Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


Votre recherche dans le corpus : 265 résultats dans 4349 notices du site.
Collection : 1840 (octobre)- 1847 (septembre) : Guizot au pouvoir, le ministère des Affaires étrangères (La correspondance croisée entre François Guizot et Dorothée de Lieven : 1836-1856)

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00003.jpg
1. Beauséjour Samedi 11 heures. 12 août 1843,

Vous êtes encore à Auteuil peut être et déjà il me semble que le monde entier est placé entre vous et moi, que l’éternité commence. Je me trouve bien lâche de vous avoir laissé partir. Dites-moi, répétez-moi, jurez moi que je vous reverrai bien portant le 26 ? Je n’aurai pas un instant de tranquillité jusque là. J’attends et j’espère Génie. J'ai oublié de vous dire que Lord Howden est arrivé hier matin de Londres, & qu’il est réparti hier au soir pour l'Espagne. On disait Barcelone, et un simple voyage de curiosité. Mais il ne fera autre chose.
Midi. Voilà Génie venu et reparti. Nous avons causé de tout. Et surtout de votre voyage car je l'ai sur le cœur bien lourdement. Votre mère lui a dit ce matin, qu'elle resterait 15 jours plus au Val Richer. et puis 3 jours à Tréport et puis Auteuil vers le 1er Septembre. J’ai affirmé que c’était impossible. Génie me trouve innocente. Tout ce voyage comme affaire est parfaitement inutile. Les bois cela pouvait être fait par tout autre. Raisonnablement comment et pourquoi aller à 80 ans se trimbaler, s'exposer à être malade. Vos enfants toujours malades en voiture. Vous aurez mille tracas. C’était une pure fantaisie de votre mère à laquelle vous n'avez pas su résister. Ici, comme affaires tout le monde s’étonne et trouve le moment singulièrement choisi. Vous même il y a quinze jours. encore vous n'y croyiez pas, parce que vraiment cela n’est pas sensé. Enfin Génie a été très abondant et éloquent sur cette matière, et encore une fois il est surpris de ce que je sois encore à apprendre que pour peu que votre mère ait une fantaisie, vous ne trouvez d’autre ressource que de vous y soumettre. Et bien tout cela m’attriste beaucoup, beaucoup. Je me figure mille choses de plus maintenant. Pourquoi avez-vous été si faible ? S’il lui arrive quelque chose, sera-ce une grande consolation pour vous de savoir que vous avez fait sa volonté quand cette volonté n’est pas raisonnable. Et Génie persiste à dire que de toutes les façons cela n’est pas raisonnable. Mon Dieu, mon dieu, revenez. Mais vous ne reviendrez pas, maintenant je vois bien que vous ne jugerez aucune question assez importante pour revenir. Mais le 26 vous me l'avez juré. Adieu. Adieu. Je ne vous écrirai que de tristes lettres. Je suis très très triste beaucoup plus triste encore qu’il y a une heure. Adieu. Adieu. Ne trouvez- vous pas que je suis quelque chose, aussi ? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00009.jpg
2. Beauséjour Samedi 2 heures le 12 août 1843

Je reviens de ville, où je n’ai vu que Durroy & M. Galand, ce n'est donc pas des nouvelles que j’ai à vous conter mais je veux ajouter à ma lettre de ce matin que j’ai remise à Paris, parce que je crains qu’elle ne vous fâche. Je regrette votre départ, je trouve d’après tout ce que m’a dit Génie que cela n’est vraiment, pas raisonnable, que vous avez été faible, mais je ne vous reproche rien, et je veux avoir foi à votre promesse de 26 en dépit de ce qu'a dit votre mère. Répétez-moi le 26 dans chaque lettre. Vous tenez tant à avoir son respect pour votre parole, & vous me l'avez engagée. Et puis dites-moi, répétez-moi qu’il ne vous arrivera rien. Point d'accident, point de maladie. La semaine prochaine sera abominable et si longue, si longue ! Mais la suivante quel plaisir de me dire la commençant que je la finirai bien si bien auprès de toi dans mon petit salon. Que nous serons contents ! En attendant je me ferai tous les dragons du monde, et pour commencer il me semble que cette nuit, on viendra vous attaquer dans votre lit. Fermez-vous votre porte ? Comment ai-je pu oublier de vous demander cela ? Je relis, je trouve une familiarité extraordinaire sur cette page. C’est égal je n’effacerai pas. La P. Belontelly sort d'ici. Décidément elle croit que Mad. de Nesselrode va venir : si elle vient, je suis d’avis que vous ne soyez pas aussi poli que la dernière fois. Au fond Génie ne m'a dit sur la visite qui vous est venue ce matin que la circonstance qu'on n'appelle plus Bourges ni roi ni reine. Ce n'est pas grand choses. Le faisait-on avant ? Je ne me sens pas bien, je voudrais me distraire. J'ai froid aux jambes. Sur les nerfs. Ils iront mal jusqu'au 26. Voici une petite lettre d'Emilie reçue à l'instant. Je crois que c'est le prétexte pour vous écrire deux lettres. Mais la vraie raison est que je voudrais en écrire et en recevoir toutes les heures. Adieu une fois, mille fois. Le 26. Le 26 et avant s'il plait à Dieu de nous envoyer une révolution, et à Lopeze vous demander un ambassadeur. N'allez pas m'escamoter cela. Adieu. Je vous enverrai Emilie demain au fond je ne l'ai pas encore lue.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00013.jpg
3. Beauséjour dimanche 9 1/2 le 13 août 1843

J’ai eu hier une visite très longue de M. de Barante. Pendant une heure j’ai été pleine de vivacité. Cela allait très bien. Et puis cela a langui et puis cela n’allait plus de tout. Il faut plus que Barante pour m’intéresser et m’occuper au delà d'une heure. Il n'a rien encore d'André il attend. M. Molé lui écrit de ? tristement, mécontent de sa santé et de tout. Il sera ici sous peu de jours. Barante est convaincu que Salvandy prendra Turin avec joie quoiqu'il continue à dire qu'il ne peut accepter que Madrid. J'ai vu le prince de Dolgoronky, il ne croit pas au voyage du Gal Oudinot. Il avait vu avant hier le Gal Pajol qu'il a interrogé à propos de ce que disent les journaux. Pajol s'est mis à rire. Oudinot est allé à Ems trouver sa fille malade. De là à Vienne. Il n’y a pas un mot de vrai au voyage à Pétersbourg. Dalgorondy de son côté dit que tel qu’il connait Oudinot c'est impossible nous verrons très incessamment. Appony chez qui j’ai dîné, m’a dit que le prince Metternich avait fait beaucoup de vœux pour Espartero et que sa chute lui causerait certainement beaucoup de peine. Voilà probablement le sentiment dans les cours d’Allemagne. Et je crois que cela se traduit par le chagrin du triomphe de la France. Je vous ai assez parlé des autres. à nous maintenant. Je ne me console pas, je ne me pardonne pas de vous avoir laissé partir. Il y a plus dans ce regret qu’il n’y avait autre fois. Cela me fait frissonner. Mon cœur me remonte à la gorge, j’étouffe et je pleure. Est-ce que je vous aime plus que je ne vous aimais ; est-ce pressentiment ? Nous verrons cela le 26. Il y a treize jours jusque là ; demain il n'y en aura plus que 12. Soyez bien assuré que je ne pense qu’à cela, et que cela ne me fera pas engraisser. J'ai revu mon salon hier pendant une demi-heure avant mon coucher. Je n’ai pas pu rester en place. J’ai joué du piano tristement, beaucoup de ? J’ai assez bon dormi. Avez-vous dormi ? pas de brigands ? Avez-vous pensé à moi, au chagrin que vous me donnez. Adieu. Je porte ceci en ville. Le dimanche on ne sait rien faire parler d'ici. J'irai à l’église. Vous savez pourquoi j’y vais à 4 heures je m'embarque avec Pogenpohl pour Versailles. Trouverai-je votre lettre à Paris ? Adieu. Adieu, tous les jours une lettre n’est-ce pas. Et dans chacune après l’adieu répétez le 26. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00022.jpg
4. Beauséjour lundi 11 heures
Le 14 août 1843
J’ai trouvé en ville hier votre petit mot d'Evreux. Cela m’a raffermi le coeur. J’ai été à l’église. J’ai prié avec ferveur. M. Cuvier nous a fait un bon sermon, simple, très bien.
En rentrant ici j’ai trouvé Bulwer qui m’attendait. Il part ce soir pour Dieppe d'où il veut revenir à la fin de la semaine pour se mettre à ma disposition. Je n’y crois pas du tout. Acton explique longuement qu'Espartero, avait eu raison dans son place de campagne, le bombardement de Séville était même très habile et très juste. Malheureusement Serano qui devait battre, a été battu. Petite différence qui a tout dérangé. Grande désunion parmi les chefs vainqueurs. Grande vraisemblance et même imminence de troubles à Madrid une réaction. Le parti français grossissant. Grande crainte que l'Espagne toute entière ne demande le duc d’Aumale. Voilà Acton, Bulwer a l’esprit préoccupé du duc d'Aumale aussi, et me demande beaucoup ce que j'en crois. Qu’est-ce que je puis croire ? Je ne crois rien, mais je m’amuse des inquiétudes anglaises, c’est ce que je lui ai dit. En ajoutant qu’ils étaient singulièrement crédules. Après, Bulwer j’ai vu Kisselef. Il n’a pas eu un mot par le dernier bateau, il ne savait donc rien et avait tout à apprendre. Grande éloge des discours du duc de Nemours vanté même par les légitimistes au Club.
A quatre heures je suis partie pour Versailles avec Pogenpohl. Jolie course, air excellent qui m’a donné des forces J'ai marché beaucoup sur la terrasse avent dîner, après dîner à huit heures je suis repartie, j’ai descendu à pied la montagne à St Cloud et j'étais rentrée à 9 1/2 et dans mon lit avant 10 heures. Voilà bien exactement hier. Aujourd’hui je vais en ville je passerai à la porte de Génie. Je dinerai chez les Cowley. Demain je compte m’établir à Versailles, mais je vais encore apprendre si la pieuse comtesse y vient décidément ; si elle ne venait pas j’irai à St Germain que je vois plus gai. Certainement je ne resterai pas ici j'y suis trop triste. Avant hier Appony, hier Bulwer ont fort exalté votre mérite. Grands, grands éloges. Voici du bien beau temps ; mais mon jardin me déplait. Je vous envoie la lettre d’Emilie. Il est clair qu’elle n’a pas grande envie de ce mariage. Je pense beaucoup à tout ce qui se prépare en Espagne, hors d’Espagne. Je crois beaucoup à une ligue européenne contre le mariage possible avec la branche d’Orléans. Je crois surtout que vous seriez mieux à Paris dans un moment pareil qu'au Val-Richer. Que de retard ; & que d'occasions où un jour de retard porte un dommage difficile à réparer. Je ne puis m’empêcher de répéter avec beaucoup d’autres que vous vous en allez tout juste au moment où vos embarras et votre action commencent, c’est singulier ! Je me sers du mot le plus poli. J’en ai de bien gros au bout des lèvres. Adieu. Adieu pourtant. Adieu. Le 26 et peut être avant. Pensez un peu si avant ne deviendrait pas nécessaire ? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00026.jpg
5. Beauséjour lundi 2 h 1/2
le 14 août 1843

J'ai trouvé en ville votre petit mot d'Evreux. Le timbre de l'enveloppe portait Lisieux. Vous êtes donc arrivé sans accident. Dieu merci ! J’ai eu ma petite entrevue en ville. Je suis bien contrariée de ce qu'il m’a dit. Vous le serez un peu. Peut-être trouverez-vous que votre présence ici eut mieux valu dans ce moment. Prenez garde, un faux pas peut mener loin. Je voudrais bien vous parler. Je vous disais ce matin quelque chose qui trouve assez son application. Ceci est un moment des plus importants pour vous et pour la question. Je n’aime pas votre absence. Ce n’est pas à moi du tout que je pense en vous disant cela. C’est vrai ce que je vous dis là. Voici une lettre de mon frère que vous me renverrez.
Adieu. Adieu. J’ai voulu encore ajouter ce petit mot. Les numéros sont utiles pour cela. Adieu, le 26, j'ai bien envie de ne plus y croire mais dans le bon sens. C'est-à-dire qu'il est indispensable que vous reveniez avant. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00032.jpg
6. Beauséjour Mardi le 15 août 1843 à 10 heures

J'ai dîné hier chez Cowley. L'humeur n’était pas trop bonne, on demandait ironiquement à Bulwer si les voitures de voyage de la Reine Christine étaient dans sa cour, d’un autre côté on espérait que le régent n'irait pas en Angleterre. Bulwer part ce soir pour Dieppe et va décidément passer deux jours à Londres. Il sera de retour ici le 24.
Plus je pense à l’affaire d’Espagne plus je vois noir. Si l’on entre une fois dans la voie des paroles aigres cela ira bien mal. Il est très évident que l'Angleterre se trouvera dans la question du mariage à la tête de tout le reste de l'Europe. C'est là ce qui va lui donner et lui donne peut être déjà courage. Or, Aberdeen sait être brutal quand il n’a pas peur. Il faudrait lui ôter l'occasion. Que je voudrais vous parler !
La pieuse contesse est ven hier me dire son dernier mot. Je la précède aujourd’hui à Versailles. Elle veut aller demain coucher à St Germain. Je ne demande pas mieux. Je lis dans le journal de Pétersbourg que le bateau qui avait touché Copenhagen était arrivé à Cronstadt le 29 juillet. La lettre de d’André était du 31. Vraiment St Priest se sera trompé. Mais nous allons voir cela bientôt. Bulwer vient de m’interrompre. J'ai écouté, et j’ai parlé ! L'Angleterre prescrit à Acton la reconnaissance du Gouvernement à Madrid. Aberdeen est dans les idées les plus douces. J’ai accepté, et puis j’ai dit qu’il me revenait de tous côtés des inquètudes sur le mariage que les grandes puissances allaient se mettre en campaqne sur cela qu’il fallait faire bien attention à une chose. C’est que la seule, l'unique chance peut-être pour que le duc d’Aumale fut roi serait le cas où les puissances s'aviseraient de l’exclure d'avance. Cette parole prononcée d'une manière tant soit peu officielle serait comme un défi, et personne en France ne supporterait cela tandis que si on laisse les choses aller d’elles mêmes ; si on ne gâte pas en tripotant et en se méfiant, il est bien sûr que cela ne se fera jamais. Je vous dis en gros ce que j’ai donné comme mon opinion mais cela est entré pour rester dans la tête de Bulwer. Il va à Londres. A propos l'Ambassade anglaise croit savoir que Sébastiani va à Londres en mission. Bulwer ne m'en paraît pas fâché car il sait qu’il est bienveillant. Je remets ceci à Génie que je vais chercher. J’aurai, j'espère une bonne lettre aujourd’hui. Adieu. Adieu. Mille fois, parlez-moi du 26 ou de quelque chose avant. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00036.jpg
7. Paris Mardi, 1 heure le 15 août 1843

Je trouve ici votre bonne lettre 3. et l’incluse, excellente. Si je l'avais reçue à Beauséjour il y a une heure. Je n’aurais peut-être pas résisté à la tentation de la montrer, tellement elle est bonne, et to the point. Mais c’est trop tard. Où rattraper man chevalier errant ?

A 3 heures Beauséjour, je l'ai reçu c'est-à-dire que je l'ai fait venir. La préface a été bonne et courte. " Je vous crois un gentleman, je vous crois de l’amitié pour moi, jamais vous ne direz. Voici une occasion unique de porter la conviction dans votre esprit, et de faire par là du bien dans un moment important. Je ne veux pas balancer. "
L’étonnement et le contentement étaient visibles. Je crois, je suis sûre que j'ai bien fait. Il y a des occasions où le noir sur blanc, fait une impression bien autre que la parole. C'était comme mon K. il y a quelques semaines. Je vous renvoie, ce sera remis dans les mains de Génie. Il ne se doute pas comme de raison. Je l’ai vu ce matin, nous sommes convenus qu’Etienne ira tous les matins à onze heures prendre ses ordres c. à. d. ma lettre et qu'il viendra me l’apporter et reprendre ma réponse, demain à Versailles, après demain à St Germain. Adieu. Adieu. Je vais partir. Dites moi que vous recevez exactement mes N° celui-ci surtout. Adieu. Que j'aime votre N°3 !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00041.jpg
8. Versailles Mercredi onze heures
Le 16 août 1843

J’ai quitté Beauséjour à 4 heures. Je suis venue dîner seule ici, à 8 la jeune contesse est arrivée. Elle ne m’a pas ennuyée. Mais voici de son côté. Elle me dit tout à coup - Il doit être bien tard chère Princesse. - Quelle heure pensez-vous qu'il soit ? Près de onze heures. Il était huit heures 3/4. Vraiment j’ai peur qu’elle ne supporte pas longtemps le tête-à-tête.
Je me suis couchée à 10 h. J'ai très bien dormi. A 8 h, j'étais sur la Terrasse. Il faisait frais et beau. J’ai déjeuné, j’ai fait une toilette et me voici. La jeune comtesse est allée se promener dans les galeries, déjeuner chez Mad. de la Tour du Pin. J’y étais conviée aussi, mais je reste. Je vous écris et j’attends votre lettre.
Bulwer parle très sérieusement. Au fond il trouve le Cadiz ce qu’il y a de mieux et de plus pratique surtout. Le fils de Don Carlos impossible. Naples peu vraisemblable comme disposition espagnole. Dieu garde dit-il que qui que ce soit mette en avant un prince étranger quel qu'il soit. Car aussitôt la France serait forcée de lui opposer un Prince d’Orléans. Il ne faut pas à tout prix que la lutte de candidats s'engage. Il ne faut se mêler de rien. Il dit cependant que l'Angleterre doit agir pour empêcher que les Cortès ne nomment le duc d’Aumale, car malgré la résolution du Roi le cas pourrait devenir embarrassant. Si l'Angleterre veut en finir, je crois bien qu’elle arriverait au résultat contraire, mais enfin ce n’est que le dire de Bulwer. Il a beaucoup répété que son gouvernement était dans les meilleures dispositions d’entente avec la France. Il a insisté sur le bon effet qu’aurait la présence de Sébastiani, fort respecté à Londres. Cependant ne sera-t-il pas un peu trop Whig pour les gouvernements actuels ?
Tout ce que vous me dites dans votre N°3 me plaît. Vous avez pris si doucement mes reproches. De la manière dont vous me répondez, je trouve bon toutes vos faiblesses. Mais voici ce que je ne pourrais jamais trouver bon c’est que je fusse renvoyée au delà du 26. Vous pouvez être faible pour votre mère, mais vous ne serez pas injuste et dur pour moi. Je reste donc ferme dans ma foi pour le 26.
Midi et demie. Voici le N°4. Je comprends fort bien la première page, car Génie m’avait confié ce qui était venu de Londres. J’espère que vous aurez consenti à rétrancher le petit mot déplaisant. Il ne faut pas que vous ayez à vous reprocher un seul fait ou geste qui empêche de s’entrendre. Mais quel dommage que vous ne soyez pas ici. Je le répète : un jour de retard dans des affaires comme celle-ci c’est beaucoup risquer et vous dites mieux que moi. Je vous copie. " tout cela a besoin d'être conduit avec un grande précision et heure par heure." Et vous êtes à 46 lieues ! Mais au moins vous reconnaissez l’inconvénient, tout le monde le pensait, et moi aussi, par dessus toutes les autres choses. Revenez, revenez. Ceci est votre grand moment vous n'avez rien eu de si grave, de si important, et de si directement posé sur vos épaules depuis 3 ans bientôt que vous êtes ministre. Et c’est là le moment que vous avez choisi pour vos vacances. Pardonnez-moi si je reviens. Mais vraiment je voudrais impress upon your mind combien cela est sérieux pour vous. Je comprends toutes vos jouissances au Val-Richer, & j’essaie même de n'être pas jalouse ; mais je suis désolée de ce que votre sommeil soit toujours troublé. Enfin votre mère en vous voyant comme cela accablé de travail, vous laisserait bien partir, car elle reconnaîtrait que la politique est sa vraie rivale Adieu. Adieu.
Je renvoie Etienne avec ceci. Je regrette que mon N°7 soit arrivé à Génie trop tard pour vous être envoyé par la poste. Je l’avais donné à [?], à 4 pour le poster de suite. Il ne s’est présenté qu’après 6. Nouveau grief. Par dessus la glace & & Adieu. Adieu. Aujourd’hui variante avant le 26. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00052.jpg
9. St Germain midi le 17 août 1843

Par quatre ou cinq raisons, matelas élastique, gens d’écurie couchant au dessous de ma chambre. Victoire toussant la nuit & &, je n’ai pas dormi du tout, et pour comble d'infortune ayant été obligée de me lever pour fermer ma porte et ne m’étant pas couverte j’ai repris un point de côté comme j'en ai quelque fois en hiver, et il m’a fallu recourir à une sueur abondante pour m'en débarrasser. Je me suis donc levé tard, en mauvais état, en mauvaise humeur, & voilà l’heureux début de St Germain !
C’est parfaitement bête, car le lieu est ravissant, l’air et le temps aussi. Mais au lieu de mes conforts auxquels Je tiens beaucoup je suis dans une méchante auberge. C’est honteux pour Henri IV. J’attends encore votre lettre. Il parait que St Germain est plus loin que Versailles. Les journaux même n'y sont pas venus encore. Nous sommes arrivés ici hier à 4 heures à 6 Kisseleff et Pogenpohl sont venus dîner avec nous. Dolgorouky qui devait venir partait le même jour. Kisselef a quelque chose à vous montrer sur la Grèce , je crois que c’est de Londres qu'il l’a reçu. Il dit beaucoup que cela va bien mal en Grèce. Il dit aussi qu’on craint que Piscatory n’ait des penchants trop constitutionnel pour l’êtat du pays. Du reste il ne savait rien.
2 heure & demi. Voilà Etienne et une charmante lettre, car je vous reverrai plutôt, ma joie est grande autant que j'ai la force d’en avoir aujourd’hui. Génie m’explique que vous devez avoir reçu le courier qui vous manquait. Mais quel ennui et que je vous plains, car si votre lettre m’avait manqué je sais bien que je n’aurais plus le sens commun. Au reste comme tout vous manquait à la fois vous ne vous, serez pas inquiété pour moi. Je désire bien appendre que vous avez retranché, the objectionable word de ce que vous aviez envoyé à Londres mandez-le moi. Adieu, il faut renvoyer Etienne pour que ma lettre ne manque pas le courrier. Adieu. Adieu.
Vous me dites que vous me reverrez cinq jours plutôt après m’avoir dit que vous quitterez le Val Richer le 21 ou 22, mais vous ne pouvez donc arriver que le 23, cela ne fait que trois jours de gagne. N’ai-je pas bonne grâce de vous quereller encore ? Adieu. Adieu. Adieu. Je serai à Beauséjour Mercredi prochain en même temps que vous. Mais dites-moi encore plus exactement votre retour. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00060.jpg
10. St Germain Vendredi le 18 août 1843 à midi

J’ai eu une bonne et longue nuit. J’étais à 1 heure du matin sur la Terrasse. Je rentre d'une promenade en calèche dans le bois, et me voilà attendant Etienne. Le temps est d’une beauté incomparable. C'est vraiment de l'été. Je n’ai vu personne, absolument personne hier. La jeune comtesse a fait des visites et rapporté des nouvelles. La grande Duchesse Marie de Lunchtemberg accouchée d’un fils (on se sera querellé pour savoir s'il sera grec ou Catholique), la réponse du Roi de Danemark était venue à Pétersbourg. Il consent au mariage aux trois conditions suivantes : les enfants protestants. Résidants à Copenhagen, et le Prince ne pouvant pas entrer au service de Russie. Tout cela est juste. Voici votre lettre, vous persistez dans la bonne voie. C’est dit, et j’y compte, et je suis heureuse d’y compter. Je ne vois pas clair encore entre Mardi et Mercredi. Moi je suis prise ici jusqu’à Mercredi matin ; il m’est impossible de manquer de parole à la jeune comtesse, elle ne peut pas rentrer en ville, son appartement est bouleversé et ne sera prêt que pour ce jour-là. Je tiens à ne pas manquer aux convenances et vous trouverez que j’ai raison. Toute bonne personne qu’elle est elle se trouverait maltraitée, et le dirait, et aurait droit de le dire. Je n’ai pas besoin d’ajouter qu'il m'en coute beaucoup de perdre même quelques heures ! Si je les perds mon Empereur avait bien besoin encore de se mettre cette affaires des Arméniens sur les bras ! Au reste je ne connais pas ses droits, il en a peut-être. Adieu. Adieu, vous voyez bien que je n’ai pas un mot de nouvelle à vous dire. God bless you dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00063.jpg
11. St Germain, vendredi 3 heures.
Le 18 août 1843

J’ai répondu trop courtement tout à l'heure à votre lettre. J’étais pressée de renvoyer Etienne. Je suis très frappée de ce que vous me dites sur Metternich et Naples. Il faut lui enlever cette clientelle, ou plutôt ce client. Faire reconnaître par Naples. Je crois moi, en tout, que vous menerez bien cette affaire là. Elle est grande vous vous y ferez hommes. Mais il faut la surveiller et la suivre de très près.
Samedi Midi le 19 août. Je fus interrompue hier par l'arrivée des [Delosdeky], de Rodolple Appony. Ils sont restés jusque près de l'heure du dîner. Le mari va aujourd’hui à Dunckerque où il s'embarque, & la femme au Havre où elle reste. Elle a eu une lettre de mon frère par laquelle il est évident, qu'il voudrait que sa femme passât l'hiver à Paris pour se débarrasser d’elle, & il garderait Sophie. The better half, et nous aurons the worse. Nous avons eu à dîner le prince Kourakine et M. Balabine. Vous ne vous attendez pas que cela me fournisse quoi que ce soit à vous dire. Voici huit jours depuis votre départ. Et bien le temps a passé. il passe sur l'ennui comme sur la joie. Mais Dieu merci il n’y a plus que trois jour. Que vous aimeriez St Germain ! C’est charmant et un air si pur si bon. Une heure. Votre lettre m’arrive. Je suis enchantée que vous ayez renvoyé à Londres, avec le changement. Décidément c’est avec Londres qu'il faut s’arranger, et vous y parviendrez. Comment Espertaro serait vraiment en France ? C’est certainement original. Depuis votre lettre qui fixe Mardi pour votre retour je médite sur les moyens de m'échapper. Si je le puis convenablement vous savez bien que je le ferai, mais si cela devait offenser ou chagriner cette bonne jeune comtesse, je ne pourrais pas. Vous ne sauriez croire toutes les attentions qu’elle a pour moi. Adieu. Adieu. Il me semble donc que je ne vous lirerai plus que demain. Je mens, je vous écrirai, toujours puisque Genie saura bien où vous trouver. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00071.jpg
12. St Germain dimanche midi
Le 20 août 1843

Hier un gros orage, point de visites de Paris. J’ai été voir madame [Svétehein] qui a une maison à St Germain. Elle est trop pédante, cela ne me va pas. Je crois l’avoir déroutée un peu, car pour le plaisir du contraste je suis plus que jamais restée simple. Cependant à tout prendre nous ne nous sommes pas ennuyée. Madame de Nesselrode ne vient pas. C'était un conte. Savez-vous qui ne m’ennuie pas et ne m’ennuiera jamais ? C'est la jeune comtesse. Sa bonté sur [?] tellement qu'on se sent le cœur tout réjoui avec elle, et mon esprit, je l'oublie.
Le N°8 m'arrive dans cet instant ; c'est donc à mercredi, pas plus tard je vous en prie. Je suis frappée de ce que vous me dites que les Espagnols pourraient vouloir un grand mari. Dans ce cas là, et s'il n’y avait pas d’autre alternative, il faudra bien que vous soyez le grand mari, better you would or not.
Nous attendrons Kisseleff à dîner aujourd’hui. L'air est fort rafraîchi mais il fait beau. Je griffonne mais la jeune comtesse entre et sort. Je ne sais pas ce que j'écris. Qu’est-ce que cette nouvelle aventure avec l'Angleterre ? Un français tué. On va vous donnez encore bien de l'ennui. Albert Esterhazy arrive après demain. Cela fait de grandes joies et de grands chagrins, car au fond les parents en pleurent. Toute la famille Kotchouby mère & tous les fils arrivent aujourd’hui au Havre. Hélène y arrive aujourd’hui aussi, de sorte que l’à propos est complet. La comtesse Strogonoff sera ici dans quinze jours. La mauvaise chair qu'on fait ici m’a un peu dérangé l’estomac. N’était cela je me porterais parfaitement bien, car certainement l’air me convient. Adieu. Adieu.
Je ne vois point de nouvelles dans les journaux ! L’arrivée d’Espartero n’est pas confirmée est- elle vraie ? Adieu. C'est long encore jusqu’à mercredi ! Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00077.jpg
13. St Germain Lundi, midi
Le 21 août 1843

Nous avons fait une promenade charmante dans la forêt avant le dîner. C’est superbe, je ne conçois pas que tout le monde ne vienne pas habiter St Germain. Rien ne manque pour en faire la plus belle, la plus ravissante habitation d'été. Pauvre Beauséjour il est en grande décadence. Kisseleff et Pogenpohl sont venus dîner. Pas l’ombre de nouvelle seulement Kisseleff m'apprend que le Maréchal Sébastiani a passé son temps à Ems avec le général Oudinot. Voilà qui est catégorique, & St Priest est un écervelé. Vous ai-je dit que Madame de Castellane est à Paris depuis huit jours ? Elle y est venue le jour où vous êtes parti. Elle me l’a fait dire en me priant de passer chez elle. Je n'y ai pas été. Elle reste encore quinze jours je crois. Aujourd’hui elle dîne chez les Appony avec Molé je suppose. Albert Esterhazy devait arriver hier. Je quitterai St Germain après demain entre 10 & 11 heures.
Voici votre lettre, j’espère bien en avoir encore une demain. C’est vrai, point de nouvelles, rien. Cela m'est égal. Je n’y pense pas. C’est étonnant comme un changement de localité change la direction de mes idées. Je n’assiste plus au spectacle du monde. Je suis très absorbée par la belle vue, la nouveauté des objets qui ne me rappellent rien. La conversation de la jeune comtesse. L'incertitude d'un bon ou d'un mauvais dîner. La journée se passe de la façon du monde la plus tranquille et la plus bête ; et cela me plait puisque vous êtes au Val-Richer. Mercredi à midi cela ne me plairait plus.
J'ai attaqué le dernier paquet de plumes que vous m’avez donné. Elles sont détestables, et j’ai toute la peine du monde pour écrire ceci. Vous le voyez je crois. Je voudrais bien écrire quelques lettres d’ici mais cet obstacle m'arrête. Adieu, adieu. Je vous écrirai encore demain. Adieu dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00084.jpg
14 St Germain Mardi onze heures
Le 22 août 1843

Je n’ai pas vu une âme hier et je m'en suis très bien passée. Une seule me suffit, c’est drôle quand cela s’applique à la jeune comtesse, qu'on dise après cela que je suis difficile à vivre ! Le temps s’est un peu gâté cependant nous avons fait comme de coutume nos trois ou quatre promenades. Chacun de nous a ses chevaux et sa calèche, et ses jambes et rien à faire. Cela fait aller !
Je vois par les journaux ce matin qu'à Barcelone, cela s'embrouille. encore, et à Saragosse un peu aussi. C’est dommage, car vraiment les gouvernants à Madrid se conduisent très bien. Je suis curieuse des détails que vous devez avoir reçus de Glüsberg. Voici donc ma dernière lettre Dieu merci, je l'envoie toujours à Génie. Peut-être a-t-il encore une occasion de vous la faire parvenir : je dînerai vraisemblablement seule aujourd’hui. La jeune comtesse veut se divertir à sa manière qui n’est pas la mienne. Elle ira dîner à l’auberge avec une société qu’elle a invitée. Le soir il y a le concert Murad [?] dans le jardin. Celui-là j'en jouirai très bien de notre salon jusqu’ici c'est moi qui ai donné la musique car la jeune comtesse m’avait fait la galanterie d'un piano.

1 heure. Je reçois votre lettre au moment où je suis forcée de fermer ceci. Quel plaisir demain. J'ai eu une longue lettre de Bulwer. Il s'embarquait à Boulogne ; il m'écrira de Londres aussitôt après avoir vu Aberdeen. Mon même Constantin m'annonce sa prochaine arrivée à Paris ! J'en suise fort aise. Adieu. Adieu. Voilà mad. Schitchein, il faut que je vous quitte. Adieu mille fois. Vous ne me dites pas l’heure de votre arrivée ! Ni quand vous viendrez me voir. Je serai à Beauséjour entre midi et 1 heure. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00212.jpg
Fontainebleau Samedi 7 1/2
Le 15 juin 1844

Le 15 juin ! Nous l'avions oublié ! Le voilà qui m'apparait tout juste quand je vous ai quitté. Je suis dans un autre pays ! Il n’y a pas d'à propos. Vous auriez dû venir à Fontainebleau. M. Beauvais est venu m'annoncer que cela ne se peut pas. C’est fini !
La grande Duchesse allait beaucoup mieux. La fièvre l'avait quittée. il est donc vraisemblable que l’Empereur en trouvant cette nouvelle à Berlin ou même avant aura repris la route de Kenzingen. Il y sera d’autant plus disposé que Melle Nélidoff s’y trouve, & qu'au fond voilà la clé de tout cet arrangement et de l’exclusion qu'on donne aux Princes & Rois.
J'ai fait mon voyage en cinq h. 1/4. Je suis arrivée avant le reste de la société. Tout cela dîne et moi j’ai mangé mon poulet dans ma chambre. Je ne suis pas sociable. Tout cela est bien jeune pour moi. L’air est charmant. Constantin m'a cassé une glace, & puis une jalousie, et enfin j'ai fait la route avec un côté éclipse totale. J’ai eu de la peine à ne pas montrer ma petite colère ; adieu, adieu.
Je le répète, l’air est charmant je ne saurais dire autre chose. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00217.jpg
Fontainebleau Dimanche 7 heures
Le 16 juin 1844

J'ai reçu votre lettre ce matin. Je ne sais encore à quelle heure je partirai demain. Je dis dix heures. Mais je ne sais pas si ma voiture sera prête. J’ai donné à refaire tout ce que Constantin m’a cassé, et j’ai peur de Dimanche dans tous les cas vous passerez chez moi en sortant de la Chambre. Si je n’y étais pas, ce serait parce que je n’aurais pas pu partir et il faudra attendre mardi. J’ai passé une nuit atroce. Je ne me suis endormie qu'à 7 heures ce matin. Toute la nuit j'ai fait des plans. Ce qu'il y a de sûr c’est que je ne retournerai pas à Beauséjour, c’est trop triste. Je ne puis pas avaler cela. La vue constante de mon jardin. Mais où aller ? Versailles. St Germain. Il n’y a que cela, car prendre une maison, la chercher d’abord. C'est trop d'embarras car c’est à moi a prendre tous les embarras. Rester en ville, impossible si Fontainebleau n'était pas si loin. On y est très bien, & des roses & un joli jardin sous ma fenêtre. Je vous assure que je me sens très malheureuse de tout cela.
J'ai oublié de vous dire que la Comtesse Moltke est fille d'une comtesse Grégoire Razoumofsky. N’est-ce pas celle que vous avez connue ? La comtesse Léon l’a élevée. Elle est charmante au dire de tout le monde. Depuis dix ans elle habite Florence avec son mari. Sa mère était d’une famille autrichienne. Je crois qu'au fond elle était la maîtresse & pas la femme du comte Grégoire.
J’ai vu le Palais c’est très curieux et très beau. J’ai vu les belles parties de la forêt, j’en suis enchantée. Le temps aussi est superbe. La société ne m'amuse pas beaucoup. Il n y a que Rodolphe, le cousin, pour moi. Il a plus d’esprit que je ne croyais. Adieu. Il me semble que je suis d’assez mauvaise humeur, vous ne savez pas mon adoration pour un brin d herbe, pour une fleur et n'en pas posséder une seule, ne pas avoir la jouissance la plus vulgaire, passer un été, peut-être mon dernier été sans ce bonheur là, j'en pleure. C’est vrai, j’ai pleuré cette nuit. Adieu, adieu. A demain, j'espère. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00221.jpg
Versailles, vendredi 21 juin 1844
8 heures

J’ai trouvé un bon appartement & un détestable dîner. Je reste. Ce bon Constantin m’a accompagnée et me quitte ce soir. Pour revenir me trouver demain. Dans tout les cas, je reste ici demain & dimanche. Demain je dîne chez les Stockhausen, et Dimanche je vous attends ici. Ne manquez pas de venir je vous en supplie, parce que j'écarte tout le monde. Si vous me plantiez là. Je serais parfaitement abandonnée. J’attendrai de vos nouvelles demain avec impatience. Je m'ennuie déjà beaucoup, c’est ce qu’il y a de plus clair dans mon histoire. Adieu. Adieu.
Le temps est superbe. Rappelez- vous qu’après cinq heures demain. Je serai chez les Stockhausen à Marne c’est à côté de Ville d'Avray. Adieu, bonsoir, bonne nuit et surtout, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00223.jpg
Malgré votre promesse de retarder la réponse pour Pogenpohl, hélas vous avez signé, et il est obligé de parler sur le champ à moins que vous n'ayez la bonté de prescrire au Préfet du Département d'apporter des délais aux ordres nécessaires pour que le Consul prenne possession du poste.
Je vous prie beaucoup de faire cela. J'ai un air de négligence ou de mauvaise foi qui me fait de la peine. Ce que je vous supplie c’est que la reconnaissance de Pogenpohl ne se fasse qu’après le premier du mois prochain. Toute à vous. Vendredi 21 juin.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00229.jpg
Versailles le 22 juin samedi 1844 à 3 heures

Je trouve votre lettre à mon retour d’une promenade et d’une visite chez Lady Sandwich, le garde m’a attendu depuis 1 heure. Je dis cela pour le légitimer. Merci de la promesse pour demain, je vous attendrai de pied ferme au réservoir depuis quatre heures. Et nous nous promènerons , nous dinerons, nous promènerons encore, & la causerie !
J’ai assez bien reposé cette nuit. L’air est fort agréable pas autant qu'à Fontainebleau, mais c’est qu’il fait plus chaud. Constantin m’a quitté à 9 heures. Il revient aujourd’hui à 4. Nous irons diner ensemble. Il me ramène ici et s’en retourne à Paris. Si j'ai quelque chose je vous le manderai par lui.
Je vous remercie de l’affaire de Pogenpohl. J'ai lu le Siècle ce matin, et j’ai été étonnée de la causerie avec Thiers. Lady Sandwich lui donne à dîner mardi ici, c’est-à-dire dans une maison de campagne qu’elle a louée ici. Elle m’a fait vos éloges d'une manière très exaltée. Adieu. Adieu
Je n'ai rien à vous raconter que mon ennui. Cela n’est pas touchant, puisque je l'ai voulu. Si vous pouvez m’apporter demain la vie de l'Abbé de Rancé vous me feriez une grande charité. Je n’ai rien à lire. Au fond je ne croyais pas que je trouverais un appartement et je n'ai rien apporté, pas même un bonnet. Adieu mille fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00232.jpg
Versailles lundi 24 juin 1844,
1 heure

C’est vraiment aujourd’hui la St. Jean. Le dîner à Chatenay ! Nous massacrons nos anniversaires. C'était aujourd’hui qu’il fallait venir à Versailles. Merci de la bonne journée d’hier. J'ai fait beaucoup de réflexion sur la nécessité absolu, quand on est chef du gouvernement, de tenir les partisans au courant de toute démarche ou ligne de conduite qui a de l'importance. L'exemple de Peel est frappant. Il n'aurait dû rien commencer, sans en prévenir ses amis. Il y a bien des dangers à leur causer de la surprise. Je parlerais longuement sur ce chapitre, j’en suis très préoccupée depuis hier. Quelles séances à la Chambre du commerce ! What a shame !
J’attends mon cuisinier et puis j’attends mon neveu ; avant tout cela j’attends un orage, car le temps est bien couvert. L'orage m’est égal en bonne compagnie. Seule, je ne l’aime pas du tout.

5 heures. L'orage n’est pas venu. Je me suis fait traînée en calèche. Seule là où j’étais hier avec vous ! La lettre de Brünnow à la Duchesse de Somerset a été insérée dans le journal de Hambourg. Je serai curieuse des commentaires ici si on en fait.

Rue St Florentin, 10 heures du soir. J’ai attendu votre lettre. Elle n’est point venue. à 7 3/4 je me suis mise en voyage. J’ai marché, j’ai roulé avec Constantin. J'ai été à Auteuil. J’ai vu des voitures. On m’a dit à votre porte qu'il y avait beaucoup de monde. Je n’ai pas osé vous faire sortir ; et n'ayant pas prévu ce contre-temps. Je n’avais pas de lettre à vous faire remettre. Je vous envoie ceci avant de me coucher. Stryboss va le remettre au foreign office. Adieu. Adieu. Je vous attendrai demain à midi ici. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00249.jpg
Paris, dimanche 14 juillet 9 heures 1/2

J’a été souffrante cette nuit il me sera impossible de me trouver à 3 1/2 au rendez-vous. Je vous en donne avis, et vous propose de venir à Auteuil un peu plus tard. J'y serai à votre porte entre 4 1/2 & 5 heures pour vous prendre et nous promener si le temps le permet, ou pour vous parler un moment dans ma calèche s’il n'y a pas d’autre ressource.
Je ne compte pas sur la soirée, car je ne suis pas bien et il faudra me coucher de bonne heure. Vous me ferez savoir un mot de réponse. Avez-vous quelque chose de Tanger ou de la grande Duchesse ? Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00260.jpg
7 1/2
Mercredi 31 Juillet 1844

Que je vous remercie de ces deux pages que je vais importer avec moi et relire, et encore relire jusqu'au successeur. Oui je suis bien triste. Mais je pars. J’étais dans mon lit à 8 3/4. Mon fil est venu encore. Il m’a quittée à 9 1/2. Je suis resté longtemps sans dormir et ma nuit a été fort troublée, mais enfin me voilà debout et à 9 heures je me mettrai en voiture. Adieu. Adieu.
Si vous saviez comme je suis triste et comme je vous aime !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00262.jpg
Epernay Mercredi 7 heures le 31juillet 1844

J'arrive, mais la poste a passé, vous n'aurez donc ceci qu'après demain. Cependant j'écris pour vous dire que la journée a été bien, je suis partie à 9 1/2. J'ai couru fort vite, je ne suis pas trop fatiguée. Je vais dîner et me coucher ; il me parait que c'est une soupe, bien vilaine soupe. Vous êtes si loin ! Vous dinez dans la moment chez vous au milieu de votre famille, tranquillement, gaiement. Non pas tout-à-fait. Je vous manque, pas là, mais du reste n'est-ce pas ? Adieu. Adieu.
J’ai chaud, je me fatigue à écrire. Je vous quitte, je vous aime ! Adieu. Comme j’attendrai vos lettres, & Hennequin ! Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00269.jpg
N°2 Void jeudi 1er août
6 1/2

Je me figure que je vous fais plaisir en vous écrivant des lettres bien insipides. C’est ce qu'on peut faire de mieux en voyage, n'avoir rien à raconter. La seconde journée a été comme la première. Le gros du voyage est fait. Je ne m'ennuie pas trop.
Constantin me fait une très bonne et utile ressource. Que faites-vous, que fait le monde ? L'Afrique, la grande Duchesse ? Vous auriez beaucoup à m'apprendre. Que voulez-vous que je vous raconte ? Ah. Voici. L’automne de l'année 40 le roi de Prusse écrivait à L’Empereur son beau-frère une lettre qui finissait ainsi. " Adieu mon cher Niks. Je reste votre affectionné Fritz et chef de votre avant-garde en cas de Thiers. " L'Empereur a lu cette lettre, devant les aides de camps. J’ai trouvé cela assez drôle pour vous le raconter. Adieu. Adieu.
Ecrivez-moi beaucoup, beaucoup. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00277.jpg
3. Saverne Samedi 3 août 1844
6 h. du matin

Je veux encore vous dire adieu sur terre de France. Je serai triste en passant le Rhin ! Hier n’a pas été si bien que les autres journées. Un accident ; le postillon sous les chevaux... La voiture presque renversée. Mon Constantin a sauté dehors avec une prestesse de cosaque. Il a tout fait, coupé les traits, relevé le postillon. Enfin nous nous sommes remis de la frayeur et de l’accident. Cela a fait un délai d'une heure. Le pauvre postillon y perdra un doigt.
Je vais donc revoir mon frère aujourd’hui. Je commence à y penser. J’aurai un peu de plaisir, et quelques conversations curieuses. A propos, si l’envie de voir Strasbourg lui venait, s’il était curieux (ce qu'il sera) d’un exercice des chasseurs d’Orléans, Hennequin serait-il homme à l’orienter pour le jour où cela pourrait se rencontrer ? Ou bien pourriez-vous lui faire tenir quelque autorisation auprès du Chef militaire pour cela ? Cela serait de la bien bonne grâce. Je vous dis ceci en l'air, mais Constantin croit que son oncle serait le plus heureux du monde de voir pareille fête.
Les visiteurs de Bade arrivent à Strasbourg sans passeports. Au reste je vous reparlerai de cela encore quand je l’aurai vu. Je vais déjeuner et partir. Je soutiens bien le voyage. Constantin est tout étonné du peu d'embarras que je lui donne, mais cela vient de ce qu’il est là et que je ne m’inquiète pas de mille détails du voyage. Ma santé va assez bien. Adieu. Adieu. Ecrivez-moi, soignez-vous. God bless you dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00286.jpg
4. Bade, dimanche le 4 août 1844
8 h. du matin

Je suis arrivée hier à 2 heures. Mon frère était là depuis midi. Il nous a reçu avec l'air bien effacé. La vue de son beau frère l'avait consterné. Je voulais aller droit chez lui, il s'y est opposé craignant l'agitation. J’ai donc été prendre possession de mon appartement et je n’y étais pas depuis deux minutes que mon frère entre. Une ombre, un cadavre, quelque chose qui fait reculer d’effroi. J’en ai été extrêmement saisie, il m’a été difficile de reprendre aucune idée, aucun souvenir, et vraiment les premiers moments ont été muets et bien pénibles. Il avait passé la veille par Stutgard. Il était allé pleurer sur le tombeau de mon frère chéri. Cela m’a touchée. Nous avons dîné à quatre heures chez mon frère. Une tenue de Pacha qui me déplait, une conversation de bêtises. L'humeur hautaine et maladive. Après le dîner deux minutes seuls ; il a voulu me parler de l'Empereur. Les enfants sur viennent. Il ne parle plus que de cette conversation de Pétersbourg qui va bientôt me faire l’effet des araignées de Beauséjour. Je n'irai plus dîner là. Je rechercherai les tête-à-tête, je vois qu’il en a envie aussi. Avec lui sont venus quelques subalternes dont un homme d'esprit et honnête homme à ce que dit Constantin. Ce Monsieur m’a fait demander par lui une entrevue secrète. Il avait à me remettre une lettre secrète aussi du comte Michel Woronsov pour m'entretenir de l’état de mon frère, tout ce monde n’espère plus qu'en moi pour le tirer des griffes de Madame de K. et le faire retourner en Russie. On ne voit son salut que dans ce retour J'ai bien étonné l'homme quand je lui ai dit que je le ferai, & que je mettrais Madame de Krudwer dans la conspiration. C'est là ce que je vais faire en effet. En attendant, il renverra le médecin qu’elle lui a donné et qui l'a quasi tué en l'envoyant à Karlsbad qui lui a fait un mal affreux. Voilà le chapitre de la famille terminé.
Je ne sais rien. La grande Duchesse n’avait plus que quelque jours à vivre. Le Roi de Prusse est un arlequin. Voilà comme on l'appelle. Mon prince Emile n’est pas ici. Bacourt y est, cela me réjouit, j’ai avec qui parler. Votre bonne lettre de jeudi m'a été remise à dîner, merci, merci. Quelle distance de la lettre à la conversation où j’étais plongée ? Jamais on n’a vu plus immense contrainte.
Je vous plains des tribulation de Maroc, de Pritchard. Pritchard surtout est bien désagréable. Je suis ravie que Jarnac soit à Londres dans ce moment. Vous ne serez pas désœuvré ! Je voudrais être là pour vous reposer l’esprit. Je suis bien loin. Le Rhin m'a fait mal à traverser mais j’en suis si près, et je suis indépendante, dieu merci. Je suis logée à merveille. Infiniment mieux que je ne le serais à Minne. Propre, élégant mais bruyant ah mon dieu ! et puis un lit élastique, où je danse. Je vous envoie cette lettre bien vite ; je ne connais pas les heures de la poste, personne ne les connait ici. J’irai moi même au bureau régler cela. En attendant je ne veux rien risquer. Que j’aime vos lettres, qu’elles sont charmantes préparez vous à ce que les miennes soient bien bêtes. Quel entourage. Adieu. Adieu.
Midi. La poste est partie à 9 heures quel ennui ! Mais cela n’arrivera plus. Vous aurez tous les jours votre lettre exactement. J'ai été à l’église, et puis chez mon frère que j’ai trouvé couché. Il est effrayant et effrayé, car il se sent mourir. Nous avons été seuls longtemps. Nous avons causé de voyage d'Angleterre, je lui ai appris des détails, et presque tous qu'il ne connaissait pas. Nesselrode n’avait pas idée, à ce qu’il croit, d'aller à Londres. C’est depuis son propre voyage que l’Empereur a décidé que son ministre y irait : mon frère croit très possible qu'il soit question du mariage Cambridge quoiqu’il lui semble " très misérable, mais depuis Leuchtenberg l’Empereur a rendu tout bon établissement difficile pour ses filles. L'envoi d’Orloff à Vienne a été une des plus grande gaucherie c’est de l'invention de l’empereur toute pure. "

4 heures Je me décide à mettre cette lettre à présent sauf à vous envoyer encore un mot tantôt. J’ai vu Bacourt. Nous avons rabâché sur Pritchard, mauvaise affaire les journaux Anglais sont bien vifs. Je voudrais que vous fussiez sorti de ce mauvais défilé. Voici votre lettre d'avant-hier, mais merci. Je vois que Pritchard vous tracasse Lady Palmerston m'écrit qu’Ashley grand ami de Pritchard est furieux & fera du tapage. " Les français se conduisent partout très mal. " et mettant même à part sa qualité de consul, son emprisonnement est abominable. " Voilà Lady Palmerston elle part de Londres le 9. Ils vont s'arrêter à Ems. Toutes les capitales allemandes ensuite, & Paris peut-être pour finir.
Si vous saviez le plaisir, la joie que me font vos lettres ! Je vais relire, relire. Adieu. Adieu. Mille fois, ne manquez jamais un seul jour de m'écrire et assurez-vous bien que votre lettre part. S'il m’arrivait de n'en pas recevoir je ferais mille folies, c’est sûr. Adieu encore et encore.
Mad. de Talleyrand m'écrit de Berlin où elle a été très malade en danger. Le prince de Prusse ne va plus en Angleterre. Encore adieu. Ecrivez, écrivez ! Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00297.jpg
5 Bade lundi 5 août 1844,
7 heures du matin

J'ai lu tous les journaux Anglais. Et j'ai lu les paroles de Peel au parlement. Cela devient gros et je m’inquiète. Vous aurez beau parler de droit, il n’en est pas moins vrai que le procédé a été horriblement brutal, & que le ministre anglais est forcé de vous demander une réparation éclatante. Mais qu’est ce qui empêche que vous ne la donniez ? Si on avait fait cela à un français considérable, et il faut convenir que Pritchard était considérable dans cette île, jugez quels cris ici ! Vraiment votre d’Aubigny mérite punition ; pour une nation civilisée comme la vôtre ces actes de brutalité sont une honte. On pouvait bien renvoyer je veux dire chez vous. Pritchard ou même le retenir prisonnier sans le tenir au secret de cette façon là. Vraiment cette affaire me tracasse beaucoup, j’y rêve quand je n'y pense pas. Les Cowley doivent être bien fidgety. Et le Maroc ! Probablement la guerre commence.
Je vous ai laissé là de bien mauvaises affaires. J’ai fait hier une promenade en calèche, charmante, après le dîner avec Constantin. Mon frère n’a pas voulu bouger de sa chambre à coucher. Pas une fenêtre ouverte un air de tristesse jusque dans ses meubles. Les courtisans dans le premier salon s’entretenant à voix basse. Ses enfants auprès de lui ne sachant de quoi parler quand j’arrive ils s’en vont pour reprendre haleine, c'est-à-dire de l’air. Je cause avec lui, je l’anime un peu, mais cela le fatigue bientôt. C’est un triste spectacle. Je n'en ai jamais vu de pareil, et il me faut un bien secours moralement pour ne pas fondre avec. Je doute que j’arrive jamais à une conversation intime de sa part. Il n’en a plus la force. Je l’ai quitté à 8 heures pour marcher encore un peu avant de me coucher.
Il fait froid. Décidément il n'y aura pas. d’été. Bade est rempli de monde mais pas une âme de connaissance. C’est plus commode mais c’est laid. Quant au pays, je crois vraiment que le bon Dieu s’est plu à l’embellir encore, que les montagnes sont plus hautes, les forêts plus épaisses. Tout plus pittoresque plus riant. Je n'ai rien vu de plus charmant. Hélène arrive demain. Adieu, adieu. Arrangez-moi Pritchard. C’est un gros souci pour moi. Adieu. Que je serai contente quand je vous dirai adieu à la rue St Florentin ! Est-il vrai que le choléra soit à Lisbonne ? Quelle horreur. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00301.jpg
6. Baden lundi le 5 août 1844
6 heures du soir

Mon frère reprend un peu ses sens. J’ai eu une heure de bonne conversation avec lui ce matin, toute politique. Nous nous sommes trouvés d’accord sur toutes les questions, et sur l’une particulièrement, nos relations avec la France son voyage à Paris l’année dernière devait être le signal d’une nouvelle ère. Acceptée même par le premier personnage. Une puérilité, un article de journal a tout renversé. Comment a-t-on l’esprit arrangé de façon à faire dépendre de si peu de chose un si grand intérêt ? Mais il ne s'agit pas de cela, maintenant je ne pense qu'à Londres & Paris. Peel a été bien étourdi. Aberdeen a mieux fait ! Mais vous qu’allez vous faire. Il faut quelque chose. Je m’imagine que vous vous passerez des notes concertées. C’est impossible de se brouiller pour Tahiti cependant cela, par dessus ce Maroc fort épineux, fait une situation un peu rude. Je vois tout cela d'ici. Je m’impatiente, j'ai mille idées et il faut tout avaler. Je suppose que je vais tomber malade d’un Pritchard et d'un Maroc vendu ? !
J’ai eu votre très petit mot de Samedi. J’attendrai Hennequin avec bien de l’impatience demain. Je n'ai rien fait aujourd'hui un long tête-à-tête avec mon frère. Des promenades à pied en calèche avec Constantin, avec Bacourt. J'ai eu la visite de votre ministre d’Espagne. Il ne manque pas d'esprit. Je cause beaucoup avec Bacourt.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00309.jpg
7. Bade Mardi 6 août 1844 2 heures

J’attends, j’attends Hennequin & je grille. Mon frère est plus mal aujourd’hui il y a eu une consultation, un nouveau médecin, la guérison impossible. Le soutenir plus ou moins longtemps voilà tout ce qu'on peut espérer. Son médecin ordinaire vient de me dire qu'il doute qu'on le ramène vivant en Russie, en même temps il presse ce départ et nous verrons le médecin et moi d'écrire à Madame de Krudener pour la prier d'arriver à Francfort, Heidelderg, ou tout autre point de rendez-vous et épargner ainsi à mon frère le voyage de Bavière. Bade est impraticable pour la rencontre, à cause des deux filles. J’ai passé ma matinée à ces consultations & arrangements. J’ai peu vu mon frère. Il n’avait pas la force de parler. C’est bien triste ce que je suis venu trouver ici.

4 heures
J'ai reçu le n°4 par la poste. Hennequin n’a pas encore paru. J’ai lu la séance de samedi à la Chambre des Pairs. J’approuve fort votre réserve, bonne leçon à Peel (je suis enragée contre Peel) et Molé qui se mêle de cela aussi. Je suis bien aise de ce que les Débats en disent. Au demeurant cependant, c’est une bien détestable affaire, rendue détestable par Peel. Il vous sera fort difficile ou même impossible de le satisfaire. L'amènerez vous à fléchir ? Vous ne pouvez pas destituer d'Aubigny. Je cherche, je creuse, je ne trouve rien que de très mauvais. Mais ce qui me trouble beaucoup surtout c’est cet esprit des journaux si vivement excité. J’ai peur. Je ne veux pas qu’on vous rencontre à pieds dans les rues de Paris. Promettez le moi. Dites à Génie que j'ai peur, et que je le conjure de me rassurer de veiller sur vous. Je prie Dieu, je ne cesse de penser à vous. Je suis désolée d'être loin. Vous aimeriez que je fusse là à Beauséjour, vous vous contenteriez même de Paris. Ah que ce voyage est malencontreux. Il me déplairait beaucoup quand même je vous saurais tranquille, content, sans souci, et que je n’aurais pas moi même ce triste spectacle de mon frère mourant sous mes yeux. Aujourd’hui tout se réunit, quelle fatalité. Je déteste Bade. Je partirai dès que je pourrai.

5 1/2
Voici Hennequin. Que je vous remercie de votre lettre ! Comment au milieu de ce feu croisé, de toute cette avalanche de tracasseries vous avez pu me faire une pareille lettre ! Que vous êtes bon ! Vous allez vous fâcher de ce bon. C’est égal. Merci, merci. Vous me soulagez un peu. Il me semble que l’affaire ne sera pas si grosse. J’approuve tout ce que vous me dites. Vous ne souffriez pas que Peel retourne, vous ne le pouvez pas. Il faut déclarer cela net. Et je suis tout-à-fait de votre avis, bonne occasion pour vous de refuser quelque chose et d'être raide. Tant pis pour eux, ils vous ont rendu la tâche plus difficile, qu'ils en portent la peine. Peel verra l’explosion que ses paroles ont provoquée ici. He will hold his tong next time. Le petit Hennequin trouve ici votre ministre ce qui l’arrange. Il a remis votre lettre au préfet de Strasbourg. Il trouve Bade charmant. Il va se divertir. Il m’est arrivé bien lavé et bien propre.
Le grand duc Constantin qui est encore un enfant est là dans le sand avec la flotte comme il y est tous les ans et la flotte aussi pour se promener quand notre mer n’est pas prise par la glace. Il avait été envoyé à aourre? assister au départ du vaisseau l’Imper ? qu'on a construit après le naufrage du vaisseau de ce nom l’année dernière. De là il a fait le tour de la Scandinavie, et est venu rejoindre notre flotte de la Baltique. Cela n’est pas autre chose. Ils vont retourner à Kronstadt.

Mercredi 7 août.
7 heures 1/2 du matin. Je viens de relire vos deux dernières lettres 3 et 4. Je répète, vous avez raison votre conduite est bonne ; et celle de Peel vous force à plus de raideur que vous n’auriez eu sans cela peut être. C’est impossible qu'il ne comprenne pas cela. Lui avez- vous fait quelques observations sur son discours ?
La journée hier a été bien mauvaise ici et on vient de me faire dire que la nuit a été de même. Vraiment, si je vous contais ce qui est cause de ce redoublement vous ne croiriez pas !! Il est mourant hélas cela n’est pas douteux. Hélène est arrivée hier, il l’a embrassée mais ne lui a pas dit deux paroles. Il n’a plus la force de se réjouir de rien. Le premier jour il était venu chez moi à pied les deux suivants il était assis dans sa chambre hier, couché sur son lit, étendu comme un mort, les yeux fermés, et c’est à moi seule qu'il a dit huit mots de suite. Ainsi la progression du mal est rapide.
La beauté de Bade surpasse tout ce qu'on peut imaginer en fait de pittoresque et de riant. C'est un enchantement de quelque côté qu’on se tourne. J’en jouis peu, je suis triste, les seules personnes que je vois (ma famille) n’ont qu’une seule et même parole & pensée ; il est bien aimé par tout ce qui l’entoure. Il y a entre autre un brave homme et homme d'esprit avec un nom barbare qui me touche par l'affection, le dévouement extrême qu'il lui montre. Avant hier on a écrit à l’Empereur pour le prévenir des dangers. Je ne sais si lui-même se croit aussi mal. Constantin est parfait, c'est une angélique créature, et si affectueux. Il est plus affligé que les propres enfants. Annette qui est bonne est un peu insouciante parce qu’elle a la vue basse. Rodolphe spécule. Hélène est très très triste, mais toujours aigrie sur Madame de Krudener. Cela vaut bien la peine à présent ! Moi, ce qui me frappe c’est cette pauvre brave femme, ma belle sœur à qui personne ne donne avis du danger et qui ne reverra plus son mari. Elle qui l’a toujours adoré maussadement peut-être, mais enfin elle est irréprochable. Je crois que mon frère apprécie nos soins et notre présence, mais voilà tout.
Adieu. Adieu. Oui, je vous aime autant au moins autant que vous m'aimez et vous me manquez bien plus que je ne vous manque. C'est bien clair, c’est bien entendu. Car vous avez tant ! Et moi je n'ai rien rien que vous, vous seul au monde. Adieu Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00323.jpg
8. Baden Jeudi le 8 août 1844

Vos lettres m’arrivent ici à 2 heures c’est un charmant moment, j’ai bien soin de le passer seule. J’attends aujourd'hui les journaux avec impatience pour lire la discussion de lundi. Plus je pense à Tahiti et plus je me fâche. Vous vous êtes donné là une place éternelle, je ne crois pas que l’avantage de cette possession ou protectorat peut valoir les inconvénients incessants qu’elle vous suscitera. Il y aura d’autres Pritchard. Je suis curieuse des explications qui auront été échangées. Le blâme ou le regret de la conduite incivile de M. d’Aubigny peut bien se trouver dans une note, mais son éloignement ultérieur ne devrait pas s’y trouver, à moins que les Anglais ne vous aient dans le temps promis par note aussi l’éloignement de Pritchard, ce que j'ignore. Dans tous les cas ils ont bien peu tenu parole, et vous avez tout-à-fait le droit de les imiter certainement ni vous ni aucun ministre quelconque en France ne pourrait risquer. Je ne dis pas même le désaveu mais seulement l'éloignement de M. d'Aubigny dans ce moment. Vous savez bien cela. Vous savez aussi que les Anglais ne se feront aucun scrupule de publier votre note. Vous avez été plein de procédés et de ménagements pour eux. Ils ne vous imiteront pas, j'espère donc que votre réponse si elle est faite peut risquer le grand jour sans me faire évanouir de terreur. Je suis bien fâchée d’être loin car tout ceci me tracasse bien fort. Rassurez-moi un peu. Je crois que je vous ai écrit une lettre quelque peu anglaise, mais j’étais sous l'impression que Pritchard avait well deserved ce qui lui est arrivé ; j’avoue que je ne trouve pas cela dans ce que je lis dans les journaux. je suppose que les rapports officiels sont plus positifs. Je rabâche, vous n'avez pas besoin que je vous redise de Bade l’affaire de Tahiti. Lady Cowley wishes the whole island at the bottom of the sea !
La journée a été moins mauvaise hier. Il a parlé, & à deux reprises, j’ai même eu une assez bonne conversation avec lui. Il est possible que je le laisse ici vivant. Il est décidé que Constantin ne le quittera plus, que Mad. de Krudner viendra le rejoindre à Hambourg, et qu’il se rendra d'ici là à très petites journées. Il est très impatient de reprendre ses affaires. L'habitude de l'occupation et de l’agitation est plus forte que la maladie. Je le trouve sensé, modéré, et d’après ce qu’il me dit courageux. Le seul qui ose parler et qui le fasse.
Nesselrode bien poltron Orloff secondant mon frère mais en auxiliaire. Il déteste Brunnow et ne lui pardonne pas mon affaire. En tout il se montre non seulement quand il me parle, mais lorsqu'il cause avec Constantin, tout-à-fait mon ami et mon frère. Je ne sais pas vous rendre compte de mon temps. J’en ai de reste, et en même temps la journée est bien vite finie. Je vais chez mon frère trois, quatre fois le jour. Constantin, Hélène, Annette vont et viennent de chez lui chez moi. Et puis les médecins, les courtisans, on se redit chaque impression. Je me promène avec Constantin, à pieds ou en calèche. Je vais m'asseoir sous les arbres. Je dine seule. Je lis, si on me laisse seule. J’ai reçu un ou deux russes de la dernière insignifiance. Bacourt vient une heure avant mon dîner me raconter tout ce qu’il a lu dans tous les journaux. Nous rabâchons Tahiti ou autre chose. Voilà tout. Je me couche à 9 heures. Je me lève avent 7. Je pense à vous, je rêve à vous, je prie pour vous. Soyez bien sûr qu’à quelque moment du jour que vous pensiez à moi, vous me rencontrez. Adieu. Adieu. Adieu mille fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00331.jpg
9. Baden Jeudi le 8 août 1844

Vos lettres m’arrivent ici à 2 heures c’est un charmant moment, j’ai bien soin de le passer seule. J’attends aujourd'hui les journaux avec impatience pour lire la discussion de lundi. Plus je pense à Tahiti et plus je me fâche. Vous vous êtes donné là une place éternelle, je ne crois pas que l’avantage de cette possession ou protectorat peut valoir les inconvénients incessants qu’elle vous suscitera. Il y aura d’autres Pritchard. Je suis curieuse des explications qui auront été échangées. Le [blâme] ou le regret de la conduite incivile de M. d’Aubigny peut bien se trouver dans une note, mais son éloignement ultérieur ne devrait pas s’y trouver, à moins que les anglais ne vous aient dans le temps promis par note aussi l’éloignement de Pritchard, ce que j'ignore. Dans tous les cas ils ont bien peu tenu parole, et vous avez tout-à-fait le droit de les imiter certainement ni vous ni aucun ministre quelconque en France ne pourrait risquer. Je ne dis pas même le désaveu mais seulement l'éloignement de M. d'Aubigny dans ce moment. Vous savez bien cela. Vous savez aussi que les Anglais ne se feront aucun scrupule de publier votre note. Vous avez été plein de procédés et de ménagements pour eux. Ils ne vous imiteront pas, j'espère donc que votre réponse si elle est faite peut risquer le grand jour sans me faire évanouir de terreur. Je suis bien fâchée d’être loin car tout ceci me tracasse bien fort. Rassurez-moi un peu.
Je crois que je vous ai écrit une lettre quelque peu anglaise, mais j’étais sous l'impression que Pritchard avait well deserved ce qui lui est arrivé ; j’avoue que je ne trouve pas cela dans ce que je lis dans les journaux. je suppose que les rapports officiels sont plus positifs. Je rabâche, vous n'avez pas besoin que je vous redise de Bade l’affaire de Tahiti. Lady Cowley wishes the whole island at the bottom of the sea ! La journée a été moins mauvaise hier. Il a parlé, & à deux reprises, j’ai même eu une assez bonne conversation avec lui. Il est possible que je le laisse ici vivant.
Il est décidé que Constantin ne le quittera plus, que Mad. de Krudner viendra le rejoindre à Hambourg, et qu’il se rendra d'ici là à très petites journées. Il est très impatient de reprendre ses affaires. L'habitude de l'occupation et de l’agitation est plus forte que la maladie. Je le trouve sensé, modéré, et d’après ce qu’il me dit courageux. Le seul qui ose parler et qui le fasse. Nesselrode bien poltron Orloff secondant mon frère mais en auxiliaire. Il déteste Brunnow et ne lui pardonne pas mon affaire. En tout il se montre non seulement quand il me parle, mais lorsqu'il cause avec Constantin, tout-à-fait mon ami et mon frère.
Je ne sais pas vous rendre compte de mon temps. J’en ai de reste, et en même temps la journée est bien vite finie. Je vais chez mon frère trois, quatre fois le jour. Constantin, Hélène, Annette vont et viennent de chez lui chez moi. Et puis les médecins, les courtisans, on se redit chaque impression. Je me promène avec Constantin, à pieds ou en calèche. Je vais m'asseoir sous les arbres. Je dine seule. Je lis, si on me laisse seule. J’ai reçu un ou deux russes de la dernière insignifiance. Bacourt vient une heure avant mon dîner me raconter tout ce qu’il a lu dans tous les journaux. Nous rabâchons Tahiti ou autre chose. Voilà tout. Je me couche à 9 heures. Je me lève avant 7.
Je pense à vous, je rêve à vous, je prie pour vous. Soyez bien sûr qu’à quelque moment du jour que vous pensiez à moi, vous me rencontrez. Adieu. Adieu. Adieu mille fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00341.jpg
10. Bade samedi le 10 août 1844

Vraiment oui vous m'écrivez de pauvres petites lettres ! Essayez donc de trouver ou le soir ou le matin une demi-heure pour moi. Je suis si avide de tout savoir, si inquiète. La seule chose qui me convienne dans la lettre d’hier est votre résolution de ne pas répondre avant la clôture du parlement anglais. Et quand vous répondrez ; si c’est pièce officielle, ne promettez pas l’éloignement de M. d’Aubigny, cela peut se dire mais non pas s’écrire. On a fait de même pour Pritchard il me semble. Le regret ou le blâme de la prison peut être officiel ; mon autre part est une affaire de ménage. Je vous en prie n'oubliez pas cela. Vous êtes assez disposé à regarder à la difficulté du moment sans vous souvenir que dans cinq mois il y aura la tribune. Je vous en conjure pensez bien à cela. La mauvaise humeur anglaise passera ; les susceptibilités françaises restent en permanence et elles ont été justement blessées. Dites-moi donc si Peel sent l’étourderie qu’il a faite ? Si Cowley en convient. Dites-moi l’opinion dans la diplomatie sur ce point, ou du moins son langage. Enfin dites-moi quelque chose. Ne craignez rien. La Russie ne sait pas un mot de ce que vous m'écrivez. Si j’étais à votre place. Je me plaindrais dans une pièce officielle, du langage peu convenable de Peel en parlant des affaires françaises. Car à vrai dire vous êtes ici la partie offensée. Enfin au mois de janvier vous aurez de rudes comptes à rendre, tenez les en règle.
Hier a été, d’abord mal, et puis mieux vers le soir. Cela peut trainer ainsi. On attend les réponses de Madame de Krudner pour fixer l’époque du départ. Je verrai alors à fixer le mien. Il ne faut pas que je le laisse trop mal. Il faut l’assurance qu’il pourra partir. Le marquis de Dalmatie a passé ici. Il a dit qu’il regrettait bien Turin, que Berlin est exigeant, insupportable. Je ne sais pas ici la plus pauvre petite nouvelle. Comme il n’y a personne, je ne vis que sur les journaux. C’est eux qui m'ont appris les couches de la reine d'Angleterre. Vous ne me l'avez pas dit. J’ai eu une lettre de Madame ?. La grande Duchesse ? en s'affaiblissant. Les ? pleurent. C’est toujours la même chose.
Le temps est affreux comme au mois d’octobre très froid, & les montagnes y ajoutent. Je marche ; je ne vais pas en calèche, il fait trop froid pour cela. Constantin me soigne toujours, il ne me quitte que pour son oncle. Hélène passe les nuits auprès de mon frère. Il est bien entouré il est peu sensible à tout cela, il n’a plus la force au moins de se montrer touché du soin qu'on a de lui. Quand je suis là il se [?] un peu, il voudrait parler. On me dit de le ménager. Je prends plusieurs demi-heure réparties dans la journée. Adieu. Adieu.
Ecrivez-moi, aimez-moi. Soignez votre santé. Pensez bien à la discussion de l’adresse. Que je voudrais que le Maroc fait court & bon. Vous avez l'air de le croire. Adieu, dearest, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00349.jpg
11. Baden dimanche le 11 août 1844
7 h. du matin

Mes numéros marchent avec les jours du mois. Je voudrais bien arriver à celui où je n’aurai plus de lettres à numéroter. Et je ne sais vraiment quand il arrivera hier on disait que mon frère n’a plus que huit jours à vivre ! Ce matin, on me fait dire qu'il va mieux. Nous vivons ici dans une tristesse dont vous ne sauriez-vous faire d’idée. Son état est affreux, c'est une agonie horrible. Quel aspect ! Et bien, comment puis-je le quitter au moment où il va expirer peut-être ? D'un autre côté je ne suis bonne à rien du tout. Ses enfants le soignent et veillent auprès de lui. Moi je ne sais rien faire. Je voudrais distraire son esprit. J'essaie de toutes les conversations. Rien ne prend, il n’est plus en état de répondre, ni même de témoigner par signe que cela lui fait plaisir. Par moment il revient, des souvenirs de jeunesse le raniment mais c’est court. Depuis hier il se croit près de sa fin. Hélène est fort touchante. Annette ne se doute pas de sa fin prochaine. Constantin est excellent.
Il pleut sans cesse, je marche un peu malgré cela, mais l’humidité dite ne me vaut rien du tout ici, elle est trop concentrée. Je ne me sens pas bien non plus. Les premiers jours m’ont convenu comme santé. Maintenant je reprends sans griefs contre mon estomac, mes jambes, et les poulets mal rôtis.
Votre lettre est meilleure N°9. D’abord, elle est plus longue, et puis vous me paraissez en bonne espérance. (J'oublie que vous y êtes toujours.) Je serai bien impatiente du Maroc. Je pense beaucoup au voyage. Ne pas le faire ce serait bien gros. Le faire sous les auspices actuels, sera fort critiqué en France. Revenir après avoir tout aplani à la bonne heure. Mais si vous n’aboutissez à rien ce sera un gros péché de plus devant les chambres. Quelle mauvaise invention que ce Tahiti ! Je suis comme quelques autres. Vous êtes allé chercher là un embarras permanent pour les beaux yeux de quelques avantages très médiocres.
Marion m'écrit de Dieppe en grande terreur. Son père ne veut plus s'engager dans un long bail par crainte d’une rupture entre les deux pays. De temps en temps je me dis que c'est absurde, et puis dans d’autres moments j’entre dans le raisonnement que se fait sans doute Peel. " Courte et bonne leçon " comme vous dites du Maroc. Pardonnez-moi la comparaison, mais tenez pour certain que la majorité des Anglais comme cela. Il leur est facile de vous faire beaucoup de mal. Et voici bien des années que les provocations de paroles au moins ont été bien fortes du côté de la France. Enfin, Dieu veuille que tout ceci finisse vite et bien, mais je suis très inquiète.
Ayez la bonté d'envoyer l’incluse le Duc de Wellington est impayable quand il attrape un mot. On dirait un serein qui répète ce qu'on lui a enseigné. [?], et encore et toujours. Le Times est mauvais. Il y a bien dans tout ce qui se dit et s’imprime à Londres un petit retour, mais il est faible. Adieu, je ne sais rien, je ne fais rien je me désole, voilà tout. Faites-moi la grâce de m’envoyer une lettre de recommandation pour que vos douanes me laissent passer sans embarras. Je ne sais encore sur quel point du Rhin je le repasserai. Le pauvre petit Hennequin ne doit pas se divertir par cette pluie. J'espère qu’il aura été au bal hier, car on danse ici. Adieu. Adieu. J’espère que votre rhume est passé. Dites le moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00358.jpg
12 Bade Lundi le 12 août 1844
7 heures du matin

Que je voudrais voir confirmée aujourd'hui la dernière dépêche télégraphique annonçant la paix ! Mais j’en doute, c’est un si étrange pays. J’attends toujours des perfidies et des mensonges. Votre lettre est bonne en général. Je suis toute contente de ce que vous me dites sur Tahiti. Ne bougez pas de votre résolution actuelle. Vous ne pouvez pas faire autrement, et soyez sûr que vous vous en trouverez mieux, même dans vos relations avec les Anglais, ils ont si évidemment tort. Réparation, réparation, quelle prétention ! Pourquoi réparation ? Vous ferez plaisir aussi à toute l’Europe en leur résistant. Il y a trop d'insolence dans leur fait. Enfin je suis parfaitement contente de votre attitude, et je vous conjure d’y persévérer.
J’ai vu hier tous vos diplomates. Fontenay est venu passer un jour ici. D’Espagne Fontenay dit que vous êtes un grand vénérable en Allemagne. Le Roi de Wurtemberg est en Suisse. Le Prince Emile a la fièvre scarlatine à Wisbade. Je ne verrai ni l'un, ni l'autre. J'en suis fâchée. Je n'aurai rien vu à Bade pas même le soleil. La journée hier a été excellente. La meilleure que j'ai vue. Les médecins n’en font pas grand état. Ce que cela prouve cependant évidement c’est qu'il y a milieu une grande force vitale. Il était gai, causant, faisant mille plains pour l’avenir, et toujours toujours les affaires. Aujourd’hui on me fait dire qu'il est moins bien. J’ai dit hier que je comptais partir. Mardi le 20, qu’il le fallait pour les bains de Dieppe. Constantin sera certainement triste de se séparer de moi. Nous nous sommes fort attachés l’un à l’autre. C'est une si bonne nature que la sienne et d'un dévouement pour moi, d’une discrétion. Madame Karchkein a vu sur le Rhin toutes sortes de princes & princesses. Entre autres le prince de Prusse qui va cependant en Angleterre. Il y sera dans dix jours. J'ai été hier à l’église. J’ai marché à deux reprises. Pas de calèche car il a plu tout le jour. Il fait vraiment froid ici, les nuages couvrent les montagnes. Bacourt est fort souffrant. Il se traine. Il vient chez moi de 4 à 5. Ma seule réponse. Il me conseille bien de partir au premier jour de mieux car je ne le pourrai plus si cela allait plus mal. Il me tient bien au courant en s'abouchant avec le médecin du lieu, homme assez habile. Toute la question est de savoir si on pourra le tirer de Bade et quand ? L’opinion de tous est que ce soit. Le plutôt possible, si c'est possible Gaillard le médecin de Bade, dit qu'il me dira cela jeudi. Hier mon frère a reçu un gros courrier de Pétersbourg et écrit tous les matins pendant un ou deux heures, & de la main la plus ferme. C'est une chancellerie toute montée ici. La grande duchesse est toujours dans le même état. L'Empereur extrêmement changé. Adieu. Adieu.
Vos lettres sont ma seule joie, ma grande joie. Aussi comme je les attends et comme je m'inquiète d’un retard de 10 minutes ! Cela m’est arrivé hier. Alors je perds la tête. Adieu. Adieu. Soignez-vous. Aimez-moi. Adieu Je doute du mariage Cambridge, car tous les jours mon frère et moi nous nous disons " où trouver un mari. " Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00366.jpg
13 Bade Mardi le 13 août 1844
7 heures du matin

Excellente idée d'envoyer Gluksberg. J'en suis charmée. Pourvu que ce soit vrai que l’Empereur veuille traiter de la paix. Votre lettre aujourd’hui me dira quelque chose sans doute. Je suis bien contente aussi des articles dans le Herald et le Sun. They all come round. Et tout ce que vous me dites de votre côté sur ce sujet me convient parfaitement.
J’ai eu du plaisir à savoir hier que vous diniez chez Lady Cowley. Je vous voyais d'ici, depuis 7 à 9 vous étiez sans cesse devant mes yeux. Vous aurez parlé de moi. Peut-être vous aura-t-on donné la petite Galère pour vous divertir. J’espère qu’elle ne vous aura pas trop diverti.
J’ai appris par de bonnes sources que le Roi de Prusse est souffrant. Les sangsues ont amené l’inflammation. Que savez-vous de votre côté ? En Allemagne l’effet du coup de pistolet a été très grand. En Prusse beaucoup moins. On fait si peu de cas de ce roi ! En général l’esprit là est détestable et les Allemands sensés sont pleins de terreurs : craignent une explosion même assez prochaine. Je répète que tout ceci vient de bonne part.
Et bien, mon frère va mieux. C'est incroyable. Il est vivant, il est gai, je partirai sans inconvenance et même sans inquiétude ; je me mettrai en route le 20 au plus tard. Continuez à m'écrie ici jusqu'à ce que je vous dise de cesser. Monsieur Tolstoy me ramènera à Paris. Je ne sais s'il sera amusant. Cela m'est assez égal, c'est de la protection et de la ressource en cas d'embarras, d’accident, & & car je vois toujours toutes les catastrophes. Jamais je n'ai fait de voyage aussi lestement. Eh bien qu’avec Constantin, j’étais en pleine sécurité. Nous serons surement tristes tous les deux de nous séparer. Je crois qu’il m'aime bien. Ici il me divertit beaucoup. Il est l’intermédiaire entre le Pacha et les courtisans c’est une puissance. Et puis il sait tout. Il n’y a rien de secret pour lui. Mais tout ce qu'il fait ou dit est tranquille, discret. C’est un excellent jeune homme.
J'ai pu faire hier une promenade en calèche, mais pas longue ; car la pluie est survenue. J’ai vu Fontenay il a un peu d’esprit d'observation mais il bavarde trop. Il retourne à Stuttgart aujourd'hui et me fera savoir si le Roi qui est en Suisse passera par ici avant le 20. Je l'ai bien troublé quand je lui ai dit que le Roi avait été [?] à Paris il y a un an. Il le savait, mais depuis peu seulement, et n’avait pas où vous le mander après un si long temps. Bacourt est plus souffrant ; et retourne à Nancy ces jours ici.
Je me trouve ici ni mieux ni plus mal. J'ai eu un mauvais jour cela a passé. L’air ne peut pas en faire du bien. Il est constamment humide et froid. Quel été ! J'ai l’esprit tranquille depuis que je sais que Génie vous est revenu. Vous n’irez pas à votre conseil général j’espère ? C'est impossible, vous ne pouvez pas quitter Paris dans un moment où chaque heure peut vous amener quelque grosse nouvelle d’Afrique. Je vous en prie n'y allez pas, j’aurais peur de tout. Et puis c’est juste lorsque je vous reviens ! Mon souvenir de ma rencontre avec mon frère sera au fond rien du tout. Je ris le soir quand j’examine ma journée, et elles se ressemblent toutes. Il ne me fait pas une question intéressante ; j’ai essayé quelques fois de causer, cela touche bien vite. Et je n’ennuie tout de suite de rencontrer si peu d'écho. Il me raconte bien longuement tout ce que le regarde lui dans tous les genres. Il a n'a jamais parlé de moi, je ne commence pas. Il est concentré dans sa gloire et son importance. avec cela il est très bon homme ; on l'aime beaucoup. Il est utile. Adieu. Adieu. Je serai bien heureuse de me retrouver auprès de vous. Et d'abord de repasser le Rhin. Envoyez-moi vite je vous prie l’ordre pour la Douane je ne le passerai pas à Strasbourg je ne suis pas venue par là non plus j'ai abrégé. Ainsi que ce soit un ordre général. Kisseleff est-il parti pour l'Angleterre ?
Adieu. Adieu God bless you dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00376.jpg
14. Bade Mardi 13 août 1844
2 heures

J’ai reçu hier une lettre de Rothschild de Paris m'annonçant un décret hollandais qui m’oblige à retirer un capital que j’ai dans ce pays là, ou à me contenter de 4 ans ? de 5%. De plus l'obligation de dire oui ou non de suite parce que l’avis doit être donné à Amsterdam avant le 20. Voilà qui m’ennuie, je ne sais qui consulter. I am quiete helpless. Je vous dis ceci, comme si vous pouviez me souffler ma réponse d’ici à demain matin.
Mon frère est vraiment mieux. C’est étonnant. Le médecin qui disait Samedi qu’il n’irait pas jusqu’à Samedi prochain ! Je me suis promenée à pied avec Constantin entre de fortes averses. Le ciel est bien noir J’attends votre lettre, c'est le moment où le cœur me bat bien fort.

Mercredi 14 août, 7 heures du matin.
Merci de la lettre. J'ai bien besoin de vos lettres pour me tenir l'esprit éveillé et le cœur content. Depuis peu l’état de mon frère ne m’alarme plus autant, je m’ennuie profondément et je songe à partir au plutôt. Il n’est pas impossible que ce soit même samedi. Je verrai ; je ne suis pas sûre ; n'y comptez pas du tout, écrivez jusqu'à nouvel avis, je vous en prie, car un jour sans lettre serait un complet désespoir. Je suis impatiente de voir arriver l’ordre pour la donner, je crois que je vous l'ai demandé dimanche, & que je pourrai l’avoir demain. Peel a l’air honteux, son silence sur Tahiti dans sa réponse à Palmerston est un grand contraste avec ses paroles brutales & étourdies. Il s'est conduit là bien sottement, & vous avez certainement aux yeux de tous un avantage immense sur lui. Je suis bien contente de votre attitude. dans cette affaire, je ne puis assez vous le dire et vous exhorter à y persévérer. Le Maroc, le Maroc, j’attends avec une impatience extrême. J'ai mal passé la nuit. J’ai l’estomac en révolte. Il est possible que ce mauvais temps agisse aussi sur moi. Pas un rayon de soleil & de la pluie, un air froid. C'est abominable.
J’ai pris, mon parti, je me convertis au 4 %. J’ai fait consulter un juif qui m’a dit qu’il fallait le faire. Mon frère me fait dire qu'il a bien dormi, [voici] quatre jours de mieux. Le médecin me dira aujourd’hui, si c’est du progrès. Il doit, je crois, décider aussi aujourd’hui on demain l’époque de son départ. Je n’ai rencontré de visage connu de Paris que le marquis de [M ?]. Il a de l’esprit, et il s'ennuie ici beaucoup. C’est tout-à-fait juste. Adieu. Vous me pardonnez de vous écrire des lettres si bêtes. Quel retour pour les vôtres. Adieu. Adieu, demain je déciderai le jour de mon départ. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00384.jpg
15. Bade jeudi le15 août 1844,
7 heures du matin

Ne m'écrivez plus. Je pars samedi ou dimanche au plus tard et je serai à Paris, Mardi ou Mercredi. Vous saurez cela exactement par ma lettre de demain. Ah que je serai contente, et vous aussi. Il ne vaut vraiment plus la peine de rester ici. Je suis sans inquiétude immédiate pour mon frère. Il est infiniment mieux, mais ce mieux n'amène pas davantage sa conversation. Rien ne semble l’intéresser, lui même parle extrêmement peu, de sorte qu’il n'y a aucun échange d’idées entre nous. Et nous nous sommes dits les deux premiers jours tout ce qu’il est capable de donner ou d’entendre.
Le temps est tous les jours plus exécrable. Hier des torrents tels que je n'ai plus pu bouger depuis deux heures de l’après-midi et cette nuit quelle tempête ! J’ai prévenu Hennequin, il partira le même jour ou le lendemain de mon propre départ.
Vous m'annoncez la paix avec le Maroc. J’ai peine à y croire encore, et je ne saurais me réjouir tout-à-fait. Cependant l'essentiel est que vous êtes irréprochable dans la conduite de cette affaire. J’espère que la négociation aboutira. Je reste très inquiète de vos relations avec Londres, ou plutôt de l'embarras où les paroles de Peel placent le Cabinet Anglais, du ton des journaux là et ici, surtout à Londres. Le Times est très mauvais. Je ne me rend pas compte des possibilités du voyage. Cependant comme il serait nécessaire de causer ensemble ! Jarnac me désappointe un peu. Il a fait de sots speeches à un certain meeting, & le Journal des Débats est plus sot encore de les avoir répétés. Il y a là dedans un manque de tact que je ne soupçonnais pas dans Jarnac.
Tenez pour certain que Nesselrode est en Angleterre pour des affaires, je le sais. Merci et pardon des 150 francs à Etienne ; je crois que c’est pour vous les rendre que je hâte mon retour ! J'ai eu hier une lettre de [Cramkoido] qui m'annonce du mieux. On commence à espérer que la grande Duchesse vivra. Il y avait eu une crise horrible. Mais tout le monde avait repris à l’espérance Adieu. Adieu, vous aurez encore une ou deux lettres ! Adieu, que je serai heureuse de vous revoir adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00392.jpg
16. Bade Jeudi 15 août 1844, 6 heures

Je me réjouis bien de me retrouver auprès de vous dans quelques jours. Nous aurons de quoi parler. Votre nouvelle d'Alexandre est très curieuse. elle a beaucoup frappé mon frère. Il ne pense guère qu'à ce qui nous regarde directement. Il s'en suit donc que ceci nous regarde ou au moins nous intéresse. N’y a-t-il pas là quelque parti à tirer pour Tahiti ? (cela ressemble un peu à l'attentat contre le Roi de Prusse que je pensais qui devait déranger mon voyage !)
Vraiment c’est très curieux comme l'Afrique est devenu le théâtre de la politique. Alexandrie, Turin. L’Algérie. Le Maroc. Cette rivière Gabon où je ne sais quoi : votre nouvel établissement près de Madagascar. Une certaine guerre au cap de bonne Espérance.
C’est drôle que Nesselrode retrouve à Londres précisément dans ce moment de tension dans vos rapports avec l'Angleterre. Le hasard le favorise. Je pense cependant qu’aucun grand cabinet ne peut désirer une rupture. Il y a trop de périls pour chacun attachés aux conséquences de cette rupture, mais il faut convenir que l’entente cordiale a été courte.

Vendredi 16. à 7 heures du matin
Mon frère continue à aller bien. Le changement est miraculeux. Je lui ai annoncé hier que je partais demain, il a essayé de causer un peu plus que de coutume, mais cela lui coute ou cela l’ennuie, je ne sais lequel. Au reste il est comme cela pour tout le monde. Hier des averses continuelles. Aujourd'hui s'annonce de même. Je crois que je vous arriverais à la nage. La Colonie s’est réunie hier soir chez Madame [?]. Annette a chanté. J'y ai passé une heure. A 9 heures je me couche tous les jours. J'éprouverai un vrai chagrin à me séparer de Constantin. Bon, excellent, jeune homme, et qui a, je crois, vraiment de l'attachement pour moi. Tous ses petits soins de tous les instants me manqueront beaucoup. Mon frère restera encore trois semaines à Bade. Hélène partira avant lui. Le pauvre petit Hennequin ne sera pas fort édifié de son séjour ici. Il n’a pas pu faire une seule bonne promenade. Il partira le même jour que moi, mais je veux qu'il me voie partir. C’est plus sûr. Je peux à peine croire que je suis si près du moment de vous revoir. Cela me parait si charmant que voilà toutes les terreurs qui recommencent : il m’arrivera quelque chose en voyage. Je suis d’une poltronnerie ! Le Tolstoy qui m’accompagne est aussi effrayé que moi, et demande de tous côtés des renseignements. Il a peur de moi. Adieu, Adieu.
Je vous écrirai encore un mot demain avant de me mettre en voiture. Et puis de la route pour vous mander un accident, s'il arrive. Adieu mille fois adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00398.jpg
Bade Samedi le 17 août 1844,
à 7 heures du matin

Je pars ; mes chevaux sont là. Je vous écrirai encore de la route. Mon frère est moins bien, mais si je restais, je ne partirais plus. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00399.jpg
Sarrebourg Dimanche le 18 août 1844
à 6 h. du matin,

Je veux que vous receviez encore ce mot avant mon arrivée. Je serai à Paris, Mardi tôt ou tard selon l’état des routes et de ma santé. J’ai trouvé des fortes inondations, & le ciel en menace encore. Hennequin m’a encore vue à Kehl. Il ne vous porte pas de lettres parce qu'il n'y a pas de quoi. Il a été pour moi très aimable & soigneux. Adieu. Adieu.
Au revoir que c’est joli ! J'espère que nous nous reverrons. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00403.jpg
Mardi midi le 27 août 1844

Je suis bien fâchée de voir dans la dépêche télégraphique le mot " pris possession. Ne pouviez-vous pas faire mettre " nous avons occupé " ? Il me parait que vous devriez ne pas tarder un moment à faire à Londres cette rectification. Car si je juge sur mon impression ce mot en produira une très vive en Angleterre. Je m’inquiète de tout, c’est que vous savez comme je trouve qu'on est léger ici.
J'ai une lettre de Constantin. Mon frère traîne. Il parait que l’hydropisie se déclare. Il est plus triste que jamais. On lui mande de Pétersbourg que l’Empereur mène l’Impératrice à Berlin. Je n’ai pas vu une âme encore.
J’attends votre billet, et je viens de prier Génie. Le voilà qui entre et me remet votre billet. Vous ne me dites rien sur ce qui m’inquiète. Je répète hâtez vous de réparer à Londres. De dire à Cowley, occupation temporaire cela ne peut être que cela. En général, le ton de la dépêche télégraphique est de mauvais goût. Ecraser la ville comme c'est fanfaron. Vous voyez que je suis de mauvaise humeur vous avez un peu tort de ne pas vous mêler davantage de tous ces détails.
Voici mon fils qui sort de chez moi. Avez-vous lu le rapport de Lloyds compagnie d'assurance. Cela n’est pas suspect, qui dit qu'à Tanger à cinq heures de l’après-midi seulement la flotte française s’est retirée et les batteries tiraient encore sur elle tandis que la dépêche disait : L’attaque commence à 8 h. du matin au bout d'une heure on avait tout détruit. Accordez cela. Le Lloyds ajoute : toutes les batteries sont restées debout. C'est drôle !
Si je puis j’irai vous voir un moment mais je ne suis pas sûre de le faire, d'abord il faut absolument que je rende enfin les visites que m’ont faites Mad. Appony & Mad. Brignole, & puis je ne vous trouverais pas seul, quel profit ? Mais ne manquez pas de venir à 8 1/4. J’aurai certainement vu Lady Cowley, je la chercherai même car j’aime le cœur [?] la possession. What could possess you to write that word. Adieu. Adieu. Peut-être encore me verrez-vous arriver. Adieu.
Au fond, c'est vous qui avez tort d'être à Auteuil dans ce moment. C'est un anxious moment, où votre présence à Paris est nécessaire à tout instant. Vous pourriez y aller dîner tous les jours. Cela conclurait tout. Je pense que vos collègues seraient charmés s’ils savaient que je vous propose cela. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00410.jpg
Merci du billet. Pas de St Germain pour moi. à 1 1/2 Madame de la Redorte, à 3 heures Thiers.
Je viens de me promener aux Tuileries. J’ai rencontré Mackau, il a l’air un peu épouffé mais cependant stout. Hier Harry Vane a dit à Kisseleff " dans quinze jours l'Angleterre peut avoir 300 bateaux à vapeur pour bloquer la France. " Greffulhe est dans la plus grande épouvante. Moi, je ne suis pas du tout tranquille. Adieu. Adieu.
Grande semaine, mauvaise semaine. Bonne soirée j'espère. Adieu.

Midi
Paris Mardi 3 7bre midi

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00415.jpg
Merci, merci. C’est évident, & je faisais la même réflexion en lisant ce matin les journaux. La chose est trop claire, pour ceux qui portent des lunettes & ceux qui n’en portent pas. Je suis toujours plus enchantée.
Je pars à 1 1/2, Je serai de retour à 6. Je vais mieux. Je n’ai vu personne, et je n’ai pas reçu de lettres de nulle part. Adieu. Adieu, à ce soir adieu.
Midi 1/2
Mardi 10 Septembre 1844

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00419.jpg
Vraiment voilà une bonne & grande nouvelle. Je vous félicite et moi aussi, et je vous remercie, beaucoup d’avoir fait la paix, et de me le dire. Adieu à demain, thank you a thousand times. Adieu.

Dimanche le 15 Sept. 1844

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00421.jpg
Merci. Je n’aime pas qu'on se batte à Tahiti. But l can not help it. Rothschild est venu. Je lui ai dit que vous comptiez aller à Ferrières Mercredi. C’est donc convenu. Il espère bien que vous y resterez. Jeudi, et moi plus longtemps.
J'ai eu des nouvelles de Constantin. Mon frère était au plus mal, malgré cela ils sont partis d’Amsterdam le 14. Adieu. Adieu, à ce soir.

Mardi 1 h 1/2
17 Sept. 1844

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00423.jpg
Voilà un billet qui m'effraye et me rassure tour à tour. Vous ne savez pas comme je suis inquiète et comme je m’amuse. Est-il possible que moi je sois cause de tout cela ! J’espère que Béhier va vous arriver tout de suite. Moi, je serai à Auteuil certainement à 4 heures, et peut-être un peu avant. Mais je vous prie de ne pas descendre. Recevez-moi dans votre cabinet, dans votre robe de chambre et si je viens dans un moment qui vous gêne faites-moi attendre tant que vous voudrez. Pour Dieu remettez-vous bien vite. Je suis toute misérable. Adieu, adieu. Soignez vous extrêmement, je vous en conjure. Adieu.

Vendredi 20 Septembre.
9 heures

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00427.jpg
Merci, merci des good news. Je veux que vous vous reposiez bien, beaucoup. Je serai chez vous comme hier, mais avant quatre heures pour vous voir un peu plus longtemps. Et puis hier j’avais peur de vous fatiguer. Je ne vais pas par la grande route que vous prenez elle est trop horrible. J'arrive par le bois de Boulogne, je trouverai bien moyen d’arriver jusqu'à vous. Je n’ai vu que mon fils, je ne sais rien du tout. Mais Je ne suis plus curieuse que de votre santé. Adieu, adieu, à tantôt. Adieu.

Samedi 21. 9 heures

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00432.jpg
Je vous remercie d’avoir bien dormi, de n’avoir plus de mal de tête. Cependant il me semble qu'il faudrait encore de votre bouteille d’eau je ne sais quelle. Voyons ce qu’en pensera Behier. Je serai chez vous bien sûr à quatre heures.
Je suis allée hier à 8 heures chez les Appony. Une demi-heure après les enfants arrivaient. La pauvre Annette bien touchante, elle était si contente de me trouver là. Ce matin, ils viennent tous ici dans l’espérance de trouver une lettre de Constantin. Ce que Rodolphe me raconte est effrayant. Il est impossible qu'il arrive vivant à Pétersbourg !
De là j'ai été chez Madame de Castellane. Molé l’avait chargée d’arranger avec moi Champlatreux. Je promets pour octobre. Rossi est venu, pas de conversation politique du tout. L’histoire ancienne réveillée, par Lord Malmesbury. A 10 heures je suis rentrée, & Génie est venu me donner de vos nouvelles. Il espérait la bonne nuit qui est venue. Adieu. Adieu. Je vous en prie portez vous bien, faites tout pour cela. Adieu, à quatre heures.

Dimanche 9 heures le 22 7bre 1844

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00436.jpg
Cette pluie m'ennuie bien aussi pour vous. Mais vous êtes bien, Dieu merci. Ne vous occupez pas trop.
J’ai vu hier après vous Lady Cowley pas autre chose. Elle ne dit rien de nouveau. Elle s'occupe de vous, et désire bien que vous preniez le plus de repos possible.
J’ai dîné et passé la soirée avec mon fils. Il va retourner à Londres. J'en suis fâchée. Adieu.
Adieu, à quatre heures.
Lundi 23 Sept. 9 1/4

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00437.jpg
Je voyais bien cela hier, et j’en suis triste. Il me semble que Béhier prend mal votre mal. Il fallait vous nettoyer franchement, et pas avec de la limonade, et puis vous fortifier. Dites lui donc cela. Je serai bien impatiente de 4 heures. Restez tranquille, prenez du bon bouillon. Je vous en prie portez vous bien. l am so miserable !
J’ai passé ma soirée chez les Appony. Ils étaient seuls. Cinq du nom. Pas un mot intéressant. Le pauvre Planta a eu une sorte d'apoplexie avant-hier. J’ai vu Lady Cowley, elle ne savait rien non plus, & se désole de votre indisposition. Adieu, adieu, à quatre heures. Adieu.

10 heures Mercredi 24
Formats de sortie

atom, dcmes-xml, json, omeka-xml, rss2