Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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116 Val Richer, Mercredi 11 Juillet 1854

Si j'étais un Russe un vrai Russe, bien Moujik et bien grec, je serai un peu choqué de ces promenades de divertissement de la cour pour aller lorgner la flotte Anglo-française. Je ne regarderais cette flotte que de travers et je n'en approcherai qu'à coups de canon. Mais c'est l'affaire de votre Empereur ; il sait mieux que moi ce qui choque, ou ne choque pas les Russes.
Le Bulletin d'Havas parle des nouvelles hésitations du Roi de Prusse et de ces tentatives pour que la réponse de votre Empereur aboutisse à une nouvelle négociation. Mais il en parle sans colère presque ironiquement et comme ayant la certitude que tout le petit travail sera vain, et que la Prusse sera entraînée jusqu'au bout, à la suite de l’Autriche, dans la politique Européenne. Cela me paraît probable.
Avez-vous remarqué l’article du Constitutionnel d’hier mardi, signé Granier de Cavaignac, et intitulé caractère actuel de la question d'Orient. Il en vaut la peine. L'idée qu’il développe, est déjà et sont de plus en plus le lieu commun de la politique dans nos provinces.

Jeudi 12
Je dis comme vous, cela ne valait pas la peine de vous être envoyé hier. Je mène ici une vie très douce, entouré d'affection et de soin ; mais vous me manquez, vous et votre conversation, bien plus que je ne vous le dis. Tantôt j'ai l'esprit trop plein et il m'irrite de ne pas vous avoir là, pour la mettre en commun avec vous à tantôt je languis et je m'endors dans ma solitude. J'étais hier dans un accès de langueur.
Nous voilà dans une nouvelle attente de courriers et de réponses entre Vienne, Berlin et Pétersbourg. Cela n'aboutira pas ; les négociations incertaines peuvent réussir au commencement où à la fin des grands événements, quand la sagesse est encore écoutée ou quand la lassitude, est déjà venue. Mais nous n'en sommes ni à l’une, ni à l'autre de ces deux époques. Pendant qu’à Vienne on écrit, et on reçoit encore des lettres, 6.000 Anglais de plus partent de Southampton pour la Mer Noire et 10.000 Français de Calais pour la Baltique. C’est trop d'efforts et trop de forces pour que le vieux savoir-faire du Prince de Metternich arrête tout cela. Mais il peut bien en résulte que les grands coups soient remis à l’année prochaine. Pourtant, j'en doute. Il y a encore cette année, trois mois de guerre.
On pense comme vous à Paris sur les affaires d’Espagne, malgré la retraite des insurgés, on ne les trouve pas très rassurantes. Que signifie ce que je vois dans les journaux anglais que votre grand Duc héritier est très malade, rapid decline ?
Si vous ne pouvez pas avoir de logement à Schlangenbad, pourquoi ne resteriez-vous pas à Ems tant que vous y aurez une société et un peu agréable. Je vois que vos petites soirées de musique vous plaisent. Gardez-les, même quand [manque une page]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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94. Ems le 6 juillet 1854

J’ai vu ce matin une lettre de Pétersbourg expliquant nos mouvements. 250 m dans les principautés 150 m en Podolie & Pologne, prêtes à marcher sur Cracovie et Vienne. On a abandonné Silistrie & partir de la Valachie à cause de l'attitude de l’Autriche. Mais l'Autriche est-elle de bonne foi ? Le correspondant émet cette idée comme un doute. On dit toujours que nous voulons la paix. Certainement l’Autriche la désire. Qu’est-ce qui ressortira de tout cela. Rien n'est éclairci. Constantin me mande que le prince Gortchakoff avait eu son audience de congé le 27, mais qu’il ne partait que dans quelques jours. Sa lettre est du 29 depuis l’approche des flottes toutes les promenades de la cour se dirigent vers les points d’où on peut les apercevoir. C’est l'élégance. L'[Empereur] & l’[Impératrice] sont toujours de ces promenades-là. Le temps superbe, la mer calme. Les Anglais ont tiré un coup, une bombe sur le Vladimir. Le ton est toujours à la gaieté. Quel étrange spectacle. On doute beaucoup qu'ils attaquent Cronstadt, mais ils sont là et au complet.
Greville me mande que vous allez embarquer sur des vaisseaux Anglais des troupes destinées à une descente dans la Baltique. Brignoles est arrivé hier, cela va me faire une bonne causerie.
Le 7 Vendredi. J’ai des nouvelles sûres de Peterhof de quelqu'un ici qui a causé une heure avec l'Empereur il y a 10 jours. La réponse à l’Autriche n’a dû arriver que hier 6, celle pour la Prusse sera portée par Constantin. C’est à peu près ce que disent les journaux. Toujours le tête-à-tête avec la Turquie pour la question religieuse. Négociations avec tout le monde pour les autres. (qu’est ce que c'est que les autres ?) position prise sur le Sereth et attente. "
L’Empereur très bien portant, très calme, prenant les choses de haut. Aucune irritation contre l’Autriche ni contre la Prusse. Il ne sait pas ce qui se passe en France et en Angleterre.” Constantin me dit qu’on demande mes lettres à grands cris. Si ce sont là leurs seules nouvelles, je les plains. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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81. Ems le 14 juin 1854

Voilà une longue et bonne lettre de vous, & je ne vous crois plus malade.
J'ai eu des nouvelles de Londres. On accuse fort John Russell d’avoir empêché les arrange ments ministériels sur les quels le public comptait, & on lui en veut fort en conséquence. Sir Ed. Lyons nous a pris [?], & des prisonniers cela est regardé comme une smart affair. On croit là, à Londres, que toutes les forces de terre et de mer vont être employées contre Sévastabol, qu'on ne croit pas imprenable.
Constantin est parti avec le roi jusqu’à Stelin. De là il va pour huit jours à Pétersbourg et revient de suite. Le roi est revenu assez content de son entrevue à Tetschen. L’Autriche n’est pas encore perdue pour nous. Meyendorff a fermé la porte à son beau frère c'est ce qui fait qu’il ne peut pas rester. Gortchakoff le remplace pour le moment.
Nous croyons à la reddition de Silistrie dans 15 jours. Nous n'irons pas cette année au delà de la ligne du Danube. Voilà toutes mes nouvelles. Je suis fatiguée des bains que j’ai commencé & du mauvais temps qui se soutient. Adieu, adieu.
Dites-moi si le petit carré rouge & jaune remplit son but d'af franchir la lettre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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79 Ems lundi 12 Juin 1854

Voilà votre lettre, aussi triste que je le sens moi même. Des âmes en peine, & qui ne prévoient pas quand elles sortiront de cette peine. Vous avez bien de l’esprit dans la manière dont vous me racontez cela, mais ici votre esprit ni celui de personne n’y pourra quelque chose.
On écrit à Hélène de Pétersbourg, la disgrâce de Meyendorff est publique. Il a été trop vif & cassant, il ne fallait pas se brouiller avec son beau frère. Le Maréchal attend et lambine parce qui il veut savoir d’abord s'il a ou non l’Autriche pour ennui. On trouve l’Empereur d’Autriche ingrat et tartuffe. Tout ce que je vous dis là c'est le public de Pétersbourg qui parle. Je ne sais rien de la cour.
Aujourd'hui il fait beau. Si le temps se soutient ainsi je commencerai un bain demain. Pas une âme de plus à Ems. Nous nous sentons bien perdus & ennuyés. Je n’ai pas le courage d'écrire à mes correspondants, je ne sais que leur dire. Nous voilà bien arrangés vous et moi. Union complète. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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90 Val Richer, samedi 10 Juin 1854
Midi

J’ai attendu votre lettre et je n'ai que le temps de vous dire, adieu. Je veux vous savoir à Ems. Triste voyage en effet cette année. Je ne suis pas en train de vous égayer. Il faisait beau hier ici ; aujourd’hui très mauvais.
Je n'ai pas un mot de Paris. Je n'ai pas encore là mes journaux. Après tout, il vaut mieux que Kisseleff soit venu vous demander pardon. Il a attendu que vous n'eussiez plus besoin de son appartement. Bien petit, bien petit. Adieu, Adieu.
Et mes respects vraiment affectueux, je vous prie, à la princesse Hélène, et à sa fille. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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89 Val Richer, Vendredi 9 Juin 1854

Je ne vous ai pas écrit hier un peu parce que je n'avais rien à vous dire, bien plus parce que je vous aurais écrit trop tristement.
Je trouve que la guerre s’établit, à la fois molle et obstinée, pas intolérable pour les peuples et interminable pour les gouvernements. Les grandes affaires ne se terminent que par la force ou par la raison. Où est aujourd’hui la force ? Où est la raison ? Je dis la force ou la raison capable de décider.
Vous ne prenez pas et probablement vous ne prendrez pas Silistrie. On vous fera peut-être lever le siège ; il semble que les trois armées alliées se préparent à cette opération. Soit qu'elles réussissent, ou qu'elles ne réussissent pas, quoi après ? Les diplomates n'en font pas plus que les généraux. Quand on aura mis le prince Gortschakoff à la place de M. de Meyendorff, inventera-t-il quelque meilleur expédient, ou consentira-t-il à quelque plus grande concession ? Je ne vois point de rayons lumineux ; je n'entends point de coup de foudre efficace. J’attends et je n'attends rien. J'en étais là hier, et c'est pourquoi je ne vous ai pas écrit. J'en suis encore là aujourd’hui.
Il y a bien du vrai dans ce que Morny vous a écrit. On était bien bon à Londres de se tant préoccuper du congrès russe de Bruxelles trois mois d'insignifiance, et le voilà dispersé. Rien n’est plus ridicule que la présence réelle et vaine. Je comprends la satisfaction de Chreptowitch.
Je ne me distrais de tout cela qu’en travaillant. Mais je ni plus de grand homme pour me tenir compagnie. Cromwell est mort. Je ne vis plus qu'avec ses fils, ses conseillers et ses ennemis, tous impuissants, et à le continuer et à faire autre chose que lui. J’aurai bien de la peine à prendre l'Impuissance des petites gens aussi intéressante que celle du grand homme.
Voilà ce pauvre Amiral Baudin mort. On lui a donné un bâton pour l'aider à descendre dans son tombeau. C’était un marin capable, hardi, plein d’entrain et d'entraînement avec les matelots. Charlatan d'ailleurs et peu sûr ; cherchant toujours le vent, cachant la ruse sous l’étalage de la franchise. Le Roi de Portugal, en allant à Bruxelles, épousera-t-il la Princesse Charlotte ? A-t-elle pris son parti entre Lisbonne et Naples ? Êtes-vous sûre que l'Impératrice soit grosse ? De Paris, personne ne me l’a mandé. Il est vrai que mes correspondants sont ou absents, ou très paresseux. Duchâtel est revenu à Paris, et ne va plus à Vichy. Je ne sais pourquoi. C’est Vitet qui me l'a écrit.

Midi
Je ne m'étonne pas que vous ne m'ayez pas écrit, avant hier, en partant de Bruxelles. Mais je n’en serai que plus impatient. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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88 Val Richer Mercredi 7 Juin 1854

Votre soirée est une malice que vous avez faite à Kisseleff en partant. Il la méritait. Je suis toujours bien aise quand je vois les sottises de l’égoïsme un peu punies. Il ne faut pas que tous les désagréments de ce monde soient pour la générosité imprévoyante.
Il fait aussi froid ici qu’à Bruxelles. Cela me vaut des éternuements interminables. Ayez soin, à Ems, de ne pas vous promener tard le soir, en voiture découverte. La vallée de la Lahn est bien aussi humide qu'à la mienne.
Rothschild est bien juif de ne pas vouloir vous donnez 3, 6, 9 mais vous avez raison ; peu vous importe ; il est bien sûr que vous garderez toujours cet appartement-là ; il faut pouvait y revenir à l'heure même où la paux sera faite. Et vous y reviendrez tranquille sur les clubs. Aristocratiques ou démocratiques, il ne faut pas les avoir pour voisins. On apprend tous les jours.
Ce qui vient de se passer pour cette malheureuse guerre a jeté, pour moi, des traits de lumière sur l’histoire. Que de guerres commencées comme celle-ci, sans le vouloir, et pour rien. La vraie différence entre les grands hommes et les petits, c'est que les premiers font toutes choses, même les sottises, par de grands motifs, et que les seconds font, même les grandes choses, par de petits motifs, ou sans motifs. " Mon dieu, pardonne leur car ils ne savent ce qu’ils font ! " C'est la plus profonde comme la plus divinement douce parole qui ait jamais été prononcée.
Pauvre Meyendorff ! Est-ce que le Prince Gortschakoff serait envoyé à Vienne pour l’y remplacer à poste fixe, ou bien seulement en mission temporaire, comme le comte Orloff ? La première mesure serait bien dur pour M. de Meyendorff, et le Prince Gortschakoff me paraît bien petit pour la seconde.
Je voudrais que vous sussiez vous distraire un peu de cette triste attente de tristes nouvelles, et penser quelque fois à autre chose. Engagez Mlle de Cerini à prendre l'habitude de vous lire. Ce n'est vraiment, pour une personne intelligente et cultivée comme elle, qu’une affaire d'habitude. Et je vous recommande encore M. de la Rochefoucauld de M. Cousin. Le Journal des Débats, en donnait hier une longue citation excellente et charmante.

Midi
Point de lettre ce matin. Adieu donc jusqu'à demain. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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75 Bruxelles le 5 juin 1854

Je fais mes paquets & mes adieux. & je rentre de l’Eglise où j’ai commencé. Ici cela se passe le lundi de la Pentecôte. Brunnow part jeudi, décidement il reste en l’air pour le moment, il retourne à son petit Darmstadt. Kisseleff part également cette semaine pour Wisbade et puis l’Italie. Ces deux messieurs ne sont pas en bonne odeur à Pétersbourg, surtout dans le public. Creptovitch est ravi d’être débarrassé d'eux. Cela le gênait et l'offusquait. Il ne restera plus un russe à Bruxelles.
Pas de nouvelles. On s’étonne des lenteurs partout. Ceci ne ressemble aux choses qui se passaient jadis. Quand on était en guerre on se battait. Cela a passé de mode. Mais comment viendra la paix ? C'est indevinable. Adieu. Adieu. Je suis triste, et vous aussi. Adieu.

Mardi le 6. Voilà une lettre de Morny, il me dit ceci. " Il va se passer en Orient des événements importants, mais seront ils décisifs ? Si nous croisons décidement le fer nous serons en guerre pour bien longtemps. Je crains bien que votre Empereur ma bonne Princesse ne se repente amèrement d’avoir entrepris ces choses. Je devrais dire, j’espère bien, car je suis Français & bon Français. Si l’Allemagne se joint à nous, Dieu sait quel mal on peut lui faire. Et puis toutes les flottes qui n'osent pas sortir du port même à nombre supérieur, ce n'est pas une preuve de grande force ici de confiance en soi. Maintenant chez nous la confiance a repris. Les fonds ont remonté. On ne s’inquiète plus beaucoup de la guerre, on s’y intéresse voilà tout, et si elle est heureuse on s'en amusera. Il n’y aura plus de raison pour qu’elle finisse. Au fond pour nous et notre Empereur nous y avons gagné une position inespérée que 10 ans de paix n'auraient pas produite. Que Louis Philippe serait jaloux s'il vivait encore. "
La reine Amélie passe aujour d’hui. Le roi ira la trouver à Malines et l’accompagnera à moitié chemin d'Ostende. Elle n’a pas voulu s’arrêter ici ni à Laken. Ma lettre était restée hier je la trouvais bête. Je la trouve bien triste aujourd’hui comme je suis triste. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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84 Val Richer, Samedi 3 juin 1854

Le Roi Othon s’est donc soumis, quoique votre Ministre lui ait offert de le suivre partout où il irait. Quelle confusion de tous les principes et de tous les rôles ! Si la guerre se prolonge, ce ne sera pas le seul chaos des Etats qu'elle amènera ; il en sortira aussi le chaos des esprits. J’ai ici un temps affreux, vent et pluie, le même temps qu’il faisait à Ems, il y a trois ans le jour où j'y suis arrivé. J'espère que vous n'y arriverez pas par ce temps-là mardi ou mercredi prochain. Je vous voudrais au moins ces impressions physiques gaies et douces.
Que signifie cette lettre de Vienne qui dit qu'à la suite d’une conférence entre les diplomates, un officier russe distingué est parti pour Frohsdorf. Il y a sans doute là quelque bévue ; on a mis Frohsdorf pour Peterhof.
Vous avez vu dans les journaux que la Reine Marie-Amélie avait débarqué à Gênes. Le Prince de Joinville aura jugé au dernier moment qu’elle n'était pas en état de supporter le long voyage par l'Océan. Elle ne fera, je pense, que traverser l'Allemagne. Elle comptait être arrivée à Claremont vers le milieu de Juin.

Midi
A la bonne heure, voilà une lettre. Votre première impression sur Mlle de Cerini de retour me fait plaisir. Et aussi que vous ayez enfin reçu votre bail. Vous avez raison de passer par dessus les petites difficultés. On discute mal de loin, et par tiers. Adieu, Adieu.
Je n’ai pas. encore ouvert les journaux, et n’ai d'ailleurs pas la moindre nouvelle. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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78 Val Richer, Dimanche 28 mai 1854 C'est bien dommage que le Val Richer ne me rapproche pas de vous au lieu de m'en éloigner. S’il était au bois de la Cambre, il serait tout-à-fait charmant. Mais vous me manquez partout.
J’ai trouvé ma fille Pauline très bien. Sa grossesse la fatigue un peu ; mais voilà tout. Montebello est venu me voir une heure avant mon départ. Je l’avais engagé à aller vous faire sa visite demain, ou après demain ; mais il aime mieux retarder de quelques jours.
Je sais positivement que l’amiral Parseval est assez content de sa flotte ; il a des équipages un peu vieux ; on a pris, pour les former d’anciens matelots de 40 ans qu’on avait laissés chez eux ; mais ils avaient de l'expérience, et ils ont repris de l’entrain. Il manquait à cette escadre des bâtiments à vapeur ; on lui en a envoyé sept de plus Anglais ou Français, il y aura là un armement énorme. On fait certainement de grands efforts pour développer notre marine. On veut remplacer celle qu’on va détruire chez vous.
Sur terre, on est très frappé de votre peu d'efficacité. Le Duc de Noailles m'en parlait avant hier avec une surprise qui s'accroît de jour en jour. Vous êtes, depuis six mois, en face des Turcs sans leur avoir fait éprouver un seul grand échec. Ni le système de la guerre défensive, ni la lenteur des premiers préparatifs ne devraient, ce semble, vous empêcher aujourd’hui de déployer la supériorité de vos forces. Quoiqu’il arrive plus tard, il y a là un déclin.
Mad. de Sebach vous a sûrement raconté son impétuosité en dînant, un de ces jours, je ne sais plus lequel, chez je ne sais plus qui, quoiqu'on me l'ait dit ; la Prusse et la fille de M. de Nesselrode n’a pu se contenir ; elle a éclaté en reproches, et a fini par dire qu’elle voyait bien qu’elle ne pourrait plus rester longtemps à Paris. Est-ce à cause de cela qu'elle est allée passer huit jours à Bruxelles ?
On parlait aussi des vivacités populaires de Pétersbourg, telles que M. de Nesselrode aurait été sifflé dans la rue, et tout le parti allemand ou de la paix, dans sa personne.
Midi
Voici votre 67. Je suis charmé d'avoir si bien parlé de M. de Stahl. Je ne me rappelle pas un mot de ce que je vous ai dit. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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64. Bruxelles le 23 Mai 1854
Mardi

Je vous remercie d’avoir remis mon affaire entre les mains de Génie. Il traitera fort bien avec Rothschild et cela pourra aller vite. Mais reverrai-je jamais mon appartement ? D’abord la paix, quand viendra-t-elle ? & ma santé qui s’en va au grand galop. J’ai tous les jours quelque mal nouveau. Maintenant mal à la poitrine, hier névralgie à la tête. C'est une misère. Je crois le climat de Bruxelles bien mauvais. Quelle est l’adresse de Génie ? J'ai lu des choses curieuses. Il paraît que la faction allemande est débordée à Pétersbourg. Et nos agents diplomatiques sont tous allemands. En Autriche, Prusse, Danemark, Brunnow est à Vienne. Tout cela est pour la paix et la prêche. On dit même que Paskevitch aurait dit : "Je ne sais pas pourquoi je vais faire la guerre." Et bien tout cela n'a pas cours chez nous. Je commence à croire que le petit Grand Duc Constantin gouverne.
Comme vous voyez beaucoup Mad. Mollien depuis quelques temps je suis devenue jalouse et j’ai demandé ce qu’elle était. De bonnes manières, je le sais je la connais, mais après on me dit qu’elle est très ennuyeuse, de la prétention, de l’affectation de la flatterie & des phrases. Cela ne vous va pas il me semble et je me rassure. C'est bien long toute une journée avec elle.
Le ministre Belge chez nous raconte Odessa comme nous l’avons raconté nous-même. Pas une grosse affaire, pas grand dommage à la ville même point, et celui fait à vos vaisseaux c’est les 4 canons de notre petit lieutenant d’artillerie qui l’a causé. Tout cela est donc peu de chose. Les préparatifs à Cronstadt, Sveaborg et surtout Pétersbourg formidables, & même exagérés. La Finlande très dévouée. La Suède pas de danger qu’elle tourne contre nous. Vienne l'hiver & elle aurait tout à craindre de notre part. Elle ne peut pas s'y exposer. Levorin, Courlande, Estonie, les plus affectionnées provinces de l’Empire. Enfin nous sommes en pleine confiance. Ai-je raison de dire que nous sommes très mal à l'aise, mais pas ridicules ?
Comme je suis triste de penser que vous allez être si loin. Et que moi je m'éloignerai à mon tour. Quel espace entre nous ! Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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73 Paris, Lundi 22 mai 1854

Je commence aussi par l'affaire. Je vous renvoie la copie de votre lettre à [Rothschild] Je suis d’avis que Génie la remette et vide cette petite question. Je viens d'en causer avec lui, il sait très bien ce qu’il faut dire, et il la dira comme il faut le dire. Vous devez garder votre appartement, sans obligation ni charge de réparations, sauf celles que vous jugerez vous-même à propos de faire, et que vous paierez vous-même.
Je ne m'étonne pas que votre Empereur rappelle Brunnow et Kisseleff de Bruxelles. Il était difficile de comprendre pourquoi, ils y restaient. Brunnow n'en fera pas plus à Vienne que M. de Meyendorff. La question n'est plus aujourd’hui dans le savoir-faire des agents de l'Empereur, mais dans la disposition réelle, personnelle et intime de l'Empereur lui-même. S’il veut sérieusement la paix, la paix est encore possible, les intermédiaires et les agents ne manqueront pas. S'il ne la désire pas sincèrement et sérieusement, personne ne viendra pas à bout de la faire. Il arrivera alors de deux chose l’une, ou bien toutes les puissances européennes seront successivement amenées à s’engager contre vous, grandes et petites, ou bien l'Europe entière tombera, dans le chaos révolutionnaire. La première chance est bien mauvaise pour vous ; la seconde est mauvaise pour tout le monde, vous compris.
Comment pouvez-vous vous dire si sûrs de la Prusse après son traité d'alliance et de garantie mutuelle, avec l’Autriche ? Il se peut que les intentions et les paroles soient toujours de votre côté ; mais les engagements et les actions sont évidemment de l'autre. Et comme ici on pèsera de plus en plus sûr l’Autriche, les mêmes causes qui l’ont amenée et la Prusse avec elle, où elle est aujourd’hui, les mèneront toutes deux plus loin. Les puissances Allemandes peuvent vous être très utiles pour arriver à la paix ; mais si la paix ne se fait pas l’hiver prochain, ce n'est pas vers vous que le courant les pousse ; et vous ne réussirez pas plus à les désunir que vous n'avez réussi à désunir la France et l'Angleterre.
J’ai passé hier la journée à la campagne, chez Mad. Mollien. Je ne suis rentré chez moi qu'à minuit. C’était un peu long.
La reine a dû partir avant hier de Séville, par Cadix et l'océan. Cependant, au dernier moment encore, elle a pu se décider à revenir par la Méditerranée. Elle était mieux, mais toujours très faible. Il me revient de Claremont que le Duc de Nemours partait pour aller au devant d'elle jusqu'à Cadix et la ramener en Angleterre où le Prince de Joinville ne revenait pas encore. Adieu.
Je ferai aujourd’hui votre commission à Duchâtel. J’ai vu Montebello qui veut toujours aller vous voir, mais qui ne sait pas bien encore quel jour. Je repartirai Vendredi soir pour le Val Richer. C'est là qu’a partir de vendredi, je vous prie de m'écrire. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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55 Paris, lundi 1er mai 1854

Hier soir le Duc de Noailles et le duc de Broglie. J’ai trouvé le Duc de Noailles sortant de son lit, avec un gros rhume et une fluxion, mais encore très amusé de son voyage. Il dit qu’il a toujours aimé Bruxelles. Je lui ai répété le plaisir que sa visite vous avait fait. Nous avons longtemps causé. Je ne vous renverrai pas ce qu’il m’a apporté.
Ici, on croit au bombardement d'Odessa. Le Moniteur avait hier matin l’air de le savoir avec certitude, et d'y préparer un peu le public, comme à une brutalité inutile. On attend quelque chose de la Baltique, et malgré le langage beaucoup moins vantard des Anglais, je crois toujours qu’eux aussi s'attendent à quelque grosse tentative de ce côté. Puisqu'à Pétersbourg on traite beaucoup mieux les Français que les Anglais, pourquoi dans vos Pièces officielles, le langage de votre Empereur est-il toujours plus amer et plus désagréable pour la France que pour l'Angleterre ? Encore, dans vos derniers documents à propos de la publication des lettres de Seymour, vous dites : " Au moment où la France faisait tout pour entraîner l’Angleterre dans une action hostile contre nous, il était assez naturel que l'Empereur n'ait pas jugé opportun de mettre le Cabinet des Tuileries de moitié dans ses épanchements intimes avec le gouvernement Britannique. " et dans d'autres pièces ; plusieurs phrases du même genre. Pourquoi votre Empereur s’en prend-il plus à la France et votre public plus à l’Angleterre ? Il faudrait un peu plus de conséquence et d'harmonie dans les sentiments, du moins dans les manifestations.
Je désire de tout mon cœur que tout ce que vous a dit Morny, et tout ce que vous en inférez sur les dispositions pacifiques d’ici, soit vrai. Moins l'expérience m'apprend tous les jours à en croire les faits plus que les paroles, et à ne pas me hâter de croire ce que j’ai envie de croire. La proposition d’un congrès à Berlin est-elle bien certaine ? Je regarde cela comme la concession capitale de votre côté et la meilleure espérance de l'avenir. Si une fois la guerre était suspendue et un congrès ouvert, on ne recommencerait certainement pas la guerre, quelque difficiles que fussent les négociations, et on finirait par aboutir à une transaction. Je sais qu'en Italie les esprits ardents, les mazziniens croient que l’Autriche ne se brouillera décidément pas avec les Puissances occidentales ; et comme cela les désole, il faut qu’ils aient de bonnes raisons pour le croire.
La Reine Marie Amélie a été de nouveau indisposé à Séville ; un rhume qui s'est dissipé assez vite, mais qui l’a laissé très faible. Le Prince de Joinville frappé de cette faiblesse, a insisté pour que le retour se fît par l'Allemagne ; mais la Reine va mieux, et veut revenir par l'Océan. C'est, quant à présent, le parti pris. Elle ne partira qu'après le 15 mai.
Je viens de lire le Protocole du 9 Avril. Je trouve l’union des quatre puissances bien cimentée par là, surtout par l'engagement des Allemands de ne jamais traiter avec vous que selon les principes du Protocole, et en en délibérant avec la France et l'Angleterre. C'est votre complet isolement. Je ne comprends rien à la dépêche télégraphique sur Odessa " Odessa a été bombardée. Aucun dommage. n’a été fait." Adieu, adieu.
Je ne serai un peu tranquille sur votre compte que lorsque je vous saurai quelqu’un pour le 1er Juin, M. de Chériny ou quelque autre. Encore serai-je médiocrement tranquille. Adieu. G.
La réception de Berryer à l'Académie n'aura lieu qu’au mois de décembre ; mais elle précédera alors celle des deux nouveaux académiciens que nous élirons le 18. Mad. de Hatsfeldt va bien.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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39. Bruxelles Mardi 25 avril 1854

Le duc de Noailles me raconte et m'amuse, mais une lettre de Marion m’amuse bien d'avantage. Elle est impayable. Elle a vu tout le monde. L’Empereur deux fois, le soir, le matin. Persigny, Fould, causé avec tous, la tête tonsurée, c'est-à-dire là où elle était, anti russe. Alliance française. Drôle, gaie. Ah que cette fille est charmante ! La comtesse Colloredo passe ici deux jours. Elle me dit qu’on est toujours échauffé à Londres.
32 fils aînés de Paris sont partis pour la guerre. Guerre élégante à la mode. Ils sont exaltés l’orient, les contes de fées. Ils seront bientôt déprimés. On écrit de Paris que Morny se marie. Une Delle de Boutteville légitimiste. Pas possible n’est-ce pas ? Le duc de Noailles a votre appartement. Il déjeune et dîne comme vous, à votre place. Distraction, & chagrin. Il reste jusqu’à vendredi. On m’interrompt. Adieu. Adieu.
Le rappel définitif de Brunsen fait un grand événement. Sacrifié à la Russie.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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38. Bruxelles le 24 avril 1854

Votre opinion est la bonne sur nos pièces. Brunnow en pense de même. Faible, confus. Il est assez en blâme de tout. Je doute qu'il reste ici longtemps d’ailleurs, il n'y a rien à faire. Je ne pense pas que nous soyons mécontents du traité entre l’Autriche et la Prusse. On ne nous attaquera pas du côté de la Pologne. Constantin croit que l’automne amènera forcément la paix. De part et d’autre on verra qu'on ne peut rien se faire. Je ne suis pas aussi optimiste que lui on dit que les Turcs commencent à en vouloir beaucoup à Lord Redcliffe. On fait courir le bruit d’une visite de la reine d'Angleterre à Paris. J’ai peine à y croire.
Andral n’a pas répondu encore et la jeune fille a grande foi dans Ems et désire ardemment qu'il persiste dans sa première ordonnance qui était d'y aller. Il fait très froid depuis l'orage. Hier Brunnow a vu chez moi Barrot, ils ont fait connaissance, mutuellement très polis. Barrot m'a priée encore de vous dire son respect. Adieu. Adieu.
Je trouve notre circulaire sur les troubles en Grèce, assez vive. Qu’en pensez-vous ? Adieu encore. Nous envoyons à Vienne Le gouvernement Greenwald, pas grand chose pour assister aux noces. Voilà le duc de Noailles et votre bonne & longue lettre. Que je n’ai pas lu encore. Ah ! Si c'était vous !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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46 Paris, samedi 22 avril 1854
9 heures

Je viens de lire les deux pièces de votre Empereur. La première la réponse à la déclaration de guerre, est bien faite, modérée, simple, digne et plausible, quoique toujours entachée, à mon avis, du défaut que j’ai toujours trouvé, vous le savez dans le langage de Pétersbourg depuis un an, ne pas avouer assez franchement la politique géographique, naturelle et traditionnelle de la Russie dans ses rapports avec la Turquie. Vous auriez inspiré moins de méfiances si vous aviez accepté hautement votre situation permanente et obligée, et l'on vous aurait su plus de gré de votre modération depuis 1830. La seconde pièce sur les publications Anglaises ne me plaît pas ; elle est embarrassée et évasive sans efficacité ; elle n'affaiblira point l'impression que les rapports de Seymour ont partout produite. En tout, ne vous fâchez pas, c’est la netteté qui manque surtout à votre diplomatie. Elle s'enveloppe de sa modération comme d’un manteau, autant pour se cacher que pour se faire valoir. Parce que vous n'êtes pas, des ambitieux agressifs, vous voulez qu'on vous croie des Saints désintéressés. Et comme vous ne voulez cependant renoncer réellement, ni à votre passé, ni à votre avenir russe, cela jette, dans votre conduite et dans votre langage, des embarras, des obscurités, des inconséquences qui vous rendent suspects, et vous affaiblissent, même quand vous n’avez aucun secret dessein.
Voilà votre N° 36. Vous voyez que mon impression sur les deux pièces. ressemble à la vôtre.
Je passe à la politique privée. La question est de savoir si vous avez plus d'envie de l'appartement de Kiss. que de fierté blessée par son mauvais procédé. Je ne trouve dans votre démarche ni dans votre lettre, rien d'inconvenant pour vous, et contrairement c'est lui qui sera dans l'embarras s’il vous cède tant mieux, s'il ne vous cède pas, vous ne serez pas plus mal avec lui que vous n'êtes, et il sera encore plus dans son tort. Ne me demandez pas ce que je ferais à votre place, vous savez que mes envies sont moins vives que les vôtres et ma susceptibilité plus raide.
Je vous quitte pour recevoir l'évêque d'Orléans qui vient me parler de sa candidature à l'Académie. Il sera élu le 18 mai, ainsi que M. de Sacy. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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33 Bruxelles le 18 avril 1854

Merci de tout ce que vous faites pour moi. Quelle révélation que tout ce que vous me dites sur Marion. Je m'interroge et je vous jure que je ne me trouve d’autre tort que de l’avoir trop aimée, et de l’avoir trouvé trop indis pensable à mon bonheur. Oui égoïste comme cela et sans réflexion, car une fois la parole donnée j'ai cru que ni elle ni sa soeur n’y manqueraient et j’avais arrangé ma vie sur cela et je me suis donc trompée, que de déception dans la vie ! J’ai appris que la lettre pour Andral n’est partie que hier, je serai bien inquiète jusqu'à la réponse. Vous avez été bien exact et bon. Vous ne me tromperez pas vous !
M. Ozeroff notre Ministre à Lisbonne est arrivé se rendant à son poste, et ne sachant comment y aller. On croit que je pourrai l’y aider. Il faut traverser ou l'Angleterre ou la France et on ne communique plus avec l'un ou l’autre. On écrit d’Italie de grands éloges sur la Duchesse de Parme elle montre beaucoup de tête et d’énergie, elle vient de faire un emprunt pour lequel elle a offert la garantie de toute sa fortune privée. Montessin est allé la complimenter de Florence. Pas de nouvelle. Tout le monde dit Cronstadt imprenable. Sweaburg ditto. Si cela est, cette grande expédition navale fera peu de chose, et c’est cependant de ce côté qu’on porte le plus de forces, et qu’on fait le plus de fracas comme tout ceci peut devenir ridicule. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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21 Paris, dimanche 19 mars 1854

Je reçois de bonne heure votre lettre d’hier 18 mais celle d'avant hier 17 n'est pas encore venue. J'espère qu’elle viendra dans la journée.
Hier dîner chez Mad. Mollien. Le Duc et la Duchesse de Dalmatie. Ste Aulaire, Bussierre, Vitet et M. Regnier le précepteur du comte de Paris. Le soir, quelques personnes de plus, le général de la Rue, Salvandy, Langsdorff & Le Maréchal St Arnaud va mieux, et partira décidément dans les premiers jours d'Avril, décidé, dit-on, à mener la campagne, très vivement. Il attend ces jours-ci, Lord Raglan pour se concerter définitivement avec lui. Mais on est toujours, en suspens sur cette question passerez-vous, ou ne passerez-vous pas le Danube ? Le caractère de la guerre dépend de là ; de la guerre de terre. La guerre de mer commencera plutôt. Pas un vaisseau Français n'a encore rejoint l’amiral Napier et l'escadre de l’amiral Parseval n’est pas prête. On dit qu’on s’en étonne un peu en Angleterre.
Mad. de Benckendorff doit être charmée que son mari lui reste à Berlin. C'est en effet un symptôme que vous êtes contents de la Prusse. Tout ce qui nous en revient ici donne à croire que vous y êtes très peu populaires dans le pays, du moins, et qu’une neutralité, bienveillante pour la politique de l'Occident sans s’y associer, est le maximum que vous puissiez espérer. M. de Manteuffel a pris très nettement, à ce qu’il paraît, cette position-là.
Le Duc de Noailles est venu me voir hier. Sa belle-fille va bien. Ce n’est qu’une fièvre scarlatine régulière et douce. Il est rentré dans son travail sur Mad. de Maintenon ; pas bien ardemment. Il me fait l'effet d’un homme fatigué sans avoir marché. Molé cesse ses mardi. Le salon de Mad de Boigne se peuple. On dit que Mad. de Caraman voudrait bien essayer de rester chez elle tous les soirs et d'hériter de vous. Je ne crois pas qu’elle essaie. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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17 Paris, Mardi 14 Mars 1854

Le bruit court ici qu’il se fait en ce moment un dernier effort pour un accommodement, que le comte de Nesselrode, le comte Orloff et le Prince de Metternich se sont entendus, à cet effet, entre eux et avec Berlin, que la mission du Prince de Hohenzollern et du général Groeben sont à ce dessein, qu’il s’agirait de préliminaires de paix dont votre Empereur serait déjà à peu près d'accord, qui seraient officiellement convenus ensuite entre vous et la conférence de Vienne, après quoi vous traiteriez définitivement tête-à-tête avec les Turcs. J’ai peine à croire que cela soit réel, et encore plus que cela aboutisse. On est trop engagé de part et d’autre, et un tel mouvement ne s'arrête pas devant un travail si incertain et si obscur.
Je ne suis pas sorti hier soir. Je suis resté chez ma fille, à jouer au whist et à causer domestiquement. Vous ai-je dit qu'avant hier, dans la matinée, j’ai rencontré Thiers chez Mad. de Rémusat ? Quand je suis entré, il était assis à côté d'elle sur un canapé, avec deux autres visiteurs dans le salon ; il s'est levé en m'offrant sa place. " Non, lui ai je dit, je ne me mettrai sur ce canapé que si vous y restez. - bien volontiers. " Nous nous sommes assis à côté l’un de l'autre, et Mad. de Rémusat est allée se mettre sur un fauteuil. Une heure de conversation animée, et amusante.
Thiers, très partisan de la guerre ; vous croyant très puissants et très redoutables mais mon pas invincibles ; tôt ou tard, il aurait fallu en découdre avec vous ; l'occasion est bonne pour l'alliance, mauvaise pour vous. Inquiet de l’avenir cependant ; parlant bien du Maréchal Vaillant comme ministre de la guerre, homme capable, honnête et homme d’ordre, du reste, très bon enfant et visiblement caressant, non sans un peu d’embarras, en commençant. Mais tout embarras disparaît vite entre gens d’esprit. Cette heure là m'a plu, sans ne rien apprendre, ni rien changer.
On m’a dit positivement que Castelbajac avait été reçu. Je tâcherai de savoir comment. Je remarque que les diplomates ne viennent presque pas chez Molé. J’y suis allé les deux derniers mardi ; Hatzfeld lui-même n’y était pas. J’ai rencontré Hübner samedi sur l'escalier des Rothschild. Il descendait je montais. Nous nous sommes arrêtés deux minutes à causer, pour rien. Il n’a paru plutôt pas content. Adieu, Adieu. Je dîne aujourd’hui chez Madame de Caraman. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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14 Paris, samedi 11 mars 1854

Je vais ce matin de bonne heure à l'Académie, et j’ai encore à corriger les dernières épreuves de mon Cromwell, qui paraît mercredi. De là le petit papier.
Je voudrais bien croire aux moindres chances de paix ; mais au point où l’on en est venu, cela me paraît impossible. Pour les uns ou pour les autres, ce serait trop ridicule. Et une trop grande reculade. Pourtant Kisseleff et Brunow en permanence à Bruxelles, cela signifie quelque chose. Je souhaite au Roi Léopold tout le succès possible, car je ne doute pas de son bon travail.
L’article du Journal de St Pétersbourg (2 mars) est curieux et bien rédigé. Mais pourquoi se plaindre “ qu’on cède, à l'opinion presque traditionnelle qu’on s'est faite de la politique russe en Orient ? " Pourquoi avoir l’air de nier la politique traditionnelle, de la Russie en Orient au lieu de la justifier en l'expliquant, et en la limitant ? On obtiendrait, par ce second procédé, beaucoup plus de créance que par le premier.
Voilà décidément le Maréchal St Arnaud général en chef. On dit qu’il part la semaine prochaine.
Hier soir chez Mad. de Staël, les Broglie, Rumpff Viel-Castel. On parlait surtout de l'emprunt. Le voilà, ce matin au Moniteur. Il sera promptement couvert. Le mode de souscription nationale est le seul qu’on ait pu trouver pour avoir à la fois le concours de Rothschild et du crédit mobilier, c’est à-dire Fould et Pereyre. Ils souscriront chacun de son côté, sans rien faire en commun. Les receveurs généraux et le public prendront leurs restes. Adieu, adieu.
Je vais déjeuner et je pars aussitôt après. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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1 Bruxelles Vendredi 24 février 1854

Ah que j'ai de tristesse dans l'âme. Quel triste voyage ! Et quelle fatigue. Je ne suis arrivée qu’à 10 1/2 Chreptovitch était à la gare pour me recevoir. Je n'ai encore vu que lui. Je vous écris de bonne heure.
J’ai eu une lettre de Berlin. On a à peu près chassé Seymour sans vouloir le voir. Son collègue Castelbajac a été comblé et après avoir ici son audience, c’est l'Empereur lui même qui lui a remis ses passeports & lui a dit ensuite. Puisque vous n'êtes plus le représentant de la France, laissez-moi vous remercier de la conduite noble & chevaleresque que vous avez su tenir dans cette triste affaire. Il lui a remis lui- même alors les insignes de l'ordre de St Alexandre accompagnés d'un écrit de sa propre main. En disant adieu, le général a fondu en larmes.
Ecrivez-moi beaucoup. Chreptovitch dit qu'un on ne sait rien, absolument rien. Il ne fait pas froid & je suis assez bien logée. Adieu, donc & encore. Adieu, quel malheur de vous avoir quitté, d’avoir quitté tout !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 13 Nov. 1853

Je crois que nous ne comprendrons guère mieux la guerre que la négociation. Je ne parviens pas à démêler qui, des Russes ou des Turcs est resté vainqueur à Oltenita. Vienne dit les Turcs, Berlin dit les Russes. Je crois que ce sont les Turcs. C’est dommage que le Prince Gortschakoff, qui est venu, dit-on, complimenter ses troupes sur leur bravoure, n'en eût pas placé là un assez grand nombre pour que la bravoure fût sûre du succès.
Je suis obstinément pour la paix, comme Lord Aberdeen, et je persiste à croire que c’est à la paix qu’il faut travailler, et qu’on doit réussir à la rétablir. Mais si nous devons être jetés dans la guerre, et dans la grande guerre, je suis pour que les Turcs soient chassés d’Europe. Au moins faut-il que nous avons ce profit en perspective au bout de ce chaos.
Duchâtel m’écrit dans un grand accès d'indignation contre la façon dont " cette misérable affaire a été conduite ; il n’y a pas deux jugements à rendre." Il est du reste plus préoccupé du dedans que du dehors : " L’hiver, dit-il, sera difficile à passer ; il n’arrive que peu de grains étrangers ; le commerce prétend manquer de la sécurité nécessaire. Les denrées autres que le blé, ont manqué comme le blé et même quelques unes dans une plus forte proportion. Le vin est arrivé à un prix que l'ouvrier ne peut pas payer. Il y a un sujet grave d’inquiétude. Les dispositions du peuple, même dans nos campagnes ordinairement si tranquilles, prennent un caractère menaçant ; le socialisme chemine sous terre sans qu’on s'en aperçoive. Il ne suffit pas, pour le détruire, de la comprimer d’une main en l'encourageant de l'autre ; la force est nécessaire contre les idées mauvaises, mais à elle seule, elle est insuffisante ; il y faut le concours énergique des idées vraies, fortement soutenues. "
Il a raison. Il ne reviendra à Paris qu'à la fin de l’année.
Je ne trouve rien à redire à votre manifeste. Il ne dit que l'indispensable, y compris, la phrase sur la foi orthodoxe. Les catholiques ardents ne peuvent pas vous pardonner ce mot orthodoxe. C'est pour cette raison qu’ils aiment mieux les Turcs qui n’ont pas la prétention de l'orthodoxie. Il me semble que la circulaire de M. de Nesselrode en dit plus que le manifeste, et qu’elle laisse entrevoir la chance d’une guerre offensive de votre part, bien au delà du Danube. En général, les commentaires par circulaires ne vous ont pas réussi.

Onze heures
Je reçois à la fois plusieurs lettres. La situation me paraît grossir et gronder. Que c’est absurde ! Mais ce n'en est que plus grave. Adieu, adieu.
Voici la dernière lettre à laquelle vous répondrez. Je vous écrirai encore deux mots mardi. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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88. Paris samedi le 12 Novembre 1853

Notre manifeste déplait ici. La critique du Moniteur est cependant assez mesurée, et entre nous il dit vrai sur l’af faire. Cette pièce est adressée au peuple russe plutôt qu'à l'Europe. Sans avoir trop menti nous prenons l'Empire pour de bons amis. Je suis curieuse de voir ce qu'on en dira en Angleterre. Je suis bien aise qu'on fasse mention des révolutionnaires.
Hier on débitait ici des nouvelles très favorables à nos armes. Je ne sais ce qu'il y a de vrai ou de faux. Constantin m'écrit sans cesse de patienter. Nous voulons que les Turcs s’avancent en nombre suffisant pour les écraser en masse. C’est fort bien, mais faut-il pour cela se laisser battre en détail ? Hier on parlait beaucoup fusion ; la visite des princes d’Orléans avait eu lieu ou allait avoir lieu à Frohsdorf. Fould même m’en a parlé comme d’un “on dit”. C’est une petite diversion à l’Orient.
Les Anglais à Paris traitent notre manifeste de bare faced lie, et disent qu'il aura pour conséquence la chute de Lord Aberdeen.
On parle de Victoire remportée sur les Turcs, je ne croire que quand je serai mieux renseigné. Adieu. Adieu. 1 heure.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, mardi 18 Oct. 1853

Je m'assois pour vous écrire et on m’apporte votre lettre d’hier. Celle de M. de Meyendorff est très rassurante. Il faut être deux pour faire la guerre. Le seul embarras, c’est qu’il y a trop de gens pour faire la paix. Ils ont bien de la peine à s'entendre. Ils en viendront à bout pourtant. Mais évidemment vous occuperez les principautés tout l'hiver.
Il n’y a personne ici que les maîtres de la maison. Barante, et Mad. Anisson sont partis avant hier. C’est bien un des lieux les plus tranquilles qu’on puisse imaginer. Beau et froid. On n’y sait point de nouvelles, quoiqu'on les aime. On se promène et on cause beaucoup. Bonne conversation, très sensée. Je trouve la princesse de Broglie changée, maigre et pâle. Ma fille croit qu’elle est grosse. Elle a déjà quatre fils.
J'écrirai demain à M. Monod ; mais sa lettre me fait, comme à vous l'impression qu’il n’a, quant à présent, point de pensionnaires, et je suis tout-à-fait de votre avis, il faut des camarades. M. Meyer, dont il parle est un excellent homme, pasteur luthérien, collègue de M. Morny. Je sais qu’il a en effet plusieurs fils jeunes peut-être à défaut de M. Monod cela conviendrait-il ?
Il est très bon que le Roi Léopold aille en Angleterre. La Reine Marie Amélie s’est arrêtée à Genève assez malade d’un rhume violent. En arrivant, elle avait fait dire à Mad. de Staël, qui est à Coppet de venir la voir, et quand Mad. de Staël est venue, elle n’a pas pu la recevoir. Elle restera à Genève jusqu'à ce que son rhume soit tout-à-fait passé. On n’avait cependant point d'inquiétude sur son compte.
Je suis bien aise que vous ayez retrouvé Dumon, et que du monde vous arrive. Je crois que vous en aurez beaucoup cet hiver. On sera agité sans vrai malheur, ni même vraie inquiétude. On court alors, on voyage.
Je trouve excessif que Kisseleff et Hübner ne soient pas invités à Compiègne. Il n’y a pas de raison pour cela. C'est trop d'empressement à couper l'Europe en deux, sans compter qu’on ne la coupe pas réellement en deux. Tant qu'Aberdeen sera au pouvoir, il ménagera l’Autriche, et la Prusse fera toujours plus que vous ménager. Adieu.
J’irai samedi prochain 22 au Val Richer dire adieu à ma fille Pauline qui part le lundi 24 pour Hières, je reviendrai ici Mardi 25 pour toute la semaine prochaine. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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69 Paris le 5 octobre 1853

Nous voici au plus mal. Le Divan a décidé la guerre. la proclamation Le 26 7bre sa paraître, et les flottes seront entrées. Greville qui me mande cela ajoute que cela met à néant toutes les négociations.
La note autrichienne d'Olmentz était très acceptable. On en jugeait ainsi ici. Mais on se croyait sûr que l'Angleterre n'en voudrait pas, dès lors on ne se prononçait pas. Car le parti est pris de faire & dire comme l'Angleterre. Vous voyez les meetings et le ton. C’est devenu général. J’ai vu Morny, très bien toujours et parlant très bien de la dispo sition toujours pacifique de son Empereur. Je n’y crois plus beaucoup, il est dominé par l'Angleterre et ne fera que cette volonté !
Fould qui est venu hier est noir. Il se plaint de toute nos mauvais procédés, et [?] trouver qu’il n’y a plus de quoi nous ménager. Ainsi l'Emp. Nicolas a invité les officiers Français à venir à Varsovie. Je pense que c’est une politesse, on y a répondu par la défense de s’y rendre. Ceci me paraît un bien mauvais symptôme. Les ministres anglais vont délibérer toute la semaine, Lansdowne est parti d'ici détestable. J’imagine que Lord Aberdeen tombera, qu'on rassemblera le Parlement et qu'on nous déclarera la guerre. Tout cela peut être fait d'ici à 3 semaines au plus tard.
Si les Turcs nous attaquent et nous battent vous concevez que nous sommes obligés de prendre une revanche éclatante. Si nous les battons nous en serons plus exigeants. Ainsi là cela doit aller mal. Le conflit est possible malgré la saison & le désavantageux pour les attaquants. Mais on ne peut plus retenir les troupes asiatiques. Elles servent gratuitement, pas un soldat ne veut être payé, et le gouvernement turc ne paye plus un seul employé civil. Tout est consacré à la guerre sainte. Ils sont plus forts numériquement que nous. J’ai la tête abîmée de tout ce que j’entends, et de tout ce que je prévois.
Je suis toujours bien aise que vous ayez écrit à Aberdeen. Mais je crois le mal sans remède. L'Angleterre veut la guerre elle a fait son calcul, & elle y trouvera son profit en définitive. Je n'y vois pas le vôtre. Car la révolution vous dévorera comme elle va dévorer les voisins. Quelle fête pour tous les artisans de troubles, & que les sages de la terre sont fous ! Que d’injustices, que de fautes ! Et moi donc que vais je devenir ? Adieu. Adieu.
P.S. Le grand conseil ayant décidé la guerre abandonne aux ministres Turcs le moment & le mode de la proclamer. Ceci pourrait donner quelque répit. On tiendra un grand Cabinet conseil à Londres après demain vendredi et la reine revient le 18 seulement.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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67. Paris Samedi le 1er octobre 1853

Quel malheur que vous ne soyez pas pour un moment à Londres, ou pour deux mois à Paris. Aberdeen me paraît faire fausse route tout-à-fait. Il court à la guerre & tout de suite. Je m'étonne que vous n'ayez pas lu notre seconde dépêche même date que la première 7 sept. Intitulée examen des modifications turques, et qui donnait notre interprétation de la note de Vienne. On a trouvé à Londres & ici que cet examen ramenait la question à la proposition Menchikoff, et dès lors on a pris fin. Tout le monde même impartial ici on a porté le même jugement. C'était dans tous les journaux. C’est sur cela qu’est venu la recrudescence & l'impossibilité de s’entendre.
Le Cabinet Anglais est convoqué pour après demain le 3. On fait revenir la reine le 5. Ce sera pour la déclaration de guerre ou la convocation du Parlement. Les meetings vous se succéder. Tout le monde est à la guerre en Angleterre. Le mot d’ordre est que la Russie a voulu duper les Anglais. Lord Lansdowne tient le même langage. Il a vu hier l’Empereur, & part demain. Il était ici hier soir, monté contre nous, tout le monde est fou. Le ministère anglais est très uni, il n’est pas question de changement. Constantin m'écrit d'Olmentz grande intimité. Les trois cours dans la plus grande entente. Mon [Empereur] très poli pour les off. français. Il les a invités à Varsovie.
C’est dans le journal des Débats du 24 sept. que vous trouverez la pièce diplomatique qui fait aujourd’hui l'objet de la querelle. Benoist Fould est devenu subitement fou. On dit qu’Achille Fould va quitter le ministère pour prendre la direction de la maison. C'est à la bourse que se débite cette dernière nouvelle. La première (la folie) est positive. On parle d'envoyer 30 m. hommes occuper Constantinople comme on occupe Rome. Croyez- vous cela ? On ajoute que dans ce cas l'Angleterre irait occuper Alexandrie et le faire ! Strange times. Adieu. Adieu.
J’avais hier soir Molé, Lansdowne, Montebello, Kisseleff, d'autres diplomates. Mon salon se reforme. Il faudra quitter tout cela s'il y a guerre. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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66. Paris jeudi 29 septembre 1853

Marion est malade, & moi trop fatiguée pour copier Greville. Voici le résumé grande agitation, impuissance de découvrir un nouveau moyen de négociation. Nous avons tout gâté par notre seconde dépêche explicative qui veut dire que nous entendons la note de Vienne dans le sens de l’Ultimatum Menchikoff. Il ne fallait pas dire, il fallait ne rien dire. Mais enfin c’est fait & on ne sait plus à quel Saint se vouer. Il paraît donc qu'il ne reste que la guerre. cependant la saison fait obstacle aux coups. Mais encore une fois comment renouer ? Voulez-vous bien le dire. Vous vous ferez difficilement une idée de la consternation de Hubner, Hatzfeld & &. Ils nous envoient à tous les D. C’est naturel. Mais nous n'y allons pas. Constantin me mande du 24 que l’Empereur est de très bonne humeur. J’ai vu hier chez moi le soir Molé, Berryer, Brougham, & Fould. Celui-ci très gai. Je n’ai pas pu causer avec lui. Il a dit à Marion que cela s’arrangerait comment ?
L’Empereur revient aujourd’hui. Lansdowne qu'on avait convoqué pour un Cabinet conseil reste pour faire sa cour. Le voyage n’a pas été favorisé par le temps. La reine Amélie renonce à tout. La tempête l’a rejetée à Plymouth, elle est revenue à Clarmont malade. On dit que la Pcesse de Joinville l’est très sérieusement depuis longtemps & qu’elle mourra si elle ne retrouve par le soleil. Le duc de Noailles est venu aussi hier. Il a longuement. vu Fould l’autre jour que lui avait tenu le même langage qu'à moi. Belliqueux & révo lutionnaire par nécessité, parce qu’il ne voyait pas d’autre ressource. Olmentz a dû finir avant hier. Bual y a été mandé. Voilà Hubner plus tranquille au moins sur ce point. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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63 Paris le 23 septembre 1853

Le fils de M. de Meyendorff m’a apporté de lui une longue lettre, pas gaie. 2 pages d'invectives contre Lord Radcliffe. Double langage, double jeu. J’ai envoyé copie de cela à Lord Aberdeen. Ce n’est que le 10 octobre qu'on attend à Vienne les résolutions de la porte à la suite de notre refus.
J’ai vu Fould ; mécontent d'Aberdeen. Ne comptant que Palmerston & Malmberg comme aussi de l’Emp. Napoléon disant que l’opinion toute entière de l'Angleterre demande la retraite d'Aberdeen. Il a l’air d'y croire. Il est toujours question d'un mouillage en dehors des Dardanelles. Le discours à Satory avait subi quelque avarice en le prononçant, défaut de mémoire ou je ne sais quoi. Le Moniteur a suppléé. On est bien mécontent ici de nos observations sur les modifications de la porte, et on le dit aux gros et aux petits. Cette pièce était juste à la dépêche à Meyendorff. Celle-ci est bien pauvrement donnée dans les journaux. Je vous répète qu’elle est très bien faite, très bien écrite. K. a eu bien tort de ne pas donner le texte.
J’ai vu le duc de Noailles avant hier soir, & hier Barante. Sébach est revenu de Torquay. La G. D. Marie folle de l'Angleterre et ne voulant pas en bouger. Torquay plus beau que Naples mécontente de la cour mais se moquant de cela. Brunnow bien noir et croyant à la guerre, à la grande. Voilà mes nouvelles. Passons aux petites affaires. Hélène est bien touchée de vous voir vous occuper d’elle. Elle prendra à genoux le [...]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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61 Paris lundi 19 septembre 1849

La dépêche à M. de Meyendorff par laquelle nous annonçons notre refus aux modifications de la porte est excellentissime. J’espère que cette pièce paraîtra vous en serez content. Elle est une réplique possible. Et très bien faite. Hubner a vu hier l’Empereur, extrêmement pacifique. Hubner lui même conserve des inquiétudes et ne veut pas croire qu'on n’entre pas dans les Dardanelles. J’ai vu Hatzfeld aussi hier, & puis c’est tout. Trois heures de bon air dans le parc de St Cloud et à Meudon. J’étais très lasse hier soir, & je me suis couchée de très bonne heure. J’ai manqué. quelques personnes insignifiantes. Je n’ai vraiment pas une nouvelle à vous dire. Drouin de Lhuys était attendu hier par l’Empereur qui l’avait envoyé chercher. Il a passé ces huit jours à sa terre près de Blois. Je crois que mes fils arrivent aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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60  Paris le 16 septembre 1853

Grand vide & regret, & reconnaissance. J’ai vu hier les Hatzfeld, Kisseleff, Hubner, Molé. Celui-ci désespéré d’avoir ignoré votre séjour à Paris, il aurait pu vous voir encore hier matin. Son oeil va mieux, il est plein d'espérance.
Kisseleff avec un courrier hier soir. Nous refusons simplement parce que nous n’avons pas affaire à Constantinople. Nous maintenons l’acceptation de la première note de Vienne. Vienne n’a qu’à négocier sur cela avec la Turquie. Cela regarde la conférence & pas nous. Il n’y a donc de notre fait aucun empêchement à ce que cela s’aplanisse encore. Je doute que les Turcs s’y prêtent. J'ai fait visite tout à l'heure à la princesse Mathilde à Breteuil. Elle m’a dit d'excellentes choses sur le ménage impérial. Le bonheur conjugal le plus serein, le plus charmant ; l’Impératrice très douce, très bonne, dévouée, mais une pauvre santé.
La Reine Christine est d'une platitude sans pareille à cela près qui fait rire, on lui trouve beaucoup d’esprit. Pas d’apparence qu’on épouse une de ses filles. Elle a passé 9 jours à Londres, où elle n'a vu ni l’une ni l’autre reine. Après le voyage du nord la cour passera à Compiègne la première quinzaine d'octobre la seconde à Fontainebleau & le 1er Novembre elle s’établit à Paris.
Samedi 1. J’ai eu un mot de Constantin de Berlin, c’est le Cte Nesselrode qui a insisté sur le refus et qui l’a importé. Cela vous prouve bien que la volonté impériale est à la paix. Molé est venu hier soir encore & San Giacomo. On disait au club que les flottes entreraient et iraient même à Constantinople pour rendre au sultan sa liberté d’action & de volonté qu’il n’a pas dans ce moment, & qu’il signerait de suite la note de Vienne. Voilà le tout qu'on donnerait à la promenade. C’est possible.
Je ne crois pas que j'aie rien à ajouter jusqu'au départ de la porte. Adieu donc. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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47 Schlangenbad le 15 août 1853

Constantin est arrivé hier ici très inopinément. Il y passera quelques jours. Je n'ai rien décidé encore pour mon départ, mais il est très probable que je serai à Paris avant la fin du mois. J’ai lu la pièce acceptée par mon gouvernement et sans doute aussi par la Turquie & qui termine cette maudite affaire. Il me semble que c’est même plus explicite et plus obligatoire que ce que nous demandions. Les Anglais et Français ont confectionné cette pièce et c'est Lord Radcliffe qui dans ce temps avait conseillé la résistance ! Le roi de Wurtemberg est parti ce matin. Il a passé hier la soirée chez moi. Très aimable ; je regrette qu’il n’y soit plus.
Voici votre lettre du 12. Et Votre explication de notre conduite. Je l'enverrai à [Meyendorff]. Elle est curieuse et juste. Je ne lui enverrai pas l'autre page qui traite du Prince de Joinville. Elle n’est pas digne de vous. Il n’a aucun mérite à sa dénonciation. Les plus simples lois d'honneur et d’humanité lui en faisaient un devoir.
Je crois sans en être bien sure que je quitterai ceci le 23. Si je ne fais pas de halte ou de détour je serai à Paris le 26 ou 27. Vous serez informé et dans ce cas vous me donneriez bien autant de jours qu'à l'Académie ? Lady Jersey est arrivée à Wisbade et me demande un rendez-vous. Cela m'ennuie. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
Cette lettre ne figure pas dans les dossiers de la correspondance Guizot-Lieven. On passe du n°45 au 47. Mais Dorothée fait bien référence à une lettre du 12 août 1853, dans sa lettre 47 de Schlangenbad, du 15 août 1853.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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45 Schlangenbad le 11 août 1853

Mon fils Alexandre est arrivé hier, il est vieux de Paris. Je suis plus franchement informée par Meyendorff, mais il me rapporte l'impression des Russes de France, qu’après tout nous avons fort avancé nos affaires, quoique au prix de notre bonne réputation. Celle-là restera fort endommagée. Hier la porte a totalement manqué à Schlangenbad. C’est odieux, ni lettres, ni journaux. Constantinople n’est plus pour moi que question de curiosité.
Les Princes du voisinage se croient obligés quand ils viennent faire la cour au roi de Wurtemberg et à la Princesse Charles de Prusse de se présenter chez moi aussi. C’est ainsi que j’ai vu l’autre jour le Prince régnant de Waldek, beau garçon de 22 ans, timide, embarras sé, labourant le Français avec une peine infinie, à la torture pour trouver un mot. Une scène de comédie ; son premier. ministre était avec lui. important, empesé, grotesque J'ai bien ri après. Marion me fait une collection de portraits des personnes qui viennent chez moi. Elle a un talent rare. Elle se souvient le lendemain matin des visages de la veille, des ressemblances frappantes. Mon fils trouve ceci charmant et ne demande pas mieux que de prolonger notre séjour. Je me laisse aller sans arrêter de place. Le froid diminue voilà tout ce que je puis dire du temps. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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44 Schlangenbad le 9 août 1853

Ma cour a consenti à l’Ultima tum que l’Autriche adresse à la Porte. Voilà une bonne affaire, très bonne pour Aberdeen. Il faut maintenant que la Porte accepte. Si elle le fait nous recevons son ambassadeur. Meyendorff qui me mande cela espère que la France & l'[Angleterre] soutiendront leur oeuvre et retireront tout appui à la Turquie si elle refuse cette dernière planche de salut. Comme démonstration de cette menace il faudrait rappeler les flottes et nous évacuerons les principautés ; il est en bonne espérance et content de lui même car ceci est son œuvre.
Pardonnez moi, mais votre critique des manoeuvres de notre flotte de la Baltique aussi bien que du camps de Chobane est singulière. Mais de tous temps on exerce des troupes. Et depuis que nous avons un vaisseau il fait des promenades. dans la saison d’été pour exercer les matelots à la manœuvre. Est-ce que vous n'envoyez pas les vôtres à droite et à gauche en été pour la même raison ? Nous restons dans notre coin la Baltique ; dans d’autres années ils viennent dans la mer du nord, voilà la différence pour cette année. Et les régimes Anglais ? Mais c’est un camps d’exercices comme Satory, comme St Omer, comme Krasno Selo où mon empereur. fait manoeuvrer tous les ans 100 m hommes. Le chiffre n’y fait rien.
Voilà qui est trop long pour la question militaire. Mon fils n’est pas arrivé encore, ce qui me surprend. Il y a depuis quelques jours un vent glacial, abominable. Mon rhume est plus fort que jamais. La duchesse de Nassau est venue me voir ; bien gentille et bonne. Mes impolitesses sont acceptées, je ne rends visite à personne. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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45 Val Richer, Mardi 9 Août 1853
3 heures
Il se peut fort bien que votre Empereur ait eu raison de penser à la Russie plus qu’à l'Europe. Je ne suis pas juge du cas particulier ; mais en thèse générale, on a toujours raison de se préoccuper du dedans plus que du dehors. Le pauvre roi Louis-Philippe se préoccupait infiniment du dedans ; à ce point qu’il en désespérait. Il a certainement en grand tort de faiblir le 22 février, et cette faiblesse a été la cause prochaine de sa chute ; mais il a été de tous, le moins surpris de ce qui lui est arrivé, tant, il en connaissait les causes générales et lointaines, et les regardait comme irrésistibles. Deux dispositions parfaitement contradictoires s'alliaient en lui ; dans l’ensemble, il était sans espérance, sans confiance, convaincu qu’il ne réussirait pas à fonder sa monarchie, que la France était vouée à l’anarchie et à la révolution dans chaque occasion particulière, quand le jour du péril venait, il était imprévoyant et sanguin, convaincu qu’avec un peu d'adresse, de souplesse et de patience. Il reviendrait sur l'eau et se relèverait après avoir plié, les deux dispositions ont également contribué à le perdre ; il a vu à la fois trop en noir et trop en beau ; il a trop désespèré du présent et trop espéré de l'avenir. On pouvait très bien résister en Février 1848, il ne l’a pas cru. Il a cru qu’il reviendrait du renvoi de son cabinet et même de son abdication ; et cela ne se pouvait pas. Il avait cela, et seulement cela, de commun avec Louis XI qu'il faisait beaucoup de fautes, et qu’il excellait. à s'en tirer, et qu’il espérait toujours avoir le temps de s’en tirer. Le temps lui a manqué pour se tirer de la dernière. Le chagrin a été pour plus de moitié dans sa mort. Le désespoir de votre N°43 est mal tombé, ce matin, après les quatre lignes du Moniteur d'hier. Vous aurez certainement eu directement l’avis de l'adhésion de votre Empereur à la proposition combinée à Vienne ? Je tiens pour impossible que le sultan n’y adhère pas aussi. Je suis donc de l’avis du Moniteur, et de la Bourse Je regarde l'affaire comme finie. Vous vous serez beaucoup tourmentée en pure perte. A part l’intérêt Européen, je suis charmé que vous voyez un terme de vos inquiétudes.

Mercredi 10 9 heures
Il me revient que Kisseleff est très content, et qu'on est très content de lui à Paris. Son attitude. et son langage, pendant toute cette crise, ont été très fermes et très tranquilles. C'est Morny qui a renversé M. de Maupas, et fait supprimer le ministre de la police. Il s'est allié pour cela avec Persigny. L'Empereur Napoléon est content de Drouyn de Lhuys et du mélange de pacifique et de guerrier qu’il a mis dans ses conversations et dans ses pièces. Bon pour tous les en cas. M. d’Hautpoul a obtenu la permission de recommencer à se promener, en mer avec son yacht de Trouville.
Mad. la Duchesse d'Orléans confie M. le comte de Paris à Paul de Ségur pour aller faire un tour en Irlande. Adieu, adieu. J'espère que demain le facteur m’apportera votre tranquillité au lieu de votre désespoir.
Par grand hasard, j’ai reçu hier une lettre de Massi ; on me dit : " La paix jusqu'ici n’est pas troublée par l'occupation ; les troupes russes observent la plus exacte discipline et payent tout ce qu'elles consomment.” Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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44 Schlangenbad le 7 août 1853

J'ai oublié de vous dire que j’ai donné à lire au roi de Wurtemberg trois de vos lettres qui traitent de la question d’Orient c.a.d. de nos circulaires. Il en a été ravi, il me les a renvoyées avec un billet que je vous montrerai. A propos ses plus intimes ici nient qu'ils aient jamais vu la face de Klingworth (belle face) Il vient ici sans cesse chez le roi.
2 heures. Le roi vient de recevoir une dépêche télégraphique en annonçant qu’à Pétersbourg le projet d'ultimatum à la Turquie a été agréé ; je ne pouvais en douter puisque cela s’est fait sous les yeux de Meyendorff. Reste à voir ce que dira Constantinople. Ce n’est plus aussi grave. Si les Turcs acceptent, l’affaire est terminée. S'ils refusent, ils n’auront plus l’appui des protecteurs qu'ils s’en tirent tout seuls. L’une on l’autre alternative est donc bonne pour nous.
Je suppose que cet ultimatum ne touche que l’affaire principale, la proposition Menchikoff. Les principautés seront une affaire séparée et secondaire ; mais je suis portée à croire que nous les évacuerons du moment que la Turquie se soumet à la note de Vienne.
Si la nouvelle que vient de me donner le roi est vraie et elle doit l’être, je vais me reposer de toutes mes agitations. J’attends aujourd’hui. mon fils Alexandre. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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42 Val Richer, Jeudi 4 Août 1853

J’ai devant moi le plus épais brouillard que j'ai vu depuis longtemps dans un pays où j'en vois beaucoup ; mais c’est un brouillard blanc du matin que le soleil élève et dissipe en une heure, et qui présage une belle journée. Nous en retrouvons quelques unes, mais sans suite et sans sécurité mêlées de mal et précaires, comme tous les biens de la vie.
Je ne suis pas inquiet comme vous ; je suis pourtant moins tranquille que je ne l’ai été jusqu'ici. La question primitive et turque me paraît arrangée ; vous demandez moins que vous ne vouliez d'abord ; la Porte dira ce que vous voulez ; vous lui répondrez comme elle vous le demande ; il n’y a là plus d’embarras. Mais il y en a maintenant entre l'Europe et vous ; un gros et un petit. Le gros tient à la position isolée que vous travaillez à reprendre envers la Porte ; le petit a été créé par les circulaires de M. de Nesselrode. Une question de vieille politique et une question d’amour propre récent. J'espère bien, ou plutôt je compte que ni l’une, ni l’autre n’amènera la guerre ; mais je ne vois pas encore comment on les arrangera l’une et l'autre, à la quasi satisfaction des partis intéressés, condition nécessaire de tout arrangement. Il faudra bien qu’on en vienne à bout. Quand ce sera fait, je me donnerai le plaisir de vous dire ce que, depuis longtemps, j’ai à vous dire, et je ne vous dis pas.
Je vois que vous aussi vous faites parader vos flottes dans la Baltique comme dans la mer noire. Est-ce bien utile et de bien bon goût ? Cela me fait un peu le même effet que le camp de Chobham en Angleterre, un joujou rare et fragile dont on s'amuse. En général, il ne faut pas se mettre beaucoup en avant par le côté où l’on n'est pas le premier. Il paraît que notre ami Aberdeen a couru un véritable danger. Les cabs font bien du bruit à Londres. Je ne leur aurais jamais pardonné s'ils lui avaient fait vraiment mal, car je l’aime toujours beaucoup malgré son silence que je comprends. Plus on aurait envie de causer à coeur ouvert, moins on parle quand on ne le peut pas.
Avez-vous fait quelque attention, dans le Galignani, aux articles tirés d’un nouveau journal Anglais, the Press, qui me paraît se consacrer à la cause de l'Aristocratie territoriale, intelligente et libérale, de l'Angleterre ? Je viens d'en lire un, sur l’Angleterre, la Russie et les Etats-Unis, qui est très spirituel et très politique. Je voudrais bien que cette cause-là, qui est la bonne, fût bien défendue ; elle l'est bien faiblement depuis longtemps.
Je vous quitte pour faire ma toilette. Je pars ce matin à 10 heures, pour une course de campagne qui me prendra la journée. Je fais plus de ces courses-là que je ne voudrais. Mon gendre Conrad cherche à acheter une petite terre dans ce pays-ci, et il me demande d'aller voir tout ce qu’on lui propose. J’espère que ce sera bientôt fini. Pauline est encore un peu souffrante, plus de fièvre, mais une névralgie douloureuse, et qui l'abat.

10 heures
Adieu, adieu. Je pars sans que mon facteur soit arrivé, ce qui est toujours un grand ennui. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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41 Val Richer, Mardi 2 Août 1853

J’ai beau faire ; je ne puis partager vos inquiétudes ; ce serait trop fou et trop faux, et trop contraire à tout le passé. Je comprends qu’on soit impatient à Londres, et qu’on vous l'écrive vivement. J’attends la confirmation des nouvelles du [?]. Il me paraît que tout le monde est réservé avec vous, la Reine des Pays-Bas et le Général Changarnier. J’ai toujours entendu dire que la Reine des Pays Bas était charmante. Je vois qu’elle sait l'être de plus d’une façon, discrète ou expansive, en parlant ou en écoutant. Encore une connaissance, et un plaisir que je vous envie. Il faudrait, en traversant la vie, voir au moins une fois toutes les personnes rares qui la traversent en même temps.
Lisez-vous l'Assemblée nationale ? Outre que sa politique est fort sensée ses lettres parisiennes continuent à être quelquefois drôles. Le Général Gortschakoff y a remplacé le Prince Mentchikoff. C'est bien rare qu’il y ait quelque chose de drôle dans les journaux, le défaut de liberté tue la comédie aussi bien que la tragédie. Je ne puis faire dire à mon petit ami d’aller vous voir ; il n’est pas sur le Rhin, et je ne sais s’il ira cette année. S'il y va, ce ne sera que tard, d'après ce qu’il m’a dit ; vous aurez probablement quitté Schlangenbad. Avez- vous fixé le moment de votre départ, et irez-vous passer quelque temps à Bade, comme vous en aviez le projet ? Décidément, nous n'aurons point d'été ; la pluie, et le froid continuent ; ma fille Pauline, qui était allée prendre quelques bains de mer à Trouville, y a été prise d’une fièvre intermittente qui l’a beaucoup fatiguée ; elle est revenue ici ; la fièvre a été coupée promptement, et ma fille va bien ; mais beaucoup de gens se ressentent de cette mauvaise saison. Les inquiétudes sur la récolte recommencent.

10 heures
Voilà votre N°39 de bonne heure, au contraire de vous à qui la poste arrive tard, ou par du tout. Nous verrons ces jours-ci ce que deviendront vos doutes sur la paix. Je rabâche et je persiste. Il est vrai qu'Aberdeen a peut-être un peu trop étalé la paix ; non pas qu’il en ait trop dit sur ce qu’il la voulait ; mais il n’a peut-être pas assez dit qu’il fallait qu’on la voulût aussi de l'autre côté. On n'a de force complète, que lorsqu’on se montre très décidé dans ce qu’on veut et prêt à ce qu’on ne voudrait pas. Mais je reviens à ce que je vous disais l’autre jour, Aberdeen ne serait pas le Ministre de la guerre. Ce serait Palmerston avec toutes ses conséquences. Adieu, Adieu. G.
Mes amitiés à Marion. Il me semble que je ne lui en ai fait aucune depuis votre départ. Je l’aime pourtant beaucoup.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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39 Val Richer, Vendredi 29 Juillet 1853

On m'écrit qu’il y a une véritable intrigue contre Aberdeen, que M. Layard en est l’instrument, et que si votre Empereur ne fait pas ou fait trop attendre l’arrangement pacifique, Aberdeen sera renversé, Palmerston premier ministre, et l'alliance, de guerre conclue entre Paris et Londres. Je ne crois pas au succès de l’intrigue, mais je crois assez à sa réalité. Palmerston doit se considérer comme l'encas de la guerre et prenant ses mesures en conséquences. Aberdeen vient de se prononcer encore bien hautement pour la politique de la paix. Si par votre faute, il ne réussissait pas à la faire prévaloir, il ne pourrait guère et probablement il ne voudrait pas se charger de pratiquer la politique contraire. A Paris, on a toujours été en intimité particulière avec Lord Palmerston et en espérance d’un avenir Européen concerté avec lui. Plus qu'aucun ministre anglais, il s'est montré opposé à l’Autriche en Italie ; il a dit tout haut qu’elle ne pouvait pas conserver la Lombardie, et même Venise ; il a essayé de les lui faire perdre. Je ne vois encore là que des faits isolés, des pierres éparses, mais si la guerre venait. vous verriez toutes ces pierres se rapprocher et se construire en édifice. Ce serait Palmerston qui lierait la question révolutionnaire et le remaniement territorial de l'occident à la question d'Orient ; et de Paris, on ne se refuserait pas à cette chance, quelque paci fique qu’on soit jusqu'ici. L'Empereur Napoléon a à son arc les deux cordes, celle de la paix et celle de la révolution. Si votre Empereur ne veut pas que la corde de la révolution résonne qu’il ne tarde pas trop à faire définitivement prévaloir celle de la paix. La question de savoir s’il s’arrangera avec la Turquie en tête à tête. ou dans une conversation à cinq ne vaut par une cette chance.
Vous ne lirez pas les débats du Parlement, sur les affaires et finances. Mon Galignani m'en apporte un très curieux et très violent entre Lord Aberdeen, Lord Lansdown et le Duc d’Argyle d’une part, Lord Derby, lord Winchelsea, et Lord St Leonards de l'autre, à propos du droit de succession proposé par Gladstone. Querelle entre les aristocrates réformateurs, et les aristocrates conservateurs. Belle querelle. Je crois que cette fois les réformateurs avaient tout-à-fait raison. Aberdeen est très amer dans ces discussions-là, il a traité d'extravagant les assertions de Derby. Il a eu dans sa chambre, une forte majorité. Le bill avait déjà passé dans les communes.

Onze heures et demie
Au moins faut-il que vous vous repensiez à végéter. Je suis bien aise que votre neveu Constantin soit venu vous voir. Si sa conversation n’est pas riche, elle est parfaitement sûre ; grand mérite auquel j’attache beaucoup de prix ; on ne se sent libre, et à l'aise qu’à cette condition. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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35 Val Richer, Jeudi 21 Juillet 1853

Vous n'aurez aujourd’hui que deux lignes ; je pars dans un moment pour aller passer la journée à quelques lieues d’ici, et je n'ai absolument rien à vous dire. J'attends. On m’écrit de Paris que vous travaillez vivement à Constantinople à renverser Reschid Pacha et à faire arriver à sa place Riza Pacha qui signerait, sans vous rien demander, la note que vous proposez. Vous avez été un moment sur le point d'y réussir. Mais Lord Stratford et M. Delacour ont repris le dessus. Il restera de tout ceci bien du venin maturé. On reparle du sacre. Je crois qu’on n'y renoncera jamais. Je doute qu’on y arrive.
Savez-vous ce que dit le Pape de votre église ? Quelle se conserve à cause du grand froid. J’ai tort de dire votre Eglise, car vous êtes de la mienne.
Adieu, adieu. J’espère que Schlangenbad fera un peu mieux qu'Ems.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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35 Schlangenbad jeudi 21 juillet  1853

D'abord ma santé. Elle est comme vous l'avez vue. Ems m'a laissée comme j'étais. Attendons Schlangenbad.
J'ai eu deux longues lettres de C. Greville la dernière du 18. On avait reçu à Pétersbourg, les propositions de la France, et nous en étions contents. On voulait seulement encore l’aboucher avec l’Autriche, mais cela était fait et convenu avec elle entre temps. La proposition anglaise qu'on dit meilleure encore pour nous aura par conséquent été mieux reçu encore. Les projets pleuvent de tous les côtés. La paix ne peut pas manquer de sortir de tout cela. La réponse de Drouin de Lhuys arrivera après coup et ne dérangera rien. Voilà le point de vue de Londres et je le crois exact. Je trouve cette réponse très bien faite, on ne pouvait pas se dispenser de la faire.
Le roi de [Wurtemberg] m’a fait encore hier une longue visite, trop longue, car même avec beaucoup d’esprit Il ne faut pas me tenir trop longtemps. Je ne puis pas le renvoyer comme un autre et voilà que les impolies angoisses me gagnent. Il y a perdu son dîner et moi ma promenade. Nous arrangerons cela mieux à l'avenir. Il sait beaucoup de choses & moi je lui en apprends quelque unes. Le 22 Constantin m’est arrivé hier inopinément. Il a déserté pour deux jours. Les nouvelles sont bonnes. On va à la paix seulement cette avalanche de projets fait de l'embarras. Il faudra donner la préférence à l’un d’entre eux. Votre Empereur est très bien, tout le monde se loue de lui, Cowley aussi bien que Kisseleff. Menchikoff reste à Sébastopol chef apparent de l’armée de mer & de terre, mais au fond en disgrâce. Il voulait renverser Nesselrode. Beaucoup de petites nouvelles curieuses. Le Prince Emile de Darmstadt est venu de Wisbade hier pour me voir. Toujours charmant le plus charmant Prince que je connaisse.
Adieu. Adieu. Je me baigne tous les jours, malgré ce mauvais temps.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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33 Val Richer, Dimanche 17 Juillet 1853

Je me rappelle que j’ai encore adressé ma dernière lettre à Ems ; j’aurais dû l'adresser à Schlangenbad. Elle vous y aura suivie.
Vous ne m’avez pas dit comment, à tout prendre, vous vous êtes trouvée des eaux d’Ems. J’ai pourtant envie de le savoir ; bien ou mal, ou rien, sans commentaire. J’ai peur que le soleil ne vous ait trop manqué. Ici, nous ne sortons pas de la pluie.
Rien ne prouve mieux à quel point le vieux parti Tory est mort en Angleterre que l’attitude et le langage de ses chefs, et de ses journaux dans cette affaire d'Orient. Pas la moindre différence entre eux et les plus fougueux radicaux. Pas le moindre souvenir de l'ancienne politique et des anciennes alliances. Le Morning herald parle comme le Daily news, et M. Disraeli n’est pas plus bienveillant pour votre Empereur que M. Roebuck. L’ancien monde est bien fini partout. Le nouveau saurait-il s'organiser et se conserver ? Là est la question.
Je ne suppose pas que la phrase à M. de Nesselrode sur la présence des flottes Française, et Anglaise dans les prétendues eaux Turques vous empêche d'accepter la transaction que la France et l'Angleterre proposent, et qui m’est arrivée par les journaux en même temps que par votre lettre. Votre honneur est bien parfaite ment sauf par cette transaction, car elle vous donne ce que vous avez demandé, en vous demandant uniquement pour réponse ce que vous avez déjà dit sans qu’on vous le demandât. Quand cette affaire sera réglée, vous n’y aurez certainement pas gagné comme renom d'habileté ou de prudence diplomatique, et si je ne me trompe, vous n'aurez pas atteint le but caché qu'au fond vous poursuiviez surtout en vous y engageant. Avez-vous remarqué, pendant le cours de l'affaire, les articles de l'Assemblée nationale ? Il y en a eu de très bon, entre autres, celui d’hier samedi 18. C'est le seul journal qui se soit fermement établi dans la politique élevée et juste de la question, la paix anti révolutionnaire.

Midi
Avec mon facteur, m’arrivent des visites de Lisieux. Merci de la lettre que vous m'envoyez. Vous avez vraiment bien tort de vous inquiéter. Il n’y a jamais ou de quoi, et aujourd’hui, moins que jamais. Adieu, adieu. G

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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32 Ems le 14 juillet 1853

J’ai l’esprit troublé de notre circulaire, et je vois mille fois plus de raisons de m’alarmer que de me rassurer. Je commence à croire que l’Empereur veut la guerre. Tout est si mûr pour cela. Nos préparatifs sont immenses, & l’esprit public est bien excité chez nous & dans tous les pays grecs. Comment contenir cela ?
Je n’ai pas de quoi me distraire ici de ces pensées là. Le peu de société que je vois c’est très insignifiant. Les Princes de Prusse me soignent. Je m'occupe un peu de celui qui sera roi un jour. C’est une aimable nature, & qui pourra être quelque chose s'il est bien entouré.
2 h. Je reçois dans ce moment une lettre de Greville du 12. Meilleure. Un projet d’accomodement concerté avec la France venait d’être envoyé à Pétersbourg. si l’[Empereur]. ne veut pas la guerre il faut qu'il accueille cela. C'est la même chose que me signale Constantin. Nous verrons sous peu de jour. Il pleut bien fort ici, c'est ennuyeux. Adieu. Adieu.

Le 15. Hier n'était pas le jour, ce n’est qu’aujourd’hui que je vous envoie ceci. Je copie. " Nesselrode dit quelque mots à Budberg en réponse à la critique faite par M. Guizot de notre première circulaire sur l’affaire turque, la manière dont le comte y répond nous a prouvé à Budberg & à moi, que la critique avait porté très juste. Le Comte nous est très reconnaissant à tous deux de cette communication. " C’est Constantin qui m'écrit cela. Ses nouvelles du reste sont très bonnes. Radcliffe s'est joint à ses collègues de France, Autriche & Prusse pour faire adopter par la Turquie la proposition Bourqueney. Je pars demain pas très édifié des bains d’Ems, au fait rien. Nous verrons ce que fera Schlangenbad. Adieu encore. Je n'ai rien de vous depuis le 9.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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31 Val Richer, Mercredi 13 juillet 1853

Si j’avais besoin d'être rassuré, les paroles de votre impératrice et l’embarquement de votre grande Duchesse Marie sur [?] pour l’Angleterre me rassureraient pleinement. Il est clair que votre Empereur ne veut pas la guerre, et puisqu’il ne la veut pas, il ne l'aura pas, car personne ne la [?]. La nouvelle circulaire que M. de Nesselrode est bien pacifique aussi ; meilleure que la première, plus catégorique sur les deux points capitaux.” Nous ne demandons, comme protectorat religieux, que le maintien obligé du statu quo. Nous voulons maintenir aussi longtemps que possible, le statu quo actuel de l’Orient, parce que tel est en définitive l’intérêt bien entendu de la Russie. " - C'est là de la bonne politique, et vous en faites très hautement votre politique. A ces conditions, je tiens la paix pour certaine, quelque embarrassé qu’on soit de part et d'autre, à sortir du mauvais pas où l’on s’est mis, et qui ménerait à la guerre. Je ne sais rien d'ailleurs. Il ne me paraît pas qu'à Paris on s’inquiète des complots des rouges. Ils se renouvelleront éternellement, et il faut s'en bien garder, sans en témoigner aucune inquiétude. Je pense que le gouvernement est bien averti à ce sujet, et que la chute de M. du Maupas n’a pas fait tomber la police. Je ne connais pas l'homme qui en est chargé sous M. de Persigny ; mais on en parle bien.
Votre grande Duchesse de Weimar a perdu son mari. L’aimait-elle beaucoup et comment est-elle avec son fils ? Quand il est venu à Paris, ce jeune Prince m’a paru bien intelligent et digne. Mais entre les Princes Allemands, mon favori est le Prince George de Mecklembourg.
Vous figurez-vous ce que sera la place Louis XV en face de vos fenêtres quand les deux Terrasses des Tuileries seront terminées, par deux séries de gradins qui descendront sur la place ? Je ne me représente pas bien cet arrangement. On dit qu’il sera fait l'automne prochain.

Midi
Nous faisons chaque jour un pas vers la sécurité de la paix. Adieu, adieu. Je n’ai que le temps de fermer ma lettre. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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29 Ems samedi le 9 juillet 1853

Une lettre extra pour vous dire que selon mes dernières nouvelles nous allons publier une dépêche explicative de Manifeste, où il sera dit : qu’aussitôt que la porte nous aura offert des garanties acceptables et que les escadres des puissances maritimes auront quitté les eaux de la Turquie, nos troupes de leur côté évacueront la Moldavie et la Valachie. Qu'en dites-vous ?
A propos M. de [Damis] est enfoncé dans les lectures que je lui fournis quoique nous nous voyons deux fois le jour il m'écrit à tout instant. Voici sur votre lettre. Il m’en a reparlé le soir, avec des admirations sans fin sur le style de votre lettre. Vous me querellez sur la distinction que j’ai l’air de faire de votre Génie pour les grandes & petites choses. Certainement vous valez mieux pour les premières, mais je vous prie de ne pas m’abandonner dans les autres.
Je suis d'une grande curiosité du débat de hier au Parlement. On commence à dire que Palmerston reprendra les affaires parce que si dans ce poste il ne nous fait pas la guerre, les Anglais verront qu’il n’y a pas de quoi la faire. Enfin ce serait drôle, mais tout est drôle, pourvu que cela ne reste que drôle. La chaleur est étouffante. Adieu. Adieu.
J'attends ce que vous me direz du Manifeste. [Damis] prétend que de même que l'[Empereur]. excite l’enthousiasme religieux, il saura le calmer. Il est le maître très puissant chez lui.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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27 Val Richer, Mardi 5 Juillet 1853

Vous me donnez l’esprit des grandes choses d’une façon qui me refuse celui des petites. J’ai envie d'être choqué. La première fois que vous me consulterez sur les comptes de votre maître d'hôtel, je n'aurai pas d’avis.
J’ai les journaux du gouvernement dans les feuilles d'Havas qui me donnent des extraits du Constitutionnel et du pays, et aussi de petits articles originaux qui sont ce que le Gouvernement veut dire à ses fonctionnaires. Votre politique y est de plus en plus sévèrement jugée, mais toujours pacifiquement. Deux choses me semblent certaines, l’une qu’on vous donnera toutes les facilités possibles pour couvrir votre honneur l'autre, que si vous voulez pousser les choses très loin, vous trouverez tout le monde uni contre vous ; les uns vous feront la guerre, les autres ne vous soutiendront pas. Je parle très tranquillement de cette extrémité parce que je n'y crois point. Mais je serai charmé le jour où il ne sera même plus possible d’un parler. Je veux vous savoir tranquille aussi, et ne songeant qu'à profiter des eaux et à revenir à Paris. Je suis bien aise qu’on négocie entre Londres et Pétersbourg. Il ne se fera rien, et rien de bon à Constantinople. La transaction doit se faire là où est la puissance, je ne crois point que le Cabinet anglais ait abdiqué entre les mains de Lord Stratford. Il soutiendra son agent, mais sans se laisser mener par lui. J’espère que votre Empereur, en fera autant. La visite au général Ogareff à Portsmouth m’a fait plaisir à lire. C’est un petit symptôme des dispositions pacifiques et un beau symptôme des moeurs douces et libérales de notre temps.
J’ai eu ces jours-ci un plaisir d’une autre sorte. L’Académie Française avait mis au concours une étude historique et littéraire sur le poète Ménandre, et la comédie chez les Grecs. Elle a partagé le prix entre mon fils et un savant homme d’esprit de 40 ans Guillaume en a vingt. Son mémoire est vraiment spirituel et mérite, je crois, cette distinction.

18 heures et demie.
Voilà le Pruth passé. Quand vous serez établi dans les provinces, et que vous aurez ainsi fait acte de puissance, ferez-vous acte de modération ? Si les Turcs ou les Grecs ne font pas de folie, je l’espère. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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25 Val Richer. Vendredi 1er Juillet 1853

Deux choses m'inquiètent un peu la motion de Lord Clanricard, et le langage de Lord Lyndhurst en demandant la production de la circulaire de M.de Nesselrode. Une adresse de la Chambre des Lords provoquée par un ancien ambassadeur chez vous, et des paroles si dures d'un ancien d’Angleterre sur la chancelier de Russie, cela a l'air bien sérieux. Il est vrai que l’Angleterre a besoin d'avoir l’air sérieux, si elle veut influer sur vous, de même que vous, vous obligés d'avoir l’air sérieux pour qu’on vous cède tout ce qu’on peut céder. Double danger qui est réel. Du reste, de part et d'autre, on ne cédera quelque chose que lorsqu’on sera convaincu que le danger est réel. Il faut donc se décider à passer par cette épreuve.
Ne vous y trompez pas, et vous le savez aussi bien que moi ; par caractère, autant que par l'Empire de leurs institutions, les Anglais, une fois engagés, vont jusqu'au bout. Les gouvernements publics, sont ceux à qui il est le plus difficile de reculer, ou pour parler poliment, de transiger. Votre correspondant, dans son humeur contre l'Angleterre croit qu’elle aime trop la paix pour se décider à faire la guerre. Il se trompe. L’Angleterre tient beaucoup à la paix et fera beaucoup, beaucoup pour éviter la guerre ; mais elle peut très bien s'y décider ; et si elle s’y décide, elle la fera rudement. Rien n’a plus trompé l'Empereur Napoléon que ce lieu commun. Les Anglais, peuple de marchands, qui tient. par dessus tout à ses intérêts matériels et à son bien-être. Il n’y a point de peuple plus capable de se laisser emporter par un sentiment d’orgueil, ou par une idée du droit, de devoir, de religion, dans un sens contraire à son intérêt matériel. Et comme il est puissant et habile, il sait se retourner dans la voie nouvelle où il se jette, et tirer parti de la guerre, même au profit de sa prospérité. Et il sait, d'avance qu’il saura et qu’il pourra faire cela, en sorte qu'au fond, il redoute moins les conséquences de la guerre qu’il n'en a l'air. Ne vous fiez pas à l’amour des Anglais pour la paix. Il pourrait vous en coûter bien cher. En conscience, c’est une affaire à arranger ; il y a pour vous, infiniment plus d'inconvénients que d'avantages à la pousser loin.
Du reste, j’ai vu avec plaisir, dans mes journaux d’hier, que Clauricard avait un peu ajourné sa motion. J'en conclus qu'Aberdeen espère toujours que l'affaire s’arrangera. Je parie toujours qu’il a raison. Onze heures J'ouvre mes journaux et n’y vois rien de nouveau. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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24 Ems Jeudi 30 Juin 1853

Dans les grandes choses, votre esprit & votre jugement sont merveilleux. Vous voyez que je parle de la lettre où vous appréciez la dépêche Nesselrode. Je l’ai envoyée au correspondant que vous savez. Il en sera très frappé. Elle était trop grosse pour le quartier général, je crois cependant qu’elle y fera son chemin par ce détour. Évidemment on fait les derniers efforts pour négocier un arrangement, mais je ne comprends pas que mon Empereur puisse céder, car ce qu’il demande est après tout bien peu de chose. Je n’ai pas de lettre ici de Londres, ni de Vienne qui sont mes deux bonnes sources.
La pluie a cessé Dieu merci. J'ai pu recommencer les bains. Je vois chez moi le soir quelque fois le prince de Prusse, roi un jour. Il a 22 ans, agréable, et bon enfant. Voilà tout ce que j’ai pu attraper, il n'y a absolument personne. C'est à périr.
2 h. Une longue lettre de Greville, très noire pour nous. Il croit qu’on négociera entre Londres & Pétersbourg plutôt qu’à Constantinople. Mais là le sultan ne veut entendre à rien, c.a.d. que Redcliffe veut cela. Greville reconnaît que l’[Empereur] ne peut pas reculer. Quelle mauvaise affaire ! Je crois que si vous & mon correspondant de Vienne vous vous rencontrez, vous trouverez moyen de nous en faire sortir. Vous comprenez comme tout ici me tracasse.
M. de Budberg me mande de Berlin, que selon les lettres de Brunnow le Cabinet anglais a abdiqué ses pouvoirs entre les mains de Lord Redcliffe.
Adieu. Adieu, je ne pense et ne rêve qu'à ce maudit Orient, et à vous. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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24 Val Richer. Mercredi 29 Juin 1853

La correspondance Autrichienne du 23 me paraît contenir l'indication du procédé par lequel on dénouera la grande affaire, la Porte vous adresserait une note par laquelle elle vous annoncerait, et confirmerait les garanties qu'elle vient d'accorder à tous les Chrétiens par son firman spontané du 6. La note les appliquerait spécialement aux Grecs. Vous étiez, d'après votre circulaire, décidés à vous contenter d’une note rédigée et convenue d’une certaine façon. Entre la Porte et vous, il n’y a plus qu’un cheveu.
Vous vous êtes servis dans votre circulaire d’une expression qui n'était pas heureuse et que je m'étonne qu’on n'ait pas relevée, vous avez dit que la note dont vous aviez demandé l'acceptation pure et simple était le noeud gordien de la question. C'est le propre des noeuds gordiens de ne pouvoir être tranchés que par l’épée. Rigoureusement parlant, vous annonciez ainsi la guerre. Je suppose que vous ne serez pas stricts à ce point dans votre rhétorique classique, et que vous n'interdirez pas absolument à la diplomatie de dénouer ce nœud gordien. En attendant qu’elle le dénoue, l’escadre d'évolution que notre gouvernement vient d'ordonner sur l'Océan a l’air d'être mise là, pour se joindre, dans l'occasion à l'escadre anglaise de spithead. L’officier à qui le commandement en a été donné, l’amiral Bruat est l’un de nos plus capables, et plus hardis marins deux escadres Anglo-françaises, l’une pour la mer noire, l'autre pour la Baltique, que de bruit ! Je vois que la Princesse Tchernifchoff ne croit pas plus que moi à l'explosion de ce bruit puisqu'elle vient à Cauteretz. Est-ce que la Princesse Mentchikoff n’est pas aussi restée à Paris ?
M. Mérimée sénateur a fait moins d'effet à l'Académie que M. Lebrun. On a trouvé cela assez simple. Il n’avait jamais témoigné d'opposition et il était de l’intimité. L’Académie vit toujours en grande paix. Il n'y a nulle part, dans les rapports personnels, plus de bon sens et de justice s’y fait dans l'occasion, mais tranquillement, finement, et quand elle a été faite une fois, on s’en tient là, on ne la recommence pas tous les jours, par taquinerie ou par entêtement de gens mal élevés.

Onze heures
Voilà votre N°22. Votre inquiétude m'afflige plus qu’elle ne m'inquiète. Adieu, Adieu. G.
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