vient pas non plus pour la confirmation de la princesse Charlotte. Je tiens tout ceci du roi, qui met le plus grand soin à éviter tout ce que pourrait donner ombrage ou déplaire, & qui regrette seulement qu'on se livre à son égard et à l’égard des autres aussi à des soupçons parfaitement injustes, car bien certainement il y a bienveillance pour le gouvernement de France actuel, à Bruxelles à Vienne, à Berlin, à Pétersbourg. Partout la méfiance est très mal placée. Et peut entraver le bien. Adieu. Adieu, envoyez moi des nouvelles et des commentaires.
(Greville me mande que Walewski montre la plus grande joie. Quoiqu’il arrive la bonne entente est rétablie entre la France & l'Angleterre. Les partis orléanistes et légitimistes se montrent très contrariés de cela. L'Emp. de Russie qui ne voyait pas ce rapprochement possible aura été très contrarié en l’apprenant. En [Angleterre]. personne ne croit à la guerre. Mais on trouve la situation de l'Emp. difficile & on cherchera à l’en faire sortir sans trop déroger. Adieu.)

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32 Ems le 14 juillet 1853

J’ai l’esprit troublé de notre circulaire, et je vois mille fois plus de raisons de m’alarmer que de me rassurer. Je commence à croire que l’Empereur veut la guerre. Tout est si mûr pour cela. Nos préparatifs sont immenses, & l’esprit public est bien excité chez nous & dans tous les pays grecs. Comment contenir cela ?
Je n’ai pas de quoi me distraire ici de ces pensées là. Le peu de société que je vois c’est très insignifiant. Les Princes de Prusse me soignent. Je m'occupe un peu de celui qui sera roi un jour. C’est une aimable nature, & qui pourra être quelque chose s'il est bien entouré.
2 h. Je reçois dans ce moment une lettre de Greville du 12. Meilleure. Un projet d’accomodement concerté avec la France venait d’être envoyé à Pétersbourg. si l’[Empereur]. ne veut pas la guerre il faut qu'il accueille cela. C'est la même chose que me signale Constantin. Nous verrons sous peu de jour. Il pleut bien fort ici, c'est ennuyeux. Adieu. Adieu.

Le 15. Hier n'était pas le jour, ce n’est qu’aujourd’hui que je vous envoie ceci. Je copie. " Nesselrode dit quelque mots à Budberg en réponse à la critique faite par M. Guizot de notre première circulaire sur l’affaire turque, la manière dont le comte y répond nous a prouvé à Budberg & à moi, que la critique avait porté très juste. Le Comte nous est très reconnaissant à tous deux de cette communication. " C’est Constantin qui m'écrit cela. Ses nouvelles du reste sont très bonnes. Radcliffe s'est joint à ses collègues de France, Autriche & Prusse pour faire adopter par la Turquie la proposition Bourqueney. Je pars demain pas très édifié des bains d’Ems, au fait rien. Nous verrons ce que fera Schlangenbad. Adieu encore. Je n'ai rien de vous depuis le 9.

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74. Paris le 15 octobre 1853

Je n’ai vu hier que Molé, Dumon, Vitet, Montebello, tout cela veut apprendre & je n'ai rien à dire, car depuis deux jours on ne sait rien. Molé n'était en ville que pour une heure et pour ses yeux pas même pour Kalerdgi. Je crois qu’on essaie une nouvelle note, qui, quoi je ne sais pas. On voudrait je crois un congrès, mais nous n’en voudrons pas. C’est surtout à Londres et à Paris qu’on y pense.
Hélène Kotchoubey vous écrit. Si vous regardez mes lettres, vous n’y trouverez pas que je vous ai donné le conseil de lui écrire comme vous me le dites. Je ne vous aurais pas infligé cet ennui. En tous cas elle vous est bien reconnaissante de vous être occupé d'elle. Comment adresse-t-on à Broglie ? On dit ici depuis quelque jours que le comte de Chambord & le duc de Nemours se sont vus. Est-ce vrai ? Le temps est beau ici aussi. Je doute que cela dure. Adieu. Adieu.
Je ne sais pas un mot.

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62. Paris le 21 septembre 1853

J'ai revu hier mes fils, et je n’ai vu que cela parce que j’avais fermé ma porte. Le beau temps me mange ma matinée. Je reste 3 heures au moins dans le parc de St Cloud qui est superbe. Le soir j'ai vu Molé qui venait apprendre & ne m'a rien appris, il vient de Maintenon et s’en retourne au Marais.
On est très agité ici et à Londres. Nos observations sur les modifications que demande la porte ramènent les choses au point où elles étaient il y a 6 mois en commençant. Il n’y a pas moyen de s’entendre, & il est clair qu’à présent nous ne reculerons pas.
K. n’est pas épouffé du tout quoiqu'il entende, beaucoup de mauvais propos. Si on entre dans les Dardanelles, & bien le traité n’existe plus, et au fond, il n’a jamais été de notre goût. Ainsi cela nous est égal. Je trouve le discours de l'Empereur hier à la troupe très bien. Je suis fort de votre avis sur les proclamations du Prince Gortchakoff.
On dit que la G. D. Marie a pris un tel goût pour l'Angleterre qu’elle veut y rester. Je ne puis pas croire cela. Adieu, car je ne verrai personne avant l'heure de ma promenade, et il faut donner ma lettre avant de sortir. Adieu.

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63 Paris le 23 septembre 1853

Le fils de M. de Meyendorff m’a apporté de lui une longue lettre, pas gaie. 2 pages d'invectives contre Lord Radcliffe. Double langage, double jeu. J’ai envoyé copie de cela à Lord Aberdeen. Ce n’est que le 10 octobre qu'on attend à Vienne les résolutions de la porte à la suite de notre refus.
J’ai vu Fould ; mécontent d'Aberdeen. Ne comptant que Palmerston & Malmberg comme aussi de l’Emp. Napoléon disant que l’opinion toute entière de l'Angleterre demande la retraite d'Aberdeen. Il a l’air d'y croire. Il est toujours question d'un mouillage en dehors des Dardanelles. Le discours à Satory avait subi quelque avarice en le prononçant, défaut de mémoire ou je ne sais quoi. Le Moniteur a suppléé. On est bien mécontent ici de nos observations sur les modifications de la porte, et on le dit aux gros et aux petits. Cette pièce était juste à la dépêche à Meyendorff. Celle-ci est bien pauvrement donnée dans les journaux. Je vous répète qu’elle est très bien faite, très bien écrite. K. a eu bien tort de ne pas donner le texte.
J’ai vu le duc de Noailles avant hier soir, & hier Barante. Sébach est revenu de Torquay. La G. D. Marie folle de l'Angleterre et ne voulant pas en bouger. Torquay plus beau que Naples mécontente de la cour mais se moquant de cela. Brunnow bien noir et croyant à la guerre, à la grande. Voilà mes nouvelles. Passons aux petites affaires. Hélène est bien touchée de vous voir vous occuper d’elle. Elle prendra à genoux le [...]

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64 Paris dimanche 25 septembre 1853

Barante reste 15 rue du Cirque, sa fille n’est pas accouchée encore. Il compte aller vous voir entre le 6 et le 12 octobre, si... sa fille est accouchée. Drouin de Lhuys parle très mal de la Russie à tout le monde. On reste très inquiet au F.O. Français comme à celui de Londres. L’Ambassadeur turc a eu hier des nouvelles de Constantinople du 15. Il n’y était pas question de la réunion des [?] dont a parlé le journal des Débats. Décidément il n'y a plus d'action commune à Vienne. L'Angleterre n’a pas voulu faire comme d’Autriche. Il est impossible de dire ce qui arrivera mais tout peut arriver. Je crois à l’entrée des flottes pour protéger le Sultan contre ses propres sujets.
11 heures Dans ce moment la Turquie qui annonce que sur la demande du Sultan deux vaisseaux de guerre. Anglais & deux français sont entrés et vont à Constantinople pour protéger leurs nationaux. On me dit que la reine Christine va retourner sous peu à Madrid. Voilà tout pour aujourd'hui. Le mauvais temps me désole. J’avais pris des habitudes d'été & je passais mes matinées dans le bois de St Cloud dont on m’a permis l’entrée. Adieu.

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65 Paris le 27 septembre 1853

Voilà bien du bruit ici. De tous côtés on vient m'effrayer. Me rassurer, personne. M. Fould est enchanté de l’entrée des vaisseaux. " C’est plus net. La capitulation sera plus facile. (Joliment !) ou la guerre. plus tranchée, car ce sera. La guerre révolutionnaire. L’Autriche y perdra de suite l’Italie & la Hongrie. L’Allemagne ne demande pas mieux que d'appartenir à l'Emp. Napoléon. Il tient en mains les révolutionnaires de tous les pays, il peut les contenir où les cacher. Chez lui il n’a pas peur, ils sont soumis. Il peut donc bouleverser le monde sans courir lui-même le moindre danger." Lord Cowley est au plus noir ; il ne voit plus un moyen quelconque pour éviter la guerre générale, et des malheurs af freux. Cependant son instinct se révolte et il doute, en dépit de tous les raisonnements qui tous concluent à la guerre. Hübner est dans un état violent. Bual n’est pas à [Olmetz]. Cela l'offense avec quelque raison. C'est mon [Empereur] qui n’aurait pas voulu. Kisseleff conserve sa tranquillité apparente. Hatzfeld est à la campagne. Lord Lansdowne écoute, Brougham bavarde et rit, il n'a jamais été aussi en train et aussi agréable. Le premier revient de Suisse et retourne en Angleterre. Il attendra ici l’Empereur à moins d'une convocation du Cabinet. Son dire est comme celui de tout le monde avec les formes réservées & polies que vous lui connaissez. Mais la guerre est au bout. On dit ici aux aff. étrangères que le traité des détroits a toujours été respecté jusqu'au moment où la vie des Nationaux est menacée (Je me trompe c’est Cowley qui me dit cela mais qu'il n’y a pas de traité qui tienne devant le devoir de la sauver.) Drouin de Lhuys dit aux petits diplomates que c’est dans l’intérêt de la paix encore qu'on fait cela et pour donner au Sultan la force de négocier à Paris et à Londres on croit qu'avec la parité de situation, occupation pour occupation. Il sera plus aisé de les faire cesser simultanément. C'est un grand gâchis que tout cela. Et jamais on n’a été aussi près de la catastrophe.
Aberdeen est très ferme dit Cowley dans le parti qui vient d’être pris. Lansdowne ne croit pas du tout à la retraite. Midi. Dans ce moment, une lettre de Greville très longue, je vous en enverrai copie demain, très desponding, ne voyant pas jour à sortir de la difficulté et à éviter la guerre. Il désire bien connaître votre opinion, et si vous voyez une solution possible. Pensez-y. Il me demande déjà où j' irais. C’est jolie d’avoir à songer à cela. Adieu. Adieu.

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66. Paris jeudi 29 septembre 1853

Marion est malade, & moi trop fatiguée pour copier Greville. Voici le résumé grande agitation, impuissance de découvrir un nouveau moyen de négociation. Nous avons tout gâté par notre seconde dépêche explicative qui veut dire que nous entendons la note de Vienne dans le sens de l’Ultimatum Menchikoff. Il ne fallait pas dire, il fallait ne rien dire. Mais enfin c’est fait & on ne sait plus à quel Saint se vouer. Il paraît donc qu'il ne reste que la guerre. cependant la saison fait obstacle aux coups. Mais encore une fois comment renouer ? Voulez-vous bien le dire. Vous vous ferez difficilement une idée de la consternation de Hubner, Hatzfeld & &. Ils nous envoient à tous les D. C’est naturel. Mais nous n'y allons pas. Constantin me mande du 24 que l’Empereur est de très bonne humeur. J’ai vu hier chez moi le soir Molé, Berryer, Brougham, & Fould. Celui-ci très gai. Je n’ai pas pu causer avec lui. Il a dit à Marion que cela s’arrangerait comment ?
L’Empereur revient aujourd’hui. Lansdowne qu'on avait convoqué pour un Cabinet conseil reste pour faire sa cour. Le voyage n’a pas été favorisé par le temps. La reine Amélie renonce à tout. La tempête l’a rejetée à Plymouth, elle est revenue à Clarmont malade. On dit que la Pcesse de Joinville l’est très sérieusement depuis longtemps & qu’elle mourra si elle ne retrouve par le soleil. Le duc de Noailles est venu aussi hier. Il a longuement. vu Fould l’autre jour que lui avait tenu le même langage qu'à moi. Belliqueux & révo lutionnaire par nécessité, parce qu’il ne voyait pas d’autre ressource. Olmentz a dû finir avant hier. Bual y a été mandé. Voilà Hubner plus tranquille au moins sur ce point. Adieu. Adieu.

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67. Paris Samedi le 1er octobre 1853

Quel malheur que vous ne soyez pas pour un moment à Londres, ou pour deux mois à Paris. Aberdeen me paraît faire fausse route tout-à-fait. Il court à la guerre & tout de suite. Je m'étonne que vous n'ayez pas lu notre seconde dépêche même date que la première 7 sept. Intitulée examen des modifications turques, et qui donnait notre interprétation de la note de Vienne. On a trouvé à Londres & ici que cet examen ramenait la question à la proposition Menchikoff, et dès lors on a pris fin. Tout le monde même impartial ici on a porté le même jugement. C'était dans tous les journaux. C’est sur cela qu’est venu la recrudescence & l'impossibilité de s’entendre.
Le Cabinet Anglais est convoqué pour après demain le 3. On fait revenir la reine le 5. Ce sera pour la déclaration de guerre ou la convocation du Parlement. Les meetings vous se succéder. Tout le monde est à la guerre en Angleterre. Le mot d’ordre est que la Russie a voulu duper les Anglais. Lord Lansdowne tient le même langage. Il a vu hier l’Empereur, & part demain. Il était ici hier soir, monté contre nous, tout le monde est fou. Le ministère anglais est très uni, il n’est pas question de changement. Constantin m'écrit d'Olmentz grande intimité. Les trois cours dans la plus grande entente. Mon [Empereur] très poli pour les off. français. Il les a invités à Varsovie.
C’est dans le journal des Débats du 24 sept. que vous trouverez la pièce diplomatique qui fait aujourd’hui l'objet de la querelle. Benoist Fould est devenu subitement fou. On dit qu’Achille Fould va quitter le ministère pour prendre la direction de la maison. C'est à la bourse que se débite cette dernière nouvelle. La première (la folie) est positive. On parle d'envoyer 30 m. hommes occuper Constantinople comme on occupe Rome. Croyez- vous cela ? On ajoute que dans ce cas l'Angleterre irait occuper Alexandrie et le faire ! Strange times. Adieu. Adieu.
J’avais hier soir Molé, Lansdowne, Montebello, Kisseleff, d'autres diplomates. Mon salon se reforme. Il faudra quitter tout cela s'il y a guerre. Adieu.

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69 Paris le 5 octobre 1853

Nous voici au plus mal. Le Divan a décidé la guerre. la proclamation Le 26 7bre sa paraître, et les flottes seront entrées. Greville qui me mande cela ajoute que cela met à néant toutes les négociations.
La note autrichienne d'Olmentz était très acceptable. On en jugeait ainsi ici. Mais on se croyait sûr que l'Angleterre n'en voudrait pas, dès lors on ne se prononçait pas. Car le parti est pris de faire & dire comme l'Angleterre. Vous voyez les meetings et le ton. C’est devenu général. J’ai vu Morny, très bien toujours et parlant très bien de la dispo sition toujours pacifique de son Empereur. Je n’y crois plus beaucoup, il est dominé par l'Angleterre et ne fera que cette volonté !
Fould qui est venu hier est noir. Il se plaint de toute nos mauvais procédés, et [?] trouver qu’il n’y a plus de quoi nous ménager. Ainsi l'Emp. Nicolas a invité les officiers Français à venir à Varsovie. Je pense que c’est une politesse, on y a répondu par la défense de s’y rendre. Ceci me paraît un bien mauvais symptôme. Les ministres anglais vont délibérer toute la semaine, Lansdowne est parti d'ici détestable. J’imagine que Lord Aberdeen tombera, qu'on rassemblera le Parlement et qu'on nous déclarera la guerre. Tout cela peut être fait d'ici à 3 semaines au plus tard.
Si les Turcs nous attaquent et nous battent vous concevez que nous sommes obligés de prendre une revanche éclatante. Si nous les battons nous en serons plus exigeants. Ainsi là cela doit aller mal. Le conflit est possible malgré la saison & le désavantageux pour les attaquants. Mais on ne peut plus retenir les troupes asiatiques. Elles servent gratuitement, pas un soldat ne veut être payé, et le gouvernement turc ne paye plus un seul employé civil. Tout est consacré à la guerre sainte. Ils sont plus forts numériquement que nous. J’ai la tête abîmée de tout ce que j’entends, et de tout ce que je prévois.
Je suis toujours bien aise que vous ayez écrit à Aberdeen. Mais je crois le mal sans remède. L'Angleterre veut la guerre elle a fait son calcul, & elle y trouvera son profit en définitive. Je n'y vois pas le vôtre. Car la révolution vous dévorera comme elle va dévorer les voisins. Quelle fête pour tous les artisans de troubles, & que les sages de la terre sont fous ! Que d’injustices, que de fautes ! Et moi donc que vais je devenir ? Adieu. Adieu.
P.S. Le grand conseil ayant décidé la guerre abandonne aux ministres Turcs le moment & le mode de la proclamer. Ceci pourrait donner quelque répit. On tiendra un grand Cabinet conseil à Londres après demain vendredi et la reine revient le 18 seulement.

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70. Paris Vendredi 7 octobre 1853

Je regrette que vous ne disiez rien à Lord Aberdeen, mais vos raisons sont bonnes. Seulement quelques grandes vérités bien frappées lui auraient peut-être donné courage. Enfin, tout est malheureux dans cette malheureuse affaire. Le projet de note d’Olmentz n’a pas été accueilli à Londres. On ne négocie donc plus, et on attend la bataille. Le déclaration de guerre des Turcs n’a pas parue encore. Elle ne peut pas tarder. C’est toujours de cela que dépend l’entrée des flottes.
Vous enverrez dit on 30 m hommes à Constantinople et huit mille de plus à Rome. Aujourd’hui meeting à la taverne de Londres, et réunion aussi de tout le Cabinet anglais. Les Anglais de toutes les classes sont très montés contre nous, je doute cependant que la guerre soit populaire ici. Elle ne l’est pas du tout. Tout à l'heure une lettre de Greville. On croit que les Turcs se seront arrêtés devant la dernière proposition d’Olmentz, cependant on doute, mais la déclaration de guerre n’est pas faite encore. Le conseil de Cabinet à Londres aujour d’hui sera décisif pour L. Aberdeen, il est possible qu'il se retire. Voilà à peu près la lettre de Greville. Le Times d’hier 6 est assez bon, plus disposé à ce qu'on négocie encore. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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71 Paris dimanche 9 8bre 1853

Je crois vous avoir dit que l’Angleterre repousse la note d'Olmentz et jette au feu toutes les notes & tous les projets passés. Il faut donc recommencer à nouveau, ou plutôt on ne fera rien. Voilà la guerre déclarée, selon les Débats de ce matin. Je le crois tout à fait. Meyendorff dit qu'on pas ne se battra, et qu'on ne peut pas se battre, & pas plus en Asie qu’en Europe. On est très pacifique chez nous, mais cela ne sert pas à grand chose. Radcliffe veut la guerre, & il est tout puissant. Vous n'avez pas idée de tout ce qu'il fait et dit là. Meyendorff me le raconte sur deux longues pages. Quelle malédiction que cet homme ! Ici le langage depuis deux jours est beaucoup plus doux, mais cela tourne comme la girouette. La cour va le 12 à Compiègne. les Cowley, les Hatzfeld, [?] y sont priés. Ni Kisseleff ni Hubner ne le sont. Rotschild pour 3 jours. Morny cela va sans dire pour tout le séjour. Je le vois beaucoup. Il est triste naturellement.
Midi. [Greville] mande de Londres. que les Ministres se sont trouvés en parfait accord dans le conseil, qu'on a résolu de défendre & protéger les Turcs mais de ne faire dans ce but que le stricte nécessaire ; de conserver toujours le caractère de médiateur pour arriver à un arrangement avant la guerre, ou pour en arrêter les progrès si elle commençait donc point de modification dans le ministère. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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72 Paris le 11 octobre 1853

Le ministère disait hier que ses nouvelles étaient à la paix daté du 1er octobre de Constantinople, à la bourse on en avait de fâcheuses du 2. Le 4 la déclaration de guerre devait paraître infailliblement. J'ai une lettre de Potsdam du 8, on regardait comme très possible qu'il y ait un engagement en Asie & si les Turcs reçoivent des armes, la partie pourrait devenir assez égale. En attendant chez nous le langage est toujours à la paix, à la paix. Nous sommes toujours prêts à nous entendre & & Fould est venu hier, pacifique aussi, mais bien content du mariage anglais, on dirait l’Eternité. Je n’ai rien de Londres, mon correspondant est à la campagne.
Cowley est prié à Compiègne pour tout le temps, quinze jours. Hatzfeld pour quatre. Pas d’autre, sauf Poniatowski. Je vous ai dit que la G. D. Stéphanie y vient. Le roi Léopold va à Londres la semaine prochaine. Le meeting de Londres n’a fait aucun effet. Il faut écrire Pianezza. Je suis fort occupée, de visites, d'écritures, la matinée, la journée s’envolent. Adieu. Adieu.
On parle d'une nouvelle note, cette fois sans doute d'invention anglo-française. Je ne sais rien de précis.

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73 Paris le 13 octobre

Pas la moindres nouvelle à vous dire. La G. D. Marie m'écrit pour me prier beaucoup de venir la trouver à Bruges la semaine prochaine. J’en aurais bien envie, mais ce serait une folie. Mon [Empereur] est retourné droit de Potsdam à Pétersbourg où il arrivera demain. Je ne sais si on essaye rien de ce côté-ci pour un arrangement.
Je croirais que non, & que tout reste abandonné au hasard et à des escarmouches comme dit Antonini. Balabini est arrivé. Vous savez qu'il était à Constantinople. La seule nouveauté que j’ai apprise par lui c’est que Menchikoff loin d’être insolent a péché par trop de platitudes. Les Turcs ont cru qu'il avait peur, & ils ont tout osé. Voilà du neuf. Balabini a toutes ses preuves. Adieu. Adieu car je n’ai plus rien.

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75. Paris le 17 octobre 1853

Merci de la lettre de M. Monod. Tout est fort détaillé, mais l’essentiel y manque. A-t-il ou n'a-t-il pas d’autres pensionnaires de l'âge ou à peu près de ce jeune enfant. Vous savez combien cela est essentiel pour une éducation anglaise. Des camarades, de la récréation en commun aussi bien que des leçons. Or, d'après la lettre je croirais qu'il serait isolé. Voilà le point à éclaircir. Je suis fâchée de vous donner le grand bore. J'ai eu hier une lettre de Meyendorff, très tranquille. Voici la dernière phrase après avoir dit que le manifeste turc à Paris, le 5 à Constantinople, la déclaration de guerre signifiée le 9 au Prince Gortchakoff s’il ne promet pas d’évacuer les provinces dans l'espace de 15 jours. & & " Ainsi guerre sur le papier, déclarée par la Porte, non acceptée par nous. Que faire dans cette singulière position ? Il est impossible qu'on ne négocie pas avec nous, sans nous, mais toujours pour nous, c-a-d pour la paix. "
J’ai vu hier Morny qui s’était échappée de Compiègne pour quelques heures. Le ton là est extrêmement pacifique. On ne songe pas à envoyer un seul soldat. Toute la diplomatie presque est priée à Compiègne pour plus ou moins de jours. Il n'y a que Kisseleff & Hübner d’exceptés. Je suis fâchée des nouvelles que vous me donnez sur Pauline. Vous faites très bien de commencer pour elle par là où l'on finit, et quelques fois trop tard. [?] la remettre. Je vois déjà beaucoup de monde. Je ne sais trop dire qui. Oiseaux de passage, et des étrangers de toute espèce. Dumon est revenu for good. Le ton public en Angleterre. [...]

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60  Paris le 16 septembre 1853

Grand vide & regret, & reconnaissance. J’ai vu hier les Hatzfeld, Kisseleff, Hubner, Molé. Celui-ci désespéré d’avoir ignoré votre séjour à Paris, il aurait pu vous voir encore hier matin. Son oeil va mieux, il est plein d'espérance.
Kisseleff avec un courrier hier soir. Nous refusons simplement parce que nous n’avons pas affaire à Constantinople. Nous maintenons l’acceptation de la première note de Vienne. Vienne n’a qu’à négocier sur cela avec la Turquie. Cela regarde la conférence & pas nous. Il n’y a donc de notre fait aucun empêchement à ce que cela s’aplanisse encore. Je doute que les Turcs s’y prêtent. J'ai fait visite tout à l'heure à la princesse Mathilde à Breteuil. Elle m’a dit d'excellentes choses sur le ménage impérial. Le bonheur conjugal le plus serein, le plus charmant ; l’Impératrice très douce, très bonne, dévouée, mais une pauvre santé.
La Reine Christine est d'une platitude sans pareille à cela près qui fait rire, on lui trouve beaucoup d’esprit. Pas d’apparence qu’on épouse une de ses filles. Elle a passé 9 jours à Londres, où elle n'a vu ni l’une ni l’autre reine. Après le voyage du nord la cour passera à Compiègne la première quinzaine d'octobre la seconde à Fontainebleau & le 1er Novembre elle s’établit à Paris.
Samedi 1. J’ai eu un mot de Constantin de Berlin, c’est le Cte Nesselrode qui a insisté sur le refus et qui l’a importé. Cela vous prouve bien que la volonté impériale est à la paix. Molé est venu hier soir encore & San Giacomo. On disait au club que les flottes entreraient et iraient même à Constantinople pour rendre au sultan sa liberté d’action & de volonté qu’il n’a pas dans ce moment, & qu’il signerait de suite la note de Vienne. Voilà le tout qu'on donnerait à la promenade. C’est possible.
Je ne crois pas que j'aie rien à ajouter jusqu'au départ de la porte. Adieu donc. Adieu.

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76. Paris le 19 octobre 1853

Hübner est fort exalté & content. Son gouvernement reste neutre et le proclame, et fort de la promesse formelle que lui a donné l'Empereur Nicolas de respecter l’intégrité de l’Empire ottoman, l’Empereur d’Autriche réduit son armée du quart. Il fait sonner cela très haut. Ceci est la réponse aux soupçons qu’on avait conçus ici de la triple alliance à Varsovie. Cela me touche peu.
Je n’ai pas la moindre nouvelle de Londres, sauf une lettre spirituelle de la G. D. Marie où elle me dit qu’elle trouve nouveau et drôle d'habiter un pays ennemi.
Dumon m’a dit hier soir, que M. Bansky était très inquiet de la reine Amélie. C’est une pleurésie dont elle est atteinte. Marie Mensingue arrive avec la G. D. Stéphanie. Beaucoup de nouveaux diplomates sont priés à Compiègne, mais toujours Kisseleff & Hübner exclus. Est-ce à Broglie ou au Val Richer que je dois vous adresser ma lettre vendredi ? Il fait bien laid ici et froid. Viel Castel est parti pour 3 semaines. Grande perte pour moi. Adieu. Adieu.

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77 Paris le 21 octobre 1833

Il n'y a rien de nouveau décidément Charles 3 ne m'écrit plus. C’est bien dommage, et comme je ne vois pas Cowley, il est pour tout le temps à Compiègne, il en résulte que je ne sais pas un mot de Londres. C’est cependant le point intéressant puisqu'il mène Paris.
Persigny dit : " Nous ferons le coup d’Etat Européen aussi facilement que celui de Paris. " J’ai vu hier Ste Aulaire, Noailles & Montebello. Ils ne m'ont rien appris. Si non qu'on a fait une descente chez Mad. [Banchy] et qu’en saisissant ses papiers on lui a fait compliment sur sa belle écriture. On disait ici que la reine Amélie était hors d’affaire. Votre lettre contredit cela. Hélène Kotchoubey est partie ce matin pour Gand où l’attend la grande Duchesse. Je saurais des nouvelles à son retour Lundi. Adieu. Adieu car Je n’ai vraiment plus rien.

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Paris dimanche le 23 octobre 1853

J’ai des nouvelles de [Greville] enfin rien de remarquable. On travaille à une nouvelle note, et on attendait avec curiosité ce qu’aura dit l’[Empereur] de la déclaration de guerre des Turcs. (cela n’est pas inquiétant !) Les meeting en Angleterre sont a complete failure. Pas un homme considérable n’a voulu y prendre part.
La neutralité de l’Autriche et de la Prusse est due à la fermeté de M. de Manteuffel. Voilà toute la lettre, accompagnée d’assez de dégoût de toute cette affaire. Le Cabinet devait se réunir la semaine prochaine. On me mande de Berlin que nous resterons sur la défense tout l'hiver, et que nous accueillerons toute proposition venant de Constantinople ayant pour but de finir à l'amiable. Cela n’est pas fier! Quelle sotte affaire !
Je vous ferai réponse après demain sur M. Monod. Je ne sais point de nouvelle de Compiègne. Marie [Meiringen] y est. On passera quelques jours de la semaine à St Cloud, et puis Fontainebleau. Les Hatzfeld sont revenus contents & pas bavards. Hübner est toujours aigre. Dumon est réparti. Viel Castel aussi de sorte que je suis assez abandonnée. Adieu. Adieu.
Offrez je vous prie mille voeux de ma part à votre fille. J’espère que ce voyage réussira. Adieu.

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79 Paris le 25 octobre 1853

C’est aujourd’hui que commence les hostilités, si elles commencent. On dit que ce n’est que le 22 que les flottes seront à Constantinople. Il y a du louche sur cette question des flottes. Il est très vraisemblable que la guerre s'engage en Asie ; elle peut devenir incommode pour nous si les peuplades environnantes s’en mêlent ; d’ailleurs il y a toujours l'ennui permanent et Schamil.
Je vous ai dit, je crois, que la Grèce se serait prononcée contre les Turcs, je ne sais sous quelle forme, mais ce bruit venant de Lord Cowley je le crois fondé. Ce serait le soulèvement de toutes les populations grecques, et une grande complication de plus. Du reste le langage ici est très à la paix, à Londres aussi. La chasse de vendredi à Compiègne a été vraiment périlleuse. L'[Empereur]. & l'[Impératrice] y ont encore quelque danger. Fould a été blessé, Madame Thayer a eu la jambe cassée. La confusion a été grande. Je vois quelques fois Heeckeren qui nous amuse beaucoup. Il n’y a pas d’autre Français. Il faut renoncer à Monod. On croyait à des camarades évidemment il n’y en a pas. Merci mille fois et pardon de toute la peine que vous avez prise.
Hélène Kotchoubey n’est pas encore revenue de Gand. La voilà n’apportant mille tendresses & pas un bout de nouvelle. La [Grance] [Duchesse] est partie sans prendre congé de la reine, elle a bien fait on n’avait pas été assez poli pour elle. Adieu. Adieu.

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81. Paris Samedi le 29 octobre 1853

Lord Cowley est venu causer longtemps avec moi. Il me reste de cette conversation l'impression positive que les Anglais nous attaqueront sur la mer noire. Il ne me l’a pas dit, mais c’était trop devinable, et au besoin j'en ai eu la confirmation par Morny, qui a l'air de le craindre aussi. La nomination de Baraguey d'Hilliers a un air très belliqueux aussi, et a fait cet effet généralement. Hier on a parlé de 20 m. hommes qui allaient être embarqués. Je ne sais pas ceci de source Vous voyez que je suis peut être à la veille de quitter Paris. Kisseleff y est tout préparé. Vos pressentiments sont en défaut. C’est la déroute de la raison. J'ai beaucoup écrit hier car j'avais beaucoup à dire. J’ai vu Fould aussi, tous les revenants de Compiègne se sont empressés de venir me voir.
Je passe de mauvaises nuits mon avenir n'est pas drôle. On me dit que Drouyn de Lhuys a ignoré la nomination de Baraguey d'Hilliers. Les courtisans même disent de lui que c’est un querelleur, un brise raison. Voilà le bon côté, il tuera peut-être Radcliffe. On dit que ce sont des réminiscences de l’Empire qui ont dicté le choix, Sébastiani défendant Constantinople. J’aurais beaucoup à vous dire, mais c’est difficile à écrire. Adieu. Adieu.

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82. Paris le 31 octobre 1853

J'espère que votre rhumatisme sera passé quand vous recevrez ceci. Cowley que j’ai vu hier on dit qu’on a élaboré une nouvelle note à Constantinople et que c’est en conséquence de cela que les ambas sadeurs ont obtenu un sursis aux hostilités. Ce n'est donc que demain qu'on commence si l’aventure devant [?] n’est pas regardée comme la guerre. Ce n’est pas nous qui avons tiré les premiers. Nous avions le droit de naviguer sur ce point, il est au-dessous de l'embouchure du Pruth. Il me paraît que les flottes ne feront rien à moins que nous ne franchissions le Danube. Si nous le passons ce sera cas de guerre pour l'Angleterre et pour Cowley est la France, convaincu que jamais nous ne sortirons des principautés. Baraguey d’Hilliers part ce matin avec un personnel considérable. On s'agite beaucoup ici, mais on fait un peu comme vous on ne croit pas encore à la guerre. Quand je pense que depuis 6 mois, chaque pas fait pour la détourner y a mené tout droit je ne puis pas concevoir qu'on se livre à l'espérance du contraire.
En attendant je ne dors pas. Sur huit nuits blanches j'en ai une passable. Adieu. Adieu.

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83 Paris le 1er novembre 1853

Les nouvelles sont meilleures. [Greville] m'écrit de Londres qu'on venait d'y recevoir une très bonne communication de Nesselrode à Bual, très pacifique & facilitant. En même temps Radcliffe s'agite et de très bonne foi pour arriver à une bonne conclusion. Il venait d’accoucher d'une nouvelle note acceptable. Sur cela doit être arrivé un autre projet de Londres fort semblable à celui du Radcliffe, et on ne doute presque pas à Londres d’un bon résultat. C'est à la demande de Radcliffe que le sursis a été ordonné. Cependant qui sait ce qui se sera passé sur le Danube ? Je ne suis pas tranquille encore, mais beaucoup moins inquiète. Baraguey d'Hilliers n'était pas encore parti hier. Il amène beaucoup d’officiers. Ce serait de la comédie si les affaires sont aussi avancées qu'on le dit. Je ne doute pas que Léopold n'ait beaucoup travaillé à Londres, et là est le point essentiel puisqu'ici on ne fait qu'obéir. Je vois assez les Cowley. Les autres n’aiment pas à venir le soir, ils craignent les questionneurs, je les vois le matin. Adieu. Adieu.

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84 Paris le 4 Novembre 1853

Vous voyez que voilà la guerre. C’est fini des notes dont je vous parlais, on va changer autre chose. N’est-ce pas ridicule toute la conduite de cette affaire ? L’action d'Omer Pacha est réputée très téméraire qui sait. On a tant dit. Il ne peut pas passer. Le voilà passé. Il occupe une portion de la Valachie où nous ne sommes pas entrés. Mauvais pays, malsain mais il peut se renforcer & avancer, & nous battre peut-être. Cela serait une bien mauvaise chance, il n’y aurait plus de terme. J'ai été avant hier à St Cloud faire visite à la [Grande Duchesse] Stéphanie qui m’en avait prié. Je l’ai trouvé changée. Une heure de conversation. Elle est très sensée, & bonne personne. En énorme terreur de la guerre. Toute charmée de l’Impératrice.
Mad. Kalerdgi, part vous Pétersbourg, je la regrette pour mon salon, quand salon, il y aura, car je suis encore à un pauvre régime. Les Mahon sont ici pour quelques jours. La cour va à Fontainebleau le 12. Kisseleff & Hübner y seront priés. Quel beau temps encore ! Adieu. Adieu.

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85. Paris dimanche le 6 Novembre 1853

Je n'ai rien à vous raconter de nouveau. On parle d'une bataille gagnée ou perdue par nous. Si le gouvernement sait quelque chose, il le tient bien caché.
Meyendorff me mande que Lord Radcliffe est débordé. Aujourd’hui qu'il est sincère dans ses efforts pour le paix, il est impuissant. Nous ne passerons le Danube en aucune cas, sauf si vous envoyez des troupes. Alors nous soulèverions les populations grecques partout. Villeme est venu me faire une longue visite. Il me plaît beaucoup, malheureusement il part, il est nommée Président de Sénat. Il me fait un éloge très grand de la cour de Séville, vraie cour, brillante, digne, comme on n'en a jamais eu en Espagne. Énormes contraintes avec celle de Madrid. Grande popularité pour l'infante et son mari. La Reine n’est pas jalouse mais elle est en respect devant sa soeur quand elles sont ensemble ; la Reine Christine retourne à Madrid sous peu de jours. Narvaez doit y être, Villeneuve pense qu’il reprendra le gouvernement de l’état, pourvu qu’il n'aspire pas à celui du palais. Cela, la reine n'en veut pas. Grand dépouillement à cette cour de Madrid, moralement et matériellement.
Kisseleff & Hübner sont pris à Fontainebleau. Tous les diplomates qui n'ont pas été à Compiègne le sont également. La cour y va le 12. Il me semble que je n’ai plus rien à vous dire sa good bye & Adieu.

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86 Paris Mardi le 8 Novembre 1853

Reeve est arrivé à Londres. Très sensé et ayant très bien vu toutes choses. Les Turcs se croyant sûrs qu'on les secourra énergiquement à la dernière heure, ne veulent plus entendre parler d'accommodement et croit que qu'au bout Radcliffe n’est plus écouté. Il n’a pas pu venir avec de la cour. Il se brouillera d'emblée avec Baraguey d'Hilliers. Mon correspondant de Londres a beaucoup de soupçons & on ne comprend rien à la mission de votre nouvel ambassadeur, et au cortège menaçant qui l’accompagne. On ne devine pas l'Empereur, le vôtre. On se tient sur ses gardes tout en vivant bien avec lui.
Voici votre lettre. Je crois à tout ce qu'on vous dit sur Lord Palmerston. Pacha est prié pour le 22. Je ne sais pas ce que veulent dire les répugnances de mon Empereur. Il est très pacifique mais il ne cédera rien sur le fond de ses prétentions. J’ai passé hier ma soirée en tête à tête avec Fould. Je n’avais absolument personne. Il a l’air fart tranquile, tout ce monde, le maître inclus, est content de sa situation et n’espère qu’à la faire durer.
Il n’y a pas de nouvelle du théâtre de la guerre. Si elle traîne comme les négociations il y a de quoi s’endormir. Hübner va à Fontainebleau le 14, jusqu'au 18. Kisseleff le 18 jusqu'au 22. [?] Pacha est prié pour le 22. Adieu. Adieu.

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88. Paris samedi le 12 Novembre 1853

Notre manifeste déplait ici. La critique du Moniteur est cependant assez mesurée, et entre nous il dit vrai sur l’af faire. Cette pièce est adressée au peuple russe plutôt qu'à l'Europe. Sans avoir trop menti nous prenons l'Empire pour de bons amis. Je suis curieuse de voir ce qu'on en dira en Angleterre. Je suis bien aise qu'on fasse mention des révolutionnaires.
Hier on débitait ici des nouvelles très favorables à nos armes. Je ne sais ce qu'il y a de vrai ou de faux. Constantin m'écrit sans cesse de patienter. Nous voulons que les Turcs s’avancent en nombre suffisant pour les écraser en masse. C’est fort bien, mais faut-il pour cela se laisser battre en détail ? Hier on parlait beaucoup fusion ; la visite des princes d’Orléans avait eu lieu ou allait avoir lieu à Frohsdorf. Fould même m’en a parlé comme d’un “on dit”. C’est une petite diversion à l’Orient.
Les Anglais à Paris traitent notre manifeste de bare faced lie, et disent qu'il aura pour conséquence la chute de Lord Aberdeen.
On parle de Victoire remportée sur les Turcs, je ne croire que quand je serai mieux renseigné. Adieu. Adieu. 1 heure.

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12. Bruxelles mardi le 14 mars 1854

Vous avez bien de l’esprit, et j'en ai aussi. Votre critique de nos deux dernières pièces est précisément ce que j'en ai pensé et dit. J’aime bien ces rencontres. J’enverrai votre lettre plus loin, il est bon qu’on entende chez nous la vérité. Ah que tout cela a été mal conçu et mal conduit.
Mes yeux vont un peu mieux, mais ma tête, mon cœur, et toute ma santé générale ! Avec quelle tristesse je me réveille et je m’endors. Dans une vie si avancée retrancher tant de mois de jouissance, de bonheur ! Meyendorff a dit à Vienne : " Si la porte accorde l'émanci pation des Chrétiens, il n'y a plus de question d’Orient. " That is sensible. Qu'ils accordent donc il paraît trop qu'on s’était pressé ici de croire que c'était fait, ils n'ont obtenu encore que l'égalité devant les tribunaux et encore cela n'est pas tout à fait complet. Morny me mande que St Arnaud va à Vienne. Le sait-on ? On prend à Paris très bien la nouvelle attitude de la Prusse. Elle nous est favorable en tant que tout-à-fait neutre. Le temps ici est magnifique, mais je ne jouis de rien. Comment jouir quand on pleure. Adieu, des lettres, des lettres. Adieu.

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17 Bruxelles le 22 mars 1854

Quel ennui que ce N°15 égaré ou retardé ! Je crois que j’y répondais à votre charmant projet de me me voir. J’accepte la date avec bonheur. Dites-moi quand vous aurez reçu cette lettre chanceuse. On est très vif ici à propos de la nouvelle de Constantinople. Certainement l'envoi des troupes dépendait des consentements de la porte à la demande d'émancipation des Chrétiens. Si cette émancipation est vraiment obtenue et on y croit, et si mon empereur à la bonne foi & le bon esprit de s'en tenir pour satisfait voilà la guerre évitée, mais c’est trop beau pour croire à ce facile dévouement.
Lord Holland & M. Barrot se sont rencontrés chez moi hier, bien contents & tous deux bien pacifiques. J’ai été très contente du langage de l'Anglais, un grand changement depuis huit jours. Le français avait toujours été convenable et bien. On annonce Brunnow pour aujourd’hui. Quelle curieuse correspondance que celle qu’on vient de produire au parlement. Pauvre dépêche que celle de lord John, mais quel entrain de mon empereur. Dites-moi je vous prie votre avis de tout cela. La publi cation ne me paraît pas une chose bien inventée, pourquoi avons-nous provoqué cela ? à tout instant je me sens le besoin de vous interroger, de vous entendre. Je n’ai pas encore lu cette correspondance jusqu'au bout. Mes yeux sont très capricieux. Je les croyais mieux, ils sont repris. Le temps est froid. Je serai charmée de vous savoir revenu à Paris.
Adieu. Adieu, je suis restée deux jours sans vous écrire à cause de votre absence. J'ai eu peut être tort, mais je croyais que mes lettres reposeraient à Paris. Adieu.

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61 Paris lundi 19 septembre 1849

La dépêche à M. de Meyendorff par laquelle nous annonçons notre refus aux modifications de la porte est excellentissime. J’espère que cette pièce paraîtra vous en serez content. Elle est une réplique possible. Et très bien faite. Hubner a vu hier l’Empereur, extrêmement pacifique. Hubner lui même conserve des inquiétudes et ne veut pas croire qu'on n’entre pas dans les Dardanelles. J’ai vu Hatzfeld aussi hier, & puis c’est tout. Trois heures de bon air dans le parc de St Cloud et à Meudon. J’étais très lasse hier soir, & je me suis couchée de très bonne heure. J’ai manqué. quelques personnes insignifiantes. Je n’ai vraiment pas une nouvelle à vous dire. Drouin de Lhuys était attendu hier par l’Empereur qui l’avait envoyé chercher. Il a passé ces huit jours à sa terre près de Blois. Je crois que mes fils arrivent aujourd’hui. Adieu. Adieu.
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