Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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318 Londres, Mardi 3 mars 1840

6 heures

Je viens de passer ma matinée à écrire une longue dépêche sur la conversation que j’ai eue hier au soir avec Lord Palmerston et où nous n’avons pas encore abordé les affaires d’Orient. Je devais le revoir aujourd’hui à une heure. Mais il m’a prié de remettre à demain. Il était obligé d’employer sa journée à préparer les documents demandés par la Chambre des Communes sur la querelle avec la Chine. Sa vie pendant la session est vraiment très dure. Il travaille beaucoup. Je lui trouve l’esprit net, prompt & pratique. Il doit prendre de l’influence.

 Je n’ai encore fait que rencontrer Lord Melbourne. Mais il me plaît. Je lui trouve un certain mélange de bonhomie &  de commandement, d’insouciance& d’autorité que je n’ai pas encore vu. Son crédit auprès de la Reine est toujours le même. Les Whigs aiment tendrement la Reine. Ils font remarquer qu’on n’a pas encore cité d’elle un acte, un mot qui manquât de prudence ou de tact.

Elle n’a plus grand goût à la danse. Elle aime mieux son mari.

Je dîne jeudi à Buckingham-Palace. Cela me fait déranger un petit dîner chez moi ave Dedel, Alava et le baron de Blum. Le corps diplomatique me parait très avisé de ces petits dîners & d’une partie de whist après.

M. de Hummelauer a plus d’esprit que vous ne m’aviez dit. Il part au mois de mai, charmé de quitter l’Angleterre, où il s’ennuie, pour aller à Milan épouser une jeune Italienne de 18 ans qu’il ennuiera, je pense. Ellice est venu dîner hier avec moi, très bon et très aimable. Je puis abuser de lui tant que je voudrai. Je lui ferai plaisir.1

J’ai interrompu mes écritures ce matin, pour aller mettre des cartes, chez Lord Lyndhurst, Lord Cowley, et le marquis de Northampton. Voilà qui est bien intéressant , n’est-ce pas ? Je vous dis tout.

Ma chambre donne sur le square. On dit qu’elle est très gaie. Décidément, ici, le ciel et la terre se confondent, gris tous les deux. J’ai regardé hier le soleil bien plus en face que ma lampe. C’est là, jusqu’à présent, le seul fait physique qui me frappe en Angleterre. Je n’ai du reste aucune impression d’un changement de climat, de température et d’habitudes. Si j’avais près de moi ceux que j’aime j’oublierais parfaitement que j’ai changé de lieu. Mon cuisinier a le plus grand succès. Ellice dit qu’il n’a point de pareil. Mon maître d’hôtel est excellent. Je ne suis pas aussi content de mon valet de chambre. Je ne vous dis que des balivernes et j’ai à vous parler de choses si importantes. Je n’ai pas voulu les entamer ce matin. Je me repose avec vous de ma dépêche.

Mercredi, 5 heures

 Je voulais vous écrire avec détail sur le parti que je prends, vous dire toutes mes raisons qui me semblent décisives et ne me laissent aucun doute. Je sors de chez Lord Palmerston qui m’a gardé trois heures et demie. J’ai à peine le temps d’envoyer à la poste. A après-demain donc les détails. Mais je veux que vous sachiez au moins l’ensemble. Voici des copies de la lettre que j’ai reçue ce matin du Duc de Broglie, et de celle que j’écris aussi ce matin, à M. Duchâtel. Vous serez au courant. J’y ai bien pensé. Je suis parfaitement convaincu. J’attendrai et je regarderai. Quel douloureux ennui que l’éloignement! Je voudrais vous tout dire et je ne vous dis rien, rien.

Je suis charmé que vous ayez vu ma mère. J’étais sûr qu’elle vous plairait. Adieu, adieu. Quand je cesse de vous écrire, c’est encore une séparation. Adieu au moins.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Londres, jeudi 5 mars 1840, 8 heures du matin

Je me lève. Comment aurez-vous dormi cette nuit ? Hier était un triste jour. J’ai le coeur plein de remords d’être loin de vous. Je ne vous ai jamais fait le bien que j’aurais voulu. Vous ne savez pas, vous ne saurez jamais tout le bien que je voudrais vous faire, mon ambition infinie, insatiable, avec vous. Je vous aime trop pour me résigner jamais à me sentir impuissant et désarmé quand je vous vois un chagrin, n’importe lequel, n’importe de quelle date. Non, je ne me résignerai jamais à ce que cela soit, jamais à le croire; je m’en prendrai toujours à l’imperfection de notre relation, à la séparation de nos vies, à l’impossibilité où je suis de vous donner tout ce que j’ai en moi pour vous, d’exercer auprès de vous, sur vous, toute cette puissance d’affection et de tendres soins, le seul vrai baume que Dieu ait mis à notre disposition pour les blessures de l’âme. Dearest, vous avez beaucoup souffert, et il vous a toujours manqué du bonheur à côté de la souffrance. Il n’y a pas moyen de supprimer la souffrance dans la vie humaine; elle en est inséparable ; mais le bonheur aussi peut s’y placer; et la destinée le plus rudement frappée, le cœur le plus déchiré peuvent contenir en même temps les joies les plus intimes et les plus douces. C’est ce mélange de bien et de mal, cette compensation de l’un par l’autre que je voudrais du moins vous donner. Près de vous, je faisais déjà si peu! Quoi donc de loin?

6 heures

Vous avez raison. Je suis faible quelquefois avec mes amis. Mais dans cette occasion, ma faiblesse était bien embarrassée, car elle avait à choisir : le Duc de Broglie, MM. de Rémusat et Jaubert d’un côté, MM. Duchâtel et Villemain de l’autre. Evidemment il fallait chercher ailleurs que dans mes amitiés le motif de décision. Je ne vous redirai pas ce que vous aurez vu dans ma lettre à Duchâtel et dans celle du Duc de Broglie. Il ne m’est resté, il ne me reste aucun doute. Je ne sais ce qui arrivera. Je penche à croire qu’au fond ce Ministère fera à peu près comme le précédent. Je suis sûr qu’il le voudra; je présume qu’il le pourra. Je ne lui vois ni des amis bien exigeants, ni des ennemis bien intraitables. S’il en était autretrement, si le pouvoir allait réellement à la gauche, je n’hésiterais pas un instant. Ils le savent. Voici ce que m’a écrit Thiers :

 « Mon cher Collègue, je me hâte de vous écrire que le Ministère est constitué. Vous y verrez, parmi les membres qui le composent, deux de vos amis, Jaubert et Rémusat, cl dans tous les autres, des hommes auxquels vous vous seriez volontiers associé. Nos fréquentes communications depuis dix-huit mois nous ont prouvé, à l’un et à l’autre, que nous étions d’accord sur ce qu’il y avait à faire, soit au dedans, soit au dehors. Nous pouvons donc marcher ensemble au même but. Je serais bien heureux si en réussissant tous les deux dans notre tâche, vous à Londres, moi à Paris, nous ajoutions une page à l’histoire de nos anciennes relations. Car aujourd’hui comme au 11 octobre, nous travaillons à tirer le pays d’affreux embarras. Vous trouverez en moi la même confiance, la même amitié qu’à cette époque. Je compte en retour sur les mêmes sentiments. Je ne vous parle pas d’affaires aujourd’hui. Je ne le pourrais pas utilement. J’attends vos prochaines communications et les prochaines délibérations du nouveau Cabinet. Ce n’est qu’un mot d’affection que j’ai voulu vous adresser aujourd’hui, au début de nos relations nouvelles. » Je lui ai répondu ce matin : « Mon cher Collègue, je crois comme vous qu’il y a à tirer le pays de graves embarras. Je vous y aiderai d’ici, loyalement et de mon mieux. Nous avons fait ensemble, de 1832 à 1836, des choses qu’un jour peut-être, je l’espère, on appellera grandes. Recommençons. Nous nous connaissons et nous n’avons pas besoin de beaucoup de paroles. Vous trouverez en moi la même confiance, la même amitié que vous me promettez et que je vous remercie de désirer. Nous nous sommes assurés en effet, dans ces derniers temps, que nous pouvions’ marcher ensemble vers le même but. Rémusat m’écrit que le Ministère s’est formé sur cette idée : Point de réforme, point de dissolution. C’est le seul drapeau sous lequel je puisse agir utilement pour le Cabinet, honorablement pour moi. Si quelque circonstance survenait qui me parût devoir modifier nos relations, je vous le dirais à l’instant et très franchement. Je suis sûr que vous me comprendriez, et même que vous m’approuveriez. » Vous voilà au courant, comme on peut l’être de loin. Misérable communication ! Pendant que je vous écris, mon âme, mes regards, ma voix vous cherchent. Adieu. Je vous quitte pour aller m’habiller et dîner chez la Reine.

Vendredi 6 mars, 5 heures

J’ai diné à la droite de la Reine qui avait son mari à sa gauche. Elle a été très aimable pour moi. Soyez tranquille ; pas la plus petite allusion aux Affaires. La famille Royale, la Princesse Marie, Melle Rachel, Paris, Buckingham-Palace ont défrayé la conversation. La Reine a eu pour moi les mêmes bontés que Mme la Duchesse d’Orléans ; elle a lu mes ouvrages. Elle a un joli regard et un joli son de voix. Dans son intimité elle a supprimé la retraite des femmes avant les hommes. Hier les vieilles mœurs ont prévalu. J’avais à ma droite Lady Palmerston, puis Lord Melbourne, le Marquis de Westminster, Lady Barham etc, 28 en tout.

Après le dîner, on s’est établi autour d’une table ronde, dans un beau salon jaune qui m’a fait frémir tout le cœur en y entrant. C’est presque la même tenture que votre premier salon. Deux ou trois femmes se sont mises à travailler. Nous avons causé, sans trop de langueur, grâce à Lady Palmerston et à moi jusqu’à onze heures un quart que la Reine s’est retirée.

 J’ai découvert au-dessus des trois portes de ce salon trois portraits... Je vous donne à deviner lesquels! Fénelon, le Czar Pierre et Anne Hyde, Duchesse d’York. Je me suis étonné de ce rapprochement de trois personnes si parfaitement incohérentes. On ne l’avait pas remarqué. Personne n’a pu en trouver la raison. J’en ai trouvé une. On a choisi ces portraits à la taille. Ils allaient bien aux trois places.

On disait hier matin une nouvelle. La Reine n’avait pas paru la veille à dîner, elle était souffrante ; elle est grosse. Lady Holland a apporté cela le soir chez Ellice où j’avais dîné. Mais la Reine a dîné hier et ce matin elle a tenu un lever qui a duré deux heures. C’est beaucoup si elle est grosse. Cependant on ne retire pas la nouvelle.

Ce lever, m’a ennuyé et intéressé. C’est bien long et bien monotone. Pourtant j’ai regardé avec une émotion pleine d’estime le respect profond de tout ce monde, courtiers, Lawyers, Aldermen, Officers, passant devant la Reine, la plupart mettant un genou en terre pour lui baiser la main, tous parfaitement sérieux, sincères et gauches. Il y faut cette sincérité et ce sérieux pour que tous ces vieux habits, ces perruques, ces bourses, ces costumes que personne, même en Angleterre, ne porte plus que pour venir là, ne fassent pas un effet un peu ridicule. Mais je suis peu sensible au ridicule des dehors quand le dedans ne l’est pas. J’ai vu le Duc de Wellington, triste vue, presqu’aussi triste que celle de Pozzo; rapetissé de trois ou quatre pouces, maigre, chancelant, vous regardant avec ces yeux vagues et éteints où l’âme qui va s’enfuir ne prend plus peine de se montrer, vous parlant de cette voix tremblante dont la faiblesse ressemble à l’émotion d’un dernier adieu. Il n’est point moralement dans l’état de Pozzo, l’intelligence est encore là, mais à force de volonté et avec fatigue. Il s’est excusé de n’être pas ecore venu chez moi : «  J’étais à la campagne ». Je crois que je dinerai avec lui chez le Sir Robert Peel.

M. de Brünnow n’est pas encore venu chez moi. C’est le seul. Il était au lever de la Reine, très empressé, auprès des Ministres, busy-body 2 et subalterne dans ses façons.

Lady Palmerston m’a parlé de Paul. Il ne va absolument nulle part, si ce n’est à Crockford à 9 heures pour dîner. Il passe sa journée chez lui, en robe de chambre et à fumer. M. de Brünnow, dans les premiers moments, l’a vu deux ou trois fois et a essayé de le voir davantage. Paul n’a pas voulu. M. de Brünnow ne le voit plus.

Le mariage de Darmstadt n’est point certain. Le Grand Duc y retourne pour voir s’il pourra se décider. On doute qu’il se décide. Il est toujours amoureux en Russie. M. de Brünnow reviendra ensuite ici comme ministre en permanence, en attendant, fort longtemps peut être, un ambassadeur.

Samedi, 8 heures du matin

Hier, à dîner chez Lord Clarendon, M. de Brünnow s’est fait enfin présenter à moi. Il est bien remuant, papillonnant, aimable. Ce dîner m’a plu, Lord Clarendon est plus continental, plus de laisser-aller. Nous avions le Marquis de Douro et sa femme, la plus belle personne de l’Angleterre, dit-on, et vraiment très belle. Point d’esprit du tout. Comme lui. Entre nous il en est étrangement dépourvu. Plus que cela, car il parle beaucoup & se met en avant. Je vous étonnerais en vous répétant les pauvretés qu’il m’a dites. Toujours Lord Melbourne, Lord & Lady Palmerston. Après dîner, j’ai été à Devonshire House, où j’ai trouvé la Duchesse de Cambridge et un très select party, Lady Jersey, La Duchesse de Montrose, &, &. On dansait, le Duc de Devonshire autant que personne. On me parle beaucoup de vous, et je suis sûr que je réponds très bien.

10 heures

Voilà le 319. Mon remords de n’être pas auprès de vous redouble. Je me reproche l’agrément que je trouve ici, le plaisir que je prends à regarder, à être bien reçu. Je ne supporte pas la pensée d’être gai quand vous êtes triste, entouré quand vous êtes seule. Et pourtant cela est et je l’accepte en fait au moment même où mon cœur s’en indigne. Ah !Pardonnez-moi dearest, pardonnez-moi cette faiblesse de notre nature, à laquelle il n’y a peut-être pas moyen d’échapper et qui n’empêche pas que dans toutes les situations, à toutes les heures du jour, je n’aimasse mille fois mieux être auprès de vous que partout ailleurs, et partager votre tristesse plutôt que toutes les joies du monde. N’est-ce pas que vous me le pardonnez? N’est-ce pas que vous savez bien tout ce que vous êtes pour moi? La mer qui nous sépare est bien profonde, mais mon affection pour vous l’est mille fois davantage. Et j’aurais ici tous les succès imaginables que je leur préférerais mille fois le succès de vous donner un jour, une heure de bonheur.

Vous voulez que je vous parle des affaires. M. de Brünnow est évidemment en panne, attendant que les embarras, les obstacles au progrès de la négociation viennent de nous, pour se saisir tout à coup de ce fait, se faire un mérite de l’empressement, de la facilité de son maître, pousser peut-être cette facilité plus loin qu’il ne l’a fait encore, et enlever brusquement le succès. Je tâcherai de ne pas le servir dans cette tactique. Evidemment il y a ici un désir sincère, vif, de ne pas se séparer de nous ; on fera des sacrifices réels à ce désir. Il y a des dissidences marquées, à cet égard, dans le cabinet ; quelques-uns tiennent beaucoup plus à nous que d’autres. Mais tous y tiennent, et je n’entends pas le moins du monde me prévaloir des dissidences, ni chercher seulement à m’en servir. J’ai commencé à traiter et je traiterai jusqu’au bout l’affaire avec la plus entière franchise, m’appliquant uniquement à convaincre tout le monde de l’intérêt supérieur des deux pays au maintien de l’alliance, et de la nécessité d’une transaction, entre le Sultan et le Pacha, qui puisse être acceptée par le Pacha comme par le Sultan, par la France comme par l’Angleterre et qui mette fin à cette question-là en ajournant toutes les autres.

M. d’André n’a apporté de Pétersbourg que des lettres assez vagues, plutôt l’idée que l’affaire ne marchait pas, et un redoublement de colère de l’Empereur qui avait espéré, dit-on, que la dépêche, inspirée par lui, de M. de Nesselrode à Médem, amènerait une réponse qui amènerait une rupture. Je n’en crois rien. Pourtant, je n’en sais rien.

Adieu. Adieu. Continuez de me tout dire. Vos lettres me font un peu vivre à Paris, et cela m’est très utile. Soyez tranquille. Je n’oublierai pas vos recommandations. Mais répétez les moi toujours. Adieu encore.

 Continuez de m’écrire les lundi et jeudi par les Affaires Etrangères, et le samedi par la Poste. Et si vous vouliez quelque chose de plus indirect, envoyez votre lettre à Génie.

 

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Londres, dimanche 8 mars 1840,

une heure

Nos journaux vous donnent ce matin le projet de charivari qu’on a voulu me donner à Londres. Vous en entendrez plus de bruit que je n’en ai entendu ici. Je n’étais pas chez moi quand ces douze ou quinze polissons sont venus, et ils n’ont pas même commencé, tant la police a été prompte à les chasser. Ces choses-là se font ici avec une rudesse très simple et très efficace. C’était douze ou quinze réfugiés, mauvais sujets du procès d’avril. Je n’ai appris le fait que deux jours après, par le Globe. Personne ne m’en avait parlé et n’y avait pensé. J’ai été obligé d’aller aux renseignements pour savoir ce que c’était.
J’ai dîné hier avec Sir Robert Peel, un dîner bien anglais, cossu, long, lourd et froid, quoique cordial. J'ai beaucoup causé avec mon voisin de droite Sir Henry Hardinge, soldat brave et sensé qui m’a plu. Je m’aperçois de jour en jour de mon progrès pour parler. Mais je vais tout simplement, et il me semble qu’on m’en sait gré.
Vous m’avez trop dit que le premier acte du dîner était très silencieux. On parle assez et c’est presque toujours moi qui me tais.
Lord Aberdeen, qui n’avait pas pu venir dîner parce qu’il était engagé chez Lady Holland, est venu le soir, et nous avons beaucoup causé. Il est très instruit et d’une conversation très variée. Je vous répète tout ce que vous m’avez dit. Cela me plaît de découvrir à chaque instant que vous aviez raison.
Les Tories sont en effet très aimables pour moi. Ils viennent tous me chercher. Lord Londonderry est presque le seul qui ne soit pas encore venu. Aussi, quoique Lady Londonderry m’ait écrit un petit billet bien doré pour m’engager à aller passer la soirée chez elle après-demain mercredi, je m’en excuserai sur quelque prétexte. Le Général Sébastiani, ni  personne de l’Ambassade n’allait jamais là. Le langage était trop violent contre nous, trop tendre pour vous. Si Lord Londonderry vient me voir, je verrai ce que j’ai à faire. Autant que j’en puis juger, il ne me sera pas difficile de vivre en bons rapports avec les Tories sans donner aux Whigs aucun ombrage. Je dirai ce que je pense et je serai ce que je suis. La vérité est ici fort bien acceptée. Vous avez bien raison, c’est un mérite immense.
Lady Palmerston chez qui je suis allée hier au soir en sortant de dîner, m’a demandé en passant : «  Connaissez-vous depuis longtemps Sir Robert Peel ? ». Ce n’était plus un rout chez elle, mais une petite soirée assez agréable.

 4 heures
Je viens de chez Lord Melbourne. Nous avons causé une heure et demie. Il me plaît beaucoup, beaucoup; sa figure, son esprit, ses manières. Il s’est étendu dans son fauteuil, à côté du mien, détournant la tête et tournant l’oreille; il a parlé anglais, moi, français, dialogue très régulier, chacun à son tour, interrompu seulement par ses rires. On dirait qu’il vit pour rire. Je traiterai volontiers d’affaires avec lui. Il comprend à merveille, avec élévation dans les idées, et point préoccupé de son propre sens. J’ai peu à vous dire des affaires mêmes. Elles sont stationnaires. On attend le plénipotentiaire Turc, Ie nouveau cabinet français. On s’observe. Personne ne voudrait être le premier à avoir une résolution. On croit assez ici qu’au fond vous êtes embarrassés du Traité d’Unkiar-Skelessi, que si les circonstances, vous obligeaient à l’exécuter, si la Porte vous le demandait, vous le feriez, par honneur ; mais que cette chance vous déplaît, que vous en craignez les conséquences, et que vous saisiriez volontiers quelque manière d’échapper aux charges de ce protectorat exclusif et compromettant.
Je crois vous avoir déjà dit qu’on avait grande envie de faire quelque chose avec nous et grand embarras à faire quelque chose sans nous. Il me semble que je vois cette disposition en progrès.
M. de Werther part demain pour Berlin. Il passera quelques jours à Paris.

Lundi, 9 heures
J’ai dîné hier à Landsdown-House, un dîner plus agréable et plus causant que de coutume, Lord & Lady Holland, Lord & Lady Clarendon, le Duc et la Duchesse de Sutherland, Lord John Russel, M. Charles Greville et moi. Je vous ai placée au milieu de cette conversation. Elle serait devenue charmante.
De là chez Lady Jersey où j’ai trouvé Lord Aberdeen, Lord Stuart et Lord Elliot, l’homme de Londres qui parle le mieux français. Il y a, chez Lady Jersey, plus de liberté, d’abandon, et de façons sociables qu’ailleurs. Mais quelle inépuisable parole que la sienne ! et quel infatigable mouvement ! Elle a, sur toutes choses, des phrases, des désirs, des fantaisies, des volontés. C’est là, je crois, ce qui lui donne cette puissance dont vous vous étonniez.
Lord Leveson me paraît très occupé de Fanny Cowper. On croit qu’il l’épousera, et même que la Charge de Sous-Secrétaire d’Etat a été donnée dans cette idée. Lord Levenson est fort à la mode, me dit-on.
L’affaire du privilège des Chambres va finir par le bill de John Russell. Il paraît que la Chambre des Lords l’adoptera. L’affaire des corporations municipales d’Irlande finira aussi dans cette session. Il y aura transaction entre le Gouvernement et l’opposition, et la Chambre des Lords adoptera. Le Ministère paraît très solide, malgré les échecs passés et futurs. Au fond, tout le monde croit à sa durée. J’ai à dîner aujourd’hui M. Dedel, M. de Blum, M. de Werther et de M. de Hummelauer.

Une heure
Merci de tout ce que vous me renvoyez à Londres. Je suis bien aise de le savoir. J’accepte le reproche d’avoir un peu manifesté mon opinion sur les personnes. Je me souviens en effet de deux occasions où j’aurais mieux fait de ne rien dire. Mais je proteste contre ce qui me revient par Génie du ravissement que j’ai témoigné, et de ce que j’ai trouvé excellent. Ceci m’apprend qu’à Londres comme à Paris on peut broder, exagérer ; soit par goût, soit par dessein. Je suis sûr d’avoir été dans mon langage à ce sujet, très réservé, ne manifestant ni inquiétude, ni confiance, espérant plutôt que craignant, comme c’est mon rôle, mais rien de plus. J’y avais pensé, et je n’ai rien dit de cela sans y avoir pensé. Je ne vais guère, dans ce cas, plus loin que je ne devrais.
Soyez tranquille, je n’aurai point de loge à l’Opéra! Je n’irai même pas à l’Opéra. Je ne vois pas pourquoi je changerais à cet égard mon habitude qui est aussi mon goût. Je suis sûr que le spectacle me causerait une impression pénible. Je vous l’ai dit souvent ; je n’ai jamais su m’amuser seul ; j’ai besoin, absolument besoin de partager tout plaisir vif, toute émotion douce et un peu saisissante. L’autre jour, après dîner, chez Ellice, sa belle-fille et M. Dundas ont chanté, chanté presque toute la soirée pour me faire plaisir. J’avais fini par avoir le coeur tout-à-fait mal à l’aise.
Adieu. Il fait beau et doux aujourd’hui. Je me promènerais bien volontiers. Mais je ne me promènerai pas. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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327. Londres, Samedi 21 mars 1840
9 heures

Je ne comptais pas vous écrire aujourd’hui. Mais je pense que je ne pourrai pas demain. C’est Dimanche. Vous seriez deux jours sans lettre. Je ne veux pas. Je n’ai eu hier au soir qu’un rout, la vieille comtesse Douairière de Clare. Tous Torys. J’ai causé assez longtemps avec le Duc de Cambridge, le plus questionneur des Princes et qui questionne en criant comme sur la place publique. Ce n’était pas très nombreux. On me dit que la mode de la foule passe un peu, et qu’on aime mieux multiplier les routs en les divisant. Je ne sais si ce sera un gain. Il fesait tout à l’heure, quand on a ouvert mes volets, un très beau soleil, le premier soleil qui soit parvenu à descendre jusque dans ma chambre. Le voilà déjà noyé dans le brouillard Pourtant si vous étiez ici, il y serait plus brillant que dans la rue de Rivoli. J’irai faire aujourd’hui deux visites après déjeuner, à pied, Lord Charendon et Dedel. Le premier est resté quelques jours sans sortir à cause de la mort de Lord Morley. Je suis frappé du peu que sont ici les liens de famille. Pourtant les Anglais ont du cœur et du respect. Mais tout cela est peu abondant, peu expansif; et dès qu’il faut sortir d’un cercle très resserré, c’est l’égoïsme et le calcul qui prennent le dessus.

3 heures
J’ai eu bien raison de vouloir vous écrire aujourd’hui. J’en suis récompensé. Voilà un n°326 que je n’attendais que demain. Surprenez-moi souvent. Les détails que vous me donnez coïncident avec ce qui m’arrive de tous côtés. A travers les contradictions et les oscillations, il me paraît clair que les fonds secrets seront votés et que tous les tripotages depuis quinze jours auront été impuissants, donc mauvais pour quiconque y aura mis le doigt. Plus je vais, plus je suis sûr que j’ai bien fait de venir ici, bien fait d’y rester. A Paris, je n’étais pas le maître de la situation. C’était assez pour que la mienne fût fausse, car il fallait ou tout empêcher, ou tout accepter ; deux mauvais partis. Il me convient d’être quelque temps en dehors, convenablement en dehors. Cela me convient malgré l’humeur de Madame de Flahaut. Je la lui pardonne ; j’ai, bien sans malveillance pour elle, mais enfin, j’ai contribué à lui enlever, en aidant mon ami Baudrand à prévaloir, la situation qui lui plaisait. Il est naturel qu’elle m’en veuille. Mais, par exemple je compte bien qu’au mois de juin elle ne vous trouvera pas established in your pretty apartement. Ceci je ne lui pardonnerai pas. On est assez occupé ici de la motion prochaine de Sir James Graham (2 avril) sur les affaires de Chine. La guerre donne de l’humeur à quelques négociants, amis habituels du Cabinet. Ils la trouvent engagée légèrement, et craignent sa durée. Il y a quelques années, en 32 ou 33, lors du renouvellement de la Charte de la Compagnie des Indes, le Duc de Wellington s’inquiéta des relations de l’Angleterre avec la Chine, annonça à peu près ce qui vient d’arriver, et proposa, pour le prévenir, quelques amendements. Comme la Chambre était en Comité, ces amendements ne furent pas mentionnés sur ses registres; on ne se les rappelait pas bien. On vient d’en retrouver le texte dans un carton de la Chambre, et on les reproduira, dit-on, dans le débat des Communes. Les Torys me paraissent attacher quelque prix à cette circonstance. Ils parlent d’un échec possible pour le Cabinet. Mais les chefs sérieux, Lord Lyndhurst par exemple, me semblent convaincu, qu’il y a pour eux-mêmes, bien peu de chances. En général, le retour des Torys à la cour les a un peu calmés, du moins dans le langage de Salon. Il étaient désolés de leur exil. On prétend que la Marquise de Londonderry disait: Hang the Irish church if it holds me away from the Queen’s balls! Sir Robert Peel pourtant n’a pas encore été invité. On en parle beaucoup. Le Prince Albert, dit-on, a conseillé à la Reine de l’inviter. Et Lord Melbourne, qui était présent, a appuyé en ajoutant que Sir Robert était le chef d’un parti très puissant, et de plus un fort capable et fort galant homme avec qui il fallait que la Reine fût en de bons rapports. Je n’ai pas trouvé Lord Clarendon. Il était souffrant et dans son lit. J’ai vu Dedel qui me convient beaucoup. Il est bien préoccupé, et tout le monde est bien préoccupé du mariage
du Roi de Hollande. On le regarde comme infaillible. Et il y a des gens qui disent qu’il pourra lui coûter sa couronne. D’autres disent que Melle d’Outremont n’arrivera pas à Lahaye, qu’elle sera noyée sur la route. La colère du peuple hollandais est grande, et il a de vieux souvenirs d’émeutes mortelles.

4 heures ¾
J’ai été dérangé par deux visites, des Français qui ont besoin de l’Ambassade. Il faut que je finisse. Cette lettre-ci vous sera portée par un ancien valet de chambre à moi, aujourd’hui Mon homme d’affaires dans une maison qui m’appartient à Paris, très sûre. Je lui en adresserai quelques unes. Il s’appelle Simon Obry.
Adieu. Adieu. Je ne sais si j’aurai quelque chose demain. Je voudrais bien que la lettre d’aujourd’hui ne m’enlevât rien. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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331. Londres Vendredi 27 mars 1840
8 heures et demie

Je me lève de bonne heure. Je me suis couché de bonne heure hier, quoique j’aie dîné chez Lady Jersey où l’on dîne plus tard que partout ailleurs. J’en suis sorti à 10 heures trois quarts, et j’ai été passer un quart d’heure chez Lady Landsdowne. J’étais rentré à 11 heures et demie Lady Jersey a vraiment trop peu d’esprit pour tant d’activite et de paroles. Elle me lasse sans m’animer. J’ai revu hier chez elle la petite Lady Alice Peel toujours aussi vive et aussi bizarre, dans son parfait naturel. Elle était enfermée dans une petite robe de soie bariolée sans rien sur son cou, rien dans ses cheveux, pas le plus petit ornement, non absolument qu’elle et sa robe. Cela lui allait bien.
Nous avions là Lord Ellenborough qui me convient assez, quoiqu’il ne dise pas un mot de français. Il a l’air d’un esprit exact et sérieux. Peel en fait grand cas. J’aurais voulu aller hier à la Chambre des communes entendre Lord Stanley et
Lord John Russell. Mais il n’y a pas eu moyen. Vraiment la vie n’est pas bien arrangée ici. On laisse beaucoup d’espace vide dans la journée pour tout entasser le soir affaires et plaisirs. On entend très bien le confort matériel ; mais le confort intellectuel, pas du tout.
J’attends mes lettres ce matin avec un redoublement d’impatience J’aurais pu avoir un courrier hier soir. Mais ou le débat n’a pas fini mercredi, ou l’on ne m’a rien envoyé.Lady Palmerston me disait hier matin que je n’avais pas l’air agité du tout. Je lui ai dit que je l’étais très rarement, si peu de choses en valent la peine. Elle m’a exprimé une bien vive rancune contre M. de Talleyrand si cajoleur d’abord, et longtemps avec Lord Palmerston, puis si méchant, et très activement. Voulez-vous que je vous dise au vrai où nous en sommes Lady Palmerston et moi? Nous nous plaisons en nous observant.
Les journaux m’arrivent et je vois que le Cabinet a été battu hier ou plutôt cette nuit, dans la Chambre des communes à 16 voix de majorité. Cela me paraît un gros echec. On comptait sur 14 voix dans l’autre sens. Quand j’aurai vu du monde je vous dirai l’impression.
4 heures
L’impression est que ce n’est rien comme tout aujourd’hui. les amis du Cabinet ont été plus insouciants que l’opposition. Beaucoup se sont absentés, ne mettant pas d’importance et ne doutant pas; par exemple Lord Charles Russell, le frère de Lord John, qui s’en est allé à la chasse. Ils auraient dû venir. Lord John aurait dû parler, mais c’est sans conséquence. L’opposition elle-même n’essayera pas de profiter sérieusement de son succès ; elle s’y pavanera sans le pousser plus loin. Elle sait très bien que si elle voulait poursuivre l’adoption définitive du bill de Lord Stanley, elle ne l’obtiendrait pas. Les choses en resteront donc là. C’est une contrariété, point un danger.
Voilà ce qu’on dit et ce qui me paraît vrai. De Paris, je ne sais rien de Mercredi passé 2 heures. Quatre personnes, vous comprise, m’ont écrit en allant à la Chambre. Aucune n’en est sortie assez tôt pour m’en donner des nouvelles. Je vois que MM. de Rémusat, Berryer Thiers ont parlé !
On aura recommencé hier. J’attends donc toujours. La situation restera bien grave et bien vive, même si le cabinet obtient ses fonds secrets et subsiste.
Mais pourquoi n’aviez-vous pas mercredi à 1 heure, ma lettre de lundi ? La même chose est arrivée à ma mère. Le courrier était donc en retard. Il a fait ici un temps affreux mardi et mercredi. La traversée a pu s’en ressentir. On me dit aussi que la malle estafille de Calais à Paris casse quelque fois, tant elle est légère et va vite. Elle met 18 heures.
Je suis charmé que vous alliez voir ma mère.  Elle ma dit votre troisième visite avec plaisir. Vous avez mille fois raison de trouver bien peu spirituel et bien peu digne de refuser la justice à un rival. J’espère bien que je ne suis pas ainsi. J’en serais honteux. Laissez-moi vous faire toucher au fin fond de mon cœur. Il est aisé d’être juste envers un rival qui mérite ce nom et qu’on accepte comme tel. Le difficile c’est de l’être envers un rival prétendu que le public vous donne et qu’on n’accepte pas. Je n’ai jamais eu un moment d’injustice envers M. Thiers. Quelques uns peut-être envers M. Molé. Au besoin, avertissez-moi. Ellice partira pour Paris, du 10 au 12 avril.
Vous répondez très peu exactement. Vous ne m’avez pas dit que le retard de l’arrivee de votre nièce ne retarderait pas votre départ. Vous voyez que je n’admets pas le doute. Mais je tiens à votre réponse. Je me suppose toujours ici. Autrement, je dirai autre chose.
Samedi, 10 heures
Voilà la question résolue résolue, comme il me convient et je crois, comme il convient. Je l’ai appris hier soir en rentrant de chez Lady Holland, par un soin très obligeant de l’éditeur à moi inconnu du Morning Herald qui venait de recevoir un exprès de Paris. Mon courrier n’est arrivé que ce matin à 7 heures Il a été retardé à Calais. La mer était très grosse. Il a mis cinq heures à passer. Les express des
journaux sont venus par Boulogne. Je suis bien aise de la grosse majorité. Cela repousse beaucoup moins le gouvernement à gauche. Thiers m’écrit:
« Nous voilà établis. Mais nos soucis commencent. Jaubert et Rémusat se sont couverts d’honneur »
J’ai d’autres lettres aussi de Duchâtel et autres ; mais toutes avant le vote. Les 221 n’ont pas été aussi compacts qu’on s’y attendait espérance ou crainte. Je ne suis pas fâché que le parti conservateur se soit cru obligé de recourir à mon nom. Quelque soit l’avenir ceci est un gros échec pour M. Molé et les ultra-conservateurs.
Voilà, le 331, et je vais droit à ce qui m’intéresse le plus. Soyez sûre que ce n’est pas une phrase générale que vous écrit la Duchesse de Sutherland. C’est à Stafford house qu’elle vous attend. Je n’ai rien dit et elle ne m’a rien dit de précis à ce sujet. Mais deux fois ses paroles le tour de sa conversation ont implique très clairement que vous viendriez chez elle, que vous seriez chez elle. Ce qu’elle vous mande confirme tout à fait mon impression. Répondez-lui en conséquence. Elle est pour moi d’une gracieuseté inépuisable. Elle m’a écrit hier pour me demander quel jour je voulais dîner chez elle d’ici au 15 avril. Un célèbre docteur de Cambridge, lui a demandé de le faire dîner avec moi, et veut venir à Londres, à jour fixe, car il ne vient que pour cela. Comme elle avait signé Sutherland tout court en me disant Mon cher Ambassadeur, j’ai cru que le billet était de son mari, et j’ai répondu Mon cher Duc & elle me récrit ce matin: « C’est moi, mon cher ambassadeur, qui vous ai écrit Henriette Sutherland. Je viens de lui répondre en lui demandant pardon de ma familiarité ; mais je la prie de garder l’amitié en y ajoutant le respect. Elle me demande un second dîner en famille, pour Mardi prochain, en attendant le Docteur Arnold qui viendra le 10 avril. J’irai. Je veux que mes habitudes soient prises à Stafford House.
Le vote m’enlèvera probablement votre réponse à mon 329. Je la regretterai. Je désirais savoir bien à fond tout votre cœur dans cette circonstance. Au fait, dites-le moi toujours. La crise est passéé mais la situation reste grave, et j’aurai bien des choses et bien des personnes à ménager, pour un avenir dont on ne peut mesurer la distance. Ici le résultat fait grand plaisir. On tient beaucoup à nous, tous les jours plus si je ne m’abuse. Ne croyez pas beaucoup de votre côté à l’impression des paroles de Berryer. Il y a chez nous de vieilles humeurs, des intérêts froissés ; mais au fond, on sent que la surété est ici, & que l’amitié même un peu onéreuse, vaut mieux que la malveillance cachée même tolérante.
Vous l’avez voulu. Mon rôle ici peut être difficile, jamais embarrassant, ni pendant, ni après.
4 heures
Je rentre après quelques visites. Je viens d’écrire quelques mots à Thiers. Je fais répartir ce soir mon courrier. On est très frappé ici de la majorité. On comptera avec nous. Quel déplaisir que l’espace et la mer ! J’aurais des milliers de choses à vous dire. Je dîne aujourd’hui chez Lord Normanby. J’ai vu sa hemme hier au soir pour la première fois, chez Lady Holland. Elle arrivait de la campagne. J’ai trouvé là aussi Lady William Russell avec qui j’ai un peu plus causé. Je persiste. Il n’y a pas assez de mouvement dans cet esprit si plein. Je viens d’être dérangé par le Ministre de Saxe. Je soigne la petite diplomatie selon votre précepte et il me semble qu’elle s’en aperçoit. J’en ai eu six hier à dîner, entr’autre, M. de Neumann et M. Kisselef qui ont trouvé le dîner excellent.
Neumann avait l’air heureux et recueilli. Il mange avec autorite. Vous ai-je dit que décidément M. de Brünnow n’irait pas à Darvonstadt? Du moins on me l’assuré. Mais les Russes ont l’amour pour du mystère.
Adieu. à lundi. Ne manguez pas de me répondre sur juin. Commencez à fixer quelque date précise. C’est un grand plaisir de marcher vers un point lumineux. Adieu Adieu. Jamais assez.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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332. Londres, Dimanche 29 mars 1840
9 heures

L’effet de cette grosse majorité est considérable ici, et me servira, j’espère. J’avais hier Lord John Russel chez Lord Normanby. J’ai vu le soir lord Landsdowne et M. Macaulay. Ils sont disposés à compter avec nous. Ellice est charmé. Il partira décidément le vendredi 10 avril. Il est bien heureux. J’ai causé hier soir avec le revérend M Sidney Smith, qui a réellement beaucoup d’esprit. Mais tout le monde s’y attend, tout le monde vous en avertit. C’est son état d’avoir de l’esprit comme c’est l’état de Lady Seymour d’être belle. On demande de l’esprit à M. Sidney Smith, comme une voiture à un sellier. Rien ici ne va facilement librement, sans attente, ni dessein. Tout est classé, arrangé, convenu. On fait bien d’avoir de la liberté politique, car on n’en a pas d’autre.
La Duchesse de Sutherland dinait chez Lord Normanby. Je confirme mon dire d’hier. Elle compte évidemment sur vous, chez elle. Elle s’informe de la date de votre arrivée. Après le Parlement au mois d’Aout, ils ont le projet d’aller en Ecosse où ils n’ont pas été depuis longtemps.
Lord Grey est arrivé avant-hier, très bien portant et très grognon, me dit-on. Il paraît qu’il fait comme M. Royer-Collard; il perd ses illusion de vieillesse. Ces deux hommes là ont bien mal entendu leur position avec un peu de bienveillance, ils auraient pu avoir beaucoup d’influence. Ils aiment mieux avoir de l’humeur et déplaire. Je suis pourtant curieux de Lord Grey, et je veux être bien avec lui.

3 heures
Je viens de faire à pied le tour complet de Regents Park. J’ai marché une heure et demie. Ce doit être ravissant en été. Par malheur, je n’étais pas seul. Bourquenoy et mes deux attachés, m’ont accompagné. J’aime à me promener seul quand je ne suis pas deux. J’aime à penser en marchant, à me souvenir à prévoir. Ma mémoire et ma prévoyance vont au même but. Voilà encore une épreuve. Je me plais ici, et j’y réussis, pour mon compte du moins. Tout ce que j’ai de curiosité & d’amour propre mondain est satisfait. Je ne suis insensible à aucun des plaisirs de ma situation. Décidément ce sont de petits, de bien petits plaisirs, des plaisirs qui ne vont pas au delà, de l’épiderme dont rien ne reste passé le moment de leur présence. Je suis là dessous, mon âme qui languit et se plaint du vide ; elle a faim et soif; tout cela ne la nourrit pas.
De tendres soins, donnés ou reçus, des regards d’affection des paroles de confiance, voilà ce qui fait vivre ce qui remplit et épanauit le cœur. Hors de cela, rien ne suffit. J’ai ressenti cette impression dans le tumulte des plus grands évènements et des plus grandes affaires. J’aime beaucoup cela beaucoup. Cela même ne va pas au fond. Un vide immense reste. Salomon a eu tort de dire : Vanité des vanités, tout est vanité ! Le pouvoir, le monde, les succès d’ambition, d’amour propre tout cela est quelque chose; je l’accepte et j’en jouis volontiers. C’est du luxe, beau luxe pour une âme d’ailleurs satisfaite, mais qui ne serait pour moi que misère, si j’étais réduit à m’en contenté. Deux ou trois jolis cottages que j’ai entrevus au delà de Regents Park au pied des coteaux de Primrose, m’ont fait venir tout ceci sur les lèvres, et je vous le dis comme je me le suis dit
à moi-même tout le long de ma promenade.  C’était à vous aussi que je le disais en marchant.

6 heures
Lord Clarendon et M. Croker m’ont interrompu. Ils sont arrivés successivement. Ils ne s’étaient pas vus depuis le bill de réforme. Croker a beaucoup d’esprit; mais c’est un maniaque. Il voit l’Angleterre en République. La révolution francaise a donné a des hommes fort distingués un coup de marteau dont ils ne se sont jamais remis. La santé dans cette société-ci est bien plus forte que la maladie. Plus j’y regarde, plus je me rassure. Croker n’a plus qu’un pied à terre à Kensington. Il habite à cing lieues de Londres, près de Hamptoncourt dans une chaumière qu’il a arrangée, dit-il, pour lui et ses livres. Il m’a fait promettre pourtant d’aller diner chez lui dans la belle saison. Outre qu’il a de l’esprit c’est un esprit varié et cultivé. Vous savez que je suis sensible à cela, et ici encore plus.
Vous avez décidément raison. Lord Clanden, est tout-à-fait aimable. Nous sommes très bien ensemble.

Lundi, 9 heures et demie
Non, il n’est pas permis de condamner un homme de sens à un pareil ennui. J’ai dîné hier à côté de Mad. Lionel Rothschild, fort jolie, mais parfaitement et bavardement bête. Je ne sais pas si je l’amusais, mais elle s’est crue obligée de m’amuser et deux heures de ce plaisir la c’est trop. Lord et Lady Albermarle, Lord et Lady Landsdowne Ellice et des Rothichild de tout pays et de tout âge. Il y en avait un qui se marie aujourd’hui et qui dans le transport de sa joie m’a paru en train de s’enivrer tout le long du dîner.
J’ai fini chez Lady Holland, avec Lord et Lady Palmerston et Lord John Russell. Plus Lady Acton. Il y a un petit complot pour lui faire épouser, Lord Alvanley. Elle ne veut pas. On dit qu’il ne peut plus revenir en Angleterre, tant ses affaires sont en mauvais état, et que lorsqu’il aura assez du Pacha d’Egypte, il s’établira à Paris. Avant-hier chez Lord Normanby, j’ai fait connaissance, avec Lord Chesterfield la fleur des dandys fashionable. Fleur sans grâce ni parfum. Décidément la frivolité ne va pas aux Anglais. L’esprit même qu’ils y apportent est raide, affecté, tiré par les cheveux. Il faut à ce rôle une souplesse, une vivacité de corps et d’esprit, qui leur manquent tout à fait, et quand ils les cherchent, on voit l’effort bien plus que le succès. On dit
que les affaires de Lord Chesterfield aussi sont mauvaises et qu’il reste peu de chose des 35000 louis de rente avec lesquels il est entré dans le monde. Pourtant les Whigs le soignent et espérent un peu le ramener à eux ! Il a été choqué que Sir Robert Peel ne lui ait rien offert dans sa dernière négociation. Tout ce que je vous dis là ne signifie pas grand chose; mais je sais que d’ici tout vous intéresse.

2 heures
Le 332 m’est arrivé pendant ma toilette. Je le parcours vite ; puis, je le pose là, à côté de moi, jusqu’à ce que j’aie fini, et je le regarde souvent. Je n’avais guère besoin que vous me disiez votre opinion en cas d’un Ministère Soult Molé. Vous avez bien vu qu’elle était la mienne. Mais je veux vous dire que je n’ai pas dit du tout ce qu’on vous a répèté : " Avec Molé jamais. " J’en suis parfaitement sûr. J’ai écouté toutes mes paroles à cet égard. Voilà la seconde ou la trosième preuve d’un petit travail arrangé en ce sens pour me lier à Paris par mes propos à Londres. Peu m’importe du reste. Quand l’occasion viendra, personne ne me lira que moi-même.
Votre plaisir de mon succès ici fait bien plus de la moitié du mien. Soyez tranquille ; je ne me sens pas la moindre disposition à en dévenir arrogant. Je vous dirai, à cette occasion, une chose très arrogante. Deux situations me conviennent et me mettent ou plutôt me laissent dans mon état moral simple et naturel, la très bonne ou la très mauvenie fortune, la grandeur ou l’adversité. Je m’y sens parfaitement à l’aise. Ce sont les situations mitoyennes et douteuses qui me déplaisent et me gênent quelques fois dans mon allure.

3 heures
Vous ne devineriez pas qui m’a interrompu. Le master of the household de la Reine, M. Charles Murray, qui venait de sa part me demander la permission de s’aboucher avec mon cuisinier pour qu’il lui fit venir de France un bon patissier. Je les ai abouchés en effet, et le patissier viendra. Je suis bien aise que vous ayez causé avec Thiers et de ce qu’il vous a dit. Il n’y a pas de caresse qu’il ne me fasse et ne me fasse faire. On me caresse fort de tous côtés. On dispute mon opinion et mon nom. Je n’ai qu’à me taire et à faire ce que je fais ici. Voici ce que m’écrit le plus sensé et le plus clairvoyant de mes amis conservateurs.
"Autant qu’on peut juger une situation, le lendemain du jour où elle s’est dessinée voici, il me semble, où nous en sommes. Nos 158 voix ne sont pas complètement homogènes. Mais en les réduisant à 140, on a le chiffre des conservateurs détermine à empêcher l’alliance avec la gauche, soit dans le pouvoir, soit dans l’opposition. 40 voix à peu près dans la majorité ministérielle ont la même tendance, mais non la même résolution. Le parti conservateur est donc en minorite, et ne peut recevoir la majorité que de ses alliances ou des fautes du Cabinet. "
" Ceci me semble dicter la conduite que nous devons tenir. Nulle occasions qu’on puisse prévoir ne se présentera, d’ici à la fin de la session de donner un vote politique. L’attitude hostile serait donc sans prétexte et aurait de grands dangers. Elle établirait la division d’une manière permanente entre nous et la portion la plus rapprochée de nous dans la nouvelle majorité. L’attitude expectante, nous
laissera prêts pour l’une des deux éventualites que le temps doit prochainement amener. Si Thiers se gouverne et se modère, la gauche ne tardera pas à le quitter, et nous lui deviendrons nécessaires. Nous restons assez nombreux pour faire nos conditions. Si Thiers s’enivre de son succès, s’il demande ce qui me paraît inévitable, la dissolution pour consolider le déplacement de la majorité nous sommes en mesure d’appeler à nous la portion la plus modérée de ses amis et de former avec eux le Roi aidant, un ministère et une majorité. Dans les deux hypothèses la guerre ne nous serait bonne à rien et nous ne pouvons que gagner à la paix. Voilà la conduite que je conseillerai à Duchâtel. Je vous prie de m’en dire votre avis. Je m’en servirai suivant l’occurrence, pour moi et pour les autres." Pour vous seule, bien entendu.
Adieu. Il m’est presque aussi difficile de vous quitter ici que rue St Florentin. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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337. Londres Mardi 7 avril 1840
10 heures

Je reviens à votre colère. Je suis très perplexe. J’ai envie d’être content et faché, de vous remercier et de me plaindre. C’est bien tendre, mais bien injuste. Comment ? parce que dans mon ignorance fort naturelle sur trente dîners, j’en aurai accepté un à tort. Londres m’a déjà gâté, je suis descendu dans votre opinion, Dieu sait si je ne reviendrai pas à Paris un mauvais sujet ! Non. Dieu ne le sait pas et bien certainement il ne le croit pas ; il n’est pas si pressé que vous de mal penser de moi. Tenez, je me fâcherais si vous n’aviez pas mis à côté de cela des paroles excellentes, charmantes. Mais, je vous en prie gardez-moi avec la même sollicitude, sans me croire si facile à la chute. Je vous dirai nullement pour l’intérêt de la comparaison, mais pour celui de la vérité que Sully était un fort mauvais sujet, fort grossièrement mauvais sujet et que si les Miss Harriet Wilson de son temps avaient fait des mémoires, il y aurait figuré.
J’ai été hier soir chez les Berry. Ceci est convenable, j’espère. Je ne les avais pas trouvées l’autre jour et elles m’avaient écrit une lettre désolée. Il y a toujours quelques personnes. Elles partent, le 1er mai pour la campagne Richmond où elles m’ont fait promettre d’aller dîner. Je veux y aller une fois tout seul, et voir votre maison. Bourqueney est parti ce matin, par la Tamise. Il va lentement et ne sera guère à Paris que vendredi. Il ira vous voir d’1à 2. Il est très intelligent et très sûr. On l’aime ici. Je ne sais pas encore comment je le remplacerai par interim. Peut-être par Casimir Périer. Peut-être simplement par Philippe de Chabot qui est ici, bien établi dans la société et qui me plait.

4 heures et demie
J’attendais ce qui m’est arrivé ce matin, le 337 et je l’attendais tel qu’il est bien bon, bien tendre et plus dans le vrai que le 336. Oui, vous aviez raison au fond, très raison, mais pas dans la mesure. Vous voyez dans la chose plus de mal et en moi plus de tort qu’il n’y en avait. Car je n’ai eu moi, que le tort de ne pas savoir. J’aurais dû vous dire cette invitation. J’ai toujours tort quand joublie de vous dire quelque chose. Mais au nom de dieu et pour moi, pour mon repos et mon bonheur ne vous laissez pas aller jamais, jamais au désespoir de votre imagination. Vous avez des paroles qui me font horreur et terreur.
Et je sais dans quel état vous êtes quand ces paroles là, viennent sur vos lèvres; je vous y ai vue. Vous me devez, oui vous me devez deux choses plus de confiance et moins de tristesse. Vous me devez qu’à côté de vos alarmes se place toujours une certaine sécurité, à côté de vos peines un certain baume doux et fortifiant. Je ne prétends pas vous faire rien oublier ; je ne prétends pas bannir toute crainte de votre âme si ébranlée. Mais je vous aime trop vous le savez trop bien, et vous devez me trop bien connaitre pour que le doute et le désespoir entrassent jamais dans votre cœur. C’est là ce qui me désole, c’est là ce qui m’offense. Que vous ayiez de bien mauvais de bien amers momens hélas, je ne puis l’empêcher et de loin bien moins encore. Mais que ma pensée, était toujours là ; appelez la comme vous m’appelleriez. Dearest je ne vous dis rien, rien en ce moment de ce que je voudrais vous dire. Mais si vous saviez comme mon cœur est plein de vous et quelle place vous tenez dans ma vie ! Voici mes engagements du moment; ils sont peu nombreux, à cause des vacances de Pâques qui suspendent tout. Je ne vois que des gens qui vont partir pour la campagne. Aujourd’hui, la Duchesse de Sutherland. Demain, Lord Clarendon. Jeudi, M. Hallam. Samedi, à déjeuner M. Senior, membre des Communes avec l’archevêque de Dublin. Dîner, chez l’évêque de Londres, Dimanche, dîner chez Ellice. Il n’y a dans tout cela, ce me semble rien que de très orthodoxe. Ellice ne part que le 15.
J’ai le mercredi 15 chez moi un dîner savant les lords Landsdowne, Aberdeen, Northampton, Mahon,MM. Macalllay, Hallam, Milman, Reeves, Sir Robert Inglis, Sir Francis Palgrave, Sir Henry Ellis, le poète Rogers, MM. Senior, Milnes. Je rends les politesses littéraires.
Soyez tranquille sur mes réceptions du matin. Très peu. J’ai reçu M. Sidney Smith, d’abord parce que je lui croyais un peu d’importance dans le monde, ensuite à cause de Lady Holland qui m’en avait beaucoup parlé. Mais mon instinct m’avait dit de lui ce que vous me dites. Rien ne me plaît moins que les prêtres bouffons. Je vais à la Chambre des Communes, pour la première fois. C’est la Chine. Adieu jusqu’à demain. Oui jusqu’à demain sans interruption.

Mercredi 9 heures
En entrant dans la Chambre des Communes, j’ai été saisi charmé, presque impose par cette extrême simplicité ce grand parloir, ces murs de chêne ce plafond de chêne, ces bancs de chênen, rien absolument rien que des hommes discutant entre eux les affaires de leur pays et les discutant depuis des siécles ; le pouvoir et le temps pour toute grandeur! De ces deux mots gouvernement représentatif, on dirait que nous avons pris la représentation et les Anglais le gouvernement. J’ai écouté. Mes oreilles n’ont pas été aussi frappées que mes yeux. Entre nous, bien entre nous, ce que j’ai entendu est très médiocre, long, sec, froid, commun. Je suis sorti à 7 heures et demie pour aller dîner à Stafford house, avec ce Dr. Arnold qui avait fait 80 milles le matin pour venir dîner avec moi, et qui les refait aujourd’hui pour retourner chez lui. Il m’a paru un homme fort instruit et d’un esprit européen. Je suis retourné aux Communes à 10 heures et demie. J’avais manqué M. Macaulay qui a bien parlé,.Ses amis, s’en félicitaient beaucoup. Il avait besoin d’un succès. Il l’a eu.
J’irai encore aujourd’hui. J’espère entendre Lord Palmerston et Sir Robert Peel. J’ai écouté bien plus attentivement que personne. On écoute bien peu. Et Lord John Russell, qui dînait à Stafford house, prétend que depuis longtemps, il n’avait pas vu la Chambre si attentive.

2 heures
Merci du 338. Jamais trop long. Et si au lieu de me parler de tout, vous ne me parliez que de vous, je le dirais encore bien plus fort. Dites-moi donc tout vous. Toujours le 1er juin, n’est-ce pas ? C’est bien convenu. Je ne comprends pas comment à 1 heure, vous n’aviez pas ma lettre. Elle vous sera certainement venue dans la journée. Je suis tenté de croire que vous avez raison sur le dîner donné d’emblée aux Cambridge. Je n’ai pas encore diné chez eux. C’était l’avis de Bourqueney. Décidément je n’accepterai ou
ne donnerai aucun dîner, sans votre exequatur. M. de Brünnow est venu chez moi hier. Je lui rendrai bientôt sa visite. Il est vrai qu’on se moque un peu de lui. C’est un subalterne. Il se confond avec moi en politesses.
Il se remue beaucoup, et gauchement. Neumann est préoccupé des Affaires de  Naples. Mais on croit que le Roi cèdera. Il n’y aura plus d’affaire. Il est bien vrai que le Roi avait promis l’abolition du monopole. Les Italiens en conviennent. Mais des intéressés dans le monopole ont intéressé le confesseur du Roi, qui lui dit à son pénitent qu’il ne pouvait en conscience abolir le monopole sans donner à la compagnie une indemnité. L’avarice et la conscience ont ainsi pris parti. De là toute la résistance.
Mad. de Talleyrand m’amuse. C’est bien elle. Mais il faut faire ces choses là tout simplement le front levé. L’embarras ne sied point à l’interêt personnel. Il doit être brutal, sûr de son fait, froid et ironique envers ceux qui s’étonnent de ses revirements. Je vous quitte pour écrire au Duc de Broglie ; s’il parle à la chambre des Pairs, j’ai envie qu’il parle d’une certaine manière. Savez-vous la principale cause de l’embarras ici ? On a beaucoup et en ayant peu pensé. On ne sait que faire de toutes les idées, de toutes les difficultés, de toutes les faces de la question qu’on entrevoit à présent. Le siège était fait voilà mon grand adversaire. L’arrivée du Turc ranime un peu la question. Nous allons recommencer à en parler. Pourtant ce qu’il y a toujours de plus probable, c’est qu’on parlera longtemps. Je suis très convaincu de l’état des esprits en France et je travaille de mon mieux à propager ma conviction.
Adieu. Estce que vos pauvres sont irremplaçables ?
Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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339. Londres Vendredi 10 avril 1840
4 heures et demie

Quelques mots aujourd’hui pour vous remercier du 339 si tendre, et puisque les jours sans lettre sont si tristes. Par malheur j’ai très peu de temps. J’ai été chez Lord Palmerston. En en sortant, j’ai eu à écrire une dépêche sur ces affaires de Naples. Je viens de finir. Que c’est commode d’être dans une île avec l’océan pour frontière ! On fait de la politique, extérieure, sans responsabeilité comme les journaux anonymes. Je l’ai dit en riant à Lord Palmerston. Quand l’Italie sera en feu, pour qui sera l’embarras. Je l’ai trouvé raisonnable, c’est-à-dire ne demandant pas mieux que de l’être pour finir ce qu’il a si vivement commencé. Au fait, l’Angleterre profite des avantages de sa position. Ils étaient hier assez inquiets sur le vote de la Chine. Ils ont eu quatre voix de plus qu’ils n’espéraient une heure avant. Je suis resté à la Chambre jusqu’à 1 heure et demie. J’ai entendu la moitié du discours de Peel. Excellente manière de parler, simple et point familière, naturelle, et point froide ; très bien posé de sa personne ; de l’autorité, comme on en a avec ses égaux quand on leur est supérieur sans être un homme supérieur. J’ai été plus frappé de la forme que du fond. Le début à été très bien. Mais quand il est entreé en Chine, le chemin a été si long que le désespoir m’a pris et je suis sorti. Je regrette de n’avoir pas entendu Lord Palmerston. Mais il n’a pris la parole qu’à 2 heures et demie. Il a eu un vrai succès. Ce qui est excellent, c’est l’énergie et l’intelligence avec lesquelles chaque parti soutient Son chef. Les hear et les loud cheers sont pour moitié dans l’éloquence anglaise. Il n’y a rien de tel pour avancer que d’être ainsi poussé. De quoi vous parle-je là quand votre lettre m’a été si avant-dans le cœur ? Vous avez bien raison de me dire de si douces paroles. N’est-ce pas que c’est charmant ? c’est un droit divin, d’envoyer au delà des mers, dans un petit chiffon de papier du bonheur du vrai bonheur? Mais je vous en veux de votre inquiétude vague, et de votre silence. Sur votre inquiétude vague, vous n’avez droit de rien penser, de me rien dire, en pareil sujet ; mais quand vous avez le tort de penser quelque chose au moins faut-il me le dire. Et que ce soit un dîner chez Mad. Maberly qui ait transformé votre inquiétude vague en une conviction si forte en un chagrin si réel! Cela ne serait pas pardonnable si vous aviez jamais besoin de pardon, et j’en serais très offensé si je ne vous connaissais pas comme je vous aime. Vous me dites d’être fier, très fier. Je le suis mille fois plus que vous ne l’êtes pour moi, car le rouge me monte au visage en pensant à la cause de votre inquiétude. Vous ne savez pas ce qu’est pournmoi que de dire les paroles que je vous dis et à quelle hauteur je cherche et je place celle à qui je les dis.
Je n’en dirai jamais, je n’en aurais jamais dit le premier mot à toute cette Angleterre que j’ai vu défiler hier au Drawing-room. Il a duré deux heures. On m’avait menacé de quatre. Les deux plus belles étaient Lady Douro et Lady Seymour. Je mets à côté la Duchesse de Roxburgh, quoique bien moins parfaite. Une foule de beautés, sans grâce, jetées dans un même moule, froides et j’ai bien regardé. Je ne me souviens de rien. La Reine était très fatiguée. Certainement elle est grosse. Elle changeait de couleur à chaque instant. Pour Lady Palmerston, elle a déjà une façon de tenir ses mains qui me persuade qu’on a raison.
Je mets Lady Ashley au nombre des plus jolies. Vous avez mon programme. Depuis, le 14 avril chez les Berry. Le 18, chez M. Macaulay. Le 4 mai chez Mad. Montefiore, une Rothschild. Je refuserai celui-ci. J’en ai essez fait là.
Je vais faire mes invitations pour le 1 mai.
Adieu. Il faut que j’écrive encore à Henriette.
Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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340. Londres Samedi 11 avril 1840
8 heures

Je me lève de bonne heure. Il fait du soleil, ce que les Anglais appellent un beau soleil, blanc et pâle. Lord Mahon me contait hier soir qu’une femme, peu savante voulant lier conversation avec le dernier Ambassadeur Persan et croyant les Persans toujours de la religion de Zoroastre lui avait parlé du culte qu’ils rendaient au soleil. " C’est ce que vous feriez aussi, Madame Si vous le voyiez. "
Je fais comme les Anglais ; j’appelle cela du soleil, et je m’en rejouis ce matin pour ma course à Kensington, car c’est à Kensington que demeure M. Senior et que je vais déjeuner avec l’archevêque de Dublin.
On s’attendait, pour lundi, à une scène curieuse de l’archevêque de Dublin. Il devait parler à la Chambre des lords sur la question des Clergy-reserves au Canada, contre l’archevêque de Cantorbery et l’Evêque d’Exeter, et très vivement.
« Je ne suis pas sûr me disait Lord Holland, qu’il ne dise pas qu’il ne sait point de bonne raison pour qu’il y ait à la chambre haute un banc des Evêques." Mais il ne parlera pas. Tout ce débat va tomber. L’attorney général a découvert que c’était une question-of law à décider par les juges, non par le Parlement.
Je dinerai aujourd’hui, chez l’évêque de Londres, avec je ne sais combien d’évêques. Il m’en a déjà annoncé deux. Et il m’a demande d’aller un dimanche avec lui dans sa voiture assister à l’office solennel de St Paul. L’église veut prendre possession de moi. Malgré son intolérance ; elle est quelquefois de bonne composition. Avant-hier, chez M. Hallam dinaient avec moi d’une part, l’évêque de Londres et M. Gladstone, le champion le plus ardent de l’Eglise dans les communes de l’autre M. Grote, le plus obstiné radical. Il étaient très bien ensemble.
Il n’est pas le moins du monde question de la translation du corps de Napoléon en France. M. Molé me paraît peu au courant des Affaires étrangères. Car ici je ne vois pas pourquoi il mentirait. Du reste je ne suis pas surpris qu’il soit peu au courant. On ne l’aimait pas du tout dans le département, et parmi les gens qui y restent toujours, je n’en sais aucun qui prenne soin de l’instruire.
L’Angleterre a fait le geste pour Naples ; à l’heure qu’il est, l’amiral Stopford doit avoir saisi des bâtimens napolitains et les avoir envoyés à Malte où ils resteront en dépôt jusqu’à l’arrangement. Lord Palmerston est pourtant un peu préoccupé des conséquences possibles du coup. Nous nous emploierons à les prévenir et à amener un accommodement.
J’ai été hier soir un moment chez Lady Jersey ; un petit rout. J’ai causé avec Lady Wilton. Vous avez raison. Elle a de l’esprit. Lady Jersey fait les honneurs de la beauté de ses filles d’une façon vraiment plaisante, comme un marchand d’esclaves.
Au drawing-room, elle n’avait point la robe de Mad. Appony, mais une robe qu’elle a prise à Londres et qu’elle a absolument voulu me faire trouver belle.
3 heures
Je comptais sur une lettre aujourd’hui. Pourquoi ne l’ai-je pas ? J’ai cru jusqu’à présent que vous me l’aviez adressee chez mon banquier qui me les envoie toujours plus tard. Mais il commence à être trop tard. Ecrivez moi sous le couvert de mon banguier moins souvent que sous les autres. Ce n’est pas plus sûr et c’est plus long. Aurai-je au moins une lettre demain Dimanche ? Je me crois bien sur de vous avoir dit que le dimanche même on distribuait les lettres du corps diplomatique vers 1 heure. Vous pouvez donc m’écrire aussi pour le dimanche quand vous le voudrez seulement sous mon propre couvert. Une fois par semaine cela se peut très bien.
Voilà le n°340 que vous avez intitulé 330. Je suis bien aise que vous vous trompez quelquefois. Il m’arrive en effet par mon banquier. Vous voyez que ce n’est pas le plus prompt. Je l’aime bien, car je ne l’espérais plus. Je ne l’aime pourtant pas autant que le 339. Voulez-vous que je vous dise pourquoi ? Comme vous m’aviez écrit deux jours de suites vous pensiez que j’en aurais fait autant et vous avez eu jeudi un petit mécompte de n’avoir pas une lettre de moi écrite mardi, n’est-ce pas vrai ? Pourquoi ne pas me le dire ? Vous me reprochez de vous tromper. Je vous reproche de me cacher. J’ai plus raison que vous.
Je compte faire venir ma mère et mes enfants au mois de Juin mais pourvu que je puisse les ramener avec moi en France au commencement d’Octobre. Je n’ai pas le moindre doute à cet égard. Il faut absolument, pour mes affaires économiques et quand je n’aurais nul autre motif, que j’aille passer à Paris quatre ou cinq mois du commencement d’octobre au milieu de Février. Cela est convenu avec le Roi, le Cabinet, ma famille tout le monde. Je ne doute pas et personne ne doute, amis, médecin & que je ne puisse ramener ma mère et mes  enfants dans les premiers jours d’octobre sans le moindre inconvénient. Et probablement au mois de Février, quand je reviendrais ici, je les laisserais encore à Paris jusqu’au mois de Juin. Je ne me soucie pas de leur faire passer des mois d’hiver à Londres. Je crains un peu pour ma mère, le charbon dans sa chambre. Elle est disposée à des mouvements vers le cerveau, à des lourdeurs de tête. Elle sera fort bien ici dans la belle saison. L’hiver je ne sais pas. Je suis persuadé que la traversée sera peu de chose pour elle. Mon médecin l’accompagnera. Je ne prévois point de difficulté, ni d’inconvénient à cette venue en juin et à ce retour en octobre ; du moins pour la première fois, nous verrons ensuite.
J’ai renoncé, bien contre mon goût et mon naturel, à la prétention de tout régler d’avance et pour longtemps. Mais pour ceci et dans les limites que je vous dis c’est parfaitement décidé. Il n’y a donc rien là, absolument rien qui dérange nos projets ni qui puisse nous causer aucun mécompte. Tenez pour certain que sauf les plus grandes affaires du monde ce qui ne se peut pas à Londres à cette époque.
Je serai à Paris d’octobre en Février avec ma mère et mes enfants. Il faudrait donc que je ne les fisse pas venir du tout d’ici là ce qui leur serait et à moi aussi un vif chagrin. Ils viendront donc en Juin, Notre seul dérangement portera, sur nos visites, de châteaux qui en seront, nullement supprimées mais un peu abrégées. Ces visites-là seront pour moi une convenance et presque une affaire. Ma mère le sait déjà et en est parfaitement d’accord. Je ne la laisserai pas seule à Londres. Mlle Chabaud viendra l’y voir au mois d’aout. Je ferai donc des visites, nos visites seulement un peu plus courtes. Il faut bien quelques sacrifices. Je voudrais bien sur cela, n’en faire aucun.
Que signifie cette phrase : "Je ne veux pas que votre première pensée soit pour moi "? Si vous parlez de mes devoirs, de mes premiers devoirs vous avez raison. Est-ce là tout ? Dites-moi. Et puis dites-moi aussi que vous vous associez à mes devoirs, et que vous m’en voudriez de ne pas les remplir parfaitement.
Répondez-moi exactement sur tout cela. Vous ne répondez pas toujours. Et soyez sure que je n’essaierai plus jamais de vous tromper même pour vous épargner un chagrin, même quand j’espérais réussir. Je commence à vous aimer trop pour cela.
J’ai été au Zoological garden avec toute mon ambassade qui m’y a mené. J’aurais mieux aimé y aller seul. Ne me dites pas que vous n’y retournerez jamais avec moi.
Ne vous ai-je pas dit que Brünnow était venu me voir mardi ? Je lui ai rendu hier sa visite. Nous nous parlons de fort bonne grâce. C’est fini.
Je viens de chez Lady Palmerston. J’y ai été à pied. Il me faut une demi-heure. Je l’ai amusée de la reconciliation de Mad. de Talleyrand avec Thiers et de la robe de Lady Jersey. Elle ne les aime ni l’une ni l’autre. Elle est charmée du dernier succès de son mari.
Mon archevêque de Dublin est étrange, le plus dégingandé, le plus distrait le plus familier, le plus ahuri, le plus impoli et à ce qu’on dit le meilleur des hommes. Il en a l’air.
Adieu. J’ai encore deux lettres à écrire et quelques visites à faire. Adieu. Adieu. Commeil y a trois mois comme dans deux mois

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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341. Londres, Dimanche 12 avril 1840 929
10 heures

J’ai dîné chez l’évêque de Londres. L’archevêque de Cantorbery, l’évêque de Landaff, un ou deux Chanoines de Westminster, Lord Aberdeen, Sir Robert Inglis, M. Hallam. Tout ce clergé très gracieux pour moi. J’ai causé avec l’évêque de Landaff et Lord Aberdeen Pour la première fois, avec ce dernier un peu de politique. J’essaye de lui expliquer la France. Ma soirée chez Lord Northampton, Royal society. Un rout immense. Je n’ai jamais vu tant de savants à la fois. On m’en présente tant que les noms, les genres, les gloires se brouillent dans ma tête. Je parlerai quelque jour à un mathématicien de ses poésie et à un peintre de ses machines. Sir Robert Peel était là. Comme orateur, il n’a pas fait une bonne campagne en Chine. Celle de lord Palmerston est beaucoup meilleure. Son succès est général. "His best speech." m’ont dit Lord Aberdeen et Sir Robert Inglis. Lady Palmerston que j’ai vue hier (je vous l’ai dit, je crois) prétend que depuis trois jours, il est comme en vacances. Point de bataille dit-on, jusqu’à la Pentecôte.
La Reine était prodigieusement préoccupée, agitée de ce débat. Plus Whig et plus Melbourne que jamais. Il ne paraît pas que le mari nuise le moins du monde au favori. Et le favori doit son succès aux meilleurs moyens, à sa conduite parfaitement sincère, sérieuse, dès le premier jour, et tous les jours depuis, il a traité cette jeune fille, en Reine en grande Reine. Il lui a dit la verité toute, la vérité. Il l’a averti de tous les périls de sa situation de son avenir. Une affection de père, un devouement de vieux serviteur. Tout cela de très bonne grâce et très gaiment. Il a bien de l’esprit et bien de l’honneur.

6 heures
Je rentre. Ellice est venu me prendre en caléche, à 1 heure et demie et depuis nous avons toujours roulé ou marché. Nous sommes sortis de Londres par Putney bridge, et rentrés par Hammersmith bridge et Kensington. A Putney d’abord, nous avons fait une visite à Lord Durham qui est jusqu’au 1er Mai, dans une assez médiocre maison que lui a prêtée Lady de Grey. Bien changé, bien abattu, bien triste, presque aussi étonné et irrité de la maladie que des revers politiques, que des malheurs domestiques ; toujours enfant gâté, et il en faut convenir traité bien sévèrement par la Providence pour un enfant gaté. Il a de grands maux de tête, qui  allaient mieux depuis quelques jours ; mais il a pris un rhume qui le fatigue et l’impatiente. Ellice lui avait évidemment promis le plaisir de ma visite. Il a été aimable, spirituel, animé par minutes, et retombant à chaque moment dans une nonchalance fière et triste.
J’aime sa figure malade. Il m’intéresserait beaucoup si je ne lui trouvais une profonde empreinte d’égoïsme et l’apparence de prétentions au dessus de ses mérites. Il est bien effacé aujourd’hui ; mais on dit qu’il redeviendra tôt ou tard un embarras considérable.
De Putney à Richmond par le parc. Promenade charmante, à travers les plus jolis troupeaux de daims, petits, grands, familiers, sauvages. La verdure commence à poindre. Dans un mois ce sera délicieux. Le cœur m’a battu en arrivant à Richmond. Oui battu, comme si je devais vous y trouver. Ellice me montrait la Tamise, la terrasse, le pays. Je cherchais votre maison. Ellice ne savait pas bien. J’ai été très choqué. Il m’en a indiqué deux ou trois. Je sais à présent. Elle est devenue, un hôtel Family-Terrace. J’aurais bien voulu être seul. La vue de Richmond est ravissante, grande et gracieuse. Nous nous sommes promenés là une demi-heure. Si j’avais été seul, je serais resté plus longtemps. J’aurais cherché bien des choses. Je suis sûr que je les aurais trouvées. Je vais m’habiller pour aller diner chez Ellice. Que ne puis-je aller dîner avec vous !

Lundi, 9 heures
À 9 heures et demie, j’ai été à Holland house pour la première fois. Je m’y plairai beaucoup. J’aime cette bibliothèque, ces portraits,  tout cet aspect sociable et historique. J’ai horreur de l’oubli de ce qui passe. Tout ce qui porte un air de durée et de mémoire me plaît infiniment. Et du seul plaisir que j’aime vraiment, un plaisir sérieux, qui repose et éleve mon âme en la charmant. Je puis me laisser aller un moment aux petites choses aux choses agréables et amusantes, mais fugitives et qui fuyent sans laisser de trace. Au fond, elles me plaisent peu ; le plaisir qu’elles me procurent est petit et fugitif comme elles. J’ai besoin que mes joies soient d’accord avec mes plus sérieux instincts, qu’elles me donnent le sentiment de la grandeur, de la durée. Je ne me désaltère et ne me rafraichis réellement qu’à des sources profondes. Cette maison gothique, cet escalier tapissé de cartes de gravures, avec sa forte et sombre rampe, en chène sculpté, ces livres venus de tous les pays du monde, dépôt de tant d’activité et de curiosité intellectuelle, cette longue série de portraits peints, gravés, de morts, de vivants, tant d’importance depuis si longtemps et si fidèlement attachés, par les maîtres du lieu, à l’esprit, à la gloire aux souvenirs d’amitié ; tout cela m’a fortement intéressé, ému. J’ai été en sortant de Holland-house chez Lady Tankerville. Je l’avais promis à Lady Palmerston qui me l’avait demandé. Elle protège beaucoup Lady Tankerville. J’ai essayé de plaire aux gens que j’ai trouvés là. Partout, c’est mon mêtrer de plaire. Mais je ne me plais pas partout. J’y étais hier au soir fort peu disposé.

Une heure
Vous persistez dans votre erreur. Vous appelez 331, le 341. Heureusement, il n’en est pas moins bon. Non, je ne me suis pas un peu plus fâché à la réflexion qu’au premier moment. Regardez-y d’aussi près que vous voudrez. Regardez-y bien. Il n’y a rien qui ait peur de vos regards, Tâchez de tout voir. Mais il est vrai qu’en relisant et plus d’une fois, j’ai été encore plus étonné, et je vous l’ai dit mon étonnement ne peut vous déplaire, pas plus qu’à moi votre chagrin.
Sully n’aurait rien dit à son maître, s’il n’avait pas dérangé ses affaires pour ses maîtresses. Sully prenait des maîtresses et ne les aimait pas. Henri IV les aimait et se laissait prendre par elles. C’est là ce que Sully lui reprochait. Je regrette vos deux mots bien bas et bien intimes. Je ne sais si je les devine bien. Mais je voudrais bien que vous me les dissiez. Placez les quelque part. Je les reconnaitrai séparés. Il y a conscience à se refuser ces petits plaisir si grands.
Vous avez bien raison de mépriser. Soyez sûre que vous ne méprisez pas assez. Vous avez raison aussi de douter du mariage de la main gauche. Il se traitera longtemps sans se celèbrer, ni se consommer jamais. Mais il faut du temps et des incidents pour se dégager. Des embarras, des coup de bascule, de l’impuissance à droite et à gauche, c’est l’avenir et un avenir peut être assez long. Quoi au bout ? Je ne sais pas. En tout cas, je ne crois pas du tout que la rivière coule du côté de M. Molé.
Naples fait bien moins de bruit ici qu’à Paris. Elle n’en ferait même aucun, s’il n’y avait que la rudesse envers un petit Roi. Vous savez qu’ici on ne s’en soucie guère. Mais il peut y avoir tout autre chose ; et la Sicile insurgée inquiéterait même l’Angleterre. On est fort disposé, je crois à accepter, à désirer même nos bons offices pour arranger l’affaire. Soyez sûre qu’il ne viendra pas de là une querelle entre nous. Au contraire.
Il n’y a point de nouveau réglement pour le drawing-room. C’est moi qui ai eu la fantaisie de rester jusqu’à la fin pour voir le défilé complet. Je suis bien impatient que vous sachiez quelque chose des dispositions des Sutherland. Ce serait bien plus commode pour vous, et je ne comprendrais pas qu’ils fissent autrement.
Mais en tout cas nous vous trouverions, je n’en doute pas sur la route de Kensington, une bonne petite maison bien pourvue. Ellice part après-demain mercredi. Il est bien zelé
et bien pratique. Pour moi, je vous aimerais bien mieux seule chez vous. Bourqueney m’écrit : "Je sors de chez Mad. la Princesse de Lieven avec qui je viens de passer une heure beaucoup trop courte.» Votre lettre était sans doute déjà, à la poste.
Adieu. Adieu. Je compte sur une lettre demain. Ai-je tors ? Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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345. Londres, Samedi 18 avril 1840
8 heures et demie

Je viens de réussir dans une petite négociation qui a quelque valeur en elle-même et quelque importance pour moi. A la première nouvelle des vivacités de l’Angleterre à Naples, en causant avec Lord Palmerston et le voyant un peu préoccupé des conséquences possibles, une insurrection en Sicile, des embarras en Italie et, je dis quelques paroles des bons offices de la France et du parti que l’Angleterre en pourrait tirer. Elles furent bien accueillies. Elles le furent très bien à Paris. J’ai mené l’affaire vivement, et un courrier vient de partir hier soir pour Lord Granville qui acceptera la médiation de la France entre l’Angleterre, et Naples chargera la France de négocier au nom de l’Angleterre et lui donnera le pouvoir de suspendre les hostilités contre le pavillon Napolitain. Cela sera bon dans le cas particulier et d’un bon effet général. On verra que la France et l’Angleterre ne sont pas si près de se brouiller, ni si dénuées de confiance l’une dans l’autre. Lord Granville vous aura peut-être déjà parlé de ceci quand ma lettre vous arrivera. Ayez soin seulement de n’en pas parler la première. Du reste, je suppose que l’affaire une fois conclue, on n’aura rien de plus pressé que d’en parler. Je crois avoir bien saisi et bien poussé l’à propos.
J’ai eu hier un pauvre sermon d’une insignifiance et d’une séchéresse rare, commune ici, me dit-on. Mais la foi, et la componction des assistants supplient le talent du prédicateur. J’ai été édifié du recueillement et de l’air convaincu, pénétré, de tout le monde. J’étais à St George hanover-square, la paroisse fashionable. Lady Palmerston s’est mariée là ! Je suis revenu à pied, par un beau temps, mais un vent de Nord-Est fort et froid. Je suis allé faire quelques visites, c’est-à-dire des cartes. Dans la cité pour la première fois, à la Deanery de St Paul, pour l’Evêque de Landaff. J’ai été frappé de l’aspect vraiment monumental de Temple Bar. Lord Wiltoughby, Lord Hermiker, Lord Nugent, le comte de Lovelace (qui a épousé la fille de Lord Byron, jolie et aimable) Lady Willians Pawlett et la comtesse douaierière de Charleville. Voilà, je crois, un compte-rendu bien complet, jusqu’à mes visites.
Le soir, à Holland-House où j’ai trouvé Lord Palmerston qui m’a dit que son courrier venait de partir. Lady Holland me soigne extrêmement. Elle m’a envoyé hier un ouvrage, qu’on dit curieux, sur les principaux procès criminels de l’Angleterre. Je lui envoie ce matin mon maître d’hôtel pour prendre la mesure de papiers de lampe dont elle a besoin et que je lui ferais venir. Palmerston, Hobhouse, Dedel, Neumann, Bülow, Rogers, voilà Holland House hier au soir. On cherchait un vers qui contenait un mot singulier et qui devait être, selon les uns dans Milton, selon les autres dans Shakespeare. On ne l’a pas trouvé.

3 heures
Ces menaces de rougeole me préoccupent extrêmement, et je n’en sais que ce que vous m’en dites. Je n’ai rien de ma mère ce matin, à mon vif chagrin. Elle aura envoyé sa lettre aux Affaires étrangères, pour le courrier de jeudi qui n’est pas parti, sans doute à cause du débat de la Chambre des Pairs. Je n’aurai donc rien que demain, entre midi et 2 heures. Quelle fièvre que la vie ! Je le repète sans cesse parce que je l’éprouve sans cesse. Je suis depuis deux mois dans une grande activité d’esprit, de cœur, de corps. Je n’en suis pas fatigué ; mais j’aurais besoin qu’aucune fatigue extraordinaire, aucune préoccupation extraordinaire, aucun accident, aucune épreuve ne vînt ajouter son fardeau à mon travail, son agitation à mon activité.
Je n’ai jamais senti les contrariétés, les inquiétudes plus vivement que depuis deux mois. Pendant que je lis, que j’écris, quelque idée poignante, quelque crainte horrible me vient tout à coup. Je me lève. Je fais quelques pas dans ma chambre. Je joins les mains devant Dieu ; je le prie, je le conjure deux secondes, qui me semblent des heures. Je me remets à travailler. Et je recommence dix fois. Ah, si Dieu veut encore faire quelque chose de moi, si je lui suis encore bon à quelque chose en ce monde, qu’il protège ce que jaime vous, mes enfants, ma mère. J’ai usé beaucoup de force à supporter. Il m’en reste bien peu.
Alexandre passera-t-il un peu de temps avec vous ? Vient-il prendre son frère ici pour aller en Russie ou se sont-ils donné rendez-vous quelque part ? Je n’ai entendu parler de Paul qu’une fois, Bourqueney, peu avant de partir, a dîné avec lui chez le baron de Munchausen.
On ne m’a pas encore envoyé le grand Cordon. Ce sera probablement à la fête du Roi, le 1er mai. C’est l’époque.

4 heures 3/4
J’ai été dérangé par Neumann et Bülow, de la pure conversation. La semaine prochaine sera stagnante. Tout le monde va à la campagne.
Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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346. Londres, Dimanche 19 avril 1840
4 heures
Je viens de recevoir mon courrier des Affaires étrangères qui aurait dû m’arriver hier et qui m’apporte des nouvelles de ma mère.
Je suis tranquille sur Henriette, et à peu près sur Pauline, quoiqu’elle soit encore souffrante. Ils vont prendre tous trois le lait d’ânesse. Mais quelle horreur que l’absence ! C’est une découverte de tous les jours. Et je la ferai pendant bien des jours, car certainement si la santé de Pauline, n’est pas très raffermie, si celle de ma mère ne me donne pas pleine sécurité, je ne les ferai pas venir. J’aime mille fois mieux avoir à trembler de loin sur toutes les mauvaises chances naturelles qu’en ajouter une de mon fait. Si je ne les fais pas venir, je m’arrangerai pour quitter l’Angleterre quinze jours plutôt vers le milieu de septembre et pour aller les retrouver à la campagne où je les établirai pendant l’été. Car vous ne resterez pas en Angleterre au-delà du milieu de septembre, n’est-ce pas ? Peut-être pas jusque là.
Mon dîner d’hier chez M. Macaulay a été peu intéressant, quoique composé de gens d’esprit, Lord Jeffrey, M. Elphinstone M. et M. Trevelyan etc, savez-vous que les Anglais ont prodigieusement de vanité et de la plus petite. Elle est moins expansive, moins complaisante, et confiante que la vanité française, mais tout aussi ardente et plus raide, plus pedante. J’en vois une foule qui sont extremement préoccupés de l’effet qu’ils font, et très fâchés quand ils n’en font pas, et très soigneux de laisser, de faire percer leurs moindres avantages. Ce qui est vrai, c’est que les hommes sérieux et simples le sont complétement, parfaitement et qu’il y en a beaucoup. Grand pays, ou la petitesse abonde à côté de la grandeur.
De chez M. Macaulay, chez les Berry, où je n’avais pu aller dîner, mardi dernier. Elles avaient un peu de musique, la fille d’un M. Hamilton qui a été ministre à Naples, fort agréable personne, qui chante assez bien, les airs italiens et les romances écossaises, avec un air de passion ossianique et malheureuse qui ne s’adresse à aucun objet particulier et semble une invitation plutôt qu’un regret.
J’étais dans mon lit à minuit, pressé de me coucher, pressé de m’endormir pour attendre avec moins d’impatience les nouvelles de mes enfants. Je me suis reveillé bien des fois. Pourtant j’ai dormi, et l’arrivée de mon courrier m’a tranquillisé. J’aurai d’autres nouvelles, entre midi et 2 heures et de vous aussi, j’espère.

4 heures
Je les ai eues mes nouvelles ; je les ai eues toutes. Mais pourquoi n’aviez-vous pas ma lettre vendredi à 1 heure ?Elle est partie mercredi bien régulièrement et bien pleine de vous car j’avais le cœur plus que plein en vous écrivant. Je me rappelle très bien cette lettre là. Vous l’aurez eue dans la journée.
Pauline continue à aller mieux. Mais je suis décidé. Je viens de recevoir une longue longue lettre de mon petit médecin qui n’est pas du tout d’avis du voyage, ni pour ma mère, ni pour Pauline, ni pour Guillaume. Il dit que pour Henriette seule, cela n’aurait aucun inconvénient. Il en a délibéré avec Andral qui est du même avis. Je n’hésite pas. Je n’en écrirai pas tout de suite à ma mère. Je veux la laisser sortir un peu de la petite sécousse qu’elle vient d’avoir et de l’effroi que lui cause sa responsabilité en mon absence. N’en parlez donc encore à personne du tout. Mais dans une quinzaine de jours, j’écrirai à ma mère ma résolution. Je les enverrai au Val-Richer vers le milieu de Mai. Je suis à peu près sûr que malgré son désir de me revoir, malgré le fardeau de la responsabilité ma mère se sentira soulagée. J’ai quelque fois entrevu que ce voyage l’inquiétait un peu, pour mes enfants, pour elle-même. Elle est d’un courage et d’un devouement sans limites. Elle risquerait ce qui lui reste de vie pour mon bonheur de quelques jours. Mais elle sait de quelle importance sont pour moi sa vie et sa santé. Elle aime ses habitudes, le Val-Richer. A tout prendre elle se consolera, et surtout elle se rassurera, ce qui m’importe beaucoup, car mon petit médecin m’écrit que son imagination est un peu ébranlée et fatiguée. Je vous aurai cet été. Je n’aurai que vous. Mais je vous aurai. Commencez-vous à savoir tout ce que vous êtes pour moi ? Et à ce propos, expliquez-moi une phrase de votre lettre. Vous parlez, dites-vous, à la duchesse de Sutherland du mois de Juin "sans préciser le moment car eux-mêmes seront absents la première quinzaine, et ne pourraient vous recevoir alors." Ce n’est pas à dire, je pense, que vous ne viendrez pas le 1er juin. Vous pourrez bien sans trop d’ennui, passer quinze jours à Miwarts Hôtel ou ailleurs, en attendant que les Sutherland soient chez eux. Et si vous retardiez, vous tomberiez, ou bien près, dans l’arrivée de votre nièce. Précisez-moi cela je vous prie.
Lundi, 8 heures et demie
Je n’ai pas pu aller passer deux jours à Holland house, comme on m’y avait engagé. J’ai chez moi, pour quelques jours, M. Lenormant que je ne veux pas abandonner si complètement. Mais j’y ai été dîner et je suis parti de bonne heure, pour avoir le temps de me promener. J’ai passé une heure seul, dans le parc. C’est ravissant.  Quels beaux cèdres ! Il n’y en a pas plus sur le mont Liban, ni de plus beaux. Les arbres surtout m’ont frappé, car le paysage n’a rien de remarquable. Le diner matériellement excellent, moralement médiocre. Le personnage nouveau pour moi a été M. Duncombe, le radical à la mode. Montrond m’en avait parlé comme d’un ami particulier. Il m’a demandé si Montrond was still alive. Lord et Lady Palmerston devaient venir. Lady Palmerston est venue seule comme nous étions déjà à table. Lui est venu le soir. L’une et l’autre avaient l’air préoccupé, même triste. Je ne crois pas Lord Palmerson content de sa situation. On crie beaucoup, dans son propre parti. La Chine, l’Orient, Naples, les Etats-Unis, c’est bien des querelles et qui coûteront cher. Le déficit de la poste est grand ; il faut de nouvelles taxes. Je ne crois à aucun ébranlement réel, ni du Cabinet, ni de Lord Palmerston. Mais c’est un moment difficile et qui exige, si je ne me trompe, qu’on mette de l’eau dans son vin. Une bonne conversation après dîner, sur toutes choses. M. de Bülow a décidément plus d’esprit que toujours à faire,
tous ses collègues.
Aujourd’hui, le dîner du Lord Maire. Puis, je me réposerai. Lord et Lady Palmerston partent mardi pour Broadlands. Brünnnow et Neumann vont aujourd’hui chez le Duc de Wellington. Ils continuent à lui parler des affaires. La dispersion est générale.
Une heure
La mauvaise nuit de Pauline me tourmente. Être tourmenté et ne rien faire ne pas voir seulement ! Mon petit médecin me donne beaucoup de détails très fidèlement, j’en suis sûr. Il n’est pas inquiet. Il est bien heureux. Vous me direz si ma mère vous fait l’impression d’une personne agitée et fatiguée. Je crains toujours qu’elle n’aille jusqu’au bout de sa force. J’ai confiance dans le lait d’anesse. Il a toujours très bien réussi à mes enfants. Ils ont dû le commencer hier.
N’ayez donc pas peur de Mad. de Meulan.  M. Molé a raison, c’est-à-dire qu’il a bien des raisons d’avoir de l’humeur. Il est bien bon de trouver qu’il n’a pas été attaqué. Sauf Tiers, qui s’est bien défendu, il n’y a eu d’attaqué que M. Molé qui ne s’est pas défendu et n’a été défendu par personne. Le Duc de Broglie l’a attaqué. Villemain l’a renié. Ces débats là ne lui valent rien. Je ne crois pas qu’ils vaillent grand chose non plus pour le Cabinet. Cependant on gagne toujours à faire preuve de talent et d’habilité à prouver qu’on vaut mieux que sa position. Il me semble que c’est le cas de Thiers.
M. de Noailles me sert en effet. J’ai bien lu son discours et j’en parle beaucoup et bien. Je n’ai jamais vu M. de Noailles, sans avoir envie que nous fussions du même avis. Je parlerai Anglais au Mansion house, en demandant pardon de mon mauvais langage. Cela a meilleure grace que de bien parler pour n’être pas compris. A l’académie royale, c’est autre chose ; du bon français. Je sais que c’est un dîner très aristocratique.
Le Chancelier ne vient pas diner le 1er mai à cause de la chambre, comme le speaker. Je prendrai donc à côté de moi Lord Lansdowne et Lord Melbourne. En face de moi, Lord Palmerston qui aura à côté de lui le duc de Wellington et je ne sais qui Lord Normanby, ou Lord Minto ou Lord Clarendon, ou Lord Holland ? Pensez y encore, je vous prie.
Si je mettais Lord Lansdowne en face de moi, avec Lord Palmerston et un autre ministre à ses côtés ; et moi Lord Melbourne à droite, le Duc de Wellington à gauche ?
Adieu. Je vous ferai quelque fois porter ma lettre par mon petit médecin, M. Béhier, très intelligent très sûr et parfaitement dévoué. Adieu. Adieu. Priez pour ma petite fille.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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350. Londres, Vendredi 24 avril 1840
9 heures

Il y avait plus de monde hier à Holland house que je ne comptais et des ennuyeux. Lady Holland, en était très impatientée. Elle avait voulu m’avoir en petit comité. Elle me l’avait dit. Deux ou trois personnes lui ont fait demander à dîner. J’ai beaucoup causé avec Lord Holland. Il est bien occupé de nous et si je ne me trompe bien content de moi. Lord et Lady Tankerville étaient là. Lady Tankerville est en coquetterie, avec moi. Mais quelle coquetterie ! Je n’ai vu aucune femme supprimer aussi absolument sur ses épaules et sa poitrine, toute espèce de fichu, de linge, et n’avoir absolument que sa robe et sa personne. On rit trop des plaisanteries de M. Sidney Smith. On rit avant, pendant, après. Et il plaisante trop sur les évêques et les sermons. D’autant plus trop qu’il a aussi sa part de timidité envers sa robe. Il n’ose plus dîner hors de chez lui le dimanche, et il n’ose pas le dire à Lady Holland, qui l’invite le Dimanche pour le plaisir de l’embarrasser.
Je vous ai envoyé hier le fait général qui caractérise et domine la situation. Voici quelques faits de détail. Lord Palmerston est toujours obstiné, mais obstiné avec doute et inquiétude. Je ne crois point qu’il ait changé de résolution. Je le crois ébranlé dans sa certitude et encore plus dans sa confiance. Le doute et l’inquiétude ont fait, beaucoup de progrès autour de lui, dans le public, dans les chambres, dans le Cabinet. On s’aperçoit, on se dit qu’il y a bien des côtés de la question, bien des intérêts auxquels il n’avait pas pensé, et qui sont compromis par son plan de conduite. Il a le sentiment de ce qu’on pense et dit à cet égard autour de lui. Il s’en défend avec mal aise. Il se sent dans une impasse. Il serait bien aise qu’une bonne porte s’ouvrit pour en sortir. Evidemment bonne, car il tient beaucoup à ce qu’il a fait, à ce qu’il a dit et n’y renoncerait qu’à contre-cœur, même quand il croirait sage d’y renoncer. Aussi, bien qu’il fût content de trouver la porte, il ne la cherche pas. C’est moi qui la cherche. Et je ne suis pas seul à la chercher. Les meilleurs amis de Lord Palmerston et il en a beaucoup, seraient charmés de la trouver. Décidément M. de Brünnnow est un subalterne occupé de pousser sa fortune, en flattant les passions de son maître non de servir une politique. Bien des gens s’en apercoivent et quelques uns le disent. Il embarrasse beaucoup et pèse peu. Le déficit du revenu est une grande préoccupation. D’autant que le moment approche de le déclarer et de demander des taxes nouvelles. Le Chancelier de l’échiquier présentera son budget après Pâques. Toute nouvelle affaire, toute perspective de nouvelle dépense excite une vive inquiétude.
Ce Gouvernement-ci est bien loin de disposer du pays, de ses forces, de ses ressources comme il l’a fait 25 ans. Il gouverne à force de complaisance, et à charge de ne pas demander grand chose aux gouvernés. S’il l’engage un peu légèrement et sans nécessité évidente dans des affaires un peu chères et difficiles, il essuyera de grands mécomptes.

3 heures
Ma mère aura probablement oublié de parler à M. Andral. Elle oublie souvent. Et puis M. Andral est un homme très occupé considérable dans son état. Il ne va pas sur une parole en l’air. Je vous ai dit son adresse. Ecrivez-lui un mot. J’espère que sa visite n’a pas d’autre nécessité que de me tranquilliser. Mais je veux être tranquille comme on peut. Je répète toujours la même chose. J’en ai le cœur si plein. Je pense comme vous. Stafford House est beaucoup plus convenable qu’une auberge et dès le premier jour de Londres. Mais je saisis avidemment votre idée. Quelques jours à Hampstead ou à Norwood seraient charmants.
Je vais minformer s’il y a une bonne auberge, à Hampstead qui, en effet, est près d’ici. Norwood en tous cas. Est-ce dit? Et puis convenez qu’il peut y avoir des incidents, des motifs imprévus, qui dérangent les promesses les plus sincères. Ceci en passant pas du tout pour vous décharger de la vôtre, mais pour répondre à d’anciens reproches. Vous savez que j’accepte avec joie votre chagrin, vos reproches jamais. J’aime bien autant Bruxner pour la vente de la vaisselle. Votre frère y aurait apporte encore mille petites difficultés. Mieux vaut le retard que les entraves. Je viens de voir un de vos admirateurs très vif et très fidèle, Sir Henry Halford. J’ai gagné son cœur hier à Holland house, en le faisant causer. Il est arrivé ce matin, m’apportant ses ouvrages, des Essais sur je ne sais quoi. Un seul m’intéresse l’ouverture du cercueil de Charles 1er. J’ai passé une heure ce matin à discuter des arrangements intérieurs une illumination &. Je fais nettoyer tout le rez-de-chaussée. Vous n’avez pas d’idée de la malpropreté, de la noirceur. Les tapis n’avaient pas été levés depuis cinq ans. C’est une triste chose ici que les tapis. Il n’y en a pas un dans Londres qui vaille les vôtres.
Adieu. Je vous quitte pour écrire une dépêche, pas grand chose. Je jouis beaucoup de n’être plus inquiet pour ma petite fille. On devient facile en fait de jouissances. Sur un seul point. je suis chaque jour plus difficile. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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352. Londres, Dimanche 26 avril 1840 966
Une heure

J’espère que ma lettre vous sera arrivée hier d’assez bonne heure pour vous en servir. Il m’avait été absolument impossible de vous écrire la veille. Les Ministres ne sont pas venus au diner de la Cité parce qu’ils y avaient été très mal reçus la dernière fois, sifflés à la lettre. Lord Melbourne, s’en était très bien tiré, très dignement. Mais ils ne se sont pas souciés de recommencer. Lord Palmerston à qui le matin même, j’avais dit en passant que j’irais, me répondit qu’ils n’iraient pas, et pourquoi. Un motif accidentel de plus. Les Shériffs que la Chambre avait mis en prison, et qui venaient d’être mis en liberté devaient être au dîner, et y étaient en effet. Le Lord Maire a porté leur santé et protesté contre leur emprisonnement. Tout cela faisait bien des petits embarras. Du reste, la santé des ministres a été portée et acceptée avec une froideur décente. Leur absence a été remarquée, mais sans étonnement. Les représentants de la cité au Parlement radicaux n’y étaient pas non plus et n’auraient pas été mieux reçus. La Cité est partagée en Torys en haut, radicaux en bas.
Les Ministres prendront leur revanche, le 2 Mai, at the Royal academy. Encore un speech. J’y ai quelque regret. Pas pour moi ; peu m’importe un speech de plus au de moins. Mais cela fait bien des speech et bien rapproches. Il y a quelque inconvénient à occuper si fréquemment de soi, sous la même forme. Ceci n’est pas ma faute, et il n’y a pas moyen de l’éviter. Je vais aujourd’hui au sermon à St Paul. L’évêque de Landaff m’attend at the deanery. C’est un excellent homme d’une modestie touchante. Je suis très frappé de la vanité anglaise ; je le suis autant de la modestie anglaise. On la rencontre souvent et si simple si douce ! C’est un très agréable spectacle. Je me prends sur le champ d’amitié pour ces vertus qui s’ignorent et s’étonnent qu’on ne les ignore pas. Cette lettre-ci vous sera portée par mon petit médécin, M. Béhier. Il me servira quelquefois de commissionnaire. Recevez le avec bonté. Il vous demandera quel jour vous voulez voir, M. Andral, et se chargera d’arranger le rendez-vous de façon à ce qu’il ne manque pas. J’écris à ma mère sur le voyage. Je lui dis toutes mes raisons. Je lui donne l’espérance, dune course de huit jours au Val-Richer, par le Havre et Honfleur, dans le cours de l’été. J’espère qu’elle ne se troublera pas trop de la perspective d’une responsabilité solitaire, ainsi prolongée. Je sais qu’elle se troublait un peu de la perspective du voyage. Mais un trouble n’en exclut pas un autre.

Lundi, 9 heures
Pitoyable sermon de mon ami l’évêque de Landaff. Mais j’ai trouvé le grand office Anglican très beau, quoiqu’un peu bâtard, entre Rome et Genève. Beaucoup de musique et assez bonne. On avait quelque envie de me faire une réception officielle solennelle en hommage au premier successeur de Sully. L’évêque me l’avait insinué. Je m’y suis refusé. Je n’aime pas l’étalage des grandeurs Humaines dans ce lieu-là. Et puis il m’a semblé de meilleur goût d’entrer tout simplement avec l’Evêque et d’aller m’asseoir à côté de lui. Ma modestie n’a eu d’autre effet que de se faire remarquer elle même. A peine entrés, on nous a aperçus, reconnus ; la foule s’est rangée, et nous avons traversé l’Eglise entre deux haies de fideles curieux et respectueux. Convenez que je vous raconte tout.
Le soir à Holland house. Brünnow y est venu. Il était assis à côté de Lord Holland, moi à côté de Lady Holland, trois ou quatre personnes autour Bülow, Rogers M. Suttrel. Il s’adresse à moi : « J’ai une grande joie ; je suis bien bien heureux ; j’apprends que le Grand Duc a demandé lui-même en mariage la princesse de Hesse.
Lady Holland se penche vers moi : " Il y a trois mois que cela est dans les gazettes. " Sur quoi, Brünnnow nous explique comment l’Empereur a voulu que le mariage ne se fit que quand il serait un mariage d’inclination. Et il était aussi joyeux que s’il eût épousé lui-même. Vient le nom de M. de Pahlen dont tout le monde parle à merveille. Après son nom, sa maison. Lady Holland parle de celle des Champs- Elysées, du regret qu’il a dû avoir de la quitter : " M. le Baron, permettez moi de le dire, c’est une manie de l’Empereur qui la lui a fait quitter. Je ne sais pas quelle manie ; je ne devine pas ; mais une manie enfin." Grande explication de Brünnow, un peu décontenancé. Il y avait de grandes, d’immenses réparations, à faire à l’hôtel qu’occupait à Pétersbourg M. de Barante. L’Empereur a fait faire un devis. C’était fort cher. C’eut été fort long. Un an et demi de travaux. Que fût devenu M. de Barante dans est intervalle ? L’Empereur l’aime extrêmement. L’Empereur n’a pas voulu qu’il fût dans la rue pendant qu’on raccommoderait sa maison. Et puis, quoi donc ? L’ambassadeur de Russie aurait été logé à Paris un an et demi de suite, par la France, pendant que l’Ambassadeur de France à Pétersbourg se serait trouvé sans logement russe ! L’Emperereur ne pouvait souffrir cela. L’Empereur a deux manies; la manie de M. de Barante, et la manie de la probité. Tenez que ce sont les propres paroles.
Ceci n’est pas un bon commérage. Qu’il ne me revienne pas ici, je vous prie.
Lord Palmerston ne revient que demain. Ils paraissent charmés d’être à la campagne. Ils y sont seuls. Lady Palmerston écrit que son mari, la fait monter tous les jours à cheval sur un old hunter. Cela contredit ma nouvelle.

Une heure
Je n’ai pas de lettre aujourd’hui. Pourquoi donc ? Je n’y comprends rien. Elle peut arriver encore par mon banquier ; mais je n’y compte pas. J’en suis vivement contrarié, pour ne pas dire plus.
Il n’y a point de bonne auberge à Hampstead. De petites maisons à louer, furnished, des cottages propres mais très simples. On dit qu’il y a mieux à Clapham, près de Hampstead. Je le saurai ces jours-ci. Je ferai voir aussi à Norwood où on m’assure qu’il y a de bonnes auberges. C’est mon petit herbet seul que je charge de cela, et qui est le plus discret des hommes. Adieu, quand même.
P.S. Je ferme ma lettre à 4 heures et demie. Rien n’est venu par aucune voie.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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357. Londres, Samedi 2 mai 1840

Mon dîner s’est très bien passé. De 8 heures 1/4 à 10 heures à table dans l’ordre que vous savez et qui m’a paru approuvé de tous. Le debut froid et embarrassé comme toujours et partout. Passé la première demi-heure de l’animation et de la bonne humeur. Le cuisinier et la cave ont eu grand succès. Lord Melbourne a bu du vin de Bourgogne avec un contentement réfléchi. C’est Lord Lansdowne qui a porté la santé du Roi, d’après l’avis de Lord Palmerston. J’ai porté celle de la Reine et de tous les souverains de l’Europe. La Parisienne s’est mariée au God save the Queen. Le service a bien marché un peu précipitamment. Ils étaient trop pressés de bien faire. J’avais prodigué l’éclairage ; il était brillant. Cela manque toujours ici. L’illumination était belle, mais un triste accident s’y est mêlé et me désole. La voiture du baron de Moncorvo a accroché une échelle sur laquelle était monté un pauvre charpentier qui allumait les lampions. Il est tombé et il en mourra. Il a le crâne fracassé à la base. Il n’était pas marié, mais il allait se marier. Je lui ai fait donner tous les secours possibles. Mon médecin, qui est allé le voir ce matin à Middlesex-Hospital où je l’ai fait transporter me dit qu’il n’y a pointl’avait fait de chance de guérison. J’avais pris toutes sortes de précautions contre les accidents. Comment prévenir la maladresse d’un cocher? J’ai beaucoup causé avec le duc de Wellington qui y prenait plaisir, quoique la conversation doive lui donner assez de peine. Il cherche ses idées et ses mots comme un aveugle son chemin. Il m’a raconté Charles X, et comment il avait lui toujours prèvu sa fin. Bien aise de me tenir le même langage que Lord Aberdeen qui m’a déjà dit deux fois : " Je me glorifie d’avoir été en Europe le premier ministre qui ait reconnu le Roi Louis-Philippe."
Je ne donnerai mon dîner Whig que le 23. Le 16 serait trop près. Je mets Mr. et Mss. Stanley à la place de Lord et Lady Lichfield à qui je ne dois rien. J’ajoute Lord Duncannon et le Chancelier de l’échiquier. Les Sutherland et toute la famille ne viendront certainement pas, ce qui me donne de la place.

Une heure
Nous nous entendons merveilleusement. Vous m’écrivez ce que je viens de vous dire. Thiers a raison dans sa question : si j’avais fait ce que fait Lord Palmerston & &. Mais s’il l’avait fait, c’eût été beaucoup plus grave. L’action francaise est bien autrement contagieuse que l’action Anglaise. Nous attendons toujours des nouvelles de Naples. On dit que le Roi de Naples travaille à faire juger par ses propres tribunaux, qu’il n’a jamais pu faire ce qu’il a fait et que le monopole est nul de droit. C’est une manière de sortir d’embarras, comme on en sort.
M. de Brünnnow m’a beaucoup parlé de la modération de l’Empereur, qui a vu nos flottes grossir, arriver, se répandre en Orient et n’a pas mis en mouvement un vaisseau, ni un soldat ; si fort et si pacifique, si puissant et si patient ! J’ai reconnu, j’ai accepté, j’ai loué ! « Et je vous assure, M. le Baron, que mes paroles ont peut-être en ceci quelque valeur, car je sais ce qu’il en coûte, ce qu’il faut prendre de peine pour qu’un gouvernement, un pays soit pacifique quand il est fort et patient quand il est puissant. Je le disais il y a quelques années, à un de mes amis qui partait pour Vienne: "Dites que nous sommes sages, que nous serons sages, et que nous pourrions être fous. C’est là le fond de la situation."
Il m’a beaucoup dit, beaucoup, que votre politique avait réellement changé, que vous étiez entrés dans une phase nouvelle, tout-à-fait hors des voies de Catherine, que vous
vouliez sérieusement, sincèrement, faire durer l’Empise Ottoman, qu’on commençait à comprendre chez vous que Byzance avait été la ruine de Rome. & & Hier, à dîner il était de très bonne humeur.
Ma mère me répond ce matin sur les arrangements pour l’été ; et sans nul doute ils lui conviennent. Elle partira pour le Val Richer du 15 au 20 mai. Mlle Chabaud ne peut partir
plutôt, et j’ai besoin, pour ma tranquillité qu’elle soit avec ma mère. Vers le milieu de juillet, elles mèneront mes enfants aux bains de mer, à Trouville, pour six semaines. Mon médecin en est d’avis. Il m’écrit qu’il vous a vue, et que M. Andral doit vous voir le jour même ou le lendemain. Je vous remercie de lui avoir écrit. Je vous remercierai encore quand vous aurez causé avec lui bien à fond. Dieu sait si ma confiance est excessive. Mais enfin  il faut marcher, dans ce monde, avec cette ombre de confiance et à cette lueur de sécurité qui sont tout ce qui nous est permis.
Le Parlement a recommencé. On s’attend à des luttes toujours renaissantes jusqu’à la fin de juillet. Le budget sera difficile. La motion de Lord Stanley, pour la 3ème lecture de son bill sur l’Irlande est retardée, à cause de Lord Morpeth. Au fond, Lord Lyndhurst ne se remet pas. On tremble de l’arrivée de Lord Brougham, et pourtant, à la Chambre des Lords, malgré le pressentiment d’une fatigue immense, on la désire. On dit que la Chambre des Lords, c’est Lord Brougham. 
Le Duc de Wellington m’a parlé hier d’un certain Montrond. Et il m’a fait la même question que M. Duncombe. Is he still alive ?  Adieu. Il n’y a, dans le n° de ce matin, que deux petits adieux noyés dans le dernier paragraphe, et point d’adieu final. Adieu.
Il y a cinquante à parier contre un, que je parlerai français ce soir. Pourtant si mon impression, sur place, était que l’Anglais convient mieux à l’auditoire, je m’y jetterais effrontément. Mais je ne pense pas. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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360. Londres, Mercredi 6 mai 1840
Midi

J’ai été dérangé depuis que je suis levé. Mon courrier de ce matin, m’a apporté je ne sais combien de petites affaires. J’ai beaucoup perdu en perdant Bourqueney. Il les faisait toutes, bien, promptement sans bruit. Il savait se décider seul.
La lettre de Matonchewitz me convient fort. On a raison quand on est de mon avis. Quel pays que celui dont tout homme d’esprit parle avec le sentiment qui éclate là ! Il est sûr que pour tout le monde, l’affaire d’Orient a été mal emmanchée. Je ne sais si je la finirai bien. Je borne ma présomption à croire que, si j’avais été ici, personne ne l’aurait commencée comme on l’a fait. Presque toutes les difficultés viennent aujourd’hui de l’embarras que chacun éprouve à changer de chemin.
Ma demi-heure au bal de Lady Falmouth, a été bien ennuyeuse. J’y suis arrivé après onze heures, le premier ! Tout le monde était encore à l’opéra où l’on s’était donné rendez-vous pour applaudir Tamburini. Lady Falmouth est devenue toute rouge et Lord Falmouth tout pâle en se voyant tête-à-tête avec moi, et obligé de m’amuser pendant je ne sais combien de minutes. Ils y ont très poliment fait de leur mieux. Enfin sont arrivés Lady Cowley, Lord Clare, Lord Haddington. C’était du bien pur Torysme. Je fais tant de nouvelles connaissances que j’oublie quelquefois les noms. Je cause très familiérement sans
savoir avec qui. J’étais dans mon lit à minuit et demi.
Lord Aberdeen a eu beaucoup de succès à la Chambre des Lords avec son bill sur l’Eglise d’Ecosse ; a very clever speech. J’en suis bien aise. Si nous vivions longtemps ensemble, vraiment de près nous finirions par de l’intimité. J’aime sa tristesse. Il se prépare à prendre le rôle du Duc de Wellington ; modérateur des Torys. Cela se voit. Il fait bien. Mais il n’empéchera pas une scission dans le parti. Là où elle est la déraison est bien profonde et bien hautaine. On entrevoit, contre Peel, une humeur immense, timide, mais courroucée de sa propre timidité. Le Duc seul contient.

3 heures et demie
Je viens s’apprendre qu’Alexandre a eu hier un accident, rien de grave, il est à merveille ; j’ai de ses nouvelles d’il y a deux heures. Il était en cabriolet; le cheval s’est emporté ; il est tombé. On l’a saigné ; il a parfaitement dormi cette
nuit ; il est fort bien aujourd’hui. Le chirurgien est pleinement rassurant. Dans deux ou trois jours, il n’y paraîtra plus. M. de Brünnow doit vous écrire aujourd’hui pour ne vous laisser aucune inquiétude.
Une horrible affaire s’est passée cetle nuit. Le vieux Lord Willian Russell a été assassiné dans sa maison, dans son lit, égorgé à la lettre, la tête presque tranchée. On a volé quelques bijoux, un peu d’argent. On suppose que ce sont des domestiques, des amants des house-maids. On ne sait encore rien de precis. Le débat sur le bill de Lord Stanley, qui devait avoir lieu ce soir est remis à causé de Lord John. La reine était charmante ce matin à son lever, parfaitement gracieuse et digne. Elle est un peu engraissée. Je lui ai présenté deux Français qui sont ravis de son air et de sa personne. Le lever n’était pas très nombreux. Le Prince de Casteleicala a la plus grossicre et la plus familière tournure provençale qui se puisse voir.
Je n’ai pas encore entendu parler d’Ellice. Je l’attends impatiemment. Que ne donnerais- je pas pour causer deux heures avec vous ! Eh bien en y pensant le plaisir de vous
voir surpasserait à tel point toute autre idée qu’il m’en distrairait absolument, & qu’il me faudrait plus de deux heures pour penser un peu à autre chose. Adieu. Je voudrais vous envoyer à propos de l’accident d’Alexandre, toute la sécurité qu’il y a lieu d’avoir. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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362. Londres, Vendredi 6 mai 1840
18 heures

Alexandre continue à aller mieux, c’est-à-dire qu’il va bien. J’ai encore votre inquiétude, sur le cœur. J’aurais voulu le voir, pour vous dire que je l’avais vu. Je n’ai pas cru devoir insister. Les accidens m’entourent. Hier, un de mes attachés que j’ai amené, le jeune Banneville a fait une chute de cheval à Turnham-Green. On a cru d’abord que c’était grave. Il était sans connaissance. On l’a saigné deux fois. J’ai été averti en m’éveillant et je suis allé sur le champ le voir et le chercher dans la mauvaise auberge, où il était. Il est bien. Je l’ai ramené. Ce ne sera qu’un accident. Je vais écrire à sa mère. Ce sont des Normands de mon voisinage. Je ne sais pourquoi la poste arrive si tard aujourd’hui. Je n’ai encore rien. J’ai dîné hier à Holland house, avec Lord Melbourne, Lord Lansdowne et Lord Normanby. De là chez Lady Willonghby. On me presse de toutes parts de prendre des engagements de châteaux pour août et septembre. Je n’en prends aucun. Je veux garder ma liberté. Ellice a été content de votre santé, de votre apparence. Il dit que vous courez beaucoup et sans trop de fatigue. Il m’a même parlé de je ne sais quel projet de spectacle où vous deviez aller avec Lady Granville et lu,i voir je ne sais quelles premières années de Richelieu et Mlle Déjazet. Je n’ai pas cru cela. Je ne me  figure pas vous vous amusant du mauvais goût, même gai.
J’ai trouvé Ellice assez préoccupé de l’état des affaires à Paris et sans grande confiance, pour le Cabinet. Vous a-t-il tenu le même langage?

2 heures

Voilà le 365. Je suis convaincu que votre impression, sur le Roi est la vraie. Il échappe à la pénétration de vos diplomates. Il a des premiers mouvements très irréfléchis et des profondeurs, incommensurables qui les trompent  également.
Ma réponse à vos copies vous sera arrivée trop tard à cause du retard d’Ellice. J’ai relu. Je me répète. C’est bien puérile ou bien maladroit. Je devrais dire et, non pas ou.
Que j’ai à vous dire sur les choses et sur les personnes! Quand vous le dirai-je? Lord Burlington, ne reste pas à Stafford-House. Il est reparti pour la campagne. Je ne vous réparle plus de Blackheath, ni de Norwood. La seule concession qu’il faille faire aux sots, c’est de ne rien faire que bien publiquement à leur barbe ; n’est-ce pas ? Vous devriez bien être déjà ici et m’indiquer quelque chose à envoyer à mes enfants. M. Lenormant part après demain. Je sais pour Guillaume.
Je lui enverrai une toque écossaise, vrai highlander, le bigarrage et la plume. Mais pour mes filles, je cherche sans succès. On donne trop aux enfants; ils ont de tout avant d’en jouir. Pourtant les miens ne sont point blasés, je vous en réponds ; le plus petit et le plus beau présent leur font le même plaisir et un plaisir très vif.
Mon dîner whig sera bien complet. Tout le monde accepte, même Lord Melbourne qui dîne peu en ville, et ne dînait à peu près jamais à Hertford-House. Puisque vous ne m’avez rien dit du dîner du 1er mai, c’est que rien ne vous est revenu, ni sur le cuisinier, ni sur le service.
On me répète que M. de Metternich a un dépit énorme de notre médiation à Naples. Est-ce pour quelque chose dans l’humeur d’Appony ? Je suis fort aise que cette médiation réussisse. Ce sont mes premières armes.
Les Ministres me paraissent ici assez préoccupés du bill de Lord Stanley et de leur budget. Ils ne finiront leur session que fort tard. La mort de ce pauvre Lord William Russel, leur fait perdre huit jours. On dit que Lord John est frappé du malheur des siens. C’est un excellent homme. Il vit beaucoup avec ses enfants et les élève en partie lui-même.
Adieu. La chaleur a cessé, mais la pluie n’est pas venue. Adieu Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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364. Londres, Dimanche 10 mai 1840
4 heures

Je m’attendais à toute votre inquiétude. Les nouvelles de chaque jour vous auront rassurée. Celles de ce matin sont très bonnes. Je vous ai dit exactement tout ce que j’ai su. Si j’avais trouvé qu’il y ait lieu de vous dire positivement : Venez, je vous l’aurais dit sans hésiter. Je saurai demain matin, quels sont les projets de votre fils, s’il compte toujours aller vous retrouver, quand. Vous le savez probablement déjà. Il est chez M. Gale, 2 Berkeley Square.
Les accidents de la semaine ne tournent pas mal. Mon petit Banneville est presque sur pied. Je viens de Blackheath. J’ai mieux aimé aller regarder moi-même. Vous ne pouvez pas être là. Il n’y a qu’un hôtel the Green-man, trop petit et pas convenable pour vous. Le Park-hotel de Norwood est infiniment mieux. Il m’a paru vraiment bien et très agréablement situé. Si les Sutherland vous reçoivent chez eux le 1er juin, vous viendrez si peu de jours auparavant que la distance de Norwvood importe assez peu. Et s’ils ne vous reçoivent pas, vous viendrez à Londres.
Je viens de conclure en trois jours une petite négociation qui fera grand bruit. J’ai redemandé les restes de Napoléon et on nous les rend. Ils seront déposés aux Invalides. Il y a plaisir à faire des Affaires avec Lord Palmerston quand il est de votre avis. Il les mène simplement et rondement. Ne parlez de ceci que quand on en parlera. Probablement on en parle déjà. Mais en tout cas, je désire que la publicité ne vienne pas de vous. On m’a promis de Paris une immense poputarité si je réussissais. Encore une fois, attendez qu’on en parle. Je ne sais pourquoi je vous répète cela.
J’ai dîné hier chez Sir Robert Peel, un dîner de Royal academy. Il y en avait un aussi chez Lord Lansdowne où j’aurais dû être aussi. Mais Peel avait eu la priorité. Je ne dînerai point chez les Philips. Je commence à supprimer quelques ennuis. Je me suis promené dans le parc de Greenwich. Je voulais retourner à Richmond. Mais  je n’ai pas eu le temps.

Lundi 3 heures
Voici les renseignements les plus exacts et les plus complets. Alexandre continue d’aller bien. Chez lui, on dit et il dit lui-même, ce matin, qu’il partira dans huit jours pour Paris. J’ai envoyé Herbet, chez Brodie. Il l’a vu et à causé avec lui. Brodie trouve Alexandre bien, si bien a-t-il dit, qu’il n’ira pas le voir aujourd’hui. Mais à cette question d’Herbet: " Croyez-vous que le Prince Alexandre puisse partir dans huit jours ? " Brodie a répondu positivement; " He cannot. - Et dans quinze jours? Brodie a dit que c’était probable ; mais qu’en homme sensé, il ne voulait pas en répondre. Vous savez à présent le véritable état des choses. Il n’y a absolument aucun danger ; mais il faut du temps. Je n’ajoute rien. Décidez.
Je viens d’un grand meeting que devait présider Lord John Russel et où il a été remplacé pas Sir George Grey. Il a fallu comme de raison, y prendre la parole to second a motion. Il me semble que m’a popularité ne faiblit pas. J’ai reçu pour ce mois-ci quinze ou vingt invitations, à des meetings semblables. J’ai choisi les deux les plus considérables. Je n’irai qu’à ceux là.
J’irai peut-être dans deux heures à la Chambre des Lords où le Chancelier doit proposer un bill sur lequel parlera Lord Lyndhurst. On dit qu’on attend Lord Brougham le 23.
Votre "il ne peut pas" serait donc faux. No news. Si ce n’est que Palmella s’oppose à la demande Anglaise à Lisbonne. Mais on dit que ce pourrait bien être pour renverser le Cabinet portugais, et prendre sa place. Adieu.
J’approuve les changement à la lettre. Que j’ai de choses à vous dire ! Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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369. Londres, Vendredi 15 mai 1840

Une heure
Votre fils va bien. Brodie devait l’autoriser à sortir en voiture aujourd’hui ou demain. Je saurai avant de fermer ma lettre, si en effet, il est sorti. Il a eu une petite indigestion, uniquement pour avoir trop copieusement dîné. Mais sans aucune suite fâcheuse.
Vous me dites aujourd’hui : " N’essayez pas de voir mon fils, cela le troublerait." C’est ce que j’ai pensé dès le premier jour.
Je ne vous en veux point. Je vous pardonne tout. Je reste surpris et triste. Vous souvenez-vous de ce que disait la petite Princesse men éfonne Dunfultass? J’ai cette folie de vouloir que ce qui est beau soit parfait.

3 heures et demie
Je reviens de Buckingham-Palace. J’avais des lettres à remettre à la Reine. Comme de raison, Lord Palmerston l’a fait attendre un quart d’heure seulement. J’ai été heureux jusqu’ici. Il a toujours été avec moi d’une ponctualité exemplaire. Je ne l’ai pas encore attendu plus de dix minutes. Il y a cinq semaines, je n’avais pas entendu dire un mot des restes de Napoléon. Thiers m’en a parlé le jeudi 7 mai pour la première fois. J’ai vu Lord Palmerston le même jour. Il m’a donné, le samedi 9 l’assentiment du Cabinet, et il a écrit le même jour à Lord Granville. J’ai fait savoir la nouvelle à Thiers, Dimanche 10 par le télégraphe. Il a reçu le lundi 11 mon courrier et communication, par Lord Granville, de la dépêche de Lord Palmerston. Il a présente sa loi le mardi 12 ; et je lui enverrai très probablement ce soir 15 le reglement détaillé du mode d’exécution ; le nom de l’officier anglais qui ira sur notre frégate, porteur des ordres du Cabinet au Gouverneur de St Hélène. Vous avez la chronologie compléte de cette affaire.
J’ai été chargé de l’arranger ici. Je l’ai fait. Je ne suis pas chargé des conséquences. Du reste, nous sommes, je crois, destinés à vivre sous un horizon couvert de gros nuages qui  ne portent pas de tonnerre.
Je n’ai pas éte surpris de ne pas voir mon nom dans le discours de M. de Rémusat, et je le trouve assez convenable. Il ne devait y avoir dans ce discours comme il n’y a en effet, que quatre noms : le Roi, Napoléon, la France et l’Angleterre. Ce que j’admire, sans en être surpris c’est l’art avec lequel les journaux, ministeriels ou de la gauche, ont évité de parler de moi à ce propos. Cela m’arrivera souvent. Même quand on m’aura écrit : " Réussissez dans cette affaire et nous vous en laisserons tout l’honneur."
Moi aussi, je suis préoccupé de l’été qui commence et de ce qu’il peut apporter dans ma destinée. Mais ma situation est claire pour moi et ma résolution arrêtée. Je suis donc préoccupé sans agitation. Un homme d’assez d’esprit m’écrit : " On connait ici tout l’avantage de votre position, on l’admire et on l’envie. Vos amis sont peut-être ceux qui s’en arrangent le moins. Ils trouveraient assez bon que quelque cause de mécontentement vous ramenât à Paris afin que vous passiez leur dire ce qu’ils ont à faire. Il n’y a de direction nulle part. Le ministère manque complètement d’assiette. La gauche n’en sait pas encore assez long pour se conduire sagement ; et la droite paye en détail pour ses lachetés précédentes. Restez bien longtemps le plus loin possible de ces misères et gardez le moins de pitié possible pour les détresses de l’amitié.
Qu’en dites-vous ? Pourtant je me méfie de ce conseil, car c’est mon penchant. Je ne veux pas devancer d’une minute la nécessité ; mais je ne veux pas lui manquer.

5 heures
Votre fils n’est pas sorti à cause de la pluie, et aussi par prudence. Il ne sortira probablement pas avant Lundi. Mais il va de mieux en mieux. Je ne doute pas qu’il ne préfère aller à Paris, et ne vous engage à l’y attendre. Adieu. Je vous ai écrit hier à Boulogne et à Douvres, poste restante. Adieu. Adieu
Réposez-vous.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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370. Londres, Samedi 16 mai 1840
Une heure

Les nouvelles sont toujours bonnes. Je crois qu’il n’y aura bientôt plus de nouvelles. Je vous ai toujours dit le vrai, seulement comme j’ai pensé en même temps à la vérité de ce que je vous disais et à l’impression que vous en recevriez, j’ai ménagé mes paroles pour vous calmer sans vous tromper. Vous avez des correspondants qui n’y ont pas pris tant de soin. C’est fort, simple.
J’ai souri en voyant que vous croyez que je m’amuse beaucoup au bal. Demandez à Lady Palmerston qui me parlait l’autre jour de mon air fatigué et ennuyé en me promenant dans cette longue galerie de Buckingham-Palace. Mais deux choses sont vraies; je me défends de mon mieux contre l’ennui, et quand il l’emporte, je me résigne. Je m’impatiente peu. L’impatience me déplait et m’humilie. J’ai besoin de croire que je fais ce que je veux. Et quand je suis forcé de faire ce qui ne me plaît pas, j’accepte la nécessité pour échapper au sentiment de la contrainte. Si je ne me résignais pas, je me révolterais.

Je comprends tout ce qu’on dit sur les suites des cendres de Napoléon. Il y a beaucoup à dire. Je ne suis pas inquiet au fond. Les pays libres sont des vaisseaux à trois ponts ; ils vivent au milieu des tempêtes ; ils montent, ils descendent, et les vagues qui les agitent sont aussi celles qui les portent et les font avancer. J’aime cette vie, et ce spectacle. J’y prends part en France ; j’y assiste en Angleterre. Cela vaut la peine d’être. Si peu de choses méritent qu’on en dise cela ?
J’ai dîné hier chez Ellice, en famille. Il est vraiment très bon, et très spirituel. Et il s’amuse de si bon cœur ! Ils étaient fort contents. Le Chancellier de l’échiquier a eu un grand succès aux Communes. Son augmentation de 2 500 000 livres de taxes passera presque sans difficulté. Son statement a été trouvé excellent, simple, vrai. De plus le Cabinet est charmé de l’appui que le Duc de Wellington lui a donné l’autre jour en Chine. Jamais le Duc n’a été plus populaire parmi les whigs. Il y met un peu de coquetterie.
Il approuve fort ce qu’on a fait pour Napoléon.
Dedel est de retour. Le Roi de Hollande à parfaitement pris son parti sur Mlle d’Outremont. Il n’y pense pas plus que s’il n’y avait jamais pensé. Mais tout n’est pas fini entre lui et ses Etats-généraux. Ils auront beaucoup de peine à s’entendre sur les changements à la Constitution, car ni lui, ni les Etats ne cèderont. Mais point de guerre à mort non plus. A des entêtés qui ne se veulent pas de mal, il ne faut que du temps.
J’ai reçu un charmant petit portrait de ma fille Pauline ; d’une ressemblance excellente. Et elle a bon visage dans son portrait. On m’assure que ce n’est pas un mensonge. Ils ne partiront pour la campagne que vers la fin du mois. M. Andral a désiré qu’ils attendissent jusque là, pour prolonger un peu le lait d’ânesse.

3 heures et demie
Je viens de voir Lady Palmerston, et par elle son mari. C’est une personne de beaucoup de good sens et très pratique. Savez-vous qu’il n’est pas commode d’avoir à régler ce qui se passera à 2000 lieues, dans une affaire toute d’égards et de convenances, et de donner une pacotille de bon esprit et de mesure à des hommes qui n’en ont pas trop chez eux?
Je vous quitte pour écrire à Thiers le résultat de ma conversation, car j’ai vu aussi Lord Palmerston aujourd’hui comme hier les journaux ministériels ou quasi ministeriels, gardent le silence sur mon nom à propos de Napoléon. Je vous disais hier que je ne m’en étonnais pas. Pas plus aujourd’hui. Mais je suis bien aise qu’on sache que je le remarque, sans m’en étonner.
Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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373. Londres, mardi 19 mai 1840,
9 heures

Je reprends où j’en suis resté hier. Je n’ai pas fini ; et puisque j’ai commencé ; je veux finir. C’est bon pour tous deux. Il est impossible que ma lettre d’hier vous afflige. Ce n’est pas à cause de vous seule, ni par pur ménagement pour vous qu’en vous donnant des nouvelles de votre fils, j’ai écarté, autant que la vérité me semblait le permettre, toute exagération, toute alarme brusque et violente. Je présumais que sur la simple nouvelle de l’accident, vous partiriez, moitié pour l’accident, moitié pour venir plutôt. Le motif était triste, mais bien suffisant bien convenable. Je me serais fait scrupule d’y rien ajouter, scrupule de profiter d’un si triste motif pour presser votre résolution. Votre arrivée ici, je la desire, je l’attends depuis que j’y suis. Je t’attends tous les jours, à toute heure. Je voulais la devoir, plus prochaine un peu à vous, à votre libre empressement, pas uniquement à un malheur. Je n’ai pas médité, combiné tout cela, vous savez comme on agit quand le cœur y est mêlé ; un peu confusément par instinct ; mais l’instinct n’est pas moins réel, ni moins puissant pour n’être pas clair. Je suis sûr que ce que je vous dis là a été pour beaucoup dans la réserve de mon langage.
Vous n’êtes pas venue. Vous avez attendu. Tout à coup vos craintes sont devenuer vives. Vous avez été sur le point de partir. Le désir de venir plutôt n’y était plus pour rien. Vos craintes sont devenues un peu moins vives, vous avez mis votre départ en question. Vous avez soumis cette question à votre fils. Vous n’êtes pas partie. J’ai été triste et fâché. Voilà la vérité. C’est comme si vous aviez tout vu. J’ai pensé à moi dans tout cela, à vous pour moi. M’accusez-vous ? Vous plaignez-vous? Vous me direz que j’aurais dû vous dire cela, tout de suite. Non, ne comptez jamais là-dessus. C’est ma nature, c’est ma shyness à moi, de garder en moi, pour moi seul, au moment où je l’éprouve tout chagrin mêlé de mécompte. Il me déplait de voir ainsi mon âme à la merci de qui ne sait pas lui épargner toute tristesse. Je me reprends alors, je me replie sur moi-même; et ne pouvant supprimer la peine je supprime absolument la plainte. Il faut être indépendant quand on est triste. Je conviens qu’en étant triste, on peut être injuste, on peut trop penser à soi. Je crois bien que j’ai été un peu injuste envers vous, que je n’ai pas assez pensé à vous, à votre santé, à votre faiblesse, à votre trouble, à l’empire exclusif, déréglé, que prend sur vous votre imaginution ébranlée. Vous me le pardonnerez ; vous me le pardonnerez avec joie n’est-ce pas ? Car au fond, il n’y a rien là qui vous doive affliger. Et je ne me changerai pas, pas plus que vous. Avez-vous envié que je change ? Pas moi, malgré tout ce que je vous ai dit et tout ce que je ne vous ai pas dit depuis huit jours.
Je suis rentré cette nuit à une heure, de la Chambre des Communes. Lord John Russell, et Lord Stanley ont bien parlé. Le dernier m’a frappé, par sa bonne grace forte et simple. Le Cabinet a eu un échec, et en aura probablement
un second ce soir. On croit que le bill de lord Stanley passera à la 3ème lecture. Mais il périra dans la discussion du détail des clauses. Etrange situation, la faiblesse aux prises avec l’impuissance. J’y retourne ce soir. Il y aura O’Connell, Macaulay, Sir James Graham, Sir Robert Peel. Jusqu’ici, c’est une excellente discussion, un jour lumineux, sans soleil. Ceci bien pour vous seule. Il y a deux choses, que je ne peux montrer qu’à vous, ma faiblesse et mon orgueil.

2 heures
Oui vous avez raison; Je vous ai prise for better and for worse, et j’ai tort toutes les fois que je ne vous dis pas quelque parole bien tendre bien douce, qui se mêle à tout à votre tristesse, à la mienne, à nos injustices communes. De loin, j’oublie que je suis loin, que les moindres mots sont définitifs, irrévocables, durs, grossiers. Vous l’oubliez aussi. Ne l’oublions jamais, jusqu’à ce que nous ne soyons plus loin, l’un de l’autre, que nous n’ayons plus besoin de penser à rien, que toute méprise disparaisse, que toute injustice se répare, que tout mal se guerisse par cette admirable panacée de la présence, d’une présence charmante et chérie avant le 15 juin, n’est-ce pas ? Il le faut, car il faut que nous soyons ensemble, le 15 Juin. Je vous ai répondu ce matin. Je ne trouve rien dans votre lettre à quoi je n’aie répondu. Et vous voyez bien que celle d’hier ne m’a pas déplu. Adieu. Adieu. Adieu. Comme vous, à présent je serai impatient jusqu’à ce que vous ayiez reçu ma lettre d’hier, celle-ci jusqu’à ce que vous me l’ayiez dit. L’horrible chose que l’absence. Que d’agitations insensées ! Que de peines absurdes ! Adieu encore. Adieu pour le chagrin passé. Adieu pour le bonheur à venir. Adieu. Je fais presque aujourd’hui comme hier. Je ne vous dis pas que l’état d’Alexandre est toujours très bon. Vraiment il n’y a plus de nouvelles à vous donner. Je vous ai écrit hier deux fois. Savez-vous quelque chose de la Duchesse de Sutherland. Et si elle vous a répondu, quoi?
Adieu encore.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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377. Paris, lundi 18 mai 1840,
9 heures

Je ne sais ce que je ne donnerais pas pour ravoir ma lettre partie samedi. Je suis sûre que j’ai plus peur que le valet de chambre de lord William Russell lorsqu’il comparait devant le magistrat Je me dis mille fois, plus que vous ne pourrez me dire. je m’accuse de tout, de tout. C’est encore ma disposition de me regarder moi comme l’auteur de tous mes maux, je me fais à moi des sermons, des sermons. Les uns ne profitent pas, je manque aux autres. Livrez-moi à ma propre condannnation, ce serait vous venger assez. Mais je vous le demande à genoux, ne me dites pas une parole dure, pas une qui me laisse croire, ou deviner que vous m’aimez moins. Je vous demande pitié et clémence. Ah, quand nous reverrons-nous ? Tout alors sera bien ! Henriette et Guillaume sont venus me voir hier. Guillaume m’a montré son bonnet écossais et sa canne, il en est ravi. Henriette engraisse, trop selon moi mais enfin c’est de la santé ! On dit que vous aussi vous engraissez. Quand je serai heureuse, j’engraisserai pour le moment je ne puis pas m’en vanter.
J’ai fait tristement, le tour du bois de Boulogne, j’ai dîné tout aussi tristement seule. Le soir j’ai fait des visites, Mad. de Boigne, les Granville, Mad. de Brignoles. Chez Mad. de Boigne le chancelier, M. de Cases, M. Piscatory que je ne regarde plus si désagréablement. Le dire là est que Napoléon c’est peu de chose. Cela ne fera pas le moindre bruit, cela n’a pas la moindre emportance. Mad. de Boigne m’a dit en Anglais, qu’à son grand étonnement on en est ravi aux Tuileries. Si tout ce monde a raison il est bien clair que je radotte.
Granville est toujours couché Thiers y est venu et nous avons attendu seuls dans le premier salon. Il était excédé de fatigue, de mauvaise humeur ! Quand j’ai vu cela je n’ai pas été très aimable non plus. J’ai parlé Napoléon. Il m’a dit que cela se passerait grandement; magnifiquement et tranquillement. La famille ? Elle n’a rien à y faire et si un seul ose se montrer il serait jeté dans la prison. Il a été excessivement vif sur ce point. Il ne m’a pas parlé de vous pour la première fois, je crois.
A propos le Prince Paul de Wurtemberg était venu le matin tout gros des catastrophes qu’il prévoit. Il ne comprend pas la folie d’avoir été chercher de gaieté de cœur une occasion de trouble dans les esprits et de désordre sûrs dans les rues. Il en a parlé à Thiers en lui repré sentant tout cela avec des verres grossissants. Thiers a dit : " Je réponds de tout , mais il n’y a que moi qui le puisse. Sous tout autre ministère, cela pourrait faire une révolution." Si cela était vrai, il aurait donc fait un bail au moins de 6 mois. Et qui sait ? on dit déjà que les obsèques ne se feront qu’en avril prochain. le Prince Paul ajoute : " Thiers se croit le Cardinal de Richelieu, rien n’égale sa confiance, et son audace." Je vous redis tout.
Chez les Brignoles, j’ai rencontré toute la Diplomatie et la société élégante. M. de Pahlen a envoyé un courrier hier matin, ce courrier touvera l’Empereur et mon frère à Varsovie ; c’est à ce dernier que le courriier est adressé. Mon ambassadeur a rendu compte entre autre d’un incident du dîner qu’il a fait à la cour, où les Princes de Cobourg, père et fils ont pris le pas sur lui. Comme Appony y était aussi, et qu’il est le doyen, et qu’il a souffert cela sans souffler, il n’appartenait pas au plus jeune de faire une scène, mais il rend compte et demande des directions. S’il m’avait consultée, j’aurais protesté ici tout de suite après ce dîner, car cela est hors de toutes les règles.
Voici une lettre de mon fils, très bonne, très sassurante, et une longue lettre d’Ellice très intéressante qui me fait voir un peu dans la entrailles de toutes les intrigues Anglaises. Il me semble que les embarras ministériels ne sont pas tous surmontés. Qu’est- ce que veut dire Ellice en affirmant que l’Autriche pousse aux mesures coercitives contre le Pache, et qu’il est pour se vanger de la médiation de la France dans l’affaire de Naples ! Est-ce vrai ?

Midi. Voici votre lettre de Samedi qui me fait enore plus rougir de ma lettre de samedi. Je vous remercie de vous être ennuyé à un bal où je croyais que vous vous étiez amusé, et je suis prête à me battre de l’avoir cru ; & plus encore de vous l’avoir écrit. Traitez-moi comme un enfant, mais un enfant qu’on aime. Oui je vous en prie, qu’on aime.
Le portrait de Pauline ne vous trompe pas elle a bien bon visage et elle est jolie, très jolie. Je vous dis qu’elle sera bien belle. Je comprends fort bien le très grands embarras pour les très petites affaires, et votre votre affaire à Ste Hélène en est. D’abord le cérémonial entre des gens qui ne reconnaissent que le général, et ceux qui reconnaissent plus que le Souverain légitime (car M. de Rémusat l’a classé comme cela), car St Denis est trop peu pour lui, le cérémonial sera fort difficile à établir. Je suis bien aise que Lady Palmerston vous plaise et vous soit utile. C’est une personne qui applique toujours son esprit à rendre tout simple et facile. C’est une charmante qualité. J’aime aussi que vous aimiez Ellice. En général, il me semblerait étonnant que vous n’aimassiez par les gens que j’aime.
1 heure
Je viens de faire un tour aux Tuileries, je perds l’habitude de marcher et je me fatigue tout de suite. Je reviens à vous comme avant, comme toujours, avec répentir et tendresse, et celle-ci si vive, si vive. Adieu. Adieu. Je vous remercie de ce que vous me dites de mon fils. Il me trompe un peu je crois sur l’époque de son départ. Il ne faut pas qu’il se hâte ; maintenant que j’ai le cœur tranquille sur son compte ; je l’aurai attendu. Adieu. Adieu. On dispute sur le lieu de la sépulture. Pasquier veut le Panthéon. Beaucoup vont pour la Madeleine. Molé pour St Denis.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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375. Londres. Jeudi 21 mai 1840
10 heures

On est venu m’éveiller cette nuit à 3 heures, pour m’apporter la division de la Chambre des Communes, et j’ai expédié sur le champ un courrier à Calais pour qu’on le sût à Paris par le télégraphe. Non qu’il doive, je crois, en résulter ici aucun evènement. C’est pourtant un gros fait. On me dit que Peel a très bien parlé et O’Connell médiocrement. Il a voulu être modèré. On l’avait fort sermoné à ce sujet. C’est Lord Duncannon qui est son prédicateur. Et O’Connell répond toujours : " you are right ; I won’t do it again." Il a trop bien obéi hier. On prévoyait ce résultat, même à Holland House où j’ai été hier soir au lieu d’aller à la chambre. Devinez qui j’y ai trouvé? Mr Mrs Grote qui y avaient dîné. C’était un coup monté. Peut-être vous en ai-je déjà parlé quand ils ont été partis, j’ai demandé à lady Holland si elle avait un privilège contre les poursuites, for treating and bribery.

2 heures
Je viens de chez Lord Aberdeen. J’aime sa conversation, et je crois qu’il aime la mienne. Il y a beaucoup de shyness dans sa froideur. Et aussi de sadness. Il est préoccupé de cette affaire Napoléon. On commence à l’être ici, beaucoup plus qu’au premier moment & plus que moi. Je suis accoutumé aux apparences, et aux démonstrations bruyantes. Cependant, il est sûr que des embarras viendront de là. Ce qu’il y avait de bien est déjà recueilli ; il faudra subir le mal. Mais je ne crois pas au danger. Pourvu qu’il y ait un pouvoir qui s’en défende. En tout cas, la question est lointaine. Le retour n’est pas possible avant le mois de Novembre.
L’Orient est stationnaire. Je reste toujours sur mon terrain. On n’y vient pas. Mais on n’ose pas avancer sur le sien. Je m’applaudis du parti que j’ai pris de dire dès le premier moment, ce que je devais dire à la fin. Plus j’y pense, plus je suis convaincu que notre politique est la seule sensée. Rallumer la guerre entre les Musulmans, et courir le risque de l’allumer entre les Chrétiens pour la question de savoir si quatre ou seulement deux Pachalih de la Syrie appartiendront au vieillard qui règne à Alexandrie ou à l’enfant qui dort à Constantinople, en vérité c’est bien léger. Et je tiens pour certain qu’ici il n’y a pas trois personnes qui ne soient au fond de mon avis. De celles qui y ont pensé, s’entend. Il n’y en a pas beaucoup.
Les Affaires Etrangères occupent bien peu le public anglais. Je dis beaucoup sur cette question d’Orient ce qui est parfaitement vrai ; la politique que nous soutenons ne nous causera aucun embarras, à l’intérieur, car tout le monde, en France en est d’avis ; aucun embarras à l’extérieur, car le jour où l’on voudra agir sans nous, les embarras seront pour ceux qui entreprendront de faire, et non pour nous qui regarderons faire. L’hypothèse la plus défavorable ne nous met donc pas dans une position redoutable.
M. de Metternich a eu certainement beaucoup d’humeur pour Naples ; et dans son humeur, il s’est montré plus disposé à faire ce que voudrait Lord Palmerston en Orient. Mais sa disposition est vague, comme tout dans l’affaire. Quant au Pacha, il dit que si on le bloque dans Alexandrie, il sautera par dessus le blocus, c’est-à-dire pas dessus le Taurus. Je connais ces petites biographies, les premiers cahiers, le mien compris, qui était très bienveillant, et assez spirituel. Je connais Thiers, aussi ; mais non pas, le Duc de Broglie, ni Berryer, ni Dupin, ni Lamartine, vous serez bien aimable de m’envoyer ceux-là. L’ouvrage m'a paru écrit à bonne intention. Sait-on par qui?
Certainement, je porterai la santé de la Reine, le 25. Je suis en pension chez lady Palmerston. Elle dine samedi chez moi ; moi dimanche chez elle en petit comité, et lundi en full house. Je l’ai beaucoup vue depuis quelque temps et plus je la vois, plus je la trouve aimable. Elle dit qu’à présent je plais beaucoup à M. de Brünnow et qu’il parle de moi tendrement. Adieu.
J’ai le cœur à l’aise depuis hier à votre sujet. Je voudrais que ma grande lettre vous fût arrivée avant la petite. Je ne l’espère pas. Adieu.
Vous devriez vous arranger pour être ici le samedi 13 Juin. Au plus tard le Dimanche 14. Vous ne vous faites pas scrupule, je pense, de voyager le dimanche. Je ne trouve pas qu’on soit aussi austère ici à ce sujet, qu’on me l’avait dit. Le gros Monsieur vient passer quelques jours à Londres et vous en avertira. Ce que vous pourriez lui remettre passera de sa main dans la mienne. Que j’ai de choses à vous dire ! Et que de choses à entendre, que j’aime mille fois mieux !
Adieu, encore ; jamais pour la dernière fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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374. Londres, Mercredi 20 mai 1840
Une heure

Je ne serai content qu’après demain, quand nous serons rentrés tous les deux dans les bonnes lettres. Merci du 377 bien tendre. Une fois pour toutes (s’il y a moyen avec vous de dire une fois pour toutes) ne craignez jamais la franchise. Dites-moi tout et trouvez bon que je dise tout. Il ne peut y avoir de nuages, entre nous qu’à la surface. Perçons-les toujours ; au delà, nous trouverons toujours le Ciel. Savez-vous qu’à mon avis il est ridicule qu’il y ait jamais des nuages entre nous ? Nous sommes au dessus. Nous devrions toujours voir clair, parfaitement clair l’un dans l’autre. Ceci prouve que nous n’avons pas autant d’esprit que nous croyons.
Ayez l’esprit d’être ici avant le 15 juin. J’y compte ; mais j’en parle. Je ne sais pas encore sûrement quel jour part votre fils. On m’a fait dire samedi, mais par approximation. Il n’y a du reste plus de nouvelles à vous en donner.
Ellice m’a dit qu’il vous avait écrit, et ce qu’il vous avait écrit. Je crois qu’il a raison, et que le Cabinet s’en tirera. Mais cela n’a pas grand air. Les conservateurs n’ont pas grand air non plus. Une opposition si forte si bien gouvernée et qui n’ose pas, qui ne peut pas devenir gouvernement ! De son propre aveu ! Elle porte son mal en elle-même comme tout le monde. Ce sont les Newcastle et les Londonderrys qui empêchent l’opposition de devenir le gouvernement. Si tous les conservateurs étaient de l’espèce de Peel, ils seraient les maîtres. Mais tenez pour certain qu’ici comme chez nous il y a des résistances et des arrogances que le pays n’acceptera plus jamais ; il y a des réformes où si vous voulez un mot plus modeste, des changements, faits ou à faire qu’il faut que tout le monde accepte, et qui rendront incapables de gouverner quiconque ne les acceptera pas, sérieusement et sincèrement. Deux choses ici me frappent également, la puissance de l’esprit de conservation et la puissance de l’esprit de réforme. Deux choses sont également faibles, rejetées mortes, quoique l’une fasse du bruit et que l’autre ait encore de l’éclat, le Chartisme et le vieux Torysme. Malgré les apparences et le fracas des paroles, et l’obstination des engagements de parti, ce pays-ci est le pays du juste milieu par excellence. On n’aura un gouvernement fort que lorsque, de part et d’autre on se sera rendu et établi en commun dans ce camp là, qui est un fait accompli quoique pas encore accepté.
Je suis sorti cette nuit à 2 heures de la Chambre des Communes. Débat très médiocre et très ennuyeux. Nul homme important n’a parlé. Sauf lord Howick qui a bien parlé, mais sans faveur et dans une position délicate. J’y ai gagné un torticolli. On est mal assis et j’avais un vent coulis sur l’épaule gauche. Pourtant j’y retournerai ce soir. Je veux voir la fin. On me dit qu’O’Connell parlera ce soir. Evidemment, il n’a pas voulu répondre sur le champ à Lord Stanley. Sur son hardi et puissant visage, il y avait un peu de timidité et d’embarras.
Je ne doute pas que M. Molé ne remue ciel et terre pour nous brouiller Thiers et moi. Il n’est pas le seul. Et il est vrai que Thiers, a laissé entrevoir un défaut à la cuirasse par le puéril silence de sa presse à mon sujet à propos de Napoléon. Je m’étonne que les journaux qui ont envie de nous brouiller ne s’en soient pas déjà avisés. Cela viendra très probablement. Quant à moi, je me suis contenté d’écrire à deux ou trois personnes comme vous : " Cela ne m’étonne pas ; mais je le remarque. " Je ne me brouillerai point. Un moment viendra, peut-être où je me séparerai. Je suivrai exactement la ligne de conduite que vous savez.
Je regrette que vous n’ayiez pas vu ma petite note pour redemander Napoléon. Je crois que vous la trouveriez convenable par la simplicité et la mesure. Je suis pour les Invalides ; une sépulture militaire, religieuse et exceptionnelle. Les places publiques sont impossibles et inconvenantes. Le Panthéon est un lieu commun profane et profané. La Madeleine serait un tombeau grec. St Denis est pour les Rois de profession. Les Invalides seuls vont bien à l’homme, et à lui seul. Adieu.
Cela me déplait de vous quitter. Je voudrais vous écrire toujours. Mais j’ai des affaires. Venez et laissez moi le soin de votre place. Vous serez ma première affaire et mon seul plaisir. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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377. Londres, Samedi 25 mai 1840
Une heure

Vous avez raison. Nous avons tous deux raison et tous deux tort. Je ne dis pas cela par façon de juste-milieu et pour en finir, mais sérieusement et bien convaincu. Notre vrai tort à tous deux, c’est de ne pas avoir assez foi l’un dans l’autre. "La foi, dit (je crois) St Paul, c’est la ferme, espérance des choses qu’on désire, et la certitude, des choses qu’on ne voit point." Ayons la foi ; nous nous la devons ; et quand elle nous manque, à part le chagrin, c’est une faiblesse ou une petitesse d’esprit dont nous devrions être honteux. N’est-ce pas ? J’ai passé hier à 5 heures, à la porte d’Alexandre. Il était à la promenade, de mieux en mieux m’a-t-on dit. On m’a parlé de mardi 26 pour son départ. Rassurez-moi contre ces retards. Je vous accorde jolie et alerte pour Engénie ; intelligente, j’ai peine à le croire. Enfin, elle vous plaisait. Je la regrette. Est-ce que vous n’amènerez pas même Bernard ?
J’ai été hier soir passer une demi-heure au bal chez Lady Elizabeth Fielding. J’admire ce qu’on entasse de monde, et du meilleur monde, dans des maisons qui sont de vraies boxes. Lady Lansdowne était enfoncée dans un coin d’où elle ne pouvait sortir. Lady Palmerston entrée au même moment que moi, n’avait pas encore réussi à s’asseoir quand je suis parti. Et elle venait là pour trois ou quatre heures, à cause de Fanny. Au moins il faudrait des chaises pour les mères. Faut-il accepter une invitation à dîner qu’on me remet à l’instant, chez Lady Kerrison ? J’en ai beaucoup refusé pour cette fin de mois de Mai. Je n’ai plus d’ici au bord de au 31 que trois dîners, deux chez Lady Palmerston, un chez Lady Kimoul. Et deux déjeuners d’hommes des lettres. On vient me voir d’Oxford et de Cambridge, en attendant que j’y aille.
Voici ce qu’on écrit des Etats-Unis sur mon Washington : « C’est un évènement ici que l’arrivée de l’ouvrage de M. Guizot, et l’agitation qu’il produit. La traduction anglaise n’est pas encore publiée et répandue. En attendant, on s’en fait traduire et on en colporte des morceaux de ville en ville. C’est un mouvement d’esprit tout-à-fait inaccoutumé, et qui étonne les gens éclairés parce qu’il s’étend aux masses. ses jugements sur notre gouvernement et nos partis frappent extrêmement. On y trouve bien des révélations et de bonnes leçons pour l’avenir. J’ai bien le droit, n’est-ce pas de vous dire mes plaisirs d’amour propre, comme toutes choses ? Mad. de Chastenay et Mad. de St. Priest n’iront pas lundi au Drawing room. Elles n’ont pas de queue. 3 heures et demie J’ai été me promener une heure à Regent’s Park, au bord de l’eau. J’avais besoin de respirer. Le temps est lourd; quand les nuages du ciel s’ajoutent aux brouillards de la ville, on étouffe. Vous vous promeniez probablement au Bois de Boulogne. N’est-ce pas ridicule cette double solitude ?
J’ai cru jusqu’ici que les conservateurs ne se souciaient pas, au fond, de renverser le cabinet, les gens d’esprit du moins. Je commence à en douter. Voici ce que m’a dit hier l’un d’entr’eux. « Nous dissoudrions. La dissolution nous donnerait trente voix de majorité. Le problème du moment, c’est d’obtenir de la Chambre des Lords les réformes nécessaires en Irlande et ailleurs. C’est la Chambre des Lords qui paralyse tout le Gouvernement. Peel seul peut manage la Chambre des Lords et lui faire faire des pas en avant ... "Peel is not a great man but he will do what great men could not do." Je pense toujours que le Cabinet l’emportera. Mais l’attaque est sérieuse et continuera, ce n’est plus un tournois ; c’est une bataille.

4 heures et demi
M. de Bacourt m’a interrompu. Arrivé ce matin. Nous avons beaucoup causé. Nous causerons beaucoup. Il a de l’esprit. Il passera ici huit jours. Il ne m’apprend rien mais il me développe et me prouve ce que je sais. Il y a bien de l’humeur dans le monde. Moi, je n’ai point d’humeur. J’ai le cœur content depuis hier. Il me semble que je ne vous l’ai pas assez dit. Je vous dis bien peu. Quand je commence à dire, je me sens tout d’un coup emporter à de telles paroles ! Dites-vous les ces paroles qui errent sur mes lèvres. Adieu Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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383. Paris, dimanche 24 mai 1840

Les angoisses de la semaine passée ont fait explosion, j’ai été très malade cette nuit. J’ai fait venir Chermside. Je suis très faible, il me dit que ce ne sera rien, je l’espère. J’ai le corps malade, mais le cœur bien portant, c’est l’essentiel. Je viens de recevoir votre lettre. En lisant vos perplexités pour vos dames de Paris je m’impatientais, je voulais vous dire de commencer par les inviter pour Samedi ; vous adoptez mon idée à la fin de votre lettre c’est bien. Je crois qu’après ce grand dîner, si vous les invitez une fois, avec Mesdames Dédel et Björstjerna, quelques diplomates, le petit Leveson, Charles Fox, lord Elliot, que sais-je ? quelques autres Anglais, ce sera suffisant. Il n’y a pas de présentation à un birth day! Je doute donc qu’elles aillent à la cour demain, mais lady Palmerston vous dira tout cela. Chez vous hier elles auront rencontré suffisamment de dames pour être lancées à quelques raouts si elles en avaient envie. Voilà il me semble leur Londres expédié. Vous avez eu du plaisir à retrouver du parlage français.
Il ne me parait pas que le vote pour lord Stanley fasse grand événement à Londres. Vous ne m’en parlez plus. Le rapport du Maréchal Clausel hier, mène tout droit selon moi à la restauration de l’effigie de Napoléon sur la légion d’honneur. Et cela je le trouverais très conséquent. Vraiment Henri IV au milieu des drapeaux tricolores, c’est trop ridicule.
Je n’ai vu hier personne d’important que M. Molé pendant une heure de tête-à-tête chez moi. Il trouve que Thiers a été très abondant, très. habile, qu’il soutient merveilleusement toutes les discussions, qu’il a été très conservateur sur la question de la réforme, aussi beaucoup des soldats de M. Molé sont- ils allés dans le salon de M. Thiers. Il affirme cependant qu’il faudra bien qu’il fasse avant le mois de février ou la dissolution ou un esprit de réforme ; ou quelque chose pour les incompatibilités enfin un peu la volonté de la gauche. Il dit que le Roi ne peut pas songer à le renverser s’il n’a pas un ministère tout prêt, que se ministère cependant pourrait se trouver. Le Maréchal, vous Affaires Etrangères, Passy, Dufaure Duchâtel & & que pour lui même il ne se prêterait pas à remplacer Thiers, si Thiers ne tombe pas par le fait de la chambre. Enfin, il dit, et reprend et retourne tout cela vingt fois, et conclut cependant par le permanence de Thiers jusqu’à la session prochaine. Je trouve en lui peu d’aigreur, et peu d’espérance.
J’ai vu Granville, après cela nous avons parlé de Molé ; Ah, il ne l’aime pas ; et d’après quelques scènes qu’il m’a contées il a raison comme anglais de ne pas l’aimer. Mes vertiges me reviennent, j’ai peine à continuer. Il faut que je vous laisse. Adieu, Adieu. Je n’ai de force aujourd’hui que pour adieu.

Vous pourriez donner un petit dîner à Lady Jersey et Lady Tankerville où vous inviteriez vos dames, il me semble que ce serait faisable, et cela plairait également à lady Jersey et à vos dames.
Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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376. Londres, Vendredi 22 mai 1840
Une heure

Voilà une bonne lettre. J’aime votre bonheur autant que le mien. Je ne peux pas dire plus. Quel ennui de parler à Londres et d’être quatre jours avant de savoir que vous m’avez entendu à Paris ! Vous voyez bien qu’il faut être juste et se comprendre sans avoir besoin de se parler. C’est vraiment odieux et ridicule de se donner à soi-même des chagrins, qui sont parfaitement absurdes, et qu’on découvrira absurdes en quatre jours. Mais il y a des chagrins qui aboutissent à des joies ravissantes. Je n’ose pas le dire ; je ne devrais pas le dire. En ce moment à aucun prix, le N° 379 ne me paraît trop payé.
Non, je n’ai point été consulté sur Ste Hélène. On m’a demandé, prié, conjuré de réussir dans une négociation dont on avait fait la première ouverture, à Lord Granville. On me l’a demandé, le 2 mai. On m’a parlé de "grande reconnaissance personnelle". On a fini en me disant : " Réussissez, et nous vous en laisserons tout l’honneur." J’ai réussi le 9 mai. Je l’ai annoncé le 10. On m’a répondu : " Je vous remercie mille fois : nous vous reportons la part qui vous est due. " Le Ministre de l’intérieur m'a écrit : " Votre affaire, des restes de Napoléon a fait un effet immense." J’ai souri de tant de reconnaissance ici, de tant de silence là. Et depuis je figure bien me tenir parfaitement tranquille. Je remets ici la phrase que je viens de rayer. C’est ici qu’elle doit être.
Savez-vous ce que j’ai fait hier soir? J’ai joué au whist, au coin de mon feu avec mon monde ; et je me suis couché à 10 heures et demie. J’étais excédé des routs. des bals, des Communes. J’avais besoin de silence et de sommeil. Je joue certainement au whist, aussi bien que vous. J’étais allé le matin, passer une heure à la Chambre des Lords où l’archevèque de Dublin devait faire une motion qu’il n’a pas faite. J’ai entendu Lord Lyndhurst à propos d’une pétition. Je trouve qu’il parle très bien, très bien avec une grâce forte et tranquille qui ne va pas à l’ensemble de sa vie. Mais il est bien changé. Il est devenu vieux depuis que je suis ici.

3 heures
J’ai été interrompu par le chargé d’affaires de Naples G. Capece Galeota dei Duchi di Regina, bien noir, bien crépu, pas si long que son nom, mais assez intelligent et sensé? beaucoup plus que le Prince de Castelcicala qui fait ici une figure bien ridicule et bien vulgaire. Il veut être venu pour quelque chose ; il a essayé de parler d’affaires à Lord Palmerston qui l’a renvoyé à Paris, et à Naples. Il a imaginé, de se lier avec les Torys, les plus violents Torys, et de leur parler de ce que Lord Palmerston ne voulait pas écouter. Il promène de côté et d’autre sa tête trépanée. Tout le monde prend pour de beaux coups de sabre les cicatrices de ce trépan qu’il a subi à Naples pour une chute de cheval. Il a porté sa carte à tout le corps diplomatique, moi compris, et ne s’est fait du reste présenter à personne, moi compris. En sorte que presque personne ne lui parle. Le Roi de Naples ferait bien de rappeler ce gros Pulcinella, au crane fendu, et de ne faire parler de ses affaires que par ceux qui peuvent les faire.
Je viens de recevoir un billet de Mad. de Chastenay qui est arrivée hier avec Mad. de St Priest ; elles viennent passer quinze jours à Londres, et un mois en Angleterre. Je vais tâcher de les amuser un peu. Dites-moi ce qu’il faut faire. Elles auront peut-être envie d’être présentées à la Reine, au drawing room. Est-ce Lady Palmerston ou la comtesse de Björstyerna, la doyenne du Corps diplomatique qui se charge de cela ? C’est pour lundi. Vous n’avez pas, le temps de me répondre. J’irai le demander à Lady Palmerston. Il faut aussi que je leur donne un petit dîner, pas trop ennuyeux ; quelques hommes, Lord Elliot, Lord Mahon, lord Leveson. Dites-moi quelques noms. Pas de femmes, n’est-ce pas ? Mon Dieu, que vous êtes loin ! Alava, Bülow, M. et Mad. Dedel ?
Ma galerie de portraits va être complète. Mad. Delessert vient de faire celui de Guillaume, et va faire celui d’Henriette. Je les aurai tous les deux dans quelques jours. Guillaume avec sa toque. On dit que le portrait est charmant. Je pense que je vais engager Mad. de Chastenay et Mad. de St Priest à venir dîner demain samedi avec tous mes Whigs. C’est, pour elles, une très bonne entrée dans le monde et qui préparera le reste. Adieu.
J’espère que vous me direz que vous vous portez bien. Voilà une espérance bien pleine de fatuité, n’est-ce pas ? Mais vous me la permettez ; vous voulez que je l’aie. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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380. Londres, Mercredi 27 Mai 1840
9 heures

Je commence à sentir cette impatience, ce mépris des lettres qui s’éveillent quand on approche du terme. Plus je vous dirais, moins je vous écris. Il fait un temps admirable ce matin; le soleil brille, l’air du printemps souffle. Je voudrais me promener avec vous. On n’écrit pas la promenade. Nous avons dîné hier agréablement. La conversation, vous aurait plu. Vous y êtes venue. M. de Bacourt a raconté une course en calêche que vous aviez faite, vous, la duchesse de Dino Lady Clauricard, lui, Dedel, lord John Russell, je ne sais qui encore ; un orage, une pluie énorme. Les trois dames dans le fond de la calèche, lord John en travers, sous le tablier, sur vos pieds, et aussi trempé en arrivant à Richmond que s’il eût été sur le siège. Cela me plaisait d’entendre parler de vous. Pourtant tout ne me plaisait pas. J’ai gardé et je garderai jusqu’au bout les susceptibilités et les exigences du premier printemps. J’en souris moi-même. Et ce que je dis là est presque un mensonge, car je n’en souris pas vraiment, franchement. Ce qui est vrai, ce qui est franc, ce qui s’éveille, en moi naturellement et tout-à-coup, sans réflexion, ni volonté ce sont les impressions de la jeunesse. Elles ne me gouvernent plus, mais il faut que je les gouverne, car elles sont encore là. La vie est infiniment trop courte. Notre âme a à peine le temps de se montrer. Les choses lui échappent bien avant le goût et la force d’en jouir. Il faut que vos vers de l’autre jour aient raison.
Tout commence en ce monde et tout s’achève ailleurs.

Une heure
Je vous promets du calme ici. J’espère que vous arrangerez votre vie de manière à éviter la fatigue matérielle. Vous ne pouvez pas vous coucher tard. J’en ai repris l’habitude avec une singulière facilité. Non, certainement, je ne traite pas de bétises vos impressions sur votre santé. Je crois, je suis sûr qu’elles sont souvent très exagérées. Vous avez bien plus de vie, bien plus de force que vous ne croyez dans vos mauvais moments. Mais vos mauvais momens m’occupent beaucoup, me tourmentent. Ils seront rares ici. J’y compte. Ainsi, le 13 ; c’est bien convenu. Et vous serez ici le 15. Mais il faudra que vous partiez le 13 de bonne heure. Arriverez-vous à Boulogne, de manière à passer le dimanche 14 ? Ou bien ne passerez-vous que le lundi 15 ? Répondez moi sur tout cela. Je prétends que je suis plus exact que vous en fait de réponses. Ma mère et mes enfants partent pour la campagne, le 4 juin.
Notre affaire de médiation marche. Jai obtenu hier de Lord Palmerston la restitution des bâtiments napolitains détinus encore à Malle. Le Roi de Naples de son côté concède l’abolition du monopole et le principe de l’indemnité. Il ne reste plus que des détails d’exécution sur lesquels on s’entendra. Je suis fort occupé ce matin d’une affaire qui vous touche fort peu, le chemin de fer de Paris à Rouen. On ira alors de Londres à Paris, par Southampton en 20 ou 22 heures. Je serais bien aise que cela se fit sous mon règne. C’est en train. Et les Anglais en sont fort en train. Ils y mettent 20 millions. Croyez-vous comme on me l’écrit, que la session française finira du 20 au 25 juin ? Qu’en dit-on, autour de vous ? Il est vrai que Thiers déploye beaucoup d’activité et de dextérité. Il est fort content, me fait tous les compliments et toutes les tendresses du monde, me promet qu’il n’y aura point de dissolution, qu’il ne s’y laissera point pousser et finit par me dire : " J’espère que notre nouveau 11 octobre, à cheval sur la Manche réussira aussi bien que le premier. " Lord Brougham est arrivé avant-hier. Vous ne l’avez donc pas vu à son passage à Paris, ou bien il n’y a pas passé. Je ne l’ai pas encore vu. Lady Jersey, ma dit qu’il était horriblement triste. Pauvre homme ! Il ne trouvera pas dans le mouvement qu’il se donne de remède à son mal. Il faut que le remède s’adresse là où est le mal au cœur même. Le mouvement extérieur distrait tant qu’il dure, mais ne guérit point. Voilà la grossesse de la Reine déclarée. C’est une grande question de savoir si on proposera dans cette session, le bill de régence. Le Cabinet, voudrait bien y échapper et il l’espère. Si le bill était proposé, la session finirait je ne sais quand. Adieu. J’étais bien tenté de croire que, d’ici au 15 juin, tout me serait insipide. Je me trompais. Le 385 (384) venu ce matin, m’a été au cœur. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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385. Londres, Mardi 2 Juin 1840
2 heures

On ne dira jamais assez de mal de l’absence. On s’écrit tous les jours. On se dit tout ce qui s’écrit. Tout cela n’est rien ; un grain de sable jeté dans l’océan qui nous sépare. Vendredi dernier, j’attendais mon gros Monsieur avec une impatience inexprimable. Il arrive. J’attends trois ou quatre heures ce qu’il m’apporte. Il me l’apporte. J’ouvre, bien seul, dans ma chambre. Les premières lignes me ravissent ; ces lignes où sont ces paroles qui dissiperaient tous les brouillards de la Néva comme de la Tamise. Je poursuis. La Chambre, le Rois de Prusse, Thiers, Lamartine, Sébastiani. Qu’est-ce que cela me fait ? Je saute par dessus cela. Je cours à la fin. Encore quelques lignes, quelques paroles charmantes. Il y manquait quelque chose, quelque chose de bien petit mais qui surpasse tout. Pourtant. la fin était charmante ; la fin et le commencement. Je voulais d’avantage ; j’attendais davantage. J’avais tort ; je comprends parfaitement que vous n’ayez pas tout dit. Mais que m’importe ce que je comprends à côté de ce que je désire ? Je vous réponds, au moment même. Je ne vous dis pas ce qui m’a manqué ; non, j’aurais cru être injuste; je ne vous reprochais rien. Mais je ne vous dis pas non plus ce qui m’a charmé. Je vous réponds avec mon impression, pas triste, mais pas transporté ; pas mécontent mais pas satisfait. Ma reponse vous arrive. Vous aussi, vous trouvez qu’il vous manque quelque chose. Et vous avez raison, encore plus raison que moi ; car moi, j’avais trouvé quelque chose de charmant. Vous vous plaignez de ce qui manque ; je vous remercie de votre plainte ; elle m’enchante. Mais du regret de vos paroles, de celles qui m’ont charmé ! Non, non, je ne vous le permets pas ; si j’ai eu tort, vous n’avez pas le droit de vous plaindre de mon tort. Vous plaindrez vous que je ne sois jamais satisfait, qu’il me faille toujours plus, toujours tout ? Moi, je me plains d’une chose, c’est que vous n’ayez pas deviné tout ce que je vous dis là. Mais je ne me plains pas bien fort, car vous êtes charmante ; je vous aime et vous allez venir. savez, vous ce que cela prouve ? C’est qu’à cent lieues l’un de l’autre, l’océan entre nous rien ne nous échappe, rien n’est inaperçu ; nous voyons tout ce qu’il y a ; tout ce qu’il n’y a pas, comme si nous nous voyions, si nous nous parlions. On s’aime beaucoup quand on en est là; et quand on s’aime beaucoup, on a tort d’être séparés.
C’est bien pour le 13. A présent le départ est sûr. Un beau temps et pas beaucoup de fatigue le premier jour pour que l’arrivée le soit aussi. Hier, le temps était admirable. Ce matin un orage. Je viens de faire quelques visites par la pluie. Le soleil revient. J’en suis bien aise pour demain, pour le peuple qui va à Epsom. C’est Ellice qui m’y fait aller. Je n’y pensais pas. Je ne suis pas fâché de voir cela une fois. Nous dinons dans une petite maison de M. Metteux, près d’Epsom. M. Motteux n’y est pas et lord spencer y vient. Il a désiré dîner là avec moi. Nous dînerons à nous trois Lord Spencer, Ellice et moi, plus un quatrième curieux que je ne connais pas et dont j’ai oublié, le nom.
Lady Normanby a donné hier à la Reine, un concert de famille. En fait d’artistes Rubini et Lablache seuls. En fait d’amateurs, lady Barrington, lady Williamson et lady Hardwicke. C’était beaucoup mieux que mon attente. Lady Williamson a une belle voix infatigable et Lady Hardwicke une voix très expressive. Pas beaucoup de monde, très choisi. La Reine ne s’en est allée qu’après la dernière note, à une heure et demie. Je viens de chez le duc de Cambridge. Mon dîner Tory est dérangé et rarrangé. Le vendredi, 12 juin, il y a un grand débat à la Chambre des lords sur les corporations municipales d’Irlande. Le duc de Wellington, lord Lyndhurst, lord Aberdeen, lord Ellenborough & & ne pourraient probablement pas venir dîner. Il a fallu trouver un nouveau jour. Presque tous étaient pris. La Duchesse de Cambridge y a mis beaucoup de bonne grâce. Enfin c’est pour le vendredi 26 juin. Je vais désinviter et rinviter tout le monde. Vous serez à Londres ce jour-là ? Serez vous chez moi à dîner ? Ce que vous voudrez comme de raison. Je le voudrais bien et il me semble que ce serait fort naturel. Ce sont tous vos amis.
La mort du Roi de Prusse est en suspens. M. de Bülow n’a rien reçu. Je ne crois pas que Paris et Pétersbourg en soient beaucoup plus près. D’ailleurs il n’y a plus de pièces de porcelaine ; tout est balles de coton. Lisez; je vous en prie attentivement le petit débat d’hier soir aux Communes sur les affaires d’orient et dites-moi si Lord Palmerston vous fait l’effet d’un peu d’embarras et d’un léger mouvement de retraite. Il y a au moins le désir et le dessein de rester très bien avec la France quand même on s’en séparerait en Orient. La question va traverser dans quelques jours une petite bouffée de flamme. Mon instinct est que la souscription Bonapartiste échouera. C’était bien la peine de faire tant de bruit. L’affaire avait grand air en passant le détroit. Soyez sure qu’il y a les deux choses, l’étourderie et la prémédi tation. Je suis de votre avis sur les funérailles. Adieu. Mille adieux en retour du pauvre petit adieu qui est tout seul dans la dernière page du 390, ce qui prouve que vous aviez encore en finissant quelque regret des douces paroles que j’ai trouvées si charmantes et si courtes. Plus de regret et beaucoup plus d’adieux. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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384. Londres, dimanche 31 mai 1840
Une heure et demie

Le voilà ce prétendu 388 qui est le 387. Où est-il allé ? Qui l’a arrêté en route? Je n’en sais rien. Je n’y comprends rien. Enfin le voilà, avec le vrai 388. J’ai passé une très mauvaise journée. J’avais l’imagination très noire. J’ai promèné mon mal partout, chez Lady Kinnout à Holland-House, chez Lady Jersey. Vous m’avez suivie partout, malade, mourante, je ne sais quoi. En rentrant, j’ai monté l’escalier quatre à quatre ; j’ai regardé sur ma table, s’il n’y avait pas une lettre quelque oubli de la poste, quelque voyageur. En ne voyant, rien, j’ai eu un mécompte comme si j’avais attendu quelque chose. Par moments, des moments bien courts, je m’en voulais de tant d’anxiète que les spectateurs, s’il y en avait eu, auraient à coup sûr, appelée tant de faiblesse. Ah, que les spectateurs sont sots ! Pour comprendre le chagrin, il faut sentir l’affection ; et l’affection, le chagrin, tout cela est personnel ; on ne le sent que pour soi-même. On passerait pour fou si on laissait entrevoir la millième partie de ces suppositions, de ces émotions innombrables, ingouvernables, qui obsèdent le cœur.
Il y avait dans la lettre du gros Monsieur, 386 une phrase dont je ne pouvais me délivrer : " Je me sens si malade ? " Je lisais cela partout, dans les yeux de mes voisins, dans les journaux du soir. Je n’y veux plus penser. Non, je ne veux pas vous faire courir la poste comme un courrier, ni vous forcer à traverser un jour de gros temps. Mais voulez-vous bien sérieusement que je ne sois pas trop impatient pour le 15 ? Voyons dites ; voulez-vous ? Convenez que j’ai un bon caractère. Rappelez- vous vos colères, vos reproches quand j’ai tardé d’un jour, quand je n’ai pas été parfaitement sûr. J’ai bien envie, pour me venger, de vous conter toutes les coquetteries que m’a faites hier Lady Kinnoul. Je voudrais bien savoir de quel droit lady Kinnoul me fait des coquetteries. Mais droit ou non, elles étaient bien coquettes.
Lord & lady Hatherton, lord et lady Manvers, lord et lady Cadogan, lord et lady Poltiemore, lord Liverpool, M. Leshington. Voilà le dîner. Personne, le soir à Holland house, Si ce n’est au bout de la bibliothèque, lady Essex, l’actrice Miss Stephens, assise au piano et chantant très agréablement pour Lord Holland et M. Allen. 3 heures J’ai été interrompu par la visite de Chekib. Effendi. Celui-là est intelligent. Il est pressant. aussi. Il a raison. Son Empire s’en va. Et si on fait naître là une guerre, quelle qu’elle soit il s’en ira encore plus vite. L’immobilité de l’Orient, l’accord général de l’Occident, à ces deux conditions la Porte peut encore durer. Si l’une ou l’autre manqur, si nous nous divisons ici et si on se bat en Asie, c’est le commencement du grand inconnu. Je dis cela beaucoup, et tout le monde est de mon avis, presque tout le monde. Mais les avis sont peu de chose ; c’est la volonté qui fait.
Ce cabinet-ci est dans une situation bien critique pour élever dans ses chambres et dans le monde, une si grande question. Et je doute que sa situation critique soit de celles dont en sort en élevant une grande question. Je ne crois pas qu’il y ait à s’abstenir définitivement, beaucoup de jugement, ni de prévoyance. Et j’attendrais sans beaucoup de crainte la démonstration des évènements. Votre conversation avecT hiers est charmante. Je suis quelque fois tené de croire qu’il est embarrassé et se déchargerait volontiers de son embarras, pour un temps, sur les épaules d’autrui. Nous verrons jusqu’à quel point la fécondité de l’esprit, la dextérité de la conduite et le talent de la parole suffisent au gouvernemen t! En attendant, il est absurde de se plaindre qu’il ne s’occupe pas des petites affaires. Je suis sûr qu’il s’en occupe plus qu’on n’a le droit de l’exiger dans sa situation. C’est précisément une de ses qualités de pouvoir penser à la fois à beaucoup de choses, grandes et petites, et porter rapidement de l’une sur l’autre son activité et son savoir faire.

Lundi 1 juin
Je trouve en m’éveillant le Roi de Prusse mort de plus grands que lui sont morts. Je le regrette. C’est toujours beaucoup qu’un Roi honnête et sensé. Je me suis intéressé à lui dans ses temps de malheur. La façon dont ils étaient traités lui, sa femme, son pays, m’indignait. Je n‘ai pas à me reprocher d’avoir pris plaisir à à Mexico et à Calcutta comme dans un écho. La place manquera à l’ambition et à la puissance des hommes. Priez Dieu qu’ils ne deviennent pas fous.

2 heures
Je reviens d’un meeting on the slave trade, où le Prince Albert a fait son début in the chair. et je trouve le 389, votre départ pour le 13. Vous ne m’avez jamais donné de si principale nouvelle. J’ai quelques doutes sur un congé à demander à Thiers pour Génie. Sans cela, rien de plus simple que de le faire venir ici pour huit jours en vous accompagnant. Il faut que j’y pense, et que je lui en écrive à lui-même. Cela se pourra peut-être sans inconvénient. Je serais charmé de vous donner ce gardien là. Mais je ne veux pas que Thiers suppose je ne sais quoi. C’est bien intime de faire ainsi passer mon intérêt avant votre agrément. Mais je suis sûr que vous le trouvez bon. Le meeting était très nombreux et intéresant. Le Prince a été fort bien reçu. O’Connell et Sir Robert Peel également bien reçus, également applaudis. Public très impartial, et prenant. plaisir à se séparer de la politique. Grand applaudissement aussi à mon nom et à ma l’arrogance brutale et déréglée que j’ai vu régner. Elle était pleine de grandeur ; mais la grandeur à son tour était pleine de grossiéreté et de folie.
Le rappel de Ste Hélène, c’est juste. Les Invalides c’est juste, St Denis aussi serait juste, quoique moins convenable. L’apothéose serait une impièté. Et aussi une demence. La Prusse elle-même m’intéresse. Il y a en Europe trois pays que j’aime après le mien : l’Angleterre, la Hollande et la Prusse. Je suis très protestant par là. C’est la Réforme qui a fait ces trois pays, qui a fait leur caractère, et en bonne partie leur grandeur. Et l’Europe leur doit une bonne partie de la sienne, sans compter l’avenir. Il n’y en a plus pour la Hollande. Les petits pays sont morts. Deux choses aujourd’hui sont trop grandes pour eux, les idées et les évènements. Ni l’esprit, ni l’activité des hommes ne peut plus se contenir dans un étroit espace sur notre terre, le plus grand espace sera bientôt si étroit ! De Londres à New York, douze jours ; bientôt six jours ; on construit en ce moment à Bristol une machine qui double la force de la vapeur. On se promènera autour du monde. Les paroles dites à Paris retentiront. personne, mentionnés assez éloquemment par le sir Lushington. Mais puisque, vous ne devez ignorer aucune de mes vanités, voici mon plaisir de ce matin. Je suis arrivé un peu tard à Exeter hall. Le Prince était déjà in the chair. On se pressait pour entrer. Sur l’escalier, à la porte de la salle dans la salle, la foule était immense. En abordant la foule, j’ai dit the french ambassador, pour m’aider à avancer. Le premier venu à qui je l’avais dit, a dit à ses voisins. Mr Guizot. Tout le monde, a répété mon nom, personne ma qualité, et tout le monde m’a fait place. Un fils de M. Wilberforce, archidiacre dans l’ile de Wight, a parlé supérieurement avec beaucoup d’éloquence, naturelle et spirituelle. Sir Robert Peel a bien parlé, éternellement bien. Je vous dis que vous ne connaissiez pas M. de Brünnow. Savez-vous comment il était vendredi dernier, à une heure du matin, dans le vestibule de Buckingham Palace, sortant du concert de la Reine et attendant sa voiture au milieu de la très bonne compagnie qui attendait comme lui ? Une sale casquette de voyage sur la tête pour ne pas s’enrhumer. Je suis un peu choqué que vous m’ayez dit que je lui plairais. Du reste, je crois que vous avez eu raison. Il parle très bien de moi Il me semble que l’approche de notre rencontre me rend bien bavard. Vous ne vous plaindrez pas que cette lettre soit courte. J’en ai bien plus long à vous dire. Adieu. Adieu. Quand vous serez ici, il me semble impossible que nous n’arrangions pas tout vous, moi, Londres, et la campagne. Il y a deux choses avec lesquelles on peut tout. La seconde, c’est de l’esprit. Devinez la première. Adieu. Ma mère vous priera peut-être de m’apporter le portrait d’Henriette, dans une boite. J’espère qu’il ne vous embarrassera pas trop. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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396. Paris, Samedi le 6 juin 1840

J’avais bien raison de détester vos courses. Je n’ai eu que de pauvres petites lettres. Je suis charmée que vous ayez trouvé peu de plaisir à Epsom, aussi charmée que vous l’ayez été sans doute lorsque je vous ai donné l’assurance que je n’irais jamais voir Melle Dejazet. C’est Ellice aussi qui voulait m’y entraîner, lui Lady Granville, la loge était prise, tout leur petit plan fait pour m’enlever par surprise, mais moi, je sais dire non tout de suite. Enfin Epsom c’est fini je n’y veux plus penser.
Je veux penser au mois de juin. Je pense à tous les détails. Décidément vous aurez vos heures où je serai out pour tous les autres. Nous déciderons cela tout de suite, et nos heures seront réglées selon vos convenances. Mais que Londres va me paraître étouffé, étouffant. Certainement, je ne tiendrai pas longtemps à Londres même quand j’y pense bien, assurément, si ce n’était vous je ne ferais pas ce voyage. J’y vois un peu plus de tracas que de plaisir.
J’ai dîné hier chez les Granville Ils étaient seuls. Le soir, j’ai vu chez moi M. Molé, les ambassadeurs, Armin,& & Les nouvelles de Berlin, sont meilleures vous le savez sans doute/ Ainsi mon programme est faux. M. Molé me dit que la gauche est furieuse contre Barrot. 40 des siens le quittent. Il n’apporte dans le camp ministériel tout au plus que 20 adhérents. Il faudra que Thiers le poste à la présidence et les Conservateurs joints aux extrémités le refuseront. Il nie qu’il puisse y avoir de meilleures relations entre Thiers et Le Roi. On me dit qu’il n’est pas vrai que M. de la Redorte aille à Madrid ; cela s’était établi dans le monde. Je ne sais ce qu’on pense ici du discours de Lord Palmerston. Mais la croyance générale est qu’on est assez près de la guerre. M. Molé a été frappé des paroles dites par Thiers à la chambre des Pairs sur la question de la banque. Il a fait entrevoir la guerre comme probable.
Je suis fatiguée, mais je ne suis pas si malade que je l’étais après que vous m’aviez annoncé Epsom. Adieu. Je ne songe plus qu’à Londres, j’écarte les idées de tracas, je m’attends au bonheur. Oui, un grand bonheur. Ah, que de causeries charmantes, quel débordement, Adieu. Adieu, mille fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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392. Londres, Mercredi 10 juin 1840
9 heures

Ceci doit être ma dernière lettre. Savez vous mon sentiment ? c’est que je ne vous ai rien dit depuis le 25 Février. Je ne vous ai pas plus parlé que je ne vous ai vue. J’ai sur le cœur tout ce que j’ai pensé et senti pendant ce temps là. Quel débordement, comme vous dites ? Le beau temps dure, et par trop étouffant. J’ai été me promener hier au soir dans Regent’s Park jusqu’à 9 heures et demie. L’air était doux, frais, le ciel pur, les eaux pures aussi. Je vous attendais là. Je crois que je suis sorti le dernier. Il me paraît qu’on se bat toujeurs autour du corps de M. de Rumigny. Je suis essez curieux de l’issue. Le Roi en voudra beaucoup à Thiers.
Avez-vous vu Zéa ? Je serais curieux aussi de savoir ce qu’il pense des affaires du moment dans son pays. Il me paraît que les modérés sont dans une grande colère et méfiance, du voyage de la Reine. Ils croyent qu’elle veut les livrer aux exaltés. Je ne comprends pas On dit que Rumigny ne sera pas le seul. Dalmatie et Latour Maubourg sont ménacés. Il faut payer ses dettes. Ste Aulaire et Barrante n’ont rien à craindre. M. de Metternich, et l’Empereur Nicolas, les défendent. Du reste si la diplomatie est traitée comme l’administration, il y aura plus de bruit que d’effet. Que de préfets remués pour en changer un seul ! Je n’aime pas le humbug, même quand il sert à empêcher le mal. Mais il faut bien s’y résigner.

Une heure
Je ne vous dirai pas encore de gros mots. Je ferai plus. Je mettrai votre conscience à l’aise. Je viens de recevoir une invitation de la Reine pour Windsor, dîner le 17, passer la journée du 18, déjeuner le 19. Il n’y a pas moyen de n’y pas aller. Si vous arrivez ici le 15, nous aurons à nous la journée du 16 mais si vous n’arrivez que le 16 au soir ou le 17 matin, nous aurons à peine, le temps de nous entrevoir avant mon départ pour Windsor. Ne vous pressez donc pas de manière à vous troubler ou vous fatiguer. C’est une ennuyeuse parole que je vous dis là. Je suis très pressé. chaque jour plus pressé. Mais puisque ma course de Windsor coïncide avec votre tracas de ménage, faites ce qui vous convient. Je vous donne, pour arriver à Londres latitude jusqu’au 19. Si vous arrivez le 15 ou le 16, je serai parfaitement heureux. En tout cas, je vous écrirai encore à moins que votre lettre de demain ne me dise le contraire. Je vois que l’affaire des ambassadeurs tournera comme celle des prefets. Lord Palmerston ne revient qu’aujourd’hui de Broadlands. Il doit y avoir un conseil de Cabinet ce matin, probablement sur les affaires de l’Orient. Si on voulait m’admettre dans ce conseil, je crois en vérité que je serais tranquille. Cette parole est bien arrogante ; mais j’ai vu tant d’affaires mal conduites uniquement parce qu’on ne savait pas, parce qu’on n’avait pas pensé. Ici surtout on ne pense pas à assez de choses! Et chacun pense à son affaire, et ne sait rien de celles des autres. Evidemment si, dès le premier jour, toutes les faces de cette question d’Orient avaient été présentées à Lord Polmerston, lui-même ne se serait pas engagé comme il l’a fait. Cela perce à chaque instant dans sa conversation.

3 heures et demie
Je viens de faire quelques visites Je ne voulais voir que lady William Russell. Je ne l’ai pas trouvée. Elle m’inspire une estime mêlée de quelque curiosité. On dit que son mari, après avoir débuté par la Juive, fait à présent des sottises avec tout le monde. Est-ce qu’il en est en Angleterre des hommes comme des femmes ? J’entends dire qu’ici c’est à 40 ans quand leurs enfants sont élevés, que les femmes s’émancipent. Et on me cite des exemples. Nous avons ici de très mauvaises nouvelles du Rois de Prusse. Je suppose que vous les avez aussi. Adieu. J’ai été dérangé deux ou trois fois depuis que je suis rentré. Je dine chez Sir Robert Inglis. J’irai de là chez lord Grey. Lady Grey m’a écrit hier pour m’y engager. Je suis très bien avec eux. Adieu Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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394. Londres, Vendredi 12 juin 1840
8 heures et demie

J’ai été hier soir à Holland. house. Ils n’y étaient pas. Le conseil du matin et l’attentat les avaient fait venir en ville. J’avais deux emplois de ma soirée Lady Tankerville qui se plaint toujours qu’elle ne me voit pas assez et un bal chez Lady Glengall. Je suis rentré chez moi ; je me suis mis dans mon lit et j’ai lu pendant deux heures une vie de Hampden, grand Anglais, et homme bien hereux car il a eu le bonheur de mourir au moment où allaient commencer pour lui les espérances déçues, les doutes de conduite et la responsabilité. Je me plaît beaucoup dans la vieille Angleterre. J’aime ce qui en reste, et grace à Dieu, il en reste beaucoup. Par mes idées, et le tour de mon esprit, je suis du temps moderne ; par mon caractère et mes goûts, je suis des anciens temps.
J’assiste déjà aux embarras de la transition de règne, en Prusse. On a eu à célébrer à Berlin, le 100e anniversaise de l’Académie royale. Il fallait parler de Frédérie II, du Roi mourant et plaire au Roi qui s’approche. On a chargé M. de Humbolt de cet embarras. Il s’en est tiré, en homme d’esprit, et m’a envoyé son petit discours, car les hommes d’esprit pensent toujours un peu les uns aux autres.
A propos des hommes d’esprit, vous ai-je jamais dit comment m’avait abordé à St Cloud, en se fairant présenter à moi. Reschid. Pacha, qui essaye aujourd’hui de faire de la Turquie quelque chose qui ne soit pas turc? « Moi ausi, dans mon pays, je passe pour un homme d’esprit.» Il vient, dit-on, d’en donner une preuve en se débarrassant de son rival Khosrer-Pacha qu’il a fait remplacer par Ahmed Féthi Pacha, homme insignifiant, sa créature, et ancien ambassadeur à Paris. On dit que cela vous déplaira.
Je rentre à Berlin. Il me paraît que Humboldt, Bülow et toute cette couleur là sont au mieux avec le Prince Royal. Bresson aussi est bien avec lui depuis quelque tour. Bresson est prévoyant et habile. Il n’y a pas de doute sur la retraite de Wittgenstein. On le pressera de rester, sachant qu’il ne restera pas.

2 heures
Je vous ai quittée pour trouver dans le Times, la mort du Rois de Prusse et je n’ai pu vous revenir jusqu’à présent. Lord Palmerston n’a pas pu me rejoindre hier au Foreign office. Il a été retenu à l’home office par le Conseil privé qui interrogeait les témoins sur l’attentat. Il m’a remis à aujourd’hui, et j’attends un mot de lui pour l’aller chercher. Les deux Chambres présentent leur adresse ce matin. Je suppose que la Reine recevra le corps diplomatique demain si le Cabinet trouve bon qu’elle le reçoive. Elle l’a reçu, et ses félicitations en corps, lors de son mariage. Ils sont tous fort contens de la demarche faite, qui acquitte pleinement les convenances. Je les et tous vus ce matin. Dedel est mon meilleur conseiller. Quoique rien n’ait encore transpiré on croit en général que l’assassin est chartiste. Plusieurs propos, recueillis, maintenant indiquent dans ce parti-là, un projet pareil. Ce jeune homme s’exerçait depuis trois semaines à tirer au pistolet.
Le Cabinet a eu encore hier soir un échec aux Communes, toujours sur la même question. Il y a, si je ne me trompe, dans la Chambre un parti pris, pris à une bien petite majorité, mais pris, de mettre en Irlande un temps d’arrêt à l’influence d’Oconnell. Sur les 105 membres Irlandais, il est déjà, dit-on, maître de plus de 60. Avec le systême étectoral actuel, il deviendrait bientôt maître des 40 autres. Et alors on verrait tout autre chose que l’Angleterre obligée de bien gouverner l’Irlande ; on verrait l’Irlande gouverner l’Angleterre. Voilà le gros fait qui frappe, ce me semble, les esprits et décide bien des modérés même.
Vous avez raison d’avoir beaucoup de regret et un peu de remords Windsor est venu bien à propos pour vous. Voici une vérité. Vous êtes si sensible aux petites contrariètés qu’elles peuvent balancer, pour quelque temps, les plus grandes affections. La petite vie, en vous, fait tort à la grande. Cela vient de deux causes. Vous avez été longtemps l’enfant gâté du sort faisant toujours ce qui vous plaisait. Vos déplaisirs sont démesurés, et démesurement puissants sur vous. De plus, il n’y pas en vous une force proportionnée à l’élévation, et à la vivacité de votre âme, vous êtes comme des beaux peupliers, si hauts et si minces, que le moindre vent balance, et fait plier. Vous pliez trop et trop sous les petits fardeaux, comme sous les grands. Je le trouve souvent. Je m’en impatiente quelquefois. Et puis je finis toujours pas me dire que vous connaissant comme je vous connais et vous aimant comme je vous aime, c’est à moi de vous aider à porter tous les fardeaux, petits ou grands. Puisque j’ai plus de force que vous et plus d’indifférence aux choses vraiment indifférentes, il faut bien que vous en profitiez.
Adieu. Je vous écrirai encore demain et je vous verrai vendredi, d’aujourd’hui en huit. Je ne comprends pas que vous n’ayez rien reçu des Sutherland. Charles Gréville ma dit ce que je vous ai mandé, comme une chose arrêtée, convenue. Mais il faut qu’ils vous l’écrivent eux-mênes. Adieu. Adieu.
Je corrige une phrase à ma lettre. Ce que j’avais mis ne rendait pas ma pensée. On dit qu’on a trouvé dans les poches de cet Edward Oxford, un papier qui ferait allusion à quelque relation avec Hanovre. Cela n’est pas croyable.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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à Lord Palmerston [Copie]
Mon cher Vicomte,
Plusieurs membres du Corps diplomatique, entr’autres M. le Baron de Bulow, M. de Hummelaner, et M. le Comte de Pollon qui sont chez moi, et le Général Alava qui vient de m’en écrire, me témoignent un vif désir qu’il y ait pour eux quelque manière d’exprimer à la Reine l’intérêt profond que leur a inspiré le triste événement d’hier, et la part qu’ils prennent à la joie de son peuple. Je viens vous demander ce que nous pouvons faire, et par exemple s’il vous paraîtrait convenable de prendre les ordres de S. M. et de solliciter pour le corps diplomatique, une audience où il pût lui offrir, ainsi qu’à S.A.R. le Prince Albert, l’expression de ses sentiments. Veuillez, mon cher Vicomte, me répondre à ce sujet, car nous serons en attendant votre réponse, dans une immobilité qui nous déplaît.
Vous savez si je suis tout à vous. .

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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393. Londres, 11 juin 1840
9 heures

On a beau être jeune, et femme, et Reine sans révolution, et avec une aristocratie ; on n’est pas à l’abri de la monomanie de l’assassinat. Elle a passé la Manche. J’ai appris cela hier au soir en dinant chez le Sir Robert Inglis. Plus tard, chez lord Grey, quelques détails douteux. Tout le monde disait que ce boy était fou. Il ne l’est point. Les journaux vous diront tout ce qu’on sait. Peu de chose encore. On parle de sociétés secrètes, de passions anarchiques. J’y crois toujours. Le mal vient de là, soit que des conspirateurs se réunnissent, soit qu’un cerveau faible s’échauffe. Et ce mal est grand ici dans les régions basses plus grand qu’ailleurs. Mais les moyens de résistance sont très supérieurs. La Reine a montré vraiment un sangfroid, très ferme et très simple. Son mouvement de se faire conduire tout de suite chez sa mère a touché. L’émotion me paraît vive et sincère dans les classes moyennes. Le High life, hier au soir était froid et lèger, comme partout. On faisait de la musique chez Lord Gey. J’écoutais comme les autres. Et en écoutant, je pensais à ces quelques têtes couronnées, partout le point de mire de ces milliers de prolétaires indignés de n’être pas riches et heureux et à ces passions frénétiques qui fermentent à côté de ces plaisirs frivoles. y aura-t-il dans le monde, assez de sagesse et de courage pour dompter le fléau ? Je le crois. Et le spectacle de cette société-ci me rassure encore plus qu’il ne m’inquiète. Le bien y surpasse le mal, quoique le mal soit grand. Si japprends quelque chore dans la matinée je vous le dirai.

2 heures
Rien de nouveau. On interroge cet homme ; on cherche. Les principaux membres du corps diplo. matique sont venus chez moi. Nous avons cherché, une manière de témoigner à la Reine notre vif sentinent sur ce qui vient d’arriver. De concert avec Bülow, Hummelauer, Pallen, etc J’ai écrit à Lord Palmerston, le billet ci-joint. Il s’en est montré fort touché. Je dois le voir à 4 heures, quand il en aura parlé à ses collègues. N’en parlez pas, car il serait possible qu’il n’y ait point d’audience, point d’expression publique et collective. D’après ce qu’on m’a dit et si je me rappelle bien ce que vous m’avez dit. ceci serait un peu une innovation. Elle est naturelle, vu l’incident, et ces messieurs la désirent tous. Nous avons des usages, nous autres Français, en pareille matière. Je les emporterai peut-être à Londres.
Je m’attendais au retard de ce matin. Je vous ai dit hier pourquoi j’y consentais sans me trop facher. Je n’en dis pas davantage. Je ne veux pas vous donner plus de liberté que je n’en veux prendre pour moi-même en pareil cas. Je me réserve de me fâcher une autre fois, s’il y a lieu et il vous est maintenant interdit de vous fâcher jamais, car il n’y aura jamais lieu. Mais votre curiosité, que je ne comprend pas, sera fort décue, car vous ne trouverez rien de nouveau. De l’inconnu peut-être. que vous prendrez pour du nouveau. Je rabats quelque chose de mon opinion sur votre sagacité. Vous me connaissez bien peu Est-ce que je suis si obscur ?Je vous réponds que tout ce qui y était le 25 février y est encore, y sera toujours. Et rien qui ne soit avec ce qui était le 25 février dans la plus intime harmonie. Mon Dieu, que j’ai de choses à vous dire, et à vous apprendre ? Je ne crois pas du tout à Barrot dans le Cabinet. Et soyez sûre que j’ai raison. Mais si cela était, je n’ai pas la moindre incertitude. Vous avez trouvé cette hypothèse prévue dans ce que vous a montré Génie. Adieu. Vous aurez des lettres jusqu’à lundi inclusivement Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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405. Paris le 15 juin 1840
midi

J’ai reçu la dernière lettre qui doit me trouver à Paris, maintenant je viens vous en demander une à Boulogne. Ecrivez-moi en recevant ceci, je pourrai avoir votre lettre jeudi à Boulogne. Je passerai vendredi, et selon l’heure de mon arrivée à Douvres j’irai coucher à Londres ou je m’arrêterai à Rochester. Vous saurez cela. J’ai dîné hier chez les Appony, le soir chez Brignoles où j’ai dit adieu à tout le monde sauf deux ou trois qui veulent encore venir. On dit que la session finit cette semaine. La revue s’est très bien passée sauf quelques cris de réforme. L’affaire de Londres occupe beaucoup mais je n’ai pas le temps de vous parler de ces choses-là. Je pense à mon voyage, à ce que je vais trouver, je serai bien contente vendredi ! Si le temps est à l’orage j’ai peur de passer, car je suis faible et je n’échappe jamais au mal de mer. Regardez les nuages. Pensez à moi à Windsor. Il n’y a pas un coin de ce château et de ce parc où je ne me sois arrêté. Si vous avez l’appartement où il y a un salon en haute-lisse faisant face au long walk, c’est le mien. le canapé vert à la gauche de la cheminée dans le salon de la reine est celui où j’ai passé tant de soirées à côté de George IV et de Guillaume IV. Que Windsor va vous plaire ! Mais je ne vous envie pas Ascot, cela me faisait mourir d’ennui.
Adieu. Adieu. Je fais comme si j’étais déjà en Angleterre. J’y suis beaucoup, beaucoup, toujours. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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404. Paris, dimanche le 18 juin 1840
9 heures

J’écris de bonne heure et j’enverrai ma lettre de bonne heure à la poste ! Car voici une grande revue et tout Paris sur pied, car on attend l’Empereur Nicolas ! Imaginez que les Parisiens le croient. J’ai vu hier Montrond, Molé les Appony et Granville le soir. On parle beaucoup de l’Angleterre. Montrond et Molé enchantés que ce soient des sociétés secrètes. Ce sera d’un bon effet ici. Molé dit c’est notre belle révolution qui porte ses fruits. " Je suppose que vous ne prendriez pas la chose ainsi. En attendant c’est vraiment un spectacle fort alarmant.
J’ai vu mon compagnon de voyage; je l’ai bien examiné. Il est tout juste de taille à ne pas encombrer ma voiture. Il a l’air doux et tranquille, et gai, et il est comblé d’être mené aussi commodément.
J’ai eu une longue lettre de William Russell avec des détails intéressants. Nous sommes détestés à Berlin, on a tout fait pour empêcher l’empereur d’arriver. Le Roi de Hanôvre venait aussi. Ces deux ensemble paraissent de mauvais conseiller pour un nouveau roi. On ne sait comment il marchera, on ne connait pas ses idées politiques. On dit maintenant ici que la Redorte pourrait aller à Berlin, ce qui est sûr c’est que sa nomination n’est pas encore au Moniteur.
Je suis bien fatiguée d’hier. Des paquets, des arrangements, des visites, et au matin on va m’envahir pour voir de chez moi la revue. Mon ambassadeur est bien grognon de mon départ. Mad. de Flahaut m’écrit pour s’annoncer pour le 25. Elle a toujours quelque petite tirade contre les doctrinaires. Adieu. Adieu. Encore demain Adieu, et puis, quel plaisir !
On fait à M. de Lamericière des réceptions superbes au château. Molé critique cela et critique tout. Il est de l’opposition la plus violente.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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395. Londres, Samedi 13 juin 1840

Voici la dernière. Dans sept jours, nous serons ensemble et vous n’aurez plus de tracas. Il est vrai que vous n’y êtes pas propre du tout. Vous ne me dîtes pas si vous avez décidément pris votre compagnon de voyage. C’est un personnage bien mystérieux. Dois-je être inquiet aussi ? Je fais réparation à votre sagacité. Vous avez deviné juste sur Miss Troller ; si juste que l’insinuation m’a été faite, sur la place même. Je voudrais bien savoir ce qui vous inquiète. Vous me le direz, n’est-ce pas, si vous ne l’avez pas oublié, cinq minutes après m’avoir vu.
Je rabâche. Je ne comprends pas les Sutherland. Mais je trouve aussi que puisqu’ils l’ont écrit à Lady Granville, vous auriez pu, et vous pourriez peut-être encore sans atteinte à votre dignité, prier Lady Granville de leur demander, de votre part, si en effet, ils peuvent vous recevoir dans Stafford-House, en leur absence. Savez-vous qui manque dans les relations de cette sociélé-ci, dans les plus amicales ? La simplicité, la facilité, la rondeur. Tous les mouvements sont lents et raides. Les meilleures gens, les meilleurs amis ne savent pas se donner l’agrément de leur bonté et de leur amitié.
Je n’ai pas envie de vous donner des nouvelles. Il n’y en a pas, et je n’en ai pas envie. Je vous en donnerai quand vous serez ici. On ne parle que de l’attentat. Pour dire vrai, d’Oxford plus que de l’attentat. La badanderie est aristocratique aussi bien que démocratique. On est curieux des moindres détails sur ce malheureux. Est-il beau ? A-t-il de l’esprit ? De quelle couleur sont ses yeux ? C’est précisément là ce que veulent ces imaginations perverties, un théatre, un public, grandir et paraître au soleil, eux petits et obscurs. Il faudrait avoir assez de sens et de gravité pour ne pas leur donner ce qu’ils cherchent. Les personnes qui suivent l’affaire disent qu’il n’y a que deux choses sûres, c’est qu’il n’est pas fou, et qu’il n’est pas seul.
On me dit ici, sur le nouveau Roi de Prusse, exactement ce que vous m’avez écrit. Tout le monde, se promet beaucoup de lui ultras et libéraux. Tout le monde, sera déçu. ce qui me paraît clair, c’est qu’il est faiseur et n’aura pas la politique négative, et expectante de son père. Il faut que jeunesse se passe, celle des rois comme toute autre. Adieu. Adieu encore une fois. Je n’ai rien à vous dire. Je dirais trop ou trop peu. Adieu. Enfin.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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403 Paris, samedi le 13 juin 1840

Les Granville sont très bouleversés du coups de pistolet. Moi, je crains qu’on ne prononce en Angleterre le nom du roi de Hanovre. Quand il arrive une atrocité on pense à lui tout de suite. Je n’ai jamais vu d’homme soupçonné de tant de mal. Espagne occupe aussi ici. On ne comprend pas le voyage de la reine. Granville a l’air de croire à un mariage Cobourg. Le prince est parti d’ici il y a trois semaines sans qu’on sache pour où. M. Molé croit savoir que la Reine veut sortir du royaume et que cela est concerté avec l’Angleterre. Moi je ne sais rien.
Zéa est venue deux fois sans me trouver. Si j’ai le temps je la ferai encore venir avant mon départ.
Thiers a été chez Armin. Il lui a dit que Bresson quitterait Berlin sans lui dire qui serait le successeur mais on pense que ce sera M. Pontois et qu’ils changent de poste. Le duc d’Orléans est allé chez Armin aussi, très sévèrement affligé de la mort du roi. J’ai vu Armin. Il a l’air de craindre pour son compte. Le duc de Nemours est allé chez Granville hier au sujet du coup de pistolet. Granville a pris cela pour une visite de parenté Cobourg, et non de politesse française. Voilà le châpitre fashionable moves. Je n’ai rien fait hier que visites et préparatifs.
M. de Broglie va faire un voyage avec son fils, et puis ils passeront quelques mois en Suisse, il ne retournera à Paris que pour la session prochaine. C’est de Grainville que je tiens cela. Demain revue de la garde nationale. Il me semble que nous aurons beaucoup de choses à nous dire. Quel plaisir ! Votre lettre ce matin m’a donné deux plaisirs. Je ne puis vous les dire qu’à Londres. Mais soyez sûr que je suis heureuse, heureuse, et joyeuse. Je vous écrirai encore deux fois. J’ai vu Génie hier, je le recevrai Lundi. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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400. Trouville, Dimanche 9 août 1840
Une heure
Je suis arrivée ici, ce matin. La joie de mes enfants est charmante. Je voudrais vous en envoyer la moitié. Je ne jouis qu’avec remords de ce que je ne partage pas avec vous. Henriette m’a déjà demandé de vos nouvelles. Elle est comme vous dîtes ; elle a bien de l’esprit, dans le cœur. Je les ai trouvés à merveille tous les trois ; Henriette, forte et vivante ; les deux petits pas forts, mais très vivants et sans excès. Ma mère aussi est bien ; l’air de la mer lui a réussi. Elle vous aurait bien plu ce matin ; elle m’a reçu avec ce mélange de vivacité passionnée et de gravité pieuse qui n’appartient qu’aux natures méridionales. Ils retourneront tous au Val- Richer samedi 15. Moi, je les quitterai ici après demain mardi, à 4 heures. Je serai à Eu Mercredi matin. J’en répartirai, dans la nuit du Mercredi au jeudi, pour aller coucher à Calais, et vendredi, je dînerai à Londres. Il me semble que je vous ai déjà dit cela. Pourquoi ne vous le redirais-je pas ? Je me le suis déjà redit à moi-même plus de vingt fois. Je dois vous avoir écrit bien bêtement hier et avant-hier. Je vous ai écrit avec un ennui poignant. Vous m’avez grondé une fois de ce que je décriais les lettres quand il ne restait plus que cela. Il faut un peu de temps pour se faire à une telle décadence. J’aurai une lettre de vous demain. Vaudrait-elle mieux que les miennes ? A chaque nouvelle expérience de la séparation, je suis épouvanté du progrès. J’ai bien tort de dire épouvanté ; mais je ne veux pas parler vrai.
Ce qui est vrai, c’est qu’à tout prendre je suis content de ce que j’ai vu à Eu, des deux partis. J’ai vu, d’une part de la révolution, de l’autre, de la modération. Les penchants, les désirs au fond ne sont pas, les mêmes ; mais les conduites pourront fort bien s’accorder. On travaillera sincèrement à maintenir la paix ; on fera hardiment la guerre si l’occasion l’exige. Et on prévoit des occasions qui pourraient l’exiger. On ne provoquera point ; on ne commencera point. Mais on n’éludera point. Le pays est dans la même disposition ; nulle envie de la guerre, tant s’en faut ; mais un grand parti pris de ne pas accepter tel ou tel dégoût et d’accepter les sacrifices. C’est une démocratie fière sans exaltation et résigner à souffrir plutôt qu’ambitieuse et confiante. Vous verrez cette physionomie passer même dans la presse, malgré ses fanfaronnades, et ses colères. Je ne fais qu’entrevoir mon pays ; mais ce que j’en entrevois me convient. J’espère qu’il ne sera pas mis à de trop dures épreuves. Je crois qu’il s’y ferait honneur. Lord Palmerston m’a dit souvent : « Je ne comprends pas que vous ne soyiez pas de mon avis. On me dit ici la même chose à son égard. Il y a bien peu d’esprits qui se comprennent les uns les autres. Chacun s’enferme dans son avis comme dans une prison, et agit du fond de cette prison-là. Cette complète préoccupation de son propre sens joue dans les affaires un infiniment plus grand rôle qu’on ne croit. Voici ce que je n’ai pas entendu, mais ce qui m’a été répété bien authentiquement : - " Que deviendrais-je aujourd’hui si j’avais Molé pour ministre ? " Louis Bonaparte, et son monde vont être traduits à la cour des Pairs. J’ai peur que ceci ne vous arrive pas avant jeudi. Je suis hors des grandes routes. Vous accepter tel ou tel dégoût et d’accepter les sacrifices. C’est une démocratie fière sans exaltation et résigner à souffrir plutôt qu’ambitieuse et confiante. Vous verrez cette physionomie passer même dans la presse, malgré ses fanfaronnades, et ses colères. Je ne fais qu’entrevoir mon pays ; mais ce que j’en entrevois me convient. J’espère qu’il ne sera pas mis à de trop dures épreuves. Je crois qu’il s’y ferait honneur. Lord Palmerston m’a dit souvent : « Je ne comprends pas que vous ne soyez pas de mon avis. On me dit ici la même chose à son égard. Il y a bien peu d’esprits qui se comprennent les uns les autres. Chacun s’enferme dans son avis comme dans une prison, et agit du fond de cette prison-là. Cette complète préoccupation de son propre sens joue dans les affaires un infiniment plus grand rôle qu’on ne croit. Voici ce que je n’ai pas entendu, mais ce qui m’a été répété bien authentiquement : - " Que deviendrais-je aujourd’hui si j’avais Molé pour ministre ? " Louis Bonaparte, et son monde vont être traduits à la cour des Pairs.
J’ai peur que ceci ne vous arrive pas avant jeudi. Je suis hors des grandes routes. Vous serez déjà à la campagne. Je vous écrirai encore 400 demain, à tout hasard. Samedi, en revenant de West, vous trouverez une lettre et moi. Adieu. J’aspire à demain. Trois jours sans un signe de vie ! Cela m’est-il jamais arrivé ? Adieu Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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402. Eu, Mercredi 14 août 1840
Onze heures et demie

Je suis arrivé il y a deux heures et je n’ai pas trouvé Thiers ici. Il n’y sera que demain matin, et il demande au Roi de me retenir un jour de plus. Il le faut bien. Je ne serais donc à Londres que samedi, au lieu de Vendredi. Ceux qui ne croient pas à mon retour se trompent. Et vous avez raison de croire à une chose. Toujours. J’avais si bien arrangé tout pour partir demain Et d’ici à mon départ, je n’aurai point de lettre. J’ai peu de satisfaction par l’écriture quand je la vois ; mais quand je ne la vois pas, je la désire beaucoup. Je me suis échappé après le déjeuner. Et voilà que le Roi me fait demander. Adieu. J’ai roulé toute cette nuit sans dormir et sans changer de pensée. Adieu

Le discours de Lord Palmerston aux Communes a fait en France beaucoup d’effet et un bon effet. Le mal est grand, mais non incurable.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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401. Trouville, Lundi 10 août 1840
une heure

Je ne devrais plus vous écrire. Cette lettre-ci sera à Londres, Vendredi. Vous n’y serez pas. Et quand vous y serez, j’y serai. N’importe. Je vous écris. Je viens de recevoir votre lettre 409. J’ai oublié de numéroter les miennes. Il me semble que ceci doit être 405. Il y a trois jours, je ne me résignais pas aux lettres. Aujourd’hui une lettre vient de me charmer. Il fait très chaud, très beau. J’irai tout à l’heure promener ma mère et mes enfants, dans la forêt de Touques ; ma mère en calèche, mes enfants, sur des ânes. Ils sont bien heureux. Je les ai menés à la mer ce matin ; ils se sont baignés devant moi. Mad. de Meulan vient d’arriver. Elle retournera au Val-Richer demain. Ma mère et mes enfants samedi 15.
J’ai déjà parlé à Eu de mon congé en octobre. J’y compte. Toujours subordonné à l’état de cette malheureuse question d’Orient. Mais ou je me trompe fort ou elle sera immobile à cette époque. Le blocus durera sans aboutir. C’est, je vous jure un curieux spectacle que la complète opposition des conjectures sur le Pacha, les uns si sûrs qu’il cédera, les autres qu’il ne cédera pas. Très sincèrement sûrs. Il y a de quoi prendre en grande pitié les convictions diplomatiques. L’erreur sur l’insurrection de Syrie a été grossière ; elle n’a pas été un moment sérieuse, et Lord Alvanley est un badaud. Lord Francis Egerton a donné aux insurgés trois canons rouillés, et 800 fusils hors de service ; par ardeur chrétienne et pour affranchir les frontières de la Terre Sainte. Il n’y a eu personne pour se servir de ses fusils. Méhémet en profiterait s’ils étaient bons à quelque chose. Les Carlistes aussi ont eu la main dans l’insurrection ; par Catholicisme et par Carlisme. Tout cela a abouti à élever un nuage de poussière que Lord Palmerston a pris, pour un orage. De son erreur je conclus qu’il se trompe probablement sur Alexandrie comme sur Beyrout. M. Thiers est infiniment plus sceptique, plus modeste. Pourtant il ne doute pas de la résistance obstinée du Pacha.
Conseillez à Lady Clauricarde de retirer sa joie sur Louis Bonaparte. Elle a des joies un peu légères. Voilà les obsèques de Napoléon accomplies, tranquillement accomplies. Le Roi, ses ministres, le public, tout le monde est charmé. Le Bonapartiosme est tombé plus bas que l’insurrection de Syrie, le pauvre Louis Bonaparte ne voulait pas se coucher dans le château de Boulogne parce qu’il n’avait pas son valet de chambre pour le déshabiller. Et jeudi dernier, quand on l’a retiré de l’eau et conduit en prison, comme il ne voulait pas poser sur la pierre froide ses pieds nus (il venait d’ôter ses bas) un des gardes nationaux qui venaient de lui tirer des coups de fusil, l’a pris dans ses bras, et l’a porté sur son lit.
Vous avez bien fait de m’envoyer la lettre du duc de Poix. Il n’y a en effet rien à faire à présent. On a fait quelque objection à son fils, très haut. Cette nouvelle vilenie de Pétersbourg (pardonnez-le moi) m’a indigné comme si elle m’avait surpris. Je croyois que nous avions atteint le terme. Vous n’avez sans doute plus rien entendu dire de la prochaine arrivée. Vous m’en parleriez. Mais j’oublie que vous m’avez écrit vendredi, vingt, heures après m’avoir vu. Les heures sont bien longues.
Adieu. Ceci est pourtant ma dernière lettre. Mais non pas mon dernier adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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412. Stafford house, Mardi 6 heures
le 18 août 1840

J’ai vu Alava, bavardage, rien. Je suis sortie et j’ai commencé pas une boutique de diamant où j’ai rencontré le Duc de Wellington. Il a eu l’air tout étonné de ma vue, et après son ho, ha, il me dit :
" Et bien que dites-vous de tout ceci, qu’est-ce qui va arriver ? " J’ai ri.
- J’ai beaucoup à dire mais ce n’est pas ici qu’on entame au pareil sujet.
- Oh, eh bien moi, je dis qu’on a eu de très mauvaises manières, mauvaises manières. bien mauvaise affaire D... sait où tout cela peut mener.
- Pour le fond je suis contente, mais la forme.
- Et bien justement c’est que la forme a tué le fond. Est-il possible de s’y prendre si mal ? Croyez-vous qu’on puisse arranger ?
- Arrangez mêlez-vous en.
- Moi, Je ne suis plus à rien, venez me voir à Walmer j’y vais ce soir, venez passer quelques jours chez moi."
Et puis nous avions fini le second tour d’un petit couloir qui menait de la boutique à la rue. Nous nous somme séparés. Son ton et son geste était encore plus triste que sa parole. Car il s’est pris par la tête de désespoir. Après ceci une marche à pied et puis...

Mercredi 19 à 10 heures.
Et puis mon dîner, et puis une promenade en calèche. A 9 heures Lady Clauricarde chez moi jusqu’à onze, une nuit passable et me voici. L’interruption hier est venue par deux ou trois petites affaires fort insignifiantes des diamants, des femmes de chambre et encore le médecin.
Lady Clauricarde est curieuse, je n’ai rien à lui dire. Elle est inquiète, je ne me mêle pas de la tranquilliser. Une bonne heure s’est passée à ce petit manège. Enfin elle dit : "J’espère qu’on fera quelque chose pour arranger.
- Il faut beaucoup faire.
- Mais enfin il faudrait des deux côtés.
- Je ne pense pas que ce soit l’offensé qui commence.
- C’est bien embarrassant ! Vous avez l’air tous inquiets.
- Oui et Lord Palmerston plus que tout le monde.
- Ah, ah vous trouviez si drôle et si bête quand je vous disais il y a un mois que je l’étais."
Voilà à peu près. Et puis elle m’a dit que dans les Clubs on parlait toujours beaucoup de moi comme très français et Je lui ai répondu que j’étais fatiguée de tout cela, et que je me moquais de ces clubs et de tous les badauds. Une triste journée aujourd’hui et le ciel triste, du brouillard, une petite pluie fine. Ce sera long, 26 heures encore ! A propos sachez que je vous attendrai demain jusqu’à 3 heures. Si vous venez alors je reste. Mais si à 3 h. vous n’y êtes pas je sortirai pour deux heures et vous me trouverez après cinq heures. Tout cela sont des précautions. Nous n’en aurons pas besoin j’espère. Et je vous verrai à midi et demi. Comme j’y pense !
Malgré la bonne occasion je ne sais pas parler du sujet sur lequel je suis si bavarde. C’est que ce sujet est devenu, si immense, ni intime ; il a pris un tel caractère de sainteté, et de passion, qu’il ne peut plus aller à des lettres. Voilà pourquoi il ne faut plus de lettres n’est-ce pas ? Adieu. Adieu. Adieu bien sérieusement, adieu autrement aussi. Adieu de toutes les manières Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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404. Du château de Windsor, mardi 18 août 1840
6 heures

404 est le vrai numéro de ceci. J’ai refait ma chronologie. Rétablissez la vérité sur mes six dernières lettres de France. Elles sont comprises entre 397 et 404. J’arrive. Le Roi Léopold n’est pas encore rentré de la promenade. Je l’attends et je pense à autre chose. Je suis dans une grande et belle chambre en damas jaune, en face de la grande allée. Je soupçonne que c’est votre chambre. Je soupçonne qu’on me l’a donnée à dessein. J’ai envie de ne pas me tromper. Une alcôve en face de la cheminée, avec une grande glace au fond, recouverte par une tenture flottante. La grande fenêtre en face de la porte. Une petite fenêtre longue dans un enfoncement à côté de la cheminée. Une toilette dans la grande fenêtre. Trois commodes, secrétaires, & l’un en ébène, très doré ! Un joli petit cabinet de toilette à côté. Ai-je raison ? Je suis venu en deux heures. J’ai dormi une heure ; dormi et rêvé. Éveillé l’autre heure en pensant comme j’avais rêvé. Une pensée unique et immuable dans une vie animée et variée.
Que d’espace j’ai parcouru, que de choses j’ai vues, et dites et faites depuis quinze jours ! Deux grands pays, deux châteaux royaux, trois rois dont une reine, la paix ou la guerre en Europe et en Asie. Et tout cela, c’est la surface. Il y a tout autre chose, au fond, une seule chose?

Mercredi 19 août. Midi. J’ai vu deux fois le Roi Léopold hier à 7 heures et tout à l’heure. Je suis content de ma conversation. J’espère qu’il m’aidera bien. Il comprend très bien la situation de la France. Il a plus d’esprit dans les grandes choses que dans les petites. Il devait partir demain 20 ; mais, il restera jusqu’à samedi 28 et plus longtemps s’il le faut. Je le laisse parler et agir. Je lui ai bien expliqué que mon attitude à moi, C’était l’attente, l’attente froide et tranquille. Nous sommes en dehors. Nous restons en dehors, jusqu’à ce qu’en dedans on sente et on nous dise qu’on a besoin de nous. Je ne change donc rien à mes premiers projets. Je retourne à Londres demain matin. L’affaire d’étiquette s’est passée hier comme nous l’avions prévue. On a coupé le différend par la moitié. J’ai donné le bras à la Princesse de Hohenlohe et je me suis placé à la gauche de la Reine, qui avait le Roi, Léopold à sa droite. Le Prince de Hohenlohe qui avait passé avant moi donnant le bras à la duchesse de Kent, était au dessous de moi à table. Mais au retour, j’ai repris la moitié que je n’avais pas eue en allant. Il n’y avait point de femme, personne ne donnait le bras à personne. Je me suis arrêté à la porte de sa salle à manger pour me faire présenter au Prince de Hohenlohe qui y arrivait en même temps que moi, et la présentation faite, j’ai passé devant lui en rentrant dans le salon. J’en ai fait autant en passant d’un salon dans l’autre. Ainse j’ai exercé tout mon droit. A dîner la Reine et la famille royale ont été, pour moi, particulièrement aimables. A glass of wine avec le prince Albert, le roi Léopold et la Reine elle-même, d’une façon marquée. Lord Melbourne et Lord Palmerston comme à l’ordinaire. Lady Palmerston gracieuse avec empressement ; tout à l’heure à déjeuner, elle se désolait du mauvais temps ; elle s’était promis de me faire faire une jolie promenade de me montrer Virginia-water.
- Mais le temps se lèvera, certainement il se levera.
- Prenez garde, Mylady ; je prends les promesses au sérieux. Lord Palmerston intervient, de l’autre côté de la table.
- Je donne ma garantie ; je suis sûr qu’il fera beau. Je me retourne vers sa femme.
- Lord Palmerston est bien heureux ; il est sûr avant. Moi, je ne le suis qu’après.
Adieu. J’attends Herbet, dans trois quarts d’heure. Je vous redirai adieu.

P. S. Voilà votre lettre. Je ne réponds à rien qu’à Adieu. A demain, entre midi et une heure.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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406. Londres, Mardi 5 sept 1840
6 heures et demie

Je crois que c’est une habitude que je prends. Je me réveille à 6 heures et ne me rendors plus. Il fait un temps admirable. Je regarde les arbres de mon square. J’ai un souffle qui remue les feuilles. C’est bien ce qu’il vous faut ; vous êtes aussi délicate qu’une feuille. Point de vent qui vous agite et du soleil qui vous plaise ; je ne ferais pas mieux, si je faisais le temps. Le courrier que j’ai fait partir hier soir m’a dit que la marée était ce matin à 5 heures. Il ne comprenait pas pourquoi je le lui demandais. Vous ne passerez pas, je pense par cette marée là, vous attendrez la seconde. J’ai employé doucement ma soirée d’hier. Seul dans ma chambre, de 5 heures et demie à onze heures, j’ai classé vos lettres par année, par mois, par lieu de séjour, chaque mois dans une grande enveloppe.
A onze heures j’ai eu Charles Greville qui revenait de Holland-House où il avait dîné avec Bourqueney On y était fort agité, fort troublé, comme à la Bourse, comme partout dans Londres hier, c’est-à-dire partout où l’on pense à ce qui se passe. Napier devant Beyrouth, sommant les Egyptiens d’évacuer la Syrie, le 14 août, deux jours avant que Riffat Bey eût notifié à Alexandrie, au Pacha les propositions de la Porte cela paraissait monstrueux, et très alarmant. Les Rothschild étaient inquiets au dernier point, inquiets au point de contremander une partie de chasse qu’ils avaient arrangée pour ce matin, ne voulant pas s’éloigner aujourd’hui de Londres. Mais vous en saurez, sur tout cela, plus que je ne puis vous en mander. Vous aurez le haut du pavé sur moi pour les nouvelles. Elles passeront par vous pour venir à moi. Il me semble que les ouvriers s’apaisent un peu. J’y regarde bien plus attentivement depuis hier. En soi ce n’est rien ; mais, c’est bien assez pour vous agiter. Quand quelque chose de ce genre vous préoccupera, faites venir tout de suite Génie ; il vous dira exactement ce qui en est. Et pour peu que vous en ayez besoin ou envie, M. de Rémusat. S’il peut vous être bon à quelque chose, il en sera charmé.
Moi, je le suis qu’il n’y ait plus rien que de convenable entre vous et Paul. Son voyage à Paris consolidera et améliorera. Il s’y plaira près de vous. Faites avec lui comme il faut faire avec les hommes en général ; attendre peu, et demander moins qu’on n’attend. Quelque douceur rentrera, dans votre relation redevenue convenable.
2 heures
Malgré le retard de ma lettre, je suis bien aise que vous soyez partie ce matin, par ce beau temps. Vous partiez au moment où j’ouvrais ma fenêtre où je saluais le soleil pour vous. Vous êtes depuis longtemps à Boulogne, peut-être déjà repartie pour Paris. Je le voudrais. C’est que la mer ne vous aurait pas fatiguée. Ma pensée vous suit partout. Dieu est bien heureux. Il est toujours à côté de ceux qu’il aime. Je garde ma fleur de Stafford-House morte comme vive. Dimmanche soir, je l’ai serrée dans mon portefeuille, à côté d’un petit sachet noir qui contient autre chose, encore plus précieux qu’elle. Le lierre ira là aussi, quand j’aurai bien joui de ce qu’il m’a apporté. J’écris beaucoup ce matin. Si je puis sortir à temps vous aurez aujourd’hui votre chêne. Sinon demain. Il n’y a point de petit plaisir. Je viens de revoir les Rothschild toujours très inquiets de ce que leur oncle écrit de Paris. Pourtant la partie de chasse se reprend demain. Inquiet ou non, il faut que la vie aille, et qu’on s’amuse. J’attends avec impatience votre impression sur Paris. J’ai presque autant de confiance dans votre jugement que dans autre chose ; presque.

4 heures
J’ai parcouru Regent’s Park, les jardins clos au bout de Portland Place. Pas un chène, ni jeune, ni vieux. Enfin j’en ai trouvé un dans le Regent’s park du public. Voici sa feuille. un peu passée. L’automne approche. Les feuilles passent ; mais tout ne passe pas comme elles, quoiqu’on en dise. C’est la prétention vulgaire que ce qui est rare ne soit pas possible. Il y a un plaisir profond à lui donner un démenti. Adieu. J’ai bien peur de n’avoir rien demain. A présent, je vous veux à Paris, bien reposée. Adieu. Adieu. Infiniment.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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408. Londres, Mercredi 9 septembre 1840
6 heures et demie

J’ai fait ce matin quelques visites. J’ai vu notre amis Dedel, toujours très bon et très sensé. Je lui ai porté mes plaintes sur Napier n’ayant pu trouver dans Londres un ministre anglais à qui les adresser. J’avais passé chez Lord Clarendon le seul membre du Cabinet qui réside. Il n’y était pas. Il sort de chez moi, et je lui ai dit comme s’il avait été Lord Palmerston ou Lord Melbourne tout ce que Napier m’avait mis sur le cœur. Il n’y a pas de réponse à cela. Lord Palmerston lui-même n’en trouverait pas. La guerre commencée en Syrie deux jours avant qu’on ait demandé au Pâcha de rendre la Syrie ! Voilà bien les incidents et les subalternes. Je ne sais ce qu’on me dira quand il y aura quelqu’un pour me parler En attendant les journaux même les plus hostiles au Pacha, le Standard par exemple, se récrient contre une telle légèreté ou un tel manqué de foi. On verra ce que c’est que d’entreprendre à 7ou 800 lieues et par toutes sortes de mains une opération bien plus vaste, bien plus compliquée, bien plur longue que cette expédition de Belgique que nous avons eu tant de peine à conduire à bien, sous nos propres yeux et de nos propres mains.

Jeudi 6 heures et demie
Je m’éveille. Achevez. J’ai eu hier quelques personnes à dîner. Rien. Après dîner, j’ai joué au whist. Quelle décadence. C’est demain que je commence à rester chez moi le soir, mardi et vendredi. J’achète une seconde table de whist, des échecs. Je fais venir du Val-Richer mon tric-trac. On ne trouve pas un tric-trac dans Londres. Je n’aurai pas mes deux soirées par semaine à Holland house. Ils vont décidément à Brighton pour quinze jours. Cependant Lady Holland va mieux. Lord John est retourné à Windsor. La Reine ne voulait pas qu’il en sortit, même pour un jour. Pourtant quand elle a su que c’était pour dîner avec moi, elle a dit : " A la bonne heure. Je crois que la Reine a grande envie de la paix. Lord Clarendon est invité à Windsor pour vendredi, la première fois. Lord Holland n’y a pas encore été invité. On en a de l’humeur. On s’en prend à qui de droit.
Lord Tankerville a été opéré hier matin, avec plein succès, dit-on. On n’en sera tout-à -fait sûr que dans quelques jours. Dites-moi ce qu’il y a de réel dans le succès de l’opération sur les yeux de votre nièce. Je déteste la loucherie. Je penserais avec plaisir qu’on a trouvé un moyen de la chasser de ce monde. Je n’ai pas eu hier de lettre du Val. Richer. Je m’en prends aux désordres des ouvriers dans Paris. Je sais que le service des postes en a été un peu dérangé. J’attends encore plus impatiemment le courrier de ce matin. Je n’ai pas besoin d’un redoubement d’impatience. Qu’a donc été votre si mauvaise nuit à Douvres que vous ayez hésité à partir ? Il ne faut pas dire des choses pareilles, cela donne des pensées abominables. Au moins ne soyez pas malade loin.

Midi
Votre fatigue me préoccupe beaucoup. Je m’y attendais. Mais qu’importe ? Vous ne vous réposerez qu’à Paris. Tout y est tranquille. J’ai reçu ce matin une bonne lettre de Thiers. Il paraît que malgré Napier, les syriens n’ont pas envie de se faire égorger pour faire plaisir à Lord Palmerston. Tout optimiste que je suis, je ne le suis pas tant que d’autres. Je trouve qu’on est déjà bien engagé. Je crains toujours les coups fourrés et soudains. Pourtant il est sûr que jusqu’ici tous les mécomptes ont été d’un seul côté. Où aurez-vous couché hier ? A quelle heure arrivez-vous aujourd’hui à Paris ? Je me fais cent questions; et j’ai beau savoir que je ne trouverai pas la réponse; je recommence toujours. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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410. Londres, Samedi 12 septembre 1840
10 heures

Voilà deux lettres, Poix et Beauvais. Que j’ai le cœur léger ! Je l’avais bien gros en m’éveillant. Je n’ai pas voulu écrire. Vous êtes fatiguée. Mais vous avez faim et la France vous plaît. J’aime que la France vous plaise ; et je ne suis pas jaloux de la France. Ni de l’Angleterre non plus. L’Angleterre a été charmante. Tout est charmant ce matin. Dieu m’a donné son pouvoir ; je fais le monde à mon image, sombre ou brillant, triste ou gai selon l’état de mon cœur. Demain, j’aurai de vos nouvelles de Paris. Et tous les jours. Et de longues lettres. Demain, je ne vous écrirai pas à mon grand regret. Je suis forcé d’envoyer un courrier aujourd’hui. Il fait beau. J’espère que vous serez entrée à Paris sous un beau soleil, que les fontaines sont pleines d’eau, les Tuileries encore vertes, que vous aurez regardé avec plaisir par votre fenêtre. Regardez. Est-ce que je n’arrive pas ? Ah, j’y suis toujours, sauf le bonheur.
Je parle beaucoup de Napier moi. J’en parle à tout le monde. Quelques uns me répondent comme je parle. Les autres, essayent de ne pas me répondre du tout.Les plus hardis sont embarrassés. Je n’ai pas encore pu joindre lord Palmerston. Toujours à Broadlands pendant qu’on traduit et copie les ratifications turques. Ni Lady Clanricard qui est à la campagne aussi, on n’a pas su me dire où. Elle revient Lundi. Les Palmerstoniens attendent avec passion les insurgés de Syrie, un pauvre petit insurgé ; on n’en demande pas beaucoup. Ils tardent bien. J’ai peur que tôt ou tard, il n’en vienne assez pour faire égorger ceux qui ne seront pas venus. Quels jouets que les hommes ! Il y a là, au fond de je ne sais quelle vallée au sommet de je ne sais quelle montagne du Liban, des maris, des femmes, des enfants qui s’aiment, qui s’amusent, et qui seront massacrés demain parce que Lord Palmerston en roulant, sur le railway de Londres à Southampton, se sera dit : " Il faut que la Syrie, s’insurge; j’ai besoin de l’insurrection de Syrie ; si la série ne s’insurge pas, I’m fool ! "

3 heures
Il me tombe aujourd’hui je ne sais combien de petites affaires, de l’argent à envoyer à Paris pour le railway de Rouen, des quittances à donner, le bail de ma maison, Earthope, Charles Greville. On m’a pris tout mon temps, depuis le déjeuner. Je me loue beaucoup de Charles Greville. C’est dommage qu’il soit si sourd. Il arrive de Windsor où le Conseil privé s’est tenu hier. Il part demain matin pour Doncaster. Moi, j’écris ce matin à Glasgow et à Edimbourg que je nirai pas. Il faut qu’absolument que je sois à Londres pour recevoir l’insur rection de Syrie, si elle arrive. Voilà des grouses d’Ellice. J’aimais mieux les premières. dit-on, les premiers ou les premières ? Je le demanderai à lord Holland qui est mon dictionnaire anglais. Je reçois un billet de ce pauvre comte de Björmtjerna qui devait venir dîner aujourd’hui avec moi. Il est depuis hier matin dans une taverne, à côté de Customs house, attendant le bateau de Hambourg qui porte sa femme et ses enfants, et qui n’arrive pas. Il y a eu une violente tempête mercredi et jeudi. J’ai grande pitié de lui. J’ai eu hier ma première soirée. Dedel, Vans de Weyer, Hummelauer, Moncorvo, Alava Schleinitz, des secrétaires. Ils ont joué au Whist, à l’écarté, aux échecs. Les sandwich excellentes. Je les leur voyais manger avec humeur. Longchamps, Longchamps ! Pas de nouvelles. Neumann était à Broadlands. Il en revient aujourd’hui pour dîner chez moi. Quoiqu’il n’y ait personne ici, il y a des commérages. On dit que j’ai dit que si nous faisions la guerre, ce ne serait pas sur le Rhin, mais sur le Pô que nous la ferions. L’Autriche s’en est émue. Je dis que je ne l’ai pas dit, mais que je n’entends pas dire que nous ne ferions pas la guerre sur le Pô, si nous la faisions.
Adieu. Vous partez pour le bois de Boulogne. Adieu là comme partout, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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409. Londres, Vendredi 11 septembre 1840
7 heures

Vraiment vous me manquez trop. J’ai travaillé hier tout le jour. Je viens de dormir toute la nuit. Dès que je cesse de travailler ou de dormir, je tombe dans le vide. C’était si charmant de vous voir deux fois le jour en réalite et tout le jour en perspective ! Par ma fenêtre de la table où j’écris en ce moment mes regards enfllent Duke-street jusqu’à Grosvenor-Square et Mount Street. C’était l’un de mes deux chemins, précisement la moitié du chemin entre Hertford house et Stafford house. Il n’y a plus de Stafford house ; il n’y a plus de chemin ; Hertford House est une grande maison sombre et froide dans un désert. Ne me croyez pas pourtant quand je vous dis que vous me manquez trop. Je ne le pense pas. C’est un lieu commun que je dis bêtement comme le dirait quelqu’un qui me regarderait. Quoi de plus naturel, quoi de plus juste que de sentir à ce point votre absence, l’absence d’une intimité comme la nôtre ? C’est tout au plus si j’en jouis assez vivement quand elle est là, si je la regrette assez profondément quand elle a disparu. Je vous ai dit souvent, jamais assez à quel point je trouve le monde médiocre, les affections, les esprits, les relations les conversations. Je n’en deviens point misanthrope ; je me résigne sans humeur. Mais quand je sors de là, quand j’entre dans cette autre sphére où tout me plaît, me convient, me suffit, me satisfait pleinement, c’est une joie inexprimable une joie fière et reconnaissante, c’est le cœur épanoui, l’esprit à l’aise, la vie libre ; c’est l’air pur du matin, le soleil du midi, le plein vent dans les voiles, c’est tout facile, doux, vrai, grand, harmonieux, au lieu de tout petit, gêné, factice, commun, incomplet. Non, vous ne me manquez pas trop et je dois bien au bonheur dont j’ai joui de sentir le vide que je sens. Nous retrouverons notre bonheur, n’est-ce pas ?

2 heures
Pas de lettre, d’aucun côté. Cela me déplaît fort. Ma meilleure chance, c’est que vous ayiez manqué l’heure de la poste dans la ville où vous aurez couché après Boulogne. J’espère bien souvent. que ce n’est rien de plus. Si vous étiez restée malade à Boulogne, vous m’auriez écrit ou fait écrire quatre lignes ; Lilburne, Henoage & Je n’admets pas d’embarras en pareil cas. Je veux être tranquille, c’est-à-dire savoir ce qui est. Abominable tranquillité peut-être. J’ai été hier a soir à Holland house. Rien que des Fox, lord et lady Holland, Miss Fox Charles Fox et Allen. Saviez-vous qu’Allen est le trère de lord Holland ? Lady Holland me trouve très aimable. Je lui suis beaucoup là en effet. Peut-être soupçonne-t-elle à qui elle le doit. Lord Holland a été invité à Windsor. Il y va aujourd’hui, pour deux jours. Ils partent Lundi pour Brighton, pour une semaine. Les ratifications turques sont arrivées hier. L’échange se fait aujourd’hui. On vient de rencontrer quatre voitures, se rendant in fiocchi chez Lord Palmerston. Au moment où je vous écris cela, on vient me dire de chez lord Palmerston, où j’avais envoyé. that he’s not in town. L’échange des ratifications n’a donc pas lieu aujourd’hui. Les Turcs n’en sont pas moins arrivés. Où allaient ces voitures in fiocchi ? Adieu. Il faut que je vive encore toute la journée, sur le petit papier d’hier. J’espère que demain m’en apportera de grand. Demain je vous saurai à Paris. Je n’admets pas le doute à cet égard. Adieu. Il y a dans l’adieu quelque chose d’immuable. Sa tristesse n’ôte rien à sa tendresse. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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423. Paris Mardi le 15 Septembre 1840
8 heures

J’ai vu hier matin, M. de Werther et Bulwer. Point de nouvelles tout le monde très pacifique. J’ai fait ma promenade au bois avec Emilie. Je n’ai pas vu sa mère, Dieu merci.
Après mon dîner qui n’est pas un dîner, les deux Pahlen sont venus chez moi, du parlage, du rabâchage, car il n’y a rien. M. d’e Pahlen qui connait cependant fort bien l’Orient et parfaitement les Turcs, affirme qu’il est impossible que le traité stipule l’entrée des Russes dans l’Asie mineure, ou que si ce traité le dit c’est une complète absurdité. Car jamais nos troupes en surmonteraient les obstacles matériels et moraux de cette entreprise. Aucune troupe européenne ne le pourrait et nous moins que tout autre, parce que le Russe est détesté par tout musulman ainsi dans son opinion, point de Syrie possible par terre, par mer c’est l’affaire de lord Palmerston voyons s’il en viendra à bout.
Le temps est à la pluie, n’importe Paris est joli. Les fontaines font leur devoir ; les arbres sont un peu gris, C’est vrai ; mais c’est égal. Je n’ai pas vu une âme française depuis mon arrivée ; excepté Montrond. Charles Pozzo vient de se casser une côte. Le vieux est tout-à-fait imbécile, il n’y a plus d’éclaircie. La fille de Jérôme Bonaparte épouse M. Demidoff. J’en suis indignée. Le prince Paul de Wurtemberg est de retour, je pense que je vais bientôt le voir. Il doit être drôle maintenant.
Mon ambassadeur est fort impatient de ce que je n’ouvre. pas encore ma porte. Je l’ai renvoyé avant dix heures. Midi, j’ai vu le petit ami, et il m’a vue dans mon bonnet de nuit. Il est venu trop tôt, ou bien moi, je suis restée trop tard en tenue de nuit.
Il n’y a rien rien. A blank day again. Mais il est impossible qu’il ne survienne pas des événements, les matières remuantes ne manquent pas. Il faut que vous vous contentiez aujourd’hui de ce pauvre chiffon de lettre. Il ne vous en porte pas moins, tout court, qu’il est un bien long, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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427. Paris, Vendredi 18 septembre 1840
4 heures

J’ai été retenue chez moi d’abord par mon médecin et puis par le duc de Noailles, qui est venu en ville pour deux heures pour me voir. Vous concevez qu’il a questionné et comme il a questionné. Et puis il a parlé. Il dit que la France au fond veut la paix, que c’est le vœu général, si général, si profond, que même on avalerait une petite humiliation encore plutôt que de se livrer aux hasards de la guerre, que cela est certain ; mais qu’on n’avalerait pas tout. Décidément pas et qu’alors on ferait la guerre très franchement et avec une grande unanimité. C’est aussi l’opinion et le dire de Berryer que le duc de Noailles venait de voir. Berryer croit savoir que Thiers est moins pacifique qu’on ne semble le croire. Il veut bien se montrer pacifique encore parce qu’il n’est pas prêt. Mais le jour où il sera prêt il voudra employer ses moyens, et le moment dangereux sera celui-là. Le duc de Noailles se creuse la tête pour trouver ce que les alliés peuvent vouloir tenter ou plutôt ce qu’ils sont convenus de faire pour le cas où l’insurrection de Syrie ne couronnerait pas leurs espérances. Il croit que les Anglais prendraient Caudie par cette position ils tiendraient les Russes aussi en échec, car ils n’en sortiraient que le jour où les Russes sortiraient de Constantinople ; ce serait européennement parlant une bonne affaire, et une bonne affaire pour les anglais dans tous les cas.
Moi - Mais la France avalerait- elle cela ?
Le duc - Je le crois, presque. Voilà à peu près l’Orient expédié ! Venons à Louis Bonaparte. Il paye très cher à Berryer pour le défendre. Et Berryer accepte parce qu’il est bien payé, et puis parce que cette défense tourne pour lui un moyen d’attaque contre le gouvernement ainsi il justifiera Bonaparte sur ce que la France n’est plus qu’un pays de désordres. Un pays où l’on proclame des légitimités à la demi-douzaine. La branche d’Orléans légitime, Bonaparte légitime, le ministère le dit. On ne sait plus auquel entendre. Voyez la confusion, de là une tentative toute naturelle. Il brodera sur cela. Il brodera sur la situation que le gouvernement a faite à la France, répudiée, isolée; ses deux grandes bases d’alliance détruites l’Espagne, l’Angleterre. Belle situation en Europe ! Enfin, enfin Louis Bonaparte a profité de tout cela, il en avait le droit.
Vienne ensuite la Chambre. Oh à la Chambre ! Qu’un orateur habile se lève et toute pacifique que soit cette chambre, cet orateur peut lui faire voter la guerre dans une demi-heure. Si la situation n’est pas. éclaircie d’ici aux chambres. Il sera très difficile d’éviter un éclat. Le duc de Noailles ne sait pas s’il viendra on ne viendra pas au procès. Je l’ai fort engagé à venir. Il m’a dit que Berryer déciderait un peu cela.

Samedi 19 septembre. 9 heures
J’ai été vraiment malade hier très affaibli, très misérable. Je n’ai pas bougé de ma chaise longue. J’ai vu Appony avant dîner, mon ambassadeur le soir. Appony avait vu Thiers. On est comme de raison très très préoccupé de savoir ce que va devenir la proposition de Méhémet Ali. Nécessairement le sultan la référera à la conférence. Voulut-il même l’accepter, Ponsomby aura soin de l’en empêcher, d’abord ce seront des délais de deux mois au moins ; pendant ce temps l’exécution du traité ira toujours. Appony trouve que le conseil donné à Méhémet ali a été bon, très adroit de la part de la France ; il croit que la conférence pourrait accepter, mais si elle n’accepte pas, si on veut à toute outrance le traite ; alors la situation devient bien plus grave qu’avant cette proposition de l’Egypte, parce que la France est compromise, et qu’elle ne peut pas laisser passer cela. Il me semble que pourvu qu’on entre en voie de négociation cela doit s’arranger. Mais les amours propres anglais se soumettront-ils à cela ? Vous me le direz.
Sur le traité, Thiers a dit à Appony : " Vraiment il est pitoyable votre traité ; il est risible, je suis sûr que le prince Metternich doit en rire aussi. " Appony lui a promis de venir l’informer de suite que le prince Metternich en rit, s’il le lui mande. au reste Appony est très frondeur, excessivement frondeur. Il trouve l’oeuvre insensée ; il fait comme moi. Il cherche le prince Métternich. Savez-vous ce que disait Pozzo au mois de juin de l’année dernière, lorsqu’il était encore vivant, et avant la bataille de Nézib ? Il disait " La Russie doit changer sa politique en Orient, c’est avec Méhémet ali qu’elle doit s’allier. " Pozzo vivant, et Metternich pas mort, et tout aurait été autrement. Il n’y a pas un homme aujourd’hui qui sache juger et conduire une affaire. Aussi. voyez le décousu, l’incroyable confusion !
M. de Pahlen était assez noir hier aussi. Il ne fronde pas aussi haut qu’Appony. Mais il n’est pas content. Il ne comprend pas, et tout qu’on ne l’informe pas, il est décidé à ne pas comprendre. Il était inquiet hier de l’information qu’il a eu que votre gouvernement permet à Levewel de revenir à Paris. Il en parlera ce soir à Thier . Si cela était, il craint un gros orage à Pétersbourg Moi je ne crois pas trop à l’orage cependant, je ne sais pas.

Midi. Voici votre lettre. Je suis touchée de ce que vous me demandez 24 heures. Faites ce qui est convenable, mais pouvez-vous vous absenter ? Encore, une fois je suis touchée, et puis je sais bien aujourd’hui que toutes les plus belles tulipes ne valent pas pour vous la plus modeste fleur des champs. Je suis triste, je suis malade Je maigris encore. On ne sait jamais tout ce qu’on a à perdre je m’étonne tous les jours. Adieu. Adieu. Pourquoi suis-je si triste ?
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