Votre recherche dans le corpus : 250 résultats dans 5493 notices du site.Collection : 1852 (1er juin-13 novembre) : Guizot historien, liberté de ton et d'analyse (1850-1857 : Une nouvelle posture publique établie, académies et salons)
N°30. Val-Richer, Samedi 3 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Mon gendre arrive de Paris. Il n’y a pas la moindre nouvelle. Tout le monde se promène et s'ennuie. Plusieurs mois vont se passer dans cet état. On a été un moment très troublé de l'ombre d'opposition du Corps législatif. Il a été question de le dissoudre. Le décret, dit-on a été signé. On est rassuré. La manie de l'opposition était jadis de supprimer le pouvoir ; la manie du pouvoir est de supprimer l'opposition ; ni l’un ni l'autre ne réussira.
Vous avez passé hier la journée à Stolzenfels. J'espère que vous avez eu le magnifique temps que nous avions ici. Un beau soleil est encore plus beau sur la vallée du Rhin que sur mon vallon. Je suis d’un bon caractère ; j’aime les grandes choses et je jouis des petites.
Je crois que le comte de Chambord persiste à interdire le serment, et il ne peut faire autrement. Ce sont des questions sur lesquelles on peut se taire ; mais quand on parle, il faut bien parler d’une certaine façon, et quant on a parlé d’une certaine façon, il faut bien s'y tenir. Voilà les querelles de Protestants et de Catholiques qui commencent en Angleterre. Ils se sont battus à Stockport. Il se battront peu. Le vent n’est pas à la guerre, à aucune guerre, étrangère ou civile. Ils se querelleront, se dénigreront, se verront.
Est-il vrai qu’on est très préoccupé en Prusse aussi de l’attitude agressive du catholicisme, et qu’on se disposa à ne pas se laisser faire ? Cela paraît dans les journaux, et il me revient que le Roi de Prusse, ses conseillers, ses anciens sujets, toute l'Allemagne protestante, princes et peuples, sont extrêmement sur le qui vive. Ceci influera beaucoup sur la politique.
Je me suis abonné pour trois mois au Moniteur. J’ai voulu voir la métamorphose annoncée. Il n’y paraît pas encore, et on dit qu’il n’y en aura point du tout. Moniteur et autres, tous les journaux sont insignifiants.
Si vous restez sur le Rhin, tout le mois de Juillet, il me semble qu'Aggy pourra aller vous y rejoindre ; c’est le 30 Juin qu’il lui était impossible d’y arriver, à ce que me disait Marion, je crois. Puisqu'elle devait venir vous joindre à Paris dans les premiers jours de Juillet, elle pourrait de là, aller vous chercher sur le Rhin. Du reste tout est difficile pour une personne encore trop jeune pour courir seules.
11 heures
Malgré votre N°25, je vous adresse encore ceci sur le Rhin. Vous me direz quand il faudra cesser. J'étais sûr que votre dîner en plein air ne vous réussirait pas. Je voudrais vous savoir revenue de Stolzenfels, autre plein air, Adieu, adieu. G.
N°31. Val-Richer, Dimanche 4 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Il n’est pas huit heures ; le temps est magnifique ; pas un nuage ; le soleil déjà chaud ; assez d’air pour qu’il ne soit pas trop chaud, je viens d’errer une demi heure dans mon jardin, très doucement. J’aimerais mieux y être avec vous ; mais vous n'en jouiriez pas aussi tranquillement que moi. J'oublie beaucoup ce qui se passe hors du cercle de ma vie et de ma vue ; je n’y ai rien à faire, et le spectacle ne m'en plaît pas.
Je ne suis pourtant pas aussi irrité que Molé qui m'écrit " ce n’est pas la faute des circonstances, s’il n’y a rien à faire, c’est la faute de l'abâtardissement des âmes, c'est défaut de courage, c’est enfin ce trait caractéristique de la décadence d’une nation qui lui fait accepter le repos de toute main à toute condition, et réserver ce qui lui reste d’énergie pour se préserver de tous les hasards de l'action. Pardonnez moi cette boutade ; je suis las de tout comprimer."
Je la lui pardonne de tout mon cœur. Il en veut beaucoup à l'abbé Gaume et à tous ces ultra-dévots qui ne veulent pas qu’on apprenne le Latin et le Grec dans les auteurs païens ! Je me laisserais croire Mahométan me dit-il, plutôt que tolérant pour de pareilles absurdités.
J’ai reçu hier du Père Ravignan une admirable lettre sur ce sujet ; il y est aussi prononcé que vous et moi. Il m’apprend en même temps que tout son ordre, y compris le Général est dans les mêmes sentiments. Je vous envoie ce qu’on m'écrit, comme si je savais quand et où cela vous arrivera. C’est un ennui d'écrire au hasard ; je me figure ma lettre courant après vous et vieillissant à la peine.
J'oubliais la dernière phrase de Molé : " Comment se porte la Princesse ? Quand revient-elle ? Malgré ses promesses, elle ne m’a pas écrit. "
11 heures
Je fais ce que vous me dites. J'adresse cette lettre-ci à Paris où elle vous attendra au moins trois jours. Je ne vous écrirai pas demain, à moins de contr'ordre. Adieu, Adieu. Je suis charmé que vous soyez de cœur, si contente de votre voyage. Adieu. G.
N°33. Val-Richer, Mardi 6 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
6 heures
J’ai eu hier vos N°27 et 28, Schlangenbad et Stolzenfels. J’espère, pour vous, que vous n'avez pas en la chaleur que nous avons ici depuis trois jours ; avec votre fatigue, vous en auriez été accablée. Vous aurez certainement grand besoin de repos. Je suppose que vous arriverez à Paris demain ou après-demain. Vous y aurez bientôt Aggy, si elle n’y est déjà ; la lettre que je vous ai envoyé était positive sur cela ; elle valait mieux pour le présent que pour l'avenir. Votre navigation sur le Rhin a dû être très agréable. J’aime le Rhin, les bons bateaux et la bonne compagnie. Je serais fâché de savoir que je ne reverrai jamais Stolzenfels.
Malgré la saison, vous ne serez pas seule à Paris, on n’y est jamais seul. C'est le lieu où l’on peut le plus se reposer sans s'ennuyer. Vous y avez toujours vos diplomates. Je regrette pour vous Stockhausen. Connaissez-vous son successeur ? Les hommes du nouveau Roi ne vous seront probablement pas aussi familiers, ni aussi dévoués que ceux de l'ancien. Je n’ai toujours point de nouvelles à vous dire. C'est vous qui m'en direz.
Le discours de la Reine d'Angleterre m’a assez plu, quoique trop long. Il est d’un ton tranquille. On aurait peine à y voir, si on ne le savait pas, qu’elle a changé de ministère et de parti.
Je travaille et je m'amuse vraiment à travailler. Je raconte comment Cromwell a eu envie de se faire Roi, et pourquoi il a eu le bon sens de ne pas se faire Roi. Je n’ai pas choisi récemment le sujet et je ne cherche pas du tout les analogies ; mais je m'amuse à les rencontrer. J’ai peine à croire à l'expulsion de Thiers de la Suisse ; les conservateurs suisses ne sont pas si brutaux et les radicaux suisses auraient tort d'être si rancuniers. Il a défendu les corps francs.
10 h 1/2
Voilà votre N°30. Je suis charmé que ce soit fini. Vous en aviez vraiment besoin. Vous êtes cependant plus forte que vous ne croyez. Ce que vous me dites de votre journée du 3 et de votre matinée du 4 aurait lassé je ne sais qui ; et vous ne vous arrêtez-même pas à Cologne vous allez coucher à Aix-la Chapelle, et vous ne savez pas si vous vous reposerez un jour à Bruxelles. Ne dites pas, je n'en puis plus.
Adieu. Adieu. Vous serez certainement demain à Paris, comme cette lettre. Adieu. G.
N°34. Val-Richer, Mercredi 7 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous arrivez, je pense, aujourd’hui. à Paris. J’espère que malgré votre vaillance. vous vous serez reposée un jour à Bruxelles. Le voyage, par cette chaleur doit vous fatiguer beaucoup. Je regrette que vous ne jouissiez pas de ce temps-là comme j'en jouis. Je me promène dans mon jardin à toutes les heures. La chaleur, et la lumière, c’est la vie. à moins que vous n'ayez tout-à-fait besoin de moi, je n’irai pas vous voir tout de suite. J’attends quelques visites. Je suis en train d’un travail que je ne voudrais pas interrompre. Je me suis promis de finir cet été plusieurs choses que je tiens en effet à finir d'avance dans la vie, et j'ai l'âme encore assez pleine pour désirer que les années qui me restent ne soient pas vides. J’aimerais mieux aussi placer nos quelques jours de réunion un peu moins loin du terme de notre longue séparation. Quand vous aurez un peu entrevu ce qu’il vous convient de faire dans ce moment, vous me le direz, et j'adapterai mes plans aux vôtres.
J’espère bien qu’Aggy ne se fera pas attendre longtemps. C'est bien dommage que la maladie de cette pauvre Fanny’s soit venue troublée vos arrangements avec ses deux soeurs ; ils étaient bien bons pour vous. Vous garderez, je vois, de votre séjour à Schlangenbad. Un agréable souvenir ; agréable au coeur, ce qui vaut mieux que tout ; et aussi comme agrément d’esprit. Je ne suppose pas qu’à prendre les choses, en grand et dans leur ensemble, vous ayez beaucoup appris là ; il n’y a plus de grands secrets ; mais beaucoup de détails intéressants, et qui rectifient les idées. Il n’y a rien de si commun aujourd’hui que les idées vrais en gros et chargées d’erreurs ou pleines de lacunes. Je n’aime pas cela. J’aime à savoir les grandes choses exactement, et par le menu.
Vous ne lisez pas les feuilles d'havas. Je vous assure qu’elles le mériteraient quelque fois. Il y avait hier, sur les prétentions et le ton du gouvernement anglais dans les affaires Mather à Florence et Murray à Rome, un article excellent. On comparait ces deux affaires à celles du général Haynac et du prêtre Achille, et on demandait à l’Angleterre. si elle avait de quoi être si exigeante, en fait de police et de justice. C’était de la justice amère, et dont il ne faudrait pas tirer des conclusions générales, mais de la justice vraie et topique dans l'occasion.
Je suis curieux de savoir si lord John Russell sera élu dans la cité. Cela se décide aujourd’hui. 11 heures Je n’ai pas de lettre aujourd’hui. Je m’y attendais un peu. J’ai bien envie de vous savoir arrivée à Paris et pas trop fatiguée de cette chaleur. Adieu, Adieu. G.
N°35. Val-Richer, Jeudi 8 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
A part la fatigue les bains de Schlangenbad vous ont-ils fait quelque bien ? Vous êtes-vous baignée régulièrement ? Et l'Impératrice, comment s'en est-elle trouvé ? Le mois de Juillet vaudra mieux que celui de Juin pour des eaux allemandes. Par cette chaleur-là, les environs d’Ems doivent être charmants. Je conserve une impression singulièrement vive des lieux qui m'ont plu, et où je me suis plus.
A mesure que les élections anglaises, approchent, il me semble que leur aspect en plus favorable à Lord Derby. La question sera décidé ces jours-ci. Je veux du bien à Lord Derby quoi que je n'en espère pas beaucoup. Si Lord John ou sir James Graham reviennent au pouvoir ils y feront les affaires des radicaux, ce qui fera, sur le continent, les affaires, soit des révolutionnaires, soit des absolutistes. Ni les unes, ni les autres ne sont les miennes. Ceci ressemble presque à une provocation. Ce n’est pourtant pas mon goût. Je n’aime pas du tout à me disputer avec les gens que j’aime. J’aimerais bien que nous fussions toujours du même avis. Mais puisque vous êtes toujours du même avis que le Prince Charles de Prusse, il n’y a pas moyen.
Il m’est arrivé ces jours-ci de l'administration locale, une question très bienveillante, elle m’a demandé, si je voulois être porté au conseil général dont les élections se feront bientôt, comme de raison, j’ai répondu que non, que je voulais rester en dehors des affaires comme de l'opposition. Je n'ai jamais vu l’horizon plus calme. Pour mieux dire, il n’y a rien du tout à l'horizon. C'est même là le mal principal de la situation. Il faut qu’un gouvernement ait devant lui un avenir. Celui-ci est traitement renfermé dans le présent. C’est là ce que je crains pour lui ; il ne se résigne pas à une portée si courte ; il voudra étendre plus loin la main, et il se fera de mauvaises affaires sans nécessité, si ce n’est qu’il faut avoir des affaires.
11 heures
Je suis charmé de vous savoir arrivée même en compagnie de Juifs, vous devez avoir en effet grand besoin de repos. Je vous ai écrit hier qu'à moins de vraie nécessité, je n'irais pas vous voir tout de suite. Cela me dérangerait vraiment beaucoup. Ne vous tourmentez pas trop de l'avenir quant aux Ellice. J’espère bien que vous n'aurez pas à y renoncer. En attendant, vous allez avoir Aggy. Nous verrons ce qu’il faudra faire pour vous l’assurer, elle ou la sœur. Adieu, adieu. G.
Mots-clés : Autoportrait, Discours du for intérieur, Elections (Angleterre), Mariâ Aleksandrovna (1824-1880 ; impératrice de Russie), Politique (Analyse), Politique (Angleterre), Posture politique, Relation François-Dorothée, Relation François-Dorothée (Dispute), Santé (Dorothée), Travail intellectuel
N°36. Val-Richer, Vendredi 9 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Si vous avez vu, ou quand vous aurez vu M. Fould, pouvez-vous me dire pourquoi le Prince-Président (du Sénat) a dit dans son discours d'adieu. " Le Sénat a adopté deux des senatus consultes organiques qui lui sont attribués par la Constitution. " Quels sont ces deux senatus consultes. Je ne m'en souviens pas du tout. Est-ce que la fixation de la liste civile en est un ?
Autre question. Je vois qu’on prépare par tout des fêtes au Président ; Lille, Nancy, Limoges, Bordeaux ce sont trois points extrêmes de la France. Est-ce qu’il ira partout ? Encore M. Fould saura cela.
Je trouve que dans le petit article du moniteur sur les bruits de complot, dans l’armée qui n'ont aucun fondement sérieux." Le mot sérieux est de trop. C'est le premier mot que je relève dans le Moniteur depuis que je m'y suis abonné.
C'est singulier que les mauvaises passions de la vile multitude de Vichy soient encore échauffées au point de s'adresser au Général St Arnaud. Il n’y a pas de mal que les avertissements soient si clairs. Personne n’est plus convaincu que moi que les mauvaises passions ne sont pas vaincues. Le Roi Louis Philippe. me disait souvent : Nous ne faisons que de l'eau claire ; c’est un prophète qu’il faut oui un prophète, quelqu’un qui change les esprits ; Rousseau a rendu les hommes fous ? C'est très bien fait de déployer la force matérielle ; il la faut d'abord, et absolument ; c’est les sine qua non de la victoire ; mais elle ne suffit pas, bien s'en faut ; et quand on l’a, on se persuade trop aisément qu’elle suffit. On est trop absolutiste et pas assez anti-révolutionnaire.
Le Ministre de la guerre fera très bien de bien punir les gens qui l’ont insulté ; mais quand ceux là auront été envoyés à Lambassa, il s'en refera d'autres à Vichy, si on ne sait, ou si on ne peut que punir.
Voilà notre ami Ellice réélu à Coventry, Je n'étais pas inquiet pour lui. Il sait faire ses affaires. Il se serait fait radical s'il l’avait fallu pour être élu. Le caractère de l’esprit révolutionnaire, c’est précisément le regarder tout comme permis et tout comme possible. Ellice en est un peu entaché, tout anglais, tout riche et tout spirituel qu’il est. Je suis bien pressé que vous ayez Aggy. Vous aurez Duchâtel tout le mois de Juillet. Son fils le retient à Paris, jusqu'au commencement d'Août. Je ne sais pas les projets de Montebello.
10 heures
Pas de lettre. Cela m'étonne un peu heureusement j'en ai une de Duchâtel qui me dit qu’il vient de vous voir, et que malgré les fatigues du voyage, vous lui avez paru avoir très bonne mine. Adieu, Adieu. G.
N°38. Val-Richer, Dimanche 11 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Avez-vous lu tout le discours de Lord Palmerston à Tiverton ? Certainement un des plus sensés, et des plus spirituels qui aient été faits en ce genre. Populaire et conservateur à la fois. Et si vraiment anglais ! Je tiens pour évident qu’il se prépare à être le chef, ou à peu près, à un cabinet free trade et conservateur. Il a touché à toute les questions Old England, pas de république, pas de ballot, pas de Parlement triennaux. Si, cela arrive ce sera une singulière destinée, un personnage secondaire et malfaisant jusqu'à 70 ans ; premier, et utile en cheveux blancs. Je suppose qu’il ne redeviendra plus ministre des affaires étrangères. Le comble serait qu'Aberdeen le fût dans le même cabinet. Je n'espère pas tout. Jusqu'ici le parti protectionniste me semble bien battu. Et bien tranquillement battu. Ce sont là les vraies défaites. Il y aura du nouveau dans ce pays là. Dieu veuille que ce soit du bon !
J’espère bien que vous trouverez un bon logement à Dieppe. Je me figure que l’air de la mer vous fera du bien. C’est un tonique qui n’agite pas. On dit qu’il y a beaucoup de monde. Il y en a beaucoup partout. Pas de soleil aujourd’hui, et des apparences d’orage. J’ai beaucoup joui de cette chaleur brûlante et brillante. Avez-vous rapporté quelques bonnes paroles, sur vos fils ? Vous les méritiez bien. Avec tout ce que vous m'avez dit de l'Impératrice de son coeur, de son esprit et de son tact, il me semble impossible qu’elle ne veuille pas, et qu’elle ne sache pas vous faire ce grand plaisir.
Je suis charmé que vous n'ayez pas un moment de solitude. On n'est jamais seul à Paris. Le contraire de Londres. Je vous trouve en effet un peu paresseuse, de ne pas pousser un jour jusqu'à Champlatreux. Ce n’est guère plus qu’en une fois, la somme de vos promenades de la journée. Vous êtes encore plus adonnée à vos habitudes que paresseuse ; il vous en coûte de faire ce que vous ne faites pas tous les jours.
11 heures
Votre lettre ne vient pas. En voilà deux qui manquent cette semaine. C'est singulier. à moins que vous ne m'ayez pas écrit tous les jours. A demain donc. Adieu. Adieu. G.
Je viens de vérifier vos numéros. Le 32 m’a manqué. Par conséquent jusqu'à avant hier vendredi 9 vous avez écrit tous les jours. J'attendrai demain impatiemment.
N°39. Val-Richer, Lundi 12 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
C'est curieux à quel point on peut vivre dans le passé. Je m'occupe des nouvelles d'aujourd’hui, je lis mes journaux par routine, par convenance ; au fond, ce n’est pas à cela que je pense spontanément et avec intérêt l’histoire de Cromwell, et ma propre histoire de 1830 à 1848 voilà ce qui m'interesse, ce qui remplit, et anime mon esprit. C'est dommage que vous n'ayiez pas la même disposition ; je serais bien plus intéressant pour vous. Mais vous m'aimez que le présent vous êtes la contemporaine par excellence.
Que va-t-il arriver en Angleterre ? Vous devriez bien me le dire, car cela, j'en suis curieux aussi, selon ma conjecture, rien de décisifs, quand ils n’ont point de grande entreprise sur les bras et point de grand homme à leur tête, ils savent vivre, modestement au jour le jour faisant petitement leurs petites affaires, et se contentant de ne point faire de grosses sottises. Si le Président a la même sagesse il durera tant qu’il voudra.
Je suis bien aise que les radicaux des corps francs laissent Thiers tranquille à Verrey. Quand les justices providentielles arrivent, mon premier mouvement est la satisfaction. Mais je pense très vite aux personnes à leurs souffrances, à leurs chagrins, et je n’ai plus du tout soif de justice. D'ailleurs, après ses amis ce qu’on aime le mieux ce sont ses ennemis. Je m'intéresse à Thiers. Je ne le voudrais pas puissant mais point malheureux. Je ne vois pas pourquoi on met M. Drouyn de Lhuys aux affaires étrangères à la place de M. Turgot ; il a un peu plus d'encolure diplomatique au fond. Il ne fera ni plus, ni mieux. Passe pour ôter M. Duruffé des travaux public ; on peut avoir là un homme capable ; il y sera utile sans y être embarrassant. Est-ce que M. Magne, qui y était du temps de M. Fould ne serait pas disposé à y revenir ? C'est un homme vraiment capable. Je ne sais pourquoi je vous parle de cela. J’ai vu hier quelqu'un qui venait de Dieppe. Il dit qu’il y a beaucoup de monde, et très bonne compagnie, et qu’on trouve très bien à s'y loger. Mais je ne me fie pas à ce rapport, c’est un homme du pays, moins difficile que vous en fait de logement. Il vous faut la plage, ou près de la plage et un bon appartement dans la meilleure auberge.
Je vous quitte pour attendre plus patiemment le facteur en faisant ma toilette. Malgré la chaleur j'irai faire aujourd'hui une visite à trois lieues, dans un assez joli château. J’ai là un voisin savant, antiquaire infatigable qui ne vit qu’avec Guillaume le conquérant et Bossuet.
11 heures
Je suis bien aise que votre temps soit si plein, et vous savez que je ne me fâche jamais. à demain la conversation sur mon peu de curiosité en ce moment. Si j’avais pu aller à Paris, j’y serais allé pour vous voir plus que pour vous entendre. Je vous écrirai donc demain à Dieppe. Adieu, adieu. G.
40. Val-Richer, Mardi 13 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ce sera donc Vendredi j’espère. Mon plaisir sera grand. J'ai été bien souffrante hier, de je ne sais quoi. Il y a un bon médecin ici, M. Godel, je le conseille. Lord Cowley est revenu hier. M. de Thouvenel lui a dit que le Président irait à Bade. Que va faire la Princesse de Prusse qui y est ? Cela me divertit fort. Elle le déteste, elle est curieuse, elle est précieuse, je voudrais voir cela. Il se pourrait qu'elle s'absentât. Si c'est sous forme d'impolitesse cela déplairait fort au roi de Prusse.
Selon le journal des Débats, le voyage est splendide, j'en aurai sans doute un petit récit par Fould. Je ne sais pas l'ombre d'une nouvelle. Il me semble que Cowley trouve que sa reine est un peu trop intime avec Claremont. Au fond il y a là dedans une certaine inconvenance politique. Morny qui est revenu d'Angleterre a dit au duc de Mouchy qu'ici avait été très bien reçu par la société en Angleterre. Delessert y est allé hier, il reviendra dit-il la semaine prochaine. C'est une partie pour moi. J’avais pris le communiqué du Moniteur comme s’adressant à M. Kalerdgi. Lord Cowley m'apprend que c'est moi à propos d'un article du [Morning Chronicle]. Ce journal-là appartient à Aberdeen. Amis anglais, amis français. J’aime mieux des ennemis. J'en dirai mon sentiment à droite et à gauche. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Aristocratie, Femme (portrait), Réseau social et politique, Santé (Dorothée)
41. Val-Richer, Jeudi 15 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je n'ai point eu de lettre de vous hier, et je ne vous ai pas écrit. Point par représailles, mais je n'avais vraiment rien à vous dire. J’espère que ce matin, je vous saurai arrivée à Dieppe. Pourvu que les lettres à Dieppe ne soient pas obligées de passer par Paris pour venir ici. J'en ai peur. Avez vous idée du temps que vous passerez là ? Je serais bien fâché si le monde finissait aujourd’hui, comme on dit que le dit M. Arage ; j’ai envie que nous nous revoyons encore dans celui-ci avant de nous rejoindre vous l'autre.
Vous me parlez beaucoup des tendresses de l'Impératrice, et c'est à merveille ; mais vous ne me dites rien des résultats. Est-ce qu'elle ne vous a rien promis pour les passeports de vos fils ? Elle n’a peut être pas osé. Pardonnez-moi ; j'oublie toujours le pouvoir absolu.
J’attends avec quelque curiosité le remplacement des ministres belges. Je me méfie beaucoup du bon sens et du savoir faire du parti catholique. Je lui connais quelques hommes très distingués ; mais ils sont eux-mêmes sous le jeu de prétentions ecclésiastiques impraticables. Le Roi Léopold est patient, et habile. Il trouvera des moyens termes, et il gagnera du temps. Quand donc ferez-vous tout-à-fait votre paix avec lui ?
Les journaux annoncent positivement et à jours fixe l’arrivée du comte de Chambord, à Wiesbaden. J’ai peine à y croire. En avez-vous entendu parler ? Parle-t-on aussi du voyage de Changarnier à Vienne.
11 heures
Pas de lettre. Dieppe passe sans doute par Paris. À demain donc. J’ai envie de vous savoir arrivée, sans trop de malaise par cette chaleur. Adieu. Adieu. G.
42. Val-Richer, Vendredi 16 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’attendais votre lettre pour vous écrire, et mon facteur arrive horriblement tard. Un orage en route ; point ici. Vous n'aurez que trois lignes. Je vous répondrai à mon aise demain.
Je crois en effet que nous ne sommes pas loin, et j'en suis charmé. Charmé aussi que vous ayez une chambre à me donner. Je m’arrangerai pour en profiter. Votre méfiance m'amuse et me choque. Adieu. adieu.
J’espère bien qu'enfin vous aurez Aggy. Adieu. G.
43. Val-Richer, Samedi 17 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Dites-moi votre adresse Dieppe ; encore faut-il que je sache où aller vous chercher, quoique je sois sûr que je vous trouverais partout où vous seriez. Je compte aller vous voir la semaine prochaine. Je ne puis vous dire aujourd’hui précisément quel jour. J’irai par Trouville. Le Havre et Rouen.
J’ai envie qu’il fasse encore beau ce jour-là. Il pleut aujourd’hui à la grande satisfaction du tout le monde et même à la mienne pour la première fois hier, j’ai souffert du chaud. J’avais si mal dormi, dans la nuit que je me suis levé à 4 heures du matin. J’ai très bien dormi cette nuit.
Je passerai deux jours avec vous. J’attends la semaine suivante, M. Hallam, et Sir John Boileau. J’aurai du plaisir à les revoir. Ils me donneront les détails sur l’Angleterre. L'échec électoral qui Peelistes est frappant, si notre ami Aberdeen était à élire, il n'aurait peut-être pas été réélu.
Le succès du Cabinet en Irlande prouve à quel point les élections sont surtout protestantes. Cette chambre des communes sera partagée par moitié. Donc bien difficile à gouverner et bien mauvais instrument du gouvernement. mais je persiste à croire, pas de danger.
Le Président se trompe, s’il se méfie du Prince de Ligne. Le Prince de Ligne sera comme voudra son Roi. Et d'ailleurs si, aise d'être à Paris, lui et sa femme, qu’ils feront ce qu’il faudra pour y rester, et pour y être bien venus.
Vous avez toujours trouvé à Fould les mérites que vous lui trouvé aujourd’hui, et qu’il a en effet. Preuve de votre pénétration et de votre tact. Je désire qu’il reste en faveur ; il ne donnera que de bons conseils.
Mes journaux d'aujourd’hui me diront s'il va à Strasbourg. Si vous avez la Revue des deux mondes, (1er et 15 Juillet) lisez deux articles de M. de Rémusat sur Horace Walpole, et Angleterre du 18 siècle. Vous le trouverez bien parlementaire, mais spirituel, et intéressant.
Voilà donc Mad. Seebach établie à Paris Elle y sera une lionne de toilette l'hiver prochain. La Russie sera-t-elle aussi brillante que l'hiver dernier ?
On m’a raconté bien des choses de Mad. Kalergi. Il me paraît que le séjour de Mlle Rachel à Berlin a été très orageux. Vous voyez que je lis les nouvelles frivoles, faute d'autres.
11 heures Enfin vous avez Aggy. J’en suis bien content. Vous vous soignerez l’une l’autre. Adieu, Adieu. Je suis à ma toilette. Votre adresse. Adieu. G.
Mots-clés : Amis et relations, Bonaparte, Charles-Louis-Napoléon (1808-1873), Conditions matérielles de la correspondance, Femme (politique), Fusion monarchique, Lecture, Politique (Angleterre), Politique (France), Portrait, Relation François-Dorothée, Réseau social et politique, Salon, Santé (Dorothée), Voyage
44. Val-Richer, Dimanche 18 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
La poste, même française, me traite toujours plus mal que vous. Vous avez mes lettres le lendemain ; je n'ai les vôtres que le sur lendemain. Je ne comprends pas pourquoi cette différence.
Je serais charmé que votre fils, Paul rentrât au service. C'est vraiment dommage qu’un homme d’autant d’esprit perde sa vie comme il le fait. Il le regretteront un jour. Pour mener cette vie oisive, et s'en contenter, il faut être jeune ; la jeunesse remplit tout. Mais quand on devient vieux, deux choses deviennent nécessaires, une famille et ses occupations.
Si Schlangenbad, contribue, comme je le présume, à rendre ces arrangements-là plus faciles ou plus agréables, ce sera une bonne et juste récompense de votre fatigue.
Je ne savais pas que M. Molé fût à Trouville. Je l’y verrai en y passant pour aller vous voir. Je ne puis fixer précisément mon jour qu'après demain à cause d’une lettre que j’attends. Mais ce sera probablement vendredi ou samedi.
Malgré l'ennui, vous avez raison de vous coucher de bonne heure. Mon expérience d’ici me le persuade tout-à- fait. Je suis toujours couché à 10 heures et presque toujours levé à 5. Ce régime me réussit très bien. C'est l’ordre naturel.
Je n’ai pas plus de nouvelles que vous. Les journaux, et j'en reçois sept ou huit, ne m’apportent rien. Montalembert, m'écrit de Vichy, où il s'ennuie fort, me dit-il. Il m'envoie ce qu’il a dit, l'avant veille de la clôture du corps législatif, sur les décrets du 22 Janvier, commençant par cette phrase : " Je désire faire une très courte observation et je vous promets d'avance de ne pas demander l'autorisation d'imprimer ce que je vais dire " et finissant par celles-ci : " Nous aurons sans aucun doute, un jour à discuter cette mesure ; les lois de finances nous y amèneront ; nous le ferons alors en toute liberté. D’ici là, il faut qu’on sache, que nous n'y sommes en rien associés, ni compromis. Quant à moi, je profite de cette première occasion pour élever dans le triple intérêt de la propriété cruellement ébranlée, de la justice méconnue et d’une auguste infortune, mes solennelles réserves contre une faute qui a été sans excuse, sans prétexte, sans provocation aucune, et que l’on s’attache chaque jour davantage à rendre irréparable."
Vous voyez que selon sa coutume, il n’a pas mâché les paroles. La Reine, et le duc de Nemours lui ont écrit pour le remercier. Adieu.
J’aimerai mieux la fin de cette semaine que le commencement. Adieu.
46. Val-Richer, Mardi 20 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai eu hier trois lettres de Paris toutes également insignifiantes, quoique de gens bien informés. La chaleur, le voyage du président, et les chiens enragés, on ne s'occupe que de cela. Je ne vois pas que nulle part en Europe, on fasse rien de plus important, excepté en Angleterre. Croyez-vous que la question ministérielle se décide à la petite session qui va avoir lieu à la fin d'août, ou que ce soit une pure formalité, après laquelle tout débat sera remis au mois de Novembre ?
Quel est le journal Anglais auquel s'adresse le communiqué du Moniteur. Je ne lis ici que mon Galignani qui ne contenait absolument rien de semblable.
Le Roi Léopold tarde bien à revenir à Bruxelles. Il veut probablement laisser en paix ses ministres qui s'en vont dans l’embarras avant de s'y mettre lui-même. Je trouve qu’il serait bien bon d'accepter cet embarras. Ses ministres actuels ont encore la majorité Ils sont tenus de gouverner tant qu’ils ne l’ont pas perdue. C'est le jeu du Roi, je pense de les obliger à rester jusqu'à ce qu’ils la perdent en effet, et à convenir qu’ils ne se croient pas en état d'affronter les élections. Les Rois constitutionnels ont bien des ressources quand ils ont l’esprit et le courage d’un [?].
11 heures
Voilà mon facteur. Je n’irai vous voir que mardi prochain 27. Le Duc de Broglie m’écrit qu’il part le 29 pour la Suisse et il me demande, s’il peut venir que voir d’ici à lundi. Il ne peut me dire précisément quel jour ayant du monde, chez lui. Je tiens à le voir avant son départ. Je resterai donc chez moi jusqu'à lundi 26 inclusivement, et mardi, j'irai vous voir. Wasa est un beau nom même détrôné. Adieu. Adieu.
Je suis charmé, pour vous, que le temps soit rafraîchi. Pour moi, je regrette le soleil. Adieu. G.
Mots-clés : Amis et relations, Politique (Analyse), Politique (Angleterre), Politique (France), Presse, Voyage
48. Val-Richer, Jeudi 22 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ce retard, jusqu'à mardi me contrarie beaucoup. Je m'étais promis de vous voir demain. Je ne pouvais pas refuser cette semaine à Broglie qui part pour trois mois, la semaine prochaine. Et toutes choses sont ennuyeuses à arranger de loin. Enfin, à Mardi.
Je voudrais vous envoyer tous les jours quelque nouvelle un peu amusante. Il n’y a pas moyen. Pour surcroît de disette, mon Journal des Débats m’a manqué hier. Il n’en sait et n'en dit pas plus que les autres, mais je suis accoutumé à mettre un peu plus de valeur à ce qu’il dit. Puisque le Président va à Bade, et prolonge son séjour à à Strasbourg, je présume qu’il arrange son mariage à la bonne heure.
Je sais gré à votre Empereur de ne vouloir pas de cette Princesse pour son fils à cause de son voisin. Il n’est pas intraitable, et sait soigner ce qui lui convient, même quand l'origine lui en déplait. C'est le complément de sa visite au Roi Charles-Jean.
10 heures et demie
Voilà votre lettre d'avant hier mardi, car décidément vous ne m’avez pas écrit lundi. J'espère que votre souffrance est passée. J’ai entendu bien parler de M. Godet, à des connaisseurs.
Le temps qu’il fait doit vous convenir, chaud et point étouffant.
Je crois que vous êtes injuste envers lord Aberdeen. Il n’est pour rien dans le Morning Chronicle. Ce sont, il est vrai, des gens de ses amis, le Duc de Noailles, Lord Canning, M. Smythe qui ont acheté, ce journal est qui le fait faire. Mais lui n'en est point et ne s'en mêle point. Je ne lui connais en fait de journaux, de relations qu'avec le Times et il met trop d'importance à celle-là, pour en cultiver d'autres.
Si la Princesse de Prusse quitte Bade au moment même, ce sera en effet une assez grosse impolitesse. J’en doute. La curiosité l'emportera.
Je viens de jeter un coup d’oeil sur mes Débats, deux numéros à la fois. Ils annoncent la modification ministérielle, M. Magne est un très bon ministre des travaux publics. Mais je ne comprends pas pourquoi M. Turgot à la secrétairerie d'Etat à la place et M. Casabianca.
On m'écrit que le comte de Chambord vient d'adresser à ses amis une nouvelle note encore plus catégorique quant au serment. Il l'a fait à cause des élections prochaines des consuls généraux. Cela chagrinera bien des gens ; mais si j'en juge par ce qui m’entoure et ce qui me revient, la plupart, obéiront. Adieu, Adieu.
La cloche sonne, le déjeuner. G.
49. Val-Richer, Vendredi 23 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
M. de Persigny a de l’esprit et de la foi, ce qui est bien plus efficace que de l’esprit. Son discours aux articles a dû agir sur eux ; la foi est communicative. Mais les commentaires ne valent pas le texte, en voici un que je trouve dans les feuilles d'havas : " L’art a désormais de beaux horizons ; dans son libre développement, il côtoiera les merveilles de la civilisation moderne sans descendre des sommités où il plane, car le prodigieux avènement du Prince Louis Napoléon a ranimé cette fibre poétique qui sommeillait chez le peuple depuis l'Empire, et qui s'accommode, si bien des inspirations de l'art. Les artistes auront désormais un protecteur plus puissant que tous les rois de la terre le peuple lui-même ressaisissant, avec sa dignité ses allures chevaleresques et artistiques. " Nous n'avons plus maintenant qu'à attendre des Michel Ange et des Raphaël démocratiques.
Je viens de me lever. Le temps, est magnifique ; le soleil, qui se lève, en même temps que moi, chasse devant lui les vapeurs de ma vallée. Je suis vraiment bien fâché de ne pas aller vous voir aujourd’hui. J’aurais aimé à arriver à Dieppe, par ce beau temps. J'espère qu’il fera aussi beau mardi.
Si le Président revient aujourd’hui à Paris, il sera mieux traité du ciel qu’il ne l'a été à Strasbourg au moment du défilé villageois. Je prends toujours en compassion les fêtes populaires dérangées par la pluie.
Il me paraît que tous les Princes Allemands se sont conduits courtoisement dans cette occasion, Prusse, Wurtemberg, Bade, Hesse, et je ne sais combien d’autres. Je serai curieux de la relation que vous donnera Fould, car j'ai enfin trouvé son nom dans les Débats.
Que faites-vous du duc de Richelieu ? Je soupçonne qu’il est de ceux qu’on rencontre volontiers une demi heure une fois par semaine, mais dont la société quotidienne et prolongée n’a pas grand intérêt. Il ne me paraît pas qu’on s'amuse beaucoup à Trouville ; le chancelier a souffert de la chaleur. On attend beaucoup de monde, dans le mois d'Août.
Vous ne me dites rien d’Aggy. Comment se trouve-t-elle et comment vous en trouvez-vous ? Comme conversation elle ne vaut pas Marion. Je présume qu'Ellice ne lui écrit pas autant qu'à sa sœur. Savez- vous ce qu’il dit de leurs élections ?
11 heures
Pas de lettre et rien de plus à vous dire. Adieu donc. G.
50. Val-Richer, Samedi 24 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
C'est vrai, Mardi est bien loin ; mais il viendra dans trois jours, et quand nous aurons causé, vous serez convaincu comme moi que je ne pouvais faire autrement. Broglie n’est pas encore venu, je crois qu’il viendra ; mais ne vint-il pas, il fallait que je lui donnasse la semaine qu’il me demandait. Soyez sûre que vous serez de mon avis.
Je crois aussi que vous devez faire quelque chose sur ce sot communiqué du Moniteur. J’ai bien regretté et je regrette bien de n'être pas là, pour vous dire tout ce que je pense à ce sujet. Vous faites bien en tout cas de consulter Kisseleff. Peut-être serai-je à temps mardi.
Voilà des nouvelles qui m’arrivent de Londres, assez curieuses : « The government reckoned, on 307 which seemed tour un excessive estimate. They have got about 312 and may win two or three more. Such a party well disciplined may for a time be master of the house of common especially against a disjointed opposition without principles and without leaders. I think the main cause of Lord Derby's success has been the absence of my competitor or antagonist whom the country can tolerate and accept [?] Lord John Russell, leaned to the conservative side, he might have become such an Antagonist, and he has discovered this too late, for he is now in communication with lord Aberdeen. But by adopting the radicals, he destroyed his party and his position. The policy of the Whigs is now to avoid all hasty or premature attacks on Lord Derby, and to judge of the measures he is prepared to bring forward. But the position of the government is only the more critical, for at heads, a party prepared to demand more than it can execute... M. Lady Palmerston said to me last night triumphantly : " Observe, no one in the whole country dare, to call himself a follower of Lord John Russell ; even hastings Russell says he is a follower of sir R. Peel. " Vous connaissez mon correspondant. Adieu, Adieu.
Je voudrais bien que l’air de la mer vous fît un peu de bien. C'est vrai, je vous dois 5 fr.. Mais je ne veux pas recommencer. Je vous paierai mardi. Adieu. G.
51. Val-Richer, Dimanche 25 juillet 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je partirai d’ici, Mardi matin, et j’espère bien arriver à Trouville avant que la marée n'emmène les steamers qui vont au Havre. Pourtant je ne sais pas bien exactement les heures de marée, et si je manquais la première je pourrais bien manquer aussi l’un des deux convois de chemin de fer dont j’ai besoin du Havre à Rouen, et de Rouen à Dieppe. Ne vous étonnez donc pas si je ne vous arrivais que Mercredi matin, cela tiendrait uniquement à quelque défaut de coïncidence dans les convois. Je ne veux pas arriver à Dieppe quand vous serez couchée. J’aimerais mieux coucher à Rouen.
On m'écrit que les ministres de Paris, pendant le voyage du Président niaient absolument toute modification dans le Cabinet. Turgot, disait-on, ne voulait pas entendre parler du Ministère d'Etat. On dit aussi que lorsqu'ils ont reçu les dépêches qui mettaient en saillie les cris de Vive l'Empereur, ils ont hésité un moment à les publier. Est-ce décidément la Princesse Wasa ou une Princesse de Leuchtenberg qui est l'objet de la recherche ?
Vous aurez remarqué ce qu’on m'écrit de Londres sur le rapport de Lord John Russell avec Lord Aberdeen. Il serait plaisant que Lord Palmerston passât dans le camp conservateur et Lord Aberdeen dans le camp Whig. Nous n’y verrons pas clair avant le mois de Novembre.
10 heures et demie Je n’ai rien à ajouter. Adieu jusqu'à après-demain. G
52. Val-Richer, Lundi 2 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je vous ai quitté avec au moins autant de regret que j’ai eu de plaisir à vous revoir. J’ai trouvé ces quatre jours très doux. Serait-ce toujours aussi doux si nous passions toute notre vie ensemble ? Je le crois, pourvu que nous prissions le parti de nous dire tout. La réticence ne nous va ni à l’un ni à l'autre. Et qui se dit tout ?
J’aurai demain seulement de vos nouvelles. Je ne puis comprendre pourquoi les lettres de Dieppe mettent deux jours à venir ici. J’ai fait votre commission à Lord Cowley sur le message que le duc de Mouchy vous a apporté. Il vous trouve pleinement satisfaite. Comme il n’avait pas encore ouvert son Moniteur, il ne savait pas encore la nomination de Fould. Il en a été fort aise. Certainement c’est une bonne chose. J’ai un peu ri du soin du Moniteur à bien dire que ce serait le dernier changement de Ministres, Crise ministérielle cela ressemble, trop à un régime parlementaire. Du reste il aura raison. Son oncle gardait ses ministres.
Vous avez satisfaction sur le prétendu traité du Morning Chronicle. Tous les journaux malveillants, ou bienveillants, le traitant de fable. L’Assemblée nationale dit : " Nous croyons que le traité du 20 Mai 1851 n'existe, pas par une raison qui en vaut bien une autre, c’est que les traités de 1815 existent." Je ne trouve du reste absolument rien dans mes journaux.
Quelles nouvelles me donnerez-vous de votre jambe ? Je suis convaincu que, si vous ne faites pas d'effort pour marcher trop tôt, ce ne sera pas long. C’est un grand déplaisir que de vous voir ou de vous savoir souffrante ; je ne veux pas sympathiser avec l'exagération de vos impressions, et j’ai l’air de ne pas me soucier de votre mal. Portez vous toujours bien, je vous en prie.
J’ai retrouvé ma maison en bon état. Je suis un peu fatigué. A Rouen, je ne me suis pas couché ; je n’ai fait que m'étendre sur un lit. Il fallait se relever à 2 heures et demie. Je suis encore très disponible ; mais je m'en ressens quelques jours.
J’ai vu Olliffe à Trouville. Je lui ai rendu compte de vous. Il ne m’a donné pour vous que les conseils que vous suivez. Il doit faire une course à Paris dans huit ou dix jours. J’aimerais mieux que ce fût dans quinze et je le lui ai dit. Il quittera Trouville à la fin du mois. M. Molé a été pris le lendemain de son arrivée, d’une névralgie d’entrailles, comme dit Olliffe, qui l’a assez inquiété. Il est reparti sur le champ.
Je n'ai vu personne d'ailleurs à Trouville. Je n'y ai passé que trois quart d'heure. Il y a un monde énorme, comme à Dieppe. Le temps est toujours magnifique. J’aurai mes Anglais Mercredi, ou Jeudi. Adieu. Adieu.
J’aimais mieux la semaine passée. Adieu. G.
P.S.: Mes vraies amitiés à Aggy. J’ai été charmé de la retrouver, et de la retrouver près de vous.
53. Val-Richer, Mardi 3 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je ne trouve pas que le Constitutionnel soit aussi aimable pour M. Fould que je m’y attendais à travers les félicitations et les compliments, on sent percer un peu de froideur, et quelques réserves. Est-ce que Fould serait rentré dans les affaires sans concert avec Morny et contre son gré ?
Autre remarque. La rentrée de Fould coïncide avec l’épuration du Conseil d'Etat en raison des votes dans le procès des biens d'Orléans trois des Conseillers d'Etat qui ont voté contre les décrets du 22 Janvier sont, l'un révoqué, l'autre mis à la retraite, le troisième placé autrement, et plus mal. Cela cadre peu avec l'avènement au pouvoir d’un opposant aux décrets. Il est vrai que M. Persil ancien garde des sceaux du Roi Louis-Philippe, est nommé Conseiller d'Etat en remplacement de M. Cornudet, révoqué. Est-ce que cela serait donné aux Orléanistes, à titre de dédommagement ? M. Persil est un homme capable, qui aurait mieux fait de rentrer aux affaires un autre jour et par une autre porte, puisqu’il y voulait rentrer.
Le Moniteur s’est empressé de démentir indirectement le bruit répandu que l’entrée à l’Ecole normale avait été interdite aux élevés protestants, à cause de leur religion. Il a bien fait. La liberté des cultes est un des droits auxquels, ce pays-ci tient le plus et que l'Empereur Napoléon, a le plus soigneusement respecté. Il paraît bien que M. Fortoul ministre de l’instruction publique avait fait ou dit quelque chose dans le sens dont on parlait. Il se sera ravisé. C’est un homme d’esprit, un peu léger.
Donnez-vous bien du mal pour être un grand homme ; votre statue, en bronze sera vendue aux enchères, au bout de deux siècles, à la porte de votre propre pays, pour 7.270 francs pas un quart de la valeur du bronze. C'est ce qui vient d’arriver à ce pauvre Gustave Adolphe dans l'île d'Héligoland. La statue avait fait naufrage l’un dernier, en venant de Rome à Gothenburg, et la municipalité de Gothenburg, qui l’avait commandé n'a pas voulu la racheter des mains des pauvres marins d'Héligoland qui l’avaient repêchée. Il est vrai que Gustave Adolphe n'en reste pas moins Gustave Adolphe. Sa statue a pu se noyer, mais non pas son nom. Du sein de leur séjour inconnu, les grands hommes doivent à la fois jouir de la longue trace qu’ils ont laissé ici bas, et prendre en pitié les accidents d’ingratitude et d’oubli qui leur arrivent. Je me figure que l'impression causée par le spectacle de ce monde, quand on est est hors, et complètement détaché, doit être celle d’un dédain bienveillant, et doux.
Adieu, en attendant votre lettre. Je vous quitte pour faire ma toilette. Je voudrais bien apprendre qu'avant hier Dimanche, vous avez posé le pied par terre sans trop de douleur.
// si vous écrivez à M. Fould, ce qui me paraît probable, seriez-vous assez bonne pour lui dire que du fond de ma retraite, je suis charmé de le voir rentrer sur la scène ? Il s'y conduira certainement en homme d’esprit, et de sens et tout le monde aura à y gagner. //
11 heures
Merci de votre petite page. C'est bien long ce que dit Velpeau. Je regrette de n'avoir pas été là quand il est venu. Adieu, Adieu. G.
54. Val-Richer, Mercredi 4 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je suis très contrarié des quinze jours d'immobilité auxquels Velpeau vous condamne ; il a probablement raison. Mais c’est bien ennuyeux. J’aurais mieux fait de ne pas aller vous voir ; vous ne seriez pas montée dans ma chambre, et vous ne seriez pas tombée. C'est là tout ce que j'ai de mieux à vous dire.
L'insignifiance des journaux est complète. Ceux qui ne peuvent pas critiquer ne veulent pas louer. Pour surcroît le Journal des Débats, m'a manqué hier. Quand on supprime ainsi à l’esprit son aliment, on devrait supprimer aussi l'esprit lui-même. Cela se fera peu à peu.
J’ai eu hier une longue lettre de Barante qui prévoit ce résultat, car il me dit : " Lorsqu'on ne s’intéresse pas à soi-même on est indifférent à tout ; l’esprit s'éteint quand les sentiments sont glacés ! "
Il m’écrit du Mont Dore, où il est allé pour ne pas être repris l’hiver prochain de son extinction de voix.
Jeudi 5 Août
Je n’ai pas fait partir hier cette page qui n'en valait pas la peine. Vous ne m’avez pas écrit non plus. J’espère bien que ce n’est pas quelque mauvaise raison, accident ou autre. Je n'ai pas plus de nouvelles aujourd’hui qu’hier.
Mon fils, m'en apportera peut-être quelqu’une demain il est allé passer 48 heures à Paris pour un examen. Mes Anglais arrivent aussi demain.
Je vois que les élections des conseils généraux sont ce que j’attendais, ou immense majorité ministérielle c’est-à-dire présidentielle. Il me semble aussi que les pétitions impériales commencent à circuler. On m'écrit que les exilés espèrent quelque chose, du 15 Août. Ceux d’entre eux qui sont petits et modestes accepteraient volontiers l'Empire, s’il devait les faire rentrer. Que feraient les autres, Thiers, Rémusat, les généraux ? Il ne serait pas glorieux, pour eux de rentrer au milieu des Vive l'Empereur ! Ils rentreraient pourtant, s’il le leur permettait.
Avez-vous lu, dans le Galignani du 3 un article curieux du correspondant américain du Times sur Kossuth ? Il fera plaisir à Hübner.
11 heures
Voilà une lettre qui ne me plaît pas. Vous vous faites vous-même bien plus de mal que vous n'en avez. C'est singulier d'avoir l’esprit si juste, si ferme sur toutes choses, excepté sur soi-même. Je suis bien fâché de n'être plus là. Adieu, adieu. Merci de la lettre de Beauvale. Merci pour vous et pour Aggy. G.
55. Val-Richer, Vendredi 6 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous ne m’avez pas dit si Velpeau, en vous condamnant à quinze jours d'immobilité, vous avait prescrit quelque chose de particulier, ou s’il s'était simplement borné à approuver les prescriptions de M. Brantel.
Mon fils arrive ce matin, et m’apporte, non pas des nouvelles, mais quelques détails, sur les faits connus.
On trouve en général que M. Fould a payé un peu cher sa rentrée au pouvoir en contresignant, les décrets de révocation des Conseillers d'Etat renvoyés à cause des décrets d'Orléans. Le Président, dit-on, l’a formellement exigé et il exigera aussi de M. Magne, quelque acte d’adhésion analogue. Il veut que tous ceux qui le servent, adhérent. Morny se donne comme ayant beaucoup contribué à la rentrée de Fould, et on annonce que MM. de Persigny et de Maupas ne sont pas bien fermes sur leurs étriers. Je n'en crois rien, et je crois que Fould s’arrangera avec eux.
L'avènement de Drouyn de Lhuys trouble Brenier qui n’a jamais été bien avec lui, et qui ne se promet pas d'être mieux. Waleski aussi est trouble ; Drouyn de Lhuys parle légèrement de lui, et le Président. n’a pas été content de ses pronostics sur les élections Anglaises.
On croit que les difficultés pour le mariage du Président avec la Princesse Wasa ne sont pas toutes levés, et que le père et la mère, pour la première fois du même avis, s'accordent à s'y opposer. Ce sera le Cabinet de Vienne qui lèvera, s’il veut, les difficultés là. Voudra-t-il ? Je vous répète les commérages tels quels.
On dit que les révocations dans le Conseil d'Etat, ne sont pas finies, on en voulait faire plusieurs autres, pour la même cause. Il reste cinq conseillers d'Etat qui ont voté contre les décrets. C'est Fould qui a obtenu l'abandon, ou l’ajournement de la rigueur complète.
C'est bien dommage que la bonne occasion manque à Stockhausen. Faites moi la grâce, je vous prie, si vous lui écrivez de lui dire combien je regrette son départ ; il était très bien informé de très bonne conversation, et aussi agréable que sûr.
Comptez-vous toujours retourner à Paris le 14 ? Vos fenêtres seront bien recherchées pour les fêtes. Adieu. Adieu.
Je ne serai content que quand vous me direz : " Je marche. " G.
P.S. Je m'impatiente aussi que vous n'en finissez pas. Mais j’ai vu plusieurs fois de tels accidents, pas graves et supportables. Ecrivez-moi toujours que vous ayez quelque chose à me dire, ou non. Adieu.
56. Val-Richer, Samedi 7 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je vous trouve dans une disposition de grand abattement. Je voudrais bien que vous ne vous y laissassiez pas aller. Pardonnez-moi ce ridicule mot ; je n’ai pas le courage d’un de mes vieux amis de la vieille bonne compagnie du dernier siècle, M. Suard, secrétaire perpétuel de l'Académie Française, le Villemain d’alors ; il ne consentait jamais à dire passassiez, laissassiez, cassassier, et tous les ssassiez du monde ; il disait toujours, laissiez, passiez &&, et quand on remarquait que ce n'était pas correct, il se contentait de répondre : " Personne ne peut supposer que je ne le sache pas.
Je voudrais donc que vous ne vous laissiez pas aller à l'abattement ; vous n'êtes pas en état de supporter l'abattement dans l’ennui. J’aime mieux que l'ennui vous irrite ; vous ferez alors quelque chose pour vous en tirer. Je compte toujours que vous retournerez à Paris le 14 d'aujourd’hui, en huit, soit que vous marchiez ou non. J’espère que vous marcherez un peu.
Mes Anglais sont arrivés hier, par un assez beau temps. Ils étaient à peine, chez moi qu’un violent orage a éclaté, pluie, grêle, mes allées et mes fleurs ravagées ; vous ne connaissez pas les chagrins de propriétaire.
M. Hallam est intéressant, et inquiet. Le progrès des radicaux et la complaisance, sans limite assignable, de Lord John et de sir James Graham pour eux, l'inquiètent. Il ne sait rien de Lord Aberdeen, il ne le croit pas infecté de cette complaisance, il ne veut pas le croire. Quant à présent, Lord Derby tiendra ; il y a au moins 60 libéraux opposants, mais honnêtes, qui ne veulent pas l'attaquer ; ils le verront faire et si on l'attaque factieusement, ils le soutiendront. Lord John trop décrié pour redevenir, en ce moment chef de Cabinet, même si la place était vide.
La Reine s'adresserait à Lord Lansdowne qui malgré son âge et sa retraite ne pourrait pas refuser ; bien des gens serviraient sous lui qui ne voudraient pas servir sous Lord John. En ce cas Lord Palmerston deviendrait leader des communes comme chancelier de l'échiquier, et Lord John irait à la Chambre de Lords. Ce serait, pour lui, une grande défaite.
Hallam ne croit pas que les querelles religieuses deviennent the leading question ; il craint davantage une nouvelle motion de réforme parlementaire et le conflit de toutes sortes de propositions et de systèmes sur ce point.
Du reste immense prospérité, sécurité et confiance dans l'avenir, sans confiance dans personne. Autant, et (il l’espère) plus de progrès dans le good sense populaire que dans le radicalisme. On dit le petit Prince de Galles très intelligent et très bon.
Plus de 16 membres nouveaux dans la Chambre des Communes ; personne qui promette de devenir quelqu’un. Une très belle récolte et une admirable perspective de grouses pour le 12 Août.
Voilà les conversations d’hier soir. Ils m'ont fait coucher à près de onze heures. Adieu, en attendant, la poste. Je vais faire ma toilette.
Onze heures
Quatre pas c’est beau ! J'en suis bien content. J’espère tout-à-fait que vous marcherez bientôt et je compte qu'Aggy restera toujours. Adieu. Adieu.
Je n’ai pas deux minutes de plus. G.
Val-Richer, Dimanche 8 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je rentre dans nos habitudes ; je ne numérote plus. C’est un petit travail de chaque matin.
La translation à Brompton est un triste symptôme. On envoie là les [?] dont on n'espère plus grand chose, et qui ne sont pas assez forts ou assez riches pour être transportés à Pise où à Madère. On dit que l’air y est plus doux, et plus égal que dans Londres. Il y a un bal hôpital for consumption.
Pauvre Fanny ! Je suis toujours plus touché de la mort de ceux qui sont jeunes, et qui n’ont pas connu les douceurs de la vie.
Un de mes amis dont vous connaissez le nom, M. Moulin m'écrit : " Mon avis a toujours été et est qu’il ne faut pas abandonner les fonctions de représentation locale quand elles sont gratuites, électives et qu’on peut les conserver ou les obtenir sans trop d'effort."
J'aurais vivement mécontenté par la conduite contraire mon vieux canton de La Tour d'Auvergne que je retrouve fidèle à toutes mes fortunes aujourd’hui comme après 1848, et qui va probablement me réduire à la presque unanimité. J’ai compris d'abord les instructions de Venise comme moyen de modérer l'ardeur du parti légitimiste à se porter vers les fonctions publiques dont il a été si longtemps privé, mais je ne m'explique pas l’insistance avec laquelle, on vient de les reproduire à la veille des élections des conseils généraux. En Auvergne, elles n'ont reçu, elles ne reçoivent aucune exécution ; pas un légitimiste ne s’est retiré ; tous les légitimistes de nos conseils électifs vont y rentrer. Comme nous ne sommes pas un pays de grande propriété, le parti ne peut avoir influencé que par le patronage des intérêts locaux ; il perd toute autorité, toute importance s'il se retire sous sa tente, et sa retraite inspire plus de sarcasmes que de regrets.
Je suis bien aise que Cromwell vous amuse. Je vous en envoie sous bande un exemplaire. Cela a été inséré dans la Revue contemporaine, et ne se vend point séparément. On m'écrit que cela fait quelque bruit à Paris, et j'en juge par la fureur avec laquelle Emile Girardin l’attaque dans la Presse. Les amis du Président, ont tort de s'en fâcher. Cela n'a été écrit, ni pour lui, ni contre lui. J’ai pensé à son oncle en l'écrivant, à lui pas du tout. Il est vrai que l'allusion subsiste à la seconde génération, et que la conclusion est que Cromwell fit bien de ne pas se faire Roi. Si j'étais l’un des conseillers du Président, je lui conseillerais de faire comme Cromwell, qui mourut dans son lit, à Whitehall tranquille, et puissant. Mon conseil déplairait probablement, ce qui n'empêcherait pas qu’il ne fût bon.
Adieu. Je passe mon temps à me promener et à causer avec mes Anglais qui ont l’air de se plaire ici. Ils me quittent, le 15, et je pars le même jour pour aller près de Caen marier M. de Blagny. Je rentrerai chez moi le 13 pour n'en plus bouger. Adieu, adieu.
J’espère que la lettre de ce matin me dira que vous avez marché.
11 heures
Malgré votre lettre, j'adresse encore à Dieppe, Pour vous, je crois que vous serez mieux à Paris d’autant que les chaleurs de l'été me semblent passées. Adieu, Adieu. G.
Val-Richer, Lundi 9 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
La pluie n’est pas commode à la campagne quand on a des hôtes à amuser. Je crois pourtant qu’ils s'amusent. Nous avons toujours trouvé jusqu’ici deux heures dans la journée pour nous promener. Ils me quitteront demain soir et j'irai à Caen après-demain matin.
Leurs nouvelles de Londres sont insignifiantes. Sir John est un Whig bien déterminé. Il reconnaît les fautes de son parti, mais il n’en parle pas. Quand la conversation tombe sur Lord John ou sur Palmerston, il baisse les yeux et attend qu’on ait fini.
Le Duc de Bedford, n'a jamais donné et ne donnera jamais un sou à son frère John. Il a pris la passion de thésauriser en s'y livrant d’abord pour payer 700 000 liv. St. de dettes. Maintenant les dettes sont payées, et il a 200 000 Iiv. st. de revenu, mais il thésaurise toujours. Cela ne vous fait rien du tout ; mais je vous dis ce que j'entends, n'ayant rien à vous dire d'ailleurs.
Ou la réserve est bien grande à Paris, ou l’on y est bien résigné au statu quo. On n’entend plus parler ni d'Empire, ni de mariage. Il n’est question que du Conseil supérieur de l’instruction publique et de l’abstention des électeurs aux conseils généraux. Evidemment ceci a beaucoup fâché. On se trompe, si l’on croit que les préméditations, et les influences de parti ont décidé ce fait ; la paresse et l'indifférence y sont pour bien d'avantage. On a mis le pouvoir politique dans des classes qui n’y prennent intérêt que pour tout bouleverser ou pour se défendre d’une crise de bouleversement.
Je plains bien votre neveu Tolstoy. J'espère que ses inquiétudes passeront bientôt. Dîtes le lui, je vous prie, de ma part. C'est un excellent homme.
11 heures
Je vous aime mieux à Paris. Vous y serez plus commodément et mieux entourée. Je regrette qu'Olliffe n’y soit pas. J’espère qu’on vous renverra à Paris un exemplaire du Cromwell que je vous ai fait adresser hier à Dieppe. Cela ne se vend pas. Adieu, Adieu.
Je trouve, on ouvrant mon Journal, la rentrée, des principaux exilés, Fould a bien fait de donner cette compensation.
Val-Richer, Mardi 10 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
C'est dommage que la note du Journal de Francfort sur le prétendu traité du Morning Chronicle, ne soit pas mieux rédigée, elle est pleine de bon sens. C'est de la politique à la fois vraie et prudente ; accord rare. Mais les Allemands ne savent jamais donner, même au bon sens, le mérite de la simplicité et de la clarté.
Je suppose que les exilés ne se le feront pas dire deux fois pour rentrer. Il me revient que Thiers s'ennuyait autant en Suisse qu’en Angleterre. Mes Anglais me disent qu'à Londres, son ennui avait fini par devenir un sujet de moquerie générale. Les Anglais seuls, à mon avis n'avaient pas le droit de s'en moquer eux qui s'ennuient tant, et chez eux plus qu'ailleurs.
C'est surtout pour Rémusat et Lasteyrie que ceci me fait plaisir ; ce sont d'honnêtes gens peu riches, que l’exil dérangeait beaucoup et qui le supportaient dignement.
11 heures
C'est dommage, en effet que vous quittiez Dieppe au moment où M. de Persigny y arrive. Les conversations auraient été intéressantes. D’autant qu’il est loin, ce me semble, de voir les choses comme elles sont. Le mal, s’il vient, viendra de là ; des désirs et des alarmes révolutionnaires. Ce sont les dragons qui amèneront la guerre.
Je suis bien aise que vous ayez fait venir Kolb pour vous ramener. Vous ne me donnez pas aujourd’hui des nouvelles de vos jambes. Je pars demain pour Caen à 7 heures du matin. Je ne vous écrirai pas demain, et probablement cette petite course troublera un peu notre correspondance. Je serai de retour ici, Vendredi. Je ne vois rien dans mes journaux et je n'ai point de lettre. Adieu, Adieu. G.
Au château de Lion sur mer, Jeudi 12 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Uniquement pour que vous ne soyez pas deux jours de suite sans lettre.
Je suis arrivé hier ici à 2 heures. Mariage civil à 4. Dîner de 30 personnes. Musique et Whist. Aujourd’hui, nous partons pour Caen à 10 heures ; mariage à l’Eglise. Retour ici. Dîner de 50 personnes. Bal. Je repartirai demain après déjeuner pour le Val Richer.
Vraie corvée de bon voisin et de protestant pour tout dédommagement la vue d’un joli château du 16e siècle de beaux arbres et de la mer. La mariée jolie bon air et froide. Le marié pas joli et froid. Toutes les convenances parfaites. Adieu.
Il pleut à torrents. Vous n'aurez pas eu ce temps là lundi pour votre retour à Paris. Vous y voilà rétablie. Dieu veuille que rétablie soit le vrai mot ? Adieu, Adieu. G.
Val Richer, Samedi 14 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je suis très fâché de la mort de votre pauvre maître d'hôtel. Je ne sais pas ce qu’il valait au fond ; mais d'apparence, il vous convenait à merveille, et vous le remplacerez difficilement. Les petites difficultés de la vie ne vous valent rien.
Ce pauvre Tolstoy me touche infiniment. Il est dévoué à ses enfants comme un père et comme une bonne. De quoi donc ce petit garçon est-il si malade ? C'est le second, je pense. J’ai trouvé à l’aîné bien bonne mine quand je l’ai vu à Dieppe. Faites moi la grâce de ne pas laisser ignorer à votre neveu que je suis vraiment préoccupé de lui et de son chagrin. Il y a de mauvaises veines dans la vie, dans la vie domestique comme dans la vie politique ; mais elles s’épuisent.
Vous recommencez à marcher. J'espère que la mauvaise veine est finie. Dieu vous garde ! Avez-vous vu quelque médecin ou chirurgien depuis votre retour à Paris, car Olliffe n’y doit pas être ?
Je suis revenu ici hier à 6 heures avec les entrailles assez souffrantes. Malgré ma sobriété, les dérangements de vie et de régime se font toujours sentir. Je suis mieux ce matin. J’ai dormi longtemps.
Je trouve ici des lettres, mais point de nouvelles. La plus vraie nouvelle à mon avis, c'est le livre de Proudhon, et l'autorisation de paraître que le président lui a donnée, après avoir lu son livre, et la lettre. Je trouve cela grave, sans m'en étonner. Dans un régime de liberté de la presse, ce ne serait rien qu’un mauvais livre de plus par un homme d’esprit, mais aujourd’hui, c’est quelque chose. Peut-être n’est-ce pas vrai. Je le voudrais. Le Président aurait tort, s’il s’engageait dans cette voie-là. On ne peut pas faire à la fois sa cour au Clergé et à Proudhom.
Que signifie le voyage de la Reine d'Angleterre à Anvers ? Est-ce une simple fantaisie de promenade, ou une marque d'intimité protectrice ! On me dit qu’il y a un mouvement de l'Elysée vers Londres, et qu’on verra la preuve dans un traité de commerce qui fera des concessions à l'Angleterre pour l'importation des fers et des houilles. Si ce traité a lieu, il fera du bruit.
Le retard du voyage du Président dans le midi me fait croire au mariage. Je comprends les inquiétudes de M. de Persigny et je ne les crois pas fondées. Si le Président veut réellement se marier, il se mariera que cela plaise, ou non, ailleurs. On ne fera rien de grave pour l'empêcher.
Onze heures 1/4
Mon facteur arrive très tard ; mais en revanche, il m’apporte une lettre intéressante. Pauvre Tolstoy ! Adieu, adieu. A demain les affaires, c’est-à-dire la conversation, c’est à dire l'écriture qui ne vaut pas le quart de la conversation. Adieu. G.
Val Richer, Dimanche 15 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Que d'éclat, de mouvement et de bruit vous aurez autour de vous aujourd’hui, autant que j'ai autour de moi de silence et de repos. Le contraste m'amuse à le figurer.
Ce que vous me dites de l'impression que vous a faite, la conversation de Fould me plaît. C’est toujours bon qu’un homme d’esprit juge sa situation grande, car c’est un gage qu’il s'y conduira grandement et sensément. Quand on a son amour propre satisfait et le sentiment d’une haute responsabilité, on est en voie de sagesse. M. Fould en aura besoin.
J’ai vu du monde dans la petite tournée que je viens de faire, des gens de parti et des gens tout-à-fait étrangers aux partis des beaux esprits et des esprits simples de gros bonnets de province et des paysans ; voici mes deux observations. Le gouvernement du Président a gagné comme avenir ; on le croit établi et on croit qu’il durera, on ne voit rien qui puisse le renverser et lui succéder. Il n’a pas gagné comme considération et renom de capacité ; il a en général pour serviteurs des hommes inférieurs et des brouillons légers ou peu estimés. Durer ne suffit pas ; il faut monter en durant.
Il y a de l’inquiétude, dans le pays pour les récoltes, et si le temps qu’il fait depuis quinze jours se prolonge encore autant l’inquiétude sera fondée. Les moissons se font mal ; la pluie perd les blés.
Avez-vous vu Morny depuis votre retour ? Est-il bien avec Fould ? Les feuilles d'Havas insistent beaucoup pour bien établir qu’il n’y aura plus de changement dans le Ministère, et je suis persuadé qu'elles ont raison. Mais si la santé de M. de Persigny devenait de plus en puis mauvaise, il faudrait bien y pourvoir. Je me figure qu’en pareil cas, M. Jayr serait l’un des hommes auxquels le Président songerait. Je ne sais pas du tout quelles sont en ce moment ses dispositions. Sa capacité est réelle.
11 heures
Puisque vous marchez mieux, vous marcherez bien. Mais ne hasardez rien. Ce que vous me dites de l'enfant de Tolstoy me fait grand plaisir. Il pleut ici à torrents. Que deviendrez vous ce soir à Paris, vous et tous vos lampions ? Adieu, adieu. G.
Val Richer, Lundi 16 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Si vous avez eu hier soir le même temps que nous, les illuminations auront brillé librement et la fête aura été belle ; le ciel ici était sombre, mais sans pluie, et pas beaucoup de vent. Ce matin, à 5 heures et demie, un temps superbe, pas un nuage ; le brouillard est venu et couvre ma vallée.
L’Electeur de Hesse aurait tort de ne pas faire sa visite. Je comprends qu’on ne vienne pas, c'est une politique ; mais venir et ne pas donner signe de vie au chef du pays, c’est une impolitesse impertinente qui ne convient jamais à de grands seigneurs. Vous me direz ce qui sera arrivé, n'est-ce pas ? J'en suis curieux.
Les journaux de Bruxelles mettent quelque affectation à dire que la Reine Victoria est restée enfermée dans son appartement, à Lacken, depuis le matin jusqu'à 4 heures. Donc temps donné à la conversation avec le Roi Léopold et aux affaires. Je ne doute pas que le voyage, n'ait un but d’amitié et de protection affichée.
Dit-on quelque chose, du pamphlet de M. Victor Hugo ? A en juger par les extraits que je lis dans les journaux, c’est aussi fou et aussi ridicule que celui de Proudhon, avec la fureur contre le président de plus. Voilà deux socialistes qui le proclament, l’un le plus utile ami, l’autre le plus odieux ennemi de la révolution. L’un est proscrit, l'autre bien traité. C’est naturel.
M. Thiers, M. de Rémusat, et les autres sont-ils déjà revenus à Paris, ou bien annonce-t-on leur prochain retour ?
Lord Londonderry est assommant avec sa correspondance. Le Président doit en être bien ennuyé. Il ne peut pas relâcher Abdelkader ; l'Algérie serait bientôt sans dessus dessous, tout le monde le craindrait du moins. Je comprends que le Duc d’Aumale fût embarrassé de le voir retenu par le gouvernement de son père. Mais le Président n’a rien promis à Abdelkader. Pourquoi s’est-il laissé aller à promettre quelque chose à Lord Londonderry, ou à peu près. Il devrait le connaître.
Soyez assez bonne, je vous prie, pour parler un moment de moi à la Princesse Schönberg et lui exprimer tout mon regret de ne pas la voir. J’aurais été charmé de causer avec elle ; elle était, et je suis sûr qu’elle est toujours charmante. Quand on l'a été vraiment, on ne change pas. Adieu.
Vous ne me dites pas si vous avez trouvé un maître d'hôtel. Je ne sais pourquoi les embarras de ce genre, vous troublent tant ; vous vous en tirez toujours bien. Le fou en veut aux papiers et aux bijoux présidentiels. Le ministère de l’intérieur et l’Elysée, c’est trop. 10 heures Pas de lettre. Ou vous n'aurez pas eu le temps de m’écrire, ou votre lettre aura été mise trop tard à la poste qui est partie plutôt. Adieu, Adieu. G.
Val Richer, Mardi 17 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Le Duc Decazes est venu hier et repart aujourd’hui. Il est à Trouville, où la foule change sans diminuer. Il est assez curieux à entendre à cause de son intimité avec le Roi Jérôme qu’il vient de voir au Havre.
Le Roi Jérôme ne croit pas au mariage du Président ; non seulement il n’en veut pas, mais il n'y croit pas ; il soutient même que le Président, au fond, ne s'en soucie pas. Il affirme que son fils, Napoléon est très bien avec son cousin. Decazes dit qu’en effet ils s'étaient bien remis, mais que dans ces derniers temps, ils ont recommencé à être mal. Rien de nouveau d'ailleurs, les dissensions intérieures des chefs du sénat, le Roi Jérôme, le vice président, M. Mesnard, le grand référendaire d’Hautpoul &. Cela ne vous fait rien, ni à moi non plus, ni à personne.
J’ai vu une lettre de Mad. [Donne] écrite de Vevey peu de jours avant le rappel des exilés. Ils ne s’y attendaient pas du tout. //
Le retour de Fould aux affaires est un sujet très général de satisfaction. On n'en attend que du bien, et on en attend du bien. La destitution des trois conseillers avait beaucoup étonné. On s’imagine que le rappel des exilés ne sera pas la seule compensation.
10 heures et demie.
Je vous plains vraiment, et tout-à-fait. Ce sont de grands ennuis pour tout le monde, et vous êtes moins faite que personne pour ces ennuis-là. Je voudrais bien vous y aider un peu ; mais de loin, je ne puis rien. Je suis surtout préoccupé du maître d'hôtel. C'est votre grosse prière et la plus difficile à trouver. Auguste vous reviendra bientôt. J’espère que Jean fait de son mieux.
Pauvre Tolstoy ! Adieu, Adieu.
Je n'ai pas encore fait ma toilette. Decazes m’a retardé. Il vient de partir. Il est un grand exemple de ce que peut le courage contre un mal incurable. Il me paraît que la fête a été superbe, sauf les illuminations, dit-on. Adieu. G.
Val Richer, Mercredi 18 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je reconnais bien M. de Varenne dans l’idée de faire chanter un Te deum en l'honneur de Napoléon dans l'Eglise catholique publique de Berlin. Il manque tout à fait d’esprit et de tact. Berlin est probablement de toutes les capitales de l'Europe celle où un pareil service devait le moins réussir. Dans la Chapelle de la Légation et entre français à la bonne heure, si le Président avait de grandes affaires, il verrait combien de tels agents sont impraticables.
Je remarque, assez de conseils d’arrondissement qui poussent à l'Empire. Nous verrons ce que feront les conseils généraux. A peu près partout, ils sont tels que l'administration, les a voulus, et elle en aura ce qu’elle voudra. C'est commode, mais pas toujours utile.
Les informations de Lord Aberdeen s'accordent avec celles de mes visiteurs anglais. Pour le moment, je crois plutôt à la durée de Derby, plus ou moins modifié, qu'à l'avènement de Lansdowne. Celui-ci serait obligé de dissoudre presque aussitôt. C’est trop d’émotion et trop de dépense. Lord Cowley redoute-t-il toujours Lord Malmesbury ?
Onze heures
Vous avez donc encore Stockhausen ? Je le croyais parti. Aggy n'aura pas la même popularité mondaine que Marion, mais je suis bien aise qu'elle aille un peu dans le monde, et qu’on l'y traite bien. Cela convient à votre salon.
Ce dont je suis bien plus aise, c’est de vos nouvelles de votre fils Paul. Non seulement cela lui montre ce que vous êtes et ce que vous pouvez pour lui, mais j’espère que si on lui ouvre une belle porte, il rentrera avec plaisir dans sa carrière. Je ne puis souffrir de voir un homme distingué perdre sa vie comme un good for nothing. Adieu. Adieu.
Nous avons eu hier ici un immense orage. G.
Val Richer, Jeudi 19 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Olliffe m’a amené hier M. Rivaz ministre des Etats-Unis, et M. Sheridan, M. frère de Lady Dufferin. M. River est un Américain Européen, spirituel, poli, Whig, c’est-à-dire conservateur dans son pays. Il s'attend à être révoqué de son poste après l'élection du nouveau Président qui appartiendra très probablement au parti démocratique. Il est fort occupé de la querelle entre les Etats-Unis et l'Angleterre sur leurs pêcheries, mais convaincu qu’elle s’arrangera. Lord Malmesbury et M. Webster, ont chacun de son côté cherché là un peu de popularité ; mais le bon sens public les arrêtera, et les a déjà arrêtés.
De nouvelles instructions viennent de partir de Londres. On ne croit pas que l'envoi de M. Baring à Washington soit nécessaire. M. Sheridan a la belle figure de toute sa famille, et pas l’esprit de ses deux soeurs.
J’espère que votre coquetterie de prendre un parapluie, pour une canne ne durera pas longtemps ; un parapluie est plus lourd qu'une canne et vous fatigue probablement autant qu’il vous soutient.
Le Président fait les choses, magnifiquement. Son bal des halles retardé doit lui coûter cher. Je présume du reste que ce n’est pas sa liste civile qui paye cela. Le corps législatif ne regardera pas de si près au budget du ministre de l’Intérieur.
Avez-vous remarqué avec quelle largesse, les journalistes et les imprimeurs ont été traités, en fait de croix d’honneur et d’autres récompenses ? C’est très démocratique ; mais je ne l’en blâme pas. Il use de son droit à son profit.
M. Sheridan m’a dit que les espérances de Lord Derby portaient sur deux points, la brigade Irlandaise et l’adjonction au Cabinet de Gladstone, et de Sidney Herbert. Il parait qu'à l’ouverture du Parlement, l’une des premières mesures proposées aura pour but de se concilier les Irlandais. Des avances aux Free traders, et aux catholiques. Voilà le cabinet Tory. Il n’y a plus de partis.
11 heures
Je ne puis que répéter. Pauvre Tolstoy ! Dites-lui, je vous prie, que je suis profondément touché de son chagrin, et que je le suis tout entier.
Je suis fort aise que vous ayez enfin un maître d'hôtel s’il n’est pas très bon, vous le formerez ou vous en changerez. Je suis de votre avis sur le dire de Molé ! Pourquoi le Président n’est il pas allé au bal des dames de la halle ? Je ne sais s’il fallait donner ce bal-là, mais le donnant, il fallait y aller. On ne peut pas à la fois rechercher la popularité et avoir l’air de n'en pas faire cas. Adieu, Adieu. G.
Val Richer, Samedi 21 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
On me dit que M. de Rémusat est retourné chez lui dans sa terre de Laffitte, près de Toulouse. Il n’a donc pas refusé de rentrer. Peut-être aura-t-il écrit une lettre pour constater qu’il n’avait pas demandé à rentrer. Il est fier, et taquin. Je n’ai du reste aucune nouvelle de lui, directe ni indirecte.
Si Mad. Kalerdgi veut venir à Paris, elle a tort de se mettre mal avec les autorités Française et Russe, de Paris ; à moins qu’elle ne soit sûre de réussir à les renverser. Il ne faut pas tenter ces choses-là, et ne pas réussir. Il me paraît que la part de la petite intrigue de société est assez grande dans votre monde diplomatique.
Je lis dans l’Assemblée nationale, un beau récit de la rentrée du jeune Empereur à Vienne. Y a-t-il quelque exagération ? Le succès du voyage en Hongrie et de la rentrée doit faire venir l’eau à la bouche au Président. Je doute que la session des conseils généraux rende tout ce que peut-être on en attend. Personne n'est disposé à prendre grand peine, ni la moindre initiative. On a envie de rester comme on est, rien de moins, rien de plus. L'absence, non seulement involontaire, mais volontaire, de toute prévoyance est le trait du moment.
11 heures
Je n'ai pas de lettre ce matin et rien de plus à vous dire. Adieu donc et continuez de marcher sans vous fatiguer. Il fait ici, un temps affreux. Le mois d'Août nous fait faire pénitence de nos plaisirs du mois de Juillet. Adieu, Adieu. G.
Val Richer, Dimanche 22 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ce mauvais temps continu me déplait ; il gâte les blés du mon fermier qui ne me paye pas et moi, il m'enrhume ; j’ai la gorge prise depuis quelques jours ; je tousse beaucoup le matin. Je vais faire venir quelques bouteilles d'Eaux bonnes. C'est mon remède habituel. Mais probablement les remèdes s’usent à mesure qu’on s’en sert, et surtout à mesure qu’on vieillit.
Que signifie la nouvelle chute de Reschid Pacha ? Je suis enclin à n’y voir qu’une comédie, car Ali-Pacha, qui le remplace a toujours été son homme, et tout-à fait dans la même politique Turcs et Français ne savent comment se tirer de cette question des lieux saints. Il ne fallait pas l'élever, et le jour où l’on voulait absolument l'élever, il fallait commencer par la traiter officieusement avec vous, à Pétersbourg, avec l'Empereur en personne qui, probablement, eût pu être amené à comprendre et que conseillait l’intérêt commun de la Chrétienté. Il est difficile à présent que la France accepte la dernière décision de la Porte, et je ne sais comment fera la Porte pour en prendre une autre.
Je trouve dans les feuilles d'havas un petit article qui indique que le Gouvernement est décidé à solliciter indirectement des conseils généraux, des votes en faveur de l'Empire. On s'y félicite beaucoup de la presque unanimité qui s'est manifestée à cet égard dans les conseils d'arrondissement, et on finit par dire : " Cela présage d’une manière certaine que les conseils généraux formuleront à leur tour cette même pensée plus explicitement et plus unanimement encore. "Les feuilles d'havas sont plutôt adressées, aux fonctionnaires qu'au public, et elles donnent des instructions plus que des nouvelles.
Je vois que Lord Cowley est allé à Londres. Est-ce pour les propres affaires ou pour celles du public. Ce retard prolongé de la réunion du Parlement n’a pas bon air. On concevait le retard des élections, pour les préparer ; mais à présent que les élections sont faites pourquoi en faire attendre le secret ?
Onze heures
Vous répondez à ma question sur Cowley. Quoique je le connaisse peu, je le regretterai s’il s'en va. C'est plus sérieux que Lord Malmesbury. Je viens de prendre un verre d’Eaux bonnes J'en avais apporté. Je vous quitte pour aller me promener un peu avant déjeuner. On dit qu’il le faut. Adieu. Adieu. G.
Val Richer, Lundi 23 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Contre votre sentiment de faiblesse, je ne sais qu’un remède, l’attention de tous les moments à ne rien faire qui vous fatigue ; pas trop d'écritures, pas trop de conversations, pas de veille ; vous arrêter dés que la fatigue commence à se faire sentir. De la bonne nourriture, et du sommeil. Quand la faiblesse, n’est pas un simple accident, mais le résultat de la vie déjà longue et fatigante, c'est là, je crois, tout ce qu’on peut lui opposer.
Je n’ai encore pris des Eaux Bonnes qu’hier et aujourd’hui, et je crois qu'elles me réussiront. J’ai la gorge, moins embarrassée. Voilà notre bulletin médical. Comme remède, pour vous et pour moi, j'espérais hier le retour du beau temps. Le soleil s'était couché dans la pourpre, et la nuit était brillante d'étoiles. Il fait gris ce matin comme toujours depuis le 1er Août.
Certainement, c’est la mission et non pas la création, comme vous l’avez écrit, vous ou M. de Meyendorff, du président de rendre la France gouvernable. Son oncle avait déjà reçu cette mission là, et ne s’y était pas épargné. Il y avait fait quelque chose et laissé encore beaucoup à faire. J’espère que le Président y fera aussi quelque chose. Mais tenez pour certain qu’il y a, pour la France des conditions de gouvernement hors desquelles, elle n’est pas définitivement gouvernable. Et si l’on s'écarte trop de ces conditions, on ne fait que préparer une nouvelle réaction anti gouvernementale.
Plus je vais, plus je me persuade que le secret du gouvernement, est dans la mesure. Le Roi Louis Philippe appelait cela le juste milieu. Il l’a toujours cherché, pas toujours trouvé, et il n’a pas eu la force de s’y tenir contre tous ceux qui voulaient l'en faire sortir. Il lui manquait un point fixe pour base. Le point fixe et le juste milieu, c’est ce qui fait les gouvernements durables. Il y faut les deux, Louis Philippe roi légitime eût été parfait. Pour durer du moins.
Voilà Lady Douglas duchesse de Hamilton. En vivra-t-elle un peu plus habituellement en Angleterre ? Les [absentes] ne sont pas plus populaires, je crois, en Ecosse qu’en Irlande.
Thiers chez Mad. Sebach m'amuse. Qu'en fait-il, et qu'en fait-elle ? Et que fera Mad. Kalerdgi dans un château près de Francfort ? Est-ce que le comte Adam Potocki sortira de prison et viendra l’y trouver ? Je suis un peu curieux de savoir qui de la France ou de la Belgique, cèdera le plus dans la négociation du nouveau traité de commerce dont on s'occupe, et qu’on a, ce me semble, tant de peine à conclure. Les bonnes relations avec la Belgique, politiques, et commerciales, sont indispensables aux deux pays. Elles paraissent bien compromises. Si vous aviez encore Stockhausen, je vous prierais de le prier de ma part de chercher, pour moi, ce renseignement ; mais vous ne l’avez plus.
Avez-vous lu, dans l’Assemblée nationale, d’hier Dimanche, la lettre parisienne de M. Amédée Achard sur le bal de la halle ? C’est une bouffonnerie un peu longue, mais drôle.
11 heures
Merci de la lettre d’Ellice que je vais lire. Je vous la renverrai. Adieu, Adieu.
Val Richer, Mardi 24 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Il vous est plus facile de me faire de loin, la question que vous me faites à propos de Cromwell, qu'à moi d'y répondre. J'y répondrai pourtant très ouvertement. Au fait, je dirais volontiers tout haut, et devant tout le monde ce que j'ai à vous répondre. Je n’ai pas la prétention d'être insensible, au plaisir d’un petit succès. Mais je sais me le refuser pour peu que j'en aie une bonne raison. Ce n’est pas pour me le donner que j’ai publié ce fragment. Quand j’ai de l'humeur, quand je suis impatient, quand j'écoute mes souvenir de parti, je désire que le président suive sa fantaisie et se fasse Empereur. Certainement il s'attirera par là des complications et des difficultés, et des nécessités qui feront faire un pas à la situation. Quand je suis, ce qui est mon ordinaire, de parfait sang froid et détaché de tout sentiment de parti je trouve que le président a et aura grandement raison de ne rien changer à sa situation. Il y est plus fort, pour sa mission d’ordre social, qu’il ne le serait dans aucune autre, et plus sûr, pour lui-même, non seulement du présent, mais de l'avenir de son pouvoir.
J’écris, depuis longtemps, l’histoire de Cromwell. Je suis arrivé au moment où il a eu à décider s'il se ferait Roi. Il ne s’est pas fait Roi. A mon avis, il a très bien fait. C'est à cela qu’il a dû de mourir tranquille dans son lit, à Whitehall, et en pleine possession du pouvoir suprême. J’ai trouvé qu’il y avait là un grand exemple et un bon conseil. Je n’ai pas besoin de vous dire que je n’y ai pas mis ou changé un mot par malice. Il est tel qu’il aurait été publié il y a dix ans. Je suis en dehors de toutes choses, mais non en dehors de toute communication avec mon pays. Il veut bien mettre toujours quelque prix à savoir ce que je pense, et j'en mets à le lui dire. C'est par là que ma vie est encore publique. Je n’y veux pas renoncer. Je ne pense pas qu’il me vienne de là aucun désagrément. J'en serais surpris, et j'en prendrais mon parti. Je suis sûr qu’il n'en viendra aucun à aucune autre personne. Vous êtes la seule dont les désagréments, en ce genre pussent me toucher. Je suis tranquille de votre côté.
J’avais prévu ce qui est arrivé à Berlin. C’est en effet bien maladroit. Le neveu fait très bien d'honorer la mémoire de son oncle ; mais le roi de Prusse ne peut pas oublier sa mère.
La lettre d’Ellice est intéressante. Au fond, ce nouveau pas démocratique qu’il prévoit et qu’il craint ne lui déplait pas. Il est de ceux qui se résignent volontiers à ce mal. Je persiste à penser que l'Angleterre vaut mieux que ceux-là, et que si elle succombe au mal, ce ne sera pas sa faute, mais celle des hommes qui lui auront manqué.
10 heures et demie
Merci de me dire toujours tout. Ce que vous ne savez probablement pas, c’est que Villemain a publié, il y a longtemps, une histoire de Cromwell, qui n’a pas réussi, et que toute même histoire qui réussit un peu lui est un grand crève-cœur. Adieu, adieu.
Ma toux est à peu près partie.
Val Richer, Mercredi 25 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Le beau temps paraît décidé à revenir aujourd’hui. Vous en jouirez dans votre calèche. Moi, j'en jouis dans mon jardin. Je ne fais guère de longue promenade aux environs. J’aime mieux flâner en rêvant dans mes allées. Je rêve à mes travaux, au passé, à l'avenir. Je suis ici à la fois très entouré et très solitaire. Pour la vie extérieure et à la surface, rien ne me manque ; le fond est vide. C'est curieux combien la distance est grande dans l’âme entre la surface et le fond.
Mes enfants sont excellents et charmants pour moi. Quand je chercherais, je ne saurais vraiment qu’y ajouter ; mais ils ont leur propre vie, qui n’est pas la mienne. C’est tout simple. Je suis également frapper du sage arrangement des choses telles que Dieu les a réglées, et de leur imperfection.
M. Drouyn de Lhuys s'est donc arrangé avec la Belgique. Pour des affaires de cette sorte et de cette taille, il en sait plus que M. Turgot. Il vient de faire une bonne et juste nomination en envoyant à Londres, mon ami Herbet que vous connaissez, comme consul Général. J’ai vu avec plaisir que mon amitié ne lui faisait pas tort. Il m’est resté très attaché. Il servira très fidèlement et très capablement. Je regrette que ce mot-là ne soit pas français.
Ably, nous manque. Je trouve que les petits jeux et les bijoux qu’on gagne toujours sont des appâts un peu vulgaires. Je conviens qu’il en faut de ceux là, et quand ils réussissent, on a bien fait de les employer.
Avez-vous remarqué que M. de Radowitz vient d'être nommé inspecteur général de tous les établissements militaires de Prusse ? Est-ce un simple manque de faveur personnelle, ou bien y a-t-il là quelque politique ? Ceci me paraît peu probable.
La Suisse est vraiment une honte pour l'Europe. Je viens de lire, dans l'Assemblée nationale, une longue lettre sur l'état intérieur du canton de Neuchâtel qui fait vraiment dégoût et pitié. Les protocoles de Londres pour le maintien des droits du Roi de Prusse n’ont abouti qu'à un redoublement de tyrannie radicale. Les radicaux ont raison de se moquer des rois.
Onze heures
Demandez à votre médecin, Olliffe ou Chomel, si l’usage habituel de quelque boisson amère, comme la chicorée, ne serait pas bon pour votre estomac. Vous avez besoin de quelque tonique pas fort, mais constant. Avez-vous renoncé aux eaux de Bussang ? Prenez-vous un peu souvent de la gelée de viande ? Je voudrais bien vous trouver un peu de force.
Si la petite Princesse a moins d’esprit qu’il y a douze ans, ce n’est pas assez. Adieu. Adieu. G.
Val Richer, Jeudi 26 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je reviens à votre faiblesse. Essayez de rester dans votre lit plus tard, le matin. Quand on est très fatigué, rien ne repose comme le lit. Vous pouvez lire, écrire, déjeuner dans votre lit, si vous ne vous leviez qu'à onze heures ou midi, vous auriez un peu plus de forces pour le reste de la journée. Faites vous usage des pastilles de Vichy ? Elles aident beaucoup à la digestion.
J’ai lu les Regrets du Constitutionnel. Je ne chicane pas sur les détails. En gros, c’est vrai, spirituel, piquant et poli. De la bonne morale, et de la guerre bien faite. Morale et guerre bien vieilles. Cela est arrivé et cela a été dit depuis le commencement du monde. Mais ce qui est arrivé recommence et ce qui a été dit est bon à redire. Je n'objecte donc point.
Voici seulement ce que je voudrais ajouter. Comme il y a des gens qui sont mécontents dès qu’ils ne gouvernent plus, de même il y en a qui sont contents qui que ce soit qui gouverne, et de quelque façon qu’on gouverne. Les uns trouvent que rien ne va plus dès qu’ils ne sont plus là les autres que tout va bien tant que Dieu les laisse ici. On fait bien de se moquer du dépit des uns et d'exploiter la platitude des autres. Seulement il faut voir toutes choses et appeler chaque chose par son nom.
Il y a aussi des gens qui pensent que tous les gouvernements sont ou également bons, ou également mauvais, et qu’il n’y a jamais de raison pour en regretter, ou en désirer un plutôt qu’un autre. Je ne suis pas de cet avis. Je crois qu’il y a du choix en fait de gouvernements comme en fait d’appartements ou d'étoffes, et qu’il y a des pays mal gouvernés, comme il y a des hommes mal logés et mal élus. Vous savez que je ne suis ni de la secte des sceptiques, ni du tempérament des apathiques. De plus, je dirais volontiers de cette petite guerre ce que vous me disiez de Cromwell, à quoi bon ? What use ? Un simple particulier fait et dit ce qui lui plaît, un gouvernement ne doit faire et dire que ce qui le sert. Je ne vois pas en quoi cela sert le gouvernement de faire ainsi taquiner des hommes dont les uns se tiennent tranquilles et dont il exile les autres quand ils ne se tiennent pas tranquilles. Le gouvernement ne peut pas ne pas sentir que le concours actif et bienveillant des esprits et des classes élevées, lui manque, et il ne peut pas croire que ce manque soit, pour lui, un fait indifférent. A sa place, je penserais constamment à rallier ou à désarmer ces classes et ces esprits-là, et pour y réussir, même un peu, je serais constamment, avec elles, ou avec eux, tranquille, poli et inoffensif. Point d'avances et point de coups d’épingle. La dignité du pouvoir n'y perdrait rien, et sa relation avec ce monde-là y gagnerait quelque chose. Il n’y a point de dépit qui soit inabordable aux bons procédés des puissants. C’est une maladie qu’on ne guérit pas, mais qu’on peut faire rentrer. Elle est ridicule cela est sûr ; mais en l'attaquant, on l'envenime, et on lui donne des prétextes pour s'exhaler et se répandre. Il vaudrait mieux la traiter de telle sorte qu'elle fût embarrassée de se montrer et que tout le monde la trouvât en effet ridicule si elle se montrait. Je dis ceci dans la supposition que M. Sainte-Beuve parle comme le gouvernement le désire et pour lui plaire. Si ses regrets ne sont que la malice d’un homme d’esprit qui moralise pour son compte, je n'ai rien à dire ; il en est bien le maître, et il a raison de s'en donner le plaisir.
Onze heures
Votre lettre vient tard. Adieu, Adieu. G.
Val Richer, Vendredi 27 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Nous avons eu hier, un peu avant le dîner, un orage qui m’a mis je ne sais pourquoi, dans un grand malaise. J’ai à peine diné. Après dîner, j’ai eu un besoin absolu d’une demi heure de sommeil dans mon fauteuil. J’en suis sorti pour faire un robber de whist, et j’ai été me coucher à 9 heures. J’ai très bien dormi. Je n'ai plus aucun malaise. Je ne suis qu’un peu fatigué. Ce soir, il n'y paraîtra plus.
Je ne comprends pas les gens de Berne d'avoir de si mauvais procédés pour le Président. Il me paraît clair que tout en les menaçant, au fond, il les protège un peu, contre une invasion Européenne du moins, par crainte des embarras intérieurs où elle le mettrait, et aussi par souvenir de l'hospitalité qu’il a reçue en Suisse. Il est, ce me semble, toujours sensible à ce qui lui est, ou lui a été personnel. Les radicaux ont bien peu d’esprit.
Les apparences sont comme le dit M. Drouyn de Lhuys, que l'Empire est fait. Les conseils généraux, en termes plus ou moins positifs votent comme un seul homme. Je vous prie de croire que je n’ai pas cru un moment à l'efficacité d’un conseil historique et public. Mais j’ai été bien aise de donner historiquement le conseil pour dire publiquement mon avis. Quand l'Empire sera fait, je serai ce que je suis aujourd’hui, parfaitement tranquille et respectueux pour l’ordre établi.
Je ne m'étonne pas de l’enfantillage des Belges avec les vaisseaux et les ingénieurs Anglais. Quand nous sommes allés, en 1831 les sauver des Hollandais devant qui ils s'étaient enfuis comme des lièvres, ils ont eu la même humeur et fait à l’armée Française toutes les malices inimaginables. On veut être sauvé, et détester son sauveur. C'est naturel. Il est fort désagréable d'être démontré petit, et impuissant à se sauver soi-même. C'est d'ailleurs la manie du temps que personne ne veuille être petit. La prétention de l'égalité existe entre les états comme entre les individus. C'est la principale cause peut-être de cette passion de constitutions qui a saisi tous les peuples. Affaire d’orgueil encore plus que de besoin. Tout le monde a voulu avoir le même grand gouvernement représentatif que la France ou l'Angleterre, pour être grand aussi.
J’ai essayé un jour de faire comprendre à un général, homme d’esprit que ce gouvernement là n'allait pas du tout à Genève que c’était une machine à vapeur de la force de mille chevaux pour une barque de cent tonneaux. Je n’ai pas réussi. Qui veut être une barque de cent tonneaux ? La Fontaine avait vu cela avant moi. Tout petit Prince à des ambassadeurs. Tout marquis veut avoir des Pages. Les constitutions sont les pages de notre temps. Cela est drôle à dire dans ce moment-ci. Je persiste pourtant. Quand une sottise a fait trop de mal, la platitude vient et prend la place de la sottise ; mais on n’est pas, pour cela, guéri de la sottise.
11 heures
Ne dites donc pas de telles paroles. Votre faiblesse me désole ; mais ce n’est que de la faiblesse. Vous n'avez point de maladie, point de fièvre point d'organe attaqué. C’est une mauvaise veine que vous traverserez. Adieu, adieu. G.
Val Richer, Samedi 28 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Votre découragement me chagrine au moins autant que votre faiblesse. Il est impossible que, n'ayant point de maladie, point de fièvre, vous ayez sujet d'être à le point abattu. Je sais que lorsqu’il vous a vue il y a quelque temps Chomel ne vous a trouvé d’autre mal qu’une de ces constitutions délicates et fatiguées qui exigent des soins continuels, mais avec lesquelles on vit très longtemps, comme deux secrétaires perpétuels de l’Académie, Fontenelle et Suard qui ont vécu l’un jusqu'à 99 ans, 9 mois, l'autre jusqu'à 84 ans, en ayant toujours eu mal à l'estomac depuis leur enfance.
Êtes-vous contente de Kolb ? Quand Olliffe retourne-t-il à Paris ?
Je vois, dans mon Galignani, que Lady Palmerston aussi a été malade, en Irlande. Mais elle est bien plus forte que vous. Elle doit avoir des crises vives et nom pas des langueurs. Antonini va-t-il partir en congé, comme le disent les journaux ? Le voyez-vous souvent et serait-ce une perte pour vous ? Autrefois vous l’aimiez assez comme porteur de nouvelles et il en savait. Mais il s’est fait grand tort un jour dans votre esprit, et bien justement. Puisque sa cour s'est si bien conduite, envers le président à l'occasion du 15 Août, il doit être en faveur à l'Elysée et assez au courant.
On parle de querelles dans l’intérieur du cabinet anglais, et de la retraite probable des protectionnistes intraitables comme M. Christopher. Est-ce vrai ? Il faut que les Protectionnistes se résignent ; la protection ne peut plus être le sine qua non de la politique conservatrice. Trois statues à Peel en trois ans. Londres, Leeds, et Montrose !
Je suis assez curieux de savoir si les nouveaux arrangements de Lavalette avec la Porte, annoncées par dépêche télégraphique seront aussi satisfaisants et efficaces que les premiers.
11 heures
J’aime mieux que vous soyez jaune. On sait que faire à cela. Mais faites, je vous en prie, ce que vous dit Chomel. Je ne crois point, hélas à l'infaillibilité, ni à la toute puissance des médecin, mais je crois encore, moins à la fantaisie des malades. Adieu, adieu. G.
Val Richer, Dimanche 29 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’espère que le général Haynau ne sera pas insulté à Paris comme il l’a été à Londres, et à Bruxelles. Je me figure qu’il en est de lui comme de Naples et que ce qu’on a dit de ses brutalités est vrai. N'importe ; les brutalités populaires, et impunies, qu’il a subies sont des indignités. Je désire qu’il ne les retrouve pas à Paris. Il le devra certainement à l'ordre rétabli par le président, sans cela, Dieu sait comment il aurait été traité par nos socialistes. Probablement il ne serait pas venu.
Le dire de la Duchesse de Hamilton sur la princesse Wasa me frappe beaucoup. L'affaire serait donc tout-à-fait manquée. Comment pense-t-on à elle pour l'Empereur d’Autriche ? Je croyais que le mariage de l'Empereur était arrangé avec une Saxonne une fille du Prince Jean.
M. Hallam m'écrit, comme Lord Beauvale à vous, que le Ministère tiendra. Je trouve que le ton des journaux Whigs et radicaux l'indique aussi. Il y a une grande différence entre l'injure qui espère et l'injure qui n'espère pas.
J’ai ri de votre précaution oratoire en faveur de ceux qui ne peuvent pas être oubliés. Merci d'avoir voulu m'excepter de votre coup de patte à ces pauvres Français. Il est très vrai qu’ils ne supportent guère d'être oubliés. Et vrai aussi que les vainqueurs du jour voudraient bien que les vaincus se fissent ou se laissassent oublier. Personne ne supporte guère ce qui lui déplait ou l’incommode. A travers tous ces dépits, regrets, désirs et humeurs de droite, et de gauche, le monde va son train, et justice finit presque toujours pas se faire. Ce n’est pas l'avenir que je crains, je crains de n'avoir pas le temps de le voir.
Est-ce que Chomel ne vous fait pas boire quelques verres d’eau de Vichy ? Il est vrai qu'elles portent quelque fois très vite sur les entrailles, et qu'avec vous il ne faut rien risquer.
Mad. de Caraman est donc clouée à Paris. Elle fait bien tout ce qu’elle peut pour attirer dans sa maison, et devenir un centre. Je doute qu’elle y réussisse.
11 heures
Confiance ? Vous n'en aurez jamais dans aucun médecin, au moins passé les premiers jours. sauf dans Chermside, et parce qu’il n’est pas là. Mais essayez au moins quelque temps de l'obéissance. Chomel est un homme trop éclairé pour qu’elle puisse être dangereuse. Adieu, adieu. G.
Val Richer, Lundi 30 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai dîné hier à Lisieux avec l'Évêque, son clergé et les gros bonnets de la ville. Le clergé toujours bienveillant, pour le président. Les laïques sans enthousiasme pour l'Empire et craignant qu’il n’amène la guerre. Tout le monde sensé dans un horizon bas et court. La conversation ne s’arrêtant pas sur la politique et cherchant, d’un sentiment général à se porter ailleurs ; tantôt sur les questions économiques, tantôt sur les questions religieuses. C’est un assez amusant spectacle que de voir ces bourgeois au fond très peu dévots quoique respectueux essayer de prendre intérêt à la querelle des auteurs chrétiens et des auteurs païens, aux citations des pères de l'Eglise, et à la tenue des synodes des prêtres du diocèse.
Avez-vous lu un article du Globe sur les affaires d'Orient, France and Turkey, bien fait et curieux ? Il me paraît que le renvoi de Rachid Pacha, s'il est sérieux ne tournera qu’à votre profit. Plus on ira, plus on sentira la faute d'avoir relevé solennellement cette question des Lieux Saints. La politique de la France en Turquie depuis vingt ans est un tissu d'inconséquences et d'étourderies.
J’étais moi-même dans cette mauvaise voie, en 1840, jusqu'à mon ambassade en Angleterre. J’ai essayé d'en sortir de 1840 à 1848 en me tenant tranquille en Orient, et en n'y traitant aucune question que de concert soit avec la Porte elle-même, soit avec toutes les grandes puissances Chrétiennes quand il fallait agir contre la Porte, c’est-à dire sur la Porte, malgré elle. Il n’y a pas autre chose à faire, tant qu’on ne sera pas décidé à fondre, avec du canon, la cloche. de ce pauvre Empire. On s'en apercevra. pour la seconde fois, lorsqu’on se sera mis, pour la seconde fois, dans quelque mauvais pas, comme il nous est arrivé en 1840 à propos de Mehemet Ali.
Le Moniteur, est un peu embarrassé à parler convenablement du déplacement du monument élevé au Duc d'Enghien dans la chappelle de Vincennes. C’est une pauvre raison à donner de ce déplacement que la nécessité de faire plaisir aux artistes " en rétablissant la symétrie des belles lignes architecturales du temple bâti par St. Louis. " Une phrase sur " le respect qu’on doit à la cendre des morts " n’est pas une compensation suffisante. Il ne fallait pas toucher du tout à la cendre de ce mort-là. Elle brûle encore et brûlera toujours quiconque y touchera.
Pourquoi M. de Persigny est-il à Londres ? Est-ce, comme, on l’a dit, pour le traité de commerce qu’on a tout récemment démenti ? J’ai peine à le croire. Il y a là des intérêts puissants, et auxquels il est aussi imprudent de toucher qu'au monument du Duc d'Enghien
11 heures
Voilà le facteur et le général Trézel qui m’arrivent à la fois. Je n'ai que le temps de vous dire Adieu, et adieu. G.
Mots-clés : Affaire d'Orient, Diplomatie (France-Angleterre), Discours autobiographique, Napoléon 1 (1769-1821 ; empereur des Français), Napoléon 1 (1769-1821 ; empereur des Français) -- Retour des cendres (1840), Opinion publique, Politique (Analyse), Politique (Normandie), Politique (Russie), Politique (Turquie), Posture politique, Presse, Réseau social et politique
Val Richer, Mardi 31 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ma maison est fort tranquille aujourd’hui. J’y suis seul avec mes filles et mes petites filles. Tous les hommes sont partis pour la chasse qui s'ouvre ce matin. Pauline n’est pas du tout malade, elle a eu quelques soins à prendre pour se remettre de ses couches et un commencement de mal de gorge qui l’a fait rester, 24 heures dans son lit, mais ce n'était rien et elle va bien, comme une personne délicate.
Il y a longtemps que Génie ne m’a écrit. Dans ce que dit le Moniteur sur Constantinople, il n’est pas du tout question des Lieux Saints. Je suppose que cette affaire-là, en est resté où elle était, et qu’on parle des petites affaires arrangées pour éviter de parler de la grosse qui ne l'est pas.
10 heures et demie.
Il ne fait pas chaud du tout ici. Je voudrais bien vous envoyer un peu de ma fraîcheur et de ma verdure normande. Adieu, Adieu. G.
Val Richer, Mercredi 1er septembre 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ce que vous me dites de Hübner ne m'étonne pas ; il a de l’esprit, mais son esprit est placé trop bas pour se répandre aisément ; il n’y a que les esprits hauts qui soient communicatifs et libres.
Vous avez en effet bien peu de ressources à Paris en ce moment ; mais vous en auriez encore moins ailleurs. La campagne est bonne à ceux qui ne craignent pas la solitude.
A mon avis, vous avez tort de ne vouloir absolument. d’aucun château ; vous n’y seriez pas, il est vrai, aussi parfaitement, sans gêne que chez vous ; mais vous y auriez un peu de bonne conversation et beaucoup de bon air. Il faut bien choisir entre ses goûts et sacrifier quelque chose des uns à la satisfaction des autres. Je vous fais de la très bonne morale, sans compter sur son succès.
Pour moi, je ne parie plus ni pour contre l'Empire ; il viendra, ou ne viendra pas, comme on voudra ; je n’y pense même plus. Je puis oublier beaucoup le présent.
La guerre devient bien vive, entre le Times et le Moniteur. Je ne crois pas que cela serve le Président en Angleterre où tout le monde lit le Times et personne le Moniteur. Et en France, où personne ne lit le Times, et tout le monde à présent le Monteur, cela n’a d'autre effet que d’apprendre au public, que le Times attaque violemment le Président. Ce sont des polémiques où l’on s’engage pour la satisfaction de son humeur, non pour le service de son intérêt. Je les comprends de l'Empereur Napoléon, il faisait la guerre à l'Angleterre ; il la lui faisait dans le Moniteur comme partout ; ses articles étaient soutenus par ses canons, et expliquaient ses canons. Mais le Président, est et veut, être en paix avec l’Angleterre ; le Moniteur ainsi employé lui rend la paix plus aigre voilà, tout. C’est un mauvais calcul un anachronisme.
Je suppose que vous ne lisez pas le Bernardin de St Pierre de M. Ste Beuve. aussi soigneusement que ses Regrets. Quatre Bernardin de St Pierre à la fois, celui qui a eu le prix à l'Académie, celui de M. Villemain dans son Rapport, celui de M. de Salvandy dans les Débats, et celui de M. Ste Beuve dans le Constitutionnel, c’est beaucoup.
Vous êtes vous fait lire le Rapport de M. Villemain ? Aggy lit-elle bien tout haut ?
Onze heures
Je reçois quatre lignes de Piscatory qui me dit qu’il est malade, et qu’on le croit dangereusement malade, d’une esquinancie. Lui, il se croit mieux ; mais il finit en me disant. " Je pourrai me vanter d'avoir été pendu. " J’en suis très fâché, car j’ai vraiment de l’amitié pour lui. Adieu, Adieu. G.
Mots-clés : Amis et relations, Bonaparte, Charles-Louis-Napoléon (1808-1873), Conversation, Diplomatie, Diplomatie (France-Angleterre), Empire (France), Lecture, Littérature, Littérature (Politique), Politique (Analyse), Politique (France), Portrait, Posture politique, Presse, Réseau social et politique, Salon
Val Richer, Jeudi 2 septembre 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
2 septembre ! J'étais bien jeune ce jour-là, il y a soixante ans ; mais j’ai été nourri dans une sainte horreur de son souvenir, et je ne vois pas cette date écrite sans retrouver ce sentiment. Le massacres des prisons de Paris ont été certainement quelque chose de plus affreux encore que la Saint Barthélemy ; la haine n’y était pas.
Avez-vous remarqué l’article du Morning Post répété par le Moniteur et par les Débats ? Cela a bien l’air d’un nouvel ajournement de l'Empire et du mariage.
On a raison de se moquer du discours de M. de La Rochejaquelein ; la platitude et la fanfaronnade ne vont pas à ce nom- là. Du reste le Président a très bien fait de le nommer président ; pour lui, il n’y a que profit.
Je suis porté à croire que Lord Granville pourrait bien avoir raison. Quand un homme d’esprit, et de caractère a été longtemps chef d’un grand parti il ne tombe. pas, même quand il déchoit.
Je n'ai point de nouvelles d'Aberdeen. Leur bon vouloir mutuel à Lord John et à lui est ancien ; leur alliance officielle serait étrange, Lord John, Lord Aberdeen et sir dans Graham. Je n'y crois pas. Je crois à Derby pour assez longtemps.
11 heures
J’ai été interrompu par des visites de chasseurs, très matinales. Je n'ai absolument rien qui en vaille la peine à vous dire. Comme j’ai bon cœur, je suis bien aise que Lady Palmerston soit sauvée, pour elle, pour son mari et pour vous que sa mort aurait chagrinée. Adieu, Adieu. G.
Val Richer, Vendredi 3 septembre 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Le temps est magnifique ; un air vif et un soleil chaud. Je viens de passer une heure me promenant à petits pas dans mon jardin. Il ne me manquait qu’une bonne conversation.
La police a raison de protéger efficace ment le général Haynau, et je suis bien aise qu’il soit plus en sûreté à Paris qu'ailleurs. Je trouve dans les Feuilles d'Havas le récit d’une conversation de lui où il a expliqué la femme fouettée, et les exécutions. Cela a l’air vrai, et quoique la dureté reste, au moins la férocité n’y est plus.
Je trouve les Conseils généraux à la fois très unanimes et très tièdes sur l'Empire. Point d'impulsion naturelle et vive une leçon apprise, ou bien un acquis de conscience. Je ne m'embarquerais pas sur cette planche-là pour une navigation semblable.
Ce qui me paraît le plus significatif, en faveur d’une intention arrêtée, c’est le vote du conseil général du Puy de Dôme présidé par Morny ; vote très explicite et très positif.
Chagrin à part, la mort de Lady [Palmerston] eut été, pour son mari une grande perte politique ; il lui doit l’agrément de sa maison, et l’agrément de sa maison est pour plus de moitié dans sa popularité. Vous reste-t-il encore assez de votre ancienne amitié pour que cela vous eût été aussi un vrai chagrin ?
Les petits jeux, les loteries, et les bijoux de St Cloud ont passé dans la presse ; plusieurs journaux en ont parlé, avec quelque détail. Cela ne réussit pas en province. On dit que c’est de la prodigalité, et on y suppose de mauvais motifs. Ce pays-ci est le plus singulier mélange de sévérité et de condescendance, de pénétration et de badauderie.
Qui aura la jarretière vacante ! Je ne puis croire que Lord Derby la donne à Lord Londonderry. Je voterais pour le duc de Northumberland ; mais il est déjà ministre par conséquent tout acquis. On la donnera peut-être à Londonderry parce qu'il ne l’est pas.
Dans votre disette actuelle, je regrette que vous ne connaissiez pas le Ministre des Etats Unis, M. Rives, qui doit retourner ces jours-ci à Paris. Il est un gentleman, il a de l’esprit et il aime la conversation. Il est vrai que vous n'avez pas grand goût pour les diplomates républicains, et lointains. Vous aviez pourtant Bush, et celui-ci vaut beaucoup mieux que Bush. Point démocrate.
Onze heures
Je n’ai rien à ajouter à l'amusement que M. Molé, Mad Kalerdgi, et Lord Granville vous ont donné hier, ou vous donneront aujourd’hui. Je suis bien aise que Chomel soit content de votre docilité. Si vous avez patience, j'espère bien qu’il guérira votre foie. Adieu, Adieu. G
Val Richer, Samedi 4 septembre 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Evidemment, il faut que Fould revienne et que le Président parte. Leur voyage à travers la France vous donnera seul quelques nouvelles à entendre, si ce sont là des nouvelles. Rien ne se ressemble plus que les voyages de Princes, tous les lieux deviennent semblables pendant ces jours là, et tous les incidents sont les mêmes.
La lutte du Moniteur contre les journaux Anglais continue. Elle est bien plus vive dans les feuilles d’Havas qui jouissent du privilège de l’incognito. Là on prédit la chute de l’aristocratie anglaise, de la monarchie anglaise ; on leur déclare que cette chute arriverait demain s'ils recevaient, comme nous, le bien fait du suffrage universel. Comment résisteraient-il à cette voix du peuple & &.
Ce sont les colères de l’ancien Empire avec le suffrage universel de plus. L'Empereur avait usé deux ou trois fois du suffrage universel, mais il se gardait bien d'en parler tous les jours. C'est vraiment une maladresse extrême, et si inutile !
On m'écrit que le comte de Chambord a reçu la démission de M. de Pastoret par une lettre officielle, très courte et très sèche. Pas un mot de remerciement ni d’ancienne amitié. Cela fait supposer à la brouillerie quelques motifs plus sérieux que ceux qui ont paru. C'est le Duc de Lévis qui est maintenant chargé des affaires financières du comte de Chambord. Cela le fera résider plus habituellement à Paris. On dit qu’il n'en est pas fâché.
Il avait été très sérieusement question de la retraite de l’armée Française de Rome. Mais le Pape n’a pas voulu donner l’assurance que ses propres gardes lui suffisaient, et prendre, l’engagement de ne pas appeler les Autrichiens. Alors on reste, et le Pape en est bien aise, car les Français lui sont plus commodes et moins compromettants que les Autrichiens.
Êtes-vous contente de votre nouveau maître d'hôtel ?
10 heures et demie
Pas de lettre. J’espère bien que ce n’est pas pour raison de santé. Adieu, adieu. G.
Val Richer, Dimanche 5 septembre 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Quand quelque chose vous empêche de m'écrire, faites-moi écrire je vous prie, deux lignes par Aggy ; non pour me donner des nouvelles, dont je me passerais fort bien quand même, il y en aurait, mais uniquement pour me dire ce qui vous empêche d’écrire, et comment vous vous trouvez ; c'est là ce que j'ai tous les jours besoin de savoir, et ce qui me préoccupe quand je ne le sais pas.
J’ai eu hier des visiteurs de Trouville, des Delessert, des Mallet, Hippolyte de La Rochefoucauld, une bande ; ils ont passé ici la matinée. Il y a beaucoup plus de monde, mais pas plus de nouvelles, à Trouville qu'au Val Richer. Il y a eu de la grande compagnie ; elle s'en est allée ou s'en va ces jours-ci. La quantité reste. Le Chancelier et Mad. de Boigne toujours centre le soir, sauf pour ceux qui vont danser au salon. Et toujours très intelligents sensés et causants.
Le 15 Août a été très brillant à Trouville ; illumination de toutes les maisons sur la plage, et celle de Mad. de Boigne très bien illuminée. Et le 26 Août, elle est allée à un très modeste service dans la petite église d'Hennequeville, pour la mémoire du Roi Louis-Philippe. Il y a du bon sens et du bon goût à concilier ce qui est dû aux souvenirs du passé et aux droits du présent, au pouvoir qu’on a servi et aimé et au pouvoir qui maintient l’ordre au profit de tous. Il n’y a pas, dans ce pays-ci, beaucoup de gens qui sachent faire cette conciliation-là.
Voilà, M. de Persigny qui a repris possession de son portefeuille. Est-ce qu’on ne dit rien de l'objet de son voyage à Londres ? Il me revient qu’en dépit des articles du Times et du Moniteur, l’intelligence est très bonne entre le Président et le gouvernement Anglais, et que s’il avait à recevoir de là quelques bons offices, on les lui rendrait volontiers.
Il me revient aussi que la situation de Fould, même en son absence, devient de jour en jour meilleure. On dit, par exemple, qu'aucun ministre n’est plus admis à envoyer au Moniteur un communiqué sans l'avoir fait passer par le Ministre d'Etat. Dans le gouvernement tel qu’il est constitué aujourd'hui, c’est très sensé.
Le vote du Conseil général des Hautes-Pyrénées que Fould présidait, à dû plaire au Président. C'est à la fois le plus positif et le plus large. Quand, M. de Nesselrode, doit-il rentrer à Pétersbourg ?
Je suis impatient de savoir quelles conséquences auront les ouvertures faites à votre fils Paul et les bontés de l'Impératrice pour lui. Je crains un peu d'humeur et de jalousie ministérielle. Le bon vouloir du pouvoir le plus absolu est bien aisément distrait ou entravé.
Avez-vous entendu dire que la Constitution avait été sur le point, il y a quelques jours d'être suspendue pour deux mois, à propos de son article, très inconvenant, il est vrai, sur le duc de Parme ? Antonini s'en est plaint, avec raison. Le Constitutionnel s’est excusé comme il a pu, et on s’est contenté de son excuse publique. Mais il a eu peur. C’est probablement, pour vous une vieille histoire.
Onze heures
Merci de votre lettre. Je suis bien aise que la restauration de M. de Lamartine vous amuse. Je vous chercherai quelque autre lecture. Adieu, Adieu.
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Diplomatie, Enfants (Benckendorff), Famille royale (France), Lecture, Louis-Philippe 1er, Mariâ Aleksandrovna (1824-1880 ; impératrice de Russie), Politique (France), Relation François-Dorothée, Réseau social et politique, Salon, Santé (Dorothée)
Val Richer, Lundi 6 septembre 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous me demandez des lectures. Vous intéressez-vous d’autant plus à un temps que vous vous en êtes plus, et plus récemment occupé ? Si c’est là votre disposition, quand vous aurez fini l’histoire de la Restauration de Lamartine, prenez l’histoire des deux restaurations de M. Vaulabelle, un moment ministre de l’instruction publique sous le gouvernement provisoire, après Carnot, je crois. Six volumes non terminés ; cela va jusqu'en 1827 et à la chute de M. de Villèle. C'est l’histoire révolutionnaire de la Restauration ; parfaitement révolutionnaire ; tout est bon pour défendre ou répandre la révolution ; tout est légitime contre la légitimité ; l’auteur accepte et accepterait tout y compris la ruine de la France, plutôt que de transiger une minute avec les adversaires quelconque de la Révolution. Cela dit, c’est un livre curieux, sérieux, fait avec soin, avec un certain talent lourd, mais passionné, avec conscience quant à la vérité des faits et même avec une certaine intention d'impartialité quant aux personnes. C’est un mauvais livre qui mérite d'être lu.
Il y a quatre ouvrages à lire sur l’histoire de la Restauration ; Lamartine et Vaulabell, plus Lubis, celui- ci est la droite Villèle et gazette de France ; plus Capefigue, recueil d'anecdotes, de documents, écrit avec une fatuité pédante et intelligente. Tous livres faux, et dont aucun ne restera parce que, ni pour le fond, ni pour la forme, aucun n'est l’histoire ; Lamartine seul offre çà et là pour la forme, des traces d’un esprit et d’un talent supérieurs ; mais tous amusants aujourd’hui et nécessaires à consulter plus tard, pour qui voudra connaître notre temps. Si vous aimez mieux quelque chose encore plus près de nous, lisez l’Europe depuis l'avènement du Roi Louis-Philippe, jusqu’en 1842, par Capefigue, dix volumes. C'est bien long et bien médiocre, mais animé, plein de détails sur les faits, sur les personnes, et plutôt vrai que faux, un long bavardage écrit par un coureur de conversations et de nouvelles qui ne vit pas habituellement dans le salon, mais qui y entre quelque fois.
Si vous voulez les romans, demandez les trois ou quatre nouvelles de Mad. d'Arbouville, la femme, laide et morte, du Général d’Arbouville. Vous l’avez rencontrée, je crois, chez Mad. de Boigne. Vraiment une femme d’esprit, dans le genre roman, du cœur elle-même, et l’intelligence du cœur des autres. Je crois qu’il y en a quatre, Marie, Le médecin de village, je ne me rappelle pas le nom des deux autres. Ils ne portent pas le nom de l'auteur, mais tout le monde sait de qui ils sont. Voilà ma bibliographie à votre usage.
Je m'attendais à votre réponse sur Lady Palmerston. Il y a beaucoup de sa faute, un peu de la vôtre. Elle a mérité que vous vous détachiez (je ne veux pas dire détachassiez) d'elle ; mais vous vous détachez aisément quand vous n'aimez plus beaucoup. Vous ne tenez pas assez de compte du passé, même du vôtre.
Deux romans qui me reviennent en tête vraiment spirituels et intéressants, Ellen Middleton et Grantley manor, de Lady Georgia Fullarton. Moi qui n’en lis point, j’ai lu Grantley Manor qui m'a plu, et surtout attaché. C’est un peu tendu.
Comme je ne lis jamais les journaux Allemands, je ne savais pas qu’ils fussent violents contre le Président. Mais je vois que faute de répression à Berlin, Tallenay vient d'adresser à ce sujet une note à la diète de Francfort. C'est faire une bien grosse affaire. Je ne doute pas que la diète me réponde, très convenablement ; mais après ? Gouvernements, ou amants les plaintes inefficaces ont mauvaise grâce.
On annonce l’arrivée à Paris du Marquis de Villamarina, comme ministre de Sardaigne en remplacement de M. de Collegno. S'il vient, vous ferez bien de l’attirer chez-vous. C’était autre fois un homme d’esprit. Il y a longtemps à la vérité.
Pauvre Anisson qui est venu mourir subitement à Dieppe. C’était un bon et honnête homme, aussi honnête que laid. Ce sera un chagrin pour Barante.
Quel volume ! Presque comme si nous causions. C'est bien différent pourtant. Adieu. en attendant la poste, je vais faire ma toilette.
11 heures
Je n'ai plus de place que pour adieu. Adieu. G. On m'écrit que le Sénat sera convoqué pour le 20 novembre.