Votre recherche dans le corpus : 1140 résultats dans 5493 notices du site.Collection : 1850-1857 : Une nouvelle posture publique établie, académies et salons (La correspondance croisée entre François Guizot et Dorothée de Lieven : 1836-1856)
50. Paris, Mercredi 26 avril 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’avais hier les Boileau à dîner. Je ne suis pas sorti le soir. Le matin, l'Académie et des pièces de vers à juger pour un concours de poésie. L’histoire de l'Acropole d'Athènes pour sujet. On a lu une pièce qui a eu du succès et qui contient vraiment des beautés. Les indiscrets disent qu’elle est d’une dame autrefois belle et toujours chère à M. Cousin, malgré Mad. de Longueville. Elle s’appelle Mad. Louise Colet. Vous n'en avez peut être jamais entendu parler. Je vous parle de ce qui m'occupe. Ne manquez pas de vous faire lire le dernier article de M. Cousin sur Mad. de Longueville et la marquise de Sablé dans la Revue des deux mondes, (du 1er avril, je crois). Il y a là quelques lettres de Mad. de Longueville à son frère, au sujet de ses fils, qui sont d’un grand et bon coeur, princières, Chrétiennes et Maternelles, au fond de son couvent et sincérement détachée dn monde, elle s'inquiétait des intérêts et du salut de ses fils avec une tendresse, vertueuse et une justice fière qui m'ont touché. Evidemment, la piété l'élevait au dessus de ce frère qu’elle avait tant aimé la religieuse n’avait plus peur du grand Condé et le grand Condé avait peur d'elle.
On ne se demande même plus des nouvelles ; on les attend, en silence et avec un air de fatigue ennuyée, comme si l'on avait déjà fait de grands efforts. Tous les Anglais qui sont ici sont frappés du peu de goût, et du peu d'activité de ce pays-ci pour la guerre. Ils cherchent comment on pourra en sortir l'hiver prochain. Jusqu'ici, ils ne le trouvent pas ; et alors ils tombent dans les crises révolutionnaires, l'Italie et la Hongrie soulevées, l'Europe remanié, les nationalités en lutte déclarée, comme moyen de se tirer d'embarras. Plus je vais, plus je me confirme dans ma vieille conviction ; il n’y a pas de milieu entre la politique conservatrice et pacifique et la politique révolutionnaire ; on ne sort pas de l’une sans tomber dans l'autre. Nous sommes encore trop près des grands bouleversements sociaux pour qu’on puisse toucher au monde sans l'ébranler. Soit dessein, soit légèreté, on a oublié cela depuis un an ; on l'a oublié partout, à Londres, à Paris, à Pétersbourg. On en est déjà puni par l'impuissance. Si on n'a pas le bon sens de reconnaître la faute, et de s'arrêter, on en sera puni par la révolution.
On m’apporte les journaux. Le Moniteur prend bien des précautions pour ne pas trop froisser les relations commerciales de la France avec la Russie. On n’a jamais plus doucement préparé, et atténué d'avance la guerre.
Le Moniteur me traite moins bien que les négociants Russes. Il ordonne décidément la prolongation du boulevard Malesherbes et la démolition des maisons situées sur sa route. C'est mon cas. Grand dérangement et vif déplaisir.
Adieu, Adieu. J’espère que Vendredi ou samedi, le Duc de Noailles m’apportera de vos nouvelles, un peu détaillées. Adieu. G.
51. Paris, Jeudi 27 avril 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Hier soir Mad. de Boigne. Rien que M. d'Osmond, la duchesse de Maillé, M. et Mad. Duchâtel. Point de politique. En fait de commérages, deux mariages et une fuite. Morny et Mlle de Bonteville, Bondeville ou Bonneville. On en parle sérieusement, si ce mot y va. Elle était chez lui un de ces jours, à un tirage de petite loterie. Elle a gagné un bijou qu’on appelle, je ne sais pourquoi, une rivale. Morny est allé chercher, parmi les fleurs, la plus belle rose, et la lui a apportée, en lui disant : " Je ne vous en connais point d'autre." Elle est très jolie et riche. Le Prince de Montléart est bien plus drôle ; il épouse Mad. Howard. On le dit très mal dans ses affaires depuis la mort de sa femme.
La fugitive est la petite Mad. de Bauffremont ; partie depuis huit jours avec ses diamants et ses dentelles, et accompagnée d’une femme dont on dit beaucoup de mal. On ne savait pas encore hier soir où elle était. Son mari la battait horriblement. Mais elle a eu tort de s'enfuir ; elle pouvait réclamer ouvertement sa séparation. Il l’a battue plusieurs fois devant témoins. J’ai eu bien tort d'envoyer ce petit Moniteur comme attaché à Washington.
Voilà mes histoires d'hier que vous savez peut-être déjà. J'étais rentré à 10 heures. J’ai toujours mal à la gorge. Il fait moins froid pourtant.
Les Anglais partent ; pas le Ellice pourtant ; ils restent encore quelques jours. Rien ne presse au Parlement ; Marion s'amuse et son oncle bavarde. Sir Henry Holland m’écrit : " I see Lord Aberdeen almost every day rather to preserve his health than to relieve him from any actual illness. In truth, he has surprised me by passing through the last twelve months of [?] and painful public business with better health than at any period during the last 15 or 20 years. "
Voilà votre N°39 qui me plait, quoique court. C'était bien la peine de vous envoyer le mariage de Morny. J'attendrai impatiemment demain, ou après demain. Adieu, adieu. G.
53. Paris, Samedi 29 avril 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Beaucoup de monde hier soir chez Duchâtel, pour entendre cette musique qui vous fait fuir. J'y ai passé une demi heure, et j'étais dans mon lit à onze heures et demie. J’ai un discours à faire ce matin dans l'Eglise de l'Oratoire ; autre musique dont je perds un peu l'habitude. Je ne veux pourtant pas faire fuir les gens. J’ai l'amour propre du vieux lutteur. Vous n'aurez donc qu’une courte lettre, en retour de la vôtre d’hier qui était longue et bonne. Je vais me promener dans ma bibliothèque pour bien savoir ce que je veux dire.
La réponse d'Andral me chagrine sans m'étonner. C'est pour un médecin une affaire de conscience et un égard mutuel de profession que de ne pas décider sans voir. Que ferez-vous le 1er Juin ? Marion, qui part lundi, est venue me voir hier. Nous avons causé longtemps. Elle a vu plusieurs fois M. de Chériny. Elle en a parlé à plusieurs personnes qui la connaissent, elle la trouve très bien, très Ladylike, très douce, l’air au courant des choses et du monde. Il paraît que sachant qui c’est pour vous qu'on s'occupe d’elle, Mlle de Cheriny a bonne envie que cela réussisse et désire vraiment s'attacher à vous. On dit qu'elle a en Allemagne, en France & & de bonnes relations. Je vous ai dit quelle avait été mon impression, certainement favorable. Je ne l’ai pas revue. Marion la reverra encore et vous dira ce qu’elle en pense. Pensez-y vous-même sérieusement. Je ne sais si, à tout prendre, vous rencontrerez mieux, ou même aussi bien.
Je suis charmé du plaisir que vous a fait la visite de Morny, et pour votre plaisir, et pour le fond des choses. Dieu veuille que tout ce qu’on vous dit soit vrai et efficace ! Le bruit court ici, depuis deux jours, qu'à Pétersbourg on est inquiet pour Cronstadt, que les mouvements de Napier et tout ce qui se dit et se fait dans la Baltique indiquent quelque grand coup contre [?] on ne se sent pas aussi sûr qu’on veut le paraître. On parle même de trésor et d'objets précieux envoyés à Moscou. La flotte Française doit avoir rejoint la flotte Anglaise. Nous ne pouvons guère plus tarder à apprendre, soit le coup frappé, soit l'impuissance de le frapper.
Voilà votre N°42. Je vois que les bruits qui courent ici ne sont pas sans quelque fondement. Merci de la petite lettre. Je verrai le duc de N. ce soir ou demain. Adieu. Adieu. G.
54. Paris, Dimanche 30 avril 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
2 heures
Je rentre de l'Eglise. Avant d'y aller, j'ai été assiégé de visites, suite du discours d’hier. Je n'ai que le temps de vous dire, adieu. Je vous écrirai demain à mon aise. J’ai eu de vos nouvelles par le duc de N. mais je ne l’ai pas encore vu.
Je le verrai dans la matinée ou ce soir. Merci de toutes vos lettres, malgré vos yeux. Je ne puis vous dire, à quel point je suis préoccupé de votre séparation d'Hélène. Je reviens encore à Mlle de Chériny. Les eaux sont un prétexte convenable pour une expérience. Si elle ne vous va pas, vous vous séparerez après, et on cherchera autre chose. En attendant la paix. Montebello est revenu de Brott après avoir embarqué son fils sur l'Hercule. J'insisterai pour qu’il aille vous voir. Adieu, adieu. G.
55. Paris, lundi 1er mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Hier soir le Duc de Noailles et le duc de Broglie. J’ai trouvé le Duc de Noailles sortant de son lit, avec un gros rhume et une fluxion, mais encore très amusé de son voyage. Il dit qu’il a toujours aimé Bruxelles. Je lui ai répété le plaisir que sa visite vous avait fait. Nous avons longtemps causé. Je ne vous renverrai pas ce qu’il m’a apporté.
Ici, on croit au bombardement d'Odessa. Le Moniteur avait hier matin l’air de le savoir avec certitude, et d'y préparer un peu le public, comme à une brutalité inutile. On attend quelque chose de la Baltique, et malgré le langage beaucoup moins vantard des Anglais, je crois toujours qu’eux aussi s'attendent à quelque grosse tentative de ce côté. Puisqu'à Pétersbourg on traite beaucoup mieux les Français que les Anglais, pourquoi dans vos Pièces officielles, le langage de votre Empereur est-il toujours plus amer et plus désagréable pour la France que pour l'Angleterre ? Encore, dans vos derniers documents à propos de la publication des lettres de Seymour, vous dites : " Au moment où la France faisait tout pour entraîner l’Angleterre dans une action hostile contre nous, il était assez naturel que l'Empereur n'ait pas jugé opportun de mettre le Cabinet des Tuileries de moitié dans ses épanchements intimes avec le gouvernement Britannique. " et dans d'autres pièces ; plusieurs phrases du même genre. Pourquoi votre Empereur s’en prend-il plus à la France et votre public plus à l’Angleterre ? Il faudrait un peu plus de conséquence et d'harmonie dans les sentiments, du moins dans les manifestations.
Je désire de tout mon cœur que tout ce que vous a dit Morny, et tout ce que vous en inférez sur les dispositions pacifiques d’ici, soit vrai. Moins l'expérience m'apprend tous les jours à en croire les faits plus que les paroles, et à ne pas me hâter de croire ce que j’ai envie de croire. La proposition d’un congrès à Berlin est-elle bien certaine ? Je regarde cela comme la concession capitale de votre côté et la meilleure espérance de l'avenir. Si une fois la guerre était suspendue et un congrès ouvert, on ne recommencerait certainement pas la guerre, quelque difficiles que fussent les négociations, et on finirait par aboutir à une transaction. Je sais qu'en Italie les esprits ardents, les mazziniens croient que l’Autriche ne se brouillera décidément pas avec les Puissances occidentales ; et comme cela les désole, il faut qu’ils aient de bonnes raisons pour le croire.
La Reine Marie Amélie a été de nouveau indisposé à Séville ; un rhume qui s'est dissipé assez vite, mais qui l’a laissé très faible. Le Prince de Joinville frappé de cette faiblesse, a insisté pour que le retour se fît par l'Allemagne ; mais la Reine va mieux, et veut revenir par l'Océan. C'est, quant à présent, le parti pris. Elle ne partira qu'après le 15 mai.
Je viens de lire le Protocole du 9 Avril. Je trouve l’union des quatre puissances bien cimentée par là, surtout par l'engagement des Allemands de ne jamais traiter avec vous que selon les principes du Protocole, et en en délibérant avec la France et l'Angleterre. C'est votre complet isolement. Je ne comprends rien à la dépêche télégraphique sur Odessa " Odessa a été bombardée. Aucun dommage. n’a été fait." Adieu, adieu.
Je ne serai un peu tranquille sur votre compte que lorsque je vous saurai quelqu’un pour le 1er Juin, M. de Chériny ou quelque autre. Encore serai-je médiocrement tranquille. Adieu. G.
La réception de Berryer à l'Académie n'aura lieu qu’au mois de décembre ; mais elle précédera alors celle des deux nouveaux académiciens que nous élirons le 18. Mad. de Hatsfeldt va bien.
[Paris], Dimanche 1er janvier 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
Mots-clés : Relation François-Dorothée
[Paris], Dimanche 1er janvier 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
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[Paris], Dimanche 1er janvier 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
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[Paris], Dimanche 1er janvier 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
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[Paris], Dimanche 1er janvier 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
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[Paris], Dimanche 1er janvier 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
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[Paris], Dimanche 1er janvier 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
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Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
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Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
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Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
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Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
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Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
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[Paris], Dimanche 1er janvier 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
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[Paris], Dimanche 1er janvier 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
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[Paris], Dimanche 1er janvier 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Depuis le 18 Janvier 1838 c’est la 17e fleur que je vous envoie au 1er Janvier. Cette année qui commence m'inquiète. J'y vois moins clair peut-être que dans aucune autre. Plus de ténèbres et plus d’orages que jamais. Que Dieu vous garde et vous laisse ici ! Qu’il vous garde partant, mais vous ne pouvez être bien qu'ici. Adieu, Adieu.
Je viens de me lever. J’ai très bien dormi. Dans deux ou trois jours, à moins d'accident ou de 20 degrés de froid, je reprendrai ma liberté. Adieu.
Dimanche 1er Janvier 1854
Mots-clés : Relation François-Dorothée
56. Paris, Mardi 2 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Les courriers de Hatzfeldt ont repris leurs habitudes ; ils ne partent que le 2 et le 16. J’ai appris cela hier à 5 heures. Vous aurez donc éprouvé un jour de retard. Je pars vendredi prochain 5, au soir, pour le Val Richer. J’y ai des affaires que je ne puis ajourner jusqu'à ce que toutes, nos élections académiques soient terminées. J'installerai tous les miens à la campagne, et je reviendrai à Paris le 17 Mai pour y rester jusqu'au 27. Nos élections se font le 18 à l'Académie Française, le 20 à l'Académie des sciences morales, et le 26 à l'Académie des Inscriptions. Les résultats à peu près assurés sont toujours les mêmes. Une fois de retour au Val Richer, le 27, je n'en bougerai plus.
Personne ne comprend rien aux dépêches télégraphiques sur Odessa. On disait hier soir que l'attaque avait eu pour objet, non de bombarder réellement la ville, mais d'attirer la flotte russe hors de Sebastopol pour la combattre. Il paraît qu’elle est sortie en effet et qu’on l'a poursuivie, mais qu’elle est parvenue à rentrer sans combat. Le fait sera probablement bientôt expliqué. Hier soir, chez St Aulaire et chez Broglie. Peu de monde dans l’une et l'autre maison. On commence beaucoup à partir. Il reste bien peu d'Anglais ici. Toujours Sir Henry Ellice vient me voir souvent, et que je trouve toujours très sensé. Il ne pardonne pas à sir Robert Peel d'avoir désorganisé les partis politiques dans son pays, et affaibli et abaissé par là le gouvernement anglais. Je n’ai pas eu de lettre hier. J'y compte aujourd’hui. Ecrivez-moi, je vous prie, Vendredi au Val Richer. Adieu jusqu'à ce que j’aie votre lettre. Je vais faire ma toilette pour aller, à 10 heures, déjeuner chez sir John Boileau qui repart après demain pour Londres.
10 heures
Voilà vos deux lettres sous le N°45. Je ferai l'affaire d'Andral dans la journée. Autant du moins que cela dépend de moi. J’ai bonne envie de réussir. Pour vous d'abord, et aussi pour la Princesse Kotschoubey à qui certainement Ems est plus agréable que Spa. Sans y rien entendre, j'ai peine à croire le Changement indispensable. Mais les médecins se ménagent extrêmement les uns les autres. Et les grands surtout ménagent les petits, qui sont nombreux. Là, comme partout, l'aristocrate est devenue très timide.
Je vois, par le Moniteur de ce matin, que le 23, l'affaire d'Odessa n'était pas finie. Je ne la trouve pas encore claire. Adieu, Adieu. G.
57. Paris, Mercredi 3 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai passé hier chez Andral sans le trouver ; rien n’est plus difficile que de le joindre. J’ai porté et laissé chez lui une lettre de moi, précise et pressante, et contenant le vôtre. S’il y a moyen de décider un grand médecin à en mécontenter de loin un petit, j'espère que cela le décidera.
Marion m’a amené hier Mlle de Chériny qui part ce matin pour aller passer quelques jours à Bruxelles. J'en suis bien aise. Vous avez raison de ne pas vous décider sans la voir et j'incline à croire que vous la trouverez bien, assez bien du moins. J’ai encore été frappé hier de son air doux, honnête, de bonne compagnie et empressée sans manquer de dignité. Soyez bonne pour elle pendant ces quelques jours et ne l’intimidez pas trop. Ellice est parti et Marion est restée pour huit jours encore chez Charlotte Rothschild. Elle a ici un autre oncle, un M. Finch, qui la ramènera en Angleterre. Je persiste à ne pas bien comprendre l'affaire d'Odessa. Il y a évidemment des choses qu’on ne nous dit pas. Ou bien l’on n’a pas pu faire ce qu’on voulait, ou bien l'on n’a pas voulu faire tout ce qu’on pouvait. En tout, ce n’est pas une grosse affaire.
Ce qui est plus gros, c'est le nombre de tromper qu'on envoie, et le redoublement d'activité qu’on met à les envoyer. Je ne sais ce qu’elles feront cet été ; mais soit pour cet été, soit pour l'été prochain, on semble vouloir faire beaucoup. Je ne vois là point de symptômes de paix.
J'en vois davantage dans les dispositions qui se développent de plus en plus dans le public, non seulement, en France, mais en Angleterre. Si après la campagne de cet été, vaine des deux partis, votre Empereur, je ne sais par quelle voie, propose de nouveau ce qu’il a déjà proposé, l’évacuation simultanée des Principautés, et des deux mers et un congrès à Berlin pour régler Européennement la question, ou je me trompe fort, ou la paix se fera. Les Congrès ont toujours beaucoup de peine à conclure la paix ; mais quand une fois ils sont réunis, ils ne recommencent pas la guerre.
J’ai causé l'autre jour avec Moltke à qui j’ai fait vos amitiés, et que j’ai éclairé sur votre brouillerie avec Kisseleff. On lui avait dit que vous avez d'abord demandé, puis refusé, puis redemandé l'échange ; la versatilité était mise à votre compte. J’ai rétabli les faits. Du reste, je n’en entends plus parler.
10 heures
Voilà votre N°46. Je suis charmé que la question d’Ems soit vidée. Ma lettre à Andral a été remise hier. Il n'y a pas de mal. Adieu, Adieu. G.
58. Paris, Jeudi 4 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Dîner hier chez Delessert avec des banquiers et des académiciens, Hottingen et Villemain. Point de nouvelles. Les banquiers doutent de la prolongation de la guerre. Ils disent que les affaires vont mal à Londres, plus mal qu'à Paris. Des mécomptes sur l’Australie en sont la cause, bien plus que la guerre.
On regrette la destruction du palais du Prince Woronzoff qui est connu et estimé. Odessa est toujours incompris. On voit seulement que de Londres, ou envoie dans la mer noire de nouveaux vaisseaux.
Le nouveau manifeste de votre Empereur semble indiquer qu’il a besoin d'échauffer son peuple.
Le décret qui crée une garde impériale est signé, assure-t-on. 12 000 hommes ; tous anciens soldats, avec cinq sous par jour de surplus de solde. En outre deux ou trois cents hommes de gardes pour l'intérieur du Palais, sous le nom de gardes de l'Impératrice, tous sous officiers, et ayant déjà la croix d'honneur.
On s'occupe assez de l'insurrection grecque. Quel qu’en soit le résultat, c’est une grave complication de plus ; ou un grand coup à l'Empire Ottoman, ou la chute du royaume grec lui-même. J’ai trouvé la circulaire du comte Nesselrode bien ouvertement provocante. Ici, dans le public, il y a quelque humeur de voir nos vaisseaux et moi soldats employés contre les Grecs, mais une humeur froide.
La lettre de la Duchesse de Parme au Pape, pour lui demander sa bénédiction et un Évêque est bien tournée, à la fois pieuse et ferme de ton. Jusqu'ici cette Princesse réussit.
Adieu. Je pars toujours demain soir pour revenir ici le 18, pour huit ou dix jours. Je ne vous envoie guère de nouvelles. J’en aurai bien moins encore au Val Richer. Adieu. Adieu. J’ai un peu plus de sécurité depuis que je suis sur de la Princesse Kotschoubey à Ems. Soyez assez bonne pour lui parler quelque fois de moi. Vous me direz si Mlle de Chériny vous a plu. Adieu. Mad. de Boigne est malade.
59. Paris, Vendredi 5 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Croyez-vous que, lorsque l'Empereur Napoléon mourait, à pareil jour, il y a 33 ans à Ste Hélène, il prévoyait son neveu Empereur aujourd’hui à sa place. Nous ne sommes pas assez frappés de la grandeur des spectacles que nous avons vus et de leur sens. Il me prend par moments l’envie de dire, sans réserve, à mon temps ce que je pense de lui. Mais cela ne se peut pas.
J’ai eu beaucoup de monde hier soir. Pour derniers Anglais, senior et sir John Boileau. Je regrette d'avoir manqué le matin Lord Napier qui a passé chez moi en traversant Paris pour se rendre à son poste, à Constantinople. Tenez pour certain que les Anglais sont modifiés, et que la perspective de la paix faite l'hiver prochain, par l’entremise des Allemands, les préoccupe et leur convient beaucoup. Ici, tout le monde dit que le gouvernement désire aussi la paix et tout le monde l’y pousse. Pourtant on parlait hier d’une levée nouvelle de 120 000 hommes, par anticipation sur le recrutement de l’armée 1854 qui ne doit légalement avoir lieu qu’en 1855. Voilà la garde impériale au Moniteur. Adieu.
Je vous quitte pour faire mes paquets de papiers. Je pars ce soir. Je reviendrai le 17 jusqu'au 27. Le beau temps revient aujourd' hui, le soleil doux. Il y a eu, depuis trois semaines, assez de cas de choléra à Paris, et graves. Ils diminuent beaucoup. Adieu, Adieu. G.
60. Val-Richer, Dimanche 7 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je suis arrivé hier, assez fatigué. Je persiste dans mon observation. Ma santé est très bonne, mais ma force diminue. Ma force de corps, car je ne m’aperçois pas d’un autre déclin. Si ce n'est que ma main n'est plus aussi ferme ni aussi prompte à écrire ce que je pense. Mais ma main c’est mon corps.
Votre dernière lettre m'a amusé. Revenez d’exil, ce que je vous dirai vaudra mille fois mieux que tout ce que je puis vous écrire. Je ne vous dis pas à quel point vous me manquez. Presque en rien, en rien du tout, je ne vais jusqu'au bout de ce que je pense. Je m’arrête à moitié chemin, et je ravale. Grande privation et souvent vraie souffrance. Nous ne sommes pas toujours du même avis ; mais nous pouvons nous tout dire, même quand nous ne sommes pas du même avis. Pourtant nous ne nous sommes jamais tout dit, sur rien. Que la vie est imparfaite !
Mon nid est très joli, propre, frais et verd, pas encore assez fleuri ; il lui faut trois semaines de plus. Potager en bon état ; j'aurai beaucoup de fraises, d’abricots et de pêches. Vous regrettez les plaisirs de la propriété. C'est pourquoi je vous en parle. J’ai dit quelque part que sans s'en rendre compte, l’une des principales jouissances du propriétaire foncier, c'est qu’il se sentait maître d’une parcelle du monde, de ce monde limité qu’il n'est pas donné à l'homme d'étendre. Croker me savait beaucoup de gré de cette remarque, et la développée, dans le Quarterly Review pour faire sentir la supériorité de la propriété, territoriale au-dessus des autres. Cette supériorité vous touche-t-elle autant que lui ? Adieu, comme de raison, je ne suis rien du tout depuis avant hier. Mes journaux m’arriveront ce matin. Je ne suis abonné au Constitutionnel pour entendre un peu parler le gouvernement. Adieu, Adieu.
Ni moi non plus, cela ne me plait pas d'être plus loin de vous. Il y aura plus d’incident de porte, et d'après ce qu’on me dit, celle d’ici ne me paraît pas en train d'être très régulière. Adieu. G.
61. Val-Richer, Lundi 8 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je ne comprends pas pourquoi ma lettre du Jeudi 4 a été en retard. Je vous ai écrit tous les jours, sauf samedi, jour de mon arrivée ici. Je sais ce que vaut ce déplaisir, et je le ressens pour vous comme pour moi. Vous aurez en deux lettres samedi
Voilà enfin des nouvelles officielles d'Odessa. Courtes encore et incomplètes. J'ai peine à comprendre qu'un amiral ne dise pas lesquels de ses bâtiments ont été engagés, ni combien d'hommes, il a perdu, car il on a perdu. Evidemment le combat a été vif puisque les quatre premières frégates n'ayant pas suffi il a fallu que quatre autres vinssent les soutenir. Nous aurons surement plus de détails, les Rapports des amiraux Hamelin et Dandas à leur Ministères. C'est vraiment le commencement de la guerre. J’aime le ton des quelques lignes de l'amiral Hamelin, simple et modéré. S'ils ont épargné autant qu’ils le disent les particuliers. Et le commerce, c'est bien. Quand les hommes mettront leur amour propre à ce que la guerre fasse le moins de mal possible ils seront bien près d'aimer mieux la paix que la guerre.
Vous êtes de plus en plus galants pour la Prusse. L'Impératrice elle-même assistant à la tête de son régiment, au service pour M. de Rochoir ! Et le Ministre de la guerre changé, comme Bunsen. Vous serez bien bonne de m'envoyer à Paris le discours de M. de Stahl par la première occasion. Je le prendrai en allant voter le 18 à l'Académie. M de Stahl est l’orateur très distingué d’une opinion qui, en religion et en politique, ressemble fort à une coterie, mais une coterie plus spirituelle et plus respectable que sa nation. Adieu.
Il pleut. Je ne ferai pas ce matin ma promenade ordinaire dans mon jardin avant le déjeuner. C'est mon heure d'inspection et de conversation avec mon jardinier.
J’ai reçu hier une lettre de Mad. la Duchesse d'Orléans, en remerciement de Cromwell. Très gracieuse ; intention évidente de plaire. « Cette oeuvre deviendra l'enseignement de notre époque- " Apres avoir été, pour vous, un noble emploi de la retraite, c’est, pour moi, une utile et charmante distraction de l'exil. " Des politesses pour mes filles.
Midi
Je ne comprends pas ce qu’est devenu mon N°58, et je ne me souviens pas de ce qu’il contenait, rien de nouveau, ni de bien spécial. Je suis sûr de l'avoir mis moi-même à la poste, en allant Jeudi à l'Académie. Ce qui me déplait, c'est qu’à cause de mon voyage vous aurez eu encore une interruption. J’ai été un jour sans écrire, et je suis d’un jour plus loin. Adieu, adieu. G.
63. Val-Richer, Mercredi 10 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Le rapport du général Osten-Sacken est, au fond, d'accord avec ce qu’on nous a donné de celui de l'amiral Hamelin. Evidemment, les batteries du port de pratique d'Odessa ont été détruites, et les vaisseaux contenus dans ce port, ainsi que les magasins militaires incendiés. Je conclus aussi que la tentative de débarquement a peu réussi. A tout prendre, la flotte Anglo-française me paraît avoir fait ce qu’elle voulait. Je suppose que les journaux Anglais donneront plus de détails. Mais je n’ai ici que le Galignani qui ne répète que ce qu’on lui permet.
Vous ne penserez plus à ce premier incident de la guerre quand vous lirez ce que je vous en dis. Il sera arrivé depuis je ne sais quoi. Voilà l'absence. Nous aurions de quoi bien alimenter nos conversations du bois de la Cambre. Il fait très beau ce matin ; la promenade y serait charmante.
Voici un article de la Correspondance d'Havas qui vaut la peine d'être lu. C’est le sens que le gouvernement veut faire attacher aux deux camps qu’il vient de décréter 100 000 hommes sur la frontière du Nord ne peuvent être indifférents à la Prusse. Si la guerre se prolonge, les puissances Allemandes ne parviendront pas à rester neutres. On finira peut-être, à Vienne, par ne pas trouver Hübner trop anti-russe. Du reste Hübner à Vienne et Hübner à Paris, ce sont deux choses ; j’ai peine à croire qu’à Paris, il soit autre chose que ce que veut son gouvernement c’est-à-dire son Empereur. Mais quand les situations deviennent grandes et fortes elles n'admettent pas le double jeu. Adieu, adieu. On me dit que Paris devient désert. J'y retournerai. Mercredi prochain. Ecrivez-moi lundi 15 à la rue de la Ville L'évêque. J'y serai jusqu’au 26.
Midi
Je me suis déjà chagriné pour vous de ces deux jours sans lettres. L’ordre est rétabli aujourd’hui, et vous en aurez une tous les jours. Adieu. Adieu. G.
64. Val-Richer, Jeudi 11 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Le langage de Rothschild prouve qu’il a bien envie que la paix se fasse, et que vous cédiez assez pour qu’elle se fasse. Je ne connais pas d'homme dont toutes les paroles tendent plus constamment au but de son intérêt personnel, par instinct ou avec dessein. Il ne s'oublie pas un moment.
Le jour même de mon départ de Paris, j’ai fait un effort pour vous envoyer Montebello qui était venu me voir. Mais je n'y crois pas, malgré son envie. Outre ses enfants, il a des affaires qui le clouent à Paris. Son second fils doit faire, bientôt ses examens pour entrer à l'École de St Cyr. Il n’ira chez lui, en Champagne, que tard, vers la fin de Juillet. Duchâtel part le 22 de ce mois pour La Grange, et de là à Vichy, où d'Haubersart va aussi. Dumon part aussi pour aller inaugurer la moitié de son chemin de fer de Lyon à Avignon. Je trouverai encore tout notre monde à Paris jeudi prochain, mais, en en repartant, je n’y laisserai plus personne.
Moi aussi cela me déplait que vous vous éloigniez encore davantage. Ce sera pis encore quand vous serez à Schlangenbad ou à Bade. Je connais Ems ; je vous y vois. Que de sentiments puissants et doux il faut refouler dans son coeur quand on est loin ! Que de choses qu’on voudrait se dire quand on ne le peut pas, et qu’on n'aurait pas besoin de se dire si on était ensemble !
Le journal des Débats a fait un bon article sur la duchesse de Parme. Elle se fait vraiment honneur. Lord Clauricard, et M. Disraeli s’en font moins par leurs taquineries sur l'amiral Dundas et le Duc de Cambridge. Le gouvernement anglais n'a pa grandi ; mais l'opposition a bien plus baissé. Est-il vrai que lady Clauricard a perdu une de ses filles, Lady Larcelles, je crois ?
Vous voyez bien que je n’ai rien à vous dire. Je vais faire ma toilette en attendant la poste. Adieu. Midi. Voilà le N°53. Adieu, Adieu.
Je n’ai pas encore ouvert les journaux. G.
65. Val-Richer, Vendredi 12 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ce qui se passe en Grèce et quant à la Grèce est déplorable à lire. Depuis plus de 30 ans, je me suis accoutumé à porter intérêt à ce petit état. De 1840 à 1848, je l’ai soutenue contre votre domination exclusive et contre le mauvais vouloir anglais. La conduite qu’il tient en ce moment, roi et pays, est très imprudente, mais très naturelle, et il n’y a dans la Grèce même, personne, ni Roi, ni chambres qui soient en état de l'empêcher quand ils le voudraient. Je suis choqué du langage qu’on parle à ses pauvres gens. Je suis sur qu’on pourrait peser sur eux et les contenir un peu avec d'autres façons et d'autres paroles. Nos soldats iront-ils faire en Grèce, au profit des Turcs, ce qu'y faisaient les Égyptiens de Méhémet Ali quand nous y avons envoyé une armée pour les en chasser, et ferons-nous, contre la marine grecque, un second Navarrin ?
Détruire successivement, dans la Méditerranée, les marines Turque, Russe et Grecque c’est beaucoup. Cette affaire d'Orient tournera mal pour l'Europe ; la politique ne peut pas se mettre à ce point en contradiction avec la religion, avec les instincts populaires, avec les actes, tout reçus, des gouvernements eux-mêmes. Plus j'y regarde, plus je me persuade que, si on n'en finit pas promptement, on tombera dans un odieux Chaos. Que signifie ce qu’on écrit de Vienne sur de nouvelles propositions que l’Autriche, après avoir occupé la Bosnie, adresserait à la Russie, et que M. de Meyendorff aurait trouvées acceptables ?
Le bruit se répand ici, parmi le peuple, que le recrutement de l'armée prochaine sera avancée, et qu’on prendra six mois plutôt 80 000 hommes. On s'en attriste ; mais on s'y résigne. La guerre et ses conséquences n'étonnent et ne choquent jamais beaucoup ce pays-ci même quand elles lui déplaisent Du reste, il ne me revient rien qui me donne lieu de croire que ce bruit soit fondé.
Onze heures et demie
Je serais bien fâché qu’il arrivât malheur à ce pauvre M. de Meyendorff. Il me semble que je le connais. Adieu, Adieu.
Voilà enfin le rapporte détaillé de l'amiral Hamelin. Adieu.
67. Val-Richer, Dimanche 14 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
La guerre purement défensive doit être bien désagréable, et il faut bien du bon sens et de la persévérance pour s’y résigner. Votre Empereur ne peut rendre aucun des coups qu’on lui porte. Il est là à les attendre, les repoussant de son mieux quand ils viennent, mais ne sachant quand ni où ils viendront, et ne prenant jamais lui-même l’initiative des coups au moment et sur le point qui lui conviendraient. J’ai peine à croire que cela puisse durer longtemps ainsi.
Lisez-vous le procès des assassins de ce pauvre Rossi ? Pour moi, j'y porte un vif intérêt. Je désire de tout mon coeur que le meurtrier soit découvert et enfin puni. Il me semble que ma responsabilité pour avoir envoyé Rossi à Rome m'en pèsera moins. La passion et la préméditation profonde qui ont présidé à l'assassinat sont bien frappantes. Il est difficile de croire qu’une telle haine pour les Autrichiens, et pour le gouvernement Papal reste toujours sans résultat.
Midi
Mon facteur arrive très tard, et va repartir. Il ne m’apporte rien de vous. Je ne m'en prends qu’à la poste, et j'attends, mieux demain. Adieu, adieu. G.
68. Val-Richer, Lundi 15 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
6 heures et demie
Je me lève. Je viens de passer une nuit très pénible. Ma fille Pauline est un peu souffrante, très enrhumée et de plus grosse, ce qui ne me plait pas du tout. J’ai rêvé toute la nuit qu'elle était très malade. Vous m'écriviez en même temps des lettres désolées ; les miennes ne vous parvenaient pas ; vous ne saviez ce que je devenais. Guillaume de son côté ne m'écrivait pas. J'étais inquiet sur vous, sur mes enfants. Je me suis réveillé dans une angoisse inexprimable. Ah, que Dieu m'épargne de nouvelles épreuves ; je n'en mourrais probablement pas ; on ne meurt guère de chagrin ; mais j'y succomberais moralement. Je n'ai le coeur blasé sur rien, ni joie ni peine ; mais ma force de résistance est née et la perspective d’un nouveau fardeau à porter me fait frémir.
Voilà Baraguay d'Hilliers rappelé. Cela devait être, et je présume que les raisons du rappel sont bonnes. Le spectacle est pourtant singulier. L'Ambassadeur de France est rappelé pour avoir voulu protéger spécialement les grecs Catholiques, et le vaisseaux français sont en train de faire la guerre au Royaume grec que les armes françaises et l’argent français ont fondé. L'évêque d'Evreux avait bien raison, il y a quelques jours dans son mandement pour le succès de nos armes ; il commençait en disant : « Vous vous étonnez probablement, mes Frères, que nous fassions, et que nous vous demandions des prières pour des Musulmans contre des Chrétiens, et je comprends votre étonnement. Mais ne vous scandalisez pas ; la religion n'est pour rien du tout dans cette guerre ; elle est uniquement politique ; et ce n'est point des intérêts de la foi Chrétienne, mais de ceux de l’équilibre Européen qu’il s’agit. »
Je vois dans les journaux, qu’un des principaux chefs de l'insurrection grecque, Karaïskaki est mort. C'est le fils du dernier tué parmi les grands chefs Pallikares de la guerre de l'indépendance. Le tombeau de Karaiskakis la père est sur la route du Pirée à Athènes. Quand Colettis quitta Paris pour aller être premier ministre du Roi Othon, en débarquant du Pirée et en se rendant à Athènes, il s'écarta de la route, et suivi de toute la foule qui était venue l'accueillir à son débarquement, il alla s'agenouiller et prier, avec cette foule, sur le tombeau de Karaïskakis. Il avait le culte de ses anciens compagnons, et il excellait à s'en faire un moyen d'action sur son peuple. Ce qui se passe aujourd’hui doit l'agiter puissamment dans son propre tombeau.
Onze heures
Voilà le N°56. Adieu, Adieu. Mon médecin de Lisieux, est chez Pauline et la trouve bien. Mais ne maigrissez pas. Adieu. G.
69. Val-Richer, Mardi 16 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je doute qu’à Paris, on soit aussi certain du concours de l’Autriche qu'on le dit à Bruxelles. Il me revient qu'en définitive on y compte peu, et qu’on s'en explique vertement. Je reviens toujours à mon dire ; si la guerre se prolonge, elle deviendra révolutionnaire ; Italie, Hongrie, Pologne, tout ce qui est inflammable s'enflammera, et nous recommencerons 1848. Il fallait le concours de tous les grands gouvernements pour contenir la révolution. Votre Empereur a rompu le concours, en persistant à vouloir, faire en Orient bande à part. Il n’y a plus d'Orient ; et pour peu que ceci dure vous verrez que l'Occident et ses questions sont toujours tout.
Je trouve un peu puérile votre persistance à faire tant de distinction entre la France et l'Angleterre ; distinction toujours repoussée. Cela n'a pas beaucoup de dignité, et pas beaucoup plus d'habileté, surtout après la publicité de ces conversations où vous teniez si peu de compte de la France. Dans les pays où le silence règne, on se trompe toujours sur l'effet des actes et des paroles dans les pays où l'on dit tout.
Je suis bien aise que vous ayiez Montebello. Le garderez-vous quelques jours ? Andral a-t-il donné une nouvelle réponse sur Ems ou Spa ? Pure curiosité puisque la bonne résolution était prise. Il est bon que la princesse Kotschoubey soit encore quelques mois avec vous pendant que Mlle de Cerini s'y établira. Elle lui donnera le bon avis. Vous m’avez fait envie avec le bois de la Cambre et le beau soleil. Ici, je ne me promène guère que dans mon jardin. Je ne m’y promènerai pas d'ici au 27. Je pars ce soir pour Paris, par un très vilain temps ; il pleut et il fait froid. Ma fille Pauline va bien. Adieu, Adieu. Je vais faire ma toilette en attendant le facteur.
Midi
Adieu. Votre lettre est curieuse. Je vous écrirai après-demain de Paris. G.
70. Paris, Jeudi 18 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai vu assez de monde hier, Broglie, Duchâtel, Sacy, Mallac, Mornay, & Je trouve tout, les faits et les esprits, exactement dans le même état. Le gouvernement redouble ses efforts pour la guerre, les envois de troupes, de matériel, les préparatifs des camps de St Omer et de Marseille. On croit qu’il va demander au Corps législatif une sorte de pouvoir discrétionnaire en fait d'emprunts dans l’intervalle des sessions. Il l'aura et il en usera. Un nouvel emprunt est indispensable, et assez prochain. C'est dans cette vue qu’on prend tant de peine pour soutenir la Bourse ; on m’a très bien expliqué les moyens ; je ne vous les répèterai pas ; ils sont efficaces en ce moment et le seront quelque temps, pas bien longtemps, mais assez probablement pour que le nouvel emprunt se fasse passablement, sauf à avoir plus tard une baisse générale dont les badauds payeront les frais. Le public se préoccupe peu de la guerre et il en souffre peu.
Morny dit vrai ; les affaires reprennent assez. Il se trouve, à l'épreuve que le commerce avec la Russie est peu important pour la France et pour l'Angleterre. Les progrès de la consommation à l’intérieur et du commerce général rendent ce vide spécial peu sensible.
Quant à la politique de la guerre, personne n'y pense ; personne ne s'inquiète de savoir si Baraguey d'Hilliers sera ou non remplacé. L'Empereur est parfaitement le maître de prendre Lord Stratford pour ambassadeur, et s'il est content de ses services, le public sera content aussi. Les journaux Anglais ont publié de grands détails (et piquants) sur la querelle de Baraguey d'Hilliers avec Reschid et Redcliffe. Il y a eu défense absolue aux journaux Français d'en traduire un seul mot. Baraguey a eu tous ses défauts et quelque fierté. Pour Redcliffe, tous les défauts sont aujourd’hui des qualités.
Je suppose que vous savez tous les détails sur M. Lazareff et la visite de sa femme à M. de Persigny pour le remercier. " Mon mari était assez mal en cour ; vous lui avez rendu un grand service, en le mettant à Mazas ; il aura enfin un trône qu’il désire depuis longtemps sans pouvoir l'obtenir. " J’ai demandé si ce serait [?] André.
Je ne vous ai pas parlé du général Osten Sacken et de la lettre qui lui a été adressée par ménagement pour votre goût du pouvoir absolu. Car on a tort de s'en prendre à votre Empereur en personne pour ces bévues hautaines ; c’est de sa situation qu'elles viennent. La pouvoir absolu y est condamné, et tôt ou tard, les plus grands génies y tombent. Quand on est très puissant, il faut être, à chaque instant, averti et contenu pour ne pas devenir fou à lier, ou à faire rire.
Vous savez probablement que Mad. de Bauffremont est retrouvée ! Elle s’est rendue d'elle-même au couvent des Augustines pour y réfléchir, dit-elle, sur sa situation. Elle a tout bonnement erré dans les environs de Paris, presque sans se cacher. On se moque un peu de la police.
Thouvenel avait et aurait encore envie d'aller à Constantinople. Son chef ne veut pas. Ils sont de plus en plus mal ensemble. Le chef a besoin de l'intérieur, et craint que, si l'inférieur devenait ambassadeur, il ne devint bientôt ministre. Je ne vois pas pourquoi, si l'Empereur voulait faire Thouvenel ministre, il prendrait la peine de le faire passer par Constantinople. Je ne verrai probablement pas Mlle de Cerini.
Si j’ai un moment, je ferai une visite à Mad. Sebach que je prierai de lui redire ce que vous me dites. Je vais m'occuper de Rothschild. Il est bien juif ; mais la chose est très claire. Il vous demande 12 000 fr. de loyer, et une somme de 12 000 fr pour faire remettre l’appartement tout-à-fait en état, comme quand on change de locataire. Il y a à redire sur ceci. Par malheur Génie ne sera ici que dans quatre jours. Adieu, Adieu. G.
71. Paris, Vendredi 19 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
L’Académie a occupé hier ma journée. Nous avons fait ce que nous voulions. Je croyais à 20 voix pour l'évêque d'Orléans et à 22 pour M. de Sacy. Ils en ont eu chacun une de moins. Ce sont deux choix très dignes, à la place de MM. Tissot et Jay.
Je repartirais pour la Val Richer, si je n'avais encore Vendredi prochain une élection à l'Académie des Inscriptions. Celle-ci sera plus disputée. Le Ministre de l’instruction publique, M. Fortoul, se met sur les rangs. et il a des chances. Quoiqu’il ait contre lui, dit-on, la princesse Mathilde. M. de Nieuwkerke soutient vivement le concurrent de M. Fortoul, qui est son second dans l'administration du Musée.
Les fureurs du Times contre le Roi de Prusse sont de bien mauvais exemples. Les purs révolutionnaires ne diraient pas mieux. C'est aussi absurde que choquant la convention Austro Prussienne est bien plus occidentale que Russe, et ce n’est pas au moment où elle vient de la signer que la Prusse s'éloignerait de cette politique. Je trouve cette convention très sensée. Les deux puissances s'y engagent dans la mesure qui convient à chacune d'elles, et il y a là des moyens de négociation et des chances de paix. Pourvu que la vigueur de l’exécution réponde à la sagesse de l’intention. C'est par l’exécution surtout que la politique pêche aujourd’hui, on fait ce qu’on ne voulait pas faire ; on va où l’on ne voulait pas aller. Par imprévoyance et par faiblesse quotidienne, à chaque moment où il faut passer de l’intention, à l'action.
Ici, on se dit content de la Convention, et je crois qu’on l'est. Il y a de la confiance et du mouvement ascendant dans la situation plutôt que de l’inquiétude, et du déclin. Toujours quelque agitation autour de M. de Persigny ; il était en querelle dernièrement avec ses chefs de service, surtout avec le principal, M. Frémy. Il a, comme de raison, gagné cette petite bataille et congédié, M. Frémy. On répète aussi que M. Drouyn de Lhuys est fort ébranlé. Je ne crois à aucun de ces bruits. Lord Cowley n’est pas encore revenu de Londres. J’ai vu hier tout notre monde à l'Académie, Molé, Noailles, Montalembert, Barante & quand je suis arrivé, j’ai trouvé Thiers assis à côté de ma place : " On dit que je vous ai pris votre place, m'a-t-il dit. - Non, mais vous me l’avez fait prendre par M. de Barante à qui vous avez pris la sienne. " Il s'est reculé d’une chaise, et je me suis assis entre Barante et lui. Nous avons causé aussi amicalement qu'insignifiamment et nous avons voté ensemble.
Montalembert est tranquille et de bonne humeur. Tout le monde dit qu'après le départ du Corps législatif, son procès tombera dans l’eau. Noailles me demandait d'aller dîner dimanche chez lui, mais j’ai promis à Mad. Mollien. Hier chez Mad. Lenormant, aujourd’hui chez Mad. de Staël et lundi chez Duchâtel qui part mardi.
Une heure
Je n'ai pas de lettre aujourd’hui. Adieu, Adieu. G.
72. Paris, Samedi 20 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai vu hier Mlle de Cerini. Elle devait partir mercredi 24 pour tenir bien exactement sa parole. Je lui ai dit la certitude que vous lui laissiez. Elle hésitait à en profiter, quoiqu'elle en eût envie. Comme je veux lui remettre, pour vous un livre qui ne doit paraître, et que je ne puis avoir que Vendredi, je l’ai engagée à prendre deux jours. Elle partira Samedi prochain 27. J’ai été vraiment content de sa conversation et de sa disposition. Elle m’a dit que vous aviez été parfaitement bonne pour elle qu’elle désirait de tout son coeur répondre à votre bonté, qu’elle voudrait être pour vous une fille. Tout cela avec une émotion simple et franche qui m’a touché. J’ai parlé de la lecture. Elle la fera. Elle demande seulement un peu d'indulgence au commencement, si elle ne lit pas très bien. C'est une habitude à prendre.
J'attends, mon homme pour votre arrangement avec Rothschild. Cela ne peut se traiter que par un homme d'affaires. Le mien sera ici demain.
Voilà votre N°61. J’approuve tout à fait votre lettre à Rothschild. Il ne peut pas ne pas accepter. Vous revenez au prix de l’ancien bail et vous vous chargez des réparations, dont vous êtes le juge naturel. Envoyez-la lui. L'affaire sera réglée. Le Duc de Noailles doit venir me voir aujourd’hui à cinq heures. Je lui en parlerai. Il sera certainement de mon avis.
Dîner hier chez Mad. de Staël, avec les Broglie et les d’Haussonville. Le soir, chez Duchâtel, où il y avait un peu de musique 40 ou 50 personnes. Presque tout notre monde. Point de diplomate. Je n'ai vu personne qui eût vu Hübner depuis son retour. Il me revient que son langage est plus contenu. Evidemment on compte ici tout à fait sur l’Autriche, et on n'a pas la moindre inquiétude sur la Prusse qu’avec raison on regarde comme définitivement liée par la convention Austro Prussienne. Les politesses qu'elle vous fait sont naturelles, et insignifiantes. Mais on dit que les menaces du Times n’ont pas été inutiles pour amener le Roi de Prusse à ce point.
Le nouveau ministre des Etat-Unis à Paris M. Mason est venu me voir hier. Gros homme qui à l’air d’un grand sens. Très résumé, et je crois, très indifférent sur la politique Européenne. Il en parle en passant, comme d’une curiosité qui l'amuse et ne le regarde pas. Uniquement préoccupé du prodigieux développement de richesse et de puissance de son pays sur ceci, il ne tarit pas. Un de ses amis, qui n'aime pas les villes, avait bâti son habitation à trois milles de celle à laquelle il appartenait, dans l’Etat des Illinois. Il a été un an absent de chez lui, pour le congrès, pour les affaires. Quand il y est retourné, il a retrouvé sa maison dans une rue ; la ville était venue le rejoindre à la campagne. Il est plus contenu. Évidemment on compte. Vous voyez qu’il n’y a rien de nouveau.
e cherche si on m'a raconté quelque histoire. Le comte Branicki a accompagné le Prince Napoléon. A Marseille, il a imaginé de se faire lui-même colon Français et il s'est promené dans les rues avec l'uniforme. Le ministre de la guerre, informé par le télégraphe, est allé trouver l'Empereur qui lui a demandé " Êtes-vous sûr du fait ? Voilà la dépêche du général qui commande à Marseille. - Eh, bien, faites, ce que vous voudrez " Ordre transmis immédiatement par le télégraphe de déshabiller le comte Branicki qui a été déshabillé en effet, et a continué de suivre le Prince, en uniforme de fantaisie.
Adieu, Adieu.
Je vais demain passer la journée à la campagne, chez Mad. Mollien. Je pars à 9 heures et demie. Il est probable que je ne vous écrirai pas demain. Je ne comprends pas ce qu'est devenu le N°66. Mercredi dernier, en arrivant à Paris, je ne vous ai pas écrit. Adieu. G.
73. Paris, Lundi 22 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je commence aussi par l'affaire. Je vous renvoie la copie de votre lettre à [Rothschild] Je suis d’avis que Génie la remette et vide cette petite question. Je viens d'en causer avec lui, il sait très bien ce qu’il faut dire, et il la dira comme il faut le dire. Vous devez garder votre appartement, sans obligation ni charge de réparations, sauf celles que vous jugerez vous-même à propos de faire, et que vous paierez vous-même.
Je ne m'étonne pas que votre Empereur rappelle Brunnow et Kisseleff de Bruxelles. Il était difficile de comprendre pourquoi, ils y restaient. Brunnow n'en fera pas plus à Vienne que M. de Meyendorff. La question n'est plus aujourd’hui dans le savoir-faire des agents de l'Empereur, mais dans la disposition réelle, personnelle et intime de l'Empereur lui-même. S’il veut sérieusement la paix, la paix est encore possible, les intermédiaires et les agents ne manqueront pas. S'il ne la désire pas sincèrement et sérieusement, personne ne viendra pas à bout de la faire. Il arrivera alors de deux chose l’une, ou bien toutes les puissances européennes seront successivement amenées à s’engager contre vous, grandes et petites, ou bien l'Europe entière tombera, dans le chaos révolutionnaire. La première chance est bien mauvaise pour vous ; la seconde est mauvaise pour tout le monde, vous compris.
Comment pouvez-vous vous dire si sûrs de la Prusse après son traité d'alliance et de garantie mutuelle, avec l’Autriche ? Il se peut que les intentions et les paroles soient toujours de votre côté ; mais les engagements et les actions sont évidemment de l'autre. Et comme ici on pèsera de plus en plus sûr l’Autriche, les mêmes causes qui l’ont amenée et la Prusse avec elle, où elle est aujourd’hui, les mèneront toutes deux plus loin. Les puissances Allemandes peuvent vous être très utiles pour arriver à la paix ; mais si la paix ne se fait pas l’hiver prochain, ce n'est pas vers vous que le courant les pousse ; et vous ne réussirez pas plus à les désunir que vous n'avez réussi à désunir la France et l'Angleterre.
J’ai passé hier la journée à la campagne, chez Mad. Mollien. Je ne suis rentré chez moi qu'à minuit. C’était un peu long.
La reine a dû partir avant hier de Séville, par Cadix et l'océan. Cependant, au dernier moment encore, elle a pu se décider à revenir par la Méditerranée. Elle était mieux, mais toujours très faible. Il me revient de Claremont que le Duc de Nemours partait pour aller au devant d'elle jusqu'à Cadix et la ramener en Angleterre où le Prince de Joinville ne revenait pas encore. Adieu.
Je ferai aujourd’hui votre commission à Duchâtel. J’ai vu Montebello qui veut toujours aller vous voir, mais qui ne sait pas bien encore quel jour. Je repartirai Vendredi soir pour le Val Richer. C'est là qu’a partir de vendredi, je vous prie de m'écrire. Adieu, Adieu. G.
74. Paris, Mardi 23 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Dîner hier chez Duchâtel ; un petit dîner tout Français assez agréable. D'Haubersart part le 5 juin pour Vichy et n'ira pas ailleurs auparavant. Le soir, chez le Duc de Broglie. Le traité des Allemands est la seule préoccupation du moment. On se demande s’ils se maintiendront de concert à l’état de neutralité jusqu'à l'automne, ou si les cas de guerre très précisément prévus dans l’article secret trouveront bientôt leur application.
Duchâtel disait hier soir que les bruits du château étaient à la paix. J’avais eu ce matin des renseignements tout contraires, l'Empereur prévoyant une longue guerre, s'y préparant, et prenant des mesures pour rallier contre vous toutes les petites puissances de l’Europe occidentale, et méridionale, de cette sorte que l’Autriche ne puisse se dispenser de suivre le mouvement. A l’Europe méridionale, il faut ajouter la Suède qu’on dit de plus en plus ébranlée contre vous, et prête à fournir 40 000 hommes si on veut les payer.
Voilà votre N°60 qui a été courir je ne sais où, à Lisieux d’abord, puis encore ailleurs. Ces irrégularités sont bien ennuyeuses.
Je regrette de ne pas lire la lettre de votre grande Duchesse ; l'allure de son esprit me plaît. En fait de lettres royales, j'en ai reçu une du Roi de Wurtemberg, très aimable, à propos de Cromwell. Mais son français est plus spirituel que correct.
Quand vous aurez Mlle de Cerini, faites vous lire un roman feuilleton de l'Assemblée nationale, intitulé : Pourquoi nous sommes à Vichy, de M. de Pontmartin. Je ne lis aucun roman ; mais on dit que celui-là est très joli. L’auteur est un homme d'esprit, de bonne compagnie, et un galant homme. Je suppose qu’il ne vous serait pas difficile à Bruxelles de vous procurer les numéros du commencement.
L’instruction contre Montalembert se poursuit toujours, mollement, mais toujours. On a interrogé de nouveau M. Villemain. On recommence aujourd’hui avec Montalembert lui-même. On dit qu’on traînera jusqu’au départ du Corps législatif, et qu'alors, on abandonnera ce qu’il y a de grave dans la poursuite, pour la réduire à de très petites proportions ; plus d’offense contre l'Empereur, plus d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement ; une simple plainte en mauvais bruits répandus et mauvais propos tenus, de manière à avoir une condamnation quelconque ; insignifiante en fait, condamnation pourtant en principe, une amende sans prison. Régulièrement, cela est difficile, mais tout se peut.
Autre livre à lire, réellement amusant, quoique je voie d’ici la mine que vous ferez au nom : Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, par M. d'Haussonville, Tome 1er. Je doute qu’il continue. Il avait puisé des documents curieux dans les archives des affaires étrangères. On lui a refusé toute communication de la suite. C'est tout simple. On répond à l'hostilité par la maussaderie. Adieu.
Je ne sais si j’aurais aujourd’hui des nouvelles de votre affaire avec Rothschild ; mais il ne peut pas vous faire faire des réparations que vous ne demandez pas. Adieu. Adieu. G
Savez-vous que Hübner est baron ?
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Diplomatie, Europe, Femme (portrait), Guerre de Crimée (1853-1856), Histoire (Angleterre), Histoire (France), Lecture, Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (France), Portrait, Réseau social et politique
75. Paris, Mercredi 24 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Journée bien insignifiante hier. Une commission de l'Académie pour juger un concours ; puis l’Académie elle-même jusqu’à 5 heures. Le Duc de Noailles n’y est resté qu’un moment. Il allait entendre, pour la seconde fois, la lettre d’un morceau biographique de Sabine (M. de Standith) sur la vicomtesse de Noailles. Il dit que c’est très bien, mais très bien. Il faut que ce soit très bien pour deux lectures. Le Duc de Noailles est très famille. Molé m'a ramené chez moi. Bien vieux, et toujours de mon avis ; avec cette nuance qu’il en était avant que je lui eusse dit mon avis, ce qui est moins aimable. En rentrant chez moi, Dumon et Mallac. Dumon triste politiquement, content, administrativement ; son chemin de fer va bien. Il part, ces jours-ci pour aller en ouvrir un grand morceau. Duchâtel part demain pour le Bordelais. Molé va s’établir à Champlatreux le 1er Juin. Le Duc de Broglie à Broglie où il ne passera que six semaines. Il ira ensuite, avec son fils Paul, à Coppet, pour ne revenir à Broglie qu'à la fin d'Octobre. Vous voilà au courant les mouvements de mes amis.
J’ai vu la Princesse de Broglie avant hier, relevée de couches, étendue sur son canapé, enveloppée dans une robe de soie rose uni. Elle était charmante.
Je suis dans ma grande tristesse pour ma maison. Et mon grand ennui. Il paraît certain qu’on me chassera l'automne prochain, peut-être au mois d'Octobre. La ville a traité avec une compagnie, dont M. Pereire est le chef et qui se charge de faire le nouveau boulevard de la Madeleine, à la barrière Monceau. Je cherche des appartements. J'en ai vu deux qui sont possibles ; l’un rue du faubourg St Honoré, N°64, en face de Mad. de Pontalba ; l’autre rue du Cirque N°5. Mais je ne serai jamais la moitié aussi bien que je le suis chez moi.
Génie n’avait pas encore vu Rotschild hier. Je crois qu’il le verra demain.
Voilà le traité Austro Prussien dans le Journal des Débats. Mais non pas l'article additionnel et secret qui est le plus grave. Vous le connaissez. Les cas de guerre y sont stipulés bien formellement, et d'après ce que vous me dites de l'État des esprits à Pétersbourg, je doute fort qu’on y commente " à arrêter tout progrès ultérieurs des armées Russes sur la territoire Ottoman et à donner des garanties de la prochaine évacuation des Principautés " Vous payerez cher l’inconvénient des états despotiques, où ni le souverain, ni le peuple ne savent la vérité.
Vous pouvez vous donner le divertissement d'être jalouse de qui vous voudrez ; cela ne tire pas à conséquence. Il y a un peu de vrai, pas tout, mais un peu, dans ce qu’on vous a dit de Mad. Mollien ; quelque prétention, et trop de flatterie.
Qu'est-ce que vous avez à la poitrine ? Toussez-vous ? Je vous demande en grâce de me dire tout sur votre santé. Ma peur est toujours d'en trop rabattre de ce que vous me dites, car j’ai le malheur de ne pas me fier à vos impressions. Grand malheur, vous aimant comme je vous aime. Et de loin !
L'adresse de Génie est rue du faubourg Montmartre, 52. Adieu, Adieu.
Aujourd’hui, j’ai le Consistoire, l'Académie, et je dîne chez Broglie. Je pars toujours pour le Val Richer. Vendredi soir. Vous m'écrirez là vendredi. adieu. G.
76. Paris, Jeudi 25 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Encore l'Académie hier matin. La séance du Jeudi avait été avancée d’un jour à cause de l'Ascension. Elle a été assez amusante. On discutait la liste des ouvrages auxquels devaient être donnés les prix Monthyon. J’ai fait admettre l’histoire de Louis XVII, par M. de Beauchêne. Je ne crois pas que vous l'ayez lue, mais vous en avez sûrement entendu parler. Quoique la commission ne l’eût pas proposée, l'Académie l'a adoptée à la presque unanimité. M. Mignet s’est abstenu de voter. Les historiens de la Convention ne prennent pas leur parti de la voir juge à son tour. Dîné chez le Duc de Broglie, un famille. Le soir, chez Mad. d’Haussonville ; peu de monde.
Aujourd’hui, je ferai quelques visites, Hatzfeldt, Carné, Mason & Personne ne sait rien. Maintenant que les Allemands se sont décidés, les amis de la paix désirent que la Suède, le Pièmont, Naples se décident aussi, et que voyant toute l'Europe coalisée contre lui, votre Empereur se décide à son tour. Il le pourrait alors, avec tristesse, mais sans déshonneur. Personne n'est plus fort que tout le monde. On dit que la Bavière, et avec elle la Prusse, ont demandé à faire occuper la Grèce par leurs troupes, et que leur proposition a été repoussée. Les troupes françaises, occuperont.
Le bruit courait hier que le roi Othon et la Reine avaient quitté Athènes. et étaient allés rejoindre les insurgés. Je n'y crois pas. L'insurrection ne me paraît pas en voie de prospérité. Mais on ne l'étouffera pas plus qu'elle ne réussira. C'est par là que commencera le chaos. Le Prince de Ligne m’a envoyé le discours de M. de Stahl. Très remarquable. Plein d’esprit et de talent. J'en contesterais ça et là bien des choses ; mais je suis frappé de l'indépendance du jugement et de son élévation sensée, les deux qualités aujourd’hui les plus rares. Le bon sens est vulgaire et l'élévation d’esprit est folle, et le jugement est servile.
Voilà le 65. Pourquoi êtes-vous dans votre lit ? Je vous en conjure, ne soyez pas malade. L'accès de sommeil qui vous a prise après la nuit blanche me rassure. Je crois beaucoup au sommeil. Mlle de Cerini est venue me voir hier. Elle part évidemment, lundi 29. Je persiste de plus en plus dans mon impression sur son compte. Elle a bien envie de vous plaire, et de vous plaire par les bons moyens. Je regrette qu’elle ne sache pas l’Anglais.
Je ne crois à aucun nuage entre Paris et Londres. Pourtant l’abstention de Lord Stratford et de Lord Raglan est singulière. Que fera Baraguey d'Hilliers, s'il est encore à Constantinople, quand le sultan donnera à dîner au duc de Cambridge ? Adieu, Adieu.
J’aurai encore de vos nouvelles ici demain. Oui, il y a bien loin du Val Richer à Ems. Adieu. G. Le club Impérial (hôtel d'Ormond) va enfin s'ouvrir. Les sénateurs Conseillers d'État et qui le peupleront trouvent la carte à payer un peu chère, 600 fr la première année, 300 fr les suivantes. On parle de trois nouveaux Maréchaux, Baraguey d'Hilliers, Ornano et d’Hautpoul. On dit aussi que le maréchal Vaillant a proposé de demander au Corps législatif une autorisation éventuelle pour lever d'avance 140 000 hommes sur l'année 1854, mais que cela a été écarté. Encore adieu.
77. Paris, Vendredi 26 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Quelques mots seulement. aujourd’hui ; j’ai une multitude de visites et de petites affaires et rien à vous dire. Votre N°66 me fait plaisir ; vous êtes mieux. Ne risque jamais ne prendre froid, et faites ce que vous dit votre médecin, même quand il ne vous plait pas. Il en sait plus que vous.
Je n’ai vu personne hier soir. Il n'y a point de journaux ce matin. Dumon sort de chez moi et ne sait rien. Duchâtel est parti hier, et m'a formellement chargé de ses plus affectueux respects, regrets, ce que vous voudrez, pour vous. Adieu, Adieu. G.
Je presserai ce matin Génie de finir votre affaire avec Rothschild.
78. Val Richer, Dimanche 28 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai trouvé ma fille Pauline très bien. Sa grossesse la fatigue un peu ; mais voilà tout. Montebello est venu me voir une heure avant mon départ. Je l’avais engagé à aller vous faire sa visite demain, ou après demain ; mais il aime mieux retarder de quelques jours.
Je sais positivement que l’amiral Parseval est assez content de sa flotte ; il a des équipages un peu vieux ; on a pris, pour les former d’anciens matelots de 40 ans qu’on avait laissés chez eux ; mais ils avaient de l'expérience, et ils ont repris de l’entrain. Il manquait à cette escadre des bâtiments à vapeur ; on lui en a envoyé sept de plus Anglais ou Français, il y aura là un armement énorme. On fait certainement de grands efforts pour développer notre marine. On veut remplacer celle qu’on va détruire chez vous.
Sur terre, on est très frappé de votre peu d'efficacité. Le Duc de Noailles m'en parlait avant hier avec une surprise qui s'accroît de jour en jour. Vous êtes, depuis six mois, en face des Turcs sans leur avoir fait éprouver un seul grand échec. Ni le système de la guerre défensive, ni la lenteur des premiers préparatifs ne devraient, ce semble, vous empêcher aujourd’hui de déployer la supériorité de vos forces. Quoiqu’il arrive plus tard, il y a là un déclin.
Mad. de Sebach vous a sûrement raconté son impétuosité en dînant, un de ces jours, je ne sais plus lequel, chez je ne sais plus qui, quoiqu'on me l'ait dit ; la Prusse et la fille de M. de Nesselrode n’a pu se contenir ; elle a éclaté en reproches, et a fini par dire qu’elle voyait bien qu’elle ne pourrait plus rester longtemps à Paris. Est-ce à cause de cela qu'elle est allée passer huit jours à Bruxelles ?
On parlait aussi des vivacités populaires de Pétersbourg, telles que M. de Nesselrode aurait été sifflé dans la rue, et tout le parti allemand ou de la paix, dans sa personne.
Midi
Voici votre 67. Je suis charmé d'avoir si bien parlé de M. de Stahl. Je ne me rappelle pas un mot de ce que je vous ai dit. Adieu, Adieu. G.
79. Val Richer, Lundi 29 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je penche assez à croire à l'obstination de votre Empereur et de son peuple. Pourtant, il y a deux grandes puissances, grandes même chez les Barbares, le bien être et l’orgueil. L’un et l'autre auront beaucoup à souffrir de cette situation. La destruction de votre commerce ruinera les nobles, votre expulsion politique de l'Europe humiliera la prince, les nobles et le peuple. Vous ne serez plus ni riches, ni influents, ni amusés. Passe encore si c'était pour quelques mois, on s'enferme chez soi ; on brûle Moscou un matin ; l'ennemi se retire le soir. Il y a de l'éclat dans le malheur et il est court. Mais il en sera tout autrement ; si vous vous obstinez, on s'obstinera tout en dépensant beaucoup d'argent, on sera moins ruiné que vous et si on ne peut pas vous aller chercher chez vous, on aura le plaisir de vous y tenir en prison. Votre Empereur a l’esprit pour ne pas voir que cette situation, mauvaise pour tout le monde, est plus mauvaise pour lui que pour personne, et qu’il est pressant d’en sortir.
En 1812, la Russie avait avec elle, dans le présent l’Angleterre et dans l'avenir toute l'Europe, aujourd’hui. elle a contre elle l’Angleterre et bientôt toute l'Europe. Cette différence vaut la peine qu’on y pense.
Que fera le Roi Othon quand l’armée Française va arriver à Athènes, où elle est sans doute déjà arrivée. Restera-t-il roi d’un royaume occupé, ou se fera-t-il chef d'insurgés ? Le fait est aussi embarrassant pour lui que le spectacle est choquant pour nous. Des troupes Françaises occupant Rome pour le Pape et Athènes contre le Roi ! J’ai ici, dans mon salon le portrait de mon ami Colettis je lui demande ce qu’il comprend à tout cela et ce qu’il veut faire. Il ne me répond rien, et je crois qu’il n’en sait pas plus que moi. Il serait bien malheureux. Il détestait les Turcs, les Russes et les Anglais, et il aimait les Français.
Je lis dans le Constitutionnel que le monde financier vous devient contraire. Rothschild m'en a donné la preuve vendredi dernier ; je l’ai rencontré dans les Tuileries, et il m'a reconduit un quart d’heure. Il est impossible d'être plus Anglo-Français. Je ne suppose pas que le rejet du bill des Juifs à Londres le fasse changer d’avis. J’ai bien recommandé à Génie, en partant, de finir sans retard l'affaire de votre appartement.
Midi.
Je ne m'étonne pas qu’on vous aie volé des lettres ; j’ai toujours trouvé qu’à Paris vous n'y faisiez pas assez d’attention ; vous les laissiez traîner partout. Je regrette de ne pas vous avoir donné samedi la distraction dont vous aviez besoin. Adieu, Adieu.
80. Val Richer, Mardi 30 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous me dites les sacrifices de l’aristocratie russe qui donne le dixième de son revenu dans tout l'Empire. Le Moniteur me dit le zèle de la démocratie Française qui prête deux fois plus d'argent qu’on ne lui en demande, et qui y gagne. Voilà deux puissants Dieux aux prises. Nous verrons lequel aura le dernier. J’ai peur qu'à ce compte-là, ce ne soit long.
Les feuilles d'Havas y préparent leur public. " Il nous paraît, disaient-elles hier, que l'effort imposé à la France ne dépassera pas de beaucoup celui qu’elle a dû faire pour l’assurer la conquête de l'Algérie. Nous avons entretenu en Afrique, pendant 18 ans, cent mille hommes sur le pied de guerre. Notre armée expédition naire ne s'élève pas encore, à beaucoup près, à ce chiffre et comme la France est loin d'être seule, il est douteux qu’il soit jamais dépassé, ou même atteint."
On énumère ensuite toutes les puissances et toutes les armées que vous aurez successivement sur les bras, ce qui répond à votre million, 300.000 hommes sous les armes, et on en conclut " que la vérité percera à travers la croûte épaisse de l'absolutisme qui enveloppe l'Empire russe et que " le Czar cédera à l’Europe."
Demandez, je vous prie, de ma part à M. de Brunnow s’il s'attendait à cela le 15 Juillet 1840, quand il signait son traité à Carlton-Terrace. C'est pourtant la conséquence. On m'écrit que le désastre du Tiger a redoublé l'irritation Anglaise. On vous accuse d'avoir continué à tirer sur le bâtiment après qu’il s'était rendu. On demande si c’est là le retour de la modération déployée dans le bombardement d'Odessa.
L'Illustration Anglaise et la Française ne sont pleines que d'images de la guerre. Le sentiment national finira par devenir violent partout.
Midi
Je suis désolé que Génie ait été si lent à faire votre affaire. Je lui ai, à trois reprises, vivement recommandé d'en finir. Il ne vous croyait pas si pressée et il n’est pas toujours lui-même aussi pressé ni aussi exact qu’il le faudrait. J'espère bien qu'à présent l'affaire est faite, et qu’il vous l'a écrit. Mais, à tout hasard, je lui écris aujourd’hui pour le gronder et lui mettre le feu sous le ventre. Vous aurez eu de mes nouvelles hier lundi, et depuis, tous les jours. Adieu, Adieu. G.
Mots-clés : Diplomatie, Guerre de Crimée (1853-1856), Presse, Vie familiale (Dorothée)
81. Val Richer, Mercredi 31 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je vois que le maréchal St Arnaud a été moins susceptible que Lord Stratford et Lord Raglan ; il a assisté au dîner du Duc de Cambridge. On dit que les prétentions un peu fastueusement étalée du Prince Napoléon et de ses entours avaient déterminé l'abstention des Anglais.
Voilà donc les premiers coups de canon tirés aussi dans la Baltique. Mon pressentiment est depuis longtemps qu’il y aura là un grand effort, et la lenteur même de l'attaque m’y confirme. On rassemble toutes ses forces et on attend que la mer soit bien libre. L’amiral Parseval peut gagner là son bâton de Maréchal. L’amiral Baudin, à qui on vient de donner le bâton vacant, est très dangereusement malade. On le croyait à la veille de la mort quand j’ai quitté Paris.
Si vous lisez le Constitutionnel, vous y aurez sûrement remarqué hier l'article sur la Suède et cette déclaration que, si elle prend parti pour l'alliance anglo-française, les deux puissances doivent lun garantir sa complète indépendance et intégrité contre vous. Ce sera la lutte bien engagée au Nord comme au midi, et sans l'avenir comme dans le présent.
Je ne conçois aucune époque de l’histoire où les hommes n'aient été jetés, sans leur volonté et contre leur volonté, dans une si grande, et si obscure série d'événements. Le monde sera bouleversé quand personne n'y pensait.
En fait de bouleversement, celui qui m'inquiétait pour ma maison est un peu ajourné. On me l'assure du moins. J'en jouirai sans confiance, jouissance bien imparfaite. Si on me laissait ma maison et si vous reveniez dans la vôtre, j’attendrais bien plus patiemment. Je suis très pressé de vous savoir tranquille sur votre bail. Non que j'aie aucune inquiétude, mais pour que vous ne soyez plus agitée. Il faut apprendre à ne plus compter sur le même empressement et la même exactitude de zèle, de la part même des serviteurs qui restent dévoués, quand vous n'avez plus grand chose à faire pour eux.
Midi
Votre tristesse m'attristerait si je ne savais que deux heures après m'avoir écrit, vous aurez eu de mes nouvelles détaillées, et plus d'interruption depuis. Je voudrais être aussi sûr que vous aurez reçu votre bail. Ce retard, m'ennuie, quoique je n'en craigne rien. Adieu, Adieu. G.
82. Val Richer, Jeudi 1er juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voilà un nouveau mois qui commence ; le temps s'écoule et rien ne finit. Vous allez partir pour Ems. Nous nous éloignons l’un de l'autre. Quand nous retrouverons-nous ? Moi aussi, je suis triste.
Je comprends le parti que vont prendre les Anglais pour un ministre de la guerre. Ils ont raison. Mais Lord Palmerston me plaît encore moins là qu'ailleurs. Chargé de diriger la guerre, il aura probablement plus de moyens de l'étendre. Il est de ceux qui accepteront le remaniement de l’Europe, et les révolutions pour s’assurer dans la mer noire ou sur le Danube, un peu plus de succès.
Qu’y a-t-il de vrai dans ce qu’on dit de la mauvaise santé de Lord Stratford ? Cela aussi serait un événement. On s'en réjouirait certainement chez vous. Pour moi, je ne suis pas sûr que la paix y gagnât rien, et dans le peu le rapports que j'ai eus avec Lord Stratford, j’ai pris pour lui de l'estime et presque du goût. Je ne sais rien d'ailleurs.
Je n'ai point de lettres de Paris. Tous mes amis sont partis ou endormis. Il faudra pourtant bien que Génie me donne des nouvelles de votre appartement. Je l’ai sommé d'en finir de façon à mettre fin à toute combinerie. Midi Me voilà tranquille sur votre bail. Génie me dit qu’il vous l’a envoyé. Quand changera-t-on d'autres signatures. Point de nouvelles d'ailleurs. Adieu. Adieu. G.
83. Val Richer, Vendredi 2 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je suis bien aise de savoir Mlle Cerini auprès de vous. Elle me paraît réunir les qualités essentielles aux convenances extérieures. Je souhaite qu'à l'user elle vous plaise, et que cela dure. Mettez du vôtre. Ce qu’elle a est déjà assez difficile à trouver. Ne vous querellez pas avec Constantin. C'est un excellent homme et il a de l'affection pour vous. Que vous importe son plus ou moins d’esprit ? Vous ne vivez pas avec lui. Il se conduira toujours honorablement, et il vous sera toujours dévoué. Ne lui en demandez pas d'avantage. Vous ne lui donneriez pas l'esprit qu’il n’a pas et vous lui ôteriez les bons sentiments qu’il a.
Génie m’écrit que demain samedi ; il vous aura renvoyé votre bail paraphé et signé. J'en suis charmé, non seulement pour votre repos d’esprit, mais pour notre avenir de Paris auquel je crois toujours très décidément, sans entrevoir comment il reviendra. La foi ferme est dans ma nature. J’y ai été souvent trompé, mais pas toujours. J’ai eu quelquefois raison d'espérer contre toute apparence, assez pour ne désespérer jamais.
On me dit qu’entre l’Autriche et la Prusse, indépendamment de l'article addi tionnel qui a été publié et qui spécifie les cas de guerre, il y a un article secret par lequel l’Autriche s’engage à ne rien entre prendre d'effectif, contre vous sans une entente préalable avec la Prusse. Je suis assez porté à y croire. Savez-vous qu’on vient de frapper à la Monnaie de Paris une médaille destinée à consacrer le souvenir de l'alliance Franco- Anglo-Turque ? Sur une face, l'Empereur Napoléon III donnant la main droit à la Reine Victoria, et la gauche, au sultan Abdul Medjid, avec ces mots autour. Catholicisme, Protestantisme, lslamisme, Civilisation ; Dieu les protége - sur l'autre face : - sous le règne de l'Emp. Napoléon III et sous celui de la Reine Victoria, la France et la Grande Bretagne se sont unies pour assurer la paix du monde. Il faut convenir qu'elles n’ont pas pris, vers la paix, le chemin le plus court. On prétend que cette médaille a été distribuée à tous les Évêques Français. Mauvaise plaisanterie. Mais quant à la médaille même, on m’assure qu'elle existe, et qu’on l’a vue. Quand je l'aurai vue, je vous le dirai.
Je suppose que je vous écrirai encore demain à Bruxelles, et puis à Ems. Vous me donnerez vos instructions. Je pense avec plaisir que la Princesse Kotchoubey et sa charmante fille sont encore pour deux ou trois mois avec vous. Remerciez les je vous prie, de ma part, de leur aimable souvenir. Et quand vous quitterez Bruxelles, soyez assez bonne pour dire un mot de moi à M. Barrot. J’ai été touché et point surpris de sa courtoisie. C'est dommage que M. Van Praet n'aille pas aussi à Ems ; vous ne remplacerez pas sa conversation.
Onze heures
Je n’ai rien de vous ce matin. Adieu donc. J'espère bien que vous n'êtes pas malade. Adieu, Adieu. G.
84. Val Richer, Samedi 3 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Le Roi Othon s’est donc soumis, quoique votre Ministre lui ait offert de le suivre partout où il irait. Quelle confusion de tous les principes et de tous les rôles ! Si la guerre se prolonge, ce ne sera pas le seul chaos des Etats qu'elle amènera ; il en sortira aussi le chaos des esprits. J’ai ici un temps affreux, vent et pluie, le même temps qu’il faisait à Ems, il y a trois ans le jour où j'y suis arrivé. J'espère que vous n'y arriverez pas par ce temps-là mardi ou mercredi prochain. Je vous voudrais au moins ces impressions physiques gaies et douces.
Que signifie cette lettre de Vienne qui dit qu'à la suite d’une conférence entre les diplomates, un officier russe distingué est parti pour Frohsdorf. Il y a sans doute là quelque bévue ; on a mis Frohsdorf pour Peterhof.
Vous avez vu dans les journaux que la Reine Marie-Amélie avait débarqué à Gênes. Le Prince de Joinville aura jugé au dernier moment qu’elle n'était pas en état de supporter le long voyage par l'Océan. Elle ne fera, je pense, que traverser l'Allemagne. Elle comptait être arrivée à Claremont vers le milieu de Juin.
Midi
A la bonne heure, voilà une lettre. Votre première impression sur Mlle de Cerini de retour me fait plaisir. Et aussi que vous ayez enfin reçu votre bail. Vous avez raison de passer par dessus les petites difficultés. On discute mal de loin, et par tiers. Adieu, Adieu.
Je n’ai pas. encore ouvert les journaux, et n’ai d'ailleurs pas la moindre nouvelle. Adieu. G.
85. Val Richer, Dimanche 4 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous avez bien de la peine à prendre Silistrie. Quand on dit cela, vos amis répondent que vous y avez mis deux ans en 1828. Pauvre réponse pour 1854. Si les Turcs et leurs alliés ne sont pas en mesure d'entreprendre rien de grand contre vous cette année, il paraît que ni vous non plus contre eux. Voilà les propos des spectateurs de cette insignifiance mutuelle dans les débats de la guerre, il résulte. Deux impressions contradictoires en apparence, mais toutes deux favorables à la guerre ; on s'impatiente et on a moins peur.
Voilà la session du Corps législatif close sans qu’on lui ait demandé aucun pouvoir discrétion naire ni pour des levées d'hommes, ni pour des emprunts. Cela n'indique pas qu’on aie le projet de faire cette année beaucoup plus que ce qui est déjà fait. Certainement si la paix ne se fait par l'hiver prochain, cette affaire là sera la honte de la diplomatie, au moins de celle qui désire la paix.
Dans la confusion, où est la Grèce, je ne sais ce que sont devenus les anciennes classifications de parti ; mais si elles subsistent encore, le nouveau ministère au Roi Othon est anglais, Maurocordato et ses collègues ont toujours appartenu à cette couleur de mon temps, malgré notre entente cordiale à peu près partout, nous ne nous entendions point en Grèce, et les Anglais y compris, Lord Aberdeen, ne pardonnaient guère à Colettis sa couleur française. Je ne suppose pas qu’on les rende aujourd’hui la même susceptibilité.
18 heures et demie
Je vous ai quittée pour aller faire un tour de jardin. La pluie m'en chasse, une pluie froide par un vent de Nord ouest. Vous avez bien fait de retarder votre départ jusqu'au 7 ; on supporte mieux le vilain temps dans un ancien que dans un nouvel établissement.
Midi
Pas de lettre. Je ne comprends pas pourquoi. Adieu, Adieu. G.
86. Val Richer, Lundi 5 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je ne sais où je vous écris, ne sachant pas à quelle heure vous partez après demain de Bruxelles et si vous pouvez y recevoir encore cette lettre. L’absence a mille petits déplaisirs.
Quand vous serez établie à Ems, faites-vous lire, par Mlle du Cerini, Madame de Sablé de M. Cousin. Cela vous amusera, et elle avec vous. M. Cousin exploite un peu trop sa passion pour Mad. de Longueville ; il la débite en détails dans la Revue des deux monde, puis en gros dans de gros volumes. Mais peu vous importe. Je ne suppose pas que vous ayez lu Mad. de Sablé dans la Revue des deux mondes.
Les lettres du général Brown et de Lord Raglan démentent-elles ou confirment-elles ce qu’on vous a dit sur les mésintelligences qui se glissaient dans les armées à la suite des mésintelligences entre les ambassadeurs ?
Nos marins de la Baltique sont charmés, de l'accueil que leur font les Danois. Il y a encore là des souvenirs du bombardement de Copenhague. On est bien aise que la flotte Anglaise ne soit pas seule. Il me paraît que vous aurez bien à faire en Circassie ; tous les forts que vous aviez construits là, à chaque progrès que vous faisiez dans le pays sont ou détruits, ou au pouvoir des Circassiens.
Je vous écris là une sotte lettre. Je n’ai rien à vous dire. Je n'aurai point de journaux et matin. Il est pourtant sûr que, si nous étions ensemble, nous aurions des conversations intarissables.
Midi
Voilà votre lettre. Vous avez raison de vouloir 3, 6, 9 et Génie aurait dû y penser. Je trouve indispensable que Mlle de Cerini l’apprenne elle-même à lire haut en Français. Elle parle très bien ; il ne doit pas lui être difficile de lire. Adieu, Adieu. Le courrier ne m’apporte rien. Adieu. G.
87. Val Richer, Mardi 6 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous voilà donc bien plus loin. Au moins j’espère que votre santé s’en trouvera bien. Ems m'a laissé un souvenir très agréable. J’aime extrêmement les bois et les montagnes. Je me suis beaucoup promené seul à Ems, en pensant que, trois ou quatre heures après, je me promènerais avec vous. Rien n’est plus doux que le mélange de la solitude et de la société qu’on aime.
Votre voisin de campagne à Bruxelles a raison. Vous êtes déjà grandement diminués. J’en suis frappé par ce que j'entends dire aux ignorants et aux simples. Les uns comptaient sur vous comme puissance conservatrice ; les autres vous redoutaient comme puissance envahissante. Vous avez perdu la confiance des uns et la peur des autres. Evidemment vous êtes capables d’une grande et longue résistance passive, mais non pas d’un grand et prompt effort actif.
Votre sécurité Russe vous reste ; votre importance Européenne baisse beaucoup. C'est un fait qui se développera de plus en plus si la guerre se prolonge ; on ne vous atteindra pas au coeur, par où vous êtes Russes ; on vous humiliera, on vous mutilera peut-être sur vos frontières, par où vous êtes européens. Je ne sais ce que cela changera à votre avenir lointain, à vos perspectives séculaires, mais votre situation actuelle et votre avenir prochain en souffriront beaucoup. Ce que l'Empereur Napoléon 1er voulait faire contre vous, en même temps qu’il luttait contre l’Angle terre, l'Angleterre, le fera avec l’aide de l'Empereur Napoléon III. Bossuet s'écrierait ; " Ô mystère des plans et des coups de Dieu. Ô vicissitudes étranges et faces imprévues des affaires humaines. " Faites bientôt la paix, c'est votre meilleur, peut-être votre seul moyen de couper court à tous les développements d’une crise que vous n'avez pas su prévoir.
Y a-t-il quelque chose de vrai dans ce que dit la Gazette de Cologne de la disgrâce, où est tombé chez vous M. de Meyendorff ? Il est aisé de briser les hommes d’esprit à qui l’on a commandé des fautes ; il est difficile de les remplacer.
Adieu jusqu'à l’arrivée de mon facteur. Je vous quitte pour aller profiter dans mon jardin d’un rayon de soleil. Hier, nous espérions le beau temps mais le vent du nord ouest lutte encore pour le froid et la pluie.
Onze heures
Je viens de lire les détails et l'affaire de Hango. Petite expérience d’où il paraît résulter que vos artilleurs tirent bien et que les canons Anglais portent plus loin que les vôtres. Viennent les grandes épreuves. Tout indique que l’armée Turque et un corps Anglo-Français se sont mis en mouvement pour vous faire lever le siège de Silistrie. Adieu, adieu. G.