Votre recherche dans le corpus : 290 résultats dans 4927 notices du site.Collection : 1848-1849 : L'exil en Angleterre (La correspondance croisée entre François Guizot et Dorothée de Lieven : 1836-1856)
Lowestoft, Mercredi 30 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Nous approchons bien. Je ne vous écrirai plus et n'aurais plus de lettres de vous qu’aujourd’hui et demain. Quelques lignes, je vous prie à Brompton vendredi, à mon arrivée.
Avez-vous remarqué les Débats répétant l'article du Constitutionnel sur les bruits de Henri V ? Beuve du concert à ce sujet entre toutes les nuances monarchiques. Si Montalivet avait raison, si Cavaignac, au dernier moment, se retirait de la scène plutôt que de s'allier avec la République rouge, cela simplifierait beaucoup les choses. L’apostrophe de M. Ledru Rollin à l’ancienne gauche est parfaitement vraie et méritée. Et bien modérée, comme vous dîtes. Mais comment Thiers et Barrot ont-ils couché la tête sous le coup ? La défense était difficile. Pourtant il y a toujours une défense. Gens de bien peu de tête, et de courage, et de puissance quand l’épreuve est un peu forte, si la fusion avait lieu, il y aurait beaucoup à les ménager car ils pourraient faire beaucoup de mal. Mais ils seraient bien humiliés en restant dangereux. Que de partis et de personnes de qui je ne dirai jamais le quart de ce que je pense ! Ce qu’on apprend le plus en avançant dans la vie, c’est à se taire. Et rien n'isole plus que le silence. C'est ce qui rend l’intimité où l’on ne se tait sur rien, si précieuse et si douce, à samedi.
Une heure
Merci de vos détails. Très bons. Ce n'est pas seulement la meilleure solution, c’est la seule bonne, car c’est la seule qui remette les choses dans l’ordre, dans l’ordre vrai. Tout ce qu’il faut, c’est qu’elle soit possible. Et quand on la croira possible, elle le sera. Je n'ai rien d'ailleurs. Je voudrais bien qu’il dit samedi le temps d’aujourd'hui ; que le jour fût beau de toutes façons ! Adieu. Adieu. Adieu. Je ne sais plus vous dire que cela Adieu. G.
Richmond, vendredi 31 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Ceci va à Brompton, quelle victoire. Je viens de recevoir votre lettre. Combien nous aurons à nous dire ! Je persiste à me trouver Samedi sur le port de Putney à 4 1/2 ne le dépassez pas si par hasard vous étiez là avant moi, car il y a deux routes, je vous trouverai près de l’Eglise, ou bien c’est vous qui m'y trouverez. J’ai été voir Lady Palmerston hier. Elle est malade. Elle m’a dit : " M. de Beaumont est très agréable nous l’aimons bien, & puis il dit une chose bien vraie, c’est que la république peut être mille fois plus facile ou docile pour l'Angleterre que ne le serait jamais une monarchie. Ainsi pour le moment mon mari trouve aussi que c’est très bon. " Sur l’Italie. " Mon mari dit qu'après tout Charles Albert est très injustement accusé. Les Milanais se révoltent, chassent les Autrichiens et l’appellent lui à leur secours ! Pourquoi ne l'aurait il pas donné ? " Vous voyez l’indulgence & la disposition. Pas de réponse encore de l’Autriche le National a vu cela aujourd'hui un article très menaçant. Je viens de lire dans le Times votre discours à Yarmouth, extrêmement bien, & évidemment exact parce qu'il y a même quelques fautes de langue. Never mind. Il n’y en a qu’une positive. C'est le mot awfull. Vous voulez dire solennel ou imposant, et vous avez dit effrayant. Mais au total c'est un discours qui a dû faire beaucoup d’effet & de plaisir et qui est d'une grande connivence.
6 heures.
Je vous écris au milieu d’un orage effroyable. Voici deux heures qu'il dure. J’étais rentrée heureusement une minute avant d’une visite faite chez la Duchesse de Cambridge. J’y ai rencontré la prince Metternich. Quel ton ! C'est de plus fort en plus fort. Rien de nouveau. Elle annonce au nom de son mari que Septembre sera horrible, du massacres par tout. Enfin l’apogée de la révolution en Europe. Nous bavarderons bien sur tout cela. C'est bien long encore après demain. S’il pleuvait lorsque vous arriverez à Putney bridge vous savez que l’entrée des ponts est à couvert, & que vous pouvez vous abriter chez le turnpike keeper. Mais j'y serai avant vous. Je vous écrirai encore demain. Adieu. Adieu. Comme Samedi est loin. Adieu.
Lowestoft, Jeudi 31 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Voici la dernière. Few words. Je supprime tous ces raisonnements par lesquels, on essaie de se persuader qu'on cause. Le temps est superbe.
J'attends Sir John Boileau et sa femme qui viennent me faire une visite d'Adieu. J’en ferai moi-même trois ou quatre dans la ville, car c'est une jolie petite ville, très propre et très sereine. Je ne veux pas dire gaie. Rien n'est gai en Angleterre, mais il y a beaucoup de sérénité. J’ai fait connaissance à Ketteringham-Park, avec l'existence d’un country gentleman. Ici, avec celle d’un clergyman, un M. Cunningham excellent homme qui ne sait qu'inventer pour me témoigner son amitié. Tout cela fait une société bien réglée, et j’espère bien solide. Je leur ai dit à Yarmouth, en finissant: « Keep your faith, keep yours lands, be faithful to the example, to the traditions ef your ancestors aud I trust god will continue to pour on your conntry, his host, his most abundant, his most fertilising blessings " Most enthousiastick cheers and Vivas, Guizot.
Adieu. Adieu. Je ne fermerai ma lettre qu'après avoir reçu la vôtre. Mais je ne suppose pas qu'elle me donne grand'chose à ajouter. Adieu. Adieu.
2 heures
J’irai samedi par Putney, et j’y serai à 4 heures et demie. Toujours un peu dans la dépendance des omnibus qui passent à Pelham Crescent. Mais en tous cas, j’irai par Putney. Quel dommage de n'avoir pas été ensemble hier 30 ! En Angleterre ! Nous causerons samedi de la médiation de l’appartement et de la loge. Adieu, Adieu. Adieu. G.
Richmond, Jeudi 1er septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
3 heures.
Et moi aussi je ne sais rien dire, aujourd’hui que nous sommes si près de demain. à demain donc à Putney bridge ; intra s'il pleut, extra, s'il ne pleut pas. Je suis bien contente de voir ce beau temps pour votre voyage. Adieu. Adieu.
Brompton, Lundi 4 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi
Je ne veux pas que vous soyez sans lettre demain toute la matinée Quoique je réserve pour le soir la longue conversation. J’ai vu Dumon hier au soir ; pas Salvandy qui dînait à Holland House, et en est sorti trop tard. Salvandy vient de m'écrire qu'il viendrait me voir demain matin. Il est, à ce qu’il paraît, en assez mauvaise santé et dans un état de grande excitation, ne pouvant ni travailler, ni donner. Il avait quelque envie d’aller se faire juger à Paris, pour donner quelque satisfaction à son agitation. Il a cédé aux premières objections de Dumon. Il est ici pour quelques jours. Montalivet est venu surtout pour les affaires privées du Roi. Elles paraissent en meilleur train. Le gouvernement veut en finir et a demandé que le Roi nommât un fondé de pouvoir avec lequel il pût débattre et traiter. On a indiqué en même temps que Dupin serait accepté. Dupin, consulté, a dit qu’il accepterait. Et le Roi, après quelque hésitation, vient de nommer Dupin. On est fort préoccupé, à Claremont de la crainte que quelque incident ne vienne déranger cette bonne veine. On avait entendu dire que je me proposais d'écrire. On a témoigné à Dumon le désir que j’attendisse. Il a fort rassuré. Montalivet a dit à Dumon les mêmes choses qu’à Montebello sur la fusion, et sur ce qu'on en pensait à Claremont. A demain les détails.
Lady Palmerston devrait bien me rendre un petit service, trop petit pour que je me fasse la petite affaire de la demander à son mari. Mad. Baudrand avait envoyé à mes filles, par André un petit pot à crème en argent, fort joli, dit-on. La douane l’a pris sur André et l’a retenu. Je voudrais bien qu’on me le fit rendre en payant, comme de raison les droit exigés, si mon ami Ellice était ici, c’est à lui que je m'adresserais. Il a fait toutes mes affaires de ce genre. Mais Glengwich est trop loin. Et je m'adresse à Dieu, à défaut de ses saints, si tant est qu’Ellice soit un saint, et un saint de Lord Palmerston. Pouvez-vous écrire ou dire à Lady Palmerston deux mots sur mon pot à crème ?
L'impression de Paris est à la guerre. Le gouvernement parait croire qu’une forte démonstration suffira pour rendre l’Autriche plus traitable. Mais les démonstrations mènent loin. Vous voyez qu'on en médite une sur le Rhin en même temps que sur les Alpes. Je persiste à douter. Pourtant, pour Cavaignac, l’alternative est cruelle. Si l’Autriche cède, ou s’il la bat, ce sera pour lui un grand succès. Londres a un bien grand intérêt à ne pas lui laisser courir cette chance, car c’est en le triomphe de Paris tout seul, ou la guerre générale. Je répète que je persiste à douter. Adieu. Adieu.
André a remis à Jean, avec vos paquets, deux bouteilles de vin de Bordeaux. Gardez-les moi, je vous prie. Adieu. Adieu. G.
Lord Aberdeen m’a renvoyé votre lettre du 28. Il ajoute : " I'm already in debt with the Princess, and will write to her very soon."
Brompton, Mercredi 6 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
10 heures
J’ai trouvé hier soir un billet du Roi qui m'attendra aujourd’hui. Je pars de chez moi à 11 heures pour être au railway à midi. J’espère être revenu avant l’heure où part la poste de Brompton (6 heures) Mais à tout hasard, je vous écris quatre lignes ce matin pour que vous ne soyez pas inquiète si ma lettre de ce soir était en retard.
Je viens de lire mes journaux. Voilà l'assemblée enracinée jusqu'après le vote des lois organiques. Je suis de plus en plus frappé du silence des hommes importants, sur toutes les questions importantes. C’est un calcul incompréhensible, ou une désertion inconcevable. Voici la place de la France. On n’y sait pas attendre sans renoncer. Le débat de la constitution sera un immense ennui. Personne ne partira. Personne n'écoutera. Et il finira Dieu sait quand !
Adieu. Adieu, si vous n'étiez pas si loin, je saurais si vous avez mieux dormi. Ah le bon vieux temps ! Adieu. G.
Mots-clés : Politique (France), Réseau social et politique
Richmond, Mercredi 6 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
1 heure
Savez-vous que je trouve le discours de la Reine très bien. & la partie extérieure d'une mesure et convenance parfaites ? Ne le pensez-vous pas aussi ? J'aime assez les Débats ce matin. Langage toujours dédaigneux pour les travaux de l'Assemblée, et puis la fin « puisque le suffrage universel envoie des gens qui ne savent pas lire, à quoi bon la liberté de la presse ? »
Positivement la question italienne dort, on veut du moins le faire croire. Je crois toujours que c'est un calcul pour ne pas effrayer la bourse, et qu’en attendant on prépare, & on fera une petite démonstration à la façon d’Ancône, pas autre chose. Je n'ai rien absolument à vous dire.
Montebello part demain, c’est certainement un chagrin pour moi. J’ai fait la lettre pour Bulwer, bonne, je crois. Ne pensez-vous pas qu'on remarquera, avec un peu de dépit à Paris que la France n’est pas appelée république dans le discours de la Reine ? Moi, je trouve cela très bien. Adieu, car je n’ai pas autre chose à vous adresser adieu.
Richmond, Mercredi 6 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
6 heures
J’avais tout-à-fait oublié une promesse de dîner vendredi chez miss Mitchell. Elle est venue me le rappeler tout à l’heure en me disant que M. de Beaumont y dinait aussi et à 6 heures tout exprès pour moi. Voyez donc, je crois qu’il vaut mieux que j'y aille. Pourriez-vous dès lors venir me voir vendredi matin ? What do you think ? Voici les Holland, mauvais moment car je veux dîner.
6 1/2 Salvandy n’était pas attendu du tout dimanche. Cela l’a fort embarrassé, & par-dessus le marché il arrive avec son fils. Les Holland craignent que le speech ne plaise pas à Paris. Deux mots y manquent la reconnaissance & la république. Mais au fait quoi reconnaître ? & ceci ressemble-t-il à une république ? Ils me disent que le roi est tout à la guerre. Non sense. Adieu. Vous me direz si vous venez vendredi et à quelle heure pour que ma voiture soit là. Adieu.
Brompton, Jeudi 7 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Oui l'absence du mot république déplaira à Paris. Pas à tout Paris tant s'en faut. Les Débats sont très bons en effet, surtout aujourd’hui. Une indifférence si tranquille sur la non durée de tout ceci ! Mais les possesseurs se défendront jusqu'au bout. Cavaignac révèle un peu plus chaque jour son fanatisme. Il pressent le combat et déclare à ses ennemis qu'il les tuera tant qu’il pourra. Lisez un peu le discours de M. Fresneau. Je dis un peu parce qu'il est bien métaphysique pour vous. C’est évidemment, un homme d’esprit. Légitimiste. Adieu. Adieu. Adieu. G.
Jeudi 7 sept 1848 Onze heures
Brompton, Jeudi 7 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Je suis arrivé hier trop tard pour vous écrire. Je ne vous dirai pas grand chose ce matin. Demain à dîner. Visite intéressante et utile. Très bonne disposition. Peu d’espérance et beaucoup de sagesse. Quand je dis peu d’espérance, je veux dire peu d’espérance pour le bon gouvernement de l'avenir. Grand effroi des difficultés, peut-être des impossibilités. Le monde s’en va. Ce qui est aujourd'hui s'en ira certainement. Mais comment fera, pour ne pas, s'en aller aussi ce qui viendra après, quoique ce soit assez de penchant à croire qu’il a été la dernière bonne chance, et que n'ayant pas réussi, rien ne réussira. Un peu moins d’inquiétude sur ses intérêts privés mais se créant à lui-même, sur ce point toutes sortes de questions et d'embarras. Extrêmement préoccupé des chances de guerre. Si elle éclate ce n’est plus seulement le monde qui s’en va c’est le monde qui finit. Guerre générale. Un peu plus tôt, un peu plus tard, l'Angleterre y sera attirée. En résumé, tout son ancien esprit, point d’esprit nouveau. Rien n'entre plus. Assez blessé et je le comprends de cette parfaite similitude, égalité établie, dans le discours de la Reine, entre les rapports actuels des deux pays et les rapports antérieurs. Vous aurez bien vu, en lisant le discours que je ne l’avais pas bien entendu. Encore bien plus blessé de l’article du Times d’hier. Les Princes sont allés au Parlement par égard, pour la Reine qui leur avait envoyé des billets. Cela seul aurait dû les faire traiter eux-mêmes avec plus d'égard.
Très bonnes nouvelles d'Espagne et de Séville en particulier. Attendant la nouvelle de l'accouchement. Le Duc et la Duchesse de Montpensier en très bonne position, même auprès des Progresistas qui les épouseraient, au besoin. Quelque inquiétude, non pas sur, mais pour Narvaez. Il pourrait bien être remplacé par O’Donnell, sans que le pouvoir sortît des mains des modérés. La Reine Christine pourrait bien vouloir cela, pour se raccommoder un peu avec Londres. Penchant à croire qu'elle aurait tort, mais ne s'en inquiétant pas beaucoup. L'important, c'est le pouvoir de la Reine Christine et des moderados, et celui-là n’est pas du tout compromis. Grande satisfaction de la correspondance d'Eisenach. L’attitude y est bonne et en parfaite harmonie avec celle de toute la famille. Mais on dit que la Duchesse d'Orléans a maigri. J'ai vu les trois Princes qui revenaient de la chasse. On leur a donné la chasse de l'Avemont. Grand soulagement à l'ennui.
J’ai rencontré en revenant la Reine douairière qui y allait. Et j'y rencontre toujours Lady Cowley, et Georgina. Nous sommes revenus d'Esher ensemble. Le reste à la conversation de demain.
En fait d’intérêts privés, je vous donnerai des nouvelles du procès qui vous touche. Je crois qu’il y a bien des chances d’arrangement. Je vous dirai ce que vous auriez à dire pour y aider. J’attends votre lettre à 9 heures. Mais je ferme celle-ci pour qu’elle parte tout de suite et que vous l'ayez dans la journée. Si quelque chose m’arrive, je vous écrirai ce soir. En tout cas, à demain dîner. Adieu Adieu. G.
Richmond, Jeudi 7 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
1 1/2
En attendant votre lettre qui me donnera de quoi répondre peut-être je n'ai absolument rien à vous dire. Montebello est parti un peu fâché lui-même. Moi je le sens beaucoup, je ne sais plus qui prendre, qui apprivoiser, pour 9 heures le soir. Voici une lettre de Mugendorf que vous me rendrez. Quelle idée de me faire attendre deux ou trois ans ! J'espère qu’il ne parle que de l’Allemagne et que les Français seront plus testés à la course. Je commence à m’impatienter beaucoup. J’ai vu hier Jumilhac, grand ami de Berryer. Plein d’espoir et de prudence
3 heures. Le diner de demain est just off. Ainsi vous viendrez dîner n’est-ce pas ? J’y compte tout-à-fait & ma voiture sera là pour vous prendre avant 6 heures. Je rentre d'un déjeuner chez La Duchesse de Gloucester, rien qu’une bonne femme et de bons grouse. Adieu, adieu. Je n’ai pas eu votre lettre encore. Londres est bien loin de Richmond. Adieu.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Réseau social et politique
Richmond, Vendredi 8 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici la réponse de Lutteroth. Je vous prie de me dire ce que je dois faire. Il me parait clair que j’ai pour rivale Lady Holland. Cela devient grave. Croyez- vous que je puisse lui demander à elle de renoncer ? Il faudra bien cela car ils sont gens à donner beaucoup s’ils tiennent à cette idée. Moi je ferai la proposition que m’indique Lutteroth. N’est-ce pas ? Renvoyez-moi sa lettre demain après l'avoir lue, & donnez-moi votre avis.
Adieu Adieu, trop courte visite, mais bonne comme toujours. Adieu. Adieu. Of course pas de nouvelles. Adieu.
Je me décide à vous envoyez Jean, il sera chez vous demain à 9 1/2. Ayez la bonté de lui remettre votre réponse avec la lettre de Lutteroth. Jean porte chez vous un dindonneau, un canard du Brésil, (voyez comme je suis savante ?) Un grouse et 2 perdreaux, 5 pièces en tout. Il faut que je réponde à Lutteroth demain, parce que dimanche rien ne part, et vous voyez que je suis tenue à faire connaître ma réponse mardi. Ne retenez Jean que ce qu'il faut pour me répondre. Je vous écris demain comme de coutume.
Brompton, Samedi 9 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je n'hésiterais pas non plus à demander aux Holland de ne pas chasser sur vos terres. C’est évidemment pour eux que Tanski négocie. Ils ne peuvent vous refuser. Vous pouvez, je pense donner latitude à Luttenoth jusqu'à 9000 fr. Adieu, adieu. Je vous écrivais. Je vais reprendre.
G. Samedi 9 sept.
Voici ma phrase sur votre procés. J’aime mieux vous envoyer la minute par Jean.
Mots-clés : Finances (Dorothée), Procès, Réseau social et politique
Richmond, Samedi 9 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je viens d’écrire à Lutteroth & d'accepter tous ses avis. Savez-vous que l’affaire danoise devient bien grosse. Moi je crois que Francfort croulera de cette affaire-là. Il est impossible que la Prusse le soumette à ces insolences, voyez un peu où tout cela peut mener ?
Je n’ai pas rencontré hier le Koller, je n'ai donc rien du tout à vous dire, mais j'écris as in duty bound. Et pour quelque chose d’autre encore, mon grand plaisir. Je suis étonnée de n’avoir rien de Lady Palmerston. Ils sont allés à Broadlands.
Vos filles ont un peu choqué l’Assemblée à la prorogation avec leurs robes montantes. Clauricarde & moi nous vous avions bien recommandé la tenue comme pour un grand dîner, mais vous n'écoutez pas, ou vous ne vous faites pas écouter. Vous serez fâché de la mort de Baudrant, Adieu. Adieu à demain 5 heures à Holland house. Adieu.
Brompton, Samedi 9 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Je vous ai quittée hier à 4 heures moins un quart. J'étais chez moi à 4 heures 35 minutes, ayant changé trois fois de voiture, le railway, mes pieds et l’omnibus. On ne peut guères surmonter mieux l'obstacle de la distance. Mais l’ennui de la séparation reste et il est grand. J'étais levé ce matin de bonne heure. Non seulement je travaille, mais j'y reprends plaisir. Je retrouve cette confiance de ma jeunesse où je croyais à l'efficacité de mes paroles autant qu'à la vérité de mes idées. A la réflexion, j’en rabats ; mais le fond reste. Grâce à Dieu, car pour être un peu puissant, il faut, non seulement vouloir l'être mais croire fermement qu’on le sera.
Je n'ai rien appris hier soir. Rumigny part aujourd’hui. Il est de ceux qui voudraient que de Claremont, on se montrât, en parlât, on fit sentir sa présence à ses amis. Il dit que les amis le demandent, se plaignent du silence. Il rappelle la proclamation que Zea Bermudes fit faire à la reine Christine chassée en 1840, et la bonne position d'attente que ce seul fait rendit à la Reine. Il se peut que le moment vienne, pour le Roi, de dire quelque chose ; mais, à coup sûr, il n’est pas venu. Je viens de vous renvoyer Jean. Je persiste dans mes deux avis. Il faut proposer ce que vous dit Lutteroth. Il faut sommer Lady Holland de se retirer. Rothschild vous donnerait en tous cas, la préférence. Les Holland ne sont que des oiseaux de passage. Merci du gibier.
Midi
Que dites-vous des derniers mots de la Lettre de Louis Bonaparte ; on ne détruit réellement que ce qu'on remplace ? C’est une candidature bien déclarée. J’ai toutes les peines du monde à prendre cet homme-là un peu au sérieux. Pourtant il a été quelques jours un prétendant sérieux. Il pourrait le redevenir. Il faut pas se donner une démolition de plus à faire. Bon avis aux partis monarchiques pour qu’ils s’entendent. Le Journal des Débats continue. Le Gouvernement de Cavaignac est bien isolé. Le National pour tout appui ! Et le National embarrassé, triste. Il est impossible que cette situation dure longtemps.
Je regrette ce pauvre général Baudrand. Il n’avait plus rien à faire en ce monde. Mais je n’aime pas que les honnêtes gens meurent. C'était un soldat vertueux et gentleman. Très noble type. Il sera mort tristement et tranquillement. Il y a certainement quelque chose de nouveau de la part de l’Autriche. Vous l'aurez peut-être su hier soir. Je regarde attentivement aux préparatifs de Marseille. Ce ne sont pas des préparatifs de guerre. Il ne peuvent avoir pour objet qu’une démonstration. Où ? Pourquoi ? Le Pape ne parait pas menacé en ce moment. Le discours de la Reine est bien confiant dans la pacification. Croker croit à la guerre. Il m’écrit. « I am more and more convinced that this republic must end speedily, in another convulsion whether thal will produce another republic, red or rose, or a monarchy,or a regency. I cannot guess ; but as soon as ever the dictatorial sword it theather, we shall have another Struggle, in Paris ; and then also, if not before, a continental war. Je ne crois pas. Adieu. Adieu.
A demain Holland house. n'oubliez pas la lettre dont je vous ai envoyé tout à l'heure un paragraphe. Adieu. G.
J'ai donné transmis à mon avocat les renseignements que vous avez bien voulu me transmettre sur mon procès, Il en a causé de nouveau avec mon oncle qu’il a trouvé mieux disposé pour une transaction et prenant lui-même quelque peine pour y disposer les autres parties intéressées. Mais il y a pour celles-ci surtout, et pour la situation où elles se trouveraient si la transaction avait lieu, certaines garanties qui paraissent indispensables. Je n'y vois, pour mon compte aucune difficulté. Quand mon avocat trouvera les choses assez avancées pour que j'aie à répondre, je vous prierai de me dire votre avis. Encore une fois, je ne vous demande plus pardon de vous ennuyer ainsi de mes affaires. Mais certainement il y a progrès vers la conciliation.
Brompton, Mardi 12 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi
Je n’ai rien de nouveau à vous dire sinon que je trouve tous les jours plus agréable d’être ensemble et plus désagréable de nous séparer. Mes journaux ne m'apprennent rien. Je ne sortirai pas du tout aujourd'hui. Je veux travailler. Si je faisais bien, je m'enfermerais absolument trois ou quatre semaines. Je ne verrais personne pas même vous. Et je ferais dans ce temps-là, tout ce que je veux faire. C'est ce que je ne ferai pas. Je viens de lire toute la brochure de M. de Cormenin sur la Constitution. C'est le petit fait le plus caractéristique du moment. L’ouvrier qui s’est chargé de faire l’idole, et qui l’a faite la brise et la traine dans la boue quand elle va être proclamé Dieu. Pas un homme d’esprit ne veut passer pour croire à ce qui se passe en France. Il n’y a que le Général Cavaignac qui y croie. Et c'est une des causes de sa puissance. Il faut de la foi.
Une heure
J’ai été interrompu par Hèbert qui vient passer quelques jours à Londres. Certainement un des hommes les plus honnêtes et les plus courageux que j’ai rencontrés. De la capacité et du talent. Pas assez d’esprit, politique et autre. Charmé de me revoir. Très sensé sur la situation actuelle. L’idée de la fusion court et prévaut à Bruxelles, comme ailleurs. Bientôt elle aura passé dans le bon sens public. Le Roi Léopold sans s’en explique disait ces jours derniers : " Cela tourne à la monarchie, et à toutes les conditions de la monarchie. " Hébert vient de passer deux mois à Aix-la-Chapelle. Peu de monde, et beaucoup d'ennui. Sa ressource là a été La Rozière. Très fidèle. Il a quitté Aix la Chapelle pour aller à Eisenach. Tout ce qui revient de Paris à Hébert s'accorde avec ce qui me revient. Il va demain à Claremont où il tiendra un bon langage. Le Roi a confiance dans sa sincérité. Voilà toutes mes nouvelles. Je ne fermerai ma lettre qu'à 5 heures. Mais avec ce que je veux faire de ma matinée, je n'aurai rien à ajouter. 4 heures et demie Personne que l’évêque de Londres qui m'a apporté des pamphlets et des sermons de lui en national éducation. Cela vous intéresse-t-il ?
Je suis frappé de trouver Hébert, si disposé à accepter la fusion. Il était fort anti-légitimiste. Par habitude de lutte et par préjugé bourgeois. C'est une des meilleures preuves que le mouvement est général. Quand vous en trouverez l'occasion et avec les gens auprès de qui cela en vaut la peine, rendez à Hébert la justice et le service de dire quelle est sa disposition. Préjugés contre préjugés. Il y en a, à son sujet, qu'il est bon de dissiper. C’est un des hommes qui sont les plus utiles un jour de combat. Et il y aura beaucoup de ces jours-là, dans l’hypothèse du succès et après le succès. Adieu. Je vais faire une visite à Lady Cowley. Je suppose que vous voilà au repos pour quelque temps dans votre médiation. Adieu. Adieu. G.
Richmond, Mardi 12 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
4 heures
Je rentre de ma visite à Claremont. J’ai trouvé l’humeur sereine et le langage bon. Le Roi m’a parlé du projet, tranquillement. Je n’ai d’ordre à donner à personne, j’attends. La France jettera le mouchoir à l’une ou l’autre belle. Impossible de deviner laquelle. Henry V est bien difficile. Les préventions sont encore toutes là. Nous verrons ; je ne veux pas me remuer.. Il est frappé de ce que Lord Clauricarde ne soit pas venu après vous avoir dit qu’il irait. Il est convaincu qu'on lui a défendu, c’est possible. Il ne savait pas le lieu où habite Mademoiselle, je le lui ai nommé. Sarbeton près de Kingston. D’après ce qu'il me dit il ne lui serait encore rien revenu de là. Eloges de l'Empereur. Grande confiance dans la paix. Voilà la conversation. J’ai raconté la rencontre à Holland house qui a diverti mais on m'a très bien parlé de M. de Beaumont qui se serait très bien conduit le 24 février. J'ai bien froid. Quel vilain temps pour Septembre. J’ai trouvé à Claremont le général Berton qui venait d'arriver avec sa famille. Je croyais que jeudi était demain. Je découvre que c’est après-demain. C'est encore loin. Hélas !
Adieu. Adieu. Car je n’ai plus rien à dire.
Mots-clés : Conversation, Monarchie, Politique (France), Réseau social et politique
Brompton, Mercredi 13 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi
Avec votre lettre ce matin, deux longues lettres de Brougham et d'Ellice. Brougham dans un accès de tendresse. Il voudrait m'envoyer son manuscrit, et que je le lusse pour y ôter, ajouter ou changer ce que je voudrais. Comme de raison, je ne refuserai. Enorme dissertation d’Ellice qui regarde la guerre et la banqueroute française comme infaillibles, et veut que l'Angleterre se retire tout-à-fait de l’Europe. Convaincu de la vertu et de l’impuissance de Cavaignac. Charmé d'avoir chez lui Duchâtel qui chasse et s’ennuie. " The patience of that ardent chasseur is beginning, to be sorely tired with our storms and torrents of rain. Amiable and interesting as he is from his knowledge of men and of affairs, how entirely he is homme d'affaires! If it was not for his engouement now for the chasse. I dearely know how I should employ his time for him in the Country. He will miss his old avocations and interests. much more than you will do."
Ellice me paraît avoir un plan pour le gouvernement de l'Irlande, et il espère que Lord John l'adoptera pendant sa visite à Dublin. J’ai ce matin quelques nouvelles d'Italie. Les chances en Sicile sont pour le Roi de Naples. Non pas pour soumettre l’intérieur de l'île, mais pour reprendre possession des villes et des points importants de la côte. Le Prince Gramatelli, qui est ici de la part des insurgés, est très abattu furieux, comme toute l'Italie contre l'Angleterre qui a laissé tout espérer, et ne tiendra rien. Dans l’intérieur de l'Italie dans les Apennins, de petits démembrements se font, de petites républiques indépendantes se proclament. Déjà crois ou quatre en Toscane et dans les légations. Anarchie complète impuissance, complète des gouvernants. Le Pape travaillant à temps, sans bruit, son épingle du jeu. De concert avec les cardinaux qui se concertent avec Vienne. Gènes à peu près perdu pour Charles-Albert. Conviction générale que l’Autriche ne veut que gagner du temps. Elle fait la police sous main en Italie comme elle la faisait ouvertement jadis. Le parti républicain, Mazzini et tous ses petits éclateront un de ces jours, et ce sera le coup de grâce de l'Italie. L’Autriche, se croira, en droit de tout faire contre eux et l'Angleterre de tout laisser faire. Et la République française dira qu’on a dérangé sa médiation qui allait réussir, et elle n'empêchera rien. Voilà les pronostics des Italiens gens d'esprit.
Je fais du feu. Il faisait froid hier chez Lady Cowley que j’ai trouvée. Elle cherche une maison. Georgine m’a paru de très bonne humeur. Il paraît que cette pauvre Aggy est mourante. Adieu. Adieu. Oui, jeudi n’est que demain. Hébert et Dumon viennent dîner avec moi aujourd’hui. Je serai demain au railway comme à l’ordinaire, avant 5 heures trois quarts. Adieu. Adieu. G.
Richmond, Mercredi 13 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
4 heures
Voici une lettre de Lord John que vous me rapporterez demain. Je viens de faire mon luncheon chez la Duchesse de Cambridge. La princesse de Parme était venue la voir hier. Très grand éloignement de Louis Philippe. Rien n’indique qu’elle consente à les voir, au contraire. Le choix de la maison, pur hasard, étonnement de se trouver si près. Je vous dirai plus au long demain. Pahlen vient dîner chez moi aujourd’hui. Quel froid. Adieu. Adieu.
Il me semble que cela devient bien gros à Paris contre la dictature. Article bien fort dans les Débats au reste, je n’ai pas lu, j'ai parcouru. Adieu encore à demain. J’ai de bien mauvaises nouvelles sur mon appartement à Paris.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Femme (politique), Réseau social et politique, Salon
Brompton, Vendredi 15 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Je rentre de ma promenade. Je la placerai tous les jours à cette heure-là, et je serai toujours chez moi à 2 heures. Brouillard général, mais léger et pas froid. Il faisait bon marcher.
Je viens de lire le discours de Thiers, en conscience. Comme toujours spirituel, naturel, utile, long et pas grand. L'appréciation des Débats est juste sans bienveillance. Ce qui me paraît d’une bien petite conduite, c'est de parler solennellement sur toutes ces spéculations insensées, et de se taire absolument dans tout débat qui serait un combat. C’est un évènement que la flotte sarde s'en allant de Venise, et laissant à la flotte autrichienne toute liberté de la bloquer. Venise tombera comme Milan, Toutes les révolutions ont eu fair play l'Italienne comme la française, comme l'allemande. Aucune ne gagnera la partie. Vous avez raison, quel spectacle à décrire pour un grand esprit qui saurait tout voir, et pourrait tout dire. Jamais Dieu n'a donné aux hommes une telle leçon de sagesse en laissant le champ libre à leurs folies.
Un homme que je ne connais pas vient de m’envoyer de Paris un volume de 1184 pages, intitulé. Recueil complet des actes du Gouvernement provisoire (Février, mars, avril et mai 1848). Complet en effet ; les petites comme les grandes sottises. Monument élevé à une Orgie. Ce volume vaut la peine d’être regardé, et gardé. Toutes ces sottises passent comme des ombres, et on les oublie. On ne sait ni s’en délivrer, ni s’en souvenir. Précisément ce qui arrive d’un cauchemar, dans un mauvais rêve.
On travaille à monter un coup pour que le Président de la République soit nommé par l'Assemblée nationale et pour que l'Assemblée nationale actuelle vive quatre ans comme le président qu’elle aura nommé. Si cela est tenté et échoué, l’échec sera décisif. Si la tentative réussit, elle amènera une explosion. On n'acceptera pas ce bail. Voilà, un ancien député conservateur M. Teisserenc qui vient me voir, et part le soir pour Paris. Je vais écrire pour affaires. Adieu. Adieu.
J’espère que vous n'aurez pas oublié d’écrire à M. Reboul. Vous n'oubliez guère, Adieu. G.
Richmond, Vendredi 15 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Mots-clés : Elections (France), Politique (France)
Brompton, Samedi 16 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
2 heures
Vos nouvelles sont de M. Tanski. Bruits de la salle des Pas Perdus qui valent toujours la peine d'être recueillis. J’étais convaincu que le Constitutionnel et les Débats n'avaient accepté M. Adam que pour se concilier avec le général Cavaignac et exclure de concert Louis- Bonaparte. Cavaignac, c’est-à-dire le National, n’aura pas voulu ou n’aura pas pu, à cause de son parti, accepter Roger et Fould, et le concert se sera rompu. Nous le saurons positivement après-demain. Cela pourrait donner des chances au Bonaparte. Et celui-là ne peut pas être élu sans avancer la crise. Il est trop tôt pour se tenir tranquille. J’ai peine à croire aux Légitimistes portant Bugeaud. Ils auraient bien raison. Mais j'ai peur que ce ne soit trop de raison pour eux. Si Paris finissait par nommer Bugeaud, B. Delessort et Fould, cela aussi serait un événement. Désormais, avec la situation qu'à prise Cavaignac, rien ne peut arriver, personne ne peut remuer que ce ne soit un événement. Tout mouvement est contre lui. Même les grandes séditions qui lui faisaient tirer du canon car elles le brouilleraient de plus en plus avec la République rouge, son camp de retraite à mesure que les deux camps monarchiques le presseront davantage. Je le crois acculé dans sa dernière position. C’est vite, et pourtant encore bien long peut-être. Ma raison me dit qu'il ne faut pas désirer que ce soit trop vite. On est toujours ramené à la morale, et contraint d’opter entre sa raison et son désir. Je n’ai vu personne hier. J’ai passé ma soirée à lire, et je me suis couché de bonne heure.
Mad. de Staël écrit à mes filles que le Duc de Broglie est arrivé à Coppet, encore couteux et trouvant Paris si triste, si désagréable à habiter qu’il ne ramènera pas son fils Paul au Collège au mois d'Octobre, et restera peut-être tout l’automne à Coppet. Il se lamente que nous ne nous écrivions pas plus souvent. Ce n’est pas la peine de se porter tout haut de Londres à Genève, à travers Paris. Comme je vous l'ai dit, le Rossi qui a été ministre de la justice du Pape n'est pas du tout le mien. Le Pape a de nouveau envoyé chercher le mien pour le prier de lui faire un Cabinet. Il a de nouveau refusé, quoique nommé député par Carrare sa ville natale. Député au Parlement de Florence, il est vrai. mais cela ne l'aurait pas du tout empêché d'être Ministre à Rome. Il n’y a plus de frontières en Italie ce qui ne fait pas qu’il y ait une Italie. Du reste, ce n’est pas du tout par Rossi lui-même que je sais cela. Il ne m’a pas donné signe de vie depuis le 24 février. C’est un des plus choquants exemples d’ingratitude de pusillanimité. Je m’y attendais à peu près. Si cela ne me regardait pas, je m’attristerais de tant d’esprit joint à si peu de caractère et de cœur. Mais j’ai décidé il y a longtemps que je ne mettrais pas ma tristesse ou ma joie, à la merci de ce qu’on appelle des amis, même des plus gens d'esprit.
Mad. de Broglie disait de M. Cousin : " C’est une grande intelligence perchée sur un bâton." M. Rossi vaut mieux ; mais il y a de cela. 4 heures J’ai été interrompu par un Allemand, homme d'esprit, un M. Erdmann, qui m’avait été recommandé à Paris, il y a deux ans, et qui est venu passer quelques jours à Londres. Prussien, très prussien et point allemand. Il dit que la réaction prussienne devint très vive et l'emportera. M. Beckerath que le Roi se charge de faire un cabinet, est plus anti-francfort, dans la question danoise, que ses prédécesseurs. Le général Schreckenstein (je crois), le ministre de la guerre qui s’en va, est un homme de caractère, en qui les prussiens de bon sens croient assez et de qui ils espèrent, à un jour donné. Pendant, son ministère, une députation d'étudiants est venue lui demander pourquoi il se faisait un rassemblement des troupes à Charlattenbourg. Il leur a répondu : " Messieurs, pourquoi faites vous vos études à Berlin ? Question pour question ; j’ai autant le droit de vous faire celle-là que vous la vôtre à moi. " M. Erdman m’a raconté assez de détails curieux. S'il y a en Allemagne beaucoup d'hommes de ce bon sens à tout n’est pas perdu.
Adieu. Adieu, à demain, Holland house. Je n’irai pas lundi à Claremont. Mais bien dîner à Richmond. Adieu. G.
Richmond, Samedi 16 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Onze heures.
Je vous écris un mot seulement de bonne heure afin que vous l’ayez encore aujourd’hui mais c’est précisément pour cela que ma lettre ne vous porte rien. Je n'ai rien vu, rien reçu. Si fait, une lettre de Constantin de Peterhoff, où il me dit qu’on attend le Général Flo, & qu’il sera bien reçu. Tout ce qu'on redoute là est une nouvelle secousse à Paris ; qui amènerait la république rouge.
J'avais pensé à aller à Londres, aujourd’hui. Mais j’attends mon fils. C'est là ce qui m’empêche. Bulwer devait revenir de Paris hier. J’ai écrit hier à M. Reboul j'en ai gardé copie que voici. Adieu. Adieu, à demain 5 h. Holland house. Adieu.
Brompton, Mardi 19 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Bugeaud commence assez bien. L’armée des Alpes l’a adopté. Pourtant je ne crois pas au succès. Je doute que les débats se fussent compromis comme ils l’ont fait pour la liste de conciliation, s’ils n’y étaient pas poussés par l'opinion d’un grand nombre de conservateurs. Si Bugeaud ne passe pas, outre l'échec, il y aura le mal de la rancune entre conservateurs. Je ne comprends pas la manœuvre des Débats. On les accuse d'être trop bien avec Cavaignac. On nomme des intermédiaires. Qu'ils aient fait ce qu’il faut pour n'être jamais en péril, cela se peut, et je ne m'en étonne pas, quoique je ne crois pas, que, pour eux ce fût nécessaire. Mais je ne pense pas qu’ils soient allés plus loin. L’Assemblée nationale est très irritée et jalouse contre eux.
C’est l’Autriche qui est un curieux spectacle. Vienne près d'échapper au moment ou Venise est près de tomber. L'impuissance anarchique au centre, la victoire monarchique aux extrémités. Avec quoi paie-t-on l'armée et combien de temps la payera-t-on ? D'après mes journaux français. Messine n’a point été repris et on n'a point égorgé 20 000 Autrichiens sur 10 000. Je n'ai pas encore vu le Times. Ni personne. Point de nouvelles donc, et je vous ai donné hier toutes mes réflexions. Je crois bien que si nous étions ensemble, nous ne resterions pas court. Mais on n’écrit pas le quart de ce qu’on dirait.
Je suis assez curieux de votre visite à la Princesse de Parme. Et plus encore de ce qui nous viendra de Paris à son sujet. J'ai peur que la cour de ce parti-là ne soit ce qu’elle a toujours été, ingouvernable pour les chefs du parti et mettant à cela sa dignité et sa vanité. Tant pis pour la France certainement ; mais tant pis surtout pour le parti. Il a déjà manqué bien des chances de se remettre en France, là où il aurait toujours dû être. S’il manque encore celle-ci ce sera grand dommage. Mais après tout, la France, tant bien que mal, s'est déjà tirée d'affaires bien des fois sans lui et malgré lui. Elle en viendra encore à bout, s’il le faut Adieu. Adieu.
Je viens de me promener une heure et demie Je vais travailler. Ce que je fais me plaît. Adieu. Vous aurez songé n'est-ce pas à me donner des nouvelles de vos yeux. Il ne vous font pas mal certainement après dîner, dans la chambre obscure. J’aime la chambre obscure. Adieu. G.
Richmond, Mardi 19 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
6 heures
J'ai été à Surbiton. Tout le monde en visite depuis hier chez la Duchesse de Glocester. On ne revient que demain ils y auront passé 3 jours. Voici une lettre que vous intéressera vous me la renverrez car je l’ai à peine lue. Elle m’arrive dans ce moment. Pas la moindre nouvelle à vous dire. Je n’ai vu que les Willoughby et lu que les journaux. Vous avez donc la plus pauvre lettre. Je crois que Cavaignac persistera à envoyer ses commissaires. Question de Cabinet au moment des élections et peut-être d’émeutes, la Chambre aura peur. Et il fera sa volonté ! Il me parait d’après la lettre de Nesselrode qu’il n’avait pas reçue celle que je vous ai remise dimanche et qui devait partir par une occasion. Je suis sûre que je lui mandais là votre retour. Demandez si elle a été portée à M. Reboul. Adieu. Adieu.
Brompton, Mercredi 20 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
une heure
J’ai écrit hier au Roi que s’il ne faisait pas dire le contraire j’irais à Claremont demain, jeudi de midi à 3 heures. Si vous persistez dans votre projet de venir me prendre, soyez, entre 3 h. et 3 h. et demie, à Esher, aux environs de l’ours. Nous retournerons ensemble à Richmond. Nous aurons ainsi la promenade et le dîner. Cinq bonnes heures. Je vous rapporterai la lettre de Paris. Intéressante. Je ne m'étonne pas qu’il n'eût pas encore reçu l'autre de vous. Mon révérend à qui je l'ai remise, m’avait prévenu qu’il passerait quelques jours à Boulogne où était sa famille. Il ne devait aller à Paris que du 16 au 18, et la lettre que vous venez de recevoir est du 17.
Je regrette que vous n'ayez pas trouvé la Princesse de Parme. J’ai confiance dans votre observation. Ce que dit la lettre de Paris n'explique rien. Comment ne sait-elle pas l'état des Affaires et la conduite de son parti ? Comment va-t-elle à Londres sans le savoir ? Ou sans que son parti sache qu'elle va à Londres et la mette au courant ? Tout cela ne s'explique que par la légèreté mutuelle qui explique tout, et ne rassure sur rien.
Me voilà bien pédant. Il faut bien l'être en pareille affaire. Je trouve en effet que c’est un grand symptôme de fusion, de la part des légitimistes que de porter le Maréchal Bugeaud. Ils ont bien raison et je voudrais bien qu’il passât. Pas la moindre nouvelle électorale dans mes journaux de ce matin. Je ne me rends pas bien compte de l'effet de l'élection de Louis Bonaparte, s'il est élu. En tous cas, et pour tout le monde ce sera une grosse complication. Il tombera inévitablement entre les mains des républicains rouges conspirateurs de profession, et les seuls qui puissent vouloir de lui comme Empereur. Cela peut amener un rapprochement, plus ou moins long, plus ou moins sincère, entre les républicains modérés, et l'ancienne gauche. Par conséquent entraver et retarder la fusion des monarchiques. Je vous ai déjà dit que les Débats m'étonnaient un peu. Nous en saurons davantage dans quelques jours. Evidemment nous touchons à une crise.
Qu’il fait beau ! J'en jouis pour vous à Richmond. Je reviens de Kensington Gardens. Il me faut une demi-heure pour y aller. Je m'y promène une demi-heure. C’est une heure et demie de marche en bon air. J’ai eu hier Lady Cowley. Voulant être spécialement caressante, et étant généralement grognon. Cela fait un drôle d’assemblage. Elle va passer quelques jours chez la Duchesse de Glocester. Comme de raison, elle ne savait rien. Où êtes-vous à présent ? Probablement à votre luncheon. Il va être 2 heures. Adieu. Adieu.
Je ne pense pas que le Roi me fasse être qu’il ne sera pas à Claremont, demain. Cependant, s’il me le faisait dire, je n'irais pas. Et comme je n'aurais sa lettre que demain matin, je n'aurais pas le temps de vous l'écrire. Si vous ne me voyez pas paraître à Esher, à 4 heures, retournez à Richmond. Vous aurez fait votre promenade du côté d'Esher et moi j’irai toujours dîner avec vous. Mais je compte bien aller à Claremont. Adieu. G.
P.S. Le rapport de l’Amiral Baudin, inséré dans les Débats d’aujourd’hui, prouve que la défense de Messine n'a pas été aussi désespérée qu'on le disait.
Richmond, Mercredi 20 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lutterotte me mande en date de hier, qu'on remanie le ministère. La montagne a déclaré se séparer tout-à-fait de Cavaignac il doit donc chercher du renfort dans le parti modéré, sa majorité étant désorganisé. Ainsi décidément changement de Cabinet. Voilà tout ce que je sais, n'ayant vu que les habitants de Richmond qui ne savent jamais rien. Votre lettre me dira demain matin quand je puis vous attendre ; où je dois vous allez chercher.
Je suis un peu furieuse de ce que Lutterotte m’a mal arrangé mes affaires. On me prend une chambre, & il faut que je paie comme avant ? Cela n’est pas juste. Adieu. Adieu.
Que dira-t-on à Claremont de la lettre du Prince de Joinville à son frère écrite un mois avant la révolution, la prévoyant, et parlant très mal de son frère ? Le Roi cause de tout. Cette lettre est dans tous les journaux moins les Débats, vous l'aurez lue dans le Times. Adieu.
1 heure
Louis Bonaparte est élu partout & à la tête de tout à Paris. Après lui Raspail & Cabet, Fould député dans quelques arrondissements. Voilà mes dernières nouvelles de hier 6 h. du soir Paris.
Brompton, Vendredi 22 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Je n'ai de nouvelles que de M. Hallam et de Mad. Austin. Je me trompe ; j'ai trouvé hier en rentrant une bonne lettre de Lord Aberdeen. Je ne vous l'envoie pas pour ménager vos yeux. Je vous la lirai dimanche. Rien de nouveau. Très autrichien. Regardant toujours l'Angleterre comme possible parce que l’Autriche ne cédera pas et ne doit pas céder. Il ne parle de revenir que dans le cours de Novembre. Les journaux modérés sont abasourdis du résultat des élections. L'Assemblée nationale soutient énergiquement son parti. Evidemment tout le monde est inquiet et tâtonne. Vous aurez vu à quel point l'élection de M. Molé a été contestée. Encore n’est-elle pas positive ? Le Communisme est en progrès effrayant. Aura-t-on assez peur et pas trop peur ? Je m’attends à quelque explosion rouge qui donnera aux modérés, un coup de fouet. M. Ledru Rollin se met à la tête des Montagnards croyant à leur victoire. Je parie que, dans son esprit, il dispute déjà à Cavaignac la présidence de la République. Nous sommes tellement hors de ce qui est sensé que tout est possible.
Lisez attentivement le récit de la prise de Messine qui est dans les Débats. Curieux exemple de l'absurde manie révolutionnaire qui est dans les esprits. Il est clair que les Messinois sont insensés, et ont été les plus féroces. On assiste à leurs atrocités. On tient leur défaite pour certaine. On rend justice à la modération du général Napolitain. N'importe c’est pour les Messinois [?] la sympathie. Uniquement parce que c’est une insurrection et une dislocation. Et le Roi de Naples, qui a offert aux Siciliens dix fois plus qu’ils n'espéraient d'abord est un despote abominable parce qu'il ne cède pas tout à des fous qui sont hors d'état de résister. La raison humaine est encore plus malade que la société humaine. Adieu.
Je vais me remettre à travailler. C’est bien dommage que je ne puisse pas dire tout ce que je voudrais. Je supprimerai de grandes vérités, et peut-être de belles choses. Adieu. Adieu. A demain.
Mots-clés : Circulation épistolaire, De la Démocratie (ouvrage), Diplomatie (Angleterre), Discours du for intérieur, Politique (Autriche), Politique (Internationale), Politique (Italie), Presse, Relation François-Dorothée, Réseau social et politique, Révolution, Santé (Dorothée), Travail intellectuel, Vie domestique (François), VIe quotidienne (Dorothée)
Richmond, Vendredi 22 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Un de mes journaux le Corsaire donne le prochain ministère Dufaure, Vivien, Bedeau, [?] , Dupin, Maleville, Goudchaux Baudin, Tourret. En tout cas Cavaignac me parait malade & la république aussi. Serait-il possible que le Prince Lichnowsky ait été massacré ? Pauvre Mad. de Talleyrand ! Vous voyez je ne vous donne que les journaux. Je n’ai vu personne, je ne sais rien, sinon qu'il fait très chaud, très beau & que je rentre d’une longue course. Hier valait mieux. Adieu. Car je suis au bout. Si j'avais quelque chose d'ici à midi demain je vous écrirai, peut-être ma lettre vous serait elle remise le soir. Sinon à Holland house dimanche. Venez y à 4 1/2. Adieu. Adieu.
Lord George Bentinck est mort.
Brompton, Samedi 23 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Je trouve l'état de Paris très grave. Si Cavaignac recrute son ministère à gauche, les communistes entrainent avec eux le gouvernement. S’il le recrute à droite, les Communistes attaqueront très vite le Gouverne ment. Et Louis Bonaparte à travers tout cela, principe de désorganisation dans la droite et dans la gauche. La crise, au mieux les crises, vont se précipiter. Beaucoup de légitimistes et de conservateurs ont voté pour Louis Bonaparte, par désir de brouiller, et d'en finir. Tout le monde est plein d'humeur, d’aigreur. Avant l'élection Benj. Delessert était allé voir Thiers pour se remettre bien avec lui, et lui demander son appui. Thiers l’a très mal vécu : " Que venez-vous me demander ? Vous êtes un ancien conservateur. Ce sont les anciens conservateurs qui ont tout perdu par leur entêtement. Ils n'ont pas voulu me laisser arriver. Je n’ai rien à faire pour eux. " Vraie colère d'enfant désappointé.
Si Delessert est sorti furieux. Les conservateurs à qui il le raconte sont furieux contre Thiers. Les amis de Bugeaud spécialement furieux. Ils disent que Thiers n'a jamais rien fait et ne fera jamais rien pour lui, sinon de l’appeler indéfiniment l'illustre Maréchal. Ledru Rollin se croit déjà président. Lamartine se rapproche de nouveau de Ledru Rollin pour lui disputer la Présidence. Raspail veut qu’on fasse sortir Barbès et Blanqui de Vincennes avec lui.
Tout le monde, négocie avec tout le monde. Tout le monde se brouille, avec tout le monde. Chaos d'aveugles ivres qui ne savent plus même se servir de leur bâton pour se conduire, et s’en frappent les uns les autres à tort et à travers. Je ne sais d'où viendra la lumière qui y mettra fin, mais le chaos ne peut pas durer.
Le décret sur les biens du Roi, et des Princes est prêt. On dit qu'on le présentera la semaine prochaine. La propriété est reconnue. L’Etat garde l'administration, et alloue aux propriétaires peut-être un tiers, peut-être la moitié du revers, les dettes. payées. Si le Ministère tombe à droite le décret sera présenté en effet, et adopté. S'il tombe à gauche, on fera tout autre, chose, ou l'on ne fera, rien du tout. C'est plus commode et moins compromettant. Avant-hier, après mon départ, il y a eu une longue conversation entre le Roi et le Prince de Joinville. Grand remord, grand attendrissement de celui-ci. Il a beaucoup pleuré. L’intérieur était un peu remis.
La répression de Francfort fera de l’effet partout. C'est le 23 juin allemand. Le Prince Lichnowski et l’archevêque de Paris de ce 23 juin là. Adieu. Je voulais aller ce matin à l'Atheneum. Il pleut à Seaux. Je dîne chez M. Luckhart, Regents Park avec Croker qui est venu passer deux jours à Londres. De quoi donc est mort Lord George Bentinck ? Cela ne rendra-t-il pas plus facile à Peel de rallier le Conservative Party et de s'y rallier. Je ne crois pas du reste que Peel, y soit bien empressé. Adieu. Adieu. A demain, Holland House. J’y serai avant 5 h. G.
Richmond, Samedi 23 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Onze heures
J’ai vu Koller hier soir. L’Autriche est bien décidé à garder Lombardie, Venise, enfin tout ce qui est à elle. On a accepté la médiation du bout des lèvres. On traitera peut-être du sort de Modène et Parme. On parlera d’institutions à donner aux Lombards voilà à quoi se bornera le congrès. Autriche, France Angleterre, Piémont. Palmerston reçoit tout les envoyés d’Istrie, de Venise de partout, il les écoute, il discute. Et puis il dit à Koller, qu'il pourrait voter à la main, prôner qu'on a le droit d’intervenir entre l’Autriche & tout ce monde-là. Blaguerie, car il ne songe pas à s’armer de votes pas plus que de canon.
Koller craint que nous verrons encore du pire en Allemagne. Francfort n’est pas fini. Quelle horreur que la mort de ce pauvre Lichnowsky ! à Berlin certainement il y aura une crise violente tout à l’heure. Et Paris, comment échapper à du très gros aussi. Je trouve que partout on est trop porté à dire et à laisser la révolution s'user. Si la troupe y passe, tout est perdu, et en temporisant ou s'expose à cette chance. à Berlin, à Paris le soldat commence à être ébranlé. Comment perdre du temps alors ? Voilà mes réflexions sagaces. Peel est délivré du plus ardent de ses ennemis. Adieu. Adieu, à demain, mais là, la causerie va mal. C’est égal, il faut y venir. Adieu.
Brompton, Lundi 25 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Je suis encore fort enrhumé. J’ai la gorge prise, et la poitrine chaude. Cela s'en ira en me tenant tranquille et en évitant les changements de température. Je doute que je puisse aller dîner demain à Richmond. Le retour le soir dans l'omnibus est toujours frais. Triste ennui. Mais je ne peux pas m'établir dans un rhume du commencement de l'automne. Je ne m'en débarrasserais plus au milieu de ce brouillard qui sera toujours là, plus ou moins épais.
Le Général Cavaignac a ajourné son choix entre les partis. Et tout le monde l’y a aidé Tout le monde ajournera tant qu’il y aura la moindre possibilité d'ajourner. Je plains les gens d’esprit qui vivent dans cette atmosphère là. Ils s’y atténueront et s’y amoindriront de jour en jour. Rien n’est pire que d'avoir une position d'acteur et de n'agir point. Voilà Rossi premier ministre à Rome. J’en suis curieux. Il a beaucoup d’esprit beaucoup de savoir-faire, et il prend très naturellement de l'influence sur les hommes. Mais l’énergie et la présence d’esprit lui manquent dans le danger. Tout ce qui se pourra faire par la conciliation, il le fera. Au-delà, je doute. Pour qu’il ait accepté il faut qu’il croie à des chances de succès. Il n'est pas homme à s'embarquer dans une trop mauvaise barque. L’amiral Baudin me paraît avoir assez bien saisi le joint pour avoir l’honneur de ce qui se serait fait sans lui, du retour de la Sicile sous la domination du Roi de Naples aux conditions que le Roi de Naples a, dès l'abord offertes. Encore une médiation de comédie, ou une comédie de médiation.
J'ai des nouvelles de Bretagne, sures. Là aussi l’idée de la fusion fait son chemin, quoique le chemin, soit plus difficile là qu'ailleurs. C’est le pays où les deux partis sont le plus aigres l’un contre l'autre. Pourtant, la nécessité se fait sentir. Rien de Paris. Adieu. Quel dommage que la conversation nous manque ! J’ai assez de gorge pour causer. J'ai quitté hier Holland-House, de bonne heure parce que je ne voulais pas attendre la fraîcheur du soir. Adieu, Adieu. G.
Richmond, Lundi 25 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
6 heures
J’ai été un peu malade cette nuit et j'essaie de me remettre en jeunant ; mais tout cela me met en pauvre humeur. Je vous envoie une lettre que vous me rapporterez demain. Ne l'oubliez pas. Lutterotte m'écrit aussi, pas gaiement. Il dit : " Tout cela terminera par une véritable anarchie en haut et une lutte armée en bas. " J'espère que vous me direz que votre rhume passe, et que je vous verrai demain ici. Adieu. Adieu. Adieu.
Je trouve les journaux bien bêtes. Tout le monde est bête.
Mots-clés : Presse, Santé (Dorothée), Santé (François)
Brompton, Mardi 26 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Je suis hors d'état de sortir. Je tousse pas mal, c’est-à-dire très mal. Il me faut un peu de confinement. J'ai bien dormi mais en me réveillant pour tousser. Je me coucherai ce soir de bonne heure. Et de tout le jour, je ne quitterai mon cabinet. Que je voudrais qu’il fit beau demain. J’espère que je pourrai aller vous voir. Peut-être le matin, à 1 heure, si je me suis encore trop pris pour me mettre en route le soir. Ceci est un grand ennui. Et j’ai bien peur que cela ne nous arrive plus d’une fois cet automne. Je me porte très bien au fond ; mais je m'enrhume aisément, et je suis aisément fatigué. Je me résignerais, très bien à n'être plus jeune si je n’avais jamais à sortir de chez moi. Ce qui vaut et ce qui sied le mieux quand on n’est plus jeune, c’est la tranquillité.
J'ai les mêmes nouvelles que vous de Paris. Si Louis Bonaparte se conduit passablement, et s’il n’est pas forcé d'attendre longtemps, il pourra bien avoir son moment. Agité et court car il ne peut pas plus supporter la liberté de la presse que Cavaignac, et il n'aura pas, comme lui, pris la dictature au bout de son épée. Son nom, qui le sert de loin, l’écrasera de près. Mais il vaudrait infiniment mieux éviter cette parenthèse de plus. Je crois encore qu’on l'évitera, que Louis Bonaparte se compromettra avant d'arriver au pouvoir et que l’armée comme l'Assemblée. soutiendront Cavaignac contre lui. Que la République et l'Impérialisme s’usent bien contre l’autre ; c'est notre meilleure chance, et à mon avis la plus probable.
Je ne comprends pas ce que votre correspondant demande à votre oncle. Il le sait prêt à la transaction. Ce n’est pas à lui à aller la chercher. Ce n’est pas à lui qu'on peut s'adresser pour qu'elle marche et se conclue. On désire quelque fait extérieur qui prouve qu'elle peut se conclure, qu'elle se conclura, le jour venu. Qu'on aille donc au-devant de ce fait ; qu'on lui fournisse l’occasion de paraître. L’occasion semblait trouvée ; on semblait même l’avoir cherchée. Tout le monde devait le croire. Non seulement on ne l'a pas saisie ; mais on s'est montré disposé à la fuir. Quand on est pressé, il faut se presser. Je n'ai jamais pensé que votre oncle pût ni dût prendre aucune initiative ; mais je suis encore bien plus de cet avis depuis le dernier incident. Je répète que lorsque la transaction ira à lui, elle le trouvera prêt ; mais il n’a rien à faire qu'à l'attendre dans l’intérêt du succès comme dans la convenance de son honneur. Il disait encore avant-hier à l’un de mes amis qu’il n’avait reçu de sa partie adverse, aucune avance, aucune insinuation qu’il pût sensément regarder comme un pas vers lui.
De Rome et de Florence, mauvaises nouvelles. Les républicains sont furieux de la petite réaction romaine et du peu de succès de l’insurrection de Livourne. La population ne veut pas les suivre, mais comme le gouvernement ne sait pas les chasser, ils sont toujours là, et et commencent, et recommenceront toujours. On dit que Charles Albert meurt de peur d'être assassiné par eux. Il mourait de peur autrefois d'être empoisonné par les Jésuites. Il ne sera probablement pas plus assassiné qu'empoisonné. Mais son succès n’ira pas plus loin. Adieu. Adieu.
Pour Dieu, ne soyez pas malade. Je veux bien être enrhumé, mais pas inquiet. Je vous renvoie votre lettre. Adieu. Adieu. G.
Richmond, Mercredi 27 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Il ne faut jamais m'écrire avant cinq heures, car les lettres ne me sont remises que le lendemain. J'espère que vous allez mieux. Je compte aller vous faire visite demain & y voir moi-même si je n’étais pas venue jusqu’à 4 heures. Ecrivez-moi, je vous en prie.
On me dit qu'il y a dans l’Assemblée nationale un article sur M. de. Beaumont et sur moi, des mensonges, mais qui pourraient lui faire du tout. L’avez vous lu & qu’est-ce que c’est ? Je vous envoyé ce que j’ai écrit aujourd’hui à mon correspondant. Albrecht m’écrit d’avant-hier 25. " Notre situation est plus grave que jamais, nous touchons à la crise il faut se prononcer pour la république ou pour autre chose. Cavaignac est fini, je crois, quand il dit que la France veut la république il sait bien qu'il ment. Les votes de confiance ne signifient rien. Nous pourrions goûter de l'Empire tellement les masses de la France tiennent du Fran[?] cela ferait planche pour arriver à autre chose." Il continue, il ne croit pas à la bataille dans la rue.
Je n’ai vu que Montebello & Jumilhac je ne sais donc rien. Lisez cet insolent & stupide article du National ! Adieu.
La semaine prochaine je quitte certainement Richmond. Les soirées y deviennent bien longues et les journée pas très gaies & l'air très humide. Votre rhume serait vite guéri auprès de la mer. Adieu, Adieu.
Savez-vous que je ne comprends pas ce que vous me dites sur le procès ? Vous savez bien que l'oncle est prêt à la transaction mais que voulez-vous donc qu'il fasse ? Personne ne vient à lui, & même la nouvelle venue qui était une occasion, le fait & le dit. Dans cette situation il n’a autre chose à faire qu'à attendre si mes affaires doivent avancer faites donc un pas. Quand on est pressé, il faut se presser ; je répète que je ne comprends pas & mon avocat pas plus que moi.
Brompton, Mercredi 27 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Je vais mieux. Mon rhume passé de la poitrine dans le cerveau. J'éternue plus et je tousse moins. C’est la marche contraire à l'ordinaire ; mais n'importe ; c’est la marche vers la fin. Je n’ai pas très bien dormi. Puisque vous avez le projet de venir demain faire une visite à Holland house, je me donnerai encore demain d'immobilité et je vous attendrai à Brompton. Après demain je reprendrai ma liberté, mon habitude et mon plaisir.
Rien de plus à Paris. Cavaignac se tient droit pour avoir l'air grand, et raide pour avoir l’air fort. Les Monarchiques se font plats pour qu'on les croie républicains. Louis Bonaparte se fait petit. Chacun croit avoir le temps pour soi et veut en gagner le plus qu’il pourra. Quel dommage de ne pouvoir jeter un peu de vérité au milieu de toutes les hypocrisies ! Je vous répète ce que je vous disais hier ; nous devons désirer que Louis Bonaparte s’use contre et sous Cavaignac, l'Impérialisme contre le Républicanisme. Ces oscillations, ces trainasseries, me déplaisent beaucoup mais ne m'inquiètent pas. Pascal dit quelque part : " Il y a plaisir à être dans un vaisseau battu de l'orage quand on est assuré qu'il ne périra point." Je ne suis pas si sublime. J’aimerais mieux que le vaisseau fût dans le port. Mais je suis assuré qu'il ne périra point.
Apparemment votre ancien favori, Etienne le susceptible, croit aussi à mon vaisseau, car il vient de m'écrire pour me demander un emploi en Angleterre. Un petit établissement qu’il avait formé, à la campagne est tombé avec le trône. Il ajoute : « Je présente mes respects à la Princesse, et je la prie d'avoir l'obligeance de me recommander à ses nombreuses connaissances.» Il était bien grognon, mais plus honnête, je crois que son prédécesseur dans votre faveur, le Félix de Henri de Castellane.
Où serait Henri de Castellane s'il n’était pas mort ? Dans l'Assemblée nationale : ni républicain, ni légitimiste, ni orléaniste, nageant, dans la confusion, l’intrigue, la conspiration, la malveillance et la médisance, comme le poisson dans l'eau. Adieu. Adieu. Je n’ai point de nouvelles de nulle part. Voilà le soleil qui perce. Adieu. G.
Richmond, Jeudi 28 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
4 heures
Ne venez pas demain. Je suis obligé d’aller en ville. J’irai vous soir. J’ai reçu une longue lettre de Lady Palmerston. Elle ne m’a pas l'air content des affaires. Elle dit que rien ne se terminera, & que les embarras s'accroissent. Je viens de déjeuner chez la duchesse de Cambridge. La princesse de Jarnac y vient sans cesse. Elle me semble une petite personne un peu légère, fort gaie. Elle veut acheter une terre, s’établir en Angleterre tout-à-fait. Elle ne croit plus du tout à son retour à Parme. Je trouve tout ce qui se passe à Paris triste, car cela promet d’être bien long. Je suis très découragée. Et voilà le choléra à Hull, trois personnes attaquées, toutes trois mortes. Il ne faut pas rester à Londres, pensez-y. Nous en causerons.
Samedi matin 10 heures.
J'avais laissé ma lettre pour la fermer au dernier moment. Je me suis trompée de 5 minutes, et la voilà encore je réponds à la vôtre reçue dans ce moment, je vous attends donc à dîner, c'est charmant. Et, cela vaut mieux, car me voilà prise pour le luncheon chez La Duchesse de H[ ?]. Il y a certainement quel qu'évènement à Holland house. Lequel ? A tantôt. Ma voiture sera au chemin de fer à 5 3/4. J’envoie Jean pour vous porter ceci. Adieu.
Le Times disait hier soir ces trois choses. Le vote pour la chambre unique sera rapporté. Thiers sera président. Cavaignac est entré dans l'Assemblée tenant Louis Bonaparte sous le bras.
Richmond, Vendredi 29 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vendredi 29 sept.1848
Richmond, Samedi 30 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Rien de nouveau hier soir. Normanby règne et amasse. Cavaignac séduit tous les dangers pas sa simplicité et sa bonne tenue. Paris a très bon air, plus de blouses dans les rues. Adieu. Adieu.
9 heures Samedi
Brompton, Vendredi 29 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
10 heures
J’ai eu hier soir des nouvelles de Claremont. Détaillées. Toujours la même disposition. Très sensé, prêt à tout ; mais disant ce que nous disons. Expliquant bien la disposition de Mad. la Duchesse d'Orléans ; indiquant le langage qu’il convient de lui tenir. Du reste, plutôt en veine de confiance et regardant de plus en plus la durée de la baraque de Paris comme impossible. Montebello vous aura probablement donné les mêmes renseignements. Je viens de lire Lamartine et Odilon Barrot sur les deux Chambres. Les Débats ont raison. Les deux meilleurs discours qu’ils aient jamais faits l’un et l'autre. Mais empreints l'un et l'autre d’un vice mortel. Ni l'un ni l'autre ne croit à la durée de la République. L’un veut une assemblée unique, l'autre en voudrait deux pour la faire durer. Et tous les deux se répandent en compliments hyperboliques pour la République qui ne durera pas, et pour la démocratie qui ne sait pas faire ce qu’il faut pour la faire durer. Moins de fois que jamais et plus de flatterie que jamais pour la République et pour la Démocratie. Esprits très superficiels parlant du ton le plus sérieux, et une incurable faiblesse sous les apparences du courage. Toujours le même spectacle ; des médecins atteints de la maladie qu’ils veulent guérir, et ne la voyant pas, ou n’osant pas l'appeler par son nom parce qu'alors ils seraient obligés de la voir est eux-mêmes et de se traiter eux-mêmes comme malades. Encore une fois les évènements seront les seuls médecins de la France.
Brougham va pourtant tenter la cure. Je reçois ce matin de lui une lettre où il me dit : « Je commence [à] faire imprimer. Si mon ouvrage est différé, ceux qui, par amour pour la France, ont élu l'homme le plus stupide que je connaisse et qui ne fait jamais parler de lui que pour se faire moquer de lui Louis Napoléon, sont capables de renverser la République tricolore par la République rouge, et je ne ferais alors que l’éloge funèbre de leur République ! » Il ne s'attendrit pas aussi aisément que vous sur Louis Napoléon.
Une heure
La République badoise n’a pas fait longue vie. J'attends impatiemment des nouvelles de Berlin. Je commence à désespérer un peu moins de l'Allemagne. Il semble qu’un parti de résistance s'y prépare. Je doute que Paris et Londres acceptent le congrès, n'importe où, sur les Affaires d'Italie. Je le voudrais pour réhabiliter les congrès dans le monde républicain. Si le congrès à des questions territoriales à vider, Pétersbourg à Berlin y seront certainement, s’il ne s’occupe que de gouvernement intérieur de l'Italie, Londres et Paris suffisent. Dîtes, je vous prie à Montebello qu’il y a dans mon quartier, Pelham Crescent, Brompton Crescent, Onslow square, Thurloe square, plusieurs maisons à louer. Peut-être quelqu'une lui conviendrait. Je viendrai demain, samedi, dîner avec vous. J'aime mieux cela. C'est plus sûr et plus long. Mon rhume s'en va tout-à-fait. Adieu. Adieu. Je ne fermerai ma lettre qu’après 4 heures.
4 heures un quart
Je ne sais rien de nouveau sinon le billet qui m’arrive de Lady Holland. « Mon cher M. G., ne venez pas dîner dimanche et croyez au chagrin que j'éprouve de devoir vous faire cette prière. Je suis malade et Lord Holland est obligé d'aller visiter quelques parents. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Vous avez sans doute reçu quelque chose de pareil. Adieu. Adieu. A demain. G.
Brompton, Samedi 30 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai très bien dormi, mais je me sens encore les entrailles fatiguées ; et par cet abominable temps, je crois plus prudent d’ajourner à Lundi, ou mardi ma course de Claremont. L’humidité et le froid, et le mouvement, ne me valent rien du tout. Je l’écris au Roi, en lui en exprimant mon regret, et en m’annonçant pour lundi ou mardi, s'il ne me fait pas dire le contraire. Je ne sortirai pas ce matin, si vous êtes bien, vous viendrez me voir un peu, n’est-ce pas ? Je suis sûr qu'avec ces petites précautions, je serai parfaitement, lundi. J’attends Jean.
10 heures
Vous voyez que j’avais devancé votre avis. Je vais réellement mieux. Il ne faut pas donner, à la chaleur que je sens dans les entrailles, un prétexte pour devenir quelque chose. Ce n’est rien du tout à présent. qu’un motif de précaution. Demain, nous apportera évidemment un nouveau ministère à Paris. Est-ce qu’on dispose de Gustave de Beaumont sans lui, ou a-t-il donné son consentement ? Quel misérable gâchis à Paris ! Quel horrible à Vienne ! Lisez la sortie de ce bon vieux John à Francfort. Il est impossible que les coquins l'emportent. Adieu. Adieu. Adieu. G.
Mots-clés : Diplomatie, Politique (France), Réseau social et politique, Santé (François)
Richmond, Dimanche 1er octobre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
6 heures
Malade cette nuit. Des crampes d’estomac, grande frayeur du Choléra. Le Médecin ce matin, qui me rassure, mais qui me défend de bouger & de manger. Me voilà donc dans ma chambre par un très beau temps.
Bulwer, C. Greville, Lord Holland. Le précieux. Sans nouvelles sur son compte. Attendant Paris ou Rome épousant quand il aura un poste, & disposé à convenir des arrangements que propose Lady C. Parlant très mal de la conduite de l'Angleterre dans toute l'Europe. C. Greville en grande critique aussi de Lord Palmerston, pas de nouvelle, ne sachant rien de Holland house. Enfin Lord Holland un peu embarrassé, disant que sa femme est malade d’un rhume de poitrine, qu'il ne sait pas s'il part, s'il ne part pas. Une grande incertitude ; tout son langage de nature à confirmer les soupçons autant qu'à les détruire. Je reste flottante. Je ne sais pas. Est-ce des embarras de fortune ? Impossible de rien démêler. En grande critique de lord Palmerston. Selon ces trois messieurs la Sicile est-ce qui lui fait le plus de tort. Labouchère est allé chez C. Greville pour gémir & se plaindre et interroger, car il ne comprend rien, et il trouve très mal.
La Reine a couru des dangers vendredi, une tempête effroyable. Elle a été jetée sur la côté. Elle revient par le chemin de fer. Voilà toutes mes nouvelles. Adieu. Je prendrai un bouillon, voilà tout. Adieu Adieu.
Le médecin dit que ce ne sera rien du tout. Je l'espère.
Brompton, Dimanche 1er octobre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi.
Voici la note sur la composition de l'Assemblée nationale. Je compte recevoir bientôt un travail plus complet et plus précis Mais je ne crois pas qu’il change grand chose aux proportions de celui-ci.
Je viens de lire tout Thiers, dans le Constitutionnel. Horriblement long et très spirituel, sensé, naturel, agréable et utile. C’est toujours comme s’il parlait. Il m’a intéressé et amusé. Il est révolté et découragé. Pas mal d'humeur. Il a écrit son livre " à la faveur des loisirs que lui ont faits les électeurs de son pays natal. " Plein de raison sans voir le fond des choses, et de courage en faisant là, et là des concessions qui pourraient tout perdre. Cela doit plaire au bon parti, sans le fortifier beaucoup. Le mauvais en sera plus blessé qu'intimidé.
Vous serez bien aimable de me garder tous les numéros du journal où il continuera. Comme de raison, point de nouvelles, ce matin. Le spectateur de Londres fait une rude guerre à Cavaignac. A propos de Cavaignac, je suis assez frappé que Lady Normanby ait choisi la duchesse de Montebello pour lui écrire ce qu’elle lui a écrit. Il faut qu’elle pense bien mal de tout cela, et ne se soucie guère qu’on le répète. Je ne sais pas l’adresse de M. de Salvo. Je vais la chercher. Il nous faut le mot de l’énigme. Les bêtises vous plaisent. En voici une que je trouve dans le Courrier de l’Europe. Elle mériterait d’être dans le Corsaire. Peut-être l’y aurez-vous déjà vue. Adieu. Adieu.
Je ne fermerai ma lettre qu’après 4 heures. Mais je ne pense pas qu’il ne vienne personne ce matin. Point de rhume à la suite de mon voyage d’hier. Adieu. G.
Mots-clés : Femme (politique), Politique (France), Portrait, Réseau social et politique
Richmond, Dimanche 1er octobre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures Dimanche. 1er oct. 1848
Brompton, Lundi 30 octobre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Je pars aujourd’hui pour Cambridge à 2 heures. Cela ne me plaît guères. Nous serons plus loin. Je crains le retard des lettres. J’étais en train de travail. Quand vous n’y êtes pas, c'est mon amusement. Je fais de la très bonne politique. Trop bonne. Toujours la même faute. Je puis vous le dire à vous. Je puis être avec vous aussi orgueilleux qu’il me plaît. Vous savez que je suis modeste en même temps qu'orgueilleux.
Point de nouvelles hier. Je suis allé voir Duchâtel qui n’en avait pas plus que moi. Nous verrons le courrier d’aujourd’hui. Il ne nous apportera pas grand chose. Nous vivrons dans le statu quo jusqu'au 10 Décembre. Mais nous comprendrons mieux une situation vraiment obscure pour moi. Duchâtel soutient que notre procès finira aussi tôt après l'élection du président. Par une ordonnance de non lieu. Si Louis Bonaparte est nommé et Thiers son ministre, il est impossible que notre procès ne finisse pas tout de suite malgré le peu d'envie.
Lisez je vous prie, attentivement le Constitutionnel. Cherchez y Thiers envers Louis Bonaparte. Là est la clef de l'avenir. D'un avenir qui dans aucun cas ne sera bien long, j’espère, mais qui pourrait être très court si Louis Bonaparte n’épousait pas Thiers. Vous devriez engager Marion à écrire à Madame de La Redorte et à la questionner un peu. Peu importe que les réponses soient des mensonges. Vous voyez clair dans le mensonge comme dans la vérité.
Les histoires des Gardes nationaux de Paris ne finissent pas. Le Duc de Somerset a demandé à Panton Hôtel, Panton Street, qu’on en priât quatre à dîner chez lui, n'importe lesquels. On lui en a envoyé quatre dont il a fait une exhibition. Entre autres un Capitaine Gonet qui est un beau parleur, et qui s’est fait l’intermédiaire entre tous ses camarades et la légation de la République à Londres. M. de Beaumont est assez embarrassé de la visite de quelques-uns à Claremont. Il a fait un rapport à ce sujet, fort modéré, atténuant au lieu de grossir. Cependant on croit qu’il y aura quelque mesure prise à Paris, qu’on défendra ces visites en uniforme hors des frontières. Il me paraît qu'à tout prendre l’excursion nationale n’a pas beaucoup plu à Paris. Entre les promeneurs eux-mêmes, il y a un peu de mauvaise humeur. Ceux qui ne sont pas allés à Claremont se sont plaints d'être compromis par ceux qui y sont allés. Ceux-ci se sont fâchés. On dit qu'au retour à Calais, il y aura quelques duels. Ici, évidemment, le peuple les a pris en très bonne part. Adieu.
Je vais faire ma toilette. Je vous reviendrai après la poste. Savez-vous ce qu'a fait Guillaume avant-hier dans un metting où les jeunes gens de King's college se réunissent les samedi pour s'exercer à parler ? Il a fait un speech en Anglais pour M. de Metternich qu’un autre attaquait comme l'auteur, par son obstination, des malheurs de l’Autriche. Guillaume a fait l’apologie de la consistency politique. Assez bien pour être fort cheered et pour faire voter à une voix de majorité, que la consistency était une vertu, non pas un tort. Il m’a redit son speech qui n’était pas mal. Il a pour la politique une passion au moins aussi effrénée que celle de mon garde national d’avant Hier. Midi Je suis désolé que ma lettre vous ait manqué, Elle a été mise à la poste avant 5 heures Peut-être est-ce trop tard pour Brighton. Celle-ci sera mise avant l’heure, par Guillaume que j'envoie exprès. C'est votre seul chagrin de Brighton que je regrette beaucoup. Je prends mon parti des autres. J’ai eu tort de ne pas insister davantage pour vous y conduire moi-même. Je n’aime pas que vous ayez peur et froid toute seule. Adieu Adieu.
Je n'ai qu’une longue lettre de Bruxelles, d’Hébert. Adieu. G. Mes amitiés à Marion, je vous prie.
Brighton, Lundi 30 octobre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je suis tout à fait triste de ne pas savoir un mot de vous depuis vendredi soir, triste et fâchée. J'ai vu hier Aggy. Effrayante. Une vielle femme. Le front ridé, les dente noires, quelques rares cheveux, du ventre, du reste un squelette. Pâle comme un linge et cependant elle a plutôt l’air convalescente que malade. Alvandy bien vieilli, ne pouvant pas bouger. Mais l’esprit serein, drôle, sensé. Je n’ai pas été chez la Metternich. Ils sont venus chez moi sans me trouver. Aujourd’hui j’irai là, si l'avenir m'y pousse. M. Morrier est venu me voir. Homme d’esprit, homme du monde. Sachant causer de tout, parlant très bien le français et très mal de Lord Palmerston. Je n’ai pas vu de journal encore aujourd’hui.
Mon ménage n’est pas monté. Je vous écris aux sons de la voix de Jenny Lyard, elle est au dessus de ma tête. Voix bien pure, bien juste très remarquable vraiment, méthode un peu allemande et imitant très bien, un violon bien doux. Ce n’est pas ce qu'on demande à une voix.
4 heures. Pas un mot. Tout est venu de Londres pour tout le monde. Rien pour moi. Je suis bien misérable. Avez- vous voulu me punir d’être venu à Brighton ? Je ne vous dirai plus rien. Je ne sais rien. Je m’agite et m’inquiète. Adieu. Adieu.
Cambridge Trinity Lodge, Mardi 31 octobre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Cambridge, Mardi 31 octobre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures et demie
Je suis dans une immense chambre, un vrai hall. Je sors d'un immense lit, une vraie chambre. De vieilles boiseries couvertes de vieilles estampes, la grotte de staffa la chaussée des Géants, la Cathédrale d'York, le Colysée &. C’est une grande et excellente maison avec un magnifique jardin et deux avenues formées par deux portes ferrées qu’on ouvre au son d'une forte cloche et qui roulent sur leurs gonds comme des portes de forteresse ou de prison. Je suis arrivé hier à 6 heures et demie, par une nuit close, moitié vraie nuit, moitié brouillard. Et les portes étaient déjà aussi closes que la nuit. J’ai attendu une grande minute à chaque porte avant qu’elle s'ouvrit. Un petit diner, l’évêque d'Oxford et Milnes invités, as my friends, à passer ici deux jours. Et deux professeurs célèbres de l'Université !
Aujourd'hui, tout le jour des courses dans l'université. Grand dîner. Grande soirée. Des visites. J’en ai déjà eu hier, entr'autres Arthur Gordon, le fils de Lord Aberdeen ; a great favourite here, m'a dit mon hôte.
Voilà toutes mes nouvelles. Et voilà la cloche qui sonne pour la prière. Une vie très grave in a hurry perpétuel. Et des esprits très animés, riant beaucoup, en galopant lourdement. L’ensemble est beau, fort honnête, et me plaît sans me suffire.
Je me porte bien. Je crois que je ferai bien quand je serai de retour à Brompton de boire quelques verres d’eau de Vichy. Je n'ai rien, mais je sens que cela me sera bon. On me promet mes lettres dans une heure. Je n'en aurai pas de vous aujourd’hui ce matin du moins. J’espère ce soir celle qui sera arrivée ce matin à Brompton. Je vous veux bien portante et pas amusée. Adieu. Adieu. Adieu. Je vais achever ma toilette. Au fait, il fait froid, malgré un feu superbe. Adieu. G.
Mots-clés : Description, Réception (Guizot), Santé (François)
Brighton, Mardi 31 octobre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Enfin une lettre, deux lettres. Voilà mon cœur reposé. Je fais comme vous, je ne comprends rien à cette énigme du vote de l'Assemblée. Il faut attendre. Je doute qu'à Paris même on y comprenne quelque chose. Le Constitutionnel a un silence assez compromettant. La Presse aidera-t- elle à la candidature ? Elle y pousse bien. Au fond, le discours de Louis Bonaparte est tout ce qu'il y avait à dire. Il est clair & il est sincère et simple. Je le trouve bien conseillé. Je ferai écrire à Mad. de la Redorte par Marion. Je n’ai vu hier que cette bonne Marion et M. Morrier. Je suis allée chez le Prince Metternich le soir. Mais ils étaient encore à dîner. Je ne suis pas remontée. Il marche quatre heures tous les jours et on dit qu'il se porte à merveille. comme [?] dure ! Je crois cependant que nous devons apprendre ce soir ou demain qu’il s’est rendu. Mrs. Dawson Damer est morte hier. Son mari ne se doutait pas d'une fin si prompte lorsque nous l’avons rencontré à dîner l’autre jour.Lord Cowper se marie. Il épouse une très jolie Miss Tollemache connue de Lady Aglesbury. Cela ne vous intéresse guère, ni moi non plus.
Vous n'oubliez pas que ma lettre d’hier est au post office à Cambridge. Envoyez la prendre. Voici ce qu’il y a de plus saillant d'un long article de la Presse du 29. À-propos le 29 ! C’était votre anniversaire. Le temps est assez beau ici. Je marche, je m’ennuie tant que vous serez à Cambridge. Je trouverai que je fais bien d’être à Brighton. Après cela nous verrons. Adieu. Adieu. Qu'il y a d’excellentes choses dans vos projets de discours et comme il y a de l'à propos pour le moment actuel. Il faut que celui qui publie cela ait du sens et de la bienveillance.
Brighton, Mercredi 1er novembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Trois lettres hier. Deux le matin, & ce soir celle que vous m'avez écrite hier matin de Cambridge. C’est trop à la fois, je vais tout à l’heure me plaindre de mes richesses après avoir gémi sur ma pauvreté. Je suis un peu malade ce matin. La bile en mouvement. L'air de la mer produit cela quelque fois. Si cela continue je quitte la mer. En attendant, j’ai envoyé chercher un Médecin.
J'ai vu hier le Prince Metternich. Décidément c’est trop long. Et pour moi, intolérable. A propos, on lui a assuré que vous voulez que le duc de Bordeaux promet qu’il n’aurait pas d’enfants et s'il en avait qu'on les mettrait de côté pour faire place au comte de Paris. Je l’ai assuré que vous ne pouviez pas avoir dit cette bêtise. Que vous étiez d'avis de la fusion, et qu'on ne parlât pas de postérité. Le comte de Paris étant naturellement l’héritier présomptif. Il a été charmé. L'Autriche l'inquiète, on travaille les populations dans les provinces. Il ne croit pas au bombardement de Vienne.
Mon Dieu comme il parle ! Je crois vraiment qu'il est devenu machine à vapeur. Sa femme est en grand soin pour moi, Le Prince se vante que vous vous êtes exprimé comme elle sur la candidature de Bonaparte. On dit que vous allez être élu ? à Caen, le croyez-vous ?
2 heures. Le médecin ne prescrit rien et dit que cela passera. Voilà un bon médecin.
4 heures. Voici les journaux de hier qui m’arrivent. Je n’ai pas eu le temps de lire. Je cours vite au dernier mot d'un long article du Constitutionnel. " M. Thiers n’a point l’honneur de connaître le prince Louis Napoléon. Il n’a pas de relation politique avec lui. Il n’est pas appelé à en avoir. Est-ce clair ? " Adieu car voici le moment où ma lettre doit aller à la poste. Adieu. Adieu.