Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Collection : 1837-1839 : Vacances gouvernementales (La correspondance croisée entre François Guizot et Dorothée de Lieven : 1836-1856)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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92. Paris Dimanche le 15 juillet 1838

Enfin je respire, il pleut, j’ai dormi quelques heures cette nuit, c’est bien nouveau pour moi. Soyez sûr qu’Henriette a été malade tout bonnement par l’excès de la chaleur.
Je viens de recevoir une lettre de la reine de Hanovre du 9. Le grand Duc qui s’était annoncé pour le 4 était, encore le 9 à Copenhagen attaqué à ce qu’elle croit de la fièvre tierce. La Dernière fois qu’il s’était montré à un cercle diplomatique chez lui on lui avait trouvé une mine terrible. Dans quelles angoisses mon mari doit se trouver. Moi je vous assure que de loin j’en suis triste. J’ai une vraie tendresse pour ce jeune homme. Je l’ai laissé si doux, si bon, si aimant. Il me semble que mes enfants seront heureux sous son règne. Je prie bien sincèrement pour sa conservation.
J’ai été hier matin à Longchamp, seule ; il y avait de l’air. Le soir j’ai été à Auteuil, beaucoup de monde. Le plus élégant jeune homme était le chancelier. Il m’a fait marcher dans le jardin avec un air de conquête fort divertissant. Je vous prie de croire que c’était dans des allées obscures. J’ai trouvé de la causerie hier, il y avait à peu près toute la Diplomatie, les Granville encore. Il ne partent que demain. Il n’y a pas l’ombre d’une nouvelle.
Que voulez-vous que je vous dise ? Je m’ennuie parfaitement. Mes journées commencent & finissent sans un moment, un mouvement de plaisir. Après votre lettre lue j’attends le lendemain matin. Je n’ai que cela. Adieu, que le mois de juillet est long ! God bless you.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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93. Paris lundi 16 juillet 1838

Que je vous remercie de la douce musique qui m’attendait à mon réveil. J’ai lu et relu ces paroles si sérieuses ; si tendres, si intimes, si vraies. Je vous dois une grande jouissance. Vous avez remis. bien du calme dans mon âme. Non sûrement mon humeur ne s’adressait pas à vous. Elle ne s’adressera jamais à vous. Mon Dieu que je serais coupable si je me permettais jamais une injustice, une impatience envers vous. Mais je suis triste, je resterai triste jusqu’à ce que je revoie l’éternité dans huit mois. Car c’est bien comme cela qu’ils m’étaient apparus le 1er novembre 1837. Lady Granville est venue me prendre hier pour aller au bois de Boulogne il faisait un temps charmant.
Après le dîner, j’ai recommencé, jusqu’à l’heure où j’ai ouvert ma porte. J’ai eu toute la diplomatie. Angleterre, Autriche, Prusse, Hanôvre, Naples, avec une quantité de jeunes Anglais qui vous sont inconnus. La Duchesse de Poix & sa mère. M. Berryer. La chaleur l’a fait maigrir ; il était presque joli, car il faut vous dire que je ne trouve un homme joli qu’à la condition d’être maigre. C’est juste l’inverse pour une femme. Berryer ne veut voir que des souvenirs d’Empire dans le ovations au Maréchal Soult. Savez- vous que cela devient vraiment absurde, et que je comprends que cela ne plaise pas du tout ici. Le duc de Nemours fait là une triste figure.
Les conférences à Londres vont s’ouvrir. Elles ne serviront qu’à attester qu’on ne peut pas s’entendre, ici on veut des modifications au traité, du moins quant au partage de la dette, nous n’en voulons pas, et on s’arrêtera Léopold a causé avec tout court. nos représentants ici. Ils l’ont trouvé assez modéré et assez embarrassé. Il n’est point venu me voir. Je suppose que nous avons fini notre connaissance.
Le prince Paul de Wurtemberg m’a fait une longue visite hier matin. Il est plus que jamais monté contre le château. M. Ellice arrive aujourd’hui à Paris. Voilà pour moi une petite distraction au chagrin que me cause le départ des Ganville. Ils restent encore aujourd’hui pour causer avec Ellice. Le Duc de Noailles me demande de Dieppe de lui faire la charité, mais il a bien de la prétention. Il veut l’Egypte, la Belgique, le cœur de mon empereur. Il veut tout savoir. Je lui dirai quelques unes des choses que je ne sais pas. Les cours d’Allemagne sont fort contrariées de la maladie du grand Duc. Partout où l’a annoncé à jour fixe. On a fait des préparatifs, rassemblé des troupes cela coûte de l’argent on reste en suspens. Je pense que si cet état se prolonge il faudra qu’il renonce a son programme. Comme l’Empereur va être furieux. Il ne peut pas souffrir qu’on soit malade. Il ne le promet pas. Ce n’est pas dans le code militaire. Je suis sûre que le pauvre grand Duc est aussi malade de peur que de la maladie.
La petite princesse est malade d’une fluxion à la tête. Son mari s’amuse au Havre, il y est depuis 3 semaines. Adieu, cet adieu que j’ai trouvé au bout de la lettre de Dimanche à 8. h. du matin. Je vous le rends lundi à midi 1/2. Quand le dirons-nous ensemble ? Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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94. Paris mardi 17 juillet 1838

Votre programme de dîners me déroute mais Lisieux me parait nous rapprocher et j’y gagne je crois. Lady Granville est vraiment partie ce matin, je l’ai encore vue deux fois hier et j’ai revu M. Ellice ce qui me fait un gros plaisir. Je vais le faire bien parler en attendant j’ai eu une énorme lettre de Mad. de Flahaut pas mal amusante, mais plus remplie de petites tracasseries que d’autre chose. Les diplomates se font la petite guerre. L’Orient ne veut pas inviter l’Occident, ni aller. chez cet accident. Il y en a même qui ne se calment pas. La guerre de principes a commencé. Cela doit être fort ridicules. nous soutenons les mêmes principes lorsque j’étais à Londres, mais les représentants constitutionnels trouvaient à manger et à danser chez moi comme les autres. Le bal du Maréchal Soult a été fort ridicule il avait invité le Lord Maire et sa femme, gens qui ne passent jamais le Temple-Bar. Et il a été plein d’attentions pour la Lady Mairesse. Vous ne sauriez croire comme cela est drôle en Angleterre. On a trouvé sa maison fort mesquine ; le seul luxe remarqué a été des bouquets offerts aux femmes et on a dit qu’il avait mis quatre cent mille francs en bouquets. Ni lui, ni les Sébastiani n’ont invité une seule fois M. de Flahaut a dîné vous concevez la fureur de Marguerite. Le Duc de Nemours a déplu généralement, à tout le monde. On le trouve mal élevé et sot. Ceci ne vient pas de Marguerite. M. de Fabricius m’a fait savoir hier que le grand Duc avait renoncé à visiter la Hollande. Son indisposition se prolonge à Copenhague, et l’Empereur veut qu’il se trouve demain à Toeplitz ! Je n’ai rien de direct.
J’écris aujourd’hui à mon mari en adressant ma lettre à mon frère. Ce voyage manqué ou tronqué est une fort désagréable affaire pour mon mari. On dira que c’est maladroit et qu’un vrai Russe n’aurait par été aussi gauche. Quelque absurde que ceci vous paraisse, je vous dis vrai. Nous verrons les conséquences. J’attends M. Molé ce matin, et puis j’irai à Auteuil si j’en ai le temps. Voici qu’on m’interrompt. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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N°94. Du Val-Richer Vendredi 20. 8 heures

Je vous prends en inexactitude. Votre lettre d’hier est 96. Elle ne doit être que 95. L’erreur me convient car je pourrais bien en avoir commis quelqu’une dans ma vie vagabonde. J’avais oublié le petit papier sur lequel je note mes numéros. Dites-moi si je suis dans l’ordre 96. J’ai écrit sur le champ pour votre précepteur. Je crains que le jeune homme auquel j’ai pensé ne soit placé ou parti. Ill conviendrait parfaitement. Dans la prévoyance qu’il ne pourrait pas, je m’adresse au précepteur de mon fils, que j’ai mis à la tête d’un des plus grands collèges de Paris, et je le charge de chercher en toute hâte. S’il trouve, il enverra, le jeune homme trouvé chez M. Ellice, & il ira en même temps vous dire qui il a trouvé. J’ai pleine confiance dans son zèle et dans son jugement. Cependant je ne réponds de la main de personne comme de la mienne. Je voudrais bien faire ce qui vous fait plaisir.
Je suis bien aise d’être revenu ici. Tous ces dîners commençaient à me fatiguer, physiquement et moralement. J’en ai encore un lundi à Lisieux mais un petit dîner. Parmi tous ses mérites, mon voyage à Paris aura celui de couper cours à cette vogue de réunions et d’invitations. Je les voyais pleuvoir. On sera forcé de s’interrompre, & après on n’y pensera plus. La modification Tory du Cabinet anglais, me paraît toujours bien. Le renversement complet me semble pas possible, et pour la transaction, je ne la comprends guère avant que les questions d’Irlande soient vidées. Du reste, M. Ellice en sait plus que moi. Je ne crois pas tout ce que disent les gens qui savent ; mais je n’ai pas la prétention de savoir mieux qu’eux. M. de Stackelberg ne m’étonne pas du tout. Il y a certainement un tel intermédiaire, & je lui ai trouvé deux ou trois fois le ton d’un homme, qui n’est pas étranger à toute importance pratique. Si cela est, il n’a pas encore fait une bonne campagne cette année. Je ne sais si les affaires d’Isabelle avancent ; mais celles de Don Carlos reculent évidemment.
Faites votre course à Versailles, la semaine prochaine. Je ne pourrais probablement pas la faire avec vous. Le jury me retiendra souvent toute la matinée. Mais nous aurons toujours la soirée. Je suis bien aise que M. Molé soit venu vous voir. Je m’en fie à vous pour le faire revenir. Vous êtes habile pour plaire. Il me semble que voilà votre Grand Duc guéri. Les journaux le remettent en voyage. Je le plains d’avoir peur de son père. Ce qu’on vous dit de l’Empereur m’est revenu encore de plusieurs côtés. La prédiction du duc de Mortemart se vérifiera. Si votre Impératrice mourrait l’agitation serait grande parmi les Princesses à marier. L’Empereur chercherait-il bientôt.

10 heures
Voilà le vrai n° 96. Vous vous êtes corrigée, vous-même. Il est charmant ce N° là, charmant par votre joie. C’est le sort qui m’a mis du jury. Je suis sur la liste générale comme tous les électeurs. On en tire au sort un certain nombre. Le sort vient de me désigner. Il est plein d’intelligence. Soyez tranquille ; une fois à Paris, je ne vous parlerai pas de constitution. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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95. Paris, le 18 juillet 1838

Ah qu’il me faudra une bonne lettre demain pour me faire oublier la mauvaise lettre de ce matin ! Quand on n’a qu’une lettre pour le plaisir de toute une journée convenez que la taille de la vôtre est tout à fait J’attendrai donc. inconvenante Hier j’ai eu matin longue visite de M. Molé. Après quoi j’ai mené à Auteuil M. Ellice que j’avais enfermé avec Marie pendant mon tête à tête avec le président du conseil. Ellice n’a pas cessé de parler un seul instant pendant une promenade de deux heures. A propos & pour expédier tout de suite le plus pressé, pouvez-vous me faire une grande grâce ? Mais il me le faut tout de suite, ou que vous me disiez tout de suite que vous ne le pouvez pas. Pouvez-vous me procurer un homme de 20 à 30 ans pas plus, qui soit en même temps instituteur & même (tutor and companion) d’un garçon de 15 ans. Qui ne sache pas un mot d’Anglais, qui enseigne à cet enfant, la langue française à l’entretienne d’histoire, qui ne le quitte pas un instant, qui fasse au besoin avec lui quelques courses aux environs de Paris ? Enfin un homme actif, gai & sûr. Cette tutelle ne doit durer que quatre mois, peut être un peu plus. Le petit garçon Lord Coke fils du Earl of Leicester sera établie aux environs de Paris dans une famille française, tout cela est déjà réglé, il ne manque donc que ce précepteur. Nous ne le voulons pas pédant, pas trop doctrinaire. Le but du séjour de cet enfant ici est tout simplement d’apprendre bien le français et de savoir quelque chose de plus que faire des latin verses. Si M. l’instituteur peut par dessus le marché l’entretenir dans l’habitude du Latin il n’y aurait mais cela n’est pas essentiel pas de mal, l’essentiel est le français, la surveillance et l’entrain. Si vous connaissez une espèce qui répond à ces exigence. Ayez la bonté de lui écrire pour qu’il se rende de suite à l’hôtel Bristol place Vendôme chez M. Ellice de votre part. La question pécuniaire sera largement réglée, le jeune homme est héritier d’une fortune de 50 m £ de rente ! Vous savez ce que vent dire £ ? Des guinées. Vous me ferez un grand grand plaisir. Mandez-moi aussi l’adresse du précepteur. Je me suis chargée de cette affaire croyant que par vous tout se pouvait
Il m’est impossible de vous redire tout ce que m’a dit Ellice. C’est trop. Le plus important, est le remaniement positif, selon lui, du ministère, dans quel sens ? C’est ce qui restera à voir vraisemblablement plus Torry que Whig. Il déteste Palmerston et dit que Lord Melbourne le déteste aussi. M. Molé ne l’aime pas trop. M. Molé m’a conté bien des choses qui m’intéressent. Une conspiration avortée à Varsovie. Défaites de nos troupes dans l’Abazie. L’Empereur, d’une activité qu’ on qualifie étrangement. Et puis une drôle de chose, M. de Stackelberg intermetteur des secours aux Carlistes d’Espagne. Cela quoique il l’affirme, je ne puis pas le croire. Il a l’air d’en être bien sûr. Nous avons causé de tout. Il n’a pas d’inquiétude pour l’Orient du moins pas pour le moment. Il est content de l’Angleterre sur ce point. il me semble que je vous ai redit en gros, tout ce que je sais. Je m’en vais dîner aujourd’hui à Auteuil, je médite une fuite à Varsailles avec Ellice & Aston. Ce sera dans la semaine prochaine. pour y passer trois jours. Le Maréchal sera ici je crois le 25. Le duc de Nemours demain.
Adieu. Je voudrais bien vous faire comprendre combien vous me manquez. Combien j’ai des moments de tristesse de mélancolie affreuse, mais il ne faut pas trop vous le dire. Adieu. Adieu.
J’ai eu une lettre encore de la Duchesse de Talleyrand. Elle est insatiable. Elle veut des nouvelles et m’en donne de son côté de tout à fait saugrenues, sa meilleure source est M. Jennison. Imaginez. Quelle chute !

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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N°95. Vendredi soir 20. 9 heures

Je ne commençais jamais à vous écrire qu’avec un sentiment triste. Il diminuait en vous écrivant ; mais au premier moment, je sentais si amèrement la séparation ! Aujourd’hui, j’ai le cœur joyeux. Et je l’aurai plus joyeux à chaque lettre. Je suis en voyage. Je marche vers vous. La malle poste a fait, dans son itinéraire, un changement qui me plaît fort. Elle partait de Lisieux à 2 heures et s’arrêtait une heure en route à Evreux. Cette heure là m’était insupportable. Maintenant elle part à 4 heures et ne s’arrête plus du tout. Une fois monté en voiture le 30, je n’en descendrai que le 31, dix minutes après avoir passé sous vos fenêtres, dans les Champs Elysées. J’aime que vous soyez toujours sur mon chemin. Il fait beau ; mais le chaud n’est pas revenu. Je ne veux pas qu’il revienne. Je ne veux pas que vous vous pâmiez de fatigue pendant que je serai à Paris. Vous est-il resté de cette chaleur encore un peu plus de faiblesse ? J’espère que non.
Avez-vous recommencé à manger ? Si vous saviez quels appétits je vois en Normandie ! C’est grand dommage que je ne dîne pas avec vous. Je suis sûr que je vous ferais manger le double. Le Ministère anglais a raison de ne pas vouloir que Lord Durham étale à Quebec ses bijoux. On est trop heureux d’avoir de pareils préjugés populaires à ménager. Mais convenez qu’il n’y a qu’heur et malheur. Je ne sais ce qu’a été le procès de ce M. Turton ; mais je doute qu’il ait pu être plus scandaleux que celui de Lord Melbourne contre M. Norton. Et Lord Melbourne chassera M. Turton à cause de son procès. A la vérité Lord Melbourne a gagné le sien. A propos, quel est le Hügel qui s’est battu à Stuttgart avec Mühlinen ? Est-ce le diplomate ou le voyageur ? Voici la filiation de mon à propos. Un procès scandaleux ; un scandale sans procès ; Lady Elizabeth Harcourt ; Hügel, le voyageur Adieu pour ce soir. Je vais me coucher. Je suis encore enrhumé du cerveau. C’est un grand ennui. Adieu pourtant.

Samedi 7 h. 1/2
Pourquoi M. Ellice vient-il à Paris en ce moment où il n’y a personne ? Je ne lui vois aucune raison d’amusement, de société. Y en a-t-il quelqu’une d’affaire ? Tient-il plutôt à telle ou telle partie du Cabinet qu’à telle autre ? Je ne sais pourquoi je vous fais ces questions. Je ne veux plus vous faire de questions ! Dans dix jours, vos réponses me viendront bien plus agréablement. Oui, dans dix jours. Que nous sommes de chétives créatures, à la merci de nos impressions. Ces dix jours ne me paraissent rien du tout. Et pourtant Dieu sait si je les vois s’écouler impatiemment. Mais il y a une impatience joyeuse qui abrège le temps. C’est la mienne aujourd’hui. En conscience, vous ne pouvez exiger d’Appony qu’il aime les Russes. L’Autriche me paraît dans cette désagréable position d’être essentiellement gouvernée dans sa politique par la crainte, crainte russe, crainte française, crainte pour l’Orient, crainte pour l’Italie ; en Allemagne même, un peu de crainte Prussienne. Le mouvement ascendant n’est pas de son côté. Mais que tout est lent pour les grandes choses ! Depuis le 17e siècle, l’Autriche décline. Elle en a pour longtemps à décliner de la sorte.

10 h.
J’ai tort. C’est vrai. Vous avez eu bien des représentants constitutionnels à faire danser. Et Léopold a tort aussi, et bien plus tort de ne pas revenir vous voir. Je suis charmé que M. Ellice reste jusqu’à mon arrivée. Il m’enseignera notre Ministère, comme M. Croker notre révolution. Adieu. Nous irons prendre de l’air ensemble à Longchamp.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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96. Paris jeudi 19 juillet 1838

Ah la Charmante nouvelle ! Si charmante que je n’ai d’abord pas pu la comprendre. à moi aussi elle va m’ôter la parole. Comme on connait peu sa destinée ! Pouvais-je croire que les conseils généraux me donneraient jamais une grande joie ? J’ai fait ma promenade à Longchamp hier avec M. Ellice. Il m’a raconté toute l’affaire de Lord Durham. Elle n’est encore qu’à son début. Dieu sait comment cela finira. Il a imaginé d’emmener avec lui ce M. Turton et un M. Wakefield qui ont tous deux eu des procès pour des femmes, & le second même à subi trois ans de prison for seduction. Il jure qu’il quitte le Canada si on le sépare de ces bijoux et les ministres sont résolus à ne pas permettre qu’ils y restent officiellement. Or Lord Durham n’a eu rien de plus pressé que de leur donner des emplois & de le publier dans les journaux de Quebec. Ce sont tous deux des hommes de beaucoup d’esprit et de mérite, mais le préjugé anglais ne permet pas qu’ils aient jamais d’emploi publié. C’est une difficile affaire entre le gouvernement & l’autocrate du Canada.
J’ai été dîner à Auteuil. Il n’y avait que M. Armin. Je me suis trouvé parfaitement at home. De l’Allemand, de la diplomatie, cela m’a convenu tout à fait. Je suis restée jusqu’à neuf heures & demi et je ne suis rentrée que pour me coucher. Appony est très peu avec des Russes, cela perce dans chaque parole M. de Metternich n’a vu dans le voyage à Stockholm qu’un caprice du moment. Il cherche à faire partager cette conviction. ici où l’on a été un peu effarouchée de la fantaisie impériale. Je relis votre lettre, cette jolie lettre. Ce n’est pas les conseils généraux ; c’est le jury qui vous amène. Comment êtes-vous de cela aussi ? Quelle drôle de chose. Vous m’expliquerez cela ; par lettre je vous prie, car depuis nous aurons mieux à nous dire. Je suis déjà jalouse de tous les moments pendant ces quinze jours et je ne veux pas me perdre à m’instruire en matière de constitution. Je voudrais vous dire quelque chose, et je ne pense qu’au 31 juillet. C’est si inattendu, si ravissant. Quel plaisir ! J’attends aujourd’hui des nouvelles anglaises. Quelques petits attachés des Ambassadeurs extraordinaires arrivés à Paris racontent que tous les ambassadeurs sont mécontents du peu de politesses qu’on leur témoigne à la cour. J’attends avec impatience le retour de Palmella & de Brignoles, je me trompe, je n’attends plus avec impatience que le juré.
Adieu. Adieu que ce sera charmant !

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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N°96 Dimanche 22. 7 heures

Mon rhume de cerveau s’en va. Je ne vous éternuerai pas au nez en arrivant. Le serein, dans ce pays-ci est une véritable pluie. Je le dédaignais trop. Depuis deux jours, j’y ai pris garde, je suis rentré de bonne heure et je m’en trouve très bien. Mes enfants y ont gagné une plus longue lecture, des Tales of the Crusaders de Walter Scott. C’est leur grand plaisir du soir. Plaisir d’une vivacité singulière. Les impressions vives, des hommes causent toujours un peu d’inquiétude. Elles auront des conséquences. Celles des enfants n’en ont point. Le plaisir passé, tout est fini. Aussi le spectacle en est très agréable. Hier soit le charme du sujet, soit vraiment le mérite du lecteur, ma petite Pauline s’est écriée tout à coup avec ravissement : " Mon père, que tu lis bien." Et je l’ai embrassée de tout mon cœur. C’est charmant d’être loué par ses enfants.
Je suis bien aise que M. Ellice reste à Paris jusqu’à mon arrivée. J’aurai peut-être aujourd’hui ou demain une réponse sur sa commission. Vous ai-je dit que j’avais dit à M. Lorain, proviseur du Collège St Louis et mon délégué pour cette affaire de passer chez vous, dès qu’il aurait trouvé quelqu’un pour vous donner l’adresse du précepteur et quelques renseignements à son sujet ? Savez-vous les détails de la conclusion ou à peu près du différend entre Berlin et Rome ? La Cour de Rome s’est conduite avec une Sagesse et une habileté consommée. Après avoir publiquement donné sur les doigts au Roi de Prusse, qu’elle prenait en flagrant délit de mensonge et de violence, elle a, sans la moindre humeur, engagé M. de Buntzen à aller un peu se promener un peu loin. Puis elle a vertement tancé l’archevêque de Posen, lui a demandé de quoi il le mêlait de vouloir imiter l’archevêque de Cologne, & lui a ordonné de se tenir tranquille et d’obéir au Roi, comme par le passé. Puis elle a reconnu l’administration provisoire du Diocèse de Cologne nécessaire à défaut de l’archevêque absent en voyage, n’importe où. Puis enfin, elle a dit au Roi qu’elle avait pourvu à tout, qu’il pouvait garder l’archevêque en prison tant qu’il voudrait, qu’elle n’en parlerait plus, que le jour où il ne se soucierait plus de garder l’archevêque, elle l’en débarrasserait en le faisant Cardinal. Voilà le bruit fini, la contagion arrêté, & le Roi de Prusse obligé d’être content, quoique déjoué dans ses petits arrangements secrets avec quelques uns de ses Évêques et fort embarrassé de son prisonnier. Rome n’eût pas mieux fait, il y a cinq cents ans. A la vérité, elle ne se se serait probablement pas contentée à si bon marché.

10 h. ¼
Le N°98 m’arrive entre une visite qui s’en va et une visite qui vient. Vous savez que le Dimanche est mon jour de corvée. J’aurai beaucoup de monde aujourd’hui, à cause de mon prochain départ. Car je pars le 30 et je serai rue de la Charte, le 31. Je devais en effet prendre le 5 août la société des Antiquaires, mais sa séance est remise à le fin d’août, toujours à cause de mon départ. Il a dérangé beaucoup de choses et de gens. Mais ce qu’il arrange, choses et gens, vaut mieux que ce qu’il dérange. Je vois à ma visite. Adieu. Here’s the place exactly. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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97. Paris, Vendredi le 20 juillet 1838

Je ne fais que penser à votre belle institution du jury. J’ai pour elle un grand respect. J’ai passé ma matinée hier à Longchamp. M. Ellice, M Granville et le petit Howard sont venus m’y trouver, j’ai ramené Ellice à Paris, il est revenu chez moi le soir ainsi que la petite princesse, les Durazzo & &. Lorsque j’ai dit à Ellice que vous serez ici le 31 il a décidé de remettre son départ pour vous attendre en vérité il est très curieux à écouter sur toute chose, et il bavarde comme je n’ai jamais entendu bavarder, on tire de lui tout ce qu’on veut. Ne croyez pas que le duc de Sussex sont ici comme le racontent vos journaux. Il ne bouge pas de Londres et il boude les ministres parcequ’ils ne veulent pas lui donner d’argent. Sir George Villers est arrivé hier de Madrid.
Pourquoi croyez-vous que je vous ai dit une bêtise en vous disant que je recevrais les représentants constitutionnels ? Vous oubliez que mon temps à été longtemps, et que je suis restée jusqu’en 34. En 34 donc j’ai fait dîner Miraflores, ambassadeur de Christine, & danser Van de Weyer, ministre de la révolution Belge. J’espère que c’est du libéralisme, nous avons cru que ce serait le pousser trop loin de faire manger le petit van de Weyer. Et puisque je parle de la Belgique, quand je me suis plaint que Léopold ne venait pas chez moi, c’est qu’il y est venu jus qu’à présent lorsqu’il était à Paris. Il cesse tout bonnement parce qu’il sait que j’ai perdu mon importance, jusqu’à l’année dernière il s’imaginait que je l’avais conservée. Pas de nouvelle de mon mari, rien du tout. Rien sur les mouvements du grand duc rien de nulle part le monde est fort ennuyeux. Je vous quitte pour Longchamp. J’y prends du bon air. Adieu. Adieu. dans onze jours !

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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N°97. Dimanche 22. 5 heures

Ma corvée est finie. Ce n’est certes pas la solitude que je suis venu chercher ici. Je suis charmé de la vôtre. J’en profiterai. Je fais de charmants projets. Je fais des vœux pour que le temps se maintienne tel qu’il est aujourd’hui beau et pas chaud. Un de mes voisins de ce matin me l’a promis. " C’est, dit-il, le combat de la lune." Ce sera la lune de miel.
Je regrette que vous n’ayez pas vu M. Villers. Il aime à parler et il doit être curieux à entendre sur l’Espagne. Il a joué là un jeu bien brouillé. Quel triste sort que celui des pays faibles ! Le théâtre des intrigues rivales des grands pays quand ils ne sent pas celui de leurs guerres : jouet ou champ de bataille et toujours victime. Il ne faut pas être petit, et il faut être bon pour les petits. Je crois que c’est pour vous que M. Ellice est venu à Paris. Il me semble qu’il passe sa vie chez vous. Il a de l’esprit et il est très au courant. Comment un homme d’esprit comme lui ne s’aperçoit-il pas que tout en causant, & vous plaisant avec lui, vous ne lui portez pas grande considération ? Et s’il s’en aperçoit, comment s’en arrange-t-il ? Mais il est de ceux qui s’arrangent de tout ce qui les sert ou les amuse. Vous avez un grand talent pour traiter avec ces hommes-là. Vous les attirez sans les laisser tout à fait approcher. Vous leur plaisez et vous leur donnez le plaisir de vous plaire, mais toujours d’un peu loin. C’est votre histoire avec Thiers. En entendez-vous dire quelque chose? Ne trouvez-vous pas que le Maréchal Soult abuse de sa fortune ? Ces visites partout, ces acclamations de tous les jours, cette perpétuelle exhibition, combien de temps cela peut-il durer en Angleterre ? Chez nous, ce serait déjà fini usé. Et vous qui n’aimez pas les répétitions et les longues choses vous n’êtes donc pas Anglaise par là ? Il y a bien des côtés par où vous ne l’êtes pas. Vous avez le cœur plus anglais que l’esprit.
Du reste j’ai un de mes voisins qui arrivait d’Angleterre et qui vous charmerait à entendre, cinq minutes je veux dire car vous ne vous en accommoderiez pas plus longtemps. C’est le plus grand manufacturier du pays ; il est allé parcourir l’Angleterre pour ses affaires ; et malgré les rivalités d’argent, il en est dans un enthousiasme inépuisable ; il professe, il prêche la richesse, la propreté, l’élégance, la grandeur, l’esprit d’ordre, le bon jugement, les bonnes auberges. Je l’écoutais l’autre jour avec le plaisir de vous entendre donner raison. C’est lui qui m’a donné à dîner à Combrée avec 80 amis. Et son toast et son speech en mon honneur valaient son admiration pour l’Angleterre.

9 heures 1/2
93 méritait d’être brûlé vif. Je n’ai fait que mon devoir. Je trouve comme vous, que nous nous adressons de sottes lettres. Si elles pouvaient ressembler à nos conversations, elles seraient charmantes. Ah, nos conversations ? Nous les retrouverons de demain, en huit, pour quinze jours. Que ce sera court, & immense ! Vous y pensez, dites-vous, plus que moi. Je le veux bien, mais je le nie. J’y pense toujours. Ajoutez quelque chose à cela. Je vous en prie ; ayez des caprices ; ne vous laissez gouverner par personne en mon absence. Je ne vous le pardonnerais pas. C’est peut-être un des signes les plus assurés de l’affection que de se laisser gouverner. On ne remet sa liberté qu’à celui qu’on aime plus que soi-même, en qui on se confie plus qu’en soi-même. Redites-moi de vous gouverner.
Je n’ai pas encore de réponse pour le précepteur, vous l’aurez probablement avant moi. Vous ne savez pas combien je voudrais faire, à l’instant même ce que vous désirez. Si je pouvais le faire toujours moi-même, j’en serais sûr. Mais de loin, mais forcé de mettre un esprit au bout de mon esprit, des mains au bout de mes mains, tout est long, & je m’impatiente autant que vous. Adieu. Comment va Marie ? Dites-lui au moins une fois avant mon arrivée que je vous ai demandé de ses nouvelles. Adieu. Lundi prochain, je serai sur la route de Paris. Je vous porterai moi-même mon adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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N° 98 Mercredi 25. 9 heures

Je voudrais vous envoyer de mon sommeil. Je suis sûr qu’il vous ferait grand bien. Pour moi, c’est ma vie, sauf les journées, vous devez avoir moins de bruit rue de la Charte que rue de Rivoli. A quelle époque comptez-vous retourner à la Terrasse ? Ne me répondez pas. Vous me direz tout le 31. Que de choses pour le 31 ! C’est un grand pouvoir Madame, que de répandre, sur un petit point du temps, tant d’espérance et de charme. Le monde entier se cotiserait en vain pour me donner, en bien des années, ce que j’attends, ce que j’aurai de vous ce jour-là. Et ce jour-là ne sera pas le seul. Le jury, qui nous vaut ces excellents moments nous en ôtera bien quelques uns. On tire au sort chaque matin les jurés qui doivent siéger dans la journée. Quand le sort me désignera, toute ma matinée pourra bien être prise. Mais, alors même, nous aurons la soirée ! Et le sort ne me désignera pas toujours. Et quelquefois, je me ferai récuser. Je vous parle là comme si vous étiez versée dans la procédure criminelle. Mon plaisir à part, je fais bien d’aller au Jury. L’amiral Duperré, qui avait été appelé il y a trois semaines, s’est excusé pour cause ou sous prétexte de santé, et comme Pair. Les Magistrats et les autres jurés ont trouvé cela mauvais, et je sais qu’on a dit : " Nous verrons si M. Guizot en fera autant." Je n’en ferai pas autant.
Je ne m’étonne pas que vous vous ennuyiez à Auteuil. Quels que soient les visiteurs, on s’ennuie partout où les maîtres de la maison sont ennuyeux. Ce qui fait l’agrément ou l’ennui d’une maison c’est bien moins ceux qui l’ont, que ceux qui l’habitent et y reçoivent. On m’écrit aussi que les Ministres ne savent comment tenir leur parole au comité Appony pour l’hôtel de la rue de Grenelle. Cela commence à se savoir et on en parle. Vous pourriez bien un de ces jours le trouver dans les petits journaux. Puisque, au pied du mur, vous n’avez pas plus d’envie de voir Versailles, je ne regrette pas que vous n’y alliez pas. Non que la chose ne soit belle et digne de vos yeux ; mais malgré les petites voitures, c’est très fatigant, & vous seriez bientôt excédée. Ma présomption est grande. Si j’y étais avec vous, je ne craindrais pas votre fatigue. Vous me direz si j’ai tort.

10 heures
Le N° 101 m’arrive par un grand orage. Il n’est pourtant pas orageux du tout. Quand votre nuit est mauvaise, vous faites fort bien de dormir tard. Cependant, je suis décidé à faire la part de la paresse très petite. Je ne suis point paresseux ; mais je m’écrie aussi, quel bonheur ! Il est sûr que la perspective du 31 fait aux lettres un peu de tort. Vous avez raison. Le Duc de Sussex a peu d’esprit, moins esprit que le Pape. Certainement l’esprit est rare en ce monde. Et il me semble qu’il s’en en va plus qu’il n’y en vient. J’en serais fâché. Je n’ai nulle envie de laisser le monde en déclin après moi. Adieu. Mercredi prochain, je serai établi dans mon bonheur. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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N°98 Lisieux- Mardi 24

Je persiste dans mon erreur. Je mets 98 comme si 93 avait été à sa place. Je suis encore venu dîner ici. C’est une singulière chose, qu’un pays démocratique. Tout le monde est shy avec un Ministre et shy avec humeur. Je ne suis plus ministre, mais je l’ai été et on croit que je le serai encore. Tout le monde veut être et avoir été bien pour moi, et avec moi, et croit pouvoir l’être sans embarras. Je n’ai jamais été plus entouré. Hier, à dîner, tout-à-coup, au milieu des 24 personnes qui étaient à table avec moi, comme je m’ennuyais fort l’idée m’est venu du plaisir que j’aurais si j’étais seul à table avec vous, à dîner je ne sais où. Le rouge m’a monté au visage. Ma voisine, la maîtresse de la maison l’a remarqué : " Est-ce que vous êtes souffrant ? Vous avez trop chaud. " J’ai eu beau dire que non. On a ouvert toutes les fenêtres. On m’a demandé dix fois, si j’étais encore incommodé, si j’allais mieux &, Dans huit jours, mon plaisir ne sera pas en idée. Je crois en vérité que le rouge me gagne encore en y pensant. M. Génie vient en effet passer avec moi Samedi et Dimanche. J’espère qu’il m’apportera quelque chose de vous. Je suis avide et toujours avide, en dépit du 31. Je serai très avide le 31 et tous les jours suivants. Je ne m’étonne pas que M. Villers ait mauvais ton. Il a mené à Madrid une vie fort légère, et les galanteries espagnoles n’ont bon ton, je crois, que dans les romances du Cid. Avez-vous jamais lu ces vieilles romances du Cid et de tous les héros Espagnols de son temps ? C’est très joli d’une élégance et d’une simplicité charmante. Il y a quelque chose de très agréable, de mon avis, dans une grande élégance d’esprit et de cœur une à une grande simplicité de vie matérielle. C’est souvent le mérite de l’antiquité grecque et de l’Europe du moyen-âge.
Je persiste à croire qu’Ellice est venu à Paris pour autre chose encore que pour vous et pour ne pas voter sur Lord Durham. Si vous avez quelque bon endroit où il vous plaise d’aller passer les trois journées, faites le, sauf cela, vous pouvez, ce me semble rester chez vous sans autre inconvénient que le bruit. A la vérité, il sera grand là où vous êtes. La poussière vous incommode-t-elle ? Je ne pensais pas qu’on arrose. Vous vous promenez donc toujours le soir sur la route de Neuilly.
J’y vais tous les soirs. Adieu. Je repars pour le Val-Richer, & ; je n’en sortirai plus que lundi prochain. Mon rhume n’est rien. Et je n’en aurai pas la moindre trace mardi. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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98. Paris Samedi 21 juillet 1838

Je vous remercie d’avoir fait vos calculs de façon à ne pas me laisser manquer de lettre. Je vous remercie aussi de ce que vous me permettez au sujet du précepteur pour Lord Coke. C’est un enfant charmant. Le type des beaux enfants de l’aristocratie anglaise. Je suis sûre qu’il vous plaira. Quelle belle race que ces Anglais ! Et les enfants qui naissent en Angleterre sont comme cela, étaient comme cela ! J’ai eu hier une lettre de mon frère un peu meilleure que les autres. L’Empereur venait d’arriver au château de Furtustein " il est content de la Pologne, il a été bon pour tous sans se faire illusion." L’Impératrice très faible. Je n’ai vu hier qu’Ellice dans ma longue matinée de Longchamp. Il m’est venu du monde en ville, sur lequel je ne regrette que M. Villers. M. Molé me mande que le grand Duc est arrivé à Lubeck très souffrant et faible. Du reste, no new whatever.
Je mène une vie très solitaire depuis que je ne reçois plus le soir et que ma matinée se passe hors de Paris. Je me couche à 10 heures après une promenade en calèche et cette promenade je la fais invariablement sur la route de Neuilly, la seule praticable puisqu’elle est arrosée ! J’ai lu dans les journaux ce matin, que la réunion de savants à Caen est fixée au 8 août & que vous devez la présider. Qu’est-ce que cela veut dire ? Vous m’avez juré que vous étiez du jury. Je suis extrêmement refroidie sur la partie à Versailles. Vous ne sauriez croire comme je déteste de me déplacer, comme je crains l’inconnu, un mauvais lit. Je ne suis pas difficile, mais mes conforts me sont nécessaires. Je m’engage très lestement pour ce qui est dans l’avenir, mais quand le moment de l’exécution arrive cela me devient insupportable. Je crois que cela s’appelle de la vieillesse.
Adieu, je suis enchantée de vous savoir sorti de vos dîners, il m’en revenait de pauvres lettres. Au reste depuis que j’ai le 31 devant moi, je suis devenue fort accommodante ! Adieu. Adieu. Je ne pense qu’à mardi 31.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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N°99 Mercredi soir 25 9 heures

Que nous sommes mobiles ! Moi aussi. Ce matin, j’avais peu de goût à vous écrire. Ce soir j’en ai soif. Et l’approche du 31 qui, ce matin me rendait si froide cette ombre de conversation, ce soir me la rend nécessaire. Si je me couchais sans m’être assis près de vous, sans avoir causé avec vous, je suis sûr que je ne dormirais pas. Dormirais-je mieux si je m’étais réellement assis près de vous. Si j’avais réellement causé avec vous ? J’en doute. N’importe. Causons. Êtes-vous encore sur la route de Neuilly ? Il doit y faire beau et frais. La calèche est ouverte. Vous avez tort. Il vaut mieux, je vous assure qu’elle soit à demi-fermée. Ce qui doit être agréable, c’est de se promener tard, quand vous êtes rentrés dans votre jardin, par une lune bien claire et bien calme. Cette phrase-là est faite je ne sais comment ; mais cela s’entend. Je me suis peu promené depuis que je suis ici, presque jamais le soir. Je me trouvais trop seul. Vous m’avez gâté la solitude comme le monde. Quand je suis seul, je vous désire encore plus que je ne vous regrette. Le regret s’arrange de la solitude, le désir, pas du tout. J’ai eu vingt fois, cent fois, près de vous, le sentiment si beau, si rare, le sentiment de la perfection d’un état auquel rien ne manque et qu’on accepterait avec ravissement comme sort éternel. Loin de vous, le souvenir de ces heures-là me revient sans cesse, tout à coup, au milieu d’une conversation ; et mon âme s’en va ; elle va vers vous. Vous me rendrez ces heures charmantes, n’est-ce pas ? Je les retrouverai près de vous. L’été à Paris est une très douce saison. On est bien plus libre. L’été, le monde n’a point de droits ; on ne lui donne que ce qu’on veut. Mes quinze jours seront à moi, bien à moi. Ils passeront si vite ! Que faites-vous de Marie, le soir. Mad. Durazzo s’en charge-t-elle quelques fois ?
Décidément ma mère et tous les miens vont passer à Broglie, le temps de mon absence. J’en suis charmé. Ils y seront bien et moins impatients. Ils n’iront que le 4 août. Mad. de Broglie m’écrit ce matin qu’elle ne sera libre que le 4 de quelques hôtes qu’elle a dans ce moment. Avez-vous eu des nouvelles d’Alexandre ? A-t-il bien abandonné ses idées de mariage ? Je ne puis me déshabituer des questions. Ne répondez qu’à celles dont vous voudrez débarrasser d’avance nos quinze jours. Le mois de Juillet, sur lequel vous aviez de si mauvais pressentiments, il ne se passera pas tout entier sans nous. A la vérité ce sera tout juste. L’année dernière, il a été tout à fait perdu. Vous le dirai-je cependant ? Il n’a pas été, il n’est pas encore en mon pouvoir d’y avoir tout le regret que je devrais. Votre voyage en Angleterre, votre impatience, votre chagrin, vos lettres si tendres, votre retour si soudain, c’est là ce qui m’a donné confiance. J’ai vu là une preuve, cette épreuve par laquelle tout nœud doit passer avant d’être vraiment serré. Mais à présent, nul voyage, nulle absence n’est plus bonne à rien. C’est du chagrin en pure perte. Et le temps qui s’en va, la vie qui passe ! Qui me rendra les jours que vous auriez pu remplir ? Je n’y veux pas penser à présent, si près du 31. J’aurai bien assez de temps plus tard pour les réflexions mélancoliques. Adieu. Je vais me coucher pourtant. Probablement vous vous couchez aussi, à cette heure, même. Adieu, adieu.

Jeudi 7 h 1/4
J’ai bien dormi ; mais d’un sommeil chargé de rêves, tristes et doux, incohérents au delà de toute expression comme la vie. J’hésite beaucoup dans ce que je pense de la vie. J’y connais de si beaux jours, et des temps si sombres ! Il faut que je sois particulièrement né pour le bonheur, car il me laisse une impression si vive qu’elle résiste au malheur même. Un moment de vrai bonheur me paraît digne d’être acheté au prix de toutes les peines. On dit cela dans la jeunesse, avant l’épreuve. Je le dis après. Après cette lettre-ci, je ne vous écrirai plus que deux fois. Mais écrivez-moi encore Dimanche matin. Je ne partirai d’ici lundi qu’à 2 heures 10 h. Je suis charmé que vous soyez contente de ce qu’Ellice est content. Vous savez que j’ai entrepris, non pas de guérir votre tristesse, les vraies tristesses ne se guérissent pas, mais de mettre à côté du bonheur, du vrai bonheur. Soyez tranquille. Je réussirai. Je vous aime trop pour ne pas réussir. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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99. Paris, le 22 juillet dimanche.

Vous avez brûlé vif le 93 voilà tout. J’ai si peu à vous conter de ma journée d’hier que j’ai honte de vous écrire. Ma matinée à Longchamp toute seule. Il faisait laid personne n’est venu interrompre ma solitude. Après le dîner j’ai mené M. Ellce et M. Aston à Auteuil. Il y avait du monde, beaucoup même, mais je ne vais vous nommer personne. Tout cela était ennuyeux, très ennuyeux. Je suis revenue à 10 heures. Il n’y a pas un mot de nouvelle. Est-ce que tout le monde dort en Europe. Ellice est bien impatient du précepteur. Il a grande foi en vous. J’impatiente un peu mes Anglais de hier au soir. Je n’ai plus la plus petite envie de Versailles. Je me sens fort sotte d’en avoir jamais témoigné. Cela a l’air d’un caprice. Ah que j’aurais besoin d’être gouvernée. Pourquoi ne me gouvernez-vous pas ? Rien ne me plait que ce qui plait à un autre. Mais l’autre il faut que je l’aime ; que je l’aime bien, et je n’aime pas assez M. Ellice, ni M. Aston ; ici personne. Personne que la Normandie. Quelle belle manière d’échapper à la personnalité ! Monsieur, je deviens bête, je crois même que vous le trouvez un peu depuis le 27 juin.
Nous nous adressons de sottes lettres. Vous ne me dites rien, vous ne m’avez écrit que deux lettres charmantes même le n°87. " de douces paroles !", l’autre le jury. J’attends tout du jury. Dans 9 jours. J’y pense je crois plus que vous Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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J’étais dans ma chambre avec vos lettres, quand on m’a apporté votre billet ce baume si doux. Je n’y comptais que pour ce matin. Vous devancez, vous dépassez toujours mon attente. Je vais sortir. Je vais passer quelques minutes là où tout est déposé, tout mon passé ! J’ai tort, car il y a déjà un passé où vous êtes, qui est plein de vous. Aujourd’hui même huit mois depuis le 15 juin. Quelle vie que la nôtre riche et terrible ! Après avoir tant perdu, avoir tant à perdre encore ! Mon cœur est plein de reconnaissance et d’effroi. Gardez-vous, gardez-vous bien, je vous en conjure. Que Dieu vous garde ! Il me semble que là où je vais au milieu de tous les cercueils chéris, j’ai plus que jamais le droit de prier pour que Dieu me garde ce qu’il m’a donné, et que m’a prière doit être écoutée.
Adieu. Adieu, mon amie. Je vous verrai un moment vers midi et demi. Adieu.
Jeudi 8 h. 1/2.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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On n’a pas, à la bibliothèque de la Chambre des Députés, l’édition des Mémoires de Sully que j’y ai demandé. Celle que je pourrais vous faire envoyer n’est pas lisible pour vous. On me promet, l’autre pour Mercredi prochain. Je vais faire dire qu’on l’apporte chez vous. Adieu ; vous êtes à Longchamp, triste, j’espère, j’en suis sûr. Moi, je pars dans une demie-heure, triste aussi. Je voudrais vous envoyer autre chose que de la tristesse. Je voudrais vous envoyer de la joie, pourvu qu’elle ne vient que de moi. Je me permets l’égoïsme avec vous. J’en ai le droit. Il faut bien que je me le permette. Il ne servirait à rien de me le défendre.
Adieu. G.

Jeudi 5 h. 1/4.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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J’ai regretté plus encore que de coutume de ne pas vous voir hier soir. Je vous ai laissée sous l’empire d’une impression triste. En vous quittant, j’ai passé à la porte de M. de Talleyrand. Bien des gens y passaient et inscrivaient, comme moi, leur nom. La page était pleine. Combien de ces gens la penseront encore à lui quand il n’y sera plus ? Car ce n’est pas penser aux morts que parler d’eux comme en parlent les livres, uniquement par curiosité et parce qu’ils ont fait un peu de bruit dans le monde. Il n’y a de vrai souvenir que le souvenir tendre et plein de regret personnel. Pour mourir sans amertume, il faut être sûr, parfaitement sûr d’un cœur où l’on ne mourra point. La solitude n’est jamais plus triste, jamais plus pesante qu’à ce moment où l’on quitte tout. Confiance dans le monde inconnu où l’on va entrer, confiance encore quelque part, dans ce monde si imparfait, et pourtant si cher d’où l’on sort à ce prix on peut mourir en paix. Mon amie, Dieu seul sait lequel de nous sera appelé le premier ; mais ayons cette double confiance, et remercions-le de ce que nous pouvons l’avoir.
C’est le sentiment qui m’a accompagné hier toute la soirée, et quand je suis entré dans mon lit et jusqu’au moment où je me suis évanoui dans le sommeil. Je pensais à vous, à ma mère, à mes enfants. Je pouvais mourir. Je n’étais pas seul. Dites-le moi comme je vous l’ai dit, comme je vous le redis. Nous avons été l’un et l’autre bien battus, bien chargés. Nous avons eu et nous aurons jusqu’au bout le cœur bien malade. Mais dans notre mal, c’est un bien immense de nous être rencontrés, et de faire ensemble, hand in hand, ce qui nous reste de chemin. Vous êtes fatiguée, très fatiguée. Appuyez-vous sur moi. Moi aussi, je suis souvent fatigué, plus souvent que je ne le dis ; et j’ai besoin de m’appuyer sur vous, besoin du moins d’être sûr que je le puis si la fatigue me presse trop. Oui, j’ai besoin de vous. Adieu. Farwell. Gots sey mit ihnen. N’y a-t-il pas encore quelque autre manière de vous dire adieu ? Je vous ai beaucoup dit depuis le 15 juin, bien peu pourtant, infiniment peu auprès de ce que j’aurais à vous dire. Chaque jour, à chaque occasion douce ou pénible triste ou gaie, je me sens le cœur plus rempli que jamais. Mais le temps manque, les paroles manquent. Tout manque, excepté le cœur même. Adieu. G.

Ma petite Pauline a fort bien dormi. Elle est mieux ce matin. Ce ne sera rien. Mercredi, 9 heures

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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N° Lisieux 27 Février, 8 heures

Numéro anonyme, jusqu'à ce que vous m'ayez donné le chiffre. Vous étiez de deux numéros en avant de moi. J'arrive après une très belle nuit, par une très belle lune. Mais la lumière sans chaleur me parait toujours un contresens. Et puis, il n’y a pas moyen de voir la lune sans penser à autre chose. Chose n’est pas le mot propre. Je vous dirais si je voulais des choses charmantes, car j’en ai pensé beaucoup cette nuit. Mais c’est trop tôt. Je suis à peine débotté.
Vous avez un grand défaut. Vous êtes très peu disponible. On ne peut pas, même en idée, vous placer dans toutes les situations. J'aurais été charmé de vous avoir à côté de moi, dans cette malle-poste enveloppée dans un grand manteau, dormant ou causant. Mais cela n’est pas concevable. La nuit est trop froide, la voiture trop dure, vous trop fragile. Toute mon imagination a échoué. Quoique sans vous, j'ai revu ma Normandie avec plaisir, ce matin, au lever du soleil. Même sans feuilles, sa physionomie est bonne, forte, riante. Ce ne sont pas les aspects que j'aurais choisis, ce n'est pas la grande nature, qui émeut et élève ; mais c’est la nature, saine et gracieuse, qui nourrit et repose. Cela convient aux âmes un peu lasses et pourtant encore animées. Nous nous y trouverions à merveille quand nous serons vieux. Est-ce que nous serons jamais vieux ?
On voulait me faire coucher en arrivant. J’ai mieux aimé faire ce que je fais.

Midi.
J’ai déjà vu bien du monde. On me paraît ici très animé, et très confiant. On compte sur le succès dans presque toute la province. Vous avez bien tort, je vous jure de douter de l'avenir du gouvernement représentatif dans ce pays-ci. Si vous aviez été élevée dans la monarchie de l'Empereur de la Chine, croiriez-vous à la Monarchie de la Reine Victoria ? Il en sera de même des Parlements. Le nôtre ne ressemblera pas à celui de Londres ; mais il sera et à sa façon, il sera grand, sans quoi on n'est pas. Je parlais tout-à-l'heure de la maladie du Duc de Wellington. J’ai trouvé une disposition bienveillante et généreuse, qui m’a fait plaisir. Je ne l’aurais pas trouvée il y a douze ans, avant 1830. Vous m'avez dit, n’est-ce pas, que vous ne feriez pas partir votre lettre au comte Nesselrode, et les autres, avant mon retour. Je vous le rappelle. Il m'est venu en idée deux ou trois choses qui y doivent être. Voilà des visites. Adieu.
Je ne vous ai pourtant rien dit. J’ai cru cette nuit que j’allais avoir, sur les épaules, un rhumatisme pareil au vôtre. Il n'en est rien. C’était un rêve comme tant d'autres. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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183 Lisieux jeudi 28 février

Malgré mon égoïsme, je regrette que Thiers ne vous ait pas plus amusée. Je ne veux pas que personne vous occupe ; mais qu’on vous amuse, tant qu’on pourra. Moi, je suis très occupé. Je suis curieux de savoir ce que le cabinet aurait fait contre moi s’il avait combattu mon élection. Il est établi qu’il ne la combat point ; il n’a pas de candida t; tous les fonctionnaires votent pour moi. Et tous les jours il arrive ici 800 exemplaires autant que d’électeurs, d’un petit journal intitulé le Bulletin français, et spécialement, exclusivement dévoué à me dire des injures. Il ne se met pas en grands frais d'invention ; il va reprendre dans les anciens journaux depuis 1830, carlistes, républicains, oppositions de toutes sortes, toutes les injures qu’on m'a dites, tous les mensonges, toutes les colères, et il les réimprime. C’est un curieux spectacle que tant d'activité pour rien, et aussi la parfaite indifférence avec laquelle cela est reçu. On s’en étonne et on ne s’en soucie pas du tout. Si toute la France était comme cette province-ci, les 213 reviendraient 300.
Je vais ce matin au Val-Richer. J’y aurai le plaisir d’être seul quelques heures. Après vous, ce que je désire la plus en ce moment, c’est un peu de votre solitude. Depuis quelque temps, ma disposition est assez combattue. Je ne suis point las de la vie active et des affaires ; elles me plaisent toujours ; il me semble même que ce que j'y voudrais faire est à peine commencé. J’ai la tête de la volonté encore très pleines. Pourtant je suis un peu las des hommes ; j'en ai assez de leur conversation de leur figure. Je suis au milieu d'eux comme dans une foule qu’on est pressé de traverser pour rentrer chez soi. Rentrerais-je jamais chez moi ?
Maroto ne me rejoint ni ne m'afflige comme Granville ou Pahlen. Il me prouve que j'ai raison de ne rien attendre de personne en Espagne. On y fera ce qu’on y fait ; on y restera comme on est. Il n’y a là point de vainqueur. C’est parce que nous sommes des Européens que nous nous en étonnons. Il y a un pays dix fois grand comme l’Europe, où les choses se passent et demeurent ainsi depuis des siècles. Ce pays s’appelle l'Asie. Là par exemple, on a bien raison d'être las des hommes. Quoique vous ne sachiez pas le Latin, vous savez que Tacite a dit en parlant des statues de Brutus et de Cassius : « Elles brillaient d’autant plus qu’elles n’y étaient pas." C’est votre condition dans toutes ces conversations, ces correspondances, ces articles de journaux à propos de Prince de Lieven. Laissez- moi vous répéter ce que je vous ai dit. Vous êtes trop fière pour être faible. Et vous n'êtes pas plus fière qu’il ne convient.
On a tort en Belgique d'attendre l'issue de nos élections. Elles n'enverront pas cinq hommes et un caporal dans le Limbourg. Si j’avais eu besoin d'apprendre que ce pays-ci veut la paix, je l'apprendrais au milieu de toutes les oppositions, n'importe laquelle. Il a raison. La guerre pour de grandes raisons, à la bonne heure ; mais la guerre pour des querelles de journalistes ou pour des fantaisies, de gens d’esprit, c'est absurde. Adieu. De loin, je cause avec vous de ce qui ne me fait rien, ou pas grand chose. Voyez à quels scrupules d'exactitude vous m'avez accoutumé. Au fait, vous ne savez pas, personne ne saura jamais combien tout ce qui ne me tient pas au fond du cœur est peu pour moi, et quel abyme il y a en moi entre une chose et toutes les autres. Adieu. Vous ne me donnez pas des nouvelles de votre rhumatisme. A la vérité, il était passé quand je suis parti. Mais il me semble que de ce qui vous touche, rien ne passe. Adieu, Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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184 Paris, Mercredi 21 février 1839

Je suis parfaitement triste et parfaitement ennuyée. La journée hier m’a paru bien longue. Comment ferai-je jusqu'à mardi. Thiers est venu chez moi ; il m’a moins divertie que de coutume. Je le trouve plus grave, c’est peut- être que je le suis. Cependant une heure et demie de causerie avec lui, c-à-d lui causant toujours, m'a fait une bonne distraction. J’ai vu dans la soirée Lord & Lady Granville et mon ambassadeur ; la nouvelle du jour est Marato fusillant tous les généraux sous ses ordres et Don Carlos déclarant Marato traître. Voilà donc la confusion et l’anarchie dans son camp. Cela pourrait bien le faire lever tout-à-fait. Granville avait l’air fort réjoui de ces nouvelles. Pahlen l’était moins. Il m’avait porté notre journal officiel renfermant un long article sur mon mari assez bien fait ! Ce qui y est le plus remarquable est ce qui n'y est pas. Ainsi pas mention de sa femme. Du reste une biographie très exacte, il est même question de ses enfants. Lady Jersey m’écrit une fort bonne lettre plus du grand dîner, mais rien de sa part qui me regarde. Il est excellent pour mon fils pour un fils, c’est tout ce qu'il me faut.
On traîne en Belgique, cela a l'air d'un parti pris ; on ne veut pas finir avant de connaître le résultat de vos élections. Voici du beau temps, j’ai été l’essayer aux Tuileries, plus tard J’irai au bois de Boulogne à 5 h. chez Lady Granville, je dîne chez Mad. de Talleyrand ; vous savez maintenant mes faits et gestes. Apprenez moi les vôtres. Adieu. Adieu. C’est bien dur de devoir se dire adieu de si loin en février. Nos beaux jours ne sont plus que les plus mauvais de l’année.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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184 Jeudi 28. 5 heures

Je reviens du Val Richer, par un temps magnifique, frais et doux ; le plus brillant soleil ! Point de verdure encore, mais elle va éclater. On la voit de loin. Je me suis promené deux heures seul, aussi jeune que l’air, que les bois, que les champs. Je ne le dis qu'à vous. Vous ne le direz à personne. Pourtant depuis mon retour, je suis triste. Je ne puis partir d’ici que mardi. L’élection se fera dimanche. Il y aura lundi chez l’un de mes amis, un dîner auquel il m'est impossible de manquer absolument impossible. Je ne serai à Paris que Mercredi à 5 heures du matin, & chez vous à midi. Soyez triste comme moi, mais pas injuste, je vous en prie. J'étais déjà si fâché de ne pas être à Paris, le 4. Je vis avec vous bien plus que je ne vous le dis. De façons bien différentes et qui pourtant nous mènent au même résultat, nous ne pouvons pas, nous n'osons pas l’un et l'autre, nous parler du mal que nous sentons le plus vivement pour nous-mêmes et l'un pour l'autre. Nous ne nous sommes rien dit le 15 février. Nous ne nous dirions peut-être rien le 4 mars. Pourtant je voudrais être là ; je voudrais vous voir. En vérité, il y a des tendresses, auxquelles Dieu devrait accorder de paraître telles qu’elles sont et de donner tout ce qu’elles ont, sans démonstration extérieure, sans parole. Dearest for ever dearest !

Vendredi 7 heures et demie
J’ai été réveillé cette nuit à une heure du matin, par un singulier message. Des électeurs de Rouen m’ont envoyé l'un d'entre eux pour me conjurer, c’est bien le mot d'aller passer quelques heures à Rouen et de prendre la parole dans un grand meeting où il s’agit d'assurer le succès des candidats de l'opposition entr'autres de M. Duvergier de Hauranne qu'on veut porter à Rouen. Il leur faut un virtuose pour porter le dernier coup. Avec un virtuose ils se tiennent pour vainqueurs. Je me suis excusé, comme vous pensez bien. J’ai à faire ici. J’ai donné une belle lettre au lieu de ma personne. On la lira dans le meeting. Mais vous savez le peu qu’est une lettre. En voilà pourtant une qu’on m’apporte, et qui est beaucoup. Certainement, Lady William Bentinck est une bonne femme. Je le savais. A présent, je lui en sais gré. A-t-elle été jusqu'à vous offrir son perroquet, ce perroquet favori qui va se promener avec elle ? Je suis bien aise que le Duc de Wellington, n'ait pas notre rhumatisme. Je dis notre, car décidément j'ai les épaules un peu entreprises. Je n’ai pas même le temps de lire les journaux. J'ai laissé les miens à Paris. Il faudrait ici aller Ies chercher au Club. On me les raconte. Et je n’ai pas besoin qu’on me les raconte. Je les fais bien tout seul, amis ou ennemis. Le rabâchage règne et gouverne dans le monde. J’ai bien remarqué l'âpreté anglaise dans cette affaire du Pilote. Il y a quelque chose de plus que l'humeur de l'affaire même. C’est une humeur générale, et qui prend plaisir à se faire sentir, les plus simples en sont frappés, et frappés aussi de la chose même, de l'étourderie de ce jeune Prince, et de l’inconvénient des étourderies princières. On va de là aux faiblesses royales. Et de là on vient à moi, pour me donner raison. Le Duc d'Orléans a passé ici, cette nuit. Il va sans doute au devant du Prince de Joinville. Nous sommes sur la route de Brest.
Adieu. A mercredi. J’ai ces 24 heures là bien lourdes, sur le cœur. Il n'y a pas moyen. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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185 Paris, le 28 février jeudi 1839

Votre lettre m’a réjoui le cœur ce matin, je vous en remercie. Vous saurez que le duc de Wellington a eu une paralysie à ma façon, un rhumatisme dans les épaules, pas autre chose. Il se porte bien. J’ai vu chez moi hier matin, mon ambassadeur, M. de Montrond, et Lady William Bentinck. La bonne femme ! Je pleurais. lorsqu'elle est entrée, car je pleure souvent. Cela l’a fort touchée. Elle m’a fait toutes les propositions imaginables. Elle voulait m’envoyer un espagnol un homme qu’elle aime beaucoup, un excellent homme à ce qu’elle dit qui viendrait chez moi tous les jours pour me distraire ! Et puis elle m’a demandé si elle pourrait m’envoyer des oiseaux, elle dit que les oiseaux distraient. Enfin elle m’a envoyé des gravures, et puis elle veut que j'aille dîner demain seule avec elle et son mari. Comprenez-vous qu’on puisse rire et s’attendrir tout à la fois ? Il y avait tant de bon cœur et tant de bêtise dans tout cela que je ne savais comment m'arranger entre mes larmes et un peu d’envie de me moquer d’elle la reconnaissance l’a emportée, et je range Lady Wlliam dans la catégorie des plus excellentes femmes, que j'aie jamais rencontrée.
Je n’ai trouvé chez Mad. de Talleyrand à dîner que M. de Montrond. Elle est inquiète de ce que le consentement de son mari au mariage de Pauline tarde tant. Palhen en est maigrie.
Le soir j'ai vu chez moi Messieurs d’Armin, de Pahlen, et de Noailles et M. Molé ; qui est fort bien touché. Il avait sa plus douce mine, et de la bonne humeur. Il attend, comme tout le monde attend. Mercredi si le temps est clair, il saura tout. Il m’a confirmé ce que je vous disais d’Espagne. Maroto est mis hors de la loi déclaré traître. Vous voyez dans les journaux à quel point on s'émeut en Angleterre pour l’affaire du pilote. Lisez la discussion à la Chambre basse. Adieu votre lettre est charmante et bonne. Mais je n’aime pas les lettres. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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187 Samedi 2 mars 1839

Mercredi seulement. Que c’est long ! je m'afflige, mais je ne me plains pas. Je ne suis pas inquiète comme vous le dites. Mais cela me fait beaucoup de peine. Cela vous ne vous en plaindrez pas ? Oui le 4 ! C’est horrible, mais je ne puis ni en parler ni en écrire.
J’ai eu une lettre de Paul hier. L’Empereur a envoyé de suite à Londres le comte Strogonnoff pour remplacer mon fils pendant le voyage qu'il va faire en Russie. Il lui enjoint de venir de suite attendu qu’'il désire le voir. Paul ne veut pas aller dans ce moment, sa santé ne va pas à un voyage rapide dans la rude saison. Il ira dans quatre semaines on trouvera cela étrange, il fallait courir ventre à terre dès le lendemain ! Voilà comme on est chez nous. J’ai eu ma lettre de mon frère ce matin ; il avait reçu mes deux lettres. Celle de reproche et l’autre écrite après la mort de mon mari. La sienne contient que des hélas et des reproches sur ce que je ne veux pas vivre en Russie. Voici le lieu de lui dire une fois pour toutes pourquoi je n’y veux pas vivre et que je n’y retournerai jamais. Je vous montrerai cette lettre, je ne l’enverrai qu'après vous l’avoir lue.
J’ai vu hier matin chez moi la comtesse Appony. J’ai fait le plus agréable dîner possible chez Lady William Bentinck, elle, son mari et Lord Harry Vane, voilà tout. Très anglais, très confortable, j’ai eu presque de la gaieté. Le soir chez moi, mon ambassadeur, celui d’Autriche, Fagel, M. de Stackelberg & le Prince Waisensky. Don Carlos a retiré sa proclamation contre Maroto. Après l’avoir déclaré traître, il approuve tous ses actes, lui rend le commandement. Enfin, c’est une confusion plus grande que jamais, et mes ambassadeurs disent que ce qu'il y a de mieux à faire est d’abandonner complètement Don Carlos et le principe. Les princes gâtent le principe.
Lord Everington vient d'être nommé vice roi d’Irlande, c'est un très grand radical, un homme d’esprit, membre distingué de la chambre basse, et très grand seigneur quand son père Lord Forteseme mourra. Je vous conterai comment un jour il est resté caché pendant deux heures dans les rideaux de mon lit ! J’ajoute, puisque vous êtes si loin ; que c’est mon mari qui l'y avait caché. Vous feriez d’étranges spéculations si je ne vous disais pas cela. Et ce n’était pas cache cache.
Le petit copiste est venu. Il a commencé aujourd’hui. Cela va très bien. Les ambassadeurs avaient vu M. Molé hier. Les nouvelles sur les élections sont d’heure en heure meilleures pour les ministres. Vous avez bien fait de n'être pas allé à Rouen, mais vous faites très mal d'avoir du rhumatisme. Je vous le disais lorsque vous êtes parti, j’étais sure que vous alliez prendre froid. Faites-vous bien frotter au moins Adieu. Adieu, il faut donc encore écrire demain et lundi. What a bore ! Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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186 Paris le 1er mars, vendredi 1839

J’ai passé une nuit affreuse. de l’insomnie, & des rêves l'un plus hideux que l’autre. Des meurtres et rien que des morts autour de moi. Des morts chéris, d'autres indifférents, mais enfin je n'étais pas de ce monde. Et je me suis tout-à-fait brisée ce matin. Votre lettre m’a remise un peu, je vous en remercie. Je vous vois content et je le suis.
Les journaux disent que M. Duvergier de Hauranne n’est pas aussi content que vous et qu'il va perdre son élection, ah cela par exemple fera un grand plaisir dans le camp ministériel. M. Appony m'a fait une longue visite hier matin. Il n’est pas tranquille. L'avènement possible de M. Thiers le trouble à un degré un peu excessif. Il y a là quelque mystère, quelque personnalité dont je n’ai pas la clé. La discussion à Bruxelles est remise à la semaine prochaine. Les troupes prussiennes sont en force sur la frontière. Partout on s’émeut fort de la situation des affaires en France. Vous êtes de grands perturbateurs.
J'ai vu longtemps hier matin Lady Granville et son mari. J'ai fait une longue promenade au bois de Boulogne par un temps. charmant. Le soir j’ai reçu mon ambassadeur, la Sardaigne, Naples, la Suisse, et le Duc de Richelieu. Le faubourg St Germain a une grande admiration pour le duc de Joinville. Messieurs ses frères sont partis hier pour aller à sa rencontre. Ils le ramènent aujourd’hui à Paris. Voilà toutes mes nouvelles.
J'écris aujourd’hui à mes deux fils, et à la Duchesse de Sutherland. Elle prolongera son séjour en Italie, ce dont je suis fâchée. M. Ellice sera ici le 20, il est dans une fort grande admiration de la coalition ! Adieu vous ne concevez pas comme je me sens souffrante. C’est peut être le temps. Je n’en sais rien, mais je ne vaux rien. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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187 Lisieux. Samedi 2 mars, 5 heures

Je prends mes précautions aujourd’hui pour vous dire quelques mots. Demain à 8 heures du matin, il faut que je sois à mon collège dont je viens d'être nommé Président à l'unanimité, moins ma propre voix. J’y passerai la matinée. Une fois élu je remercierai les électeurs. Après mon speech, les visites de corps, une sérénade, un banquet. Je ne disposerai pas de cinq minutes. Encore si c'était fini, si je pouvais partir sur le champ ! Mais restera le dîner du lundi. Vous m'écrirez encore un mot lundi matin, n’est-ce pas, pour que mon mardi ne soit pas vide. Onze heures Un flux d’électeurs m'est arrivé comme je vous écrivais. Ma soirée en a été remplie. Je reviens me coucher. Vous m’avez souvent parlé de la vie précipitée de votre cour impériale ; toujours aller, venir, s'habiller, recevoir, être reçu, pas un mouvement libre, pas une minute à soi. Mon souverain d'ici en exige autant ; seulement il ne dure que huit jours. Adieu. Je vais me coucher. Quelle pitié de ne vous envoyer pour demain que mon propre ennui ! J'en ai le cœur serré. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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186. Samedi 2 mars 7 heures et demie

Le soleil a beau briller la rivière, a beau couler gaiement devant ma fenêtre ; tout ce qui m'entoure a beau prendre soin de m'animer et de me plaire. Je pense tristement à vous, si triste ! Je me sens seul loin de vous, si seul !
Je vous l'ai dit bien souvent; je puis me répandre au dehors ; je puis paraître, je puis être très occupé, très actif, et que tout cela soit point un mensonge, point un effort, mais très superficiel, très indifférent pour moi, pour ce qui est vraiment moi. Moi, c’est ce qui m’aime et ce que j'aime. Moi, c’est vous, vous de loin vu de près, triste ou gaie, pleurant ou souriant, juste ou injuste même. Mais ne soyez pas injuste ; ne le soyez jamais !
J'ai bien raison d'être triste avec vous. Voilà votre pauvre lettre. C’est bien assez du mal des jours ; les mots devraient être un repos. Je regrette quelque fois que vous ne soyez pas en état et aussi en nécessité absolue de vous fatiguer physiquement. Je l’ai éprouvé ; l'extrême fatigue endort la douleur ; quand le corps s'affaisse, l’âme s’apaise. Paix stérile, paix sans joie, mais qui donne quelque relâche et rend quelque force. Et puis, quand de cruelles images vous assiègent, quand vous n'êtes entourée que de morts, faites un effort, prenez votre élan ; sortez de ces tombeaux. Ils en sont sortis ; ils sont ailleurs. Nous serons où ils sont. Je me suis longtemps épuisé à chercher où ils sont et comment ils y sont. Je ne recueillais de mon travail que ténèbres et anxiété. C’est qu’il ne nous est pas donné, il ne nous est pas permis de voir clair d’une rive à l'autre. Si nous y voyions clair, s'ils étaient là devant nos yeux, nous appelant, nous attendant, supporterions-nous de rester où nous sommes aussi longtemps que Dieu l’ordonne ? Ferions-nous jusqu'au bout notre tâche ? Nous nous refuserions à tout, nous abandonnerions tout ; nous jetterions là notre fardeau, notre devoir, et nous nous précipiterions vers cette rive où nous les verrions clairement. Dieu ne le veut pas, mon amie. Dieu veut que nous restions où il nous a mis, tant qu’il nous y laisse. C'est pourquoi, il nous refuse cette lumière certaine, vive qui nous attirerait invinciblement ailleurs ; c'est pourquoi il couvre d'obscurité ce séjour inconnu où ceux qui nous sont chers emporteraient toute notre âme. Mais l’obscurité ne détruit pas ce qu’elle cache ; mais cette autre rêve où ils nous ont devancés, n'en existe pas moins parce qu'un nuage s'étend sur le fleuve qui nous en sépare. Il faut renoncer à voir dearest, il faut renoncer à comprendre. Il faut croire en Dieu. Depuis que je me suis renfermé dans la foi en Dieu, depuis que j’ai jeté à ses pieds toutes les prétentions de mon intelligence, et même les ambitions prématurées de mon âme, j'avance en paix quoique dans la nuit, et j'ai atteint la certitude, en acceptant mon ignorance. Que je voudrais vous donner la même sécurité la même paix ! Je ne renonce pas, je ne veux pas renoncer à l’espérer.

Midi
Je vais aller voter pour la formation du bureau. Demain, je serai retenu toute la journée, car on veut me nommer Président du Collège. Je ne pourrai probablement vous écrire que quelques lignes. Je les retarderai jusqu’au dernier moment ; il est possible que le scrutin soit dépouillé avant le départ du courrier. Je vous en dirais le résultat. Moi aussi, j’attends. Je viens de recevoir une lettre de M. Jaubert qui me rassure tout à fait sur l’élection de M. Duvergier. D'autant que Jaubert est disposé à voir en noir. Je suis préoccupé de celle de M. Joseph Poirier. J'y tiens et j'en ai toujours été un peu inquiet. Nous verrons. Je ne crains pas grand chose du résultat définitif, quel qu’il soit. Si la victoire ne nous est pas donnée du premier coup, nous aurons certainement de quoi la prendre. Peut-être cela vaudrait-il mieux. En tous cas, je suis résigné et prêt. Adieu. Ne soyez pas trop souffrante, je vous en prie. Mon ambition est bien modeste. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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188 Paris 3 mars Dimanche 1839

Que votre lettre est belle, sublime ! J'aime à la lire un dimanche. Je l'ai lue trois fois, je la relirai encore. Quel homme ! Soyez sûr que je sens tout, et je veux croire ce que vous croyez.
Je n'ai rien à vous dire sur ma journée d’hier. Le bois de Boulogne et une visite à Mad. de Stackelberg qui vient de perdre son père. uns autre visite à la petite Princesse que je n’avais pas vu depuis 6 semaines. Je l’ai trouvée encore dans son lit et fort changée. Mon triste dîner avec Marie. Le soir mon ambassadeur, son frère. L’ambassadeur de Sardaigne, et Aston. Les diplomates venaient de chez M. Molé. Il était en fort grande assurance pour les élections de Paris. Du reste point de nouvelles. Vous ai je dit que M. Ellice va arriver ?
J'ai beaucoup à écrire aujourd’hui Pahlen me fait peur au sujet de la résolution de Paul de ne pas obéir de suite. Je lui en écris, & je lui envoie deux lettres pour mon frère, il choisira celle qui conviendra le mieux à la résolution qu’il aura prise, et aux motifs qu’il aura donnés, voilà un nouveau sujet d’inquiétude. On sera très fâché à Pétersbourg quoi que je puisse dire. Je vais dîner chez Lady Granville, aujourd’hui. Je repasse dans ce moment toutes les lettres de mon mari ; j'ai besoin d’y retrouver quelques indications sur les affaires de mon fils, et en les relisant je m’arrête avec joie, avec peine, sur chaque mot presque. Il y avait encore alors tant de bons sentiments entre nous ! Ah mon Dieu ! Adieu. Adieu.
Je ne vous dirai plus adieu que demain. J’espère que vous m'annoncerez ce soir votre élection. Adieu. God bless you.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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189 Paris Lundi le 4 mars. 1839

J’étais réveillée à 6 heures ce matin, comme il m'arrive toujours de l’être à pareil jour. Quatre ans ! Ah mon Dieu, c’est hier. Et en même temps il me semble que j’ai vécu cent ans depuis, tant la douleur m'a usée. Et puis il me semble qu'on m’attend, et que je tarde bien !
J’ai eu votre petit mot d'avant hier, encore ; je ne saurai donc votre élection que demain. lci je n’ai rien appris. Je n’ai en effet vu personne hier que Lord Granvillle à dîner. Nous avons plus parlé d'Angleterre que de France. Lord Lyndhurst veut faire révoquer la nomination de Lord Erington. Si la motion passe. Ce sera bien embarrassant. Le duc de Wellington a été mal décidément. Il est mieux, mais on ne veut pas qu’il aille à la Chambre ; il en résultera que Lord Lyndhurst sera le véritable chef de parti, et il y mettra plus de vigueur. Lord Brougham l’excite et le soutient.
Voici un petit billet de Henriette et un plus long billet de Madame. de Meulan pour m'annoncer votre élection. dont je me réjouis fort. Il me parait que cela a été triomphant. Je vous en félicite. Je viens de répondre aux deux billets. J’ai écrit huit pages à Paul et quatre énormes pages à Alexandre, à celui-ci pour m'opposer au mariage, car on en parle à Paul pour lui envoyer des extraits de vieilles lettres qui jettent quelque jour sur ses affaires. Adieu. Adieu. Dieu merci le dernier adieu. Mercredi midi n’est-ce pas ? Ever your's.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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188 Lundi 2 heures

C’est aujourd’hui que je ne puis vous écrire qu’un mot au milieu de trente visites. Ma Chambre ne désemplit pas. J’ai eu un succès complet, comme il me convenait. Les Républicains et les Carlistes se sont abstenus. Et j’ai eu presque l'unanimité, 477 voix sur 525, c'est-à-dire 156 voix de plus qu’à ma dernière élection, et 67 voix de plus que dans l’élection où j'en avais le plus obtenu. Le pays est charmé de moi, & moi de lui. Vous verrez dans les journaux ce que je leur ai dit après l'élection. Toute la population m’a suivi dans les rues jusqu'à ma porte. On ne me dira plus que je ne suis pas populaire du moins jusqu’à ce que j’y aie mis ordre moi-même. Tout va assez bien autour de moi. Je ne connais encore que 8 élections. Le Ministère y a déjà perdu 2 voix, et nous point. J’en saurai davantage mercredi matin, car je pars demain bien décidément, & je vous verrai mercredi.
J’espère que le retard de Paul n'aura pas pour lui de suite fâcheuse. Mais à sa place je serais parti sur le champ. J'estime trop l'indépendance pour la mettre à toute sauce. Nous causerons de tout cela Mercredi. Farewell, farewell fom the deepest of my heart !

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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190 Paris, Dimanche le 2 juin 1839

Je ne veux pas vous dire ma tristesse, je ne vous l’exprimerai jamais comme elle est et vous n'avez pas besoin de mes paroles pas dessus mes larmes. J’ai vu hier matin Bulwer, dont Je suis contente. Il fera ainsi que Cumming tout ce qu’il est possible de faire. J’ai vu mon ambassadeur que je verrai encore aujourd'hui et puis j’ai vu Zéa qui est tout rempli de vous et de reconnaissance pour moi du bien que je vous ai dit de lui. Il part pour Londres aujourd'hui et finira par Bade après être revenu vous voir à Paris. J’ai dîné chez Mad. de Talleyrand seule. Elle est fort souffrante, fort bonne pour moi. Elle m’a parlé de vous sans me parler de votre lettre comme de raison. Elle part à onze heures et moi à 9. Je l'attendrai à Sézanne et puis nous verrons. J'ai passé le soir chez Lady Granville. Son mari est malade, j'y dîne aujourd'hui. Je me suis couché à 10 heures. J’ai peu et mal dormi. Vous savez ce qui m'a occupé - ce qui m'occupera toute ma vie mais ce qui devrait me laisser dormir. J'espère que vous ne vous trompez pas pour ma nuit dernière. Je suis excédée de fatigue, je voudrais être partie. Adieu. Adieu. Je pense à vous sans cesse plus que je n’y ai jamais pensé. Dites moi que nous nous reverrons. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Avez-vous un peu dormi ? Je voudrais bien le croire. Voici des volumes où vous trouverez, je crois quelques morceaux amusants. Si je ne me trompe vous n’avez pas lu des volumes de comédies que je vous envoie. Dans le cas contraire, renvoyez-les moi. Je ne sais comment les faire porter tous chez vous pour que vous choisissiez. Il y en a trop. Je n’ai pas Mirabeau. Le paquet de mon libraire ne le contenait pas. Je vous dirai pourquoi. Je viens d’écrire à Madame de Talleyrand. Je voudrais pouvoir faire passer en elle quelque chose de ce que j'ai dans le cœur. Elle vous soignerait bien. Adieu. Adieu. à midi et demi.
G.
Paris Samedi 1 juin 1839 - 9 heures

Mots-clés :

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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191 Sézanne lundi 3 juin 1839 7 heures

Vous voulez savoir de mes nouvelles. J’ai cheminé tristement, bien tristement. Mais me voici. Je vais dîner, je fais comme à Boulogne je vous prends avant mon dîné et j'ai bien faim. J'ai beaucoup de choses à vous dire ; je ne vous les dirai que de Baden, de très mauvaises nouvelles de mes affaires. C'est de mal en pire en Courlande rien rien du tout. Il me semble que lorsque on saura cela, il est difficile qu'on en fasse pas quelque chose. Comment vont se conduire mes fils ? Voulez- vous que je vous le dise ? Mon inquiétude porte sur l’opinion qu’ils vont donner d’eux ! Adieu. Adieu que ce sera long, long, triste. Je pense à vous sans cesse. Oubliez la calèche. Je reviendrai riche ou pauvre. Mon orgueil s'abaisse devant mon amour. Adieu. Je suis morte de fatigue mais adieu mille fois.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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190 je crois.
Du Val-Richer, lundi 3 Juin 1839 7 heures

Je me lève excédé. J’étais dans mon lit hier à 9 heures Je suis arrivé ici par une pluie noire, par une route point terminée, pleine de pierres et d'eau où ma calèche s’est brisée. Il a fallu mettre ma mère et mes enfants dans la cariole des gens. Personne n’a eu de mal. Cette nuit, j’ai été mahométan, muphti même, chargé de marier Thiers. Je me suis fait attendre à la mosquée. J'étais occupé à chercher quelqu’un je ne sais qui ; mais je ne trouvais pas, et je cherchais toujours. Ma nuit a été presque aussi fatigante que ma journée.
Je n’ai jamais été plus triste de vous quitter. Certainement nous nous reverrons. Mais nous n'avons jamais été trois mois sans nous voir. Je suis pourtant bien d'avis de ce voyage. Vous en avez besoin. Revenez fraîche et forte. Je ne vous aimerai pas mieux ; vous ne me plairez pas davantage ; mais je serai plus content.
Pour aujourd’hui, je n’ai point de nouvelles. Je ne pourrais vous en donner que de mes arbres, qui vont bien, sauf un oranger mort. C'est dommage que je n'aie pas beaucoup d’argent à dépenser ici. J’en ferais un lieu charmant, en dedans et en dehors de la maison. Mais décidément l'argent me manque. Ma consolation c'est de pouvoir me dire que je l’ai voulu. Cela ne consolait pas George Dandin. Je suis plus heureux que lui.
Le petit manuscrit de Sir Hudson Lowe est très intéressant. Si vous vous le rappelez, il va singulièrement à la situation de ce moment-ci, entre la Russie, la France et l'Angleterre en face de l'Empire Ottoman, seulement les conclusions, je dis les bonnes conclusions ne sont pas les mêmes.
Du reste, en général, dans les évènements comme dans les personnes, les ressemblances sont à la surface et les différences au fond. Il n'y a point de vraies ressemblances. Chaque chose a sa nature, et son moment, qui n’est la nature ni le moment d’aucune autre. Quel dommage que la question révolutionnaire complique et embarrasse toutes les politiques ?
Comme nous arrangerions bien les affaires d'Orient, vous et moi, si nous n'avions pas moi la manie et vous l’horreur des révolutions ! Essayons, madame, de nous corriger un peu, l'un et l'autre.

9 heures 1/4 Voilà votre lettre. Je l'espérais sans y compter Et je la trouve charmante, toute triste qu'elle est, ou mieux parce que triste. Décidément, je suis voué au parce que. Oui, soyez triste, mais triste d’une seule chose. Qu’il ne vous vienne plus de tristesse d'ailleurs. Que tout vous soit doux, sauf notre séparation. Portez-vous mieux, engraissez et nous nous reverrons. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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192 Saverne Mercredi 5 juin 7 heures du soir 1839

J'ai fait hier 20 postes 1/2 et je suis arrivée à Soul morte de fatigue. Madame de T. n'a rien fait pour la diminuer, au contraire, attendu que vous me croyiez en bien bonnes mains. Moi j’étais parfaitement la dupe de mes espérances. Au lieu de secours elle était un obstacle et elle a couronnée la journée en prenant un rez-de-chaussée bien commode, et m’envoyant moi 35 au second pour être bien mal. Secours moral de sa part tant que je voudrais, mais matériel non. C'est une leçon dont je profiterai. Il n’a pas été question qu’elle entre dans ma voiture, enfin rien rien que ce qui lui convenait. Vous voyez que j'ai de la rancune.
En voilà une page toute éclairée. Ici je suis seule heureusement, est bien, je vais manger et me reposer demain je serai à Baden vers les quatre heures, sauf accident. Il pleut des torrents, les routes sont gâtées. Aujourd’hui je me sens mieux et j'ai hâte de vous le dire, et de vous dire aussi que j’ai passé ma journée au Val-Richer et que j’y resterai certainement jusqu’à dimanche. Il me tarde bien d’avoir une lettre J'espère la trouver demain. Adieu, adieux et encore adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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191 Du Val Richer - Mardi 4 juin 1839

Je vous voudrais comme ma vallée, fraiche et riante. Je la regarde avec envie en pensant à vous. Et bientôt je ne la regarde plus ; je ne pense plus qu'à vous. Je vous vois maigre, triste, desponding, en larmes. Et pourtant je ne retourne pas à ma vallée ; je reste avec vous. Je resterai toujours avec vous.
L’annulation de l'élection de M. d’Houdetot, réélu à si grand'peine, est un petit incident fort désagréable au château. On en a été très piqué. Il ne faut pas avoir tort en face de ses ennemis Mr d’Houdetot avait tort. C’est l'erreur des gens de cour, puisque cour y a, de croire qu'ailleurs aussi, ils auront le privilège de la faveur. Il y a des favoris partout, mais non partout les mêmes. Les esprits impartiaux, les honnêtes gens ont voté contre M. d’Houderot. Le pire, c’est qu’il ne peut plus se représenter puisqu’il n’est pas éligible. Le choix tombera probablement sur un homme de l'opposition.
Il paraît que le procès aura lieu décidément vers le milieu de Juin. On le presse ; on ne veut pas que, s’il doit y avoir des exécutions, elles soient trop voisines des fêtes de Juillet ; et très probablement il y en aura. L'assassinat est prouvé, dit-on, contre deux des accusés, et des principaux. L’un, le nommé Barbès a tué de sa main l'officier qui commandait le poste du Palais de justice, l'autre Milon, Miron, je ne sais pas bien, a fait fusiller trois soldats, après avoir enlevé un corps de garde. Plusieurs témoins les reconnaissent.
Après les fêtes de Juillet, le Roi veut aller à Bordeaux. Il a formé plusieurs fois ce projet. Je doute qu'il l'exécute encore. Cependant il le promet. Bordeaux le demande beaucoup, et comme une réparation. Ils disent que jamais Roi ou Empereur ne les a laissés neuf ans sans aller les voir. Le Maréchal Vallée avait demandé plusieurs fois à être rappelé. On s'est montré disposé à le lui accorder. On lui aurait donné le Général Cubieres pour successeur. Il ne s'en est plus soucié, et il reste. J’en suis bien aise. A travers toutes les manies d’un esprit systématique et d’un caractère insociable, c’est un homme honnête, capable et prudent. Qualités dont notre établissement d'Afrique à grand besoin. Je m'intéresse à cet établissement. Je m’en suis beaucoup mêlé.
Mon sac est vidé, madame. Bien petit sac cette fois, et probablement souvent jusqu'à ce que je retourne à Paris. On ne m'écrit guères les petites choses, et il n’y en a pas de grandes. Vous n’avez probablement jamais ouvert un livre intitulé : Historiettes de Tallemant des Réaux. C'était un abbé du 17e siècle qui écrivait tous les soirs tout ce qu’il avait entendu dire sur toutes les personnes dont tout le monde parlait. Il a écrit ainsi six gros volumes curieux et amusants, quoique pleins d'énormes sottises. Quelqu'un de votre connaissance, mon Génie, se donne le même plaisir sur notre temps. Il laissera des volumes beaucoup plus convenables, j’en suis sûr que ceux de l'abbé Tallemant, et peut-être assez piquants. On oublie beaucoup trop en ce monde. En attendant de vraies nouvelles d'Orient, j’ai apporté ici et je lisais tout à l'heure l'ouvrage de M. Urquhart de la Turquie et de ses ressources. Savez-vous au juste quel cas on fait à Londres de l'auteur ? Le livre me semble bien vide, avec de grandes prétentions.
Adieu pour aujourd'hui. Je vous quitte pour aller assister à des plantations de fleurs ; je devrais dire coopérer. Je transporte le jardin du Roi au Val-Richer. Je mentirais si je disais que cela ne m'amuse pas du tout ; et je mentirais bien davantage si je disais que cela m'intéresse vraiment. On peut vivre superficiellement ; mais il n'y a pas moyen de s’y tromper. Pour moi, je n'y prétends pas.

Mercredi 7 heures Depuis que je ne vous vois plus, ma perplexité est extrême. Je suis bien plus inquiet ; j'ai besoin que vous me rassuriez, et j'hésite à vous le demander, à vous occuper de votre santé. Convenons d'une chose ; c’est que vous me direz tout, absolument tout ; je n'ignorerai aucun détail, ni aucune de vos inquiétudes. Ce sera comme si je vous voyais, sauf le plaisir de vous voir. A cette condition, je ne vous agiterai pas, de mon tourment. J’attends presque avec humeur le moment où j’attendrai vos lettres à jour fixe. En aurai-je ? N'en aurai-je pas ? Cette ignorance m'est insupportable. J’en ai encore pour huit jours avant que vous vous soyiez posée, que je le sache du moins et que jen éprouve l'effet. Où êtes-vous en ce moment ? à Vitry, je pense. Vous vous levez. Vous allez partir pour Nancy. J’ai fait cette route-là, il y a douze ans, le cœur bien déchiré. Je conduisais à Plombières ma femme mourante.
Que notre âme est étrange, & tout ce qui s’y passe dans le cours de la vie ! Quels contrastes, quels désaccords, impossibles à concevoir ensemble, et qui coexistent pourtant & s'effacent et disparaissent dans cette mer du temps qui couvre de son uniformité tout ce qu'elle engloutit Adieu. Adieu.
9 heures. Voilà le facteur, et deux lettres de Paris qui ne m’apportent rien à vous envoyer. Adieu encore.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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192 Du Val Richer, jeudi 6 juin 1839 2 heures

A mon grand étonnement, la poste n'est pas encore arrivée. Que je serais impatient si j’attendais une lettre ! Mais je n'y compte pas aujourd’hui. Je n'attends que des nouvelles. Je serais pourtant bien aise de savoir qu’il n’y en a pas de trop grosses. Le Ministre de l'intérieur m’a écrit hier. Qui sait si aujourd’hui il n’est pas aux prises avec une insurrection ? Hier, il n’était occupé que de l'humeur des 200 qui ne peuvent pardonner à M. Passy d'avoir ôté M. Bresson de l'administration des forêts pour y remettre M. Legrand, que M. Molé en avait ôté pour y mettre M. Bresson. « M. Molé, me dit-on, souffle le feu et la discorde, mais ce feu s'éteindra bientôt. Je n'en doute pas : petit souffle sur petit feu.
On me dit aussi que les lettres d'Orient sont à la paix. Je m’y attends malgré le fracas des journaux. Si le Sultan et le Pacha, l’un des deux au moins, n’ont pas le diable au corps, on leur imposera la paix. Moi aussi, je suis pour la paix. Cependant, si la guerre était supprimée de ce monde, quelques unes des plus belles vertus des hommes s'en iraient avec elle. Il leur faut, de temps en temps, de grandes choses à faire, avec de grands dangers et de grands sacrifices. La guerre seule fait les héros par milliers ; et que deviendrait le genre humain sans les héros ?
Voilà le facteur. Il n’apporte rien, ni lettres ni évènements. Tout simplement la malle poste s’est brisée en route. Elle arrivera dans quelques heures ; une estafette vient de l’annoncer. J’en suis pour mes frais d'imagination depuis ce matin. Encore une fois, si j’attendais une lettre, je ne pardonnerais pas à la malle poste de s'être brisée.

4 heures On ne sait ce qu’on dit. On a tort de ne pas espérer toujours. La malle poste est arrivée. Un de mes amis, a eu la bonne grâce de monter à cheval et de m’apporter mes lettres. En voilà une de vous, et qui en vaut cent, même de vous. Vous êtes charmante, et vous serez charmante, riche ou pauvre. J’espère bien que vous ne serez pas pauvre. Plus j’y pense, plus je tiens pour impossible que tous vos barbares, fils ou Empereur ; pardonnez-moi, s’entendent pour ne faire rien, absolument rien de ce qu’ils vous doivent. Votre orgueil n'aura pas à s'abaisser. Et puis, croyez-moi, vous n'auriez point à l'abaisser, mais tout simplement, à le déplacer, à changer vos habitudes d'orgueil. Et puis, pour dernier mot, j'accepterais l'abaissement de votre orgueil devant ce que j’aime encore mieux. Mais je ne vous veux pas à cette épreuve ; je ne veux pas des ennuis, des contrariétés qu’elle vous causerait. Vous souffrez des coups d'épingle presque autant que des coups de massue. Il faut que vos affaires s’arrangent. J'attendrai vos détails, avec une désagréable impatience. D'où vous sont donc venues tout à coup ces nouvelles mauvaises nouvelles ? J’ai vu tant varier les dires et les rapports à ce sujet que je n’en crois plus rien. Ma vraie crainte, c’est qu’il n’y ait là personne qui prenne vos intérêts à cœur et les fasse bien valoir. Cependant je compte un peu sur votre frère. Au fond, c’est un honnête homme, et il a de l’amitié pour vous.

Vendredi, 8 heures
J’ai mal aux dents. Je suis enrhumé du cerveau ; j'éternue comme une bête. Mais n'importe, j'ai le cœur content. Je retournerai à Paris, mercredi ou jeudi. Sans plaisir ; je n’y ai plus rien. J’aimerais mieux rester ici. J’y vis doucement. Je retourne à Paris par décence plutôt que par nécessité. Il ne paraît pas que le débat sur l'Orient doive venir de sitôt. Mais je ne veux pas qu’on s'étonne de mon absence. Le procès commence le 10, et remplira tout le mois. Donc écrivez-moi chez le Duc de Broglie, rue de l'Université, 90. Je le crois bien contrarié d'être obligé de rester à Paris. Il avait grande hâte d'aller en Suisse. C'est le premier indice que j'observe, de son côté, à l'appui de votre conjecture. Si elle se réalise, ce sera par l'empire de l’habitude plutôt que par un sentiment plus tendre. Adieu. Quand notre correspondance rentrera- t-elle dans son cours régulier ? Vous arrivez aujourd’hui à Baden. Je vous souhaite un aussi beau soleil que celui qui brille sur ma vallée. Adieu. Adieu. Le meilleur des adieux. G. 

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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193 Baden Jeudi 3 heures le 6 juin 1839

Je fais mieux encore que je ne dis. Je suis arrivée à 2 heures, pas. trop fatiguée. J ai trouvé un fort joli logement fort en désordre, il faut passer par un peu d'ennui, je voudrais bien n’avoir à me plaindre que de cela dans ma pauvre vie ! J’ai eu bien de l'émotion en traversant le Rhin, mais cette fois-ci je savais pourquoi ; l'année 36 je n'ai jamais pu le deviner. Je viens de recevoir une lettre du grand Duc, je vous en écrirai copie, une pauvre lettre ; mais enfin c'est du souvenir, c'est tout ce qu'il a à se faire.

5 heures
Voici votre lettre, que je vous remercie ! Je suis triste mais j'essaierai de l'être le moins possible avez-vous eu ma lettre de Sezanne. & de Saverne ? Voyez bien à m'accuser réception de tous mes N°. Voici la lettre du grand duc orthographe & tout.

Londres 19/31 mai 1839
Madame,
Avant de quitter ce pays où vous avez passé tant d’années et où tout ceux que vous ont connu, vous aiment et vous conservent un attachement bien sincères, permettez-moi de vous adresser ce peu de mots pour vous dire, chère Princesse, la peine que j'éprouve de ce que les circonstances ne nous aient pas permis de nous rencontrer. Le séjour que j’ai fait en Angleterre et l'accueil vraiment amical que j’y ai reçu de la part de la Reine, de ses ministres, et je puis le dire avec vérité de le part de tous les partis, me laisseront un souvenir bien agréable pour toute ma vie. Soyez persuadée, Madame que je serais éternellement reconnaissant à la veuve du Prince de Lieven pour l'amitié que son défunt mari n'a jamais cessé de me témoigner et que j'ai su apprécier.
Recevez Madame les assurances des sentiments que je vous ai voués.
Alexandre

Je vais répondre, et vous en aurez copie aussi. Vous ai-je dit qu'Orloff était inquiet de n'avoir rien eu de moi depuis sa lettre. C'est Lady Cowper qui me mande. Je ne sais encore qui est à Baden. Je crois, personne. Au reste je n’ai pas regardé par la fenêtre. Il pleut et fait froid. Bonsoir mais surtout adieu.

Vendredi 7 à 7 heures du matin.
Je me suis coucher à 9 heures levée à 6. J'ai fait une longue promenade pas un beau soleil dans un pays ravissant, j’ai déjeuné et me voici à vous, à vous toujours. Il me semble que je m'arrangerai de ceci très bien pourvu qu'il ne pleuve pas. Vraiment mon logement est charmant, gai, environné de rosiers, d’orangers. Je vous enverrai le dessin, le plan. 2 heures J’ai vu du monde des Russes, que vous ne connaissez pas. M. de Bacourt qui me dit que ma lettre doit être porté de suite à la poste. Adieu donc, adieu, il fait beau, il fait chaud, si vous étiez ici ! God bless you.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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193 Du Val-Richer, Samedi 8 juin 1839 2 heures

Je me doutais de ce qui vous est arrivé. Mad de Talleyrand m’avait répondu en termes très aimables, mais vagues, et comme un peu inquiète de son impuissance à vous être bonne à quelque chose. Mes prétentions n'allaient pas jusqu'à espérer qu’elle vous cédât le rez-de-chaussée pour prendre le second ; ce sont là des dévouements héroïques que je n'attends pas des amitiés du monde. Mais venir quelque fois dans votre voiture, et vous désennuyer pour son propre plaisir, j’y comptais un peu. Apparemment elle aime mieux le confort de sa solitude que le plaisir de votre conversation. Gardez de ceci non pas de la rancune, ce qui est un sentiment déplaisant et fort peu dans votre nature, mais de la mémoire, ce qui sera beaucoup et ce que vous ne savez point faire. Vous oubliez le mal avec une facilité très aimable, mais très déplorable. C’est ainsi qu’on retombe toujours avec les autres dans la dépendance ou dans l’illusion. Vous avez beaucoup de pénétration mais elle ne vous sert à rien, comme prévoyance. vous recommencez avec les gens comme si vous ne les connaissiez pas du tout , et vous êtes obligée de rapprendre à chaque occasion, ce que vous aviez parfaitement vu ou deviné à la première. Vous avez bien raison d'être au Val-Richer. Vous ne serez nulle part en aussi tendre compagnie. Restez-y un peu plus que vous ne comptiez. Je n’en partirai que samedi prochain 15.
On m’écrit que le rapport de l'affaire d'Orient n'aura lieu que le 19 et le débat le 20. Le Maréchal est allé à la commission ; inculte, ignorant, mais rusé et se conformant assez habilement à ses instructions. Il a annoncé très confidentiellement et en demandant le secret, que le gouvernement voulait maintenir en Orient le statu quo, mais un statu quo durable, en assurant au Pacha l'hérédité de l’Egypte et de la Syrie. Du reste rien de plus ; des communications de pièces parfaitement insignifiantes, ou déjà imprimées ; rien qui mette la commission au courant de l'état de l'Empire Turc et des relations des diverses Puissances avec lui ou entre elles. La commission a, dit-on, assez d'humeur; et cela paraîtra.
Le Cabinet n'est pas en bonne veine. Il a vivement combattu, aux Pairs, la proposition de M. Mounier sur la légion d’honneur et elle a passé malgré lui. Aux Députés, une autre proposition, fort absurde, pour retirer aux fonctionnaires députés leur traitement pendant la durée de le session, et qui avait toujours été rejetée jusqu'ici, a été adoptée, au grand étonnement des Ministres qui n'avaient pas même ouvert la bouche, tant ils se croyaient sûrs du rejet. Un crédit de cinq millions, demandé pour achever le chemin de fer de Paris à Versailles sur la rive gauche, a été fort mal reçu. En tout il y a du décousu, de l’inertie dans le pouvoir, et de la débandade dans son armée. Thiers ne va plus à la Chambre, et annonce son très prochain départ. Plusieurs de ses amis. craignent qu’il n'attende même pas la discussion des Affaires d'Orient. Vous voilà au courant, comme si nous avions causé, au plaisir près. Mais le plaisir vaut mieux que tout le reste, n’est-ce pas ?

Dimanche 7 heures
Hier, il a plu sans relâche ; aujourd’hui le plus beau soleil brille. Hier vous me manquiez pour rester dans la maison et oublier la pluie ; aujourd’hui, vous me manquerez pour me promener et jouir du soleil. J’attends quelques personnes cette semaine, M et Mad. de Gasparin, Mlle Chabaud. Celle-ci m’est très précieuse pour mes filles et ma mère. Je suis très touché de l'amitié infatigable avec laquelle elle s’en occupe. C’est une excellente personne, très isolée en ce monde, et qui avec un cœur vif, n’a jamais connu aucun bonheur vif. Elle reporte sur les affections collatérales la vivacité, et le dévouement qu'elle n'a pas trouvé à dépenser en ligne directe. Mes filles l'aiment beaucoup. Henriette fait vraiment, avec elle, des progrès sur le piano. Elle a de très bons doigts. Adieu.
Vous me tenez dans l'anxiété en me disant que vous avez de mauvaises nouvelles pour vos affaires, sans me dire ce qu’elles sont, ni d’où elles viennent. J’en suis très impatient, car nous sommes impatiens de savoir le mal comme le bien. Mais je ne puis me résoudre à croire que, sur les terres de Courlande, tout le monde se soit jusqu'ici si grossièrement trompé. Encore une preuve de plus de votre barbarie. Les plus éclairés n'ont pas la moindre connaissance sûre des lois du pays. Adieu. Adieu. Enfin, votre prochaine lettre sera de Baden, & notre correspondance régulière sera établie. Mais vous avez été bien aimable, vous avez mis de la régularité en courant la poste adieu encore. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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194 Baden Samedi 8 juin 1839 à 3 heures

J'ai été bien fatiguée toute la matinée j’ai écrit au grand Duc, à Orloff, à mon frère, à mon fils Alexandre. J'ai envoyé copie à mon frère de la lettre du grand Duc et de ma réponse. Tout cela est beaucoup après une mauvaise nuit et par un temps bien chaud. J’ai vu longuement mon médecin. Il veut pour moi du lait d'ânesse, des bains de son, de l’air toujours de l'air, du calme dans ma vie, point de peines ! Point d'agitations ! Il veut que je dorme et avec tout cela il me répond de m'engraisser. Oui mais comment, excepté le lait et le bain, comment avoir tout cela ? Il m’a trouvé extrêmement changée et maigrie il y a longtemps que cela me frappe.
Je ne vois Mad. de Talleyrand qu’une demi-heure par jour, voilà tout, et puis je ne vois personne que Marie qui vient se promener avec moi le soir. Voilà mes dissipations de Baden. Mais le lieu est charmant, le temps superbe. Je ne me plaindrai pas, mais je suis bien seule.

Dimanche 9. à 8 heures du matin.
J'ai reçu hier au soir votre N°191. Je suis avide et heureuse de vos lettres, mettez-vous bien en tête qu’il ne se passe pas de minute où je ne pense à vous. J'ai des nouvelles de mon fils Alexandre. Il est arrivé à Pétersbourg le 22. Mon frère est tout de suite accouru chez mon fils, et les à reçus avec la plus grande tendresse. Alexandre a l’air fort content. Je n’ai rien de mon frère.
Une longue lettre d’Ellice qui ne pense pas que le ministère anglais tienne longtemps. Il croit que Lord Howick fera la brèche. Il est question de dissolution. J'ai presque bien dormi cette nuit.
J’ai commencé ce matin le lait d’ânesse. Je reviens de mon bain qui m’a plu. J'ai marché, j'ai déjeuné et il n’est que huit heures. Hier au soir je me suis fait miner au vieux château. On monte pendant une heure. C’est beau, c’est superbe. Des points de vue admirables des ombrages charmants, venez donc voir cela. Je défie que vous ayez rien vu de comparable. J’étais seule, toujours seule, ah ! que c’est triste ! midi. Je reviens de l'église. J'ai entendu mon excellent sermon, qui m’a bien émue. Vous ne savez pas comme j'ai l’âme tendre et triste. Je vous envoie copie de ma lettre au grand Duc. Dites-moi si elle est bien. Adieu, Adieu, que d'adieux à 120 lieux de distance. Ah que j'aimerai à repasser le Rhin ! Si on s’avisait de me le défendre, qu’est-ce que je ferais ? Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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195 Du Val Richer, Mercredi 12 juin 1839 4 heures

Je prends du plus grand papier. Il me semble que j’ai une infinité de choses à vous dire. Je vous en dis bien peu pourtant. M. et Mad. de Gasparin viennent de m’arriver avec M. Chabaud. Ils resteront jusqu'à samedi. Moi, je ne partirais que lundi. Rien ne m’attire à Paris, point de plaisir et peu d'affaires. Fort peu. La question d'Orient se refroidit. Les événements s'éloignent. On s'attend à peu de discussion. Thiers part demain pour conduire sa femme aux Pyrénées. Cependant je persiste à vouloir parler. La question, prochaine et point flagrante, est peut-être une raison de plus de parler ; elle est assez près pour qu’on y regarde et encore assez loin pour qu’on parle librement. La commission fera par l'organe de M. Jouffroy, un rapport savant et terne, une belle dissertation. Les Affaires Etrangères sont de toutes, à mon avis, celles sur lesquelles la parole séparée de l'action, a le moins de valeur. Elle tombe presque inévitablement dans la politique de café, ou de livre ; politique presque toujours arbitraire et futile, même la plus spirituelle. Les crédits demandés pour augmenter nos forces navales sur les côtes d'Espagne donneront peut-être lieu à un débat plus vif. On me mande que M. Molé veut les faire attaquer. Si le cabinet, dit-il, entend continuer l'ancienne politique, l’argent qu’il demande est inutile. S’il veut adopter une politique nouvelle et s’engager plus avant dans les Affaires d’Espagne, c’est dangereux. Si en faisant comme ses prédécesseurs, il veut seulement avoir l’air de faire plus qu'eux, on ne lui doit pas des millions pour qu’il se donne ce petit plaisir. En tout le cabinet ne gagne pas de terrain. Tout le monde le trouve petit et le lui témoigne, la Chambre des Pairs et M. Bresson. Cette démission de M. Bresson a été une affaire. Le Roi, dit-on, l’en a hautement approuvé. Et pour obtenir la réintégration de M. Legrand aux forêts, il a fallu que M. Passy menaçât de sa retraite. Je vous envoie toutes les pauvretés qui m’arrivent. Pourquoi pas ? Je vous les dirais. M. de Broglie a voulu conduire lui-même sa fille à Coppet. Je ne le trouverai donc pas à Paris. Mais il y sera de retour du 20 au 25 de ce mois, pour le procès, qui durera au moins quinze jours.
On m’appelle pour la promenade. Le temps est magnifique et la verdure aussi brillante que le soleil. Je n'aime pas à faire ce qui me plaît avec quelqu'un qui n’est pas vous. Adieu au moins.

Jeudi 6 heures
La lettre de votre grand Duc est une lettre d'enfant. Je suis toujours bien aise qu'il vous l’ait écrite, et qu'Orloff ait envie d'avoir votre réponse. Je suis curieux de savoir qu’elle sera la valeur des paroles de celui-ci. Vous dites toujours qu’il a de l'esprit. Nous verrons. J’espère bien que votre pauvre Castillon aura une course de courrier. J’insisterai jusqu'à ce qu’il en ait une. On me l’a promis et je graduerai mon humeur sur l'accomplissement de la promesse. Nous avons, aussi nos barbares, nos esprits grossiers quoique rusés qui feront toutes les platitudes du monde, et manqueront de bons procédés. Mais il faut le leur faire sentir. Je ne trouverai plus personne à Paris. Mad. de Rémusat est partie pour le Languedoc. Mad. de Boigne est à Chastenay. J'irai quelque fois. Si cela peut s’appeler aller à Chastenay ! Je reviendrai vers le 15 juillet.
Mes enfants sont ici d’un bonheur charmant à voir. Je les trouve déjà engraissés. Bien des fois dans le jour, je voudrais vous envoyer la société de ma petite Henriette. Elle vous calmerait en vous amusant. Je n’ai jamais vu une créature plus sereine, et plus animée. C’est la vie et l’ordre en personne. Jamais de trouble ni de langueur. Et ayant ce qui donne et justifie l'autorité, l’instinct naturel du commandement, et la disposition au dévouement. J'en jouis avec plus de tremblement que je ne veux me le dire à moi-même. Je ne me sens plus en état de résister à de nouveaux coups. Soignez-vous bien.

9 heures Je serai très bref. Le post-scriptum de votre n°194 me met dans une indignation que je ne veux pas comprimer. Je n’ai rien vu de pareil. Qu’avez-vous donc fait ? De quoi vos fils veulent-ils vous punir ? Adieu. Adieu. Je voudrais pouvoir mettre dans cet adieu tout ce que je ne dis pas, et de quoi vous faire oublier tout ce qui vous arrive. J’attends bien impatiemment une lettre de votre frère. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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195. Baden lundi le 10 juin, 1839, à 8 h matin.

Je n’ai dormi que deux heures cette nuit la lettre de mon banquier m’avait de nouveau renversée. Vous savez comme je le suis aisément. Je m’en vais écrire à moi frère et Matonchewitz. Et j'ai bien peu de forces. Si vous étiez là vous m'en donneriez, et un peu de courage. Mais mes seules ressources ! C’est pitoyable.

Mardi 8 h. du matin
J’ai écrit, je vous enverrai copie si cela ne me coûte pas trop de peine. J’ai reçu votre n° 192. Je serai bien aise de vous écrire à Paris nous serons plus près. J’ai vu Mad. de Talleyrand. Ah que nous sommes loin. Hier un peu plus que de coutume, elle redevient très bonne ; je vous ai dit ; le secours moral, j’y puis compter, l’autre non. Elle me prendra mes chevaux et mes chambres, mais elle me donnera de bons conseils. Voici ma vie à 6 heures hors de mon lit et un verre de lait d’ânesse. Une heure de promenade à pied. Une demi-heure de repos à 7 1/2 un bain de son et de lait à 27 degrés. Dix minutes de bain, à 8 h mon déjeuner, et puis mes lettres à 9 1/2 ma toilette, à 11 heures seconde promenade à pied. à Midi le lunchon. Après de la lecture de 2 à 3 promenade en calèche ; de 3 à 4 je me repose dans le jardin. à 4 heures mon Dieu ! à 5 h., on m'apporte mes lettres et mes journaux, à 6 heures en calèche jusqu'après 8 heures. Ensuite une demi-heure de mon jardin, et à 9 heures mon lit. Voilà exactement mes faits et gestes. Ensuite, Marie vient me voir un quart d’heure dans la matinée pas davantage. Mad. de Talleyrand se promène en calèche avec moi ou le matin ou le soir. Et voilà toutes mes ressources. A propos elle me charge de la rappeler à vous. Dans quelques temps elle vous écrira pour vous dire de mes nouvelles.

1 heure
Je vois par votre lettre que j’ai négligé de vous dire d'où m'étaient venu les mauvaises nouvelles sur mes affaires en Courlande. C'est de copies des textes de la loi en Courlande très volumineux, très embrouillés, mais d'où il appert, que j'aurai une année du revenu entier de la terre de Courlande une fois payé ce qui fait je crois 60 m. francs. Rien du tout d’une autre terre en Lituanie achetée par mon mari, et rien non plus d'une belle arende en Lituanie. La 7ème partie de l’arende en Courlande qui sera peut être 2 mille francs par an. Vous voyez que cela me réduit au 7ème de la terre de Russie & à la quatrième part du capital en Angleterre. Mes fils auront chacun entre 80 à 90 mille roubles de rentes. Voilà mes notions pour le moment. Ces papiers Courlandais dont je vous parle m'ont été remis par la princesse Mescherscky. C'est un cousin à elle qui les lui a envoyés de Mittan. Je vous envoie les copies promises, dites-moi si j'ai bien fait sans ma lettre à Matonchevitz, j’ai été un peu plus claire. Il n’y a personne encore à Baden que je connaisse beaucoup de russes petites gens. Quelques Anglais ditto Le lieu est fort embellie. L'entrepreneur des jeux à Paris est venu ici, il y a déjà dépensé un million 300 m. francs pour embellir le salon et les promenades. Je suis la voisine immédiate. C’est même lui qui me nourrit. Le temps est charmant pas trop chaud, les promenades les plus belles du monde. Que ce serait joli se vous étiez ici ! Je n’ai pas une nouvelle à vous mander je ne sais absolument rien. Je ne saurai rien que par vous.

5 heures
Je reçois dans ce moment, une lettre de mon frère, fort bonne et amicale. Il me parle avec tendresse de mes fils, dont il parait fort content. Il me dit que Pahlen accepte, et que lui mon frère se réserve le rôle de super arbitre. Il fait faire un recueil des lois en Russie et en Courlande, qui m’indiquera ce qui me revient, et il ajoute. " Le reste sera une négociation j'espère aisée avec deux fils qui paraissent si comme il faut. " A présent j'attendrais avec plus de patience et de confiance, car je crois que vraiment mes affaires sont dans les meilleurs mains possibles. Je transcrirai demain ce qu'il me dit de vos affaires qui est assez drôle. Adieu. Adieu. Adieu. Ecrivez-moi tout. J’attends vos lettres avec tant d’impatience ! Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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194 Du Val Richer Lundi 10 juin 1839 4 heures

J’espère que vous avez à Baden un climat moins variable que le mien. Je ne puis garder le soleil deux jours de suite. Je n’aime pas cela. J’aime l’égalité et la durée. Plus ce qui me plaît dure, et dure toujours le même, plus j'en jouis. Je n’ai jamais compris ce que c'était que de se blaser. Il m'est arrivé (et même bien rarement) de reconnaitre que je m'étais trompé, que j’avais eu tort de prendre plaisir à quelque chose ou à quelqu'un ; mais m'en lasser à cause du temps seul, non. Bien loin d'user pour moi ce que j'aime, le temps m’est trop court pour en jouir, selon mon cœur. L’éternité seule y suffirait. Vous êtes-vous jamais figurée ce que serait le bonheur avec la perspective de l'éternité ? Il n'y a d'éternel que mon rhume de cerveau. Ceci, par exemple, je m'en ennuie. Depuis quelques jours, je ne vois rien qu’à travers un nuage, ma vallée, mes enfants, mes idées, sauf une qui est toujours claire et vive. A force d'éternuements de brouillards, de larmes, je me suis endormi hier sur mon canapé en lisant l'Orient. Car décidément je regarde beaucoup à l'Orient. J’en saurai très long sur ces affaires-là. C’est bien dommage que nous ne puissions pas en causer encore avant que j'en parle. Evidemment les évènements ne marchent pas vite, là, et les efforts de l’Europe pour les ajourner arriveront à temps. D'après ce qui me revient, pour peu que l'affaire fût bien conduite, l’hérédité de Méhémet-Ali sortirait de cette crise, et le statu quo, dont on parle toujours après un changement, recommencerait pour un temps.
8 heures et demie
Je viens de faire placer mes orangers. On peut prendre beaucoup d’intérêt à ce qu’on fait par cela seul qu'on le fait. Mais, c’est seulement pendant. qu'on le fait. J’ai planté un monde de fleurs. Dans six semaines le Val Richer sera un bouquet. Que vous revient-il de Londres? Le Cabinet me semble dans une situation de plus en plus précaire Lord Melbourne et Lord John ont l’air d’honnêtes gens à bout de voie, qui ont de l'humeur contre tout le monde, contre qui tout le monde a de l'humeur, et qui ne voulant par aller plus loin, ne peuvent plus aller du tout. On ne me mande rien de Paris, sinon que les grands projets historiques de Thiers, ne sont pas si sérieux qu’on l'affiche, et que tout cet étalage de 500 000 fr. a surtout pour but de rassurer des créanciers, et de les engager à prendre patience. A défaut du Ministère, on leur montre en perspective l'histoire de l'Empire. La Chambre des Pairs s’est bien échauffée sur la Légion d’honneur. Le Ministère y a repris ses avantages. Décidément M. Villemain est l'homme résolu et agissant aussi bien qu'éloquent du Cabinet. Il est toujours question du voyage du Roi à Bordeaux. M. Dufaure l'accompagnerait. Le Roi prend tout à fait possession de M. Dufaure. Il ( je veux dire M. Dufaure) avait aussi votre faveur, Madame ; mais je doute qu'il la conservât de près. Il n’a d’esprit et de talent qu'à la tribune.
Mardi 9 h. J’attends le courrier ce matin avec un surcroit d'impatience. Je n’ai pas eu de lettre depuis deux jours. Enfin celle-ci ouvrira une ère régulière. C’est bien le moins qu’elle soit régulière. Vote embonpoint et vos lettres, je veux ces deux choses-là de votre absence.
1 heure Voilà enfin votre N°193. Encore un nouveau retard de la malle poste. Je suis désolé d'avoir dit qu'il ne fallait pas destituer M. Conte. A demain ma réponse. Il faut que je donne tout de suite ceci. Je suis charmé de vous savoir arrivée bien logée. Adieu. Adieu. Mille et un.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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196 Du Val-Richer. Vendredi 14 juin 1839 3 heures

Je commence par où j’ai fini hier, mon indignation. Elle est inépuisable. Que deviendriez-vous si vous n'aviez rien à vous ? On n'en aurait été que plus pressé de vous traiter de la sorte pour vous dompter, pour se venger que sais-je ? Ceci me fait éprouver un des sentiments les plus pénibles que je connaisse. Je porte un respect général et profond à ces relations naturelles, indestructibles, indépendantes de notre choix, par lesquelles, sans concours, sans mérite de notre part, dieu nous donne des amis, des appuis, du bonheur et de la sécurité ; et pour toute la vie. Même avec des gens que je n’aime pas, que je ne connais pas, il m'est souverainement désagréable de laisser tomber un mot de reproche ou de blâmer sur un fils devant sa mère, sur un frère devant sa sœur. J'en éprouve une sorte d’embarras et de tristesse comme si j'allais contre une intention divine, si je touchais à une œuvre sacrée. Et pourtant ici, il n'y a pas moyen. Je ne puis me taire ; je ne dirai jamais tout ce que je pense. Alexandre ne vous avait donc pas dit un mot de cette mesure. Vous en avez sans doute informé sur le champ votre frère. Je n'ai d'espoir qu'en lui pour pousser un peu vite vos affaires et prendre un peu soin de vos intérêts. Car voilà une raison, une nécessité de plus d’aller vite. On ne peut vous laisser longtemps dans ce dénuement. Qu’on finisse, qu’on finisse, et que vous puissiez ne plus penser qu'au lait d’ânesse et aux bains de son. Votre médecin de Baden est plein de bon sens ; il sait ce qu’il vous faut. Pour dieu, qu’on le laisse faire.
Je trouve votre réponse au Grand Duc excellente. Pour tout dire, je ne lis pas sans quelque mouvement d’impatience ces belles paroles, ces tendres épanchements de votre âme jetés à un pauvre jeune homme qui ne comprend pas, qui n'ose pas, devant qui tout cela passe comme les élans de la piété et de la prière devant une idole. Il y a un Dieu au-dessus de l’idole, dont l’idole n’est que l’image, et qui comprend l'âme qui prie. Mais ici... Décidément, je ne vaux rien pour l’idolâtrie. J’admire, j’aime le respect et le dévouement, deux vertus rares, beaucoup trop rares de mon temps et dans mon pays ; mais j'y porte, je l'avoue, un peu d'exigence superbe. Passé cette explosion de fierté libérale, je ne vois pas le moindre mot à redire dans votre lettre ; elle est triste, pénétrante, et très digne dans sa ferveur impériale. C’était le problème et vous l’avez résolu.

Samedi 9 heures
Mes hôtes viennent de partir, et moi je partirai après demain pour un mois, je présume. Si vous étiez à Paris, ce mois serait charmant. On est assez occupé du procès. Concevez-vous l'audace de ces gens-là qui font fabriquer une pièce de canon & la trainent dans les rues de Paris ? On l'a saisie. C'était une machine pitoyable ; mais enfin, au dire des ingénieurs, elle aurait pu tirer encore 40 ou 50 coups. Les sociétés secrètes viennent de modifier, leur organisation ; elles se sont constituées par armées ; à un homme par jour. Cinq armées sont organisées, formant donc à peu près 2000 hommes. Elles se sont épurées dans ce nouveau travail, comme tous les partis en déclin, mais très vivaces, qui opposent le redoublement du fanatisme au progrès de l'impuissance. La dernière insurrection n'a pas eu, dans les Provinces, le moindre retentissement. Presque toujours quand un orage éclatait à Paris, il grondait à Lyon à Strasbourg, à Marseille. Rien de semblable cette fois. L’épreuve a même été très complète car il y a eu à Lyon, un peu de tumulte parmi les ouvriers pour une question de salaires, et la politique n’y a paru en rien.
Voilà votre n°195. Merci de vos détails. J'en avais besoin. La lettre de votre frère me rassure un peu. Mais j'aspire à la fin. Du reste, après l'acceptation de vos pouvoirs par le comte de Pahlen et la surveillance déclarée de votre frère, vous pouvez certainement être plus tranquille. Il me faut la permission de l'Empereur. Ce qui vous revient de droit sera trop peu. Votre lettre à votre frère est très convenable. Adieu. Je vous dirai en arrivant à Paris, s'il faut m’écrire rue de l'Université ou rue Ville l'évêque. Adieu. Adieu. Commencez-vous à engraisser ? G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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196 Baden le 12 juin 1839, mercredi 10 heures 1/2

Savez-vous que je me sens si faible et malade que j’ai de la peine à vous écrire. Probablement ni le lait ni les bains ne me conviennent, Mes jambes me manquent, j’ai des vertiges. Mon dîner me fait mal, j’ai encore beaucoup maigri. Il ne restera plus rien. Je suis fort découragée, fort triste. Le pire de mes maux sans doute est la solitude. Je ne puis pas m’en guérir à Baden. Je vous écris aujourd'hui par devoir, pas par plaisir, je ne puis en avoir aucun à vous entretenir de mes souffrances. C’est mauvais pour moi, mauvais pour vous. Ah mon Dieu que je suis triste !
Voici l'extrait de l'autre partie de la lettre de mon frère. Vous voyez que les dispositions ne sont pas améliorées.

Jeudi 6 heures du matin.
Merci de votre bonne lettre. Je crains que les miennes ne vous soient pas arrivées puisque les deux dernières étaient adressées à Paris, l’une à votre maison l'autre chez M. de Broglie. Vous ne serez donc à Paris que dimanche. Je vous y désire pour moi ; mais pour vous je souhaiterais la campagne. Le temps est si beau, vous y êtes si heureux. Je n'ai rien mangé hier de toute la journée, il en résulte une grande faiblesse. Je me suis fait traîner le soir avec Marie, Marie est une grande distraction. Jugez ! On parle beaucoup de Darmstadz. Le grand Duc y reste encore. L’étonnement est grand. La petite princesse est patiemment la fille d'un M. Groney dont la sœur est sa gouvernante. Le grand duc son père officiel ne lui parle jamais. Il n'y a que mon prince Emile qui en aie pitié par conformité de situation parce que lui aussi est arrivée comme cela dans le monde. Il a fait venir pour sa nièce il y a trois semaines un trousseau complet de Paris, afin qu’elle fût mise convenablement pendant cette visite. De toutes les princesses d’Allemagne c'est la seule qui n'ai jamais rêvé qu’elle pût être sur les rangs. Elle n’est pas jolie, mais piquante et spirituelle à ce qu'on dit. Je voudrais bien la voir. J’ai retrouvé ici une petite madame Wiallesby sœur de Lord de Ros. Son mari est fils de Lord Cowley. Elle est trop jeune et trop commère pour moi. Du reste animée et assez agréable. Je vais me promener ce soir avec elle.

3 heures
Je rentre d'une promenade avec Mad. de Talleyrand cela dure une demi-heure, et cela compte pour la journée. J'accepte ce qu’elle me donne, et je ne demande pas davantage, parce qu'en fait je ne crois pas que je l’amuse. Je ne me crois plus guère capable d’amuser personne. Je suis trop triste. Adieu. Adieu. Il me semble que nous nous parlons rarement. Il me semble que nous nous disons peu de chose. Qu’il y a de temps que je vous ai vu ! Mon Dieu qu’il me parait long sans vous ! Adieu mille fois.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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197 Du Val-Richer. Dimanche 16 Juin 1839 9 heures

J’ai eu des visites toute la journée, ce soir encore après dîner. Je pars demain matin. Je vais passer un mois parfaitement seul dans ma maison ; à moins que le Duc de Broglie ne revienne pour le procès, comme il l'a dit. Mais j'en doute un peu. Il me semble que le même empressement qui l’a fait partir pour quinze jours pourra bien l'empêcher de repartir au bout de quinze jours. Pourtant il aurait tort. Il ne faut pas qu’un juge manque à un procès de vie et de mort.
Je trouve votre vie bien ordonnée. Je vous y voudrais un peu plus de société. Je ne suis point jaloux. Ai-je raison ? Mais vous êtes absolument obligée de me revenir grasse et fraîche. L'absence est un crime qui ne peut-être couvert que par le succès.
Vos mauvaises nouvelles de Courlande paraissent bien authentiques. Je m'en désole, car je n'ai foi à personne. Votre frère ne vous dit-il rien, absolu ment rien de la perspective d'une pension ? J'espère presque plus de l'Empereur que de tout autre. Je ne croirai jamais qu’il soit impossible aux trois hommes qui l’entourent de faire luire dans son cœur, s'ils le veulent, un éclair de justice et de générosité.

Lundi 9 heures
Je me lève par le plus beau soleil. Si je devais vous revoir, demain, je serais aussi gai que le soleil. Voilà la première fois depuis deux ans que je vais à Paris sans vous y retrouver. Quel ennui de partir quand on n'a pas envie d’arriver ! C’est bien deux ans, avant hier 15 Juin. Comment n’y a-t-il que deux ans ? Il me semble que c’est toute une vie.

Eternité, néant, passé, sombres abymes.
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez ; nous rendrez-vous les extases sublimes
Que vous nous ravissez ?

C’est M. de Lamartine qui dit cela. Vous savez que j’aime la poésie. Elle entre et reste très avant dans ma mémoire. Elle agit sur moi comme un écho de l'âme. Elle me rend des sons que j'ai entendus. J’aime mieux la voix que l’écho. Pourtant l’écho est très doux. Mon fils aimait passionnément la poésie. Et sans y porter cette disposition un peu vague et romanesque de la jeunesse. C’était l’esprit le plus net et le plus simple du monde, choqué par instinct dès qu’il apercevait du brouillard ou de l'emphase ; mais d’un cœur si élevé et si délicat, d'une nature si parfaitement élégante et rare que la poésie lui allait d'elle-même et comme par une harmonie spontanée. Je n'ai vu aucune créature, qui semblât créée à ce point pour plaire ! Et c’est à moi seul qu’il a plu. J’ai connu seul le parfum charmant de cette fleur ! C'est l’un de mes plus amers regrets. Il me semble que je l’aurais moins perdu si d’autres en avaient joui comme moi.

9 h. 1/2 Le numéro 196 me désole. Je les ai tous reçus, aucun si triste. J’espérais, et je veux encore espérer mieux du lait d’ânesse, des bains de son, de tout ce régime doux et tranquille. En grâce, si votre médecin persiste à le croire bon, ne le cessez pas parce que vous vous trouvez plus souffrante un jour ou deux. Il faut bien accepter ces mauvaises alternatives. Je n’ai pas la superstition des médecins. J'y crois pourtant un peu plus qu'à notre ignorance. Je craignais bien la solitude de Baden. Vous ne supportez pas la société médiocre et vous avez raison. Il est si rare d'en rencontrer une autre !
Madame de Talleyrand travaille à se désintéresser de toutes choses, à ne penser qu'à elle-même à ses affaires, à ses conforts, à ses habitudes. Ce n’est pas une manière d'animer les autres. Moi aussi, je trouve que nous nous disons peu de chose. Adieu. Adieu.
J’ai une foule de petits soins à prendre avant de partir. Je trouve dans mes journaux de ce matin une triste nouvelle. Ce pauvre Emmanuel de Grouchy est mort à Turin d’une fièvre cérébrale. J’avais de l’amitié pour lui, et il m'était très dévoué. Il s’était marié il y a 18 mois. Il était heureux. Adieu encore. J'aime mille fois mieux une sotte réalité que mille fictions. Adieu pourtant. Mais ne souffrez pas ; ne maigrissez pas. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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197 Baden le 14 juin 1839, 7 heures du matin

Ma nuit a été meilleure, mais une mine est affreuse. Baden est ravissant pour tout le monde mais si triste pour moi. Je n’y vois pas une personne isolée. Il n'y a que moi seule, seule. Et vous savez comme cela me va. Je n’ai pas eu de lettres. Je me remets au courant de mes correspondances, je devais des réponses partout, mais au fond les lettres que je vais recevoir ne me feront aucun plaisir. Il n'y a que les vôtres qui comptent, sans les quelles je ne pourrais vivre. Et puis il y a les nouvelles de Pétersbourg qui me font quelque chose, mais ces lettres là, je ne sais jamais si je dois les ouvrir. J'aurais envie de vous les envoyer cachetées. Ah que vous me manquez pour tout, pour tout ! Soyez bien sûr de cela et qu'il n'y a pas une minute de la journée où vous ne soyez présent à ma pensée.

Samedi le 13 à 8 heures
Comment pas de lettres de vous ! Au nom de Dieu ne me donnez pas ces inquiétudes, je n’y pense pas suffire. Il me semble maintenant que le plus grand des malheurs pour moi serait de rester deux jours sans nouvelles de vous. Je ne pense qu'à cela depuis hier cinq heures, l'heure de la poste. J'ai été bien loin dans les montagnes, les forêts, il faisait si beau, il y ferait si beau avec vous. Je n'avais besoin de rien, de personne ; ce qui se passe dans le monde me serait indifférent, vous ne savez pas à quel point cette image me plait. Et puis j’étais si triste si triste. Vous êtes si loin. Ce grand fleuve qui nous sépare, je le regardais du haut de cette grande montagne et j'avais le cœur serré.
Je continue dans ma solitude, je vois Mad. de Talleyrand une fois le jour de 2 à 3 voilà tout. Et Marie part pour une semaine pour Carlsruhe ainsi pas même sa petite visite du matin d’un quart d’heure. Ah, que je suis seule ! Et puis je me sens malade, je deviens très faible. Je ne sais ce que c'est ; je me portais mieux à Paris où je me portais mal. Enfin jusqu'ici je ne vois pas que j'aie bien fait de vous quitter. Pourquoi ne m'avez-vous pas retenue ?

5 heures
Voilà votre lettre, et me voilà rassurée. Mais pourquoi est elle venue si tard ! J’espère que votre rhume est passé. Aujourd'hui vous allez à Paris, n'est-ce pas. Tout ira mieux de là. Il faut remettre ma lettre à la poste. Il faut donc vous quitter Adieu. Adieu. Ecrivez-moi, aimez- moi, Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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198 Paris. Mardi 18 Juin 1839, 2 heures

Je suis désolé de votre inquiétude. Ma lettre était partie très exactement. Me voilà ici pour un mois. Le retard sera impossible, s'il y a un mal impossible. Vous étiez un peu mieux samedi. Je voudrais suivre toutes les variations de votre santé, de votre disposition morale. Ce n'est pourtant pas un très bon régime. On s'accoutume au mal en le voyant revenir sans cesse, et on n'y croit plus assez quand on l’a vu s’en aller souvent. Je ne veux pas être rassuré à tort. Dites-moi tout, toujours tout. Je ne veux pas ignorer la moindre de vos souffrances et de vos peines.
Paris est grand et vide comme le désert. Je ne me fais pas à y être venu pour ne pas vous y chercher. Cette nuit, pendant toute la route le roulement de la voiture n’avait pas de sens pour moi. Je m'étonne quelquefois que vous me soyez tant. Dans une vie déjà longue et si pleine, après avoir tant possédé et tant perdu, je devrais être plus las et plus détaché. Je ne le suis pas du tout quant à vous. J’ai, quant à vous, cette ambition vive, indomptable et pleine d'espoir de la jeunesse. Je ne renonce à rien, je ne me résigne à rien. Je veux tout et que tout soit parfait. Je ne sais quelles années Dieu me réserve, ni quelles épreuves encore dans ces années. Mais il y a en moi un côté, un point que la vie la plus longue n'usera pas, et qui descendra jeune dans le tombeau.

8 h. 1/2
Je rentre. Je viens de traverser la place Louis XV par le plus magnifique spectacle. Sur ma tête, le ciel noir, parfaitement noir, le déluge près de tomber, et ce voile noir jeté tout autour de la place, entr'autres sur les deux colonnades. Au bout des Champs-Elysées, derrière les Champs-Elysées, le soleil couchant dans un cercle de feu, sur un bûcher embrasé, comme pour braver au moment de s'étendre, la nuit et l'orage. Et la moitié supérieure de l'obélisque brillante, rouge des derniers rayons du soleil, un jet de flammes suspendu au milieu des ténèbres, et les hiéroglyphes visibles et inintelligibles, comme des caractères cabalistiques. Effet étrange et grand qui ne se reproduira peut-être jamais. Je regrette que nous ne l’ayions pas vu ensemble. Je vous ai désirée au moment où il a frappé mes yeux. J’ai passé ma matinée à la Chambre, le seul lieu de Paris où il n’y ait point d'orage. Tout le monde repart de la session comme finie. Ministres et députés ont l’air de s'entendre pour ne rien faire et ne rien dire. Le Cabinet a perdu ce qu'il n’avait pas. Le Maréchal a été la risée de la Chambre des Pairs à propos des fonds secrets. M. Villemain y a été battu avec gloire à propos de la légion d’honneur. Le Ministre de la guerre ne se bat nulle part. M. Duchâtel est ce qu’il était. M. Dufaure ne devient rien, M. Passy paraît le plus sérieux ; c’est lui qui cause de l’Europe dans les couloirs. Tout va cependant, et tout ira cla se, comme le monde. Convenez qu'il est plaisant d'entendre un Russe dire dédaigneusement que " tout cela finira par un bon petit despotisme, le seul gouvernement possible avec les Français. " Du fait, ce ne sont là que les petits moments d'une grande histoire. Et il y a beaucoup de petit dans le plus grand. Le petit s’en va & le grand seul demeure. Nous ne supporterions pas la lecture du passé s’il nous était arrivé chargé de tout son bagage. L'Assemblée constituante, l'Empire, la Charte, la Révolution de 1830, c’est un manteau assez large pour couvrir bien des misères.
On me dit que M. Molé s’est beaucoup remué contre le Cabinet dans l'affaire de la Légion d’honneur tandis que M. de Montalivet se faisait très ministériel. Aussi ils se renient l’un l’autre. M. Molé part pour Plombières dans les premiers jours de Juillet. La fantaisie lui reprend d'entrer à l'Académie française. Ce qu’il y a de singulier, c’est qu'elle lui reprend sans qu’il y ait en ce moment aucune vacance. On m'en fait parler par avance. Est-ce bien de l'Académie française qu’on veut me parler ?

Mercredi 1 heure
J’ai eu du monde depuis que je suis levé. Je vais à la Chambre. C’est aujourd'hui mon mauvais jour. Je n’ai pas de lettre. Adieu. Adieu. Je viens de revoir la mine de M. Saint. Rendez-la moi. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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198 Baden dimanche 16 juin 1839 8 h. du matin.

J’ai été relire votre lettre hier soir auprès du vieux château, sur cette belle montagne au milieu de ruines, de rochers et de magnifiques sapin. C’est ma promenade favorite. Il devrait y avoir tant de calme là pour moi, et cependant je n’en éprouve point. En rentrant pour me coucher, j’ai trouvé Mad. Nesselrode qui m’attendait chez moi après y être déjà venue deux fois. Elle m'a fait veiller, mais j’ai été aise de la revoir et de la retrouver bonne. Nous avons causé de tout, hors de moi, cela viendra plus tard. Elle passe ici deux mois il puis elle ira au Havre. J'en suis bien aise. Son arrivée va me faire une petite ressource ; le grand Duc a dû quitter Darmstadt hier. La jeune Princesse est très maladive, cela ne nous va pas. Aussi je crois qu'on ne décidera rien encore. Elle n’a pas quinze ans. Dans ce moment même est malade, et elle ne paraissait qu'une heure dans la journée. Le grand Duc sera à Pétersbourg dans quinze jours.

Lundi le 17 à 8 heures
Votre N°195 m’est parvenu hier. Votre retour en ville étant encore. retardé je ne doute pas que vous ne soyez resté quelques jours sans lettre. J’ai adressé selon vos ordres, mais vos mouvements ont changé depuis. Vous ne me dites pas si malgré l'absence du Duc de Broglie. C’est chez lui que vous allez descendre j’y adresse ma lettre puisque vous m'avez dit de le faire dans une de vos lettres. J'ai suspendu le lait d'ânesse J’ai recommencé les bains. J’ai été voir Mad. de Nesselrode hier matin. Et puis à l’église à 2 h. ma promenade avec Mad. de Talleyrand à 6 heures avec ma petite Ellice nièce de notre Ellice, qui veut bien rem placer Marie pendant quelques jours. à 9 heures dans mon lit et à deux heures du matin encore éveillée.
J'ai eu un vilain accès de nerfs qui m’a pris au moment de me coucher. Décidément je ne me porte pas bien. Si vous êtes ici ; il me semble que j'y serais à merveille. Mais sans vous, et sur le, cela n'ira pas. Ah rien ne va. Vos affaires me semblent être very flat. J’attends la discussion sur l'Orient, c.a.d. votre discours avec une grande impatience. Savez-vous ce que j’attends surtout ? l’époque de quitter Baden ; j'y suis trop triste, trop seule. Ah l'horreur que la solitude au milieu de l’affliction.

11 heures
Je viens de voir Mad. de Nesselrode. Pour la première fois j’ai parlé de moi. Même de mes affaires du moment. Vous en sauriez concevoir son étonnement lorsqu’elle apprit que mes fils en n’avaient fait aucune proposition. Le dire de Péterstourg était qu’ils m'avaient cédé le capital en Angleterre. En général elle me dit que bien que la loi prescrive ce qui revient à une veuve, il n’y a pas d’exemple en Russie que cette loi soit suivie. Les fils cèdent à leur mère à peu près tout ; l’opinion la gouverne beaucoup plus que la loi, et enfin elle ne peut pas croire que Paul se soustraie à cette opinion. Elle a été fort bien sur ce chapitre, et m’a laissé l’intime conviction qu’il faudra bien que mes fils se conduisent bien pour moi. Nous allons voir. Dans tous les cas mes affaires sont en bonnes mains. Le dernier procédé l’a renversée d’étonnement. Elle ne peut pas le croire enfin tout ce qu’elle me dit me promet que l’atmosphère de Pétersbourg doit agir sur l’esprit de Paul, car c’est les antipodes de toute sa conduite envers moi. Ah mon Dieu si on y savait tout, quel étonnement cela causerait ! Je n’ai parlé à Mad. de Nesselrode que d'une manière très réservée, elle ne sait pas l'essentiel. Je répugne trop à le dire. Adieu. Adieu.
Mad. de Talleyrand veut que je vous parle d'elle, Dites-moi un mot sur un compte bon à lui être montré. Elle est de nouveau un très bon train pour moi, et pour faire du bien auprès de Mad. de Nesselrode Adieu encore bien tendrement.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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199. Paris, jeudi 20 Juin 1839, Midi.

Pas une lettre ne m'a manqué et ne m'est arrivée deux heures plus tard. J’avais pris mes précautions. Mais adressez-les moi désormais rue de la Ville l'évêque.
Le Duc de Broglie arrive dimanche pour siéger lundi au procès. Il ne passera pas plus de quinze jours à Paris, et les passera probablement, comme moi en garçon ; car il revient tout à fait seul. Nous dinerons souvent ensemble, mais je resterai chez moi. J’y vois beaucoup de monde le matin beaucoup trop pour mon plaisir. Je n’ai pas les ennuis de la solitude. Je ne voudrais pourtant pas vous passer mon monde ; il ne vous désennuierait pas. Je sors à 1 heure, pour quelques visites et pour la chambre. Je rentre avant 6 heures. Je vais dîner en ville ou au café de Paris. Je fais le tour des Tuileries. Je dis adieu à la Terrasse; et je suis chez moi avant 9 heures pour lire, écrire et me coucher. Sauf les forêts et les montagnes, et sauf vous pour qui je donnerais toutes les montagnes et toutes les forêts du monde, cette vie ressemble un peu à la vôtre. J’en ai jusque vers la fin de juillet, du 20 au 25. La Chambre est endormie et pressée, partagée entre la précipitation et l’apathie. J’espère pourtant la réveiller et la ralentir un peu sur l'Orient. Le rapport se fait attendre. M. Jouffroy est malade. M. de Castillon sort de chez moi, bien content. Il partira pour Pétersbourg dans quinze jours. Il aurait pu partir hier et le marquis de Dalmatie me l’avait dit à la Chambre. Mais par un arrangement intérieur du département, on a mieux aimé, et il a mieux aimé lui-même ne partir que dans quinze jours. L’envoi des courriers est fréquent. Nous sommes contents des dépêches qui nous viennent de chez vous. Vous avez trouvé que nous nous étions bien pressés de demander des millions, que cela avait un peu trop ému l’Europe. Mais au fond, vous savez que nous serons raisonnables, et vous le serez vous-mêmes. L’Autriche l’est beaucoup, la Prusse beaucoup. L'Angleterre est fort contente de nous. L'hérédité du Pacha en Egypte est à peu près convenue entre quatre. Mais il lui faut l'hérédité de la Syrie, ou d'une portion de la Syrie. Sur cela, on négociera et on enverra à Constantinople des négociations conclues. Voulez-vous que j'aille à Constantinople ? J'ai lieu de croire que d'autres que vous m’y verraient avec plaisir. Passons en Occident. Ce pauvre Zéa doit être désolé. Les Cortès espagnoles dissoutes et le baron de Meer destitué du gouvernement de la Catalogne. C'est le renversement de sa politique et de toutes ses espérances. J’ai tort de dire toutes. Il retrouvera de l’espérance, car il a de la foi.

5 heures et demie
Je suis bien aise que vous ayez Madame de Nesselrode et qu’elle soit bonne. Quiconque a de l’esprit devrait être bon, et toujours bon. La méchanceté, pour dire le plus gros mot, même quand elle réussit ne donne que des plaisirs tristes comme sont tous les plaisirs solitaires. Ce serait une chose charmante que de se promener dans ce beau pays dont vous me parlez avec Madame de Talleyrand et vous. Puisque je n’y suis pas, parlez-lui de moi, je vous prie. J’ai cru quelques fois que pour n'être pas oublié d'elle, j’avais besoin que quelqu'un prit soin de l'en empêcher. Mauvaise condition, qu'il ne faut jamais accepter, n’est-ce pas ? Mais il me semble que son bon souvenir m'est revenu, et j'en jouis beaucoup. J'en jouirai encore mieux si vous voulez bien veiller à ce qu’il me reste.
Toute idée de voyage du Roi me parait abandonnée. Il ne faut pas aller au devant des velléités d'assassinat qui succèdent presque toujours aux tentatives d’insurrection. Mais Mgr le duc d'Orléans pourra bien aller à Bordeaux ; de la à Bayonne au devant de Mgr, le Duc de Nemours qui viendra y débarquer après avoir visite le Tage et Lisbonne ; de là le long des Pyrénées où nous avons des troupes ; de là à Alger pour voit l’armée d'Afrique. J’ai vu hier Montrond qui a envie d'aller à Baden. Je l’y ai fort encouragé. Mais il voudrait aller auparavant aux eaux d'Aix, puis à Florence, puis à Palerme. C'est beaucoup pour un été. Vendredi 11 heures.
Voilà Montrond qui sort encore de chez moi. C'est beaucoup. Adieu. Quelques uns me parlent. & d'autres m'attendent. J’aimerais bien mieux être à Baden. Adieu Adieu. G.
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