Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Samedi 20 Sept 1851

Votre conversation est très intéressante, et, à tout prendre bonne. Il faut, en effet, épuiser jusqu'au bout les moyens d’entente et d'action commune avant d'en chercher d’autres. Pour que l'irrégularité soit admise, il faudra qu'elle soit comprise, et pour qu’elle soit comprise, il faudra qu’elle soit indispensable. Si la proposition Créton est rejetée, tout ce qui est bon sera possible.
Si toute la France était comme la Normandie, le bon résultat des élections ne serait pas douteux. La difficulté des légitimistes est réelle, même ici, car on ne les aime pas du tout ; mais on a du bon sens, et on leur fera leur part. Il y a cependant, dans ce département ci (l’Eure) un embarras. Salvandy et Hébert ; ils ont tous les deux, le dernier surtout, des amis chauds et assez nombreux qui voudraient les porter. Mais il faudrait écarter deux des députés actuels qui sont tous bons et ont tous voté la révision. Et si on laissait faire un trou, il y pourrait passer plus qu’on ne voudrait.
Le Duc de Broglie est donc pour le statu quo, local et général ; et d’après ce que je vois, c'est là, je crois ce qui prévaudra.
Je vois, par l'Indépendance Belge, que j'ai été il y a trois jours, à Champlâtreux, où Berryer est venu aussi. J'admire le soin avec lequel on me met tous les jours à toute sauce. Cela m'amuse à regarder du nid parfaitement tranquille où je vis. Vous avez sûrement entendu citer deux vers célèbres de Lucrèce qui disent : " Il est doux, quand la mer est grosse et que les vents soulèvent les flots, de contempler du rivage les rudes agitations d’autrui. " Ce sont les rudes agitations de mon propre nom que je contemple du rivage. Je le leur livre tant qu'ils voudront.
Il me paraît que les conseils d'arrondissement dans leur seconde session, se prononcent à peu près tous en faveur de la révision. Il sera bien difficile qu’un mouvement si général demeure sans résultat.
Soyez assez bonne pour dire au duc de Montebello combien je suis occupé de lui et de ses inquiétudes. J'espère qu’à mesure qu’elle s'éloignera du moment de ses couches, sa femme se remettra tout-à-fait.
La petite Princesse de Broglie est ici bien fatiguée de sa grossesse et un peu préoccupée de son extrême fatigue. Adieu, Adieu.
Je renvoie aujourd’hui mon ménage cadet au Val-Richer. L'aînée viendra me rejoindre ici après-demain et nous retournerons ensemble vendredi prochain, pour n'en plus bouger jusqu'à Paris. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Lundi 22 sept 1851

L’air de Morny est d'accord avec ce que m'écrit hier Mallac qui avait vu assez de monde et du monde Présidentiel. Vous savez que je n’ai jamais cru au coup d'Etat. Mallac me dit que ceux qui l’annonçaient pour le mois de septembre en parlent à présent pour la mi-octobre. Je persiste. C'est M. Fould qui dit vrai ; et des trois Puissances qui peuvent être appelées comme il vous l'a dit, à trancher le noeud Gordien quand on aura de nouveau débattu la révision, ce sera le pays qui en restera chargé. Des trois, c'est encore le pays qui est le plus Alexandre, quoiqu'il ne le soit guère. Je vous assure que lorsqu'on vit au milieu du pays même, on ne comprend ni comment il serait de nouveau fortement troublé, ni comment il échangerait le provisoire actuel contre un définitif quelconque. Le statu quo est partout, l'air en est plein ; on ne voit, on n'entend, on ne respire que cela ; le statu quo de l’ordre matériel et du gâchis politique. Il faudra qu’on se remue beaucoup à Paris pour surmonter cette immobilité générale.
Voici deux récits de Claremont, assez différents ; je vous les donne comme ils me viennent. " La colère est grande contre vous, à cause des articles du Times, dont on vous accuse. Néanmoins, je ne vois pas qu’on prenne un parti décisif ; on est aussi indécis dans la voie du mal que dans celle du bien on recule quand il s’agit de faire une démarche décisive. Je suis convaincu que l’attitude que vous avez prise si elle a excité de grandes colères, a eu du moins l'avantage de jeter du trouble dans les esprits et dans les consciences. "
"Je sais par un ecclésiastique Français (on me le nomme) que vous aurez vu peut-être à la chapelle de King-Street, que malgré le bruit fait par les journaux de votre conversation du 27, et, malgré les commentaires dont on l'a envenimé, le langage des différents membres de la famille royale n’a pas cessé d'être parfaitement convenable à votre égard, et qu'on vous regarde toujours comme le principal appui du principe monarchique en France. "
Je soupçonne que le bon ecclésiastique peut bien avoir été chargé de me faire arriver quelques bonnes paroles. Ne se brouiller avec personne, maxime royale. Du reste, c'est là, de l'histoire ancienne.
Voilà Kossuth et ses amis partis pour l'Amérique. J’en suis bien aise pour l’Autriche comme pour eux. Ils avaient, si je ne me trompe plus de moyens de nuire en prison à [Kut ?] que libres à Washington ; 2000 lieues de mer sont un puissant réfrigérant. Je suis curieux de tout ce qui se passe en Autriche. C'est le seul pays du continent qui me paraisse vraiment en train de guérison. J'ai grande envie de voir si ce sera en effet une guérison, et par quels remèdes.
Je vois que Kisseleff vient de perdre un frère. Je ne sais pas quelle est la mesure de son chagrin. En tout cas, soyez, je vous prie, assez bonne pour lui faire mon compliment de condoléance. Autre bonté que je vous redemande ; c’est de demander à Montebello ou à Vitet, quand vous les verrez, s’ils peuvent me donner l’adresse actuelle de Montalembert. Voici la lettre d’Ellice. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 25 Sept. 1851
4 heures

Ma petite fille est morte ce matin, deux heures après que je vous avais écrit. Sans souffrance ; elle s'est éteinte, plutôt par impossibilité de vivre que par maladie, à force de soins, on lui a donné quelques mois de vie ; mais les soins n'ont pas pu davantage. Sa mère est résignée, par soumission à Dieu et par courage naturel, mais très triste ; elle soignait son enfant avec une vigilance passionnée. Je ne crois pas que cela change rien à leur projet de passer l’hiver dans le midi. C’est surtout son mari qui en a besoin.
J’ai eu ce matin vos deux lettres. Certainement tout cela est de la pitoyable conduite. Les légitimistes n'avaient pas et n'ont pas autre chose à faire que de soutenir le président tant qu'ils ne peuvent pas avoir la Monarchie par la fusion, et non seulement de le faire, mais de dire tout haut pourquoi ils le font. Mais ils veulent suivre leurs fantaisies comme s'ils étaient assez forts pour les faire réussir. Tous les partis en France sont à la fois impuissants et intraitables. C’est un spectacle ridicule. Quelque grosse sottise passera à travers tout cela, et elle aura son temps même son temps de triomphe comme toutes les sottises. Puis elle tombera, en ayant aggravé le mal général.
Je suis très triste et très décidé à ne mettre la main dans aucune sottise. Je suis tombé. Si je ne puis pas me relever à ma satisfaction, je resterai à la place où je suis tombé.
Vous ne lisez pas le Messager. Celui qui m'est arrivé ce matin contient un grand article évidemment inspiré par Thiers sur les conférences de Champlâtreux. J'en suis toujours. L'article a l’air fait pour la présidence de Changarnier. Au fond, il laisse le choix entre le Prince de Joinville et Changarnier. Et ce choix restera ouvert jusqu'au dernier moment. Changarnier a son parti pris de n'en prendre aucun et d'être, soit en premier, soit en second, le restaurateur de n'importe laquelle des deux monarchies.
Le propos de M. Carlier, sur de nouvelles élections m'étonne. Ils ont, ce me semble plus à redouter la proposition Créton, et le vote des lois pénales contre la réélection que des élections nouvelles. Mais ils savent sans doute mieux que moi où ils en sont.

Vendredi 26 7 heures
Je me lève. La plus petite et la plus obscure mort est solennelle. Tant que cette pauvre enfant est là, toute la maison lui appartient, et n'est que son tombeau. J’ai écrit à Caen pour faire venir le Pasteur Prostestant qui réside là. Nous n'en avons pas de plus rapproché. Il arrivera ce soir ou demain matin. L’enterrement se fera demain. C’est un grand isolement, et quelques fois un grand embarras, que de n'être pas de la religion générale du pays qu'on habite. Je n’ai nul embarras ; tout mon village, y compris le Curé, est très bienveillant pour moi et se prête avec coeur à tout. Mais l'isolement subsiste toujours.

Onze heures
Votre lettre est intéressante. Et le trio a dû l'être. Vous avez bien raison de dire tout haut votre sentiment. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 1 Oct. 1851

Je reviens à ce qu'on vous à dit des alarmes de Thiers. Quoique je le sache très prompt et crédule en fait d'alarmes, il a trop d’esprit pour avoir toutes celles des badauds. Il faut que les coups d'Etat aient été et soient encore dans l’air de l'Elysée, plus que je ne l'ai cru. Je persiste cependant à n’y point croire. On en parle probablement beaucoup ; on les arrange, on les discute ; on ne les fera pas. Race de bavards pleins d'imagination, qui s'amusent de leurs plans et s'enivrent de leurs paroles, mais à qui les plans et les paroles suffisent.
Il m’est bien revenu quelque chose de cette fameuse lettre de Thiers dont vous me parlez, et que Normanby a montrée à Rogier. Mais je n'en sais rien que d'incomplet et de vague. C’était, je crois une désapprobation de la lettre de Rogier. Si vous pouvez me donner, à ce sujet quelques détails un peu précis, soyez assez bonne pour me les donner.
Je vois qu’on me fait aller tous les jours à Champlâtreux et assister à toutes les réunions possibles. L’Assemblée nationale a bien fait de rappeler que je suis ici fort tranquille. Je suis très décidé, et très hautement contre la proposition Créton ; mais il ne me convient pas de paraître toujours présent, et actif dans les réunions purement légitimistes, où on la repousse. C’est une malice de Thiers ou de ses gens à l'adresse de Claremont.
Je vous ai dit que Montalembert m'écrit qu’il n’est pas prêt pour son discours qu’il devait m’apporter ici à la fin de septembre. " Je suis bien confus d'avoir à vous avouer aujourd’hui que je n'ai pas encore terminé ce travail. Pour me justifier, je dois dire que j’ai été indisposé au commencement de la prorogation puis distrait et absorbé par une foule de devoirs et d'ennuis électoraux. Cela ne diminue pas le remords que j'éprouve de ne pas vous tenir parole. Je viens donc vous demander humblement quelques jours de délai. "
Je parie qu'il ne sera pas prêt avant la fin d'octobre. Assez grand ennui pour moi, car je ne puis pas faire mon discours sans avoir vu le sien et il me faut bien autant de semaines qu'il lui a fallu de mois, et un peu de loisir. Ce discours sera fort écouté. Il faut qu’il soit bon.
Montalembert ajoute : " J’ai pris la liberté de faire remettre chez vous tout ce que j'ai jamais dit ou écrit. Il y a beaucoup de générosité de ma part à vous faire cette communication aussi complète, car vous pourrez y trouver plus d'une attaque contre vous et contre le Gouvernement que vous dirigiez. Mais la révolution de Février, si elle m'a donné raison sur quelques points, vous a si bien vengé sur tant d'autres qu'il ne saurait rester de ressentiment dans votre cœur contre ceux d'entre vos anciens adversaires qui étaient au fond vos alliés naturels. "
Il a bien raison. Je n’ai pas le moindre ressentiment contre lui. Je suis assez frappé du Firman de la Porte. au Pacha d’Egypte contre le chemin de fer d'Alexandrie à Suez. Je croyais à Sir Stratford Canning plus de crédit à Constantinople. C'est un gros désagrément pour Lord Palmerston qui met à ce chemin beaucoup d'importance. Vous verrez qu’il finira par prendre le parti d'Abbas Pacha contre le Sultan, comme nous avons pris en 1840, le parti de Méhémet Ali. Êtes-vous pour quelque chose dans cette résistance si décidée de la Porte, ou n’est-elle due qu’au travail de Paris et de Vienne ?

Onze heures
Merci de votre lettre très intéressante. Et j'en remercie aussi un peu Marion, excellent reporter. Le mot, si je ne me trompe est plus poli que celui de rapporteur. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 6 octobre 1851 Lundi
Je suis bien aise de ce que vous me dites à propos d'Abdel Kader c'est bon au besoin. Trop long à vous expliquer pourquoi. J’ai vu assez de monde hier mais rien d’intéressant, le comte de Thomas, comme nouveauté. Pas de Français intéressant. Thiers part aujourd’hui pour Valenciennes, dit-il. Une absence de 5 jours. Lamoricière n’est pas allé en Angleterre comme il en avait le projet. Hatzfeld est venu me dire adieu. Il part ce soir pour Berlin.
Malgré tout mon [?] de rester si longtemps sans vous voir, d'autant plus qu’à présent je suis vraiment sans ressource, je ne puis pas regretter votre absence. Il est bon que vous restiez tranquille et loin dans ce moment de bavardage stérile. L’agitation ne sert jamais et elle ôte toujours un peu de la dignité. Quelle pauvre lettre ! Mais je ne sais absolument rien. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 octobre 1851

Hatzfeld est parti. Je verrai si Brandebourg qui reste chargé d’affaire peut le remplacer pour la lettre au [Ministre] de Prusse à Rome. Antonini est parti aussi, par lui j’aurais pu apprendre où sont les [Rignano ; Brignoles, Durazo, tout cela est, parti. Peut-être Garibaldi pourra-t-il me le dire. Je donnerai à votre fille une lettre pour mon ministre & pour ma nièce Wolkonsky. Je vous écris en croisant Molé un supplice, tant de venir causer que je vais ce matin à Champlatreux. J’emmène Dumon. Je reviens dîner. Pas de nouvelle. J’ai vu Bulwer, ami intime de Narvaez. Mollé a dîné ces jours-ci chez le Président à St Cloud il l'a trouvé très gai. Le Kossuth fait bien de bruit.
Votre refus de passage, & les ovations à Londres, font un grand contraste fort louable pour vous Adieu. Adieu. Une longue lettre d’Ellice que je vous enverrai quand je l'aurai lue. Lord John viendra probablement, à Paris en Novembre. L’assemblée Nationale a un pauvre article sur Abdel Kader. & où a-t-il pris la mission de Londonderry à St Pétersbourg ?

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 8 Oct. 1851

Avez-vous remarqué, il y a deux jours dans les Débats un article de John Lemoinne sur Pacifico et Lord Palmerston ? La moquerie était bonne et poignante. Il est vrai qu’il y avait de quoi. Les Anglais seuls ont le talent d’être à la fois puissants et ridicules. Malgré ses éloges pour notre ami, je ne goûte pas beaucoup le discours, de Sir James Graham à Aberdeen. Vide et mou. Des promesses de concessions cachées sous un manteau de conservateur. C'est de là que viennent mes véritables craintes pour l'Angleterre.
Et le manifeste de Kossuth ? Rien ne pouvait donner plus raison à l’interdiction dont il a été l'objet. Un des trois hommes de sens qui, dans le Common Council de la cité, ont voté contre l’accueil solennel préparé pour Kossuth à Londres, devrait demander quand il y arrivera, la lecture publique de cette sotte déclaration. J’ai peine à croire que le bon sens Anglais n'en fût pas choqué.
Ma feuille jaune raconte tous les embarras de Changarnier à propos de son messager de l’Assemblée. Je les comprends. Le général approche du pied du mur. Plus j'y regarde, plus je me persuade que sa candidature n’a point de chances. Il aurait fallu, pour la préparer, une tout autre conduite que celle qu’il a tenue et qu’il tient encore.
Vous voyez que, moi aussi, je n’ai rien à vous dire. Je reçois beaucoup de visites locales. On vient me parler des élections. La préoccupation sérieuse commence. Elle ira vite quand les débats de l'assemblée auront recommencé. Je me tiens parfaitement tranquille. Je ne vais nulle part. Guillaume le conquérant seul aura le pouvoir de me faire faire une course dans mes environs. Je ne sais si j’aurai encore, dans ma vie, quelque chose de considérable à faire ; ce que je sais bien c’est qu’il faudra que la circonstance vienne me chercher chez moi.

10 heures
Voilà deux visiteurs qui m’arrivent de Caen, avant le facteur. Je vous dis adieu en hâte. Je ne fermerai pourtant ma lettre qu'après l’arrivée de la poste. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 17 Oct. 1851

En même temps que votre lettre j'en recevais une hier d'un ancien député, fort sensé et fort mon ami, que vous m’avez quelquefois entendu nommer, de M. Plichon : " L’attitude que prend le Président nous rejette dans des perplexités nouvelles. Je ne puis croire encore qu’il change sa politique ; mais la seule incertitude qu’il autorise, sur ses dispositions est déjà un préjudice grave pour lui, pour là chose publique, et qui pèsera lourdement sur son avenir et sur le nôtre. Le rappel de la loi du 31 mai nous rejetterait, dans le Nord en plein gâchis révolutionnaire et deviendrait, dans le parti de l’ordre, le signal d'un sauve qui peut général. Je ne sais comment nous ferions pour rallier les fuyards. Tout le monde a le sentiment que cette loi est l’unique fondement de la sécurité actuelle. Elle est notre seul boulevard ; et ce serait, pour les différentes nuances du parti de l'ordre dans l'Assemblée, le cas, ou jamais, de résister. Je ne puis croire que le Président passe ce Rubicon ; le sentiment de l'honnête homme du chef de l'Etat qui a la conscience de ses devoirs et de sa responsabilité, prévaudra sur l’instinct du vieux conspirateur; et il ne restait de tout ce bruit que l’ébranlement du peu de foi que gardait encore le pays et sa déconsidération inséparable d'une nouvelle tentative stérile. "
Voilà le sentiment d’un partisan déclaré de la prorogation des pouvoirs du président qui me dit encore quelques lignes plus bas : " Je n'ai pas besoin de vous dire combien j'ai déploré de voir le nom du Prince de Joinville jeté dans la fournaise, si impru demment pour lui, si malheureusement pour nous. "
J’ai retrouvé à peu près ce même sentiment dans les vingt-cinq personnes avec qui j’ai déjeuné hier, propriétaires, magistrats, manufacturiers, tous gros et influents bourgeois du pays. Ce que le Président perd dans cette classe, par sa tentative actuelle, est visible ; ce qu’il gagne, et ce qu’il ne perd pas, dans les couches inférieures et pressées de la société, il n'y a pas moyen de l'apprécier ; on n’y pénètre pas, et elles ne disent rien, ou ce qu'elles disent ne nous parvient pas. Mais là, quoi qu’il fasse, les socialistes sont plus puissants que lui.
Ma conclusion est donc de déplorer. Et je déplore d’autant plus que je persiste à croire qu’il y avait une bonne conduite à tenir, et qui pouvait être efficace. Ira-t-on jusqu'au bout de celle-ci ? Nous allons voir. Je voudrais bien vous voir débarrassée de votre bile. L’agitation qui vous entoure vous en distraira, mais ne la calmera pas. Les désordres des départements du Cher et de l'Allier sont graves, et symptomatiques.
J’ai vu hier des lettres et des voyageurs qui en arrivaient. C’était bien un mouvement de Jacquerie provoqué par l'arrestation de quelques meneurs socialistes, défendre ses Chefs et, à cette occasion, piller les ennemis. Voilà probablement deux départements de plus à mettre en état de siège. Cela est difficile à concilier avec une politique de Tiers Parti.

11 heures
Vous ne me donnez rien à ajouter. J'attends comme vous. Ma lettre vous a manqué hier par la faute de mon facteur qui, trempé de pluie n’a rien trouvé de mieux à faire que de se [?] et d’arriver trop tard à Lisieux. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 23 Oct. 1851

Je voulais rentrer à Paris du 2 au 5 novembre. Ma réponse à M. de Montalembert exige, absolument huit jours de plus. Je veux l'apporter à peu près terminée, et il n'y a pas moyen pour moi de travailler un peu de suite à Paris surtout quand j’y arrive. Je ne rentrerais donc que du 10 au 12. Et Falaise me fait perdre deux jours. Ce retard me déplaît beaucoup, et à vous, j'espère autant qu'à moi. Bien à cause de vous seule, et de mon plaisir à me retrouver auprès de vous, car je ne me sens aucun empressement à rentrer dans cette atmosphère d'activité bavarde et vaine. La solitude rend sérieux et difficile. Je le deviens tous les jours davantage. D'autant plus que je vois clairement, pour le bon parti, une bonne conduite à tenir, je ne dis pas qui le conduirait promptement à son but mais qui certainement, l’y ferait marcher et qui en attendant, le lierait intimement au pays de l'aveu et de l’appui duquel il ne peut se passer. Mais cette bonne conduite, on ne la tiendra pas ; elle exige trop de bon sens de patience, et de sacrifice des fantaisies personnelles. Connaissez-vous un pire ennui que de voir faire et défaire soi-même de compagnie, des fautes qui déplaisent autant qu'elles nuiront, et de se donner beaucoup de mouvement pour aboutir, le sachant, à beaucoup d'impuissance ?
Le discours de M. de Montalembert est un ouvrage, un long ouvrage beaucoup trop bong, excellent au fond, très hardi, et souvent très beau dans la forme. Ni l'Académie ni son public n’ont jamais rien entendu de si hautement et brutalement anti-révolutionnaire. La vérité y abonde ; la mesure et le tact y manquent. Ceci entre nous. C’est toujours l'homme qui, selon le dire de M. Doudan, commence toujours par les paroles : " Soit dit pour vous offenser " Certainement, ni la Commission de l'Académie, ni l'Académie elle-même, si on est obligé de recourir à elle avant la séance, ne laisseront passer ce discours tel qu'il est. Je m'attends à une vive, controverse intérieure et antérieure. On demandera à M. de Montalembert beaucoup de changements, et le changement d'abrègement sont indispensables, pour son propre succès J'appuierai auprès de lui ces changements-là car je désire son succès autant que lui-même ; d'abord parce qu'il le mérite et aussi parce que son succès sera bon pour la bonne cause Quant au fond des choses, je défendrai son discours contre les gens à qui il déplaira et contre ceux qui en auront peur, sans qu’il leur déplaise. Ne parlez de ceci, je vous prie qu'à des amis de M. de Montalembert ; je ne veux pas qu’il puisse me reprocher d'avoir ébruité d'avant son discours. Mais si vous voyez son beau frère Menode, il n’y à pas de mal qu’il sache un peu mon impression et ma prévoyance.
Berryer a raison de se présenter pour l'Académie. Je crois pleinement à son succès. Cependant il faudra en prendre soin. Bien des gens croiront faire par là de la politique et en auront peur. Le Gouvernement qui, à la vérité, n'a à peu près aucune influence dans l’Académie, lui sera certainement fort contraire. S'est-il assuré de ce que fera Thiers ?
Si vous voyez Vitet soyez assez bonne pour lui demander de ma part des nouvelles de Duchâtel. Il m’a écrit. Je lui ai répondu au moment de la mort de ma petite-fille, depuis, je n'ai rien reçu de lui. Je pense pourtant que ma lettre lui est arrivée.

Onze heures
Il ne faut pas de défaillance et je suppose que Chomel n'a pas compté pour longtemps sur l'artichaut strict. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 24 octobre 1851 Vendredi

Je suis si malade, et si tourmentée que je ne sais pas vous écrire une lettre raisonnable. Pardonnez-moi et acceptez le peu que je vous donne. La crise n’a pas fait un pas. Le public est très insouciant. J’ai vu hier-soir Berryer et beaucoup de monde, trop pour mes nerfs. On est très monté sur tout ce qui se passe. Le parti légitimiste très résolu à tenir tête. Je ne sais pas les autres. On me dit qu'on est très content de Changarnier. La mort de la Duchesse d'Angoulême est un événement et pourrait mener à bien, si à Claremont on veut le bien.
En attendant vous avez vu les paroles du Prince de Joinville à Adiot. Je vous les envoie pour le cas où vous ne les aurez pas. Deux lettres l'une à M. Foucher de lui qu'on a vues sont en contradiction formelle avec cela. Il veut qu'on soit muet, comment [?] cela. Les paroles dites à Adiot sont du 17. Les lettres des 20, & 21. Le Chancelier était aussi chez moi hier soir, très vif sur ce qu’on doit faire par suite de la mort de La [Duchesse] d’Angoulême. Noailles reste encore aujourd’hui ici. Le comte Bual est à Bruxelles. On retient Brunnow à Pétersbourg. Je ne sais ce que fera Brunnow. Mais évident le monument Kossuth fait fiasco. Lord John a réuni le cabinet le 14, & ne lui a pas dit un mot encore sur la réforme. Les Ministres n’en savent pas le premier mot. C’est Bauvale qui me le dit.
Une nouvelle impertinence de Lord [Palmerston] a provoqué de le part de Fortunato une [?] très vive, dit Antonini. La légation napolitaine à Londres est rappelée toute entière. On désigne un autre ministre Carini mais qui n’ira pas encore Antonini est plus furieux que jamais. A propos il est le seul diplomate qui approuve ce que fait le président.
Je suis triste pour moi du retard de votre arrivée à Paris. Pour vous je ne le regrette pas. Je ne vois pas le bien que vous pourriez faire, & je vois, même dans ce qui se passe aujourd’hui l’avantage pour vous de votre absence. Si l'on cherche à peser sur Claremont il vaut mieux pour la chose, que vous y soyez tout à fait étranger. Qu’allez-vous dire à Falaise depuis certaines préfaces il me reste de l’inquiétude dès que vous parlez ou écrivez. Vous me pardonnez mon impertinence.
Je ne sais rien de Morny. Vitet est établi à Paris depuis hier. Je le questionnerai sur Duchatel. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 27 octobre 1851
4 heures

Je suis toujours bien aise de rentrer chez moi même quand il m'a réussi d'en sortir. Voilà trois jours que je vous écris bien sottement. J’ai fait hier à Falaise, tout le jour une vraie mission pour la fusion ; presque sans en parler, mais parfaitement compris de tout le monde ; conservateurs et légitimistes que j'ai laissés tout contents de moi, et d’eux-mêmes. L’un ne va guère sans d'autre. Avec du temps, beaucoup de temps, et en y prenant beaucoup de peine ; et avec l'aide de beaucoup de malheur et de beaucoup de peur, on pourra arriver à quelque chose. Les incidents dérangeront et précipiteront. Si tant est que les incidents dérangent le véritable cours de l'eau, le cours du fond. Nous vivons et nous nous remuons à la surface ; mais ce n'est pas à surface que se préparent et se décident les grands événements. Quels que soient les incidents, nous marchons à la monarchie par la fusion ou à la décadence par la République. Voilà les deux courants profonds qui sont, aux prises. Lequel des deux l'emportera ? Mon raisonnement est pour la crainte et mon instinct pour l'espérance.
Dans tout le monde que j'ai vu depuis les plus considérables jusqu'aux moindres, et soit bienveillants, soit malveillants, la situation du Président est mauvaise. On a porté sa santé au banquet, le maire de la ville, mon hôte. Un silence universel lui a répondu à la lettre. Le Préfet qui était là, s’en est tiré en homme d’esprit, et en répondant au toast qui lui était porté à lui-même ; il a parlé du Président, de l'appui qu’il avait donné au parti de l'ordre et qu'il avait trouvé dans le parti de l'ordre, en termes trés convenables qui ont été applaudis. Beaucoup de blâme, point de rancune, voilà la disposition. Jusqu'au dernier moment la transaction sera toujours possible et j'y crois toujours. Je n'ai jamais été plus applaudi. Les ennemis n’applaudissaient pas, mais ils approuvaient du geste les amis qui applaudissaient. Les Conservateurs, pris en masse, m'aiment vraiment ; et ceux-là même, qui n'ont nul goût pour la fusion me sont, au fond, gré de la vouloir et trouvant que j'ai raison.
J’attends toujours la lettre du duc de Noailles. Pour mon langage à quelques personnes, il m'importe un peu de savoir jusqu'à quel point M. de St Priest, M. Nettement et tout ce côté du parti, désavouent ou ne désavouent pas les bruits dont je vous ai parlé. Comme il n’y a plus aujourd'hui rien d'étrange ni de ridicule, il ne faut pas laisser passer. Sans y regarder ce qui paraît le plus étrange et le plus ridicule.
Je répète que je ne puis pas ne pas croire qu'on fera à Claremont ce qui convient. On aura bien pesé que M. le comte de Chambord n’en tire trop de parti et ne les mette dans un grand embarras. Mais je tiens pour impossible que cette peur arrête. Je crois que Montebello a bien fait de n'y pas aller. On ne fait pas ce qui déplaît sans déplaire ; surtout quand on veut le faire efficacement, et de manière à empêcher ce qui plairait.
Voici ce que j'ai écrit au sujet de cet incident du Times, au général Trézel, après lui avoir parlé de mes raisons contre la candidature du Prince ; je suis bien aise que vous le connaissiez textuellement. " Je suis absolument étranger, indirectement comme directement, à la correspondance du Times qui a raconté, bien ou mal, ma conversation avec M. le duc de Nemours. Je ne me permettrais jamais une telle inconvenance. Ce qui est vrai, c'est que, soit à Londres, soit à Paris, j'ai redit moi-même à plusieurs personnes le fond de cette conversation. A dessein, et par plusieurs motifs. D'abord, parce qu'opposé comme je le suis à la candidature de M. le Prince de Joinville, j'ai désiré que mon opinion fût connue, et qu’il fût connu aussi que je l'avais exprimée à la famille royale ; nous ne pouvons et ne devons agir librement qu'après avoir dit aux Princes ce que nous pensons et quand on sait que nous le leur avons dit. J'espérais de plus que la publicité de notre opinion rendrait peut-être un peu plus incertaine la publicité de cette candidature elle-même et comme je désire qu’elle ne le produise pas décidément je n'hésite point à faire ce qui peut y jeter quelque hésitation. Enfin, quoique je trouve que les Princes ont tout-à-fait raison de se tenir et de se montrer très unis, je ne regrette point qu’on sache, et je crois même qu’il est bon pour leur avenir qu’on sache qu’au fond ils ne sont pas tous du même avis, ni sur la même pente. Je trouve fort simple que parmi eux, quelques uns dressent leur tente au milieu de l'ancienne opposition au gouvernement du Roi leur père ; mais je ne pense pas que les chances de leur cause aient à souffrir si, parmi eux aussi, il y a encore les alliés fidèles de l'ancien parti conservateur, et si les conservateurs en sont convaincus. Voilà, mon cher général, pourquoi j’ai parlé assez ouvertement de la conversation que j’ai eu l'honneur d'avoir avec M. le Duc de Nemours. Je n’ai pas le droit de m'étonner qu’il en soit revenu quelque chose aux correspondants du Times, à Paris, et qu’ils l’aient racontée confusément et inexactement comme ils l'ont fait. Je le regrette puisqu’on l’a regretté à Claremont ; mais je ne puis pas ne pas penser que, pour la bonne politique de la bonne cause la candidature de M. le Prince de Joinville serait infiniment plus nuisible qu’il ne peut l'être qu'on entrevoie que M. le Duc de Nemours n'en est pas tout-à-fait d'avis."
Adieu jusqu'à demain.
J’ai trouvé vos deux lettres en arrivant ici Onze heures Le cabinet n’a rien d'effrayant, Tout ceci finira par une transaction. Mais j'attends Pétersbourg. Je ne peux croire ni au refus, ni au silence. Si cela arrive ! Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 4 nov. 1851

Je jouis encore de vos deux lignes d'hier. J’espère bien en avoir quelques unes aujourd’hui. Pourvu que votre soirée de Dimanche ne vous ait pas trop fatiguée. Entre le besoin de distraction et la crainte d’agitation, vous êtes très difficile à arranger. Pourtant, je penche, en général du côté de la distraction, l'ennui vous agite plus que la fatigue.
Je suis fort aise que Molé soit pressé de me voir ; mais la presse quant aux choses mêmes n’est pas si grande. Je ne crois pas tant à ma nécessité et à mon efficacité que quelques jours de plus ou de moins y fassent quelque chose. En fait d'envie de hâter mon départ, j'ai résisté à mieux que cela. Je serai à Paris dans huit jours, et bien à temps pour n’y rien faire. J’ai absolument besoin de cette semaine pour ma réponse à M. de Montalembert qui est en bon train.
J’ai bien envie que vous ayez pu voir Mérode avant mon arrivée, et lui dire ce que je vous ai dit du discours de son beau-frère ; discours dont on peut tirer un grand succès, et un grand effet, et qui, s'il restait tel qu’il est, serait probablement pour lui, l'occasion d’un grand échec, comme son rapport sur la loi du Dimanche.
Je suis désolé que le Duc de Montmorency ne soit pas parti. C'était très bien, comme vous l’avez senti au premier moment. Et s’il ne va pas, parce que Thiers ne l'aura pas voulu, ce sera déplorable. Déplorable comme fait, déplorable comme symptôme. Je fais ce que je puis pour me persuader qu’il y a moyen de nous tirer de nos vieilles ornières. Nous y retombons toujours. Etrange pays aussi obstiné que mobile !
Sait-on enfin positivement si c’est la Reine, ou le Duc de Nemours qui a écrit au comte de Chambord, et si réellement on a écrit ? Je ne veux pas croire qu’on se soit borné au service funèbre de Claremont et d’Eisenach.
J’ai vu hier les députés d’ici partant le soir pour l'Assemblée. Ils partent semés. Rejet de l'abrogation de la loi du 11 Mai ; ajournement de la proposition Créton ; et puis, adoption de la loi municipale et de modifications indirectes qu’elle introduit dans la loi du 11 mai. Parti pris de tout subordonner au maintien d’une majorité de 400 voix. Je m'étonne que M. Molé se laisse aller, ou paraisse se laisser aller à un sentiment trop rude envers le Président. Ce n’est pas dans ses allures. Je ne doute pas que le président ne cherche un accommodement, et ne finisse par accepter plus que l'Assemblée elle-même lui donnera, après avoir rejeté sa propositions d’abrogation. Je crois tous les jours moins au coup d'Etat. Pas plus par le général [Saint Arnaud] que par le général Magnan. Tout le monde est un peu fou ; mais les vrais fous sont très rares.

Onze heures
Tant mieux que votre soirée de Dimanche ne vous ait pas trop fatiguée. Je vois que vous avez encore assez de force pour animer la conversation. Adieu, adieu, et merci à Marion. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 5 nov. 1849

Je trouve vraiment comique les prédictions et ces bravades contraires que s'adressent les amis du Président et ceux de l'Assemblée comme pour se faire peur mutuellement et d'avance, sans doute dans l’espoir d'avoir, au moment du combat, meilleur marché les uns des autres. C’est bien Gascon et bien puéril. Le chef d'œuvre du genre, c’est Thiers ayant peur d'être arrêté et le Président lui faisant dire de n'avoir pas peur et qu’il ne le fera pas arrêter. Ce sont là des façons du temps de la Fronde qui ne vont plus au nôtre, quelque irrégulier et inattendu qu’il soit tout cela ne supporte ni la presse, ni la tribune au milieu des formes publiques et graves de nos gouvernements et de nos révolutions, ces finesses deviennent des enfantillages ce qui était de la gaieté devient du ridicule ; les hommes se diminuent à jouir de vieux jours. Voilà les réflexions pédantes de ma solitude.
Je parie toujours pour mon même dénouement. Rejet de l'abrogation, patience du Président, modifications indirectes de la loi du 31 mai par l'Assemblée ; acceptation de ces modification par le Président ; rentrée de l’ancien ministère, sauf Léon Faucher. M. de Lamartine a fait bien d'avoir un rhumatisme aigu à Macon, cela le dispense de figurer, en personne dans cette journée des dupes.
Quand j’ai lu mes lettres de Paris et les journaux, je ne pense plus à tout cela, je suis tout entier dans mon discours d'Académie qui me plaît à faire. J’ai déjà une grande satisfaction. Je suis sûr que je serai court. Quelque réduction que M. de Montalembert, fasse subir au sien, il restera long et quelque curieux que soit le public de cette séance, il ne faut pas le mettre à l'épreuve de deux longs plaisirs.
Est-il vrai que Lord Palmerston ait adressé au Cabinet de Vienne quelque explication sur le séjour et le bruit de Kossuth en Angleterre ? Cela me paraît peu probable. Je trouve que le journal des Débats fait à Kossuth une guerre très spirituelle, et qui devrait être efficace si quelque chose était efficace contre les Charlatans et les badauds. On fait trop de bruit de la circulaire du ministre de la guerre. Que ses paroles aient été écrites à mauvaise intention, cela se peut mais on n'en est pas à faire du bruit pour les mauvaises intentions, et il y a là une question que les hommes d’ordre doivent laisser dormir sauf à se bien défendre si on abuse un jour contre eux du principe de l'obéissance militaire qui est tous les jours leur sauvegarde.

4 heures
Merci, merci. Le plaisir de voir votre écriture efface le chagrin de vos nouvelles de Claremont. Faiblesse déplorable et ridicule. Que deviendra tout cela ? La situation paraît bien tendue. Je persiste à ne pas croire aux grands coups. Adieu. G.
Et Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 7 nov. 1851

Le message est profondément médiocre. Mais je ne crois pas du tout que ce soit un manque de dédain pour l'Assemblée. C’est tout bonnement de la médiocrité naturelle. Les articles du Dr Véron valaient mieux. Je ne trouve pas non plus que Berryer ait bien conduit sa première attaque. Il a été long, confus et hésitant. Mais si j'étais à Paris, je ne dirais pas cela. L’esprit de critique nous domine, et nous sacrifions tout au plaisir de tirer les uns sur les autres. Sur la physionomie de ce début, je crois moins que jamais à de grands coups, de l’une ou de l'autre part. On ne disserte pas si longuement et si froidement, au moment de telles révolutions. Elles sont précédées, ou par de grands signes de passion ou par de grands silences. La montagne épousant systématiquement le Président et sa mesure, cela est significatif et pourrait devenir important. Je doute que cela tienne. Le Président n'en fera pas assez pour eux et ils ne seront jamais pour lui ce qu’il veut, sa réélection. Chacun finira par rentrer dans son ornière.
J’ai mal dormi cette nuit, pas tout-à-fait par les mêmes raisons que vous. Je cherchais deux paragraphes de ma réponse à M. de Montalembert. Ils m'ont réveillé à 2 heures ; je les ai trouvés, je me suis levé, je les ai écrits, et je me suis recouché, pour mal dormir, mais pour dormir pourtant.
Le froid commence. Il gèle fort la nuit. Je vois fumer en ce moment le tuyau de ma serre. Il n’y a plus de fleurs que là. Il est bien temps d'aller retrouver ma petite maison chaude. Je ne vous écrirai plus que trois fois. Je voulais porter d’ici à Marion une belle rose en signe de ma reconnaissance. La gelée me les a flétries. Elle a bien raison d’ajouter à votre lettre des détails sur votre santé. C’est un arrangement excellent, et dont je la remercie encore.
J’ai fait ces jours-ci quelque chose d'extraordinaire dans mes moments de repos, et pour me délasser de mon travail. J’ai lu deux romans, David Copperfield de Dickens et Grantley Manor, de Lady Georgina Fullerton. Le premier est remarquablement spirituel, vrai varié et pathétique ; plein, seulement de trop d'observations et de moralités microscopiques. Le commun des hommes ne vaut pas qu'on en fasse de si minutieux portraits. Pour mon goût, j’aime bien mieux le roman de Lady Georgina, la société et la nature humaine élevée, élégante et un peu héroïque ; mais elle a l’esprit bien moins riche et bien moins vrai que Dickens. Qu'est-ce que cela vous fait à vous qui n’avez lu et ne lirez ni l'un, ni l’autre.

Onze heures et demie
Décidément mon facteur vient plus tard ; mais peu m'importe à présent. Adieu, Adieu. Je voudrais bien que vous ne violassiez pas trop les règles de Chomel. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 8 nov. 1851

Vous me permettez du bien petit papier, n'est-ce pas ? J'ai beaucoup à faire ces jours-ci. Je veux absolument avoir fini mon discours, et je l'aurai fini. Une visite de matinée à Lisieux, chez les gens qui m'ont donné à dîner. Une visite. dans mes champs, avec mon fermier et mon homme d'affaires, pour voir s’ils sont bien cultivés et en bon état. Riez si vous voulez, de ma science agricole ; elle me prend mon temps comme si elle était bien profonde.
Je lis tout ce que vous m'écrivez, vous et Marion, tout ce qui me vient d'ailleurs, tout ce que me disent mes dix ou douze journaux ; je ne vois pas de raison de changer mon impression et mon pronostic. Je crois la situation où je suis en ce moment très bonne pour juger sainement. Bien informé des faits et loin du bruit. J’y vais rentrer. Je tâcherai de ne pas m'en laisser étourdir au milieu du bruit, on oublie le plus grand des faits, l'état réel du pays lui-même, et on fait des sottises dont on est averti par des catastrophes.
Je sais bon gré à ce bon Alexandre de sa résignation. Je me préoccupe de la situation de votre fils Paul. Nous en causerons si vous voulez et si cette conversation ne vous agite pas trop.
A tout prendre, j’aime mieux que Lord John ne vienne pas à Paris. Dieu sait ce qu’il aurait dit ou conseillé au Président. Les Anglais n'entendent rien à nos affaires et pourtant leurs paroles ont toujours du poids. Vous êtes vous fait lire le discours de Louis Blanc à Londres dans l’une des fêtes de Kossuth ? C'est le vrai programme du parti au moins des émigrés du parti ; il feront ce qu’ils pourront en 1852 pour soulever une grande prise d’armes à moins que nous ne le fassions exprès de les faire réussir, ils échoueront ; mais ils ne pensent guère laisser passer cette époque sans protester contre les anciens échecs.

4 heures
Nous avons bien les mêmes instincts. J’ai été frappé et désolé des fautes qui commencent. Adieu, adieu. Je suis chaque jour plus pressé de vous retrouver. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 9 nov. 1851

Je viens de finir mon discours, et je vais donner ces deux jours à mes visites et à mes affaires. Que j’ai envie de vous trouver mercredi moins fatiguée ! Mais si vous l'êtes encore beaucoup je vous soignerai enfin. Au moins vous ne vous ennuyez pas.
Singulier spectacle. Quiconque prend l’initiative du moindre mouvement inutile, quiconque dépasse la nécessité de l'épaisseur d’un cheveu est aussitôt condamné et délaissé par le pays. C’est de la politique thermométrique. Il faut avoir le coup d’oeil bien sûr et le pied bien ferme pour marcher droit dans une telle atmosphère. Certainement d’ici la nomination de Vitet et la proposition des questeurs me paraissent deux fautes graves et si j’avais été là, je les aurais déconseillées. Je verrai ce qu’on me dira pour les justifier. Je suis du reste, bien décidé à n'en croire moi-même plutôt que ce qu’on me dira. Ecouter tous les avis et agir toujours selon son propre avis, c’est la bonne règle quand on a du bon sens C'est facile quand on n'est que donneur d'avis, et point acteur. Je ne puis croire que la majorité se laisse mener longtemps par Thiers, et Changarnier ; elle reconnaîtra bientôt qu’ils la mènerait perdre. Les montagnards ont voté pour Vitet évidemment pour brouiller la majorité. Je ne crois pas du tout à M. de Hackereen.
Thiers a-t-il, ou n'a-t-il pas été au service de la Madeleine pour la Dauphine. Je puis encore vous faire une question. Mais mardi, Marion n'aura plus à vous remplacer. pour m'écrire.

4 heures
Je suis charmé que vous recommenciez à manger pourvu que vous digériez. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, lundi 10 Nov. 1851

Voici la fin. Après demain à 1 heure, je vous verrai. Marion me dit que vous recommencez à manger, et Génie qu’il vous a trouvée en assez bon état. Tout cela est médiocre, mais enfin le mieux a commencé.
Je ne puis pas regretter, pour mon compte de n'avoir pas été plutôt à Paris. Ce qui s'y passe me paraît pitoyable et déplorable. Je ne comprends pas que ces gens d’esprit perdent volontairement les avantages de la situation que leur ont faite des sots ; et il faudrait qu’on m’apprît de bien importantes choses que j'ignore et que je n’entrevois pas du tout, pour m'ébranler dans ma conviction. Nous verrons.
Je suis très curieux d'entendre Molé et Vitet. J’ai vu hier, ici et à Lisieux, quelques honnêtes gens dont le langage révélait déjà l'effet de ce qui se passe. Ils s'en étonnent et recommencent à donner tort à l'Assemblée, sans redonner raison au président. Ils iront plus loin si on continue. Adieu. Adieu. Marion a été un suppléant charmant. Adieu. G.
Voilà vos quelques lignes qui me plaisent. Mais il ne faut pas veiller jusqu'à 11 heures. Merci de ce que vous avez dit à Mérode.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Lundi le 10 novembre 1851

Soirée très orageuse hier. L'allocution du Président aux affaires. Piscatory, Molé, Berryer, Montebello très montés. Montalembert n’en parlait pas. Fould approuvait en général cependant cela était regardé comme une nouvelle provocation, et l’on croit généralement que l’Elysée veut la crise.
Je vous verrai donc après demain. Grande joie. Mais voici deux recommandations. 1° Ne venez pas avant 3 1/4 je ne puis pas vous recevoir avant.. C’est trop long à expliquer. 2° faites-moi la grâce pour tout ce premier jour de vous borner à écouter tout le monde, et puis vous digèrerez ce mauvais dîner et vous pourrez avoir un avis le lendemain. On en sera très avide, c’est tout juste pour cela qu’il ne faut pas vous presser. Mon impression à moi est de trouver la conduite du duc de Broglie très bonne. Je ne suis pas suspect quand je le loue. Je trouve à Molé l’air mal à l’aise. Au reste depuis bien des jours je n'ai plus de tête-à-tête.
2 heures. Adieu. Adieu. Des nouvelles indirectes disent que le passeport est accordé !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°26 Val Richer. Lundi 28 juin 1852

Vous vous rappelez la réponse de Mad. la Duchesse d'Orléans à son frère qui s'alarmait, non sans raison du sort auquel elle pouvait être réservée en France. " J’aime mieux être un an Duchesse d'Orléans à Paris que passer ici ma vie à regarder par la fenêtre qui entre dans la cour du Château."
J’ai toujours trouvé que c’était là, une de ses meilleures, et même de ses plus sensées paroles. Si on m’offrait mille ans de la vie d’une huître, certainement je n'en voudrais pas. Vous verrez bien en réponse à quelle lettre, et à quelle rencontre de vous ceci est dit.
Je voudrais bien savoir si, en quittant Schlangenbad le 30 vous aurez quelque certitude sur Aggy.
J’ai des nouvelles de Barante, rétabli chez lui après avoir passé quelques jours chez sa fille en Bourgogne. Il m’écrit " Sur la situation politique, l'indifférence est complète ; on ne sait rien que ce qui est dans les journaux et il n’y a pas une grande curiosité d'être mieux informé des dessous de cartes et des conjectures. Pourtant cette inertie des esprits n'est ni confiante, ni bienveillante. Le projet d'imposer les voitures, les chevaux, les chiens plaisait assez aux gens de la campagne ; dans les villes, même les plus petites, on en jugeait tout autrement, et l’on comprenait ce que le luxe fait gagner à l'industrie et au commerce. Quant à l'impôt sur le papier, et bien plus encore l'accroissement du droit de mutation des terres le mécontentement était plus général et plus vif. Le budget sera la pierre d'achoppement. Si le pouvoir ne se compromet pas par de grosses et aventureuses fautes, s’il suit une route de prudence, ce qui nous restera de libertés et ce que nous en pourrons reconquérir nous viendra par les nécessités financières. Cela est d’autant plus probable que l’usurpation du pouvoir absolu a évidemment eu pour principal motif, le désir de jouir tout à son aise de notre argent."
Je vous envoie les phrases telles quelles et je vous demande pardon des mots qui s'y trouvent, pouvoir absolu, nécessités financières, libertés. C'est par faiblesse et pour ne pas entrer en longue discussion que je vous demande ce pardon là, car à vrai dire, je ne trouve pas qu’il y ait pour vous ni pour un Russe quelconque, le moindre motif à ce que ces mots-là vous déplaisent. En Russie le pouvoir absolu est évidemment la garantie des libertés, des nécessités financières de toute la civilisation ; sans votre Empereur et son pouvoir absolu, toute votre nation serait la proie, de je ne sais combien d’anarchies et de tyrannie. Je ne connais pas de plus grand et plus beau rôle que celui de votre Empereur chez lui, il est le protecteur de la justice, de la civilisation, des droits des petits, aussi bien que de l’ordre et des droits des grands, en Europe, il est le patron de la paix et l'adversaire tranquille des révolutions. souverain absolu et point ambitieux ; absolu pour le progrès de ses peuples, et puissant pour le repos de ses voisins. C’est une combinaison de grandeurs diverses, jusqu'ici sans exemple, et on dirait que la révolution de Février a été faite pour leur donner l'occasion de se déployer. N'en veuillez pas aux libéraux de ma sorte et ne vous méfiez pas de nous, votre Empereur n'a point de spectateurs qui le comprennent mieux, ni qui l'admirent davantage, ni qui lui portent plus de reconnaissance pour ce qu’il fait depuis quatre ans. Certainement, si j'étais Russe, je me tiendrais pour fou de faire de l'opposition. Mais je ne suis pas Russe, et la France n’est pas la Russie, et pour être en France anti-démagogique, anti-révolutionnaire monarchique et conservateur, il faut être libéral comme je le suis.
Adieu, Princesse. Je ne finirais pas si je vous disais tout ce que j'aurais à dire sur ce sujet-là. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°35 Val Richer, Jeudi 8 Juillet 1852

A part la fatigue les bains de Schlangenbad vous ont-ils fait quelque bien ? Vous êtes-vous baignée régulièrement ? Et l'Impératrice, comment s'en est-elle trouvé ? Le mois de Juillet vaudra mieux que celui de Juin pour des eaux allemandes. Par cette chaleur-là, les environs d’Ems doivent être charmants. Je conserve une impression singulièrement vive des lieux qui m'ont plu, et où je me suis plus.
A mesure que les élections anglaises, approchent, il me semble que leur aspect en plus favorable à Lord Derby. La question sera décidé ces jours-ci. Je veux du bien à Lord Derby quoi que je n'en espère pas beaucoup. Si Lord John ou sir James Graham reviennent au pouvoir ils y feront les affaires des radicaux, ce qui fera, sur le continent, les affaires, soit des révolutionnaires, soit des absolutistes. Ni les unes, ni les autres ne sont les miennes. Ceci ressemble presque à une provocation. Ce n’est pourtant pas mon goût. Je n’aime pas du tout à me disputer avec les gens que j’aime. J’aimerais bien que nous fussions toujours du même avis. Mais puisque vous êtes toujours du même avis que le Prince Charles de Prusse, il n’y a pas moyen.
Il m’est arrivé ces jours-ci de l'administration locale, une question très bienveillante, elle m’a demandé, si je voulois être porté au conseil général dont les élections se feront bientôt, comme de raison, j’ai répondu que non, que je voulais rester en dehors des affaires comme de l'opposition. Je n'ai jamais vu l’horizon plus calme. Pour mieux dire, il n’y a rien du tout à l'horizon. C'est même là le mal principal de la situation. Il faut qu’un gouvernement ait devant lui un avenir. Celui-ci est traitement renfermé dans le présent. C’est là ce que je crains pour lui ; il ne se résigne pas à une portée si courte ; il voudra étendre plus loin la main, et il se fera de mauvaises affaires sans nécessité, si ce n’est qu’il faut avoir des affaires.

11 heures
Je suis charmé de vous savoir arrivée même en compagnie de Juifs, vous devez avoir en effet grand besoin de repos. Je vous ai écrit hier qu'à moins de vraie nécessité, je n'irais pas vous voir tout de suite. Cela me dérangerait vraiment beaucoup. Ne vous tourmentez pas trop de l'avenir quant aux Ellice. J’espère bien que vous n'aurez pas à y renoncer. En attendant, vous allez avoir Aggy. Nous verrons ce qu’il faudra faire pour vous l’assurer, elle ou la sœur. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 8 Août 1852

Je rentre dans nos habitudes ; je ne numérote plus. C’est un petit travail de chaque matin.
La translation à Brompton est un triste symptôme. On envoie là les [?] dont on n'espère plus grand chose, et qui ne sont pas assez forts ou assez riches pour être transportés à Pise où à Madère. On dit que l’air y est plus doux, et plus égal que dans Londres. Il y a un bal hôpital for consumption.
Pauvre Fanny ! Je suis toujours plus touché de la mort de ceux qui sont jeunes, et qui n’ont pas connu les douceurs de la vie.
Un de mes amis dont vous connaissez le nom, M. Moulin m'écrit : " Mon avis a toujours été et est qu’il ne faut pas abandonner les fonctions de représentation locale quand elles sont gratuites, électives et qu’on peut les conserver ou les obtenir sans trop d'effort."
J'aurais vivement mécontenté par la conduite contraire mon vieux canton de La Tour d'Auvergne que je retrouve fidèle à toutes mes fortunes aujourd’hui comme après 1848, et qui va probablement me réduire à la presque unanimité. J’ai compris d'abord les instructions de Venise comme moyen de modérer l'ardeur du parti légitimiste à se porter vers les fonctions publiques dont il a été si longtemps privé, mais je ne m'explique pas l’insistance avec laquelle, on vient de les reproduire à la veille des élections des conseils généraux. En Auvergne, elles n'ont reçu, elles ne reçoivent aucune exécution ; pas un légitimiste ne s’est retiré ; tous les légitimistes de nos conseils électifs vont y rentrer. Comme nous ne sommes pas un pays de grande propriété, le parti ne peut avoir influencé que par le patronage des intérêts locaux ; il perd toute autorité, toute importance s'il se retire sous sa tente, et sa retraite inspire plus de sarcasmes que de regrets.
Je suis bien aise que Cromwell vous amuse. Je vous en envoie sous bande un exemplaire. Cela a été inséré dans la Revue contemporaine, et ne se vend point séparément. On m'écrit que cela fait quelque bruit à Paris, et j'en juge par la fureur avec laquelle Emile Girardin l’attaque dans la Presse. Les amis du Président, ont tort de s'en fâcher. Cela n'a été écrit, ni pour lui, ni contre lui. J’ai pensé à son oncle en l'écrivant, à lui pas du tout. Il est vrai que l'allusion subsiste à la seconde génération, et que la conclusion est que Cromwell fit bien de ne pas se faire Roi. Si j'étais l’un des conseillers du Président, je lui conseillerais de faire comme Cromwell, qui mourut dans son lit, à Whitehall tranquille, et puissant. Mon conseil déplairait probablement, ce qui n'empêcherait pas qu’il ne fût bon.
Adieu. Je passe mon temps à me promener et à causer avec mes Anglais qui ont l’air de se plaire ici. Ils me quittent, le 15, et je pars le même jour pour aller près de Caen marier M. de Blagny. Je rentrerai chez moi le 13 pour n'en plus bouger. Adieu, adieu.
J’espère que la lettre de ce matin me dira que vous avez marché.

11 heures
Malgré votre lettre, j'adresse encore à Dieppe, Pour vous, je crois que vous serez mieux à Paris d’autant que les chaleurs de l'été me semblent passées. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 22 août 1852

J'ai vu une lettre de Berlin racontant le 15. La police a défendu l’illumination & le Te deum. Mantenffeld & le reste a refusé d’aller au dîner. Pas un Prussien n’y a été. Petit dîner en habit bourgeois, & de tout le corps Diplomatique rien que l'Anglais & le Bavarois. Voilà, partout je crois cela aura été de même ; on ne peut pas célébrer la mémoire de l'homme qui est venu saccager, opprimer, humilier tous les pays. Pourquoi le Prince ne s'est-il pas borné à dire que c’était sa fête à lui ? On la célébrerait volontiers. Tout cela est très maladroit. Castelbajac a un congé. Il revient comme Kisseleff va partir, il n’y aura pas d'affaires du tout. Car ce n’est pas le Prince Kourakin qui saurait les faire.
Je vous envoie la lettre d’Ellice qui vous intéressera. Renvoyez la moi je vous prie. Tout le monde a comme moi lu votre Cromwell avec beaucoup d’intérêt, mais tout le monde se demande, & mon plaisir une fois passé je me demande aussi pourquoi vous l'avez fait paraître. C'est de la désobligeance pour le moins. C’est inutile & cela pourrait vous attirer et à d’autres des désagréments. Cela ne vous ressemble pas de faire de la malice pour de la malice. What use ?
Je ne sais rien de Rémusat. Je n’ai point vu les Delessert depuis deux jours. Je les vois beaucoup, elle me plait tout à fait. Ce pauvre Auguste est revenu il est allé voir mourrir sa femme et l’enterrer. Hier on a enterré le petit Tolstoy. En ai-je fini des tragédies ? Mes jambes vont mieux, mais la débilité générale est extrême. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 27 Août 1852

Nous avons eu hier, un peu avant le dîner, un orage qui m’a mis je ne sais pourquoi, dans un grand malaise. J’ai à peine diné. Après dîner, j’ai eu un besoin absolu d’une demi heure de sommeil dans mon fauteuil. J’en suis sorti pour faire un robber de whist, et j’ai été me coucher à 9 heures. J’ai très bien dormi. Je n'ai plus aucun malaise. Je ne suis qu’un peu fatigué. Ce soir, il n'y paraîtra plus.
Je ne comprends pas les gens de Berne d'avoir de si mauvais procédés pour le Président. Il me paraît clair que tout en les menaçant, au fond, il les protège un peu, contre une invasion Européenne du moins, par crainte des embarras intérieurs où elle le mettrait, et aussi par souvenir de l'hospitalité qu’il a reçue en Suisse. Il est, ce me semble, toujours sensible à ce qui lui est, ou lui a été personnel. Les radicaux ont bien peu d’esprit.
Les apparences sont comme le dit M. Drouyn de Lhuys, que l'Empire est fait. Les conseils généraux, en termes plus ou moins positifs votent comme un seul homme. Je vous prie de croire que je n’ai pas cru un moment à l'efficacité d’un conseil historique et public. Mais j’ai été bien aise de donner historiquement le conseil pour dire publiquement mon avis. Quand l'Empire sera fait, je serai ce que je suis aujourd’hui, parfaitement tranquille et respectueux pour l’ordre établi.
Je ne m'étonne pas de l’enfantillage des Belges avec les vaisseaux et les ingénieurs Anglais. Quand nous sommes allés, en 1831 les sauver des Hollandais devant qui ils s'étaient enfuis comme des lièvres, ils ont eu la même humeur et fait à l’armée Française toutes les malices inimaginables. On veut être sauvé, et détester son sauveur. C'est naturel. Il est fort désagréable d'être démontré petit, et impuissant à se sauver soi-même. C'est d'ailleurs la manie du temps que personne ne veuille être petit. La prétention de l'égalité existe entre les états comme entre les individus. C'est la principale cause peut-être de cette passion de constitutions qui a saisi tous les peuples. Affaire d’orgueil encore plus que de besoin. Tout le monde a voulu avoir le même grand gouvernement représentatif que la France ou l'Angleterre, pour être grand aussi.
J’ai essayé un jour de faire comprendre à un général, homme d’esprit que ce gouvernement là n'allait pas du tout à Genève que c’était une machine à vapeur de la force de mille chevaux pour une barque de cent tonneaux. Je n’ai pas réussi. Qui veut être une barque de cent tonneaux ? La Fontaine avait vu cela avant moi. Tout petit Prince à des ambassadeurs. Tout marquis veut avoir des Pages. Les constitutions sont les pages de notre temps. Cela est drôle à dire dans ce moment-ci. Je persiste pourtant. Quand une sottise a fait trop de mal, la platitude vient et prend la place de la sottise ; mais on n’est pas, pour cela, guéri de la sottise.

11 heures
Ne dites donc pas de telles paroles. Votre faiblesse me désole ; mais ce n’est que de la faiblesse. Vous n'avez point de maladie, point de fièvre point d'organe attaqué. C’est une mauvaise veine que vous traverserez. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 27 août 1852

La Consultation de Chomel a abouti à des bains de Vichy, des pilules, d’autres dragées, tout cela parce que j'ai le foie attaqué. Voilà par dessus mes autres maux. Je suis jaune comme une orange. J'ai fermé ma porte hier soir, je me suis couché à 9 h. et j’ai assez dormi. Le ton a subitement changé ici quand on a sû ( ce qu'on ne sait positivement que depuis avant hier ) que Petersbourg avait été comme Berlin le 15 août. On n'en parle plus, c’est mon avenir.
Voici votre lettre. Je reste dans mon lit jusqu’à midi, j’y [?], je déjeune, je lis, enfin je me repose, & rien ne me repose. Je n’ai pas de nouvelle à vous dire du tout. Il ne se passe rien, on ne parle de rien. Du mariage plus du tout. La nouvelle de salon est la mort subite d'Antonin de Noailles. Et hier soir de la musique et un bal chez Mad. de Caraman. Aggy est bien amusée. La nouvelle Duchesse de Hamilton a passé par Paris, elle ne s'y est arrêté que quelques heures. Dans une rencontre fortuite avec un diplomate dans la rue, elle lui a dit que la princesse de Wasa était partit pour la Bohème où elle passera tout l’hiver. Je vous ai dit qu'on pense pour elle à l’Empereur d’Autriche. Le général Haynau est à Paris. Beauvale m’écrit qu’il croit à la durée du ministère. Il me parle bien petitement de notre ami Aberdeen. C’est difficile de disputer. Adieu, adieu.
Votre réponse au Constitutionnel est très clever. Vous raisonnez très bien. Dans tout cela ce qu'il y a de mieux à faire c’est de se taire à droite et à gauche, mais les Français aiment à parler et à ce qu'on parle d'eux, ce qu’ils supportent le moins c’est d’être oubliées. Je généralise, et je parle pour ceux qui peuvent être oubliés.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 30 Août 1852

J’ai dîné hier à Lisieux avec l'Évêque, son clergé et les gros bonnets de la ville. Le clergé toujours bienveillant, pour le président. Les laïques sans enthousiasme pour l'Empire et craignant qu’il n’amène la guerre. Tout le monde sensé dans un horizon bas et court. La conversation ne s’arrêtant pas sur la politique et cherchant, d’un sentiment général à se porter ailleurs ; tantôt sur les questions économiques, tantôt sur les questions religieuses. C’est un assez amusant spectacle que de voir ces bourgeois au fond très peu dévots quoique respectueux essayer de prendre intérêt à la querelle des auteurs chrétiens et des auteurs païens, aux citations des pères de l'Eglise, et à la tenue des synodes des prêtres du diocèse.
Avez-vous lu un article du Globe sur les affaires d'Orient, France and Turkey, bien fait et curieux ? Il me paraît que le renvoi de Rachid Pacha, s'il est sérieux ne tournera qu’à votre profit. Plus on ira, plus on sentira la faute d'avoir relevé solennellement cette question des Lieux Saints. La politique de la France en Turquie depuis vingt ans est un tissu d'inconséquences et d'étourderies.
J’étais moi-même dans cette mauvaise voie, en 1840, jusqu'à mon ambassade en Angleterre. J’ai essayé d'en sortir de 1840 à 1848 en me tenant tranquille en Orient, et en n'y traitant aucune question que de concert soit avec la Porte elle-même, soit avec toutes les grandes puissances Chrétiennes quand il fallait agir contre la Porte, c’est-à dire sur la Porte, malgré elle. Il n’y a pas autre chose à faire, tant qu’on ne sera pas décidé à fondre, avec du canon, la cloche. de ce pauvre Empire. On s'en apercevra. pour la seconde fois, lorsqu’on se sera mis, pour la seconde fois, dans quelque mauvais pas, comme il nous est arrivé en 1840 à propos de Mehemet Ali.
Le Moniteur, est un peu embarrassé à parler convenablement du déplacement du monument élevé au Duc d'Enghien dans la chappelle de Vincennes. C’est une pauvre raison à donner de ce déplacement que la nécessité de faire plaisir aux artistes " en rétablissant la symétrie des belles lignes architecturales du temple bâti par St. Louis. " Une phrase sur " le respect qu’on doit à la cendre des morts " n’est pas une compensation suffisante. Il ne fallait pas toucher du tout à la cendre de ce mort-là. Elle brûle encore et brûlera toujours quiconque y touchera.
Pourquoi M. de Persigny est-il à Londres ? Est-ce, comme, on l’a dit, pour le traité de commerce qu’on a tout récemment démenti ? J’ai peine à le croire. Il y a là des intérêts puissants, et auxquels il est aussi imprudent de toucher qu'au monument du Duc d'Enghien

11 heures
Voilà le facteur et le général Trézel qui m’arrivent à la fois. Je n'ai que le temps de vous dire Adieu, et adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 1er Sept. 1852

Ce que vous me dites de Hübner ne m'étonne pas ; il a de l’esprit, mais son esprit est placé trop bas pour se répandre aisément ; il n’y a que les esprits hauts qui soient communicatifs et libres.
Vous avez en effet bien peu de ressources à Paris en ce moment ; mais vous en auriez encore moins ailleurs. La campagne est bonne à ceux qui ne craignent pas la solitude.
A mon avis, vous avez tort de ne vouloir absolument. d’aucun château ; vous n’y seriez pas, il est vrai, aussi parfaitement, sans gêne que chez vous ; mais vous y auriez un peu de bonne conversation et beaucoup de bon air. Il faut bien choisir entre ses goûts et sacrifier quelque chose des uns à la satisfaction des autres. Je vous fais de la très bonne morale, sans compter sur son succès.
Pour moi, je ne parie plus ni pour contre l'Empire ; il viendra, ou ne viendra pas, comme on voudra ; je n’y pense même plus. Je puis oublier beaucoup le présent.
La guerre devient bien vive, entre le Times et le Moniteur. Je ne crois pas que cela serve le Président en Angleterre où tout le monde lit le Times et personne le Moniteur. Et en France, où personne ne lit le Times, et tout le monde à présent le Monteur, cela n’a d'autre effet que d’apprendre au public, que le Times attaque violemment le Président. Ce sont des polémiques où l’on s’engage pour la satisfaction de son humeur, non pour le service de son intérêt. Je les comprends de l'Empereur Napoléon, il faisait la guerre à l'Angleterre ; il la lui faisait dans le Moniteur comme partout ; ses articles étaient soutenus par ses canons, et expliquaient ses canons. Mais le Président, est et veut, être en paix avec l’Angleterre ; le Moniteur ainsi employé lui rend la paix plus aigre voilà, tout. C’est un mauvais calcul un anachronisme.
Je suppose que vous ne lisez pas le Bernardin de St Pierre de M. Ste Beuve. aussi soigneusement que ses Regrets. Quatre Bernardin de St Pierre à la fois, celui qui a eu le prix à l'Académie, celui de M. Villemain dans son Rapport, celui de M. de Salvandy dans les Débats, et celui de M. Ste Beuve dans le Constitutionnel, c’est beaucoup.
Vous êtes vous fait lire le Rapport de M. Villemain ? Aggy lit-elle bien tout haut ?

Onze heures
Je reçois quatre lignes de Piscatory qui me dit qu’il est malade, et qu’on le croit dangereusement malade, d’une esquinancie. Lui, il se croit mieux ; mais il finit en me disant. " Je pourrai me vanter d'avoir été pendu. " J’en suis très fâché, car j’ai vraiment de l’amitié pour lui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mercredi 22 sept. 1849
9 heures et demie

Je suis dans mon Cabinet depuis six heures. Je n'ai pas encore mis le pied dans le jardin quoiqu’il fasse un soleil superbe. Je suis plongé dans mon histoire de la révolution d'Angleterre. Notre temps me sert beaucoup plus pour la comprendre qu’elle ne m'éclaire sur notre temps. Personne, ne me croirait si je disais que je cherche bien plutôt dans le présent des lumières sur le passé que dans le passé des allusions au présent. C'est pourtant très vrai.
Savez-vous un effet qu’on n’a pas prévu ? Il est très probable que ces bruyantes et innombrables démonstrations dont les journaux sont remplis, feront l'Empire ; mais en le faisant, elles l’usent d'avance. On en aura trop entendu parler quand il sera proclamé. On attendra et on demandera autre chose.
Le Constitutionnel allait avant hier au devant des craintes qu'inspirent déjà ces autres choses ; il promettait un Empire qui ne serait pas l'Empire, qui ferait des sociétés de crédit foncier et des chemins de fer une monarchie pacifique et bourgeoise. C’est trop de bruit pour arriver là. Il fallait attendre plus patiemment la nécessité de la monarchie ; elle serait venue, et elle serait venue plus tranquillement, sans blaser d'avance et sans exciter outre mesure. J'en reviens toujours, au chancelier Oxenstiern, qu’il y a peu de sagesse, même dans ce qui réussit !
C'est probablement par mauvais vouloir pour Lord Douro que le Duc de Wellington n’a pas fait de testament ; il a voulu que son second fils, qu’il aime mieux, et qui a des enfants, ont la moitié de sa fortune. Peel et Wellington, jamais les fils n'ont moins ressemblé aux pères ; le contraste est choquant.
Je suis convaincu qu’il y a de la faute des pères en cela, et que des enfants vraiment bien élevés, et en intimité avec leur père, n'en sont jamais si loin, quelque différente que Dieu ait fait la pâte, de toutes les jalousies, celle de père à fils est la seule que je ne comprenne pas du tout. Je ne conçois pas de plus grande satisfaction que de se survivre, et de la perpétuer soi-même dans ses enfants. J’ai pourtant vu de grands exemples de cette jalousie là, et dans de bien frappantes occasions.
Je vous quitte pour faire ma toilette. Je suis impatient de savoir Aggy revenue.

Onze heures
Je remercie Aggy de ses quelques lignes, quoiqu’elles me chagrinent. J’espère qu’un peu de nourriture vous relèvera de votre abattement. Le temps mou et pluvieux paraît vouloir casser ; peut-être qu’un air plus sec et plus vif vous vaudra mieux. Adieu, Adieu, en attendant demain. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Jeudi 23 sept. 1852

Je trouve le discours du Président à Lyon très bien fait, le meilleur qu’il ait fait. On ne tire pas mieux parti de sa situation et de son nom. On ne fait pas mieux servir les faits passés aux intérêts présents. Toutes les paroles répondent à des dispositions instinctives du peuples, réelles et bien comprises. Je n’y vois qu’une faute ; c’est la malice contre la légitimité à propos de la statue équestre de Napoléon. Cela n’est ni grand, ni juste. Le gouvernement de Juillet a remis la statue de Napoléon sur la colonne de la place Vendôme, et Napoléon lui-même sous le dôme des Invalides. Cela vaut bien une statue équestre. J'étais ministre à l’une et l'autre époque et j’ai bien le droit de dire que jamais gouvernement ne s’est plus généreusement conduit envers la mémoire d’un prédécesseur dont les descendants restaient des rivaux. Cela m'amuse de prendre, en ceci, fait et cause pour la légitimité et de reporter sur elle le mérite des actes du gouvernement de Juillet. Mais je n’ai pas tort.
Au fond, ce n’est pas contre la branche légitime seulement, c’est contre les deux monarchies précédentes, contre toute la maison de Bourbon que l'allusion est dirigée, et là est l'injustice comme l’artifice ; à cela près, le discours est habile et a très bon air.
Voilà la guerre commerciale engagée entre la France et la Belgique. On vient. de doubler les droits d’entrée, sur les houilles et les fontes belges. La nouvelle négociation a donc tout-à-fait manqué. Cela peut devenir sérieux. Mais rien ne devient sérieux maintenant, rien du moins de ce qui peut aboutir à la guerre.
Je vous parle toujours des Feuilles d’Havas. Je suis frappé d’un petit article que je trouve dans celles d’hier, pour prendre le parti du Duc de Wellington contre les journaux qui l'ont attaqué, en attaquant l’article de l'Assemblée nationale. La défense est très convenable, de fond et de ton. On veut évidemment n'être point responsable des mauvais procédés et du mauvais langage envers l’Angleterre.
Vous ne lisez plus le Journal des Débats. Faites-vous lire pourtant, dans le numéro d’hier mercredi, un article de M. St Marc Girardin sur les Mémoires de Mallet Dupan. Très sensé, très spirituel et très piquant. Avez vous lu, ou du moins parcouru ces Mémoires de Mallet Dupan ? C'est, sans aucune comparaison, ce qui a été écrit de mieux sur la Révolution Française. C'est la vérité vue et entendue au milieu de la fumée et du bruit du canon.
Je ne vous parle que de discours et de journaux, et c’est à votre santé que je pense surtout. J'espère avoir ce matin de vos nouvelles, par vous et que vous me direz que vous recommencez à manger. Adieu, en attendant je vais faire ma toilette.

Onze heures
Voilà une lettre qui me fait bien plaisir. Mangez et dormez. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 6 octobre 1853

J’y ai pensé et je crois que je n'écrirai pas. C’est toujours quelque chose de délicat que de donner des conseils surtout quand on ne vous les demande pas. Au moins faut-il bien savoir ce qu’on dit, et dire tout ce qu’on pense. Ces deux conditions me manqueraient. Ce qui se passe depuis vos dernières notes, ce que vous que dîtes de Lord Lansdowne, d'abord doux, puis irrité après avoir causé avec Lord Cowley, les quasi-velléités de guerre d'Aberdeen lui-même, tout cela me fait supposer qu’il y a des choses que je ne sais pas. Et quant aux choses générales, si le disais tout ce que je pense de la situation, j'en dirais trop ; si je ne disais pas tout, je dirais trop peu, et ce n’est pas la peine. J'attendrai, toujours décidé à n'être pas inquiet. Il faudra que je voie la guerre pour y croire.
Je trouve la Patrie, bien embrouillée dans sa réponse à l'Assemblée nationale. Je ne sais à qu’elle source, l'Assemblée avait puisé ses nouvelles ; mais la patrie à l’air de ne les démentir qu’à vous, et avec plus d'humeur que d'autorité.
Avez-vous remarqué la décision du petit conventicule italien qui s’est tenu à Londres autour de Mazzini et où sa politique violente n’a eu que trois voix ?
Marion serait bien aimable de me rendre un petit service. Les Durazzo, si je ne me trompe, sont à Paris. Je trouve, dans l’histoire du Piémont au 17e siècle, un nom que je ne suis pas sûr de savoir correctement ; c'est un marquis de Pianessa qui a joué un rôle dans les affaires des Vaudois et de Cromwell, à cette époque. Lui et sa femme étaient des gens considérables à la Cour de Turin. Quel est vraiment leur nom ? Est-ce Pianessa ou Pianezza ? Les Durazzo savent certainement cela. Marion aurait elle la bonté de le leur demander pour moi ? Je l'en remercie. d'avance.
Puisqu’il ne sait que de Noël, je serai à Paris bien avant le départ de Marion, et nous en causerons. Je ferai de mon mieux pour abréger l’absence.

Onze heures
C'est bien grave, et bien insensé. Il sera dit que les gouvernements n’ont pas plus de bon sens que les peuples. Voici ce que m'écrit M. Monod. Adieu, adieu. G.
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